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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 23 mars 2023 (1)

Affaire C226/22

Nexive Commerce Srl,

Nexive Scarl,

Nexive Services Srl,

Nexive Network Srl,

Nexive SpA,

BRT SpA,

A.I.C.A.I. Associazione Italiana Corrieri Aerei Internazionali,

DHL Express (Italy) Srl,

TNT Global Express Srl,

Federal Express Europe Inc. Filiale Italiana,

United Parcel Service Italia Srl,

General Logistics Systems Enterprise Srl,

General Logistics Systems Italy SpA,

FedEx Express Italy Srl

contre

Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni,

Presidenza del Consiglio dei Ministri,

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Ministero dello Sviluppo Economico,

en présence de :

Nexive SpA

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Services postaux dans l’Union européenne – Financement de l’autorité réglementaire du secteur postal – Besoins de financement public – Obligation pour les entreprises du secteur de contribuer aux coûts de fonctionnement de l’autorité réglementaire du secteur postal – Charge financière assumée exclusivement par les prestataires du service postal, sans distinction entre les prestataires du service universel et ceux du service de courrier exprès »






1.        En Italie, les opérateurs économiques privés du secteur postal doivent supporter les coûts de l’autorité réglementaire nationale (ci‑après l’« ARN »), sans aucun cofinancement public. Cette obligation pèse tant sur les prestataires de services de courrier exprès que sur ceux du service universel.

2.        Par le renvoi préjudiciel dans la présente affaire, il est demandé à la Cour, en substance, si la réglementation nationale appliquée dans le litige au principal est compatible avec la directive 97/67/CE (2), ainsi qu’avec les principes de proportionnalité et de non‑discrimination.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union – La directive 97/67

3.        Conformément à l’article 9 de la directive 97/67 :

« 1.      Pour ce qui est des services qui ne relèvent pas du service universel, les États membres peuvent introduire des autorisations générales dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir le respect des exigences essentielles.

2.      Pour ce qui est des services qui relèvent du service universel, les États membres peuvent introduire des procédures d’autorisation, y compris des licences individuelles, dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir le respect des exigences essentielles et la prestation du service universel.

L’octroi d’autorisations peut :

[...]

–        le cas échéant, être subordonné à l’obligation de contribuer financièrement aux coûts de fonctionnement de l’[ARN] visée à l’article 22,

[...]

Les obligations et exigences visées au premier tiret ainsi qu’à l’article 3 ne peuvent être imposées qu’aux prestataires du service universel désignés.

[...]

3.      Les procédures, obligations et exigences visées aux paragraphes 1 et 2 sont transparentes, accessibles, non discriminatoires, proportionnées, précises et univoques ; elles sont publiées préalablement et se fondent sur des critères objectifs. [...] »

4.        L’article 22 de la directive 97/67 prévoit :

« 1.      Chaque État membre désigne une ou plusieurs autorités réglementaires nationales pour le secteur postal, juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes des opérateurs postaux. [...]

2.      Les autorités réglementaires nationales ont en particulier pour tâche d’assurer le respect des obligations découlant de la présente directive, notamment en établissant des procédures de suivi et des procédures réglementaires afin de garantir la prestation du service universel. Elles peuvent également être chargées d’assurer le respect des règles de concurrence dans le secteur postal.

[...] »

B.      Le droit italien

5.        La directive 97/67 a été transposée en droit italien par le decreto legislativo 22 luglio 1999, n. 261 – Attuazione della direttiva 97/67/CE concernente regole comuni per lo sviluppo del mercato interne dei servizi postali comunitari e per il miglioramento della qualità del servicio (décret législatif no 261 portant transposition de la [directive 97/67]), du 22 juillet 1999 (3), dont l’article 2, paragraphe 1, disposait que « l’autorité de régulation du secteur postal est le ministère des Communications ».

6.        L’article 1er du decreto legislativo n. 58 – Attuazione della direttiva 2008/6/CE che modifica la direttiva 97/67/CE, per quanto riguarda il pieno completamento del mercato interno dei servizi postali della Comunità (décret législatif no 58 portant transposition de la [directive 2008/6]), du 31 mars 2011 (4), a modifié l’article 2 du décret législatif no 261 du 22 juillet 1999, en prévoyant ce qui suit :

–        « [e]st instituée l’agence nationale de régulation du secteur postal [...] qui est désignée en tant qu’[ARN] pour le secteur postal, au sens de l’article 22 de la directive 97/67 et ses modifications ultérieures » (paragraphe 1) ;

–        « [l]es fonctions [...] exercées par le ministère du Développement économique [...], avec les ressources humaines, financières et fonctionnelles pertinentes, sont transférées à l’agence » (paragraphe 12) ;

–        « [i]l est pourvu aux frais de fonctionnement de l’agence : a) au moyen d’un fonds spécifique inscrit à l’état prévisionnel du ministère du Développement économique, auquel sont imputées les ressources financières visées au paragraphe 12 ; b) par une contribution d’un montant n’excédant pas un pour mille des recettes du dernier exercice relatives au secteur postal, versée par tous les opérateurs économiques de ce secteur [...] » (paragraphe 14) ;

–        « le montant des ressources financières visées au paragraphe 12 est fixé par arrêté du ministère de l’Économie et des Finances » (paragraphe 18).

7.        Les activités et les compétences de l’agence nationale de régulation du secteur postal ont été transférées à l’Autorità per le garanzie nelle comunicazioni (autorité de tutelle des communications, ci-après l’« AGCOM ») (5) par le decreto-legge 6 dicembre 2011, n. 201 – Disposizioni urgenti per la crescita, l’equità e il consolidamento dei conti pubblici (décret-loi no 201 portant dispositions urgentes pour la croissance, l’équité et la consolidation des comptes publics), du 6 décembre 2011 (6). Toutefois, les règles applicables en matière de financement de l’agence n’ont pas été modifiées.

