Language of document :

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

30 mai 2024 (*)

« Pourvoi – Instrument d’aide à la préadhésion – Subventions – Enquêtes de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) – Sanctions administratives – Exclusion des procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union – Publication de l’exclusion sur le site Internet de la Commission européenne – Proportionnalité des sanctions – Omission de mentionner l’absence de jugement définitif ou de décision administrative définitive »

Dans l’affaire C‑130/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 mars 2023,

Vialto Consulting Kft., établie à Budapest (Hongrie), représentée par Mes S. Paliou et A. Skoulikis, dikigoroi,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. T. Adamopoulos, F. Behre et R. Pethke, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. J. Passer (rapporteur) et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Vialto Consulting Kft. (ci-après « Vialto ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2022, Vialto Consulting/Commission (T‑537/18, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:852), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision finale de la Commission européenne du 29 juin 2018, par laquelle celle-ci l’a exclue pour une durée de deux ans des procédures de marchés publics, des procédures d’octroi des subventions, des procédures d’instruments financiers (pour les véhicules d’investissement dédiés et les intermédiaires financiers), des procédures de prix régies par le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1), et des procédures d’attribution régies par le règlement (UE) 2015/323 du Conseil, du 2 mars 2015, portant règlement financier applicable au 11e Fonds européen de développement (JO 2015, L 58, p. 17), et a ordonné la publication de cette exclusion sur son site Internet (ci-après la « décision litigieuse »), et, d’autre part, à la réparation du préjudice qu’elle aurait subi du fait de cette décision.

 Le cadre juridique

2        L’article 105 bis du règlement no 966/2012, tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) 2015/1929 du Parlement européen et du Conseil, du 28 octobre 2015 (JO 2015, L 286, p. 1) (ci-après le « règlement n° 966/2012 »), intitulé « Protection des intérêts financiers de l’Union par la détection des risques et l’imposition de sanctions administratives », disposait, à son paragraphe 1 :

« Afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place et exploite un système de détection rapide et d’exclusion.

L’objectif de ce système est de faciliter :

[...]

b)      l’exclusion d’un opérateur économique qui se trouve dans l’une des situations d’exclusion énumérées à l’article 106, paragraphe 1 ;

[...] »

3        Aux termes de l’article 106 du règlement no 966/2012 :

« 1.      Le pouvoir adjudicateur exclut un opérateur économique de la participation aux procédures de passation de marché régies par le présent règlement dans les cas suivants :

[...]

e)      l’opérateur économique a gravement manqué à des obligations essentielles dans l’exécution d’un marché financé par le budget, ce qui a conduit à la résiliation anticipée du marché ou à l’application de dommages-intérêts forfaitaires ou d’autres pénalités contractuelles ou ce qui a été découvert à la suite de contrôles, d’audits ou d’enquêtes effectués par un ordonnateur, l’[Office européen de lutte antifraude (OLAF)] ou la Cour des comptes ;

[...]

2.      En l’absence de jugement définitif ou, le cas échéant, de décision administrative définitive dans les cas visés au paragraphe 1, points c), d) et f), ou dans le cas visé au paragraphe 1, point e), le pouvoir adjudicateur exclut un opérateur économique sur la base d’une qualification juridique préliminaire de la conduite visée dans ces points, compte tenu des faits établis ou d’autres constatations figurant dans la recommandation émise par l’instance visée à l’article 108.

[...]

Les faits et constatations visés au premier alinéa comprennent notamment :

a)      les faits établis dans le cadre d’audits ou d’enquêtes menés par la Cour des comptes, l’OLAF ou le service d’audit interne, ou de tout autre contrôle, audit ou vérification effectué sous la responsabilité de l’ordonnateur ;

[...]

3.      Toute décision du pouvoir adjudicateur prise en vertu des articles 106 à 108 ou, selon le cas, toute recommandation de l’instance visée à l’article 108 est établie dans le respect du principe de proportionnalité, et compte tenu notamment de la gravité de la situation, y compris l’incidence sur les intérêts financiers et la réputation de l’Union, du temps écoulé depuis la constatation de la conduite en cause, de sa durée et de sa répétition éventuelle, de l’intention ou du degré de négligence, du faible montant en jeu en ce qui concerne la situation visée au paragraphe 1, point b), du présent article ou de toute autre circonstance atténuante, telle que la coopération de l’opérateur économique avec l’autorité compétente concernée et sa contribution à l’enquête, telles qu’attestées par le pouvoir adjudicateur, ou la communication de la situation d’exclusion au moyen de la déclaration visée au paragraphe 10 du présent article.

