Language of document : ECLI:EU:T:2013:502

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

26 septembre 2013 (*)

« Référé – Agriculture – Restitutions à l’exportation – Viande de volaille – Règlement fixant les restitutions à zéro – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑397/13 R,

Tilly-Sabco, établie à Guerlesquin (France), représentée par Mes R. Milchior et F. Le Roquais, avocats,

partie requérante,

soutenue par

République française, représentée par MM. G. de Bergues, D. Colas et Mme C. Candat, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par M. D. Bianchi et Mme K. Skelly, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution du règlement d’exécution (UE) nº 689/2013 de la Commission, du 18 juillet 2013, fixant les restitutions dans le secteur de la viande de volaille (JO L 196, p. 13),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, Tilly-Sabco – filiale à 100 % de la société Sauvaget Agro-Alimentaire qui appartient à 100 % à M. S. –, est une société spécialisée essentiellement dans l’exportation de poulets entiers surgelés vers les pays du Moyen-Orient. Ces destinations et ces produits font partie des pays et des produits qui, en vertu de la réglementation de l’Union européenne pertinente, bénéficient de restitutions à l’exportation. En 2012, 80 % du chiffre d’affaires de la requérante a été réalisé par la commercialisation de tels poulets dans lesdits pays.

2        Dans sa demande en référé, la requérante précise que les produits concernés sont des poulets surgelés dont le poids unitaire est inférieur au poids de ceux vendus frais ou surgelés dans l’Union. Elle souligne qu’il s’agit d’un produit adapté à la demande du marché local.

3        La requérante considère être l’un des deux spécialistes européens de la filière « grand export » en dehors de l’Union de poulets entiers, en affirmant qu’elle-même et la société française Doux portaient, grâce aux restitutions à l’exportation, la totalité des positions des sociétés de l’Union sur ce marché représentant environ 20 % des poulets importés au Moyen-Orient, le solde provenant d’entreprises brésiliennes.

4        Les principes gouvernant les restitutions à l’exportation sont établis par le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement « OCM unique ») (JO L 299, p. 1), tel que modifié.

5        Le chapitre III (« Exportations ») de la partie III (« Échanges avec les pays tiers ») du règlement n° 1234/2007 comprend une section II, consacrée aux restitutions à l’exportation. L’article 162 de ce règlement dispose que, dans la mesure requise pour permettre la réalisation des exportations sur la base des cours ou des prix du marché mondial et dans les limites découlant des accords conclus conformément à l’article 300 CE, la différence entre ces cours ou ces prix et les prix de la Communauté peut être couverte par une restitution à l’exportation pour les produits relevant, notamment, du secteur de la viande de volaille. En vertu de l’article 163 du même règlement, les quantités pouvant être exportées avec restitution sont allouées selon la méthode qui, notamment, est la plus adaptée à la nature du produit et à la situation du marché en cause, permettant l’utilisation la plus efficace possible des ressources disponibles et tenant compte de l’efficacité et de la structure des exportations de la Communauté.

6        L’article 164 du règlement n° 1234/2007, relatif à la fixation de la restitution à l’exportation, est rédigé, en ses paragraphes 2 et 3, comme suit :

« 2.      Les restitutions sont fixées par la Commission.

Elles peuvent l’être :

a)      de façon périodique ;

b)      par voie d’adjudication [...]

Sauf dans les cas de fixation par voie d’adjudication, la liste des produits pour lesquels il est accordé une restitution à l’exportation et le montant de cette restitution sont fixés au moins une fois tous les trois mois. Cependant, les restitutions peuvent être maintenues au même niveau pendant plus de trois mois et, en cas de nécessité, être modifiées dans l’intervalle par la Commission [...]

