Language of document : ECLI:EU:C:2021:552

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

8 juillet 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Règlement (UE) no 1305/2013 – Règlement délégué (UE) no 807/2014 – Installation des jeunes agriculteurs – Développement des exploitations agricoles – Aide au démarrage d’entreprise pour jeunes agriculteurs – Conditions d’accès – Équivalence – Installation en qualité de chef d’exploitation non exclusif – Plafonds – Fixation – Critères – Production standard de l’exploitation agricole »

Dans l’affaire C‑830/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de première instance de Namur (Belgique), par décision du 6 novembre 2019, parvenue à la Cour le 15 novembre 2019, dans la procédure

C.J.

contre

Région wallonne,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), Mme C. Toader, MM. M. Safjan et N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : Mme V. Giacobbo, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 novembre 2020,

considérant les observations présentées :

–        pour C.J., par Me A. Grégoire, avocat,

–        pour la Région wallonne, par M. X. Drion, advocaat,

–        pour la Commission européenne, par MM. X. Lewis et M. Kaduczak, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 février 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, 5 et 19 du règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 487, et rectificatif JO 2016, L 130, p. 1), lus en combinaison avec l’article 2 du règlement délégué (UE) no 807/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et introduisant des dispositions transitoires (JO 2014, L 227, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant C.J. à la Région wallonne (Belgique) au sujet du refus de cette dernière de lui verser l’aide à l’installation prévue à l’article 19 du règlement no 1305/2013 en faveur des jeunes agriculteurs.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement no 1305/2013

3        Le considérant 17 de ce règlement énonce :

« [...] Une mesure de développement des exploitations et des entreprises devrait faciliter l’installation des jeunes agriculteurs et l’adaptation structurelle de leur exploitation agricole une fois qu’ils sont établis. [...] Il convient également de favoriser le développement de petites exploitations pouvant être économiquement viables. [...] Il convient que le soutien à la création d’entreprises ne couvre que la période initiale de la durée de vie de ces entreprises et ne devienne pas une aide au fonctionnement. [...] »

4        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous n), de ce règlement :

« Aux fins du présent règlement, [...] on entendait par :

[...]

n)      “jeune agriculteur”, une personne qui n’est pas âgée de plus de 40 ans au moment de la présentation de la demande, qui possède des connaissances et des compétences professionnelles suffisantes et qui s’installe pour la première fois dans une exploitation agricole comme chef de ladite exploitation.

5        L’article 5 dudit règlement prévoit :

« La réalisation des objectifs du développement rural, lesquels contribuent à la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive, s’effectue dans le cadre des six priorités suivantes de l’Union pour le développement rural, qui reflètent les objectifs thématiques correspondants du [cadre commun stratégique] :

[...]

2)      améliorer la viabilité des exploitations agricoles et la compétitivité de tous les types d’agriculture dans toutes les régions et promouvoir les technologies agricoles innovantes et la gestion durable des forêts, en mettant l’accent sur les domaines suivants :

[...]

b)      faciliter l’entrée d’exploitants agricoles suffisamment qualifiés dans le secteur de l’agriculture, et en particulier le renouvellement des générations ;

[...] »

6        L’article 19 du règlement no 1305/2013 disposait :

« 1.      L’aide au titre de la présente mesure couvre :

a)      l’aide au démarrage d’entreprises pour :

i)      les jeunes agriculteurs ;

[...]

2.      L’aide prévue au paragraphe 1, point a) i), est accordée aux jeunes agriculteurs.

[...]

4.      [...]

Les États membres fixent le seuil plancher et le plafond pour l’accès des exploitations agricoles à l’aide en vertu du paragraphe 1, points a) i) et a) iii). [...] L’aide est limitée aux exploitations relevant de la définition des micro- et petites entreprises.

[...]

8.      Afin de garantir l’utilisation efficace et effective des ressources du Feader, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 83 qui fixe le contenu minimal des plans d’entreprise et les critères à utiliser par les États membres pour la définition des seuils visés au paragraphe 4 du présent article. »

 Le règlement délégué no 807/2014

7        Les considérants 2 et 5 du règlement délégué no 807/2014 énoncent :

« (2) Il convient que les États membres établissent et appliquent les conditions particulières d’accès au soutien pour les jeunes agriculteurs lorsqu’ils ne s’établissent pas en qualité de chef d’exploitation exclusif. Afin d’assurer l’égalité de traitement des bénéficiaires, indépendamment de la forme juridique sous laquelle ils choisissent de s’installer dans une exploitation agricole, il convient de prévoir que les conditions dans lesquelles une personne morale ou toute autre forme de partenariat peut être considérée comme “jeune agriculteur” doivent être équivalentes à celles applicables à une personne physique. Il y a lieu de fixer un délai de grâce suffisamment long pour permettre aux jeunes agriculteurs d’acquérir les qualifications requises. 