[...]

16.      Afin, lorsque c’est nécessaire, de renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion et/ou de la sanction financière, la Commission, sous réserve d’une décision du pouvoir adjudicateur, publie sur son site Internet les informations ci-après, qui ont trait à l’exclusion et, le cas échéant, à la sanction financière pour les cas visés au paragraphe 1, points c), d), e) et f), du présent article :

a)      le nom de l’opérateur économique concerné ;

b)      la situation d’exclusion en application du paragraphe 1 du présent article ;

c)      la durée de l’exclusion et/ou le montant de la sanction financière.

Lorsque la décision d’exclusion et/ou de sanction financière a été prise sur la base d’une qualification juridique préliminaire comme prévu au paragraphe 2 du présent article, les informations publiées précisent qu’il n’y a pas de jugement définitif ou, le cas échéant, de décision administrative définitive. En pareil cas, il y a lieu de publier sans tarder les informations relatives à d’éventuels recours, à leur état d’avancement et à leur issue ainsi qu’à une éventuelle révision de la décision par le pouvoir adjudicateur. Lorsqu’une sanction financière a été infligée, les informations publiées précisent aussi si le montant prévu par cette sanction a été versé.

[...]

17.      Les informations visées au paragraphe 16 du présent article ne sont pas publiées dans les circonstances suivantes :

[...]

b)      lorsque la publication des informations causerait un dommage disproportionné à l’opérateur économique concerné ou serait à d’autres égards disproportionnée, compte tenu des critères de proportionnalité énoncés au paragraphe 3 du présent article et du montant de la sanction financière ;

[...] »

4        Le considérant 21 du règlement 2015/1929 énonçait :

« Il importe de pouvoir renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion et de la sanction financière. À cet égard, cet effet devrait être renforcé en prévoyant la possibilité de publier les informations relatives à l’exclusion et/ou à la sanction financière, dans le plein respect des exigences relatives à la protection des données énoncées dans le règlement (CE) no 45/2001 du Parlement européen et du Conseil[, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1)] et dans la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31)]. Cela devrait contribuer à faire en sorte que la conduite en cause ne se reproduise pas. Pour des raisons de sécurité juridique et conformément au principe de proportionnalité, il convient de préciser dans quelles circonstances une publication ne devrait pas avoir lieu. Dans son évaluation, le pouvoir adjudicateur devrait tenir compte de toute recommandation qui serait formulée par l’instance. Lorsqu’il s’agit de personnes physiques, les données à caractère personnel ne devraient être publiées que dans des cas exceptionnels, justifiés par la gravité de la conduite ou par son incidence sur les intérêts financiers de l’Union. »

 Les antécédents du litige

5        Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 2 à 22 de l’arrêt attaqué et, pour les besoins de la présente procédure, peuvent être résumés comme suit.

6        La requérante est une société de droit hongrois fournissant des services de conseil à des entreprises et à des entités appartenant aux secteurs privé et public.

7        En vertu de l’article 1er du règlement (CE) no 1085/2006 du Conseil, du 17 juillet 2006, établissant un instrument d’aide de préadhésion (IAP) (JO 2006, L 210, p. 82), l’Union européenne aide les pays mentionnés aux annexes I et II de ce règlement, parmi lesquels figure la République de Turquie, à s’aligner progressivement sur les normes et les politiques de l’Union, y compris, le cas échéant, l’acquis de l’Union, en vue de leur adhésion. L’article 10 du règlement (CE) no 718/2007 de la Commission, du 12 juin 2007, portant application du règlement no 1085/2006 (JO 2007, L 170, p. 1), prévoit, au titre des principes généraux de mise en œuvre de l’aide, que la Commission confie la gestion de certaines actions au pays bénéficiaire, tout en conservant la responsabilité finale de l’exécution du budget général. La gestion décentralisée couvre, au moins, la gestion des appels d’offres, l’adjudication et les paiements.

