Language of document : ECLI:EU:C:2024:238

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 14 mars 2024 (1)

Affaire C585/22

X BV

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Article 49 TFUE – Impôt sur les sociétés – Emprunt transfrontalier intragroupe, contracté en vue du financement d’une acquisition externe – Impossibilité de déduire les intérêts sur une telle dette d’emprunt du bénéfice imposable – Notion de montage purement artificiel – Proportionnalité »






I.      Introduction

1.        Selon l’aphorisme célèbre et porteur de vérité universelle formulé par Benjamin Franklin, « en ce monde rien n’est certain, à part la mort et les impôts ». Pourtant, la nature humaine semble souvent être prédisposée à tendre vers l’évitement de ces événements inéluctables.

2.        La présente demande de décision préjudicielle s’inscrit dans le contexte d’une réglementation nationale relative à l’impôt sur les sociétés, spécifiquement destinée à lutter contre les pratiques d’évasion fiscale. En vertu de cette réglementation, le fait pour un contribuable de contracter une dette d’emprunt auprès d’une entité liée à celui-ci, en vue du financement de l’acquisition ou de l’augmentation d’une participation dans une autre entité, est, dans certaines circonstances, présumé constituer un montage artificiel conçu pour éroder la base d’imposition néerlandaise. Par conséquent, à moins que ce contribuable ne renverse cette présomption, il lui est interdit de déduire les intérêts sur la dette de son bénéfice imposable.

3.        En l’espèce, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) invite la Cour à clarifier sa jurisprudence relative, notamment, à la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE, en particulier la question de savoir si le fait, pour les autorités fiscales d’un État membre, de refuser à une société appartenant à un groupe transfrontalier le droit de déduire de son bénéfice imposable les intérêts qu’elle verse sur une telle dette d’emprunt, est compatible avec cette liberté. Plus particulièrement, la Cour est invitée à clarifier la position qu’elle a adoptée dans l’arrêt Lexel (2), sur le point de savoir si de tels prêts intragroupe peuvent être, à cette fin, considérés comme des montages purement artificiels, bien qu’ils aient été contractés à des conditions de pleine concurrence et que les intérêts aient été fixés au taux habituel du marché.

II.    Le cadre juridique

4.        L’article 10a de la Wet op de vennootschapsbelasting 1969 (loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés, ci-après la « loi relative à l’impôt sur les sociétés »), dans sa version en vigueur à l’époque des faits au principal, dispose :

« 1.      Dans le cadre de la détermination du bénéfice [...], ne viennent pas en déduction les intérêts – frais et résultats de change compris – relatifs à des dettes dues, en droit ou en fait, directement ou indirectement, à une entité liée ou à une personne physique liée dans la mesure où les dettes ont, en droit ou en fait, directement ou indirectement, un lien avec une des opérations juridiques suivantes :

[…]

c.      l’acquisition, ou l’augmentation, d’une participation par le contribuable, par une entité qui lui est liée soumise à l’impôt sur les sociétés ou par une personne physique qui lui est liée résidant aux Pays-Bas, dans une entité qui, à la suite de cette acquisition ou augmentation de participation, est une entité qui lui est liée

[…]

3.      Le premier paragraphe n’est pas applicable si le contribuable rend plausible :

a.      le fait que l’emprunt et l’opération juridique qui y est liée se fondent, dans une mesure déterminante, sur des considérations économiques ; ou

b.      le fait qu’il est prélevé, en fin de compte, sur les intérêts dans le chef de celui à qui les intérêts, en droit ou en fait, directement ou indirectement, sont dus un impôt sur le bénéfice ou sur le revenu qui, selon les critères néerlandais, est raisonnable […] Un impôt prélevé sur les bénéfices est raisonnable selon les critères néerlandais s’il entraîne un prélèvement à un taux d’au moins 10 % sur un bénéfice imposable déterminé selon les critères néerlandais […]

4.      Aux fins du présent article […], est réputée être une entité liée au contribuable :

a.      une entité dans laquelle le contribuable détient une participation d’au moins un tiers ;

b.      une entité qui détient une participation d’au moins un tiers dans le contribuable ;

c.      une entité dans laquelle un tiers détient une participation d’au moins un tiers, alors que ce tiers détient également une participation d’au moins un tiers dans le contribuable.

[…] ».

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

5.        La société X (ci-après « X ») est une société holding de droit néerlandais. Elle appartient à un groupe multinational qui comprend, notamment, la société A et la société C (ci-après, respectivement, « A » et « C »).

6.        A est la société mère établie en Belgique. Elle est l’unique actionnaire de X et l’actionnaire majoritaire de C.

7.        C est une banque interne, également établie en Belgique. Elle fournit des services intragroupe, comprenant la restructuration et la gestion financières. Entre 1999 et 2010, en vertu du droit belge, elle avait, à des fins fiscales, le statut de « centre de coordination », ce qui signifiait qu’elle bénéficiait d’un régime fiscal préférentiel en vertu duquel son bénéfice imposable était déterminé forfaitairement.

8.        En 2000, X a acquis les actions de la société F (ci-après « F »), établie aux Pays-Bas. À la suite de cette acquisition, F est devenue une entité liée à X.

9.        X a financé cette acquisition par des emprunts qu’elle a contractés auprès de C. Ces prêts ont été accordés par C à partir de fonds propres que celle-ci avait obtenus, peu avant, par un apport de capital auquel A avait procédé. Les prêts en cause prévoyaient des intérêts fixés au taux habituel du marché.

10.      Avec effet au 1er janvier 2001, X et F ont été intégrées dans une unité fiscale, X ayant été désignée comme société mère. À ce titre, l’impôt dû tant par F que par X a été prélevé auprès de cette dernière. X pouvait également déduire les intérêts qu’elle versait à C du bénéfice généré par F. Cette déduction permettait à l’unité d’être très peu imposée au titre de l’impôt sur les sociétés aux Pays-Bas.

11.      En 2007, X a déduit les intérêts des emprunts qu’elle a contractés auprès de C dans sa déclaration d’impôt sur les sociétés. Cependant, le Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays‑Bas) a refusé cette déduction sur le fondement de l’article 10a de la loi relative à l’impôt sur les sociétés.

12.      X a attaqué ce refus devant le rechtbank Gelderland (tribunal de Gueldre, Pays Bas), puis devant le Gerechtshof Arnhem Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden, Pays Bas).

13.      Par arrêt du 20 octobre 2020, cette dernière juridiction a jugé que cette limitation de la déduction des intérêts était compatible avec le droit de l’Union. Selon ladite juridiction, l’objectif poursuivi par cette législation, consistant à éviter que la base d’imposition néerlandaise soit érodée abusivement en déduisant du bénéfice les charges d’intérêts artificiellement générées, avait un caractère justifié et proportionné.

14.      X a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas).

15.      Cette juridiction indique avoir constamment jugé que les dettes contractées de manière arbitraire et sans motif économique constituaient des montages purement artificiels, visant uniquement à créer une charge déductible, indépendamment de la question de savoir si le taux d’intérêt est identique à celui qui aurait été convenu entre des sociétés indépendantes dans des conditions de pleine concurrence.

16.      Ainsi, la juridiction de renvoi, se ralliant aux constatations du Gerechtshof Arnhem Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem‑Leeuwarden), considère que, lorsque de telles circonstances surviennent, le refus total de la déduction des intérêts débiteurs est approprié et proportionné, étant donné qu’une telle mesure vise à lutter contre l’évasion fiscale en ciblant spécifiquement les cas dans lesquels la dette est générée par un montage purement artificiel.

17.      Toutefois, la juridiction de renvoi se demande si, au regard de l’arrêt Lexel, cette position est correcte.

18.      En effet, cet arrêt peut être lu en ce sens que les transactions intragroupe, telles que la dette contractée auprès d’une entité liée au contribuable, ne peuvent pas être considérées comme des montages purement artificiels lorsqu’elles sont conclues dans des conditions de pleine concurrence. En outre, dans l’hypothèse où cette interprétation serait correcte, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité du refus total de la déduction des intérêts avec le principe de proportionnalité du droit de l’Union.

19.      Enfin, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la distinction entre le droit national en cause dans la présente affaire, qui régit tant les restructurations internes que les acquisitions externes, et la législation en cause dans l’arrêt Lexel, qui ne régissait pas les acquisitions externes, revêt une quelconque importance.

20.      Dans ce contexte, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1)      « Les articles 49, 56 et/ou 63 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle, dans la détermination du bénéfice du contribuable, les intérêts pour une dette d’emprunt contractée auprès d’une entité liée au contribuable, dette qui se rapporte à l’acquisition ou l’augmentation d’une participation dans une entité qui, après cette acquisition ou augmentation, est une entité liée, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une déduction, parce que la dette concernée doit être considérée comme un montage purement artificiel (ou comme faisant partie d’un tel montage), peu importe si, en elle-même, elle a été contractée à des conditions de pleine concurrence ?

2)      Si la première question appelle une réponse négative, les articles 49, 56 et/ou 63 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle, dans la détermination du bénéfice du contribuable, la déduction des intérêts pour une dette d’emprunt qui est contractée auprès d’une entité liée au contribuable et qui est considérée comme un montage purement artificiel (ou comme faisant partie d’un tel montage), dette qui se rapporte à l’acquisition ou l’augmentation d’une participation dans une entité qui, après cette acquisition ou augmentation, est une entité liée, est intégralement refusée, même si, en eux-mêmes, ces intérêts ne dépassent pas le montant qui aurait été convenu entre des entreprises indépendantes ?