8.        Aux termes de l’article 1er, paragraphes 65 et 66, de la legge n. 266 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2006) [loi no 266 portant dispositions en vue de la formation du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances 2006)], du 23 décembre 2005 (7) :

–        « 65.      [à] partir de l’année 2007, les frais relatifs au fonctionnement [...] de l’[AGCOM] sont financés par le marché concerné, pour la partie non couverte par le financement à charge du budget de l’État, selon les modalités prévues par la réglementation en vigueur et à raison de montants de contribution déterminés par décision de [ladite] autorité, dans le respect des limites maximales prévues par la loi, et versés directement à [celle]-ci » ;

–        « 66.      [l]ors de la première application, pour l’année 2006, le montant de la contribution à charge des opérateurs du secteur des communications [...] est fixé à 1,5 pour mille des recettes figurant dans le dernier bilan approuvé avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi. Pour les années suivantes, d’éventuelles variations du montant et des modalités de la contribution peuvent être adaptées par l’[AGCOM], conformément au paragraphe 65, jusqu’à un maximum de 2 pour mille des recettes figurant au bilan approuvé avant l’adoption de la décision ».

9.        Le changement de financement de l’AGCOM est intervenu en vertu de l’article 65 du decreto-legge 24 aprile 2017, n. 50 – Disposizioni urgenti in materia finanziaria, iniziative a favore degli enti territoriali, ulteriori interventi per le zone colpite da eventi sismici e misure per lo sviluppo (décret-loi no 50 portant dispositions urgentes en matière financière, initiatives en faveur des organismes territoriaux, interventions supplémentaires en faveur des zones touchées par des séismes et mesures de développement), du 24 avril 2017 (8), en ces termes :

« 1.      À compter de 2017, les coûts de fonctionnement de l’[AGCOM] liés aux missions accomplies en sa qualité d’[ARN] du secteur postal sont exclusivement couverts selon les modalités visées à l’article 1er, paragraphes 65 et 66, deuxième phrase, de la loi no 266 du 23 décembre 2005, en fonction des revenus perçus par les opérateurs du secteur postal. Les dispositions de l’article 2, paragraphes 6 à 21, et de l’article 15, paragraphe 2 bis, du décret législatif no 261 du 22 juillet 1999 sont abrogées. »

10.      Cette modification a supprimé le système mixte, public et privé, de financement de l’ARN et a aligné l’apport des opérateurs du secteur postal à l’AGCOM sur celui des autres secteurs économiques sous la surveillance de celle‑ci.

II.    Les faits, le litige et les questions préjudicielles

11.      En 2017 et en 2018, l’AGCOM a adopté les décisions nos 182/17/CONS, 427/17/CONS et 528/18/CONS (ci-après les « décisions »), par lesquelles elle a fixé le montant et les modalités de la contribution devant lui être versée par les opérateurs économiques privés du secteur des services postaux pour, respectivement, les années 2017, 2018 et 2019. En particulier, l’AGCOM a fixé un taux de 1,4 pour mille (des recettes déclarées par chaque opérateur) pour les années 2017 et 2018 ainsi qu’un taux de 1,35 pour mille pour l’année 2019.

12.      Les décisions :

–        ont identifié comme étant tenus de verser la contribution les prestataires du service universel et les autres opérateurs économiques privés du secteur des services postaux titulaires d’une autorisation ;

–        ont précisé le montant de la charge, afin que la contribution des opérateurs économiques permette de couvrir la totalité des coûts engendrés par les activités de l’AGCOM dans ce secteur, sans aucun cofinancement public.

13.      Ces coûts ont été calculés en tenant compte non seulement des activités directement liées à la réglementation du marché des services postaux, mais également des services communs aux différents domaines de l’AGCOM, tels que l’utilisation d’immeubles et les activités de secrétariat. Les coûts indirects liés aux services communs ont été répartis de façon proportionnelle entre les différents marchés réglementés par l’AGCOM.

14.      Certains opérateurs économiques privés de courrier exprès ne relevant pas du service universel ont introduit des recours contre les décisions devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie).

15.      Ils ont notamment fait grief :

–        du fait que les décisions mettaient en place un système de contribution entièrement à la charge des opérateurs du marché, excluant toute participation étatique ;

–        du fait que les coûts financés étaient supérieurs à ceux afférents aux activités réglementaires de l’AGCOM sur le marché des services postaux ;

–        de l’assimilation entre les prestataires de services de courrier exprès et ceux du service universel.

16.      Le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) a rejeté les recours au motif, en substance, que :

–        la réglementation nationale applicable ratione temporis n’impose aucune obligation de cofinancement étatique des activités de l’AGCOM ni n’autorise cette dernière à fixer un taux de contribution à la charge de l’État, en l’absence de prévision en ce sens dans la loi budgétaire annuelle ;

–        l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67 permet aux États membres de couvrir les coûts de l’ARN au moyen du financement provenant des opérateurs du marché régi par cette autorité ;

–        les services visés à l’article 9, paragraphe 2, de la directive 97/67 ne concernent pas uniquement le service universel ;

–        les coûts afférents aux services de courrier exprès et les coûts de fonctionnement indirects, répartis de manière proportionnelle, constituent également des coûts pouvant être financés.

17.      Les requérants ont fait appel du jugement de première instance devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, l’article 9, paragraphe 3, et l’article 22 de la [directive 97/67] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en vigueur dans le droit italien (telle qu’elle résulte de l’article 1er, paragraphes 65 et 66, de la loi no 266 du 23 décembre 2005 et de l’article 65 du décret-loi no 50 du 24 avril 2017, [tel que modifié] par la loi no 96, du 21 juin 2017), qui permet de faire peser exclusivement sur les prestataires du secteur postal, y compris ceux qui ne fournissent pas de services qui relèvent du service universel, l’obligation de contribuer financièrement aux coûts de fonctionnement de l’autorité réglementaire pour le secteur postal, ce qui revient à admettre la possibilité d’exclure toute forme de cofinancement public pris en charge par le budget de l’État ?

2)      L’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, et l’article 22 de la [directive 97/67] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent d’inclure, parmi les coûts de fonctionnement qui peuvent être financés par les prestataires de services postaux, les coûts exposés aux fins d’activités réglementaires relatives aux services postaux qui ne relèvent pas du service universel, ainsi que les coûts des structures administratives et des instances politiques (structures dites “transversales”) dont les activités, bien que n’étant pas directement affectées à la réglementation des marchés des services postaux, n’en sont pas moins destinées à l’accomplissement des compétences institutionnelles de l’Autorité dans leur ensemble, de telle sorte qu’il est possible de les imputer indirectement et partiellement (au prorata) au secteur des services postaux ?