8        La Commission a conclu avec la République de Turquie un accord‑cadre qui définit de manière générale les règles de coopération relatives à l’aide au titre de l’IAP ainsi qu’une convention de financement. La structure d’exécution désignée, au sens de l’article 21 du règlement no 718/2007, était la Central Finance and Contracts Unit (CFCU). L’un des projets financés dans le cadre de cette convention était le projet TR2010/0311.01 « Digitization of Land Parcel Identification System » (numérisation du système d’identification des parcelles agricoles). Ce dernier a été financé à hauteur de 37 millions d’euros environ et comportait trois volets. Le troisième volet a été exécuté dans le cadre d’un marché de services passé le 19 septembre 2014 entre la CFCU et un consortium constitué de cinq participants, dont la requérante, et coordonné par Agrotec SpA, par le contrat de prestation de services portant la référence TR2010/0311.01-02/001.

9        À la suite de l’ouverture d’une enquête en raison de soupçons d’actes de corruption ou de fraude commis dans le cadre de ce projet, sur le fondement de l’article 3 du règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et abrogeant le règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) no 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1), l’OLAF a décidé de procéder à des contrôles dans les locaux de la requérante.

10      Lors d’un contrôle réalisé du 12 au 14 avril 2016, il a été relevé que la requérante avait refusé de fournir à l’OLAF certaines informations.

11      À la suite de la clôture de l’enquête de l’OLAF, la CFCU en a informé Agrotec, ainsi que de la conclusion de cet office selon laquelle la requérante avait violé l’article 25 des conditions générales du contrat de prestation de services visé au point 8 du présent arrêt. La CFCU a également informé Agrotec de sa décision d’exclure la requérante de ce contrat, dans tous ses aspects, et de poursuivre l’exécution dudit contrat. En conséquence, elle a demandé à Agrotec de mettre immédiatement fin aux activités de la requérante à compter du 11 novembre 2016 et d’entreprendre les démarches nécessaires au retrait de cette dernière du consortium, à savoir la rédaction d’un addendum au même contrat.

12      Par la décision litigieuse, notifiée à la requérante le 4 juillet 2018, la Commission a décidé son exclusion pour une durée de deux années des procédures de passation de marchés, d’octroi de subventions et d’instruments financiers financées par le budget général de l’Union et par le 11e Fonds européen de développement, en vertu du règlement 2015/323, ainsi que son inscription pour une période de deux années dans le système de détection rapide et d’exclusion (EDES), institué par l’article 108, paragraphe 1, du règlement no 966/2012.

13      Il ressort du dossier soumis à la Cour que, selon le considérant 77 de la décision litigieuse, l’exclusion était justifiée compte tenu de la gravité de la situation, résultant du fait que Vialto avait empêché l’OLAF de mener son enquête et de vérifier si les allégations de fraude et/ou de corruption étaient étayées, et de la preuve de la violation par Vialto, au sens de l’article 106, paragraphe 3, du règlement no 966/2012, d’une de ses principales obligations dans l’exécution du contrat, puisqu’elle avait explicitement reconnu dans ses observations à l’instance visée à l’article 108 du règlement no 966/2012 qu’elle refusait de donner à l’OLAF l’accès aux données demandées.  

14      En outre, la Commission a décidé la publication de la sanction d’exclusion sur son site Internet, en vertu de l’article 106, paragraphe 16, du règlement no 966/2012. Il ressort du dossier soumis à la Cour que, selon le considérant 80 de la décision litigieuse, la mesure de publication était justifiée par le fait que Vialto avait empêché l’OLAF de mener son enquête et que ce manquement grave aux obligations contractuelles essentielles n’avait pas permis la protection des intérêts financiers de l’Union.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 septembre 2018, Vialto a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse ainsi qu’à la réparation de son préjudice matériel et moral. Au soutien de ce recours, Vialto a soulevé cinq moyens.

16      Le premier moyen était tiré d’une violation de l’obligation de motivation de la Commission. Le deuxième était tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (Euratom, CE) no 2185/96 du Conseil, du 11 novembre 1996, relatif aux contrôles et vérifications sur place effectués par la Commission pour la protection des intérêts financiers des Communautés européennes contre les fraudes et autres irrégularités (JO 1996, L 292, p. 2). Le troisième moyen était fondé sur la violation du droit à une bonne administration. Le quatrième était tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime. Enfin, le cinquième moyen était tiré d’une violation du principe de proportionnalité.

17      Le Tribunal a rejeté l’ensemble de ces moyens comme étant non fondés. Par conséquent, il a également rejeté les conclusions en indemnité de Vialto, car celles-ci se fondaient sur les mêmes illégalités que celles invoquées à l’appui des conclusions en annulation qu’il a rejetées.

