Language of document : ECLI:EU:T:2014:160



ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

27 mars 2014 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché européen du verre automobile – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Accords de partage de marchés et échanges d’informations commercialement sensibles – Règlement (CE) no 1/2003 – Exception d’illégalité – Amendes – Application rétroactive des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Valeur des ventes – Récidive – Montant additionnel – Imputabilité du comportement infractionnel – Plafond de l’amende – Chiffre d’affaires consolidé du groupe »

Dans les affaires T‑56/09 et T‑73/09,

Saint-Gobain Glass France SA, établie à Courbevoie (France),

Saint-Gobain Sekurit Deutschland GmbH & Co. KG, établie à Aix-la-Chapelle (Allemagne),

Saint-Gobain Sekurit France SAS, établie à Thourotte (France),

représentées initialement par Mes B. van de Walle de Ghelcke, B. Meyring, E. Venot et M. Guillaumond, puis par Mes Van de Walle de Ghelcke, Meyring et Venot, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T‑56/09,

Compagnie de Saint-Gobain SA, établie à Courbevoie, représentée par Mes P. Hubert et E. Durand, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑73/09,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouquet, F. Castillo de la Torre, M. Kellerbauer et N. von Lingen, puis par MM. Bouquet, Castillo de la Torre, Kellerbauer et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme E. Karlsson et M. F. Florindo Gijón, en qualité d’agents,

partie intervenante dans l’affaire T‑56/09,

ayant pour objet des demandes d’annulation de la décision C(2008) 6815 final de la Commission, du 12 novembre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/39.125 – Verre automobile), telle que modifiée par la décision C(2009) 863 final de la Commission, du 11 février 2009, et par la décision C(2013) 1118 final, du 28 février 2013, pour autant qu’elle concerne les requérantes, ainsi que, à titre subsidiaire, une demande d’annulation de l’article 2 de cette décision en ce qu’il inflige une amende aux requérantes ou, à titre encore plus subsidiaire, des demandes de réduction du montant de cette amende,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood (rapporteur), président, F. Dehousse et J. Schwarcz, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 décembre 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les présents recours ont été introduits afin d’obtenir l’annulation de la décision C(2008) 6815 final de la Commission, du 12 novembre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/39.125 – Verre automobile) (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO C 173, p. 13). Dans la décision attaquée, la Commission des Communautés européennes a notamment constaté qu’un certain nombre d’entreprises, dont les requérantes, avaient enfreint ces dispositions en participant, au cours de diverses périodes comprises entre mars 1998 et mars 2003, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées anticoncurrentiels dans le secteur du verre automobile dans l’EEE (article 1er de la décision attaquée).

2        Saint-Gobain Glass France SA, Saint-Gobain Sekurit Deutschland GmbH & Co. KG et Saint-Gobain Sekurit France SAS (ci-après, prises ensemble, « Saint‑Gobain »), requérantes dans l’affaire T‑56/09, sont des sociétés actives dans la production, la transformation et la distribution de matériaux, dont le verre automobile. Elles sont des filiales à 100 % de la Compagnie de Saint-Gobain SA (ci-après la « Compagnie »), requérante dans l’affaire T‑73/09. Pilkington Group Ltd regroupe notamment les sociétés Pilkington Automotive Ltd, Pilkington Automotive Deutschland GmbH, Pilkington Holding GmbH et Pilkington Italia SpA (ci-après, prises ensemble, « Pilkington »). Pilkington, qui a également introduit un recours en annulation contre la décision attaquée (affaire T‑72/09), est l’un des plus grands fabricants de verre et de produits pour vitrage dans le monde, en particulier dans le secteur automobile. Soliver NV, qui a formé un recours en annulation contre la même décision (affaire T‑68/09), est un fabricant de verre de plus petite taille, actif notamment dans le secteur automobile.

3        Asahi Glass Co. Ltd (ci-après « Asahi ») est un producteur de verre, de produits chimiques et de composants électroniques, établi au Japon. Asahi détient la totalité des parts de l’entreprise verrière belge Glaverbel SA/NV, cette dernière détenant elle-même 100 % d’AGC Automotive France (ci-après « AGC »). AGC portait, avant le 1er janvier 2004, la dénomination sociale Splintex Europe SA (ci-après « Splintex »). Asahi, qui est l’une des destinataires de la décision attaquée, n’a pas introduit de recours contre cette dernière.

4        L’enquête qui a abouti à l’adoption de la décision attaquée a été engagée à la suite de la communication à la Commission, par un avocat allemand agissant pour le compte d’un client anonyme, de courriers comportant des informations relatives à des accords et à des pratiques concertées de la part de diverses entreprises actives dans la production et la distribution de verre automobile.

5        En février et en mars 2005, la Commission a procédé à des inspections dans des locaux des requérantes ainsi que de Pilkington, Soliver et AGC. La Commission a saisi plusieurs documents et fichiers à l’occasion de ces inspections.

6        À la suite de ces dernières, Asahi et Glaverbel ainsi que leurs filiales concernées par l’enquête (ci-après, prises ensemble, la « demanderesse de clémence ») ont présenté une demande d’immunité ou de réduction du montant de l’amende au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération de 2002 »). La demande d’immunité conditionnelle d’amende a été rejetée par la Commission le 19 juillet 2006, cette dernière ayant toutefois informé la demanderesse de clémence qu’elle comptait lui appliquer une réduction comprise entre 30 et 50 % du montant de l’amende qui lui aurait normalement été imposée, et ce conformément au paragraphe 26 de la communication sur la coopération de 2002.

7        Entre le 26 janvier 2006 et le 2 février 2007, la Commission a adressé diverses demandes de renseignements aux requérantes ainsi qu’à Pilkington, Soliver, Asahi, Glaverbel et AGC, au titre de l’article 18 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1). Les entreprises concernées ont répondu à ces diverses demandes.