3.      Lors de la fixation des restitutions applicables à un produit donné, il est tenu compte d’un ou de plusieurs des éléments suivants :

a)      la situation actuelle et les perspectives d’évolution en ce qui concerne :

– les prix du produit considéré et sa disponibilité sur le marché communautaire,

– les prix du produit considéré sur le marché mondial ;

b)      les objectifs de l’organisation commune des marchés, qui consistent à assurer à ces marchés une situation équilibrée et un développement naturel sur le plan du prix et des échanges ;

c)      la nécessité d’éviter des perturbations susceptibles d’entraîner un déséquilibre prolongé entre l’offre et la demande sur le marché communautaire ;

d)      l’aspect économique des exportations envisagées ;

e)      les limites découlant des accords conclus conformément à l’article 300 [CE] ;

f)      la nécessité d’instaurer un équilibre entre l’utilisation des produits de base communautaires dans la fabrication de produits transformés destinés à l’exportation vers des pays tiers et l’utilisation de produits originaires de pays tiers, admis au titre du régime de perfectionnement ;

g)      les frais de commercialisation et les frais de transport les plus favorables à partir des marchés de la Communauté jusqu’aux ports ou autres lieux d’exportation de la Communauté, ainsi que les frais d’acheminement jusqu’aux pays de destination ;

h)      la demande sur le marché communautaire ;

i)      en ce qui concerne les secteurs de la viande porcine, des œufs et de la viande de volaille, la différence entre les prix dans la Communauté et les prix sur le marché mondial pour la quantité de céréales fourragères nécessaire à la production dans la Communauté des produits de ces secteurs. »

7        Conformément à ces règles, la Commission européenne fixe périodiquement, par le biais de règlements d’exécution, le montant des restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille.

8        Depuis l’adoption du règlement (CE) n° 525/2010 de la Commission, du 17 juin 2010, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO L 152, p. 5), le montant de ces restitutions a fait l’objet d’une baisse progressive, en ce qui concerne les produits commercialisés par la requérante, à savoir trois catégories de poulets surgelés, ledit montant ayant d’abord été ramené de 40 euros/100 kg à 32,50 euros/100 kg. Ce dernier montant, après avoir été maintenu dans huit règlements d’exécution successifs, a ensuite été abaissé à 21,70 euros/100 kg, en vertu du règlement d’exécution (UE) nº 962/2012 de la Commission, du 18 octobre 2012, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO L 288, p. 6). Une nouvelle réduction à 10,85 euros/100 kg a été opérée dans le règlement d’exécution (UE) nº 33/2013 de la Commission, du 17 janvier 2013, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO 14, p. 15), ce montant ayant été maintenu par le règlement d’exécution (UE) nº 360/2013 de la Commission, du 18 avril 2013, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO 109, p. 27).

9        Enfin, par le règlement d’exécution (UE) nº 689/2013, du 18 juillet 2013, fixant les restitutions dans le secteur de la viande de volaille (JO L 196, p. 13, ci-après le « règlement attaqué »), la Commission a fixé à zéro le montant des restitutions à l’exportation pour les trois catégories de poulets surgelés en cause.

10      S’agissant de six autres catégories de viande de volaille, le montant des restitutions à l’exportation avait déjà été fixé à zéro dans le règlement d’exécution (UE) nº 1056/2011 de la Commission, du 20 octobre 2011, fixant les restitutions dans le secteur de la viande de volaille (JO L 276, p. 31). Ce montant a été maintenu dans cinq règlements d’exécution successifs, pour être confirmé, en dernier lieu, par le règlement attaqué.

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 août 2013, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation du règlement attaqué. À l’appui de son recours, elle soulève plusieurs moyens tirés, notamment, d’une insuffisance de motivation, d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation du principe de protection de la confiance légitime.

12      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution du règlement attaqué, jusqu’à l’adoption de la décision mettant fin au litige principal ;

–        condamner la Commission aux dépens.

13      Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 22 août 2013, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        réserver les dépens.

14      Par ordonnance du 29 août 2013, le président du Tribunal a admis la République française à intervenir dans la présente affaire de référé au soutien des conclusions de la requérante. La République française a déposé son mémoire en intervention le 18 septembre 2013, dans lequel elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner, jusqu’au prononcé de l’arrêt au fond, le sursis à l’exécution du règlement attaqué ;

–        réserver les dépens.

15      Par ailleurs, le 22 août 2013, la société Doux (voir point 3 ci-dessus) a, pour sa part, introduit un recours visant à l’annulation du règlement attaqué et déposé une demande de procédure accélérée au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal.

 En droit

16      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 17 janvier 2013, Slovénie/Commission, T‑507/12 R, non publiée au Recueil, point 6, et la jurisprudence citée).