18      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a donc rejeté le recours dans son ensemble.

 Les conclusions des parties

19      Par son pourvoi, Vialto demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué et

–        de condamner la Commission aux dépens.

20      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi dans son intégralité comme étant manifestement non fondé et

–        de condamner Vialto aux dépens.

 Sur le pourvoi

21      À l’appui de son pourvoi, la requérante soulève trois moyens tirés, les deux premiers, d’erreurs de droit et d’une dénaturation des faits dans l’analyse, par le Tribunal, de l’existence d’une violation du principe de proportionnalité et, le troisième, d’une erreur de droit concernant le rejet des conclusions en indemnité.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

22      Par son premier moyen, Vialto fait grief au Tribunal d’avoir, aux points 160, 164, 175, 177 et 182 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en considérant que la mesure de publication de l’exclusion au financement de l’Union sur le site Internet de la Commission était appropriée pour atteindre l’objectif de protection des intérêts financiers de l’Union.

23      En particulier, d’une part, Vialto fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en décidant que cette mesure respectait le principe de proportionnalité malgré l’absence d’une motivation spécifique et distincte par rapport à la motivation justifiant la sanction de l’exclusion, à savoir la gravité du manquement commis. Bien que le Tribunal ait admis que la mesure de publication devait faire l’objet d’une analyse de proportionnalité indépendante de celle menée pour la sanction d’exclusion, il n’aurait pas apprécié le fait que la motivation de la Commission qui accompagne la décision relative à la mesure de publication de l’exclusion n’était pas différente de la motivation relative à la sanction d’exclusion et qu’elle n’était pas spéciale.

24      En outre, Vialto conteste le caractère approprié de la mesure de publication pour atteindre l’objectif de protection des intérêts financiers de l’Union. Une telle publication sur le site Internet de la Commission ne bénéficierait nullement aux intérêts financiers de l’Union, mais aurait pour unique fonction de dissuader les tiers qui contractent avec la Commission d’une éventuelle transgression des règles.

25      Enfin, Vialto conteste le motif de l’arrêt attaqué figurant au point 182 de celui-ci, où le Tribunal a conclu, en ce qui concerne la mesure de publication, que rien ne permettait de considérer que celle-ci violait le principe de proportionnalité au seul motif qu’elle visait à protéger le même objectif légitime. Cette appréciation ne serait pas motivée et le fait que tant la sanction d’exclusion que la mesure de publication sont susceptibles de viser le même objectif légitime général ne rendrait pas la mesure de publication automatiquement conforme au principe de proportionnalité.

26      D’autre part, Vialto fait valoir que le Tribunal a dénaturé les faits quant à l’identification d’éléments justifiant, de manière distincte, la sanction d’exclusion et la mesure de publication. En particulier, le Tribunal aurait admis, au point 175 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse n’avait pas opéré une stricte distinction entre les éléments justifiant la sanction d’exclusion et ceux justifiant la mesure de publication, avant de considérer que cela n’entraînait pas nécessairement une confusion entre les deux motivations justifiant ces mesures, susceptible de porter atteinte au principe de proportionnalité. Or, il ressortirait des considérants 77 et 80 de la décision litigieuse que les deux motivations étaient identiques. Le contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité et de l’exigence prévue à l’article 106, paragraphe 16, du règlement no 966/2012 rendrait nécessaire l’identification de la motivation permettant de justifier, outre l’exclusion des procédures de marchés publics, l’adoption de la mesure supplémentaire de publication.

27      La Commission conclut au rejet du premier moyen comme étant manifestement non fondé.

 Appréciation de la Cour

28      Premièrement, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 106, paragraphe 16, du règlement no 966/2012, lorsqu’il apparaît nécessaire de renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion et/ou de la sanction financière, la Commission, sous réserve d’une décision du pouvoir adjudicateur, publie sur son site Internet les informations qui ont trait à l’exclusion et, le cas échéant, à la sanction financière.

29      Il convient de constater qu’il ressort clairement du libellé de cette disposition que la sanction d’exclusion et la mesure de publication sont deux mesures distinctes, et que la Commission peut adopter la mesure de publication lorsqu’elle l’estime nécessaire pour renforcer l’effet dissuasif de la sanction d’exclusion d’un opérateur économique de la participation aux procédures de passation de marchés publics.