8        Par ailleurs, la Commission a adressé, sur le même fondement, des demandes de renseignements à plusieurs constructeurs automobiles, à un constructeur italien d’autocars ainsi qu’à deux associations professionnelles de l’industrie du verre, qui y ont également répondu.

9        Le 18 avril 2007, la Commission a adopté une communication des griefs concernant une infraction unique et continue ayant consisté en des accords ou des pratiques concertées entre producteurs de verre automobile, en vue de la répartition de contrats de fourniture à des constructeurs automobiles. Cette communication des griefs a été notifiée aux requérantes ainsi qu’à Pilkington, Soliver, Asahi, Glaverbel et AGC. Chacune des entreprises destinataires de cette communication des griefs a eu accès au dossier et a été invitée par la Commission à faire valoir ses observations à cet égard. Une audition, à laquelle l’ensemble desdits destinataires a participé, s’est tenue à la Commission le 24 septembre 2007.

 Décision attaquée

10      La Commission a adopté la décision attaquée le 12 novembre 2008. Elle y a notamment constaté que Saint-Gobain et la Compagnie avaient participé aux accords et aux pratiques concertées visés au point 1 ci-dessus entre le 10 mars 1998 et le 11 mars 2003 [article 1er, sous b), de la décision attaquée] et leur a initialement infligé ‘conjointement et solidairement’ une amende de 896 millions d’euros [article 2, sous b), de la décision attaquée].

11      La demanderesse de clémence, dont la participation à l’infraction a été retenue pour la période comprise entre le 18 mai 1998 et le 11 mars 2003, a été condamnée à une amende de 113,5 millions d’euros [article 1er, sous a), et article 2, sous a), de la décision attaquée].

12      S’agissant de Pilkington, la Commission a décidé que cette entreprise avait participé aux accords et aux pratiques concertées du 10 mars 1998 au 3 septembre 2002 [article 1er, sous c), de la décision attaquée]. Elle lui a infligé initialement une amende de 370 millions d’euros [article 2, sous c), de la décision attaquée].

13      S’agissant enfin de Soliver, la Commission a considéré que cette entreprise avait participé à l’infraction du 19 novembre 2001 au 11 mars 2003 [article 1er, sous d), de la décision attaquée]. Elle lui a infligé une amende de 4 396 000 euros [article 2, sous d), de la décision attaquée].

14      Dans la décision attaquée, la Commission part du constat que les caractéristiques du marché du verre automobile, à savoir notamment des exigences techniques importantes ainsi qu’un degré élevé d’innovation, favorisent les fournisseurs intégrés et d’envergure internationale. AGC, Pilkington et Saint-Gobain comptent parmi les principaux producteurs de verre automobile à l’échelon mondial et couvraient ensemble, au moment de l’adoption de la décision attaquée, environ 76 % de la demande mondiale de verre destiné au marché de la première monte (monte du verre automobile en usine, au moment de l’assemblage du véhicule). La Commission relève également un volume significatif d’échanges entre les États membres et les États membres de l’AELE qui font partie de l’EEE dans le secteur du verre automobile. Les constructeurs automobiles négocieraient au demeurant les contrats d’achat pour la fourniture de verre automobile au niveau de l’EEE.

15      Il ressort de la décision attaquée que les fournisseurs de verre automobile visés par l’enquête de la Commission ont suivi de manière continue leurs parts de marché respectives durant la période d’infraction, non seulement par ‘compte véhicule’, c’est-à-dire au regard du montant des ventes par modèle de véhicule, mais aussi globalement, tous comptes véhicules confondus.

16      Pilkington, Saint-Gobain et AGC auraient, à cet égard, participé à des réunions trilatérales, parfois dénommées « réunions du club ». Ces réunions, organisées à tour de rôle par chacune de ces entreprises, auraient eu lieu dans des hôtels de diverses villes en Europe, dans des résidences privées appartenant à des employés de ces entreprises ainsi que dans les locaux de l’association professionnelle Groupement européen de producteurs de verre plat (GEPVP) et dans ceux de l’Associazione nazionale degli industriali del vetro (Assovetro) (Association nationale des industriels du verre).

17      Des réunions ou des contacts bilatéraux auraient également été organisés entre ces concurrents, dans le but de discuter de la fourniture de vitrage automobile pour des modèles actuels ou futurs. Ces divers contacts ou réunions auraient porté sur l’évaluation et le suivi des parts de marché, la répartition des livraisons de verre automobile aux constructeurs et l’échange d’informations sur les prix ainsi que sur l’échange d’autres informations commercialement sensibles et sur la coordination des stratégies de ces différents concurrents en matière de tarification et d’approvisionnement de la clientèle.

18      La première de ces réunions bilatérales, à laquelle auraient participé Saint-Gobain et Pilkington, aurait eu lieu le 10 mars 1998 à l’hôtel Hyatt Regency de l’aéroport Charles-de-Gaulle à Paris (France). La première réunion trilatérale aurait quant à elle eu lieu au printemps 1998 à Königswinter (Allemagne), dans la résidence privée du responsable des grands comptes de Splintex (AGC). Ces réunions auraient été précédées de contacts exploratoires entre Saint-Gobain et Pilkington, dès 1997, dont l’objet était l’harmonisation technique du vitrage surteinté produit par ces entreprises, s’agissant de la couleur, de l’épaisseur et de la transmission lumineuse. La Commission n’a toutefois pas inclus ces contacts dans l’entente litigieuse, étant donné qu’ils portaient essentiellement, selon elle, sur une étape avancée dans la chaîne de production du verre plat, avant sa transformation en verre automobile.

19      La Commission