3)      Le principe de proportionnalité, le principe de non‑discrimination, l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, et l’article 22 de la [directive 97/67] s’opposent-ils à une réglementation nationale, telle que la réglementation italienne (telle qu’elle résulte de l’article 1er, paragraphes 65 et 66, de la loi no 266 du 23 décembre 2005 et de l’article 65 du décret-loi no 50 du 24 avril 2017, [tel que modifié] par la loi no 96 du 21 juin 2017), qui impose aux prestataires du secteur postal l’obligation de contribuer au financement de l’autorité réglementaire pour le secteur postal, sans qu’il soit possible de distinguer la situation des prestataires de services de courrier exprès de celle des prestataires du service universel et, par conséquent, sans qu’il soit possible de tenir compte de l’intensité différente de l’activité de régulation exercée par l’[ARN] en fonction des différents types de services postaux ? »

III. La procédure devant la Cour

18.      La demande de décision préjudicielle a été enregistrée auprès du greffe de la Cour le 31 mars 2022.

19.      Des observations écrites ont été déposées par BRT SpA, Associazione Italiana Corrieri Aerei Internazionali (A.I.C.A.I.), General Logistics Systems Enterprise Srl et General Logistics Systems Italy SpA e.a., les gouvernements italien, belge, grec, lituanien, portugais et norvégien ainsi que la Commission européenne.

20.      La tenue d’une audience n’a pas été jugée nécessaire.

IV.    Appréciation

A.      Observations liminaires

21.      La directive 97/67 permet aux États membres de subordonner l’octroi de licences aux opérateurs du secteur postal, « le cas échéant », « à l’obligation de contribuer financièrement aux coûts de fonctionnement de l’[ARN] » (9).

22.      M. l’avocat général Mengozzi a déjà mis en garde contre les difficultés d’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 97/67, en raison de son libellé peu clair (10). La présente affaire confirme son affirmation.

23.      Dans le cadre de l’examen des questions du Consiglio di Stato (Conseil d’État), je considère préférable de commencer par la deuxième question, afin de déterminer quels types de coûts des ARN du secteur postal doivent être financés par les opérateurs de ce secteur (11). J’examinerai ensuite si la directive 97/67 impose nécessairement un financement minimal des ARN au moyen de fonds publics. Enfin, j’analyserai si tous les opérateurs du secteur postal doivent contribuer en fonction de leurs revenus ou s’il convient de faire une distinction entre les prestataires du service universel et ceux du courrier exprès.

B.      Sur la deuxième question préjudicielle

24.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67, lu en combinaison avec l’article 22 de celle-ci, inclut parmi les coûts de fonctionnement des ARN devant être financés par les prestataires de services postaux :

–        les coûts exposés aux fins d’activités réglementaires relatives aux services postaux qui ne relèvent pas du service universel, et

–        les « coûts des structures administratives et des instances politiques (structures dites “transversales”) dont les activités, bien que n’étant pas directement affectées à la réglementation des marchés des services postaux, n’en sont pas moins destinées à l’accomplissement des compétences institutionnelles de l’Autorité dans leur ensemble, de telle sorte qu’il est possible de les imputer indirectement et partiellement (au prorata) au secteur des services postaux ».

1.      Les coûts exposés aux fins d’activités réglementaires des ARN relatives aux services postaux qui ne relèvent pas du service universel

25.      En ce qui concerne cette catégorie, la jurisprudence de la Cour me semble concluante : « concernant l’obligation spécifique de contribuer au financement de l’autorité réglementaire en charge du secteur postal, visée à l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67 [...], il convient de relever que les activités incombant aux autorités nationales réglementaires concernent l’ensemble du secteur postal et non les seules prestations de services relevant du service universel » (12).

26.      L’obligation ainsi configurée est cohérente avec les fonctions des ARN du secteur postal, dont la mission est d’assurer le respect des obligations découlant de la directive 97/67 et des règles de concurrence dans ce secteur. Elles favorisent ainsi tous les opérateurs postaux, et pas seulement l’une ou l’autre catégorie d’entre eux.

27.      L’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67 doit donc être interprété en ce sens que tous les prestataires de services postaux, en contrepartie des avantages qu’ils tirent de l’action des ARN, peuvent être « soumis à l’obligation de contribuer au financement des activités de ces autorités » (13).

28.      Cette obligation englobe, en somme, les coûts inhérents aux activités des ARN relatives à tous les services postaux, tant ceux qui relèvent du service universel que ceux qui n’en relèvent pas.

2.      Les coûts des structures administratives et des instances politiques

29.      La réponse à la question de savoir si les coûts de fonctionnement visés à l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67 incluent les coûts dits « des structures et des services transversaux » (ci-après les « coûts transversaux ») (14) de l’ARN auxquels la juridiction de renvoi fait référence me semble moins évidente.

30.      La directive 97/67 ne définit pas la notion de « coûts de fonctionnement », sur l’interprétation de laquelle les intervenants dans la présente procédure préjudicielle s’opposent :

–        selon la Commission, cette catégorie comprend les coûts transversaux supportés par les ARN du fait de leurs activités de nature administrative et institutionnelle, étroitement liées et préalables aux activités réglementaires qu’elles sont appelées à exercer ;

–        en revanche, BRT estime que, si le législateur avait considéré que les opérateurs postaux devaient supporter les coûts transversaux de l’ARN, il aurait utilisé une notion plus large que celle de « coûts de fonctionnement ». Selon cette société, la formule « de fonctionnement » signifie « qui sert à opérer concrètement » et concerne la phase de mise en œuvre pratique.

31.      Le recours aux différentes versions linguistiques ne facilite pas une interprétation littérale clarifiant l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67 (15). Il est donc nécessaire, conformément à la jurisprudence de la Cour (16), de recourir à son interprétation systématique et téléologique.