17      En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance Slovénie/Commission, précitée, point 7, et la jurisprudence citée).

18      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement (voir ordonnance Slovénie/Commission, précitée, point 8, et la jurisprudence citée).

19      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

20      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur l’urgence

21      La requérante affirme qu’elle subirait un préjudice grave et irréparable si l’exécution du règlement attaqué n’était pas suspendue. Se référant à deux rapports d’expertise comptable, elle précise que son activité dépend des ventes de poulets entiers au Moyen-Orient et qu’elle n’est pas en mesure de survivre économiquement sans les restitutions à l’exportation. Ainsi, en cas de rejet de la demande en référé, la requérante serait en état de cessation de paiement au quatrième trimestre de 2013. En raison de la fixation à zéro des restitutions à l’exportation, elle aurait déjà été obligée de garantir sa capacité financière à honorer l’ensemble de ses engagements financiers actuels. À cette fin, elle aurait décidé d’arrêter tous les nouveaux contrats auprès des éleveurs de poussins destinés à être achetés, abattus, congelés et exportés. Or, cette décision, interrompant brutalement un cycle de production en cours qui s’organise sur quatre années, impliquerait une impossibilité de vendre ces poussins devenus poulets, ce qui entraînerait, à court terme, la disparition de la clientèle à l’export et, par voie de conséquence, la disparition de la société qui ne pourrait survivre en perdant la quasi-totalité de son chiffre d’affaires. La requérante en conclut que, très rapidement avant la fin de l’année 2013, elle connaîtra un risque extrêmement élevé d’être mise en liquidation judiciaire, alors que, en même temps, plus de 4 000 emplois au sein de la filière avicole française, y compris ceux de la requérante, risqueraient de disparaître.

22      Se référant à l’« analyse des prévisions du second semestre [de] 2013 dans l’hypothèse de la poursuite de l’activité grand export » qui figure dans l’un des rapports d’expertise comptable présentés par la requérante, la République française ajoute que, en l’absence de sursis à l’exécution du règlement attaqué, la poursuite de l’activité de la requérante aboutirait à réaliser des pertes énormes, ce qui conduirait non seulement à la placer en cessation de paiement à très brève échéance, mais aurait également pour effet de bouleverser la filière avicole française en affectant, notamment, plusieurs centaines d’éleveurs.

23      Selon la Commission, en revanche, la demande en référé doit être déclarée irrecevable en raison de l’irrecevabilité manifeste du recours en annulation sur lequel elle se greffe, les conditions de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE n’étant pas remplies. En tout état de cause, la requérante ne serait pas parvenue à démontrer l’urgence.

24      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature. Si l’imminence du préjudice allégué ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnance Slovénie/Commission, précitée, point 14, et la jurisprudence citée).

25      En l’espèce, le préjudice allégué par la requérante présente un caractère financier, dans la mesure où il consiste en la prétendue perte d’environ 80 % de son chiffre d’affaires global, perte qui menacerait inévitablement sa survie économique.

26      Or, selon une jurisprudence bien établie, lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient, en principe, s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie qui demande ces mesures se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient [voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour du 7 mars 2013, EDF/Commission, C‑551/12 P(R), non encore publiée au Recueil, point 54, et la jurisprudence citée].

27      Si une perte d’environ 80 % de son chiffre d’affaires global, causée par la fixation à zéro des restitutions à l’exportation, semble de nature à mettre en péril la viabilité financière de la requérante, force est cependant de constater que cette dernière a volontairement choisi un modèle d’entreprise axé essentiellement sur l’exportation vers le Moyen-Orient de poulets surgelés – particulièrement adaptés à la demande du marché local avec un poids unitaire inférieur à celui des poulets vendus sur le marché européen –, dont la rentabilité dépend totalement de l’octroi d’une subvention publique sous forme de restitutions à l’exportation.