3)      La réponse à la première et/ou à la deuxième question est‑elle différente si l’acquisition ou augmentation concernée de la participation se rapporte a) à une entité qui était déjà, avant cette acquisition ou augmentation, une entité liée au contribuable, ou bien b) à une entité qui ne devient une entité liée au contribuable qu’après ladite acquisition ou augmentation ? »

21.      Des observations écrites ont été déposées par X, par les gouvernements belge, espagnol et néerlandais ainsi que par la Commission européenne. X, les gouvernements espagnol et néerlandais ainsi que la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries lors de l’audience qui s’est tenue le 15 novembre 2023.

IV.    Analyse

22.      Les trois questions posées par la juridiction de renvoi trouvent leur origine dans la règlementation néerlandaise en matière d’impôt sur les sociétés. Ces questions portent, plus particulièrement, sur le point suivant : alors que, conformément à ce régime, une société résidente fiscale aux Pays-Bas peut, en principe, déduire de son bénéfice imposable les intérêts afférents aux dettes qu’elle a contractées et, partant, réduire sa dette fiscale, la disposition litigieuse, à savoir l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, limite cette possibilité dans le cas des prêts intragroupe.

23.      Cette disposition s’applique lorsque le contribuable contracte une dette d’emprunt auprès d’une entité liée (c’est-à-dire une autre société du groupe auquel ce contribuable appartient, par exemple une banque interne), en vue du financement de l’acquisition ou de l’augmentation d’une participation dans une entité qui était déjà liée audit contribuable avant cette acquisition ou augmentation (restructuration interne), ou dans une entité qui ne devient une entité liée au même contribuable qu’à la suite de l’acquisition ou de l’augmentation (acquisition externe).

24.      Dans les deux cas de figure, il est fait interdiction au contribuable de déduire les intérêts sur cette dette, même si les intérêts débiteurs sont équivalents à ceux qui auraient été convenus avec une entité non liée, telle qu’une banque externe. En effet, ladite disposition établit une présomption selon laquelle ladite dette, contractée auprès d’une autre société du même groupe, constitue un montage purement artificiel (ou fait partie d’un tel montage (3)), qui vise uniquement à éroder la base d’imposition néerlandaise.

25.      Toutefois, en vertu de l’article 10a, paragraphe 3, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, le contribuable peut renverser cette présomption et, partant, déduire ces intérêts de son bénéfice imposable en démontrant a) que, en réalité, l’emprunt se fonde, dans une mesure déterminante, sur des considérations économiques ou b) que, auprès de la société qui a accordé le prêt, il est prélevé sur ces intérêts, en fin de compte, un impôt sur le bénéfice ou sur le revenu qui, selon les critères néerlandais, est raisonnable (soit environ 10 %).

26.      Par ses trois questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si cette réglementation nationale est compatible avec l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement, l’article 56 TFUE relatif à la libre prestation de services et/ou l’article 63 TFUE relatif à la libre circulation des capitaux.

27.      Dès lors que ces questions portent sur plusieurs libertés fondamentales, il convient de déterminer, à titre liminaire, la liberté applicable à la présente affaire (section A). Ensuite, j’examinerai si le droit national en cause crée une restriction à la liberté pertinente (section B), avant d’examiner si une telle restriction peut être admise (section C).

A.      La liberté d’établissement est la liberté pertinente

28.      Il est de jurisprudence constante que, pour déterminer la liberté fondamentale applicable à une législation nationale, il convient de prendre en considération l’objet de cette législation (4).

29.      Ainsi que le font valoir les gouvernements intervenants et la Commission, il me semble évident que, au regard de sa finalité, l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés concerne la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE.

30.      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une réglementation nationale qui ne vise que des relations au sein d’un groupe de sociétés affecte de manière prépondérante la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE. De même, relève également du champ d’application de cette dernière disposition une législation nationale qui a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci (5).

31.      Je rappelle que l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés s’applique lorsqu’un contribuable contracte une dette (i) auprès d’une « entité liée », (ii) en vue du financement de l’acquisition ou de l’augmentation d’une participation dans une entité qui était déjà « liée » à ce contribuable avant l’acquisition ou l’augmentation, ou dans une entité qui ne devient une entité « liée » audit contribuable qu’à la suite de l’acquisition ou de l’augmentation. En vertu de l’article 10a, paragraphe 4, de cette loi, les entités sont considérées comme « liées », aux fins de la première disposition, lorsque chacune détient, directement ou indirectement, au moins 33,3 % des parts de l’autre ou lorsqu’une entité tierce détient 33,3 % des parts des deux entités.

32.      Les dispositions litigieuses ne concernent donc que les relations au sein d’un groupe de sociétés, puisque leur portée est limitée aux prêts intragroupe. En outre, elles ne s’appliquent qu’aux intérêts sur de tels prêts contractés par le contribuable en vue d’acquérir un pourcentage de participation suffisamment élevé pour lui permettre d’exercer une influence certaine sur l’entité visée (6). Or, la décision de renvoi précise que X détient effectivement une participation dans F nettement plus importante que le minimum requis par ces dispositions.

33.      Par conséquent, j’estime opportun d’examiner le droit national en cause et de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi au regard du seul article 49 TFUE (7).

B.      Une telle réglementation nationale comporte une restriction à la liberté d’établissement

34.      Il convient de rappeler que la liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union européenne, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement au sein de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans un autre État membre par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (8).

35.      En l’espèce, X fait valoir que l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés comporte une restriction à cette liberté, étant donné que cette disposition traite les situations transfrontalières de manière moins favorable que les situations purement internes.

36.      Plus particulièrement, X soutient que, si le contribuable contracte une dette d’emprunt auprès d’une entité liée (par exemple la banque interne du groupe dont il fait partie) établie aux Pays-Bas, il peut systématiquement déduire de son bénéfice imposable les intérêts de ce prêt, étant donné que la condition prévue à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de cette loi est toujours remplie. L’entité liée est évidemment soumise, en ce qui concerne ces intérêts, à un impôt sur le bénéfice ou sur le revenu « qui, selon les critères néerlandais, est raisonnable », puisque le taux d’imposition néerlandais de 10 % s’applique. En revanche, lorsque le contribuable contracte une telle dette d’emprunt auprès d’une entité liée établie dans un autre État membre, il lui est plus difficile de déduire les intérêts sur ce prêt, étant donné que cette condition ne serait pas toujours remplie (puisque d’autres États membres peuvent soumettre cette entité à un impôt sur le bénéfice ou sur le revenu moins élevé, comme l’a fait la Belgique dans le cas de C à l’époque des faits au principal). Lorsque ladite condition n’est pas remplie, le contribuable ne pourrait obtenir cet avantage qu’en remplissant la condition prévue à l’article 10a, paragraphe 3, sous a), de ladite loi, c’est-à-dire en démontrant que l’emprunt et l’opération qui y est liée se fondent, dans une mesure déterminante, sur des considérations économiques. La juridiction de renvoi et la Commission partagent cette appréciation.

37.      À l’inverse, le gouvernement néerlandais fait valoir qu’il n’y a pas de restriction à la liberté d’établissement. Selon ce dernier, dans l’affaire au principal, seule A (la société mère), établie en Belgique, a fait usage de cette liberté, notamment en créant sa filiale X aux Pays‑Bas. La liberté d’établissement vise à garantir à une telle société mère le bénéfice du traitement national dans l’État membre où elle crée une filiale, en interdisant toute discrimination fondée sur le lieu du siège de cette société mère. En l’espèce, l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ne comporterait pas une telle discrimination. En effet, en ce qui concerne la possibilité, pour une société établie aux Pays-Bas, de déduire les intérêts sur les prêts intragroupe, cette disposition s’applique de la même manière, que la société mère de cette dernière ait son siège aux Pays-Bas ou dans un autre État membre (9).

38.      À titre subsidiaire, le gouvernement néerlandais fait valoir que, même à supposer que le lieu d’implantation de l’entité prêteuse (la banque interne du groupe) soit un élément pertinent pour apprécier l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement, il n’y aurait toujours pas de différence de traitement constitutive d’une telle restriction. En effet, l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés s’applique indistinctement aux dettes contractées entre des entités liées établies aux Pays-Bas et aux dettes contractées entre des entités liées établies dans différents États membres et la condition énoncée à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de cette loi peut, en réalité, être remplie même lorsque la banque interne a son siège dans un autre État membre. Le gouvernement espagnol partage, en substance, ce point de vue.

39.      Je partage l’avis de X et de la Commission.

40.      Certes, ainsi que le fait valoir le gouvernement néerlandais, l’examen doit, en l’espèce, se concentrer sur la question de savoir si l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés apporte une restriction à l’exercice par A de sa liberté d’établissement, puisqu’il s’agit effectivement de la seule société ayant fait usage de cette liberté, notamment en créant une filiale (X) dans un État membre (les Pays-Bas) autre que celui dans lequel elle a son siège (la Belgique). J’admets également que cette disposition ne comporte pas de discrimination fondée sur le lieu du siège de cette société. En vertu de ladite disposition, la filiale de A, X, aurait été traitée de la même manière si A avait été établie aux Pays-Bas et non en Belgique.