32.      La directive 97/67, en tant que telle, ne fournit pas non plus d’éléments permettant de procéder à une interprétation systématique éclairant davantage la signification des « coûts de fonctionnement » (17).

33.      Il est toutefois vrai que d’autres règles du droit de l’Union relatives aux communications électroniques (notamment la directive 2002/21/CE (18) et la directive 2002/20/CE (19) ou leurs prédécesseurs) pourraient fournir, d’un point de vue systématique, des orientations utiles pour le présent renvoi préjudiciel.

34.      Tel serait le cas si ces autres réglementations (20), déjà interprétées par la Cour, avaient introduit des notions analogues susceptibles d’être transposées au secteur postal (21).

35.      Dans le domaine des communications électroniques, il est prévu, tout comme dans le secteur postal, que les opérateurs privés financent les ARN correspondantes. La directive 2002/20 utilise, à cette fin, la notion de « coûts administratifs » des ARN. Ces autorités doivent, tout comme celle du secteur postal, être impartiales et indépendantes et bénéficier d’un financement approprié (22).

36.      Les règles régissant le financement des ARN dans le secteur des communications électroniques prévoient spécifiquement que les contributions des opérateurs (les taxes qu’ils doivent acquitter pour soutenir l’ARN) sont limitées à la couverture de certains coûts administratifs réels liés, notamment, à la gestion des autorisations ou des droits d’utilisation (23).

37.      En effet, conformément à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2002/20, les taxes administratives imposées aux entreprises pour financer les activités de l’ARN « couvrent exclusivement les coûts administratifs globaux qui seront occasionnés par la gestion, le contrôle et l’application du régime d’autorisation générale, des droits d’utilisation et des obligations spécifiques visées à l’article 6, paragraphe 2 » (24).

38.      Les taxes du secteur des communications électroniques ne sauraient donc être destinées à couvrir les dépenses relatives à des tâches autres que celles énumérées à cette disposition, notamment pas d’autres types de coûts administratifs exposés par l’ARN (25).

39.      Selon la Cour, il ressort de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2002/20, lu à la lumière du considérant 30 de celle-ci, que les taxes qui frappent les opérateurs de communications électroniques :

–        doivent couvrir les coûts administratifs réels résultant des activités énumérées au paragraphe 1, sous a), de cet article et s’équilibrer avec ces coûts. Ainsi, l’ensemble des recettes obtenues au titre de la taxe en cause ne saurait excéder l’ensemble des coûts afférents à ces activités (26) ; et

–        peuvent couvrir les coûts inhérents à toutes les activités de l’ARN mentionnées dans ledit article, et pas uniquement ceux afférents à l’activité de régulation du marché ex ante (27).

40.      Les parties requérantes devant la juridiction de renvoi qui ont présenté des observations défendent la transposition au secteur postal de la solution retenue pour le secteur des communications électroniques par l’article 12 de la directive 2002/20 et la jurisprudence de la Cour qui l’interprète.

41.      L’interprétation proposée peut être considérée comme étant, à première vue, suggestive (28), mais pas adéquate : malgré les similitudes entre les exigences d’indépendance des ARN du secteur des communications électroniques et du secteur postal, les règles spécifiques concernant leur financement diffèrent :

–        les taxes imposées aux opérateurs du secteur des communications électroniques financent, comme je viens de l’indiquer, certains coûts administratifs, précisés à l’article 12 de la directive 2002/20, liés à la gestion des autorisations ou des droits d’utilisation, mais pas d’autres types de coûts de l’ARN allant au-delà de ceux mentionnés dans cet article ;

–        en revanche, à l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, et à l’article 22 de la directive 97/67, le législateur de l’Union n’a pas limité les coûts pouvant être financés par les opérateurs privés à ceux de nature purement administrative et encore moins à ceux liés aux autorisations ou aux droits d’utilisation.

42.      L’interprétation téléologique de l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, et de l’article 22 de la directive 97/67 conduit à considérer que ces dispositions permettent aux ARN du secteur postal d’accomplir leurs tâches générales, c’est-à-dire d’assurer le respect des obligations découlant de la directive 97/67 (29). À cette fin, elles doivent disposer d’un financement approprié pour couvrir les coûts transversaux occasionnés par leur fonctionnement, sans lesquels ces entités ne pourraient tout simplement pas fonctionner.

43.      Il n’y a donc aucune raison empêchant de qualifier de « coûts de fonctionnement » les coûts transversaux exposés par les ARN du secteur postal (c’est-à-dire les coûts communs, qui ne sont pas spécifiquement destinés à une activité réglementaire ou de suivi) du fait de l’accomplissement de leurs compétences institutionnelles. Je partage à cet égard l’avis de la Commission lorsqu’elle souligne le lien étroit entre cette catégorie de coûts, préalables à toute autre activité, et les fonctions propres à l’ARN.

44.      Enfin, comme le souligne à juste titre la juridiction de renvoi, si une ARN (telle que l’AGCOM) exerce des fonctions dans des domaines autres que le secteur postal, les coûts indirects sont répartis au prorata entre tous les secteurs concernés.

C.      Sur la première question préjudicielle

45.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si la directive 97/67 s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le financement de l’ARN du secteur postal est assumé uniquement par des prestataires de services privés, à l’exclusion de toute forme de financement public à charge du budget de l’État.

46.      La réponse à cette première question est implicite dans la réponse que j’ai proposée à la deuxième question, sur le fondement de l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, et de l’article 22 de la directive 97/67.

47.      Si les coûts de fonctionnement des ARN du secteur postal englobent tant ceux résultant directement de leurs activités réglementaires et de suivi que ceux découlant de leur structure administrative et décisionnelle, les opérateurs privés doivent, en principe, supporter le financement intégral de l’ARN.

48.      Il pourrait donc être répondu par l’affirmative à la question de la juridiction de renvoi (est-il possible de faire peser l’ensemble des coûts des ARN sur les opérateurs privés, en excluant le financement public ?).

49.      Cette réponse n’est pas affectée par le fait que l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67 utilise les termes « le cas échéant » pour faire référence au mécanisme de financement des ARN. Cette formulation respecte le choix de formules distinctes, que la directive 97/67 laisse aux États membres (30).