28      Quant aux restitutions à l’exportation prévues dans le cadre de l’organisation commune des marchés agricoles, la requérante devait être consciente, en opérateur économique prudent et averti, qu’elles relevaient d’un domaine très réglementé, la Commission intervenant normalement tous les trois mois, en vertu de l’article 164, paragraphe 2, du règlement n° 1234/2007, pour fixer le montant de ces restitutions. Il s’agit ainsi d’un domaine qui comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique, de sorte qu’un opérateur économique, actif dans le secteur économique susceptible de bénéficier desdites restitutions, ne saurait invoquer un droit acquis au maintien d’un avantage, sous forme d’une restitution fixée à un montant déterminé, dont il a bénéficié à un moment donné (voir, en ce sens, arrêts de la Cour 16 mai 1979, Tomadini, 84/78, Rec. p. 1801, point 22, et du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C‑350/88, Rec. p. I‑395, points 33 et 34).

29      Il convient d’ajouter que, aux termes de l’article 162, paragraphe 1, du règlement n° 1234/2007, la différence entre les prix du marché mondial et les prix de la Communauté « peut » être couverte par une restitution à l’exportation pour les produits tels que la viande de volaille. Cette disposition donne ainsi expressément un caractère facultatif à l’octroi des restitutions à l’exportation, de sorte qu’il n’existe aucune obligation juridique, en vertu du règlement n° 1234/2007, de maintenir en permanence le régime de ces restitutions, avec la conséquence que ces dernières peuvent, selon les fluctuations des marchés, être réduites ou même entièrement suspendues (voir, en ce sens, s’agissant d’une disposition semblable en matière d’organisation commune des marchés agricoles, arrêt de la Cour du 14 mars 1973, Westzucker, 57/72, Rec. p. 321, point 6).

30      En l’espèce, la requérante n’invoque aucune autre disposition du règlement n° 1234/2007 qui lui conférerait, en tant qu’opérateur économique établi dans l’Union, un droit subjectif au maintien d’un régime fixant les restitutions à l’exportation à un montant déterminé, et ce contrairement, par exemple, au titulaire d’un certificat d’exportation comportant la fixation à l’avance de la restitution, qui a effectivement un droit acquis à recevoir, lors de l’exportation, la restitution au montant préfixé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 janvier 1978, Union Malt e.a./Commission, 44/77 à 51/77, Rec. p. 57, point 23). Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, le but du régime des restitutions à l’exportation n’est pas de subventionner un exportateur quel qu’il soit, mais de faciliter, si besoin est, les exportations dans le cadre de la réalisation des objectifs de la politique agricole commune, tels que prévus à l’article 39 TFUE, c’est-à-dire, notamment, de stabiliser les marchés et d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ainsi que des prix raisonnables aux consommateurs.

31      De plus, la requérante ne pouvait ignorer que son modèle d’entreprise, fondé exclusivement sur l’exportation de produits qui, de surcroît, n’étaient pas destinés à être commercialisés sur le marché européen, ne correspondait guère à la situation commerciale normale envisagée par le régime des restitutions à l’exportation, à savoir de permettre à l’Union d’écouler ses excédents, présents sur le marché intérieur, du produit en cause vers les pays tiers (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 avril 1992, Wagner, C‑94/91, Rec. p. I‑2765, point 18), cette situation normale étant reflétée dans les considérants des règlements fixant les restitutions à l’exportation depuis 2006 par la formule selon laquelle ces restitutions ne peuvent être accordées que « pour les produits autorisés à circuler librement dans l’Union ».

32      Dans ces circonstances, au lieu de se comporter comme si elle était titulaire d’un marché public lui conférant un droit contractuel au versement pérennisé des restitutions à l’exportation, il aurait incombé à la requérante, en opérateur économique prudent et averti, de faire preuve d’une diligence raisonnable, par exemple, en adoptant des mesures de précaution visant à diversifier sa production et ses débouchés, mesures qui auraient été susceptibles d’assurer sa survie financière ne serait-ce que pour la durée d’un litige relatif à la légalité de la fixation à zéro des restitutions à l’exportation. À défaut d’avoir fait preuve d’une telle diligence, elle doit supporter elle-même le préjudice causé par la variation du montant des restitutions à l’exportation, et ce même en cas de leur fixation à zéro, comme faisant partie des risques de l’entreprise.