41.      Toutefois, la notion de restriction à la liberté d’établissement n’est pas limitée à une telle discrimination. Alors que les dispositions du traité FUE relatives à cette liberté visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, la Cour a itérativement jugé que la liberté d’établissement a une très grande portée. En effet, doivent être considérées comme étant des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté garantie à l’article 49 TFUE (10).

42.      En l’espèce, je relève, en premier lieu, que, si les dispositions litigieuses du droit néerlandais traitent différemment, en ce qui concerne la possibilité de déduire les intérêts sur un prêt intragroupe, une filiale résidente fiscale (telle que X) d’une société mère établie dans un autre État membre (telle que A) selon que la banque interne du groupe ayant accordé ce prêt (en l’espèce, C) est située aux Pays-Bas ou dans un autre État membre, cette différence de traitement est susceptible de rendre moins attrayant l’exercice par cette société mère de sa liberté d’établissement.

43.      Une telle différence pourrait dissuader ladite société mère de structurer son groupe comme elle l’entend, en établissant la banque interne de ce dernier dans un État membre autre que les Pays-Bas. De facto, cette différence désavantagerait les groupes de sociétés transfrontaliers, dont l’existence repose sur l’exercice de la liberté d’établissement, par rapport aux groupes qui sont « purement internes » aux Pays-Bas. En effet, les premiers sont souvent, à l’inverse des seconds, structurés d’une telle manière que leur banque interne est située dans un autre État membre.

44.      Le raisonnement est le même si l’on change de perspective en se plaçant, cette fois-ci, dans le scénario hypothétique évoqué par le gouvernement néerlandais, dans lequel A aurait son siège aux Pays‑Bas. Dans ce scénario également, une telle différence de traitement serait susceptible de rendre moins attrayant pour cette société l’exercice de sa liberté d’établissement par la création d’une banque interne dans un autre État membre (11). En effet, si ladite société procédait de la sorte, elle pourrait être désavantagée par rapport à une société similaire qui n’exerce pas cette liberté et choisit de créer une banque interne aux Pays-Bas.

45.      Cette interprétation est, selon moi, corroborée par l’arrêt Lexel (12). Je rappelle que l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait l’impossibilité, en droit suédois, pour une société suédoise, faisant partie d’un groupe international, de déduire les intérêts pour une dette d’emprunt contractée auprès de la banque interne du groupe, à savoir une autre société située en France. La société mère de ce groupe avait également son siège en France. Dans cette affaire, la différence de traitement résidait dans le fait que, si la banque interne avait été située en Suède, une telle déduction aurait été possible. C’est à juste titre que la Cour a jugé que cette différence constituait une restriction à la liberté d’établissement (13).

46.      Je relève, en second lieu, que les dispositions litigieuses du droit néerlandais semblent effectivement créer une telle différence de traitement fondée sur le siège de la banque interne des groupes de sociétés.

47.      Certes, comme le fait valoir le gouvernement néerlandais, les dispositions pertinentes du droit néerlandais ne distinguent pas directement selon que la banque interne ayant accordé au contribuable le prêt intragroupe en cause est établie aux Pays-Bas ou dans un autre État membre (14). Plus particulièrement, le critère prévu à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés n’est pas de savoir si cette banque est soumise, par rapport à ces intérêts, à un impôt sur le bénéfice ou sur le revenu « aux Pays-Bas ». Il s’agit d’une différence notable avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Lexel, où une condition analogue exigeait, pour que de tels intérêts puissent être déduits, que la banque interne soit imposée en Suède (15).

48.      Cependant, comme X le fait valoir, bien que le critère prévu à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés [à savoir que la banque interne soit soumise, sur ces intérêts, à « un impôt sur le bénéfice ou sur le revenu qui, selon les critères néerlandais, est raisonnable » (c’est-à-dire au moins 10 %)], puisse sembler objectif, il peut, de fait, défavoriser les situations transfrontalières (16).

49.      Certes, les arguments contraires du gouvernement néerlandais ne sont pas dénués de force. Ce dernier fait valoir, par analogie avec l’arrêt Köln-Aktienfonds Deka (17), que ce critère n’est pas propre au marché néerlandais, de telle sorte qu’il ne pourrait être rempli que lorsque les contribuables obtiennent des prêts intragroupe auprès de banques internes établies aux Pays-Bas. À l’époque des faits au principal, tous les États membres appliquaient un taux de l’impôt sur les sociétés de 10 % ou plus. Partant, cette condition serait généralement remplie même lorsqu’un tel prêt était obtenu auprès de banques internes établies dans d’autres États membres, sauf dans la situation exceptionnelle où la banque en cause bénéficie (comme C) d’un régime fiscal préférentiel dans l’État où elle est établie. Ce gouvernement fait également valoir qu’il existe des circonstances dans lesquelles les charges d’intérêts sur les prêts sont imposées à un taux inférieur à 10 % aux Pays-Bas. Par conséquent, il existe des cas dans lesquels les conditions prévues à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ne sont pas remplies alors même que la banque interne a son siège dans cet État membre. Ainsi, une société mère, telle que A, ne serait pas dissuadée de créer une telle banque dans un État membre autre que les Pays-Bas, ni désavantagée si elle le faisait.

50.      Toutefois, selon moi, pour que les situations transfrontalières soient de facto défavorisées par les législations nationales, il n’est pas nécessaire que ces dernières utilisent des critères qui sont propres à un marché national ou qui bénéficient uniquement aux sociétés nationales sur celui-ci. À cet égard, la question cruciale est de savoir si les critères prévus par ces législations sont susceptibles d’affecter davantage les situations transfrontalières que les situations purement internes. Afin de déterminer si cette question appelle une réponse affirmative en l’espèce, il convient de procéder à une comparaison entre, d’une part, la proportion (potentielle) de groupes de sociétés avec des banques internes établies aux Pays-Bas qui ne sauraient remplir la condition prévue à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés et, d’autre part, la proportion (potentielle) de groupes de sociétés avec des banques internes établies dans d’autres États membres qui seraient désavantagés par cette condition (18).

51.      Bien qu’il revienne à la juridiction de renvoi de le vérifier, il semble que, proportionnellement, la seconde catégorie de groupes de sociétés soit davantage touchée par la condition en cause que la première.

52.      D’une part, le gouvernement néerlandais a admis, lors de l’audience, que la condition prévue à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés est pratiquement toujours remplie lorsque la banque interne a son siège aux Pays-Bas. En effet, aux Pays-Bas, les charges d’intérêts sur un prêt ne sont imposées à un taux inférieur à 10 % que dans les rares cas où le prêt est accordé par une fondation ou une association, qui n’a pas d’activité commerciale. Lors de l’audience, X a fait valoir que cette exception n’était jamais appliquée aux banques internes commerciales telles que C et qu’aucune autre exception n’existait en droit néerlandais, ce que le gouvernement néerlandais a confirmé. Ainsi, la proportion de groupes de sociétés avec des banques internes établies aux Pays-Bas qui ne sauraient remplir cette condition est négligeable.

53.      D’autre part, le gouvernement néerlandais admet que la condition prévue à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ne serait pas remplie si la banque interne avait son siège dans un État membre qui applique un régime fiscal préférentiel à une telle banque. On peut raisonnablement supposer que diverses versions d’un tel régime existent dans les 27 États membres de l’Union. En outre, la Commission fait valoir, non sans raison, que, si tous les États membres ont un taux général ou théorique de l’impôt sur les sociétés de 10 %, le taux effectif est souvent inférieur. En définitive, une proportion suffisamment importante de groupes de sociétés avec des banques internes dans des États membres autres que les Pays-Bas est susceptible d’être désavantagée.

54.      Enfin, je ne suis pas convaincu par l’argument du gouvernement espagnol selon lequel cette différence de traitement serait atténuée par la condition alternative prévue à l’article 10a, paragraphe 3, sous a), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, qui permet à un contribuable de déduire les intérêts sur un prêt intragroupe s’il justifie les considérations économiques sur lesquelles se fondent le prêt en cause et l’opération juridique qui y est liée. En réalité, cette disposition représente une charge pesant sur ce contribuable, aux fins de la déduction des intérêts, qu’il n’aurait (pratiquement) jamais à supporter si la banque interne ayant accordé le prêt avait son siège aux Pays-Bas [puisque, comme indiqué ci-dessus, la condition prévue à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de cette loi serait pratiquement toujours remplie dans ce cas de figure]. Cela confirme la différence de traitement en cause.

C.      Une telle restriction peut être admise au titre de l’article 49 TFUE

55.      Cela étant précisé, je partage l’avis des gouvernements intervenants et de la Commission selon lequel la restriction à la liberté d’établissement prévue à l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés peut être admise au titre de l’article 49 TFUE. En effet, ainsi qu’il sera expliqué dans les sous‑sections suivantes, cette restriction est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (sous-section 1). En outre, ladite restriction est propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime qu’elle poursuit (sous-section 2) et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (sous-section 3).

1.      La restriction est justifiée

56.      Les gouvernements intervenants et la Commission font valoir que la restriction à la libre circulation que comporte l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés est justifiée par des motifs tenant à la lutte contre l’évasion fiscale abusive. L’objectif spécifique de cette disposition est précisément de faire obstacle à des comportements consistant à créer des montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, dans le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées aux Pays-Bas. La juridiction de renvoi partage cet avis.