50.      Il est donc nécessaire de clarifier la portée de l’obligation de « contribuer financièrement » prévue à l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67.

51.      Le libellé de cette expression pourrait appuyer une interprétation restrictive : les opérateurs seraient tenus de contribuer financièrement uniquement afin d’assumer une partie des coûts de fonctionnement des ARN, mais pas l’ensemble de ces coûts.

52.      L’interprétation littérale n’étant pas déterminante, il convient de recourir à nouveau à l’interprétation systématique et téléologique de l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67.

53.      En partant de la prémisse que la notion de « coûts de fonctionnement » inclut l’ensemble des coûts exposés par les ARN du secteur postal dans l’exercice de leurs fonctions, on peut soutenir que les États membres conservent la possibilité de choisir entre :

–        un système de financement strictement privé, au moyen de taxes imposées aux opérateurs postaux ;

–        un système de financement public à charge des budgets nationaux ;

–        un système mixte de cofinancement public (à charge du budget national) et privé (contributions des opérateurs du secteur postal). Rien n’empêcherait que, dans ce modèle, les coûts transversaux soient couverts par le financement public et les coûts réglementaires et de suivi par les opérateurs privés.

54.      En vertu des données fournies par la Commission, fondées sur une étude récente (31), quinze États membres ont choisi un système de financement entièrement privé, six ont préféré un système public et cinq ont opté pour un système mixte (dont quatre où la majorité du financement est à la charge des opérateurs postaux).

55.      À mon avis, l’article 9 de la directive 97/67 n’impose ni n’empêche de choisir l’un ou l’autre modèle de financement des ARN. Le paragraphe 3 de cette disposition se contente d’exiger que, tout en préservant l’indépendance et le fonctionnement de ces autorités, les composantes du système adopté soient « transparentes, accessibles, non discriminatoires, proportionnées, précises et univoques ; elles sont publiées préalablement et se fondent sur des critères objectifs ».

56.      Rien, je le répète, n’empêche un État membre d’introduire un système public ou un système mixte : les deux sont conformes à la finalité de la directive 97/67, qui prévoit l’existence d’ARN indépendantes des opérateurs du secteur postal (32), afin de garantir qu’elles remplissent correctement leurs fonctions réglementaires et de suivi. Les deux systèmes me semblent compatibles avec l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67, car ils préservent l’indépendance des ARN vis-à-vis des opérateurs du secteur postal et garantissent le bon fonctionnement des premières.

57.      Il en va de même s’agissant de la compatibilité des systèmes de financement strictement privés (comme le système italien), à condition que, d’une part, ils garantissent l’indépendance de l’ARN et, d’autre part, que cette ARN dispose, en pratique, des moyens nécessaires pour exercer ses fonctions (33).

58.      En réalité, la source de financement d’une ARN ne détermine pas nécessairement son indépendance (34). L’objectif est qu’elle dispose des ressources financières indispensables, afin qu’elle puisse échapper à l’influence indue des principaux acteurs du marché et d’autres autorités publiques (35).

59.      La possibilité qu’une ARN soit « bloquée » dans son activité est certes plus grande lorsque son financement dépend exclusivement des contributions des opérateurs du secteur postal. Le cas italien, comme l’indique la juridiction de renvoi (36), en serait un parfait exemple : selon l’AGCOM elle-même, depuis qu’elle est devenue l’ARN italienne du secteur postal en 2012, elle n’a été en mesure d’encaisser aucune contribution des opérateurs postaux privés et elle a dû exercer ses fonctions réglementaires et de suivi avec des ressources financières prélevées sur d’autres secteurs ou sur ses réserves. L’AGCOM indique que l’impossibilité de percevoir les contributions des opérateurs la conduira à ne pas pouvoir exercer ses fonctions dans le secteur postal italien (37).

60.      Cette circonstance semble toutefois due à une pathologie concrète (et survenue) du système de financement italien plutôt qu’à une déficience structurelle du modèle retenu. Son remède pourrait consister dans le renforcement des pouvoirs de recouvrement de l’ARN.

61.      En définitive, je considère que l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67, lu en combinaison avec l’article 22 de celle-ci, laisse les États membres libres de choisir le système de financement de leur ARN du secteur postal. Lorsqu’un État membre opte pour un financement strictement privé, au moyen de taxes imposées aux opérateurs postaux, il doit prendre les mesures nécessaires pour garantir, en tout état de cause, l’indépendance et le caractère opérationnel de l’ARN. Ces mesures doivent être suffisamment efficaces pour empêcher les pratiques de blocage de l’activité de l’ARN.

62.      Si la Cour devait considérer, contrairement à l’interprétation que j’ai proposée, que la notion de « coûts de fonctionnement » englobe uniquement ceux découlant des activités réglementaires et de suivi des ARN, leurs coûts transversaux devraient être pris en charge par l’État au moyen d’un financement public, de manière à garantir le fonctionnement des ARN.

D.      Sur la troisième question préjudicielle

63.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si les principes de proportionnalité et de non‑discrimination ainsi que l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, et troisième alinéa, et l’article 22 de la directive 97/67 permettent un système de financement de l’ARN fondé sur des taxes imposées aux opérateurs postaux :

–        sans tenir compte de l’intensité des tâches réglementaires et de suivi exercées en fonction des différents types de services postaux ; et

–        sans faire de distinction, à cette fin, entre les prestataires du service universel et les opérateurs de courrier exprès.

64.      La directive 97/67 ne prévoit pas de mode spécifique de calcul des taxes applicables aux opérateurs postaux aux fins du financement de l’ARN. Son article 9, paragraphe 3, exige simplement, comme je l’ai souligné précédemment, l’établissement de modalités de calcul « transparentes, accessibles, non discriminatoires, proportionnées, précises et univoques [qui] sont publiées préalablement et se fondent sur des critères objectifs ».

1.      Le principe dégalité

65.      L’égalité exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (38).

66.      Les opérateurs de courrier exprès italiens considèrent qu’ils ne devraient pas se voir imposer des contributions en faveur de l’ARN de la même manière que les opérateurs de service universel, car ils se trouvent dans des situations différentes. Selon eux, l’ARN exerce des activités réglementaires et de suivi beaucoup plus importantes à l’égard des opérateurs du service universel.