30      Cette interprétation est confirmée par le considérant 21 du règlement 2015/1929, dont il ressort, en substance, que l’intention du législateur de l’Union a été de renforcer l’effet dissuasif de la sanction d’exclusion et de la sanction financière en prévoyant la possibilité de publier les informations relatives à l’exclusion, une telle mesure étant susceptible de contribuer à faire en sorte que la conduite en cause ne se reproduise pas.

31      C’est donc à bon droit que le Tribunal a considéré, en substance, au point 171 de l’arrêt attaqué, que, si ces deux mesures ne sont pas équivalentes dans leurs effets, la sanction d’exclusion étant principalement punitive alors que la mesure de publication poursuit davantage un objectif de dissuasion et de prévention, elles demeurent néanmoins complémentaires car elles sont tournées vers le même objectif d’amener l’ensemble des personnes intéressées à renoncer à une éventuelle transgression des règles.

32      Deuxièmement, s’agissant du grief tiré de l’absence de motivation spécifique et distincte justifiant la mesure de la publication par rapport à la motivation justifiant la sanction d’exclusion, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation incombant aux institutions implique, selon une jurisprudence bien établie, que, conformément à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, l’institution concernée fasse apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement qui sous-tend l’acte qu’elle adopte, de façon à permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de faire valoir leurs droits et, d’autre part, au juge d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2017, Viasat Broadcasting UK/Commission, C‑660/15 P, EU:C:2017:178, point 43 et jurisprudence citée).

33      Ainsi que le Tribunal l’a rappelé à juste titre au point 64 de l’arrêt attaqué, la motivation ne doit pas nécessairement être exhaustive, pour autant qu’elle soit suffisante, ce qui est le cas lorsque l’institution concernée expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 96, ainsi que du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 169).

34      En l’espèce, il ressort du considérant 80 de la décision litigieuse que la publication était justifiée par le fait que Vialto avait empêché l’OLAF de mener son enquête et que ce manquement grave aux obligations contractuelles essentielles avait porté atteinte à la protection des intérêts financiers de l’Union.

35      Ainsi que le Tribunal l’a indiqué au point 175 de l’arrêt attaqué, ce considérant expose clairement en quoi la mesure de publication apparaît justifiée. Le Tribunal a dès lors pu valablement décider que le fait que la décision litigieuse n’a pas distingué strictement les éléments justifiant la sanction d’exclusion de ceux justifiant la mesure de publication n’était pas, à lui seul, suffisant pour considérer qu’il y avait eu une confusion entre les deux motivations justifiant ces mesures, susceptible de porter atteinte au principe de proportionnalité.

36      Troisièmement, Vialto fait également valoir l’existence d’une contradiction entre les points 175 et 173 de l’arrêt attaqué, le Tribunal ayant précisé, dans ce dernier point, que la mesure de publication devait faire l’objet d’une analyse de proportionnalité indépendante de celle menée pour la sanction d’exclusion, même si les faits à l’origine de ces deux mesures pouvaient être communs et étudiés concomitamment.

37      À cet égard, il convient de rappeler, à l’instar du Tribunal au point 172 de l’arrêt attaqué, que l’article 106, paragraphe 17, sous b), du règlement no 966/2012 prévoit que « [l]es informations visées au paragraphe 16 du présent article ne sont pas publiées [...] lorsque la publication des informations causerait un dommage disproportionné à l’opérateur économique concerné ou serait à d’autres égards disproportionnée, compte tenu des critères de proportionnalité énoncés au paragraphe 3 du présent article ».

38      Or, les critères de proportionnalité énoncés à l’article 106, paragraphe 3, de ce règlement concernent les décisions d’exclusion et/ou de sanction financière.

39      Il ne ressort partant pas de l’article 106, paragraphe 17, sous b), du règlement no 966/2012 que l’analyse de la proportionnalité de la mesure de publication devrait nécessairement porter sur des éléments différents de ceux pris en compte aux fins de l’analyse relative à la proportionnalité de la sanction d’exclusion. Au contraire, cette disposition renvoie, aux fins de l’analyse de la proportionnalité de la mesure de publication, notamment aux critères de proportionnalité relatifs à la sanction d’exclusion. Ainsi, le simple fait que ce sont, en substance, les mêmes raisons qui sont invoquées pour justifier les deux types de mesures n’est pas, en soi, constitutif d’une violation du principe de proportionnalité, pour autant que chacune de ces mesures fasse l’objet, comme en l’espèce, d’une justification.

