Language of document : ECLI:EU:T:2009:245

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

2 juillet 2009 (*)

« Référé – Notes de débit – Demande de sursis à exécution –Méconnaissance des exigences de forme – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑246/09 R,

Conseil scientifique international pour le développement des îles (Insula), établi à Paris (France), représenté par Mes P. Marsal et J.-D. Simonet, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de deux notes de débit imposant le remboursement de sommes d’argent versées au requérant dans le cadre de contrats de subvention,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige, procédure et conclusions du requérant

1        La présente demande en référé concerne deux contrats qui ont été conclus, respectivement, en 2000 et en 2002 entre le requérant, le Conseil scientifique international pour le développement des îles (Insula), et la Commission des Communautés européennes et qui s’inscrivent dans le cadre d’un programme communautaire de recherche, de développement technologique et de démonstration dans le domaine de la société de l’information. Ces contrats, soumis au droit belge et relevant de la compétence exclusive de la Cour de justice des Communautés européennes en vertu d’une clause compromissoire, prévoient le financement communautaire des coûts éligibles de plusieurs projets. À ce titre, le requérant a reçu des paiements de la part de la Commission.

2        À la suite d’une vérification, par des agents de la Commission, du financement de huit projets dans lesquels le requérant était impliqué, la Commission lui a envoyé, en mai 2007, un rapport d’audit indiquant que la majeure partie des frais invoqués n’était pas remboursable en raison du non-respect des obligations contractuelles en matière de comptabilité. En dépit des arguments présentés par le requérant, la Commission a émis, en 2008 et en 2009, plusieurs notes de débit qui portent, en définitive, sur un montant global de 189 241,64 euros.

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juin 2009, le requérant a introduit un recours visant, en substance, à déclarer que les notes de débit de la Commission tendant à obtenir le remboursement d’un montant de 189 241,64 euros étaient non fondées et, par conséquent, à la condamner à émettre une note de crédit à hauteur de ce montant.

4        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution desdites notes de débit jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au principal.

 En droit

5        En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

6        Dès lors que le non-respect du règlement de procédure du Tribunal constitue une fin de non-recevoir d’ordre public, il appartient au juge des référés d’examiner d’office in limine litis si les dispositions applicables de ce règlement ont été respectées (ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 43, et du 2 août 2006, BA.LA. Di Lanciotti Vittorio e.a./Commission, T‑163/06 R, non publiée au Recueil, point 35).

7        À cet égard, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets avant même la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

8        En outre, en vertu de l’article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure, la demande doit notamment être présentée par acte séparé et conformément aux exigences de l’article 44 de ce même règlement, et en particulier conformément à celle qui y est énoncée au paragraphe 1, sous c), selon laquelle toute requête doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués.

9        Il découle d’une lecture combinée de ces dispositions du règlement de procédure qu’une demande relative à des mesures provisoires doit, à elle seule, permettre à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’une telle demande soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la requête en référé. Si ce texte peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête en référé, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels dans celle-ci (ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T‑236/00 R, Rec. p. II‑15, point 34 ; Aden e.a./Conseil et Commission, précitée, point 52 ; du 25 juin 2003, Schmitt/AER, T‑175/03 R, RecFP p. I‑A‑175 et II‑883, point 18 ; du 23 mai 2005, Dimos Ano Liosion e.a./Commission, T‑85/05 R, Rec. p. II‑1721, point 37, et du 13 décembre 2006, Huta Częstochowa/Commission, T‑288/06 R, non publiée au Recueil, point 12).

10      Par ailleurs, le point 68 des Instructions pratiques du Tribunal aux parties (JO 2007, L 232, p. 7) prévoit expressément que « [l]a demande […] doit être compréhensible par elle-même, sans qu’il soit nécessaire de se référer à la requête dans l’affaire au principal ».

11      En l’espèce, s’agissant de la condition relative au fumus boni juris, il y a lieu de constater que, dans la demande en référé, le requérant se borne à exposer ce qui suit :

« [D]ans la procédure au principal, l[e] requéran[t] soulève quatre séries de moyens. Par la première série de moyens, [il] conteste l’exigibilité de la créance revendiquée par la Commission. Par la seconde, [il] fait valoir l’inexécution par la Commission de ses propres obligations contractuelles, qui lui a notamment fait perdre la possibilité de mener le projet à bonne fin. Par la troisième, [il] revendique un droit à indemnité pour les prestations exécutées. Par la quatrième série de moyens, [il] invoque le non-respect par la Commission du principe de bonne administration et des droits de la défense, notamment dans la gestion du processus de vérification et d’audit. »