67.      Je rappellerai que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 97/67 permet aux États membres de soumettre les entreprises du secteur postal à des autorisations générales aux fins de la prestation de services qui ne relèvent pas du service universel. L’article 9, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 97/67 prévoit la faculté pour les États membres d’introduire des procédures d’autorisation pour ce qui est des services qui relèvent du service universel (39).

68.      Conformément au considérant 18 de la directive 97/67, la différence essentielle entre les services de courrier exprès et le service postal universel réside dans la valeur ajoutée (quelle qu’en soit la forme) apportée par les premiers et perçue par les clients. De telles prestations correspondent à des services spécifiques, dissociables du service d’intérêt général, qui répondent à des besoins particuliers d’opérateurs économiques et qui exigent certaines prestations supplémentaires que le service postal traditionnel n’offre pas (40).

69.      La dissemblance entre les services de courrier exprès et le service postal universel (41) ne place cependant pas les opérateurs de l’une et l’autre catégorie dans des situations différentes en ce qui concerne leur obligation de prendre en charge les coûts de l’ARN. En d’autres termes, cette différence ne se traduit pas nécessairement par une contribution plus ou moins importante au financement de l’ARN.

70.      L’activité réglementaire et de suivi d’une ARN est exercée à l’égard de l’ensemble du secteur postal, en ce qui concerne tant le service universel que le courrier exprès (42).

71.      La méthode de calcul des taxes aux fins du financement de l’ARN ne contient pas d’éléments discriminatoires, car elle est fondée sur un taux de x pour mille, identique pour tous les opérateurs postaux, et appliquée aux revenus obtenus par chacun d’entre eux. La Cour a déjà confirmé le caractère non discriminatoire, objectif et transparent de cette méthode de calcul relativement à des taxes analogues imposées aux opérateurs devant financer les ARN d’autres secteurs économiques (43).

2.      Le principe de proportionnalité

72.      Selon la Cour, pour apprécier la proportionnalité d’une réglementation nationale, telle que celle qui, en Italie, a transposé la directive 97/67 en ce qui concerne les autorisations de fournir des services postaux, « il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, lors d’une appréciation globale de toutes les circonstances de fait et de droit pertinentes, si une telle réglementation est apte à garantir la réalisation des objectifs poursuivis et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre » (44).

73.      En ce qui concerne son aptitude « à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit, [...] une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique » (45).

74.      L’objectif du modèle postal italien (financement privé) est de couvrir les coûts de fonctionnement de son ARN, dans le sens indiqué aux points précédents des présentes conclusions. L’obligation de payer les taxes, qui incombe à tous les opérateurs du secteur, est, en principe (46), apte à garantir l’exercice des fonctions propres à l’ARN.

75.      Il convient de rappeler que, en vertu des informations figurant dans le dossier, la taxe imposée par la législation italienne n’est pas plus élevée que celles appliquées par d’autres États membres aux opérateurs privés afin de financer leurs ARN du secteur postal.

76.      Le débat porte sur le point de savoir si l’obligation pour tous les opérateurs postaux de contribuer en fonction de leurs revenus, sans faire de distinction entre les opérateurs de service universel et ceux du courrier exprès, va au-delà de ce qui est nécessaire pour obtenir un financement adéquat de l’ARN.

77.      À mon avis, le système en cause ne porte pas atteinte au principe de proportionnalité, dans la mesure où l’action de l’ARN vise à assurer la libéralisation du secteur postal dans son ensemble et est exercée à l’égard de tous les opérateurs postaux.

78.      Les deux arguments suivants renforcent ma conviction :

–        d’une part, s’il est vrai que l’activité des prestataires du service postal universel est plus réglementée, il est également vrai que la libéralisation du secteur postal a davantage favorisé les prestataires de courrier exprès ;

–        d’autre part, comme la Cour l’a rappelé à propos du financement des ARN du secteur des communications électroniques, il n’est pas indispensable qu’il y ait une corrélation précise entre le montant de la taxe imposée à l’opérateur et les coûts effectivement encourus par l’ARN relatifs à cet opérateur (47). Ce raisonnement est transposable, sans difficulté, à la directive 97/67.

V.      Conclusion

79.      Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre au Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) en ces termes :

L’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, lu en combinaison avec l’article 22 de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service, telle que modifiée par la directive 2008/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 2008, modifiant la [directive 97/67] en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté,

doit être interprété en ce sens que :

–        la notion de « coûts de fonctionnement » des autorités réglementaires nationales du secteur postal, qui peuvent être financés par les prestataires de services postaux, englobe tant les coûts exposés au titre d’activités réglementaires relatives aux services postaux qui relèvent et qui ne relèvent pas du service universel que les coûts transversaux découlant des structures administratives et des instances politiques de ces autorités ;

–        une réglementation nationale qui permet d’imposer aux prestataires de services postaux l’obligation de contribuer au financement des coûts de fonctionnement de l’autorité réglementaire nationale, en excluant toute forme de financement public, est compatible avec le droit de l’Union, à condition que l’État membre prenne les mesures nécessaires pour garantir que cette autorité soit indépendante et dispose de moyens pour exercer ses fonctions, et

–        un système de financement de l’autorité réglementaire nationale d’un État membre qui impose des taxes aux opérateurs postaux, calculées à un taux de x pour mille de leurs recettes, sans tenir compte de l’intensité des tâches réglementaires et de suivi exercées en fonction des différents types de services postaux et sans faire de distinction, à cette fin, entre les prestataires du service postal universel et les opérateurs de courrier exprès, est également compatible avec le droit de l’Union, notamment avec les principes de proportionnalité et de non‑discrimination.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service (JO 1998, L 15, p. 14), telle que modifiée par la directive 2008/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 2008, modifiant la [directive 97/67] en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté (JO 2008, L 52, p. 3) (ci-après la « directive 97/67 »).