40      Quatrièmement, en ce qui concerne le caractère approprié de la mesure de publication pour atteindre l’objectif de protection des intérêts financiers de l’Union, il y a lieu de relever que l’article 105 bis de ce règlement prévoit, à son paragraphe 1, que, afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place et exploite un système de détection rapide et d’exclusion. L’objectif de ce système est notamment de faciliter l’exclusion d’un opérateur économique qui se trouve dans l’une des situations d’exclusion énumérées à l’article 106, paragraphe 1, dudit règlement.

41      Certes, il découle du libellé de l’article 105 bis du règlement n° 966/2012 que la sanction d’exclusion vise à protéger les intérêts financiers de l’Union, sans que cette disposition fasse référence à la mesure de publication comme une mesure poursuivant le même objectif.

42      Cela étant, il y a lieu de rappeler, comme cela ressort du point 31 du présent arrêt, que ces deux types de mesures sont complémentaires. En outre, et surtout, le renforcement de l’effet dissuasif de la sanction d’exclusion et de la sanction financière par la publication des informations relatives à l’exclusion poursuit également, à terme, l’objectif de protection des intérêts financiers de l’Union. En effet, une telle mesure de publication, en ce qu’elle vise à ce que les opérateurs économiques n’enfreignent pas leurs obligations dans l’exécution des marchés financés par le budget de l’Union, contribue manifestement à la poursuite de l’objectif de protection des intérêts financiers de celle-ci.

43      Partant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en concluant au caractère approprié de la mesure de publication pour atteindre l’objectif de protection des intérêts financiers de l’Union.

44      Cinquièmement, Vialto fait valoir que le Tribunal a dénaturé les faits quant à l’identification d’éléments justifiant, de manière distincte, la sanction d’exclusion et la mesure de publication en reconnaissant, au point 175 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse n’avait pas opéré de distinction entre les éléments justifiant la sanction d’exclusion, d’une part, et la mesure de publication, d’autre part, pour parvenir à la conclusion que cela n’entraînait pas nécessairement une confusion entre les deux motivations justifiant ces mesures, susceptible de porter atteinte au principe de proportionnalité.

45      À cet égard, il convient de rappeler qu’il découle du point 39 du présent arrêt que c’est à bon droit que le Tribunal a conclu, au point 175 de l’arrêt attaqué, que le fait que la décision litigieuse n’a pas opéré une stricte distinction entre les éléments justifiant l’exclusion et ceux justifiant la publication n’est pas, à lui seul, suffisant pour considérer qu’il y a eu une confusion entre les deux motivations justifiant ces mesures, susceptible de porter atteinte au principe de proportionnalité.

46      Par conséquent, dans la mesure où le grief tiré de la dénaturation n’est pas susceptible de remettre en cause le bien-fondé de l’arrêt attaqué, il y a lieu de constater que cet argument est inopérant.

47      Il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’il convient de rejeter le premier moyen comme étant, pour partie, non fondé et, pour partie, inopérant.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

48      Par son deuxième moyen, Vialto fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit aux points 183 à 186 de l’arrêt attaqué en considérant que l’absence de précision quant à l’inexistence d’un jugement ou d’une décision administrative définitifs la concernant dans la publication de l’exclusion sur le site Internet de la Commission était conforme aux exigences posées par l’article 106, paragraphe 16, deuxième alinéa, du règlement no 966/2012.

49      Premièrement, le défaut de mention, dans cette publication, relative à l’inexistence d’un jugement ou d’une décision administrative définitifs constituerait une violation d’une forme substantielle. Il s’agirait en effet d’une exigence claire et inconditionnelle qui a pour but d’informer les tiers et dont le non-respect les induit en erreur. Ainsi, le Tribunal aurait considéré à tort que la violation de cette formalité n’avait pas eu d’effet préjudiciable sur la situation juridique et matérielle de Vialto.

50      Deuxièmement, Vialto conteste l’application par analogie, au point 183 de l’arrêt attaqué, de l’arrêt du 11 septembre 2014, Gold East Paper et Gold Huasheng Paper/Conseil (T‑443/11, EU:T:2014:774, point 98), portant sur la méconnaissance d’une règle relative à la consultation d’un comité.