57.       Il est de jurisprudence constante qu’un tel objectif constitue une raison impérieuse d’intérêt général en matière fiscale (19). Selon moi, il ne fait aucun doute que l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés poursuit réellement cet objectif et, partant, peut être justifié par une telle raison impérieuse.

58.      Dans l’arrêt X et X, la Cour est parvenue à la même conclusion à propos d’une disposition de la même loi (mais dans une version antérieure) qui était, en substance, identique à cet article 10a, paragraphe 1, sous c). La seule différence entre les deux est que la version antérieure ne concernait que les restructuration internes, tandis que ledit article 10a, paragraphe 1, sous c), s’applique également aux acquisitions externes (20). Toutefois, les deux dispositions poursuivent le même objectif. Ainsi que la Cour l’a jugé dans cet arrêt, « il s’agit d’empêcher que des fonds propres d’un groupe ne soient présentés, de manière factice, comme des fonds empruntés par une entité néerlandaise de ce groupe et que les intérêts de cet emprunt puissent venir en déduction du résultat imposable aux Pays–Bas » (21), alors que ces intérêts ne sont par ailleurs pas (raisonnablement) imposés. La finalité de l’interdiction de la déduction des intérêts d’emprunts intragroupe se trouve explicitement confirmée par la règle selon laquelle les intérêts d’emprunt peuvent être déduits, en vertu de l’article 10a, paragraphe 3, sous a), si un tel emprunt et l’opération juridique qui y est liée sont économiquement justifiés.

2.      La restriction est appropriée

59.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’exigence selon laquelle toute mesure restreignant la liberté de circulation doit être « appropriée » englobe deux critères cumulatifs : la mesure en cause doit, d’une part, être de nature à contribuer à la réalisation de l’objectif poursuivi ainsi que, d’autre part, « [répondre] véritablement au souci de l’atteindre et [être] mise en œuvre de manière cohérente et systématique » (22).

60.      En l’espèce, il n’est pas contesté que le premier critère est rempli. En prévoyant qu’un contribuable ne peut pas déduire de son bénéfice imposable les intérêts sur un prêt intragroupe qui constitue un montage purement artificiel (ou fait partie d’un tel montage) conçu pour éroder la base d’imposition néerlandaise, l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés peut faire obstacle à de tels montages. Il est évident que cette réglementation contribue à la réalisation de l’objectif poursuivi (23).

61.      En revanche, X estime que le second critère n’est pas rempli en l’espèce. Selon elle, l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ne lutte pas contre les prêts intragroupe artificiels de manière cohérente et systématique. En effet, si les intérêts sur un tel prêt sont imposés à un taux raisonnable dans l’État membre d’établissement de la société prêteuse, la société emprunteuse peut déduire ces intérêts [en vertu de l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de cette loi], même lorsque le prêt et/ou l’opération juridique qui y est liée ne sont pas économiquement justifiés.

62.      Selon moi, le fait que les dispositions litigieuses permettent de déduire les intérêts sur un prêt intragroupe dans l’hypothèse évoquée par X est, en réalité, conforme à l’objectif poursuivi. Certes, dans cette hypothèse, le fait de permettre une telle déduction peut impliquer un déplacement du bénéfice imposable des Pays-Bas vers l’État membre d’établissement de la société prêteuse. Toutefois, si ces intérêts sont imposés à un taux raisonnable dans ce dernier État, l’impôt n’est pas totalement éludé. Ainsi, la lutte contre l’évasion fiscale ne saurait justifier le refus de cette déduction dans l’hypothèse en cause (24).

3.      La restriction est nécessaire

63.      À mon avis, la restriction que comportent les dispositions litigieuses du droit néerlandais ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’objectif légitime qu’elle poursuit soit atteint, étant donné que l’application de ces dispositions est limitée aux montages purement artificiels (a) et que le fait de qualifier une opération de montage purement artificiel ne produit pas des conséquences excessives (b).

a)      L’application des dispositions litigieuses est limitée aux montages purement artificiels

64.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour que des dispositions nationales soient considérées comme nécessaires au regard de l’objectif de prévention des montages purement artificiels, conçus pour éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national, l’application de ces dispositions doit être limitée à de tels montages, sans préjudice des opérations légitimes (25).

65.      La question de savoir si les dispositions néerlandaises satisfont à cette exigence n’a pas été tranchée par la Cour dans l’arrêt X et X. Toutefois, les gouvernements intervenants et la Commission font valoir que ladite exigence est satisfaite. En effet, l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ne couvre que les opérations dépourvues de réalité économique, lorsque des prêts intragroupe sont conclus avec un contribuable néerlandais uniquement (ou principalement) dans le but de créer une dette déductible du bénéfice imposable de ce contribuable, érodant ainsi la base d’imposition néerlandaise. En revanche, lorsque le prêt et l’opération qui y est liée reposent, dans une mesure déterminante, sur des motifs économiques valables, cette disposition ne s’applique pas, conformément à l’article 10a, paragraphe 3, sous a), de cette loi.

66.      X ne partage pas cette position. Selon elle, la conclusion inverse se dégage de l’arrêt Lexel. Dans cette affaire, la Cour a examiné la compatibilité avec l’article 49 TFUE de la réglementation suédoise en matière d’impôt sur les sociétés, en particulier les dispositions relatives à la déduction des charges d’intérêts. À l’instar de la réglementation néerlandaise, ces dispositions prévoyaient en substance que, à titre dérogatoire, une telle déduction n’était pas autorisée lorsque le contribuable avait contracté l’emprunt en cause auprès d’une entité liée, sauf s’il était démontré que cet emprunt était principalement justifié par des raisons commerciales et, partant, n’avait pas été contracté dans le seul but de créer une dette déductible. Là aussi, le gouvernement suédois a fait valoir que ces dispositions visaient à prévenir les montages purement artificiels conçus pour éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national. La Cour a considéré que les dispositions suédoises ne pouvaient être justifiées par ce motif, car, selon elle, leur application ne se limitait pas à de tels montages. À cet égard, la Cour a jugé ce qui suit :

« 53      [A]insi que l’a admis, en substance, l’administration fiscale [suédoise] lors de l’audience, ladite clause [dérogatoire au droit à déduction] concerne des dettes résultant de transactions de droit civil sans pour autant uniquement concerner des montages fictifs. Ainsi, selon l’appréciation des objectifs de la transaction en cause faite par l’autorité fiscale, peuvent également tomber sous le coup de la clause dérogatoire les transactions conclues dans des conditions de pleine concurrence, à savoir dans des conditions analogues à celles qui s’appliqueraient entre des sociétés indépendantes.

54      En d’autres termes, l’aspect fictif de la transaction en cause ne constitue pas une condition déterminante pour refuser le droit à déduction, car l’intention de la société concernée de contracter une dette, principalement pour des raisons fiscales, est suffisante pour justifier le refus du droit à déduction. […]

[…]

56      Force est de constater que la clause dérogatoire [au droit à déduction] est susceptible d’inclure dans son champ d’application des transactions conclues dans des conditions de pleine concurrence et qui, par conséquent, ne constituent pas des montages purement artificiels ou fictifs élaborés dans le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national. »

67.      Selon X, il s’ensuit que les autorités fiscales nationales ne peuvent pas considérer un prêt intragroupe (ou l’ensemble des opérations dont il fait partie) comme un montage purement artificiel et refuser, pour ce motif, la déduction des intérêts, simplement parce que ce prêt a été contracté pour des raisons fiscales. Il serait parfaitement légitime pour un groupe de procéder de la sorte. X estime également qu’un tel prêt n’est artificiel que si, et dans la mesure où, les intérêts payés par la société emprunteuse à la société prêteuse dépassent ce que ces sociétés auraient convenu dans des conditions de pleine concurrence, c’est-à-dire si le taux d’intérêt applicable est supérieur au taux du marché que ces sociétés auraient convenu si elles n’avaient pas fait partie du même groupe. En revanche, si un tel prêt est contracté à des conditions de pleine concurrence, il ne saurait, indépendamment de sa finalité, être considéré comme artificiel. Tel est le cas des prêts conclus entre X et F (26).

68.      Toujours selon X, étant donné que l’article 10, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 3, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés se concentre à tort sur la finalité pour laquelle un prêt intragroupe a été contracté (qu’il s’agisse d’évasion fiscale ou de motifs économiques) au lieu de se concentrer sur les conditions applicables à ce prêt, la déduction des intérêts peut être refusée non seulement pour les prêts à taux d’intérêt excessif (qui sont artificiels, comme expliqué ci-dessus), mais aussi pour les prêts auxquels s’applique le taux habituel du marché (et qui, pour cette raison, ne peuvent pas être considérés comme artificiels). Dès lors, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Lexel, le champ d’application de ces dispositions ne se limite pas aux montages purement artificiels, mais s’étend également aux opérations légitimes.