3      GURI no 182, du 5 août 1999.


4      GURI no 98, du 24 avril 2011.


5      L’AGCOM a été créée par l’article 1er, paragraphe 1, de la legge n. 249 – Istituzione dell’Autorità per le garanzie nelle comunicazioni e norme sui sistemi delle telecomunicazioni e radiotelevisiones (loi no 249 portant création de l’autorité de tutelle des communications et réglementation des systèmes de télécommunication et de radio‑télévision), du 13 juillet 1997 (GURI no 177, du 31 juillet 1997).


6      GURI no 284, du 6 décembre 2011. Décret-loi tel que modifié par la Legge n. 214 (loi no 214), du 22 décembre 2011 (GURI no 300, du 27 décembre 2011).


7      GURI no 302, du 29 décembre 2005.


8      GURI, série générale, no 95, du 24 avril 2017, supplément ordinaire no 20. Décret‑loi tel que modifié par la Legge n. 96 (loi no 96), du 21 juin 2017 (GURI no 144, du 23 juin 2017).


9      Article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, quatrième tiret, de la directive 97/67. Conformément à l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, les États membres désignent les ARN.


10      Conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire DHL Express (Austria) (C‑2/15, EU:C:2016:168, point 22).


11      Il conviendra de préciser s’il s’agit de tous les coûts, y compris les coûts généraux (communs), ou seulement des coûts strictement liés aux fonctions des ARN dans le secteur postal. À cette fin, il sera crucial d’interpréter la notion peu claire de « coûts de fonctionnement » utilisée dans la directive 97/67.


12      Arrêt du 16 novembre 2016, DHL Express (Austria) (C‑2/15, EU:C:2016:880, point 29).


13      Arrêt du 16 novembre 2016, DHL Express (Austria) (C‑2/15, EU:C:2016:880, point 31), et conclusions de l’avocat général Mengozzi dans la même affaire (EU:C:2016:168, point 46).


14      Au sens que la juridiction de renvoi donne à ces termes.


15      Les « coûts de fonctionnement » sont traduits dans la version en langue italienne de la directive 97/67 par « costi operativi » ; dans la version en langue allemande par « betrieblichen Aufwendungen » ; dans la version en langue espagnole par « costes operativos » ; dans la version en langue portugaise par « custos de funcionamento » ; dans la version en langue roumaine par « costurile operaționale », et dans la version en langue anglaise par « operational costs ».


16      Arrêt du 12 novembre 2019, Haqbin (C‑233/18, EU:C:2019:956, point 42).


17      L’imprécision de l’article 9 de la directive 97/67 sur ce point contraste avec la réglementation détaillée des coûts (directs ou communs) que les prestataires du service universel doivent refléter dans leurs systèmes comptables (article 14 de cette directive).


18      Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (JO 2002, L 108, p. 33), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, modifiant les directives [2002/21], 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux et services de communications électroniques (JO 2009, L 337, p. 37).


19      Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (JO 2002, L 108, p. 21), telle que modifiée par la directive 2009/140.


20      Les directives 2002/20 et 2002/21 étaient en vigueur à l’époque des faits au principal, mais, depuis le 20 décembre 2020, elles ont été abrogées par la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, établissant le code des communications électroniques européen (JO 2018, L 321, p. 36).


21      Le secteur postal et le secteur des communications électroniques présentent certaines similitudes (dans quelques États membres, comme l’Italie, la même ARN surveille les deux secteurs), mais aussi des différences significatives. Il convient donc d’être prudent dans la transposition de solutions découlant des directives d’un secteur à l’autre.


22      Selon l’arrêt du 28 juillet 2016, Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (C‑240/15, EU:C:2016:608, point 36), il ressort de l’article 3, paragraphes 3 et 3 bis, de la directive 2002/21 que « la directive [2002/21] exige désormais que, afin de garantir l’indépendance et l’impartialité des ARN, les États membres veillent, en substance, à ce qu’elles disposent, pour l’ensemble d’entre elles, des ressources financières et humaines nécessaires pour accomplir les tâches qui leur sont assignées » (mise en italique par mes soins).


23      Aux termes du considérant 30 de la directive 2002/20, « [d]es taxes administratives peuvent être imposées aux fournisseurs de services de communications électroniques afin de financer les activités de l’[ARN] en matière de gestion du système d’autorisation et d’octroi de droits d’utilisation. Ces taxes devraient uniquement couvrir les coûts administratifs réels résultant de ces activités ». Il est ajouté au considérant 31 que « [l]es régimes de taxes administratives ne devraient pas créer de distorsions de la concurrence ni de barrières à l’entrée sur le marché ».


24      Ces coûts peuvent « inclure les frais de coopération, d’harmonisation et de normalisation internationales, d’analyse de marché, de contrôle de la conformité et d’autres contrôles du marché, ainsi que les frais afférents aux travaux de réglementation impliquant l’élaboration et l’application de législations dérivées et de décisions administratives, telles que des décisions sur l’accès et l’interconnexion ».


25      Arrêts du 18 juillet 2013, Vodafone Omnitel e.a. (C‑228/12 à C‑232/12 et C‑254/12 à C‑258/12, EU:C:2013:495, points 38 à 40 et 42), ainsi que du 28 juillet 2016, Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (C‑240/15, EU:C:2016:608, point 45).


26      Arrêts du 18 juillet 2013, Vodafone Omnitel e.a. (C‑228/12 à C‑232/12 et C‑254/12 à C‑258/12, EU:C:2013:495, points 41 et 42), ainsi que du 28 juillet 2016, Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (C‑240/15, EU:C:2016:608, point 46).


27      Ordonnance du 29 avril 2020, BT Italia e.a. (C‑399/19, EU:C:2020:346, point 43) : « l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive [2002/20] doit être interprété en ce sens que les coûts pouvant être couverts par une taxe imposée en vertu de cette disposition aux entreprises fournissant un service ou un réseau de communications électroniques sont uniquement ceux se rapportant aux trois catégories d’activités de l’ARN mentionnées dans cette disposition, y compris les fonctions relatives à la régulation, à la surveillance, au règlement des litiges et à l’imposition de sanctions, sans se limiter aux coûts occasionnés par l’activité de régulation du marché ex ante ».


28      De fait, d’autres aspects de la jurisprudence de la Cour sur les ARN des communications électroniques peuvent être utilisés, sans difficulté, dans le secteur postal. Voir points 72 et 79 des présentes conclusions.