[...]

(5)      [...] Afin d’assurer une égalité de traitement entre les bénéficiaires de toute l’Union et de faciliter le contrôle, le critère à retenir dans la fixation des seuils visés à l’article 19, paragraphe 4, [du règlement no 1305/2013] doit être le potentiel de production de l’exploitation agricole. »

8        L’article 2, paragraphe 1, de ce règlement délégué disposait :

« Les États membres mettent en place et appliquent des conditions particulières pour l’accès au soutien, lorsque le jeune agriculteur tel que défini à l’article 2, paragraphe 1, point n), du règlement (UE) no 1305/2013 n’est pas établi en qualité de chef d’exploitation exclusif, quelle que soit sa forme juridique. Ces conditions doivent être équivalentes à celles qui s’appliquent à un jeune agriculteur s’établissant en qualité de chef d’exploitation exclusif. Dans tous les cas, le contrôle de l’exploitation doit être exercé par des jeunes agriculteurs. »

9        L’article 5, paragraphe 2, dudit règlement délégué prévoit :

« Les États membres doivent définir les seuils visés à l’article 19, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement (UE) no 1305/2013 en termes de potentiel de production de l’exploitation agricole, mesurés en production standard, telle que définie à l’article 5 du règlement (CE) no 1242/2008 [de la Commission, du 8 décembre 2008, portant établissement d’une typologie communautaire des exploitations agricoles (JO 2008, L 335, p. 3), ou équivalent. »

 Le règlement no 1242/2008

10      L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1242/2008 disposait :

« Aux fins du présent règlement, on entend par “production standard” la valeur standard de la production brute.

[...] »

 Le droit belge

 L’arrêté du gouvernement wallon

11      L’article 25 de l’arrêté du gouvernement wallon du 10 septembre 2015 relatif aux aides au développement et à l’investissement dans le secteur agricole (ci-après l’« arrêté du gouvernement wallon ») prévoit, en ce qui concerne l’octroi des aides :

« L’exploitation reprise ou créée respecte les conditions suivantes :

[...]

6°      sa production brute standard au sens de l’article 5 du Règlement no 1242/2008 [...] respecte un seuil plancher et un seuil plafond définis par le Ministre.

[...] »

 L’arrêté ministériel

12      L’article 7, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’arrêté ministériel du 10 septembre 2015 exécutant l’arrêté du gouvernement wallon, dans sa version applicable à l’affaire au principal, énonce :

« Le seuil plafond visé à l’article 25, alinéa 1er, 6° de [l’arrêté du gouvernement wallon] est d’un million d’euros dans le cas où un jeune agriculteur s’installe et d’un million cinq cent mille euros dans le cas où deux ou plusieurs jeunes agriculteurs s’installent en même temps. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

13      Le requérant au principal est un jeune agriculteur installé en Belgique. Par une convention de reprise d’exploitation, il a repris un tiers de l’exploitation de ses parents, afin de poursuivre l’exploitation de l’entreprise agricole familiale. Son activité est exercée sous forme d’association de fait avec son père, lequel est également titulaire d’un tiers de l’exploitation, le dernier tiers appartenant à la mère du requérant au principal.

14      Le 27 janvier 2016, le requérant au principal a introduit auprès de la Région wallonne une demande d’aide à l’installation.

15      Le 28 octobre 2016, la Région wallonne a rejeté cette demande, au motif que l’exploitation reprise présentait une production brute standard (ci-après la « PBS ») dont la valeur dépassait le plafond prévu par la réglementation régionale, fixé à un million d’euros.

16      Le requérant au principal a saisi l’organisme payeur d’une réclamation présentée contre cette décision de rejet, en demandant que, pour la détermination de la PBS, il soit tenu compte du fait qu’il n’est pas établi en qualité de chef d’exploitation exclusif.

17      Par une décision du 17 février 2016, l’organisme payeur a rejeté cette réclamation et a confirmé sa première décision en estimant que la valeur de la PBS devant être prise en compte était celle de l’exploitation dans son ensemble et que, s’élevant à 1 976 980,45 euros, elle dépassait, ainsi, le plafond prévu par la réglementation nationale.

