Language of document : ECLI:EU:T:2024:34

Affaire C243/23 [Drebers] (i)

Belgische Staat/Federale Overheidsdienst Financiën

contre

L BV

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hof van Beroep te Gent)

 Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 12 septembre 2024

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Régularisation des déductions – Article 187 – Période de régularisation prolongée pour les biens d’investissement immobiliers – Notion de “biens d’investissement” – Article 190 – Faculté des États membres de considérer comme étant des biens d’investissement les services qui présentent des caractéristiques similaires à celles normalement associées à ces biens – Travaux d’élargissement et de rénovation d’un immeuble – Possibilité prévue en droit interne d’assimiler de tels travaux à la construction ou à l’acquisition d’un bien immeuble – Limitations – Effet direct de cet article 190 – Marge d’appréciation »

1.        Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Déduction de la taxe payée en amont – Régularisation de la déduction initialement opérée – Modalités prévues pour les biens d’investissement – Notion de biens d’investissement immobiliers – Travaux immobiliers taxés en tant que prestations de services – Exclusion

[Directive du Conseil 2006/112, art. 2, § 1, a) et c), 187, § 1, et 189, a)]

(voir points 51-57)

2.        Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Déduction de la taxe payée en amont – Régularisation de la déduction initialement opérée – Période de régularisation prolongée pour les biens d’investissement immobiliers – Faculté des États membres de considérer comme étant de tels biens les services avec des caractéristiques similaires à celles normalement associées à ces biens – Limites – Respect du principe de neutralité fiscale – Non-application de la période prolongée à des travaux d’élargissement et de rénovation en profondeur d’un immeuble – Inadmissibilité

(Directive du Conseil 2006/112, art. 187 et 190)

(voir points 59-63, 66-70, 72, 78, 79, 81, disp. 1)

3.        Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Déduction de la taxe payée en amont – Régularisation de la déduction initialement opérée – Directive 2006/112 – Article 190 – Effet direct

(Directive du Conseil 2006/112, art. 187 et 190)

(voir points 87, 89-97, disp. 2)

Résumé

Saisie à titre préjudiciel par le hof van beroep te Gent (cour d’appel de Gand, Belgique), la Cour précise la portée de la marge d’appréciation dont disposent les États membres pour assimiler à des « biens d’investissement immobiliers » des services qui y sont similaires, lorsqu’ils ont fait usage de la faculté d’appliquer à de tels biens une période de régularisation prolongée, telle que prévue à l’article 187, paragraphe 1, de la directive TVA (1).

L BV est une société d’avocats belge qui, pour l’exercice de cette activité économique, dispose d’un bien immobilier.

Au cours des années 2007 à 2015, d’importants travaux ont été réalisés sur cet immeuble, au terme desquels celui-ci se compose désormais des bâtiments rénovés ainsi que des pièces nouvellement construites.

À partir du 1er janvier 2014, la Belgique a supprimé l’exonération de la TVA jusque-là applicable à l’exercice de la profession d’avocat. De ce fait, estimant que les travaux concernés constituaient des biens d’investissement immobiliers soumis à une période de régularisation prolongée de quinze ans et que celle-ci était, par conséquent, encore en cours, L BV a procédé à la déduction d’une partie de la TVA qu’elle avait acquittée sur les coûts de ces travaux.

À la suite d’un contrôle fiscal, l’administration fiscale a estimé qu’à ces travaux s’appliquait non pas la période de régularisation prolongée, mais la période de régularisation standard de cinq ans. Pour cette raison, elle a considéré L BV comme demeurant redevable d’un montant de la TVA relatif à des déductions effectuées. L BV s’y est opposé en formant une action devant une juridiction de première instance, qui a partiellement statué en sa faveur.

Saisie en appel, la juridiction de renvoi émet notamment des doutes quant à la compatibilité avec la directive TVA de la réglementation belge en vertu de laquelle il n’est pas possible d’appliquer la période de régularisation prolongée à des travaux d’agrandissement et de rénovation en profondeur d’un immeuble.