69.      Ce débat est au cœur de la première question posée par la juridiction de renvoi. L’on ne peut évidemment pas déterminer si l’article 10, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ne s’applique qu’aux « montages purement artificiels » lorsque la signification même de cette notion est contestée. Il est tout aussi évident que les gouvernements intervenants et la Commission, d’une part, et X, d’autre part, proposent des approches très différentes à cet égard. La première approche consiste à se concentrer sur la finalité pour laquelle un prêt a été contracté. La seconde se concentre uniquement sur les conditions applicables à ce prêt. La première approche offre aux autorités fiscales néerlandaises une marge de manœuvre nettement plus importante que la seconde, qui, à l’inverse, offre une plus grande certitude aux contribuables (27). En vertu de la première approche, les autorités fiscales nationales peuvent qualifier un prêt intragroupe de « montage purement artificiel » (ou de composante d’un tel « montage ») et refuser, pour ce motif, la déduction des intérêts si ce prêt a été contracté principalement en vue d’obtenir un avantage fiscal, indépendamment des conditions applicables audit prêt. En vertu de la seconde approche, un prêt intragroupe est « immunisé » contre de telles conséquences si ses conditions, y compris le taux d’intérêt, sont, pour ainsi dire, « normales », quand bien même il aurait été contracté à des fins fiscales.

70.      À ce stade, j’entends souligner que, bien que les gouvernements intervenants et la Commission ait consacré une partie considérable de leurs observations à expliquer que « leur » approche n’était pas contraire à l’arrêt Lexel car i) la présente affaire se distinguerait de celle ayant donné lieu à cet arrêt ou ii) ledit arrêt ne saurait être interprété dans le sens suggéré par X, ces explications n’emportent pas ma conviction. Il résulte du point 66 des présentes conclusions que, sur tous les aspects pertinents (28), les dispositions litigieuses du droit néerlandais présentent une ressemblance frappante avec la réglementation en cause dans l’affaire Lexel. En particulier, ces deux réglementations ont une cible identique, à savoir les prêts intragroupe ayant pour seul but (ou pour but principal) l’obtention d’un avantage fiscal. Partant, la question générale est la même, à savoir si et dans quelle mesure un prêt de ce type peut être considéré comme un « montage purement artificiel » (ou comme une composante d’un tel « montage ») et être traité comme tel par les autorités fiscales. En outre, l’arrêt Lexel n’est ni vague ni ambigu et, partant, ne saurait faire l’objet de différentes interprétations sur ce point. À mon avis, il peut être interprété uniquement comme X l’a fait (29). En effet, la Cour a, d’une part, considéré que la finalité pour laquelle le prêt est contracté n’est pas pertinente et, d’autre part, opéré une distinction entre les prêts contractés dans des conditions de pleine concurrence (qu’elle a considérés comme véritables) et ceux qui ne sont pas contractés dans de telles conditions (qu’elle a considérés comme artificiels). Ainsi, la seule question qui demeure est celle de savoir si la Cour devrait, en l’espèce, confirmer l’arrêt Lexel ou s’en écarter.

71.      Selon nous, l’approche suggérée par les gouvernements intervenants et la Commission est la bonne. Par conséquent, j’invite la Cour à revoir la position qu’elle a adoptée dans l’arrêt Lexel en ce qui concerne le problème en cause.

72.      La liberté d’établissement, telle que garantie par l’article 49 TFUE, ouvre assez largement la voie à l’« optimisation » fiscale. La Cour a itérativement jugé que les groupes de sociétés européens peuvent légitimement faire usage de cette liberté pour créer des filiales dans des États membres dans le but de bénéficier d’un régime fiscal favorable (30). Ainsi, comme le fait valoir X, A pouvait légitimement choisir d’établir la banque interne de son groupe, C, en Belgique, précisément dans ce but. De même, C peut très bien accorder des prêts à d’autres sociétés du groupe établies dans d’autres États membres, comme X aux Pays-Bas. Les prêts intragroupe transfrontaliers ne sont pas, en soi, critiquables (31). Certes, un tel prêt peut entraîner une réduction de l’assiette de l’impôt sur les sociétés dû par la société emprunteuse dans l’État membre où elle est établie. En effet, en déduisant les intérêts sur ce prêt de son bénéfice imposable, cette société réduit sa dette fiscale à l’égard de cet État membre. En pratique, certains des bénéfices réalisés par la société emprunteuse sont transférés, sous forme de charges d’intérêts, de l’État membre où elle est établie vers l’État membre où la société prêteuse a son siège. Il s’agit toutefois d’une situation que les États membres doivent, en principe, accepter dans un marché unique et intégré tel que le marché intérieur de l’Union.

73.      Cependant, la Cour a posé une limite claire à cet égard. Il existe un principe général du droit selon lequel nul ne saurait abusivement se prévaloir du droit de l’Union, y compris la liberté d’établissement. C’est à la lumière de ce principe qu’il convient d’interpréter la notion de « montages purement artificiels ». Selon une jurisprudence constante de la Cour, constitue une pratique abusive le fait pour des opérateurs économiques établis dans différents États membres d’effectuer « des opérations purement […] artificielles, dénuées de […] justification économique et commerciale » (ou, en d’autres termes, « qui ne reflètent pas la réalité économique »), en remplissant ainsi uniquement de manière formelle les conditions pour bénéficier d’un avantage fiscal, « dans le but essentiel de bénéficier [de cet] avantage » (32).

74.      En outre, dans son arrêt X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers) (33), la Cour a précisé, en ce qui concerne la libre circulation des capitaux garantie par l’article 63 TFUE, que « la création artificielle des conditions requises pour échapper indûment à l’imposition dans un État membre ou pour bénéficier indûment d’un avantage fiscal dans celui-ci [peut] intervenir, s’agissant de mouvements de capitaux transfrontaliers, sous diverses formes ». Dans ce contexte, elle a jugé que la notion de « montage purement artificiel » est susceptible de couvrir « tout dispositif dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est le transfert artificiel des bénéfices générés en vertu d’activités réalisées sur le territoire d’un État membre vers [un pays tiers] à faible niveau d’imposition. »

75.      Selon moi, cette interprétation vaut également pour les transactions intragroupe relevant de la liberté d’établissement. D’une part, ladite interprétation est parfaitement en phase avec l’explication fournie au point 73 des présentes conclusions. D’autre part, en ce qui concerne une réglementation nationale relative aux transactions intragroupe, telle que la réglementation néerlandaise litigieuse, la libre circulation des capitaux et la liberté d’établissement sont indissociablement liées. En effet, la liberté d’établissement est restreinte dès lors que les capitaux ne peuvent pas circuler librement entre des sociétés d’un même groupe. Partant, cette réglementation pourrait théoriquement être examinée au regard de l’une ou l’autre de ces libertés fondamentales. Il n’y a donc aucune raison d’appliquer des critères différents en fonction de la liberté applicable.

76.      En somme, ainsi que les gouvernements intervenants et la Commission le font valoir, afin de déterminer si un prêt intragroupe constitue un « montage purement artificiel » (ou fait partie d’un tel montage), l’objectif poursuivi par les opérateurs économiques concernés est décisif. Un prêt intragroupe constitue un « montage » de ce type lorsque cette opération a été effectuée uniquement (ou principalement) dans le but de bénéficier d’un avantage fiscal (tel que la déduction des intérêts sur ce prêt du bénéfice imposable), comme le démontre le fait qu’elle est par ailleurs dénuée de justification économique et/ou commerciale (ou, en d’autres termes, qu’elle « ne reflète pas la réalité économique »). La question de savoir si tel est le cas nécessite une appréciation globale des faits et des circonstances pertinents de l’espèce (34).

77.      À cet égard, comme le relève le gouvernement néerlandais et comme la Cour l’a laissé entendre dans l’arrêt Test Claimants II (35), il convient de distinguer deux hypothèses.

78.      D’une part, un contrat de prêt intragroupe conclu pour des motifs économiques et/ou commerciaux valables peut contenir des clauses spécifiques qui « ne reflètent pas la réalité économique ». Un taux d’intérêt excessivement élevé peut être convenu (artificiellement, puisque le groupe paie, en fin de compte, ces intérêts à lui-même) dans le cadre d’une opération par ailleurs légitime, en vue d’obtenir une déduction fiscale tout aussi élevée dans l’État membre où la société emprunteuse est établie. Le principe de pleine concurrence (c’est-à-dire le point de savoir si, dans des circonstances comparables, les mêmes conditions auraient été convenues entre des sociétés non liées) fait office de critère de référence objectif pour déterminer si tel est effectivement le cas (36).

79.      D’autre part, des sociétés liées peuvent également conclure un contrat de prêt globalement dénué de justification économique et/ou commerciale, uniquement (ou principalement) dans le but de générer des paiements d’intérêts par la société emprunteuse. Contrairement à ce que la Cour a jugé au point 54 de l’arrêt Lexel et comme indiqué au point 76 des présentes conclusions, ce motif, démontré par cette absence de justification, constitue une considération déterminante. C’est précisément pour cette raison qu’un tel prêt doit être considéré comme « purement artificiel ». En revanche, la question de savoir si les conditions applicables à ce prêt correspondent à celles qui auraient été convenues par des entités non liées dans des circonstances similaires est dépourvue de pertinence. Ainsi que le fait valoir le gouvernement néerlandais, un tel prêt ne saurait être considéré comme « reflétant la réalité économique » du seul fait que le taux d’intérêt applicable est fixé à la valeur du marché. En réalité, ce prêt « ne reflète pas la réalité économique » dès lors que, en l’absence de la relation entre les sociétés et l’avantage fiscal recherché, il n’aurait jamais été contracté (37). L’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés vise précisément ces dettes artificiellement générées.

