Language of document : ECLI:EU:T:2010:541

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

16 décembre 2010 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un personnage assis – Marque communautaire figurative antérieure – Motif de nullité – Caractère individuel – Impression globale différente – Article 6 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 6/2002 »

Dans l’affaire T‑513/09,

José Manuel Baena Grupo, SA, établie à Santa Perpètua de Mogoda (Espagne), représentée par Me A. Canela Giménez, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. J. Crespo Carrillo et A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

les autres parties à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

Herbert Neuman et Andoni Galdeano del Sel, demeurant à Tarifa (Espagne),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’OHMI du 14 octobre 2009 (affaire R 1323/2008‑3), relative à une procédure de nullité entre MM. Herbert Neuman et Andoni Galdeano del Sel, d’une part, et José Manuel Baena Grupo, SA, d’autre part,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé, lors du délibéré, de MM. N. J. Forwood (rapporteur), président, E. Moavero Milanesi et J. Schwarcz, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 22 décembre 2009,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 4 mars 2010,

vu le mémoire en réponse des intervenants déposé au greffe du Tribunal le 2 avril 2010,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, José Manuel Baena Grupo, SA, est titulaire du dessin ou modèle communautaire déposé le 7 novembre 2005 et enregistré le 27 décembre 2005 sous le numéro 426895‑0002. Le dessin ou modèle contesté, destiné à être appliqué aux « tee-shirts (ornementation pour) ; casquettes (ornementation pour) ; autocollants (ornementation pour) ; imprimés, y compris publicitaires (ornementation pour) », est représenté comme suit :

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2        Le 18 février 2008, les intervenants, MM. Herbert Neuman et Andoni Galdeano del Sel, ont présenté devant l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) une demande en nullité du dessin ou modèle contesté, fondée sur l’article 25, paragraphe 1, sous b) et e), du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1). Dans la demande en nullité, les intervenants alléguaient que le dessin ou modèle contesté, premièrement, n’était pas nouveau et était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 4 du règlement n° 6/2002, lu en combinaison avec les articles 5 et 6 du même règlement, et, deuxièmement, qu’il était fait usage dans celui-ci d’un signe distinctif au sens de l’article 25, paragraphe 1, sous e), dudit règlement.

3        À l’appui de leur demande en nullité, les intervenants ont invoqué la marque communautaire figurative reproduite ci-après enregistrée le 7 novembre 2000 pour des produits relevant des classes 25, 28 et 32 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie » ;

–        classe 28 : « Jeux, jouets ; articles de gymnastique et de sport » ;

–        classe 32 : « Bières ; eaux minérales, gazeuses et autres boissons non alcooliques ; boissons et jus de fruits, sirops et autres préparations pour faire des boissons ».

4        La marque communautaire en question est représentée comme suit :

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5        Par décision du 15 juillet 2008, la division d’annulation a accueilli la demande en nullité sur le fondement de l’article 25, paragraphe 1, sous e), du règlement n° 6/2002, en estimant que dans le dessin ou modèle contesté il est fait usage de la marque communautaire susvisée.

6        Le 16 septembre 2008, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 55 à 60 du règlement n° 6/2002, contre la décision de la division d’annulation.

7        Par décision du 14 octobre 2009 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’OHMI a considéré que la division d’annulation avait commis une erreur en estimant qu’il est fait usage de la marque communautaire dans le dessin ou modèle contesté. Néanmoins, la chambre de recours a ajouté que le dessin ou modèle contesté n’avait pas de caractère individuel, dès lors qu’il ne produisait pas sur l’utilisateur averti, à savoir des jeunes ou des enfants achetant habituellement des tee-shirts, des casquettes et des autocollants ou des utilisateurs d’imprimés, une impression globale différente de celle produite par la marque communautaire. Ainsi, en application de l’article 60, paragraphe 1, du règlement n° 6/2002, la chambre de recours a déclaré la nullité du dessin ou modèle contesté sur le fondement de l’article 25, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, du même règlement.

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

9        L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

10      Les intervenants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        confirmer la décision attaquée ;

–        dans le cas où la décision attaquée serait annulée, maintenir la nullité du dessin ou modèle contesté sur le fondement d’un des autres motifs de nullité invoqués devant l’OHMI ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

11      La requérante soulève un moyen unique, tiré, en substance, de la violation de l’article 6 du règlement n° 6/2002.

12      Dans le cadre de ce moyen, la requérante fait valoir que les différences entre la marque communautaire invoquée à l’appui de la demande en nullité et le dessin ou modèle contesté sont telles que l’impression globale produite sur l’utilisateur averti par chacune de ces silhouettes est différente.

13      À cet égard, la requérante se réfère à l’expression des visages des deux silhouettes, à la position des sourcils sur lesdits visages, à la présence d’une bouche sur la silhouette de la marque communautaire, au trait plus épais du tracé du dessin ou modèle contesté, au positionnement de chaque silhouette, à la largeur de leur cou, au détail caractérisant la silhouette de la marque communautaire contrairement au caractère plus abstrait du dessin ou modèle contesté, à la présence d’un seul bras sur la silhouette de la marque communautaire et à la non-démarcation de ses doigts, à l’absence de bonnet associée à la présence de cheveux sur la tête du dessin ou modèle contesté et à la position des pieds des deux silhouettes.

14      La requérante estime que, pour ces raisons, l’utilisateur averti percevra le dessin ou modèle contesté comme un bonhomme, contrairement à la marque communautaire qui sera perçue comme représentant un lutin grognon.

15      L’OHMI souligne, tout d’abord, que la requérante n’a contesté ni l’antériorité de l’enregistrement de la marque communautaire par rapport à la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté ni la définition de l’utilisateur averti ou le degré d’attention de celui-ci retenus par la chambre de recours ni, enfin, le degré élevé de liberté dont jouissent les créateurs de silhouettes ayant des caractéristiques humaines.