Appréciation de la Cour

Dans un premier temps, la Cour dit pour droit qu’une telle réglementation n’est pas compatible avec l’article 190 de la directive TVA, lu en combinaison avec l’article 187 de cette directive et à la lumière du principe de neutralité fiscale. À cet égard, elle observe que la possibilité pour les États membres de prolonger jusqu’à vingt ans la durée de la période servant de base au calcul des régularisations pour des biens d’investissement immobiliers, telle que prévue à l’article 187, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive TVA , vise à accroître la précision des déductions, tout en adaptant ces modalités aux caractéristiques propres à ces biens, qui tiennent notamment à leur durée de vie économique encore plus longue que celle des autres biens d’investissement.

Or, étant donné que les travaux immobiliers concernés ont été taxés en tant que prestations de services et non pas en tant que livraison de biens, au sens de la directive TVA, ils ne sauraient, en tant que tels, relever de la notion de « biens d’investissement immobiliers », visée à l’article 187, paragraphe 1, de la directive TVA. Partant, les modalités de régularisation prévues à cet article ne sont pas, en elles-mêmes, applicables à ces travaux.

Cela étant, la Cour constate que la faculté de considérer comme des biens d’investissement les services qui présentent des caractéristiques similaires à celles normalement associées à ces biens, prévue à l’article 190 de la directive TVA, qui a servi de base aux actions de l’administration fiscale en l’espèce, s’applique également à des biens d’investissement immobiliers. À cet égard, elle relève que cet article se réfère de façon générale à la notion de « biens d’investissement », sans en exclure les biens d’investissement immobiliers, qui, malgré un traitement spécifique, continuent de relever de la catégorie générale des biens d’investissement. Il s’ensuit que, au regard de la finalité de l’article 190 de la directive TVA et afin d’accroître la précision des déductions de la TVA acquittée sur les services en fonction de leur durée de vie économique, les États membres peuvent assimiler, aux fins du mécanisme de régularisation, certains services, selon le cas, à des biens d’investissement ou à des biens d’investissement immobiliers.

Toutefois, dans l’exercice de ce pouvoir d’appréciation, ils doivent respecter le principe de neutralité fiscale en tant qu’expression particulière du principe d’égalité de traitement, ainsi que la finalité de l’article 190 de la directive TVA. Dans ce contexte, les États membres ne sauraient notamment faire abstraction de la durée de vie économique des effets des services devant être assimilés à des biens d’investissement, vu que la similitude des caractéristiques des services et des biens concernés aux fins du mécanisme de régularisation dépend de cette durée de vie économique.

Par ailleurs, la Cour ajoute que, au regard de l’objet de l’article 190 de la directive TVA, le fait que les travaux immobiliers concernés ne constituent pas une transformation d’un immeuble, au sens de cette directive, est sans pertinence à cet égard.

Dans un second temps, la Cour juge que l’article 190 de la directive TVA, lu en combinaison avec l’article 187 de cette directive et à la lumière du principe de neutralité fiscale, est susceptible de produire un effet direct. Pour retenir, tout d’abord, que cet article présente un caractère inconditionnel, la Cour observe qu’il confère aux États membres la faculté d’assimiler des services à des biens d’investissement immobiliers, sous réserve de la mise en œuvre préalable de l’article 187, paragraphe 1, troisième alinéa, de cette directive. Cependant, la liberté s’agissant de la décision de mettre en œuvre ou pas cette faculté n’empêche pas le juge national de contrôler si un État membre a, ce faisant, respecté les conditions régissant ladite mise en œuvre et est resté dans les limites de son pouvoir d’appréciation, étant précisé que, en l’espèce, l’État membre avait déjà pleinement épuisé la marge d’appréciation dont il disposait à l’égard de l’article 187. Ensuite, pour considérer que l’article 190 de la directive TVA présente un caractère suffisamment précis, la Cour relève que l’existence de la marge d’appréciation laissée par cette disposition aux États membres n’exclut pas non plus qu’un contrôle juridictionnel puisse être effectué afin de contrôler si l’État membre concerné n’a pas outrepassé cette marge d’appréciation.

Dès lors, si la juridiction nationale constate que l’État membre a dépassé son pouvoir d’appréciation, l’assujetti peut invoquer directement les dispositions susmentionnées devant ce juge en vue de faire appliquer à des travaux immobiliers la période de régularisation prolongée fixée en droit interne en application de l’article 187, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive TVA.


i      Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


1      Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).