12      Au vu de ce qui précède, le juge des référés estime que l’argumentation développée par le requérant dans sa demande en référé ne permet pas d’apprécier le caractère à première vue fondé des moyens d’annulation invoqués dans le recours au principal. En effet, la seule énonciation abstraite dans la demande en référé de ces moyens ne répond pas aux exigences des dispositions susmentionnées de l’article 44 et de l’article 104 du règlement de procédure (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance de la Cour du 10 février 2009, Correia de Matos/Commission, C‑290/08 P, non publiée au Recueil, point 19, et la jurisprudence citée). Une telle énonciation n’est pas susceptible de faire l’objet d’une appréciation juridique sommaire permettant au juge des référés d’exercer la mission qui lui incombe en vertu des articles 242 CE et 243 CE (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance de la Cour du 17 mars 2009, Ayyanarsamy/Commission et Allemagne, C‑251/08 P, non publiée au Recueil, point 11, et la jurisprudence citée).

13      Cette absence d’explication suffisante, dans la demande en référé, des motifs du recours au principal, constitutifs d’un éventuel fumus boni juris, ne saurait être compensée ni par les annexes jointes à cette demande ni par la requête au principal déposée au greffe du Tribunal.

14      En effet, si la demande en référé peut être étayée et complétée sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, ces dernières ne sauraient pallier l’absence des éléments essentiels dans ladite demande (voir, en ce sens, ordonnance Aden e.a./Conseil et Commission, précitée, point 52). En effet, il n’incombe pas au juge des référés de rechercher, en lieu et place de la partie concernée, les éléments contenus dans les annexes ou dans la requête au principal qui seraient de nature à corroborer la demande en référé. Une telle obligation mise à la charge du juge des référés serait d’ailleurs de nature à priver d’effet la disposition du règlement de procédure qui prévoit que la demande relative à des mesures provisoires doit être présentée par acte séparé (voir, en ce sens, ordonnance Stauner e.a./Parlement et Commission, précitée, point 37).

15      Il résulte de ce qui précède que la présente demande en référé doit être déclarée irrecevable en ce que l’exposé des motifs qu’elle contient n’est pas conforme aux exigences de l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure et ne permet pas au juge des référés de se prononcer sur la condition relative au fumus boni juris.

16      Dans les circonstances du cas d’espèce, il y a toutefois lieu d’examiner, à titre surabondant, si la condition relative à l’urgence apparaît remplie.

17      Dans ce contexte, le requérant fait valoir qu’il se trouve dans une situation susceptible de mettre sa viabilité financière en péril, si les mesures d’exécution envisagées par la Commission étaient mises en œuvre avant le prononcé de l’arrêt au principal. En effet, constitué sous la forme d’une association à but non lucratif au sens de la loi française du 1er juillet 1901, relative au contrat d’association (JORF du 2 juillet 1901), le requérant serait confronté au risque de fermeture et de liquidation, étant donné que ses liquidités actuelles seraient manifestement insuffisantes pour couvrir les montants exigés par la Commission, qu’il ne serait pas en mesure de mobiliser à brève échéance les ressources nécessaires et que la responsabilité de ses membres, qui sont tous des personnes physiques, serait limitée au montant de leurs apports.

18      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. L’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue ; il suffit qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnance du président du Tribunal du 7 juin 2007, IMS/Commission, T‑346/06 R, Rec. p. II‑1781, points 121 et 123, et la jurisprudence citée). Toutefois, la partie qui s’en prévaut demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable [ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67, et du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 188].

19      Il est également de jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut normalement faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), Rec. p. I‑2865, point 113]. Dans un tel cas de figure, la mesure provisoire sollicitée ne se justifie que s’il apparaît que, en l’absence d’une telle mesure, le requérant se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure au principal (voir ordonnance du président du Tribunal du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 84, et la jurisprudence citée).

20      Il a cependant été jugé que l’insolvabilité éventuelle d’une entreprise n’implique pas nécessairement que la condition relative à l’urgence soit remplie. En effet, dans le cadre de l’examen de la viabilité financière d’une entreprise, l’appréciation de sa situation matérielle peut être effectuée en prenant en considération, notamment, les caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat, ce qui peut amener le juge des référés à estimer que la condition de l’urgence n’est pas remplie malgré l’état d’insolvabilité prévisible de l’entreprise [voir ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2002, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑232/02 P(R), Rec. p. I‑8977, point 56, et la jurisprudence citée].

21      Dans ce contexte, il s’agit d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (ordonnance du président du Tribunal du 4 décembre 2007, Cheminova e.a./Commission, T‑326/07 R, Rec. p. II‑4877, point 102, et la jurisprudence citée).