80.      Ainsi que le relèvent les gouvernements intervenants et la Commission, si des transactions intragroupe dénuées de justification économique et/ou commerciale ne pouvaient jamais être considérées comme des « montages purement artificiels » lorsqu’elles sont conclues dans des conditions de pleine concurrence, cela entraverait gravement la possibilité pour les autorités fiscales nationales de lutter contre l’évasion fiscale abusive. Le principe de pleine concurrence serait, dans les faits, malencontreusement transformé en une « sphère de sécurité » pour les groupes multinationaux. Leurs conseillers fiscaux astucieux seraient libres d’élaborer toutes sortes de montages alambiqués visant uniquement à éroder l’assiette de l’impôt sur les sociétés dû par une société dans un État membre et à transférer ses bénéfices vers un autre État avec un taux d’imposition plus faible. Dès lors que ces conseillers y insèrent habilement des conditions reflétant celles que l’on retrouve habituellement sur le marché, ces montages seraient « immunisés » contre les mesures de lutte prises par les autorités fiscales (38).

81.      Cela serait d’autant moins souhaitable que les autorités fiscales nationales ont, en vertu du principe général d’interdiction de l’abus du droit de l’Union, non seulement le droit, mais l’obligation d’empêcher que des avantages fiscaux soient obtenus au moyen de « montages purement artificiels ». En effet, des mesures efficaces contre l’évasion fiscale sont essentielles non seulement pour garantir le droit souverain des États membres d’imposer les revenus et les bénéfices générés sur leur territoire, mais aussi pour le fonctionnement du marché intérieur en général. L’évasion fiscale abusive constitue une menace pour la cohésion économique et le bon fonctionnement du marché intérieur, en faussant les conditions de concurrence (39).

82.      L’Union s’est effectivement saisie de cette question, après avoir constaté que les trésors publics des États membres et le fonctionnement du marché intérieur étaient de plus en plus affectés par l’érosion des bases d’imposition et les stratégies de transfert de bénéfices mises en place par les groupes multinationaux. À cet égard, le législateur de l’Union a adopté diverses mesures, dont la directive (UE) 2016/1164 du Conseil, du 12 juillet 2016, établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur (40) (ci-après la « directive 2016/1164 ») (41). L’article 6 de cette directive contient une « clause anti-abus générale », rédigée au regard de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 73 des présentes conclusions et qu’il convient d’interpréter en conséquence (42). Il serait porté atteinte à cette politique si les autorités fiscales nationales ne pouvaient pas traiter des transactions intragroupe dénuées de justification économique et/ou commerciale comme des « montages purement artificiels » lorsqu’elles sont conclues dans des conditions de pleine concurrence. En outre, la « clause anti‑abus » en cause serait largement privée de son effet utile. Ainsi, celle-ci ne couvrirait pas une grande partie des opérations mises en place non pas « pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique », mais « pour obtenir, à titre d’objectif principal […], un avantage fiscal » (pour reprendre les termes de cette disposition).

83.      Pour les raisons qui viennent d’être exposées, j’estime que la Cour devrait, dans la présente affaire, s’écarter des points 53, 54 et 56 de l’arrêt Lexel (43). Constituent des « montages purement artificiels » les prêts intragroupe dénués de justification économique et/ou commerciale, conclus uniquement (ou principalement) dans le but de créer une dette déductible pour la société emprunteuse, qu’ils soient ou non conclus dans des conditions de pleine concurrence. Les dispositions nationales visant de tels prêts doivent être considérées comme nécessaires au regard de l’objectif d’empêcher ces « montages ».

84.      Cela étant précisé, il reste à examiner quelques arguments avancés par X à propos de la portée de l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés.

85.      En premier lieu, X fait valoir que les autorités fiscales néerlandaises peuvent appliquer cette disposition à un ensemble mal défini d’opérations intragroupe, étant donné que la portée de ladite disposition dépend d’une condition formulée en des termes vagues et ambigus à l’article 10a, paragraphe 3, sous a), de cette loi, en vertu duquel il convient de rechercher si l’emprunt et l’opération juridique qui y est liée « se fondent, dans une mesure déterminante, sur des considérations économiques ». Pour cette raison, la réglementation néerlandaise litigieuse ne respecterait pas le principe de sécurité juridique, les sociétés ne pouvant pas prévoir de manière suffisamment précise quelles opérations pourraient être considérées comme abusives par l’administration fiscale.

86.      Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, le principe de sécurité juridique exige, notamment, que les règles de droit soient suffisamment claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les contribuables des conséquences défavorables (44).

87.      À cet égard, je relève que le libellé de la règlementation néerlandaise litigieuse est similaire à celui d’autres clauses anti-abus générales de droit national ou de droit de l’Union. En particulier, l’application de la « clause anti-abus générale » prévue à l’article 6 de la directive 2016/1164 à une transaction donnée dépend également du point de savoir si cette transaction a été effectuée « pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique » et non pas « pour obtenir, à titre d’objectif principal […], un avantage fiscal ». Certes, il s’agit de notions ouvertes qui, par nature, créent un certain degré d’incertitude quant à leur portée. En outre, comme je l’ai indiqué au point 76 des présentes conclusions, la question de savoir si de telles conditions sont remplies dans un cas donné requiert de procéder, au cas par cas, à une appréciation globale d’un ensemble de faits et de circonstances, ce qui crée également un certain degré d’incertitude.

88.      Néanmoins, ce degré d’incertitude est un effet secondaire inévitable et acceptable de telles dispositions anti-abus. Ainsi que l’a relevé l’avocate générale Kokott dans ses conclusions dans l’affaire SGI (45), « [i]l est inévitable […] que des dispositions qui sont censées s’opposer à des pratiques abusives aient recours à des concepts juridiques indéterminés de manière à couvrir le plus grand nombre possible de situations imaginables créées à des fins d’évasion fiscale ». En outre, ces dispositions visent à lutter contre des comportements présentés comme légitimes et qui sont, partant, complexes à appréhender.

89.      Il ne s’ensuit pas que l’application d’une telle réglementation soit laissée à l’entière discrétion de l’administration fiscale, la rendant imprévisible dans ses effets. Ainsi que l’indiquent la juridiction de renvoi et le gouvernement néerlandais, le caractère « purement artificiel » d’un montage donné est déterminé sur la base d’éléments objectifs et vérifiables (46).

90.      Comme indiqué au point 79 des présentes conclusions, la question déterminante est de savoir si, en l’absence de la relation entre les sociétés et l’avantage fiscal recherché, le prêt intragroupe en cause n’aurait jamais été contracté. Le type d’examen qu’il convient d’effectuer au titre d’un tel critère est suffisamment clair. L’appréciation des faits et des circonstances pertinents implique l’examen de la structure d’ensemble et de la finalité apparente du montage dont ce prêt fait partie. Comme l’indique la juridiction de renvoi, il convient, en substance, de se demander, d’une part, si, en l’absence de l’avantage fiscal, le contribuable concerné aurait eu un intérêt à mettre en place le montage en cause et, d’autre part, si la structure du montage apparaît, au regard de son objectif déclaré, trop complexe et, en particulier, si elle comprend des étapes qui, en dehors de leur incidence sur la dette fiscale, apparaissent inutiles. Il s’agit de questions qui ne devraient pas être difficiles à traiter pour les professionnels de la fiscalité et pour les groupes multinationaux de sociétés, qui peuvent régler leur conduite en conséquence (47).

91.      Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi et le gouvernement néerlandais expliquent que, bien que l’acquisition d’une entité externe et le prêt que contracte à cette fin un contribuable auprès d’une entité liée soient généralement considérés comme « fond[és], dans une mesure déterminante, sur des considérations économiques », au sens de l’article 10a, paragraphe 3, sous a), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, le montage mis en place en vue de l’acquisition de F par X a été considéré comme « purement artificiel » en raison de sa nature complexe et des étapes (apparemment) inutiles impliquées. Ces étapes étaient, je le rappelle, i) la redirection des fonds propres de A vers C, ii) la conversion ultérieure de ces fonds en un prêt accordé à X, iii) l’acquisition de F par X, et iv) la constitution d’une unité fiscale unique entre F et X, afin que les intérêts payés par X à C puissent être déduits du bénéfice imposable réalisé par F aux Pays-Bas (48).

92.      En particulier, le fait que le prêt a été accordé à X au moyen de fonds « redirigés » de A entache, à première vue, le montage dans son ensemble. Cela amène à se demander si ce prêt était réellement nécessaire et pourquoi c’est X, au lieu de A, qui a acquis F. La Commission fait valoir que, dans un scénario contrefactuel reflétant la réalité économique, F aurait été acquise par A, cette acquisition impliquant, en soi, un nombre inférieur d’étapes nécessaires. Toutefois, dans ce scénario, X aurait versé, au titre des bénéfices générés par elle et F aux Pays-Bas, des dividendes à A. Une telle distribution n’aurait pas entraîné une réduction de l’impôt sur les sociétés dû aux Pays-Bas. En revanche, dans le cadre du montage par lequel F a été acquise par X au moyen d’un prêt accordé par C avec des fonds redirigés de A, étant donné que X a déduit les intérêts sur ce prêt des bénéfices imposables générés par elle et F aux Pays-Bas, l’impôt dû par ces deux sociétés dans cet État membre a été réduit à presque zéro (49).