33      En effet, selon une jurisprudence bien établie, l’urgence à ordonner une mesure provisoire doit résulter des effets produits par le seul acte litigieux et non d’un manque de diligence de la partie qui sollicite ladite mesure (ordonnance du président du Tribunal du 15 juillet 2008, CLL Centres de langues/Commission, T‑202/08 R, non publiée au Recueil, point 73 ; voir également, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 28 mai 1975, Könecke/Commission, 44/75 R, Rec. p. 637, point 3, et du 22 avril 1994, Commission/Belgique, C‑87/94 R, Rec. p. I‑1395, points 38 et 42).

34      Selon cette même jurisprudence, à défaut d’avoir fait preuve de toute la diligence dont devrait faire preuve une entreprise prudente et avertie, la partie qui demande des mesures provisoires doit supporter même des préjudices dont elle prétend qu’ils sont susceptibles de mettre en péril son existence ou de modifier de manière irrémédiable sa position sur le marché (voir, en ce sens, ordonnance CLL Centres de langues/Commission, précitée, point 74, et ordonnance du président du Tribunal du 1er février 2001, Free Trade Foods/Commission, T‑350/00 R, Rec. p. II‑493, points 50, 51 et 59). Ainsi, le président de la Cour a rejeté une demande de sursis à l’exécution d’une décision interdisant la commercialisation d’un produit, au motif qu’un préjudice financier susceptible de mettre en péril l’existence même de l’entreprise requérante ne justifiait pas l’octroi du sursis à exécution sollicité, du fait que le marché du produit concerné sur lequel opérait cette entreprise était hautement réglementé et que les autorités compétentes pouvaient être conduites à intervenir rapidement, de sorte qu’il incombait aux entreprises actives sur ce marché, sauf à devoir supporter elles-mêmes le préjudice résultant d’une telle intervention, de se prémunir contre les conséquences de celle-ci par une politique appropriée [ordonnance du 11 avril 2001, Commission/Bruno Farmaceutici e.a., C‑474/00 P(R), Rec. p. I‑2909, points 107 à 109].

35      Or, en l’espèce, la requérante devait d’autant plus entamer une politique appropriée de diversification que la fixation à zéro des restitutions à l’exportation en vertu du règlement attaqué ne pouvait, à la date pertinente, être qualifiée de brusque et d’imprévisible, mais qu’elle constituait l’étape finale d’un processus de réduction progressive qui avait commencé en 2010 et dans le cadre duquel certaines restitutions avaient déjà été fixées à zéro en 2011 (voir points 8 à 10 ci-dessus). Au demeurant, il est notoire que les débats menés au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) portent depuis longtemps déjà sur la légitimité générale des subventions aux exportations agricoles, ce qui devait inciter la requérante à la vigilance en abandonnant progressivement sa forte dépendance aux restitutions à l’exportation.

36      La République française s’oppose à l’invocation, en matière de fixation des restitutions à l’exportation, dudit processus de réduction progressive ou des discussions menées sur le plan international. Selon elle, la Commission était obligée, en vertu des dispositions de l’article 162, paragraphe 1, et de l’article 164, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 1234/2007, de prendre sa décision en tenant essentiellement compte de l’évolution des prix de la volaille au sein de l’Union et des prix de la volaille au Moyen-Orient, ces derniers prix étant fortement influencés par le niveau bas des prix brésiliens (voir point 3 ci-dessus).

37      Cet argument ne saurait toutefois être retenu, puisqu’il méconnaît la distinction qu’il convient de faire entre, d’une part, le caractère facultatif de l’octroi d’une restitution à l’exportation en vertu de l’article 162, paragraphe 1, du règlement n° 1234/2007, selon lequel la Commission « peut » couvrir la différence entre les prix du marché mondial et les prix de l’Union, et, d’autre part, les paramètres à respecter dans l’hypothèse où une telle restitution serait effectivement fixée à un montant positif. Ainsi, il ne saurait être reproché à la Commission de s’être laissée guider par des considérations étrangères aux critères de l’article 164, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 1234/2007, lorsqu’elle a décidé de supprimer de facto, par le règlement attaqué, les restitutions à l’exportation dont la requérante avait bénéficié auparavant.

