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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

13 juin 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Transports aériens – Règlement (CE) no 261/2004 – Article 5, paragraphe 3 – Indemnisation des passagers en cas de retard important ou d’annulation d’un vol – Exonération de l’obligation d’indemnisation – Circonstances extraordinaires – Défaillances techniques causées par un vice caché de conception révélé par le constructeur postérieurement à l’annulation du vol – Système de mesure de la quantité de carburant de l’aéronef »

Dans l’affaire C‑385/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande), par décision du 22 juin 2023, parvenue à la Cour le 22 juin 2023, dans la procédure

Matkustaja A

contre

Finnair Oyj,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Piçarra, président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Matkustaja A, par Mme K. Väänänen, kuluttaja-asiamies ainsi que M. J. Suurla, johtava asiantuntija,

–        pour Finnair Oyj, par Me T. Väätäinen, asianajaja,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes T. Simonen et N. Yerrell, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Matkustaja A (ci-après « A »), un passager, à Finnair Oyj, un transporteur aérien, au sujet du refus de ce dernier d’indemniser ce passager dont le vol a été annulé.

 Le cadre juridique

3        Les considérants 1, 14 et 15 du règlement no 261/2004 énoncent :

« (1)      L’action de la Communauté [européenne] dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

[...]

(14)      Tout comme dans le cadre de la convention [pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO 2001, L 194, p. 38)], les obligations des transporteurs aériens effectifs devraient être limitées ou leur responsabilité exonérée dans les cas où un événement est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. De telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, de risques liés à la sécurité, de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, ainsi que de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif.

(15)      Il devrait être considéré qu’il y a circonstance extraordinaire lorsqu’une décision relative à la gestion du trafic aérien concernant un avion précis pour une journée précise génère un retard important, un retard jusqu’au lendemain ou l’annulation d’un ou de plusieurs vols de cet avion, bien que toutes les mesures raisonnables aient été prises par le transporteur aérien afin d’éviter ces retards ou annulations ».

4        L’article 5 de ce règlement, intitulé « Annulations », dispose :

« 1.      En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés :

[...]

c)      ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7, à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol :

i)      au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ou

ii)      de deux semaines à sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt deux heures avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue, ou

iii)      moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée.

[...]

3.      Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

[...] »

5        L’article 7 dudit règlement, intitulé « Droit à indemnisation », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à :

a)      250 euros pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins ;

b)      400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres ;

c)      600 euros pour tous les vols qui ne relèvent pas des points a) ou b).

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

6        A a réservé auprès de Finnair un vol prévu le 25 mars 2016 au départ de Helsinki (Finlande) et à destination de Bangkok (Thaïlande). Ce vol devait être assuré par un aéronef qui était entré en service depuis un peu plus de cinq mois.

7        Une défaillance technique s’est produite au niveau de la jauge de carburant de cet aéronef lors du remplissage du réservoir effectué juste avant le décollage. Considérant que cette défaillance affectait de manière essentielle la sécurité du vol, Finnair a annulé le vol prévu et, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, ne l’a effectué que le lendemain, à savoir le 26 mars 2016, au moyen d’un avion de réserve. Ce vol est arrivé à destination avec environ 20 heures de retard.

8        Compte tenu du caractère récent du modèle de l’avion initialement prévu, le défaut en question, dont c’était la première manifestation au niveau mondial, était inconnu avant ladite défaillance. Par conséquent, ni le constructeur de cet avion ni l’autorité de sécurité aérienne n’avaient eu connaissance de ce défaut avant cette manifestation et n’avaient donc pu le notifier.

9        La recherche de la cause de la défaillance de la jauge de carburant a été immédiatement entamée par Finnair. Après environ 24 heures, il a été pallié à cette défaillance en procédant à une vidange du réservoir puis à un nouveau remplissage en carburant. Ledit avion était alors de nouveau apte à voler.

10      À l’issue d’investigations ultérieures plus poussées menées par le constructeur de l’avion en cause, il est apparu que ladite défaillance était due à un vice caché de conception affectant l’ensemble des aéronefs du même type.

11      Dans l’attente de la résolution définitive de la même défaillance au mois de février 2017 au moyen d’une mise à jour d’un logiciel, ces aéronefs ont cependant continué de voler.