93.      Dans une telle situation, la juridiction de renvoi et le gouvernement néerlandais soulignent qu’il incombe au contribuable de justifier à suffisance les motifs économiques et/ou commerciaux qui sous-tendent les étapes du montage et, en particulier, la « redirection » des fonds prêtés. Conformément à la jurisprudence de la Cour, le contribuable est dûment mis en mesure, sans être soumis à des contraintes administratives excessives, de produire des éléments de preuve à cet égard (50). En outre, si, au regard des explications et des éléments de preuve fournis par le contribuable, les autorités fiscales considèrent toujours le montage comme artificiel, ce contribuable peut contester en justice leur décision. Dans l’affaire au principal, X n’a tout simplement pas réussi à produire de tels éléments et les juridictions nationales ont confirmé la décision des autorités fiscales.

94.      X rétorque que la question de savoir quels sont les motifs économiques et/ou commerciaux qui peuvent être valablement invoqués pour justifier une telle « redirection » de fonds n’a pas été clarifiée dans la pratique des autorités fiscales et des juridictions néerlandaises. Jusqu’à présent, les explications auraient toujours été rejetées. En outre, ces autorités et juridictions n’auraient pas tenu compte, à cet égard, des considérations tenant à la structure du groupe en cause, telles que le rôle clé généralement joué par la société prêteuse (comme C en l’espèce) dans le financement de ce groupe (51).

95.      Selon moi, la mise en œuvre d’une clause anti-abus, telle que l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, recèlera toujours des zones grises. Cela ne rend pas pour autant cette clause incompatible avec le principe de sécurité juridique. En l’espèce, la pratique des autorités fiscales et des juridictions néerlandaises clarifiera progressivement la problématique mise en exergue par X. À cet égard, je me bornerai à relever que, lorsqu’elle apprécient si un montage doit être considéré comme artificiel ou économiquement justifié, les autorités fiscales et les juridictions devraient prendre en considération tous les motifs économiques valables, y compris financiers (52). L’on ne peut exclure que le motif invoqué par X soit qualifié de la sorte. Il appartiendrait à la juridiction de renvoi d’apprécier cette question.

96.      En second lieu, X conteste la répartition de la charge de la preuve résultant des dispositions litigieuses du droit néerlandais. En particulier, celui-ci fait valoir que l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés instaure une présomption générale d’abus, allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (53). Les autorités fiscales néerlandaises peuvent, sur le fondement de cette disposition, refuser à un contribuable la déduction des intérêts qu’il paie sur un prêt intragroupe sans qu’elles soient tenues de fournir ne serait-ce qu’un commencement de preuve ou d’indice d’abus, alors qu’il appartient à cette entité de prouver, en vertu de l’article 10a, paragraphe 3, sous a), de cette loi, que le prêt et l’opération juridique qui y est liée se fondent, dans une mesure déterminante, sur des considérations économiques.

97.      Je ne partage pas cette position. Force est de constater que, lorsque les autorités fiscales nationales entendent refuser un avantage fiscal à un contribuable pour des motifs d’abus, il leur appartient, de manière générale, d’établir que ce dernier tente d’obtenir cet avantage au moyen d’un « montage purement artificiel », en tenant compte de l’ensemble des faits et circonstances pertinents de l’espèce, au regard des critères examinés ci-dessus (54). Cela ne signifie pas pour autant que les États membres sont empêchés d’instaurer des présomptions légales dans leur droit national, à condition que celles-ci soient spécifiques et fondées sur des motifs suffisants.

98.      En l’espèce, l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ainsi que l’obligation pour le contribuable de justifier le caractère véritable du montage en cause ne s’appliquent, en principe, que lorsqu’un contribuable contracte un prêt intragroupe auprès d’une entité liée établie dans un autre État membre, où les intérêts perçus par cette dernière ne sont pas imposés ou ne sont pas imposés à un taux raisonnable (55). Ces circonstances spécifiques peuvent légitimement être considérées comme des indices d’un comportement susceptible de constituer une fraude fiscale abusive, justifiant un renversement de la charge de la preuve (56).

99.      Une fois que les autorités fiscales nationales ont établi qu’un tel prêt intragroupe relève du champ d’application de cette disposition et, partant, est susceptible d’avoir été contracté à des fins d’évasion fiscale, il n’est pas excessif qu’elles exigent du contribuable qu’il rapporte la preuve du caractère économique et/ou commercial du montage et qu’elles refusent la déduction des intérêts sur ce prêt s’il n’y parvient pas (57). En fin de compte, le contribuable est le mieux placé pour fournir les explications et les éléments de preuve quant aux motifs des opérations qu’il effectue. Par ailleurs, la Cour a itérativement jugé que « rien n’empêche les autorités fiscales concernées d’exiger du contribuable les preuves qu’elles jugent nécessaires pour l’établissement concret des impôts […] et, le cas échéant, de refuser l’[avantage] demandé si ces preuves ne sont pas fournies » (58).

b)      Le fait de qualifier une opération de montage purement artificiel ne produit pas des conséquences excessives

100. En vertu de l’article 10a, paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, lorsqu’il est constaté qu’un prêt intragroupe constitue un montage purement artificiel (dans les conditions examinées dans la sous-section précédente), la déduction des intérêts sur ce prêt est intégralement refusée lors de la détermination du bénéfice du contribuable emprunteur aux Pays-Bas.

101. Tout en considérant qu’une telle conséquence découle logiquement de la constatation du caractère artificiel du prêt, la juridiction de renvoi se demande néanmoins (en particulier par sa deuxième question préjudicielle) si, au regard du point 51 de l’arrêt Lexel, un refus total du droit à déduction va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. En effet, la Cour a jugé, à ce point, que, lorsque les autorités fiscales considèrent qu’un prêt contracté par un contribuable auprès d’une entité liée constitue un montage purement artificiel, « le principe de proportionnalité requiert que le refus du droit à déduction se limite à la fraction des intérêts qui dépasse ce qui aurait été convenu en l’absence de relations spéciales entre les parties » (59).

102. Je partage la position des gouvernements intervenants et de la Commission selon laquelle tel n’est pas le cas. À cet égard, il convient également de distinguer ici les deux hypothèses évoquées aux points 78 et 79 des présentes conclusions.

103. D’une part, lorsque le caractère artificiel résulte du taux d’intérêt exceptionnellement élevé sur un prêt intragroupe qui est par ailleurs authentique, la solution conforme au principe de proportionnalité est d’amputer la fraction des intérêts qui dépasse le taux habituel du marché. Le refus de toute déduction de ces intérêts irait au-delà de l’objectif de prévention des montages purement artificiels.

104. D’autre part, lorsque le prêt est, en soi, dénué de justification économique et/ou commerciale et que, en l’absence de la relation entre les sociétés et l’avantage fiscal recherché, il n’aurait jamais été contracté, il est parfaitement logique et proportionné de refuser la déduction de l’intégralité des intérêts, et non seulement d’une fraction de ceux-ci. En effet, un tel montage purement artificiel doit être ignoré par les autorités fiscales lors du calcul de l’impôt sur les sociétés dû. Sans le prêt, il n’y a pas d’intérêts à déduire.

105. Si, dans la seconde hypothèse, les autorités fiscales refusaient la déduction d’une fraction seulement des intérêts sur le prêt, la cohérence du régime anti-abus serait remise en cause. En effet, le contribuable finirait par obtenir une partie (ou même l’intégralité) de l’avantage fiscal recherché par des moyens abusifs, contrairement à l’objectif poursuivi (60).

V.      Conclusion

106. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) de la manière suivante :

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, dans la détermination du bénéfice du contribuable, les intérêts sur un emprunt contracté auprès d’une entité liée au contribuable ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une déduction lorsque cet emprunt a été principalement motivé non pas par des considérations économiques, mais par l’objectif de créer une dette déductible, même si le taux d’intérêt sur ledit emprunt ne dépasse pas le taux qui aurait été convenu entre des entreprises indépendantes. Dans ce cas de figure, la déduction des intérêts doit être intégralement refusée.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Arrêt du 20 janvier 2021, Lexel (C‑484/19, ci-après l’« arrêt Lexel », EU:C:2021:34).


3      En effet, un tel montage peut comporter plusieurs étapes, l’une d’entre elles étant l’emprunt (voir, par exemple, point 92 des présentes conclusions).


4      Voir, notamment, arrêt du 16 février 2023, Gallaher (C‑707/20, ci-après l’« arrêt Gallaher », EU:C:2023:101, point 55 et jurisprudence citée).


5      Arrêt Gallaher, points 56 à 58 et jurisprudence citée.


6      Voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2022, Finanzamt Bremen (C‑431/21, EU:C:2022:792, points 25 et 26).


7      Bien que le droit national en cause ait également des effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux (voir point 75 des présentes conclusions), ces effets constituent un aspect accessoire d’une telle entrave à la liberté d’établissement, de sorte qu’un examen autonome n’est pas nécessaire. Voir arrêt Gallaher, point 61 et jurisprudence citée.


8      Voir, notamment, arrêt du 8 octobre 2020, Impresa Pizzarotti (Avantage anormal consenti à une société non‑résidente) (C‑558/19, EU:C:2020:806, point 21).