22      Cette approche repose sur l’idée que les intérêts objectifs de l’entreprise concernée ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes qui la contrôlent. Le caractère grave et irréparable du dommage allégué doit donc être apprécié également par rapport à la situation financière des personnes qui contrôlent l’entreprise. Cette coïncidence des intérêts justifie en particulier que l’intérêt de l’entreprise concernée à survivre ne soit pas apprécié indépendamment de l’intérêt que ceux qui la contrôlent portent à sa pérennité (ordonnance HFB e.a./Commission, précitée, point 62).

23      Il convient d’ajouter que, lorsqu’un litige concerne une infraction aux règles de concurrence qui s’est réalisée à travers la décision d’une association d’entreprises et que, dans ce contexte, il est constaté que les intérêts objectifs de l’association ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des entreprises qui y adhèrent, l’intérêt de l’association à survivre ne peut être apprécié, par le juge des référés saisi d’une demande de sursis à exécution d’une décision de la Commission infligeant une amende à cette association, indépendamment de celui desdites entreprises [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 23 mars 2001, FEG/Commission, C‑7/01 P(R), Rec. p. I‑2559, points 42 à 44].

24      En l’espèce, il est constant que le requérant n’est pas une entreprise exposée au libre jeu de la concurrence, mais une association sans but lucratif. La jurisprudence mentionnée aux points 20 à 23 ci-dessus ne saurait donc trouver une application directe. Il n’en reste pas moins que l’idée sous-jacente de cette jurisprudence est pertinente également pour les relations existant entre une association sans but lucratif et ses membres.

25      Or, s’agissant de la question de savoir si les intérêts objectifs, pécuniaires ou moraux, du requérant, qui s’attachent à sa survie jusqu’à la clôture de la procédure au principal, présentent un caractère autonome par rapport à ceux de ses membres, force est de constater que le requérant n’a produit aucun élément permettant de constater qu’il serait dépositaire, en tant qu’association, d’un intérêt particulier, qui serait digne d’une protection spécifique, distincte de celle des intérêts de ses membres. Il est notamment resté muet sur l’existence d’obstacles s’opposant à ce que ses activités puissent continuer à être exercées, après son éventuelle dissolution, et ce par une autre association qui serait à nouveau créée par ses membres actuels.

26      Il ne saurait donc être exclu qu’il existe une coïncidence objective d’intérêts entre le requérant et ses membres. Par conséquent, pour apprécier si, en cas d’exécution immédiate des notes de débit attaquées, le préjudice que le requérant subirait serait grave et irréparable, il convient de prendre également en considération la situation de ses membres.

27      Or, à supposer même que le requérant soit tenu par des engagements qu’il a contractés en son nom sur son seul patrimoine, sans qu’aucun de ses membres puisse en être tenu personnellement responsable, une telle clause limitative de responsabilité ne s’opposerait pas à ce qu’il soit tenu compte, pour apprécier l’urgence, de la situation financière des membres, aux fins d’assurer la survie du requérant, soit en lui accordant des crédits, soit en lui consentant des sûretés destinées à garantir le remboursement de tels crédits. À cet égard, force est donc de constater que le fait que le requérant n’a évoqué ni la possibilité ni la volonté de ses membres de s’engager financièrement en sa faveur est indifférent.

28      Par ailleurs, même l’absence totale d’intérêt des membres du requérant quant au sort de ce dernier ne serait nullement constitutive d’urgence. À cet égard, il y a lieu de relever que, dans son ordonnance FEG/Commission, précitée (point 46), le président de la Cour a jugé que, même un refus unilatéral d’assistance exprimé par les membres d’une association d’entreprises ne saurait suffire à exclure la prise en compte de la situation financière de ces derniers. L’étendue du dommage allégué ne saurait en effet dépendre de la volonté unilatérale des membres de l’association qui sollicite le sursis à exécution.

29      Du reste, le président du Tribunal a déjà jugé, dans l’ordonnance Aden e.a./Conseil et Commission, précitée (point 118), que le préjudice qui serait constitué par le fait pour une association de devoir cesser son activité ne saurait être considéré comme grave, dès lors que cette association est dépourvue de tout but lucratif.

30      Il s’ensuit que le requérant ne démontre pas qu’il subirait un préjudice grave et irréparable si le sursis à exécution demandé n’était pas octroyé.

31      En conséquence, la demande en référé doit également être rejetée pour défaut d’urgence.

32      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit besoin de la notifier à la Commission.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 2 juillet 2009.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.