18      Le 12 octobre 2017, le requérant au principal a contesté cette décision devant la juridiction de renvoi.

19      Cette juridiction émet des doutes sur l’interprétation des conditions d’obtention de l’aide à l’installation du jeune agriculteur qui n’est pas établi en qualité de chef d’exploitation exclusif, prévues à l’article 2 du règlement délégué no 807/2014.

20      Dans ces conditions, le tribunal de première instance de Namur (Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les articles 2, 5 et 19 du [règlement no 1305/2013], lus en combinaison avec l’article 2 du [règlement délégué no 807/2014], s’opposent-ils à ce que, dans le cadre de la mise en œuvre de ces dispositions, les États membres tiennent compte de l’ensemble de l’exploitation et pas de la seule part du jeune agriculteur dans celle-ci et/ ou des unités de travail (UT) pour déterminer les seuils plancher et plafond lorsque l’exploitation agricole est organisée sous forme d’une association de fait dont le jeune agriculteur acquiert une part indivise et devient chef d’exploitation mais pas à titre exclusif ? » 

 Sur la question préjudicielle

21      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 2, 5 et 19 du règlement no 1305/2013, lus en combinaison avec les articles 2 et 5 du règlement délégué no 807/2014, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le critère de détermination du plafond permettant à un jeune agriculteur, qui s’installe en tant que chef d’exploitation non exclusif, d’accéder à l’aide au démarrage d’entreprise, est celui de la PBS de l’ensemble de l’exploitation agricole, et non pas uniquement de la part de ce jeune agriculteur dans cette exploitation.

22      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 2, paragraphe 1, sous n), du règlement no 1305/2013 définit le « jeune agriculteur », comme étant une personne qui n’est pas âgée de plus de 40 ans au moment de la présentation de la demande, qui possède des connaissances et des compétences professionnelles suffisantes et qui s’installe pour la première fois dans une exploitation agricole comme chef de ladite exploitation.

23      Si, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’exploitation en cause au principal prend la forme d’une association dépourvue de personnalité juridique, qui comprend, outre le requérant au principal, des personnes physiques qui ne sont pas de jeunes agriculteurs, force est de constater que les termes de cette disposition ne préjugent ni de la forme juridique que peut revêtir une telle exploitation (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2012, Ketelä, C‑592/11, EU:C:2012:673, point 42) ni de la possibilité de s’y installer en tant que chef d’exploitation avec d’autres agriculteurs.

24      Aux termes de l’article 19, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1305/2013, l’aide au titre du développement des exploitations agricoles et des entreprises couvre notamment l’aide au démarrage d’entreprises pour les jeunes agriculteurs.

25      L’article 19, paragraphe 4, troisième alinéa, de ce règlement prévoit que les États membres fixent notamment le seuil plancher et le plafond pour l’accès des exploitations agricoles à l’aide pour les jeunes agriculteurs en vertu de l’article 19, paragraphe 1, sous a), i), dudit règlement, cette aide étant limitée aux exploitations relevant de la définition des micro- et petites entreprises.

26      Si les termes de ces dispositions n’abordent pas explicitement la question de savoir si les États membres peuvent fixer les seuils qui y sont mentionnés par exploitation et non pas par jeune agriculteur, il convient de lire l’article 19, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement no 1305/2013 en combinaison avec l’article 5, paragraphe 2, du règlement délégué no 807/2014, qui complète le règlement no 1305/2013, cette dernière disposition établissant le critère que ces États doivent retenir aux fins de la fixation des seuils visés à cet article 19, paragraphe 4.

27      En effet, ainsi qu’il ressort du paragraphe 8 de l’article 19 du règlement no 1305/2013, afin de garantir l’utilisation efficace et effective des ressources du Feader, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués notamment pour la définition des seuils visés au paragraphe 4 de cet article.

28      À cet égard, il ressort de l’article 5, paragraphe 2, du règlement délégué no 807/2014 que les États membres doivent définir lesdits seuils en termes de potentiel de production de l’exploitation agricole, mesurés en production standard ou équivalent. L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1242/2008 précisait, à cet effet, que la production standard est définie comme étant la « valeur standard de la production brute ».

29      Il convient, en vue de déterminer la portée du critère de détermination du plafond pour l’accès à l’aide au démarrage d’entreprise, en vertu de l’article 19, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement no 1305/2013, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 2, du règlement délégué no 807/2014, d’avoir prioritairement égard aux termes des dispositions interprétées, le cas échéant, à la lumière du contexte dans lequel elles s’inscrivent et des objectifs du règlement n1305/2013 (arrêt du 25 octobre 2012, Ketelä, C‑592/11, EU:C:2012:673, point 39).