38      Par ailleurs, d’une part, si la requérante et la République française ont étayé leur allégation de préjudice grave et irréparable qui serait causé à la première par la perte de ses exportations de poulets surgelés vers le Moyen-Orient, elles sont restées silencieuses quant à la faculté qui pourrait lui être ouverte de compenser cette perte soit par des exportations vers d’autres marchés, soit par la vente de ses produits sur le marché intérieur, après leur éventuelle adaptation aux besoins spécifiques de ce marché. La requérante et la République française n’ont notamment pas établi, ni même prétendu, qu’une telle compensation serait impossible.

39      D’autre part, il est constant que la requérante est une filiale à 100 % de la société Sauvaget Agro-Alimentaire laquelle appartient, quant à elle, à 100 % à M. S.

40      Or, il est de jurisprudence constante que, pour apprécier la situation matérielle d’une société, notamment sa viabilité financière, il convient de tenir compte des caractéristiques du groupe de sociétés auquel elle se rattache, directement ou indirectement, par son actionnariat et, en particulier, des ressources dont dispose globalement ce groupe [voir, en ce sens et par analogie, ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 1999, DSR‑Senator Lines/Commission, C‑364/99 P(R), Rec. p. I‑8733, point 49 ; du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 44, et du président du Tribunal du 13 juillet 2006, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06 R, Rec. p. II‑2491, point 111], ce qui peut amener le juge des référés à estimer que la condition de l’urgence n’est pas remplie malgré l’état d’insolvabilité prévisible de la requérante, prise individuellement [voir ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2002, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑232/02 P(R), Rec. p. I‑8977, point 56, et la jurisprudence citée]. Il s’agit donc d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave et d’irréparable compte tenu des caractéristiques du groupe auquel appartient la requérante [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C‑43/98 P(R), Rec. p. I‑1815, point 36, et la jurisprudence citée].

41      Cette prise en considération de la puissance financière du groupe auquel appartient la requérante repose sur l’idée que les intérêts objectifs de cette société ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes qui la contrôlent ou qui sont membres du même groupe. Le caractère grave et irréparable du préjudice allégué doit donc être apprécié au niveau du groupe que ces personnes composent. Cette coïncidence des intérêts justifie que l’intérêt de la requérante à poursuivre son activité ne soit pas apprécié indépendamment de l’intérêt que portent à sa pérennité ceux qui la contrôlent ou sont membres du même groupe (voir, en ce sens, ordonnance Ziegler/Commission, précitée, point 46, et la jurisprudence citée, et ordonnance du président du Tribunal du 18 juin 2008, Dow AgroSciences/Commission, T‑475/07 R, non publiée au Recueil, point 79), étant précisé que cette approche s’applique non seulement à des personnes morales, mais aussi à des personnes physiques ayant le contrôle économique de la requérante [ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 64 ; DSR-Senator Lines/Commission, précitée, point 50, et Ziegler/Commission, précitée, point 46].

42      Il s’ensuit que la requérante, afin de démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice allégué, aurait dû soit fournir tous les éléments permettant au juge des référés d’apprécier les caractéristiques financières du groupe auquel elle appartient – tant celles de la société Sauvaget Agro-Alimentaire que celles de M. S. –, soit démontrer l’autonomie de ses intérêts objectifs par rapport à ceux de son groupe. Toutefois, la requérante n’a fourni aucun élément de cette nature, qui aurait permis au juge des référés d’examiner la pertinence du concept de groupe dans le cas d’espèce ou d’apprécier le caractère grave et irréparable du préjudice allégué, en le mettant en rapport avec le chiffre d’affaires total du groupe auquel elle appartient.

43      Par conséquent, la requérante n’a pas davantage établi l’urgence au regard de la jurisprudence relative à la prise en considération des caractéristiques du groupe auquel elle appartient.