29      Notamment établir des procédures de suivi et des procédures réglementaires afin de garantir la prestation du service universel et le respect des règles de concurrence dans le secteur postal (article 22, paragraphe 2, de la directive 97/67).


30      Comme toute autre imposition, les taxes fixées pour couvrir les coûts de l’exercice de fonctions publiques ont une composante d’appréciation politique indéniable. Il ne semble pas qu’une taxe établie en fonction des revenus des opérateurs postaux, telle que celle adoptée par l’Italie, à un taux de x pour mille de leurs recettes, affecte la compétitivité des opérateurs du secteur ou menace leur survie.


31      Dunn, P., « Postal operators contribute to NRAs’ costs but at very different levels », Cullen International, 2021, consultable à l’adresse Internet suivante : https://www.cullen-international.com/news/2021/04/Postal-operators-contribute-to-NRAs--costs-but-at-very-different-levels.html.


32      Le considérant 47 de la directive 2008/6 souligne l’indépendance et l’autonomie des ARN : « Conformément au principe de la séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation, les États membres devraient garantir l’indépendance de leurs autorités réglementaires nationales afin d’assurer l’impartialité de leurs décisions ».


33      Le considérant 47 du préambule de la directive 2008/6 indique que « [l]es autorités réglementaires nationales devraient disposer de toutes les ressources nécessaires, tant en ce qui concerne le personnel que les compétences spécialisées ou les moyens financiers, pour s’acquitter de leurs missions ».


34      OCDE, The Governance of Regulators – Being an independent Regulator, Éditions OCDE, Paris, 2016, document consultable à l’adresse Internet suivante : https://read.oecd-ilibrary.org/governance/being-an-independent-regulator_9789264255401-en#page4, p. 79 et 80 ; et OCDE, Creando una cultura de independencia : Guía práctica contra influencias indebidas, Éditions OCDE, Paris, 2017, document consultable à l’adresse Internet suivante : https://www.oecd-ilibrary.org/fr/governance/creando-una-cultura-de-independencia_9789264287877-es, p. 27 et 28.


35      OCDE, The Governance of Regulators – Equipping Agile and Autonomous Regulators, Éditions OCDE, Paris, 2022, consultable à l’adresse Internet suivante : https://read.oecd-ilibrary.org/governance/equipping-agile-and-autonomous-regulators_7dcb34c8-en#page52, p. 50 : « Appropriate funding mechanisms should ensure that regulators receive sufficient funds for an effective and efficient execution of their activities, and should contain adequate safeguards that prevent undue influence in the work of regulators through the appropriation or restriction of funds ».


36      Point 78 de la décision de renvoi.


37      Le blocage économique d’une ARN financée par des contributions privées peut se produire, même si elle perçoit les taxes par voie d’exécution, si le recouvrement est paralysé par des actions en justice se prolongeant dans le temps. Dans un tel contexte, en l’absence d’autres mesures, l’attitude obstructionniste des opérateurs du secteur postal, seuls financeurs de l’ARN, pourrait rendre difficile, voire empêcher, l’exercice par l’ARN de ses fonctions réglementaires et de suivi (voir point 78 de la décision de renvoi).


38      Arrêts du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 51) ; du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C‑477/14, EU:C:2016:324, point 35), et du 7 mars 2017, RPO (C‑390/15, EU:C:2017:174, point 41).


39      Arrêt du 16 novembre 2016, DHL Express (Austria) (C‑2/15, EU:C:2016:880, point 20).


40      Arrêts du 31 mai 2018, Confetra e.a. (C‑259/16 et C‑260/16, EU:C:2018:370, point 38), et du 21 novembre 2019, Deutsche Post e.a. (C‑203/18 et C‑374/18, EU:C:2019:999, point 65).


41      L’évolution du secteur postal a été rapide et les activités des prestataires du service universel et des opérateurs de courrier exprès tendent à converger.


42      Par la modification de la directive 97/67, par la directive 2008/6, le législateur de l’Union entendait, selon les considérants 13 et 16 de cette dernière directive, achever le processus de libéralisation du marché des services postaux et confirmer la date butoir de l’achèvement du marché intérieur des services postaux, en supprimant non seulement les derniers obstacles à l’ouverture complète de ce marché pour certains prestataires du service universel, mais également tous les autres obstacles à la prestation des services postaux (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2019, Pawlak, C‑545/17, EU:C:2019:260, point 31).


43      Arrêt du 21 juillet 2011, Telefónica de España (C‑284/10, EU:C:2011:513, points 31 et 32) : « S’agissant de la question de savoir si les États membres sont en droit de déterminer, comme le fait la législation en cause au principal, le montant de cette taxe sur la base des revenus bruts d’exploitation des assujettis, il y a lieu de considérer [...] qu’il s’agit d’un critère objectif, transparent et non discriminatoire. D’autre part, ce critère de détermination n’est pas, comme l’a souligné la Commission lors de l’audience, sans relation avec les coûts encourus par l’autorité nationale compétente. [...] Dans ces conditions, la directive 97/13 ne saurait s’opposer à ce que les États membres déterminent le montant d’une taxe au titre de l’article 6 de cette même directive sur la base des revenus bruts d’exploitation des assujettis ».


44      Arrêt du 31 mai 2018, Confetra e.a. (C‑259/16 et C‑260/16, EU:C:2018:370, point 49).


45      Arrêt du 31 mai 2018, Confetra e.a. (C‑259/16 et C‑260/16, EU:C:2018:370, point 50).


46      Avec les nuances exposées aux points 60 à 62 des présentes conclusions.


47      Arrêt du 21 juillet 2011, Telefónica de España (C‑284/10, EU:C:2011:513, point 28) : « la directive 97/13 ne saurait être interprétée en ce sens qu’il doit y avoir une corrélation précise entre le montant de la taxe imposée à un opérateur assujetti et les coûts effectivement encourus par ladite autorité nationale compétente et relatifs à cet opérateur pour une période déterminée, étant donné qu’aucune disposition de la directive 97/13 n’impose une telle corrélation ». Il en va de même concernant la directive 97/67.