30      S’agissant du libellé de l’article 19, paragraphe 1, sous a), i), et paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement no 1305/2013, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 2, du règlement délégué no 807/2014, il y a lieu de relever que ces dispositions n’excluent pas que les États membres tiennent compte de la PBS de l’ensemble de l’exploitation. L’emploi, à l’article 5, paragraphe 2, du règlement délégué no 807/2014, des termes « potentiel de production de l’exploitation agricole », qui se réfèrent au critère objectif de l’« exploitation », corrobore cette interprétation.

31      S’agissant du contexte dans lequel s’inscrivent ces dispositions, il y a lieu de relever que, ainsi que le considérant 5 du règlement délégué no 807/2014 l’énonce, le critère du potentiel de production de l’exploitation agricole à retenir dans la fixation des seuils visés à l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 1305/2013, a été établi par le législateur de l’Union notamment en vue de faciliter le contrôle.

32      Or, une lecture de cette dernière disposition, en vertu de laquelle les seuils pour l’accès des exploitations agricoles à l’aide peuvent être fixés par exploitation, est, au regard des différentes formes juridiques sous lesquelles les agriculteurs peuvent choisir de s’installer, tout comme des règles inhérentes à chacune de ces formes, notamment en termes de partage des quotes-parts de l’exploitation, de nature à faciliter les contrôles.

33      L’interprétation retenue au point précédent est également corroborée par l’objectif poursuivi par le règlement no 1305/2013.

34      À cet égard, il y a lieu de relever que le règlement no 1305/2013 fixe les objectifs auxquels la politique de développement rural doit contribuer ainsi que les priorités correspondantes de l’Union, en prévoyant les mesures propres à la mettre en œuvre. Dans ce contexte, l’article 5 de ce règlement cite six priorités pour le développement rural, parmi lesquelles figure l’amélioration de la viabilité des exploitations agricoles et de la compétitivité de tous les types d’agriculture, en facilitant, notamment, l’entrée d’exploitants agricoles suffisamment qualifiés dans le secteur de l’agriculture et en veillant à l’objectif du « renouvellement des générations ».

35      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 19, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 4, dudit règlement, l’aide concernée est destinée à favoriser le démarrage d’entreprises par de jeunes agriculteurs. À cet égard, le considérant 17 du même règlement précise qu’il convient que le soutien à la création d’entreprises ne couvre que la période initiale de la durée de vie de ces entreprises et ne devienne pas une aide au fonctionnement.

36      Partant, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 73 et 74 de ses conclusions, cette aide est octroyée non pas pour favoriser, de manière indifférenciée, le démarrage de toute exploitation agricole, mais seulement celui des exploitations qui répondent aux conditions relatives aux chefs d’exploitation, aux activités ou aux tailles de ces exploitations, ce qui permet aux États membres d’encadrer l’octroi de celle-ci en fonction des caractéristiques propres aux exploitations que les jeunes agriculteurs reprennent.

37      Or, le critère d’éligibilité en cause au principal vise précisément à répondre à ces objectifs, dès lors que celui-ci, s’inscrivant dans la logique de l’amélioration de la viabilité des exploitations agricoles, a pour effet de réserver l’accès à l’aide agricole aux jeunes agriculteurs qui démarrent leur activité dans des exploitations dont la production globale ne dépasse pas un certain seuil, facilitant ainsi l’entrée d’exploitants agricoles dans le secteur de l’agriculture. Comme l’ont relevé, à cet égard, la Commission et la Région wallonne lors de l’audience devant la Cour, l’application d’un critère d’éligibilité tel que celui prévu par la réglementation nationale vise en effet à éviter que ladite aide soit octroyée aux jeunes agriculteurs dont l’exploitation génère une PBS d’une ampleur telle que ces agriculteurs n’ont pas, en réalité, besoin de soutien.

38      L’article 2 du règlement délégué no 807/2014, qui alimente les doutes de la juridiction de renvoi à cet égard, ne saurait remettre en cause la possibilité pour les États membres de fixer le plafond pour l’accès à l’aide concernée non pas par bénéficiaire, mais par exploitation.