51      Troisièmement, la constatation par le Tribunal, au point 185 de l’arrêt attaqué, que l’omission visée au point 49 du présent arrêt a été réparée par la Commission le 24 octobre 2018 ne devrait pas être un élément déterminant dans son appréciation relative à l’existence d’une violation de la disposition en cause. La légalité de l’acte de l’Union devrait être examinée au regard des éléments matériels et juridiques existant au moment de son adoption.

52      La Commission conclut au rejet du deuxième moyen comme étant manifestement non fondé.

 Appréciation de la Cour

53      L’article 106, paragraphe 16, deuxième alinéa, du règlement no 966/2012 exige, en substance, que la publication relative à la sanction d’exclusion précise qu’il n’y a pas eu de jugement définitif ou de décision administrative définitive à l’égard de l’opérateur économique concerné. En pareil cas, cette information doit être complétée par celles relatives à d’éventuels recours, à leur état d’avancement et à leur issue ainsi qu’à une éventuelle révision de la décision par le pouvoir adjudicateur.

54      Vialto fait valoir que l’absence de cette mention constitue une violation des formes substantielles, qui a pour effet de porter atteinte à sa situation juridique et matérielle.

55      Selon la jurisprudence de la Cour, le non-respect des règles de procédure relatives à l’adoption d’un acte faisant grief constitue une violation des formes substantielles et, si le juge de l’Union constate, à l’examen de l’acte en cause, que celui-ci n’a pas été régulièrement adopté, il lui appartient de tirer les conséquences de la violation d’une forme substantielle et, partant, d’annuler l’acte entaché d’un tel vice (arrêt du 20 septembre 2017, Tilly-Sabco/Commission, C‑183/16 P, EU:C:2017:704, point 115 et jurisprudence citée).

56      À cet égard, il y a lieu de constater que l’absence de mention, dans la publication sur le site Internet de la Commission, de ce que Vialto n’a pas fait l’objet d’un jugement définitif ou d’une décision administrative définitive est sans rapport avec la procédure d’adoption de la décision de publication de l’exclusion par la Commission, mais constitue un fait postérieur à l’adoption de cette décision.

57      En l’espèce, ce n’est pas la mesure de publication en tant que telle qui fait l’objet du recours en annulation, mais la décision litigieuse. Cette dernière prévoit expressément, à son article 2, que la publication doit mentionner l’absence de jugement définitif. Ladite décision n’est donc entachée d’aucune illégalité et il n’y a aucune erreur dans l’adoption de la décision litigieuse.

58      Par conséquent, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 184 de l’arrêt attaqué, que cette absence de mention ne saurait être regardée comme ayant porté atteinte à la situation juridique et matérielle de Vialto et qu’elle ne constituait pas une violation d’une forme substantielle. En effet, l’absence de cette mention ne saurait avoir d’incidence sur la légalité de la décision de publication de l’exclusion.

59      S’agissant de la rectification postérieure de l’omission par la Commission, il ressort de l’arrêt attaqué que le motif figurant au point 185 de l’arrêt attaqué, introduit par la locution adverbiale « de plus », revêt un caractère surabondant par rapport au constat figurant au point 184 de cet arrêt.

60      Il y a lieu, partant, d’écarter le grief tiré de l’existence d’une rectification postérieure à l’adoption de la décision litigieuse comme étant inopérant.

61      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen comme étant, pour partie, non fondé et, pour partie, inopérant.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

62      Par son troisième moyen, Vialto fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans la mesure où il a considéré, aux points 194 à 196 de l’arrêt attaqué, que la condition tenant à l’illégalité du comportement reproché à la Commission n’était pas remplie. Or, les erreurs de droit entachant l’arrêt attaqué, telles qu’exposées dans les premier et deuxième moyens du pourvoi, démontreraient l’existence d’un comportement illégal de la Commission, ce qui devrait entraîner l’annulation des points 195 et 196 de l’arrêt attaqué ayant rejeté les conclusions en indemnité.

63      La Commission conclut que le troisième moyen doit être rejeté comme étant manifestement non fondé.

 Appréciation de la Cour

64      Dans la mesure où, en tout état de cause, le troisième moyen ne saurait être déclaré fondé que si les premier et deuxième moyens avaient eux-mêmes été déclarés fondés, ce qui n’est pas le cas, il y a lieu de rejeter ce troisième moyen et, partant, le pourvoi dans son ensemble.

 Sur les dépens

65      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

66      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

67      La Commission ayant conclu à la condamnation de Vialto aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Vialto Consulting Kft. est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

Signatures


*      Langue de procédure : le grec.