44      Enfin, dans la mesure où la requérante et la République française invoquent le préjudice que subiraient les employés de la première, ceux d’autres producteurs de volaille et le secteur avicole français tout entier, il est de jurisprudence bien établie qu’elles ne sauraient se prévaloir d’une atteinte portée à un intérêt qui n’est pas personnel à la requérante, telle, par exemple, une atteinte aux droits de tiers, afin d’établir que la condition relative à l’urgence est remplie [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 24 mars 2009, Cheminova e.a./Commission, C‑60/08 P(R), non publiée au Recueil, point 35, et du président du Tribunal du 10 novembre 2004, Wam/Commission, T‑316/04 R, Rec. p. II‑3917, point 28]. Dès lors, le préjudice subi par des employés et par d’autres entreprises du secteur concerné ne saurait utilement être invoqué pour étayer le caractère urgent du sursis à exécution demandé. En effet, dans ce cas, il ne s’agirait pas d’atteintes portées à des intérêts personnels de la requérante [voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 2 août 2006, Aughinish Alumina/Commission, T‑69/06 R, non publiée au Recueil, point 81 ; du 19 juillet 2007, du 18 février 2008, Jurado Hermanos/OHMI (JURODO), T‑410/07 R, non publiée au Recueil, points 50 et 51, et du 14 mars 2008, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑467/07 R, non publiée au Recueil, point 104].

45      Il résulte de tout ce qui précède que la condition relative à l’urgence fait défaut en l’espèce.

46      Cette solution est cohérente avec la mise en balance des différents intérêts en présence.

 Sur la mise en balance des intérêts

47      Il est de jurisprudence bien établie que, dans le cadre de la mise en balance des différents intérêts en présence, le juge des référés doit déterminer, notamment, si l’intérêt de la partie qui sollicite le sursis à exécution à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte attaqué, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du président du Tribunal du 11 mars 2013, Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, T‑110/12 R, non encore publiée au Recueil, point 33, et la jurisprudence citée).

48      En l’espèce, le règlement attaqué a, à première vue, une nature réglementaire en ce qu’il vise à fixer, de manière générale et abstraite, le montant des restitutions à l’exportation pour certains produits et destinations. Or, s’agissant des effets dans le temps de l’annulation d’un règlement, il convient de rappeler que l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne dispose que les décisions du Tribunal annulant un tel acte ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci par la Cour (voir, en ce sens, ordonnance Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, précitée, point 36, et la jurisprudence citée).

49      Par conséquent, si le Tribunal devait, au terme de la procédure principale, annuler le règlement attaqué, cette annulation n’aurait pas pour effet immédiat la disparition de l’article 2 dudit règlement, qui abroge le règlement d’exécution précédent, à savoir le règlement nº 360/2013 fixant le montant desdites restitutions à 10,85 euros/100 kg, avec pour conséquence le maintien en vigueur, au-delà de la date du prononcé de l’arrêt d’annulation, du règlement attaqué fixant à zéro les restitutions en cause (voir, en ce sens, ordonnance Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, précitée, point 39).

50      Or, la procédure de référé a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe et ne vise qu’à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond (voir ordonnance du président du Tribunal du 16 novembre 2012, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑345/12 R, non encore publiée au Recueil, point 25, et la jurisprudence citée). Ainsi, toute mesure provisoire ordonnée par le juge des référés cesse automatiquement de produire ses effets, en vertu de l’article 107, paragraphe 3, du règlement de procédure, dès le prononcé de l’arrêt qui met fin à l’instance. Il s’ensuit que l’intérêt de la requérante à se voir accorder le sursis à l’exécution du règlement attaqué vise à l’octroi d’un bénéfice qu’elle ne pourrait pas même obtenir par un arrêt d’annulation. En effet, un tel arrêt ne produirait les effets pratiques voulus par la requérante – à savoir l’annulation de la disposition abrogeant le règlement nº 360/2013 qui avait fixé les restitutions à l’exportation à 10,85 euros/100 kg en faisant ainsi « renaître » ces restitutions – qu’à une date postérieure à celle du prononcé de cet arrêt, alors que, à cette date, le juge des référés aura perdu toute compétence ratione temporis. Dans ces circonstances, l’intérêt de la requérante tendant à obtenir, par voie de référé, le rétablissement provisoire des restitutions à l’exportation à un montant de 10,85 euros/100 kg n’est pas à même d’être protégé par le juge des référés (voir, en ce sens, ordonnance Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, précitée, point 40).

51      Il s’ensuit que la balance des différents intérêts en présence ne penche pas en faveur de la requérante.

52      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la recevabilité du recours en annulation sur lequel elle se greffe, ni de se prononcer sur l’existence d’un fumus boni juris.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 26 septembre 2013.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.