39      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement délégué, lu en combinaison avec le considérant 2 de celui-ci, les États membres mettent en place et appliquent des conditions particulières pour l’accès au soutien, lorsqu’un jeune agriculteur, tel que défini au paragraphe 1, sous n), de l’article 2 du règlement no 1305/2013, n’est pas établi en qualité de chef d’exploitation exclusif. Il découle également dudit article 2, paragraphe 1, que ces conditions doivent être équivalentes à celles qui s’appliquent à un jeune agriculteur s’établissant en qualité de chef d’exploitation exclusif et s’appliquent indépendamment de la forme juridique sous laquelle les bénéficiaires décident de s’installer dans une exploitation agricole. Dans tous les cas, le contrôle de l’exploitation doit être exercé par de jeunes agriculteurs.

40      L’article 2, paragraphe 1, du règlement délégué no 807/2014 vise, d’une part, le jeune agriculteur qui, comme le requérant au principal, s’établit avec d’autres personnes physiques et, d’autre part, le jeune agriculteur qui s’installe, seul, en tant que chef d’exploitation exclusif. Selon cette disposition, les conditions d’accès à l’aide agricole exigées de ces deux catégories d’agriculteurs doivent être équivalentes.

41      Or, une réglementation qui conditionne le bénéfice de l’aide au démarrage d’entreprise pour le jeune agriculteur à la PBS de l’ensemble de l’exploitation soumet le jeune agriculteur qui s’installe seul et celui qui s’installe avec d’autres agriculteurs ne relevant pas de cette catégorie à des exigences identiques. Par conséquent, une telle réglementation satisfait a fortiori à l’exigence d’équivalence énoncée à l’article 2, paragraphe 1, du règlement délégué no 807/2014.

42      Afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de relever que la réglementation nationale en cause au principal fixe le plafond de la PBS de l’exploitation à 1,5 million d’eurosdans le cas où deux ou plusieurs jeunes agriculteurs s’installent en même temps, au lieu de 1 million d’euros dans le cas où un jeune agriculteur s’installe seul ou, comme c’est le cas dans l’affaire au principal, avec d’autres chefs d’exploitation n’appartenant pas à cette catégorie. Toutefois, le plafond ainsi majoré tient compte d’une différence objective de situation. En effet, deux ou plusieurs jeunes agriculteurs s’installant ensemble comme chefs d’exploitation sont en principe en mesure de produire davantage qu’un jeune agriculteur s’installant seul. C’est la raison pour laquelle l’exigence d’équivalence dans les conditions d’accès à l’aide à l’installation entre les jeunes agriculteurs, selon qu’ils s’installent seuls ou avec d’autres jeunes agriculteurs, n’est pas méconnue par l’instauration d’un tel plafond majoré.

43      Certes, cette réglementation prévoit également des conditions d’accès différentes à l’aide à l’installation, selon que le jeune agriculteur s’installe avec d’autres jeunes agriculteurs ou avec d’autres agriculteurs n’appartenant pas à cette catégorie. Toutefois, aucune disposition du règlement no 1305/2013, non plus que du règlement délégué no 807/2014, n’impose que les conditions d’accès à l’aide à l’installation de jeunes agriculteurs se trouvant dans deux situations distinctes soient équivalentes. Il est, en outre, conforme à l’objectif de l’aide à l’installation de jeunes agriculteurs que les conditions d’accès à cette aide soient plus favorables pour de jeunes agriculteurs s’installant ensemble que pour un jeune agriculteur s’installant avec des agriculteurs n’entrant pas dans cette catégorie.

44      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 2, 5 et 19 du règlement no 1305/2013, lus en combinaison avec les articles 2 et 5 du règlement délégué no 807/2014, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le critère de détermination du plafond permettant à un jeune agriculteur, qui s’installe en tant que chef d’exploitation non exclusif, d’accéder à l’aide au démarrage d’entreprise, est celui de la PBS de l’ensemble de l’exploitation agricole, et non pas uniquement de la part de ce jeune agriculteur dans cette exploitation.

  Sur les dépens

45      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

Les articles 2, 5 et 19 du règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, lus en combinaison avec les articles 2 et 5 du règlement délégué (UE) no 807/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et introduisant des dispositions transitoires, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le critère de détermination du plafond permettant à un jeune agriculteur, qui s’installe en tant que chef d’exploitation non exclusif, d’accéder à l’aide au démarrage d’entreprise, est celui de la production brute standard de l’ensemble de l’exploitation agricole, et non pas uniquement de la part de ce jeune agriculteur dans cette exploitation.

Bonichot

Bay Larsen

Toader

Safjan

 

Jääskinen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juillet 2021.

Le greffier

Le président de la Ière chambre

A. Calot Escobar

 

J.-C. Bonichot


*      Langue de procédure : le français.