16      Ensuite, l’OHMI met en exergue les similitudes déterminant, selon lui, l’impression globale produite par le dessin ou modèle contesté et la marque communautaire, à savoir la manière de dessiner les silhouettes au moyen d’un trait presque totalement continu délimitant le corps et arrondissant le contour de la personne, la position identique des deux corps ainsi que les similitudes caractérisant leurs yeux, leurs sourcils et la partie postérieure de leur tête. S’agissant des différences relatives à l’épaisseur du trait, à la position exacte des jambes et des bras ainsi qu’à l’expression des visages, l’OHMI estime qu’elles n’ont pas d’incidence sur l’impression d’ensemble produite par les silhouettes en question. En effet, l’épaisseur du trait rendrait le dessin plus ou moins visible sans modifier l’objet dessiné, alors que l’expression du visage jouerait un rôle moins important, s’agissant de l’impression globale produite par les silhouettes en question, que la façon de les représenter et leurs caractéristiques générales. L’OHMI conclut que, eu égard au degré élevé de liberté dont jouit le créateur de silhouettes comme celles en cause, les similitudes que la chambre de recours a relevées sont d’une importance telle que le dessin ou modèle contesté ne produit pas une impression globale différente de celle produite par la marque communautaire.

17      Selon les intervenants, rien ne s’oppose à ce que tant le dessin ou modèle contesté que la marque communautaire invoquée à l’appui de la demande en nullité soient perçus comme des « lutins », terme que la chambre de recours aurait utilisé invariablement pour se référer aux deux, l’expression de chacun des deux visages étant sans pertinence à cet égard. En outre, les différences relatives à l’épaisseur du trait, au positionnement exact des corps, à la longueur du cou, à la position des bras et des jambes et à l’apparence des doigts constitueraient des points de détails insignifiants qui seraient neutralisés par les similitudes mises en exergue par la chambre de recours et ne détermineraient pas l’impression globale produite par les deux silhouettes en conflit. Par ailleurs, le tracé des silhouettes en question présenterait le même degré de précision. Le dessin ou modèle communautaire contesté constituant une imitation servile de la marque communautaire invoquée à l’appui de la demande en nullité, il produirait la même impression globale que cette dernière sur l’utilisateur averti en causant une confusion dans l’esprit du public visé.

18      Selon l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 6/2002, un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.

19      L’article 6, paragraphe 2, du règlement n° 6/2002 précise en outre que, pour apprécier ce caractère individuel, il doit être tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.

20      Dès lors, il convient d’opérer une comparaison entre, d’une part, l’impression globale produite par le dessin ou modèle contesté et, d’autre part, l’impression globale produite sur l’utilisateur averti par la marque communautaire invoquée à l’appui de la demande en nullité, laquelle constitue, ainsi que le précise la chambre de recours, un dessin ou modèle divulgué (point 20 de la décision attaquée).

21      En l’espèce, il convient de relever, à l’instar de la requérante, que l’impression globale produite par les deux silhouettes en conflit sur l’utilisateur averti est déterminée dans une large mesure par l’expression du visage de chacune de celles-ci.

22      À cet égard, il y a lieu de souligner que, même si le créateur des dessins ou modèles comme ceux en cause jouit d’une importante liberté quant à la technique qu’il mettra en œuvre pour dessiner la silhouette, il n’en demeure pas moins que la différence dans l’expression du visage des deux silhouettes constitue une caractéristique fondamentale qui est gardée en mémoire par l’utilisateur averti, tel qu’il a correctement été défini par la chambre de recours.

23      En effet, cette expression, combinée avec la position du corps qui donne l’impression d’une certaine irritation en s’inclinant vers l’avant, amènera l’utilisateur averti à identifier le dessin ou modèle antérieur invoqué à l’appui de la demande en nullité comme un personnage énervé, impression qu’il gardera en mémoire après avoir visualisé ledit dessin ou modèle. En revanche, ainsi que le prétend la requérante, l’impression globale créée par le dessin ou modèle contesté n’est pas caractérisée par la manifestation d’un sentiment quelconque, que ce soit sur la base de l’expression du visage ou de la position du corps, qui est caractérisée par une inclinaison vers l’arrière.

24      La différence dans l’expression du visage apparaîtra clairement aux jeunes achetant des tee-shirts et des casquettes. Elle sera d’autant plus importante pour les enfants utilisant des autocollants pour personnaliser des objets, qui seront plus enclins encore à prêter une attention particulière aux sentiments dégagés par chaque personnage figurant sur un autocollant.

25      Ainsi, les différences soulignées par la requérante s’agissant des deux silhouettes, et notamment l’expression du visage combinée avec la position différente du corps, sont suffisamment importantes pour créer une impression globale différente sur l’utilisateur averti, malgré l’existence des similitudes concernant d’autres aspects et l’importante liberté dont jouit le créateur de silhouettes telles que celles de l’espèce.

26      Il en résulte que la chambre de recours a commis une erreur en concluant que le dessin ou modèle contesté ne produisait pas sur l’utilisateur averti une impression globale différente de celle produite par le dessin ou modèle antérieur invoqué à l’appui de la demande en nullité.

27      Il convient donc d’accueillir le moyen unique et d’annuler la décision attaquée.

 Sur les dépens

28      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante. Les intervenants ayant succombé en leurs conclusions, ils supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 14 octobre 2009 (affaire R 1323/2008-3) est annulée.

2)      L’OHMI supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par José Manuel Baena Grupo, SA. MM. Herbert Neuman et Andoni Galdeano del Sel supporteront leurs propres dépens.

Forwood

Moavero Milanesi

Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 décembre 2010.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.