9      Le gouvernement néerlandais se réfère, par analogie, aux points 69 à 74 de l’arrêt Gallaher.


10      Arrêt du 21 décembre 2023, Cofidis (C‑340/22, EU:C:2023:1019, point 40 et jurisprudence citée).


11      Voir, par analogie, arrêt du 22 février 2018, X et X (C‑398/16 et C‑399/16, ci-après l’« arrêt X et X », EU:C:2018:110, point 32).


12      Point 35 à 41.


13      Voir également, en ce sens, arrêt du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C‑524/04, ci-après l’« arrêt Test Claimants II », EU:C:2007:161, point 95).


14      Voir, par analogie, arrêt X et X, point 35.


15      Voir arrêt Lexel, points 12 et 38.


16      Voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2021, Real Vida Seguros (C‑449/20, EU:C:2021:721, points 20 et 21).


17      Arrêt du 30 janvier 2020 (C‑156/17, EU:C:2020:51, point 56).


18      Voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach (C‑437/17, EU:C:2018:627, point 24).


19      Voir, notamment, arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C‑196/04, EU:C:2006:544, points 51 et 55).


20      En ce qui concerne ces notions, voir point 22 des présentes conclusions.


21      Arrêt X et X, point 48.


22      Voir, notamment, arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a. (C‑391/20, EU:C:2022:638, points 74 et 75 ainsi que jurisprudence citée).


23      Voir, par analogie, arrêt Test Claimants II, point 77.


24      Voir, par analogie, arrêt du 12 décembre 2002, Lankhorst-Hohorst (C‑324/00, EU:C:2002:749, point 37).


25      Arrêt Test Claimants II, point 79.


26      X estime que cela est démontré par le fait qu’une banque commerciale non liée a offert un prêt aux mêmes conditions.


27      À cet égard, voir points 80 et 87 des présentes conclusions.


28      En premier lieu, les gouvernements intervenants et la Commission soulignent que la réglementation suédoise s’appliquait distinctement aux situations purement internes et aux situations transfrontalières, ce qui n’est pas le cas de la réglementation néerlandaise (voir section B des présentes conclusions). Toutefois, cette différence est dénuée de pertinence aux fins de l’interprétation de la notion de « montages purement artificiels ». En second lieu, la Commission fait valoir que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Lexel, tant la restructuration interne pour laquelle les prêts en cause avaient été accordés que les prêts eux-mêmes reposaient sur des motifs commerciaux valables et seules les conditions applicables aux prêts étaient artificielles. Je ne suis pas certain que tel ait bien été le cas et, en tout état de cause, dans l’arrêt Lexel, la Cour a formulé son raisonnement en des termes généraux, sans rapport avec les circonstances particulières de cette affaire.


29      Voir, pour la même interprétation, van der Weijden, M., « ECJ Lexel AB Decision casts a Shadow Over Dutch Interest Limitation Disposition », European Tax Blog, 21 juin 2021 ; et Garcia Prats, G., e.a., « Opinion Statement ECJ-TF 1/2021 on the ECJ Decision of 20 January 2021 in Lexel AB (Case C‑484/19) Concerning the Application of the Swedish Interest Deductibility Rules (30 juin 2021) », European Taxation, vol. 61, no 6, 2021.


30      Voir, notamment, arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C‑196/04, EU:C:2006:544, points 34 à 38).


31      Voir arrêt Test Claimants II, point 73.


32      Voir, notamment, arrêt du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, points 93, 124 et 125 ainsi que jurisprudence citée).


33      Arrêt du 26 février 2019 (C‑135/17, EU:C:2019:136, point 84).


34      En ce qui concerne ce dernier élément, voir arrêt du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 125 et jurisprudence citée).


35      Point 81.


36      Voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, points 58 et 71 ainsi que jurisprudence citée). Voir également article 9 du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune élaboré par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).


37      Voir arrêt Test Claimants II, point 81.


38      Selon moi, le principe de pleine concurrence existe afin d’éviter que des opérations économiquement justifiées soient indûment manipulées à des fins fiscales. Il ne devrait pas être utilisé pour légitimer des opérations qui étaient d’emblée dénuées de justification économique.


39      Voir arrêt du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 107).


40      JO 2016, L 193, p. 1.


41      Voir également directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018, modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration (JO 2018, L 139, p. 1).


42      Je relève que la directive 2016/1164 n’est pas applicable ratione temporis à l’affaire au principal. En effet, les dispositions de cette directive s’appliquent depuis le 1er janvier 2019. Les faits de l’espèce se sont déroulés avant cette date.


43      Je comprends la difficulté dans laquelle la Cour se trouverait si elle devait faire sienne mon appréciation. L’arrêt Lexel a été rendu par une chambre de cinq juges, tout comme le sera l’arrêt à intervenir dans la présente affaire. Toutefois, étant donné que les points en cause de l’arrêt Lexel ne reflètent pas la notion de « montage purement artificiel » telle qu’elle se dégage généralement de la jurisprudence, qui comprend des arrêts rendus en grande chambre, aussi bien avant qu’après l’arrêt Lexel (voir points 73 et 74 ci-dessus), l’on peut estimer que cet arrêt a déjà été implicitement infirmé. La Cour n’a pas besoin de l’autorité de la grande chambre pour confirmer cela dans la présente affaire.


44      Voir, notamment, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386, points 74, 76 et 77 ainsi que jurisprudence citée).


45      Conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire SGI (C‑311/08, EU:C:2009:545, point 70).


46      Voir, sur cette exigence, arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 71 et jurisprudence citée).


47      Voir, par analogie, mes conclusions dans l’affaire Belgian Association of Tax Lawyers e.a. (C‑623/22, EU:C:2024:189, points 93 à 103 ainsi que jurisprudence citée).


48      Voir points 8 et 10 des présentes conclusions.


49      Voir point 10 des présentes conclusions.


50      Voir, notamment, arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 71 et jurisprudence citée).


51      X explique que, eu égard à la structure du groupe de A, le montage en cause aurait dû être considéré comme économiquement justifié. En effet, le financement général du groupe est centralisé au niveau de C (voir point 7 des présentes conclusions), qui dispose de ressources humaines et d’actifs importants alloués à cet effet. C’est la raison pour laquelle l’acquisition de F a été réalisée au moyen d’un prêt accordé par C. A transfère régulièrement des fonds à C simplement parce que cette dernière a besoin de capital pour exercer ses activités.


52      Voir, par analogie, considérant 11 de la directive 2016/1164.


53      X se réfère aux arrêts du 7 septembre 2017, Eqiom et Enka (C‑6/16, EU:C:2017:641, points 31, 32 et 36), et du 20 décembre 2017, Deister Holding et Juhler Holding (C‑504/16 et C‑613/16, EU:C:2017:1009, points 61 et 62).


54      Voir, par analogie, arrêt du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 142).


55      Dès lors que les intérêts sont imposés à un taux raisonnable dans l’autre État membre, la condition énoncée à l’article 10a, paragraphe 3, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés s’applique et la déduction ne peut pas être refusée, comme je l’ai indiqué à la section B des présentes conclusions.


56      Voir, par analogie, arrêt du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers) (C‑135/17, EU:C:2019:136, point 86). Voir, à l’inverse, arrêt du 20 décembre 2017, Deister Holding et Juhler Holding (C‑504/16 et C‑613/16, EU:C:2017:1009, points 65, 67 et 71). De toute évidence, le législateur de l’Union partage ce point de vue. À cet égard, l’annexe IV de la directive 2011/16 contient, aux fins des obligations de déclaration prévues par cette directive, une liste de « marqueurs », c’est-à-dire des caractéristiques ou particularités des montages qui « indique[nt] un risque potentiel d’évasion fiscale » (voir article 3, point 20, de cette directive). Il convient de relever que, aux termes du point C, paragraphe 1, sous d), de la partie II de cette annexe, peut constituer un tel « marqueur » le montage « qui prévoit la déduction des paiements transfrontières effectués entre deux ou plusieurs entreprises associées lorsque […] le paiement bénéficie d’un régime fiscal préférentiel dans la juridiction où le bénéficiaire réside à des fins fiscales ».


57      Voir, en ce sens, arrêts du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 73), et du 5 juillet 2012, SIAT (C‑318/10, EU:C:2012:415, point 53).


58      Voir, notamment, arrêt du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 141 et jurisprudence citée).


59      Voir, également, arrêt Test Claimants II, point 83.


60      Lors de l’audience, la Cour a demandé aux parties intervenantes si les autorités fiscales ne devaient pas qualifier de distribution (déguisée) les intérêts versés par la société emprunteuse à la société prêteuse (voir, à cet égard, point 92 des présentes conclusions). En effet, si elles retenaient une telle qualification, la dette fiscale de la société emprunteuse pourrait augmenter considérablement, non seulement parce que le bénéfice imposable ne pourrait pas être réduit du montant des intérêts versés, mais également parce que, en qualifiant ces intérêts de distribution, en fonction des règles fiscales applicables, cette société pourrait être soumise à l’impôt sur les sociétés au moment de cette opération (voir, par analogie, arrêt Test Claimants II, points 38 et 39). Il me semble que, ainsi que la Commission l’a soutenu lors de l’audience, le fait pour les autorités fiscales de procéder de la sorte serait effectivement proportionné et, partant, compatible avec le droit de l’Union. Toutefois, il appartient aux autorités fiscales nationales de décider de la qualification appropriée des intérêts, au regard de leur droit national (voir, par analogie, article 6, paragraphe 3, de la directive 2016/1164).