12      Finnair refusant de verser à A la somme de 600 euros au titre de l’indemnisation forfaitaire prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous c), et à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004, A a introduit un recours devant le käräjäoikeus (tribunal de première instance, Finlande). Finnair a allégué que la défaillance en cause constituait une « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, et qu’il avait pris toutes les mesures qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui.

13      Cette juridiction a accueilli le recours de A, jugeant que la défaillance en cause au principal était certes due à un vice de conception difficilement prévisible, mais qu’elle était inhérente à l’exercice normal de l’activité d’un transporteur aérien. La seule circonstance que le constructeur de l’avion n’ait pas fourni à Finnair des instructions sur la manière de réagir dans le cas d’une telle défaillance affectant un nouveau type d’avion n’aurait pas rendu l’événement en cause exceptionnel.

14      Finnair a interjeté appel du jugement du käräjäoikeus (tribunal de première instance, Finlande) devant le hovioikeus (cour d’appel, Finlande). Cette juridiction a jugé que la défaillance de la jauge de carburant s’analysait comme une « circonstance extraordinaire », dès lors qu’elle n’était pas inhérente à l’exercice normal de l’activité de Finnair et que, par sa nature ou son origine, elle échappait à la maîtrise effective de Finnair.

15      A a introduit un pourvoi devant le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande), qui est la juridiction de renvoi.

16      Cette dernière s’interroge sur le point de savoir si une défaillance technique telle que celle en cause au principal qui affecte un nouvel avion constitue une « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.

17      Elle éprouve, plus particulièrement, des doutes quant au point de savoir si constitue un événement d’origine externe, au sens de l’arrêt du 7 juillet 2022, SATA International – Azores Airlines (Défaillance du système de ravitaillement en carburant) (C‑308/21, EU:C:2022:533), et, partant, une « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, une défaillance technique qui engage la sécurité d’un vol et qui est reconnue par le constructeur comme étant causée par un vice caché de conception qui affecte tous les avions du même type qu’après l’annulation de ce vol.

18      Dans la négative, cette juridiction se demande si la jurisprudence de la Cour relative à la défaillance prématurée de certaines pièces techniques est transposable au cas d’un vice caché de conception qui se révélerait pour la première fois sur un nouveau type d’aéronef. En effet, il ne serait pas inhabituel qu’un nouveau modèle d’avion présente des vices cachés lors des premières phases de sa mise en service.

19      Dans ces conditions, le Korkein oikeus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Un transporteur aérien peut-il invoquer des circonstances extraordinaires au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement [no 261/2004] au seul motif que le constructeur de l’aéronef a déclaré qu’il s’agissait d’un vice de conception concernant l’ensemble du type d’aéronef qui était caché et qui affectait la sécurité du vol, même si cette déclaration n’a été faite qu’après le retard ou l’annulation du vol ?

2)      Si la première question appelle une réponse négative et qu’il s’agit d’apprécier si les circonstances ont été causées par des événements qui sont inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et qui, par leur nature ou leur origine, n’échappent pas à sa maîtrise, la jurisprudence de la Cour concernant la défaillance prématurée de certaines pièces techniques est-elle applicable à un cas tel que celui de l’espèce, dans lequel la nature du défaut affectant le nouveau type d’avion en cause et le mécanisme de sa correction n’étaient encore connus ni du constructeur ni du transporteur aérien au moment où le vol a été annulé ? »

 Sur les questions préjudicielles

20      Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que la survenance d’une défaillance technique inopinée et inédite qui affecte un nouveau modèle d’aéronef récemment mis en service et qui conduit le transporteur aérien à annuler un vol relève de la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de cette disposition, lorsque le constructeur de cet aéronef reconnaît postérieurement à l’annulation de ce vol que cette défaillance était causée par un vice caché de conception qui concernait l’ensemble des aéronefs du même type et affectait la sécurité du vol.

21      D’emblée, il y a lieu de rappeler que, en cas d’annulation d’un vol, l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que les passagers concernés ont droit à une indemnisation à la charge du transporteur aérien effectif, conformément à l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement, à moins qu’ils n’aient été préalablement informés de cette annulation dans le respect des délais prévus au paragraphe 1 de cet article 5.

22      L’article 5, paragraphe 3, du même règlement, lu à la lumière des considérants 14 et 15 de ce dernier, exonère le transporteur aérien de cette obligation d’indemnisation s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des « circonstances extraordinaires » qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises et, en cas de survenance d’une telle circonstance, qu’il a adopté les mesures adaptées à la situation en mettant en œuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il disposait afin d’éviter que celle-ci conduise à l’annulation ou au retard important du vol concerné (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 22 et jurisprudence citée).

23      Dès lors que cet article 5, paragraphe 3, constitue une dérogation au principe du droit à indemnisation des passagers, et compte tenu de l’objectif poursuivi par le règlement no 261/2004 qui est d’assurer, ainsi qu’il ressort du considérant 1 de celui-ci, un niveau élevé de protection des passagers, la notion de « circonstances extraordinaires », au sens dudit article 5, paragraphe 3, doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Krüsemann e.a., C‑195/17, C‑197/17 à C‑203/17, C‑226/17, C‑228/17, C‑254/17, C‑274/17, C‑275/17, C‑278/17 à C‑286/17 et C‑290/17 à C‑292/17, EU:C:2018:258, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

24      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 désigne des événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci, ces deux conditions étant cumulatives et leur respect devant faire l’objet d’une appréciation au cas par cas (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 23 et jurisprudence citée).

25      Ainsi, à moins de répondre aux deux conditions cumulatives rappelées au point précédent, des défaillances techniques ne constituent pas en tant que telles des « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann, C‑549/07, EU:C:2008:771, point 25, et du 12 mars 2020, Finnair, C‑832/18, EU:C:2020:204, point 39).

26      C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier si une défaillance technique inopinée et inédite, qui affecte un nouveau modèle d’avion récemment mis en service et qui s’avère postérieurement à l’annulation d’un vol être causée par un vice caché de conception concernant l’ensemble des avions du même type et affectant la sécurité du vol, est susceptible de constituer une « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.

27      En premier lieu, il convient de déterminer si une défaillance technique présentant les caractéristiques mentionnées au point précédent est susceptible de constituer, par sa nature ou son origine, un événement qui n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien.

28      À cet égard, la Cour a jugé que, compte tenu des conditions particulières dans lesquelles s’effectue le transport aérien et du degré de sophistication technologique des appareils, le fonctionnement des avions faisant inéluctablement apparaître des problèmes techniques, des pannes ou la défaillance prématurée et inopinée de certaines pièces d’un aéronef, les transporteurs aériens sont, de manière ordinaire, confrontés, dans le cadre de leur activité, à de tels problèmes (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2019, Germanwings, C‑501/17, EU:C:2019:288, point 22 et jurisprudence citée).

29      Il en découle que la résolution d’un problème technique provenant d’une panne, d’un défaut d’entretien d’un appareil ou encore de la défaillance prématurée et inopinée de certaines pièces d’un aéronef est considérée comme étant inhérente à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann, C‑549/07, EU:C:2008:771, point 25 ; du 17 septembre 2015, van der Lans, C‑257/14, EU:C:2015:618, points 41 et 42, ainsi que du 12 mars 2020, Finnair, C‑832/18, EU:C:2020:204, point 41).

30      Toutefois, n’est pas inhérente à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien et, partant, est susceptible de relever de la notion de « circonstances extraordinaires » la défaillance technique à l’égard de laquelle le constructeur des appareils constituant la flotte du transporteur aérien concerné, ou une autorité compétente, révèle, après la mise en service des appareils, que ceux-ci sont atteints d’un vice caché de fabrication affectant la sécurité des vols (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann, C‑549/07, EU:C:2008:771, point 26, et du 17 septembre 2015, van der Lans, C‑257/14, EU:C:2015:618, point 38).

31      En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, il est établi que la défaillance technique a pour origine un vice caché de conception concernant l’ensemble des avions du même type et affectant la sécurité du vol, de telle sorte qu’il y a lieu de considérer que cet événement n’est pas, conformément à la jurisprudence citée au point précédent, inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien.

32      En second lieu, il convient d’apprécier si une défaillance technique présentant les caractéristiques mentionnées au point 26 du présent arrêt doit être regardée comme constituant un événement échappant entièrement à la maîtrise effective du transporteur aérien concerné, à savoir comme un événement sur lequel le transporteur aérien n’a aucun contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 36).

33      Certes, par principe, la défaillance technique ou la panne n’échappe pas à la maîtrise effective du transporteur aérien, dès lors que la prévention ou la réparation de telles défaillances et pannes font partie de la charge qui incombe à ce transporteur aérien d’assurer l’entretien et le bon fonctionnement de l’aéronef qu’il exploite à des fins économiques (arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans, C‑257/14, EU:C:2015:618, point 43). Toutefois, il en va différemment en présence d’un vice caché de conception d’un aéronef.

34      En effet, d’une part, s’il incombe au transporteur aérien d’assurer l’entretien et le bon fonctionnement de l’aéronef qu’il exploite à des fins économiques, il est permis de douter que, dans l’hypothèse où un vice caché de conception n’est révélé par le constructeur de l’aéronef en cause ou par l’autorité compétente qu’après l’annulation d’un vol, ce transporteur dispose effectivement de la compétence pour identifier et remédier à ce vice, de sorte qu’il ne saurait être considéré qu’il exerce un contrôle quant à la survenance d’un tel vice.

35      D’autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour relative à la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, que les événements dont l’origine est « interne » doivent être distingués de ceux dont l’origine est « externe » au transporteur aérien, seuls ces derniers étant susceptibles d’échapper à la maîtrise effective de ce transporteur. Relèvent de la notion d’« événements d’origine externe » ceux qui résultent de l’activité du transporteur aérien et de circonstances extérieures, plus ou moins fréquentes en pratique, mais que le transporteur aérien ne maîtrise pas parce qu’elles ont pour origine le fait d’un tiers, tel qu’un autre transporteur aérien ou un acteur public ou privé interférant dans l’activité aérienne ou aéroportuaire [arrêt du 7 juillet 2022, SATA International – Azores Airlines (Défaillance du système de ravitaillement en carburant), C‑308/21, EU:C:2022:533, point 25 et jurisprudence citée].

36      Il convient donc de déterminer, en l’occurrence, si le signalement ou la reconnaissance par le constructeur de l’existence d’un vice caché de conception atteignant un appareil et susceptible d’affecter la sécurité d’un vol postérieurement à la décision du transporteur aérien d’annuler un vol est susceptible de constituer le fait d’un tiers qui interfère dans l’activité aérienne du transporteur et, partant, de constituer un événement d’origine externe.

37      À cet égard, il convient de préciser qu’il ne résulte pas de la jurisprudence citée aux points 30 et 35 du présent arrêt que la Cour a soumis la qualification de « circonstances extraordinaires » d’un vice caché de conception à la condition que le constructeur de l’avion ou l’autorité compétente ait révélé l’existence de ce vice avant la survenance de la défaillance technique causée par ledit vice. En effet, le moment auquel est révélé le lien entre la défaillance technique et le vice caché de conception par le constructeur de l’avion ou l’autorité compétente est dénué de pertinence dès lors que ce vice caché de conception existait au moment de l’annulation du vol et que le transporteur ne disposait d’aucun moyen de contrôle pour y remédier.

38      Le fait de  qualifier une situation telle que celle en cause au principal de « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, est conforme à l’objectif de garantir un niveau élevé de protection des passagers aériens, qui est poursuivi par ce règlement, ainsi qu’il est spécifié au considérant 1 de celui-ci. En effet, cet objectif implique de ne pas inciter les transporteurs aériens à s’abstenir de prendre les mesures requises par un tel incident en faisant prévaloir le maintien et la ponctualité de leurs vols sur l’objectif de sécurité de ces derniers (voir, par analogie, arrêts du 4 mai 2017, Pešková et Peška, C‑315/15, EU:C:2017:342, point 25, ainsi que du 4 avril 2019, Germanwings, C‑501/17, EU:C:2019:288, point 28).

39      Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que la survenance d’une défaillance technique inopinée et inédite qui affecte un nouveau modèle d’aéronef récemment mis en service et qui conduit le transporteur aérien à annuler un vol relève de la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de cette disposition, lorsque le constructeur de cet aéronef reconnaît postérieurement à cette annulation que cette défaillance était causée par un vice caché de conception concernant l’ensemble des aéronefs du même type et affectant la sécurité du vol.

 Sur les dépens

40      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

L’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91,

doit être interprété en ce sens que :

la survenance d’une défaillance technique inopinée et inédite qui affecte un nouveau modèle d’aéronef récemment mis en service et qui conduit le transporteur aérien à annuler un vol relève de la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de cette disposition, lorsque le constructeur de cet aéronef reconnaît postérieurement à cette annulation que cette défaillance était causée par un vice caché de conception concernant l’ensemble des aéronefs du même type et affectant la sécurité du vol.

Signatures


*      Langue de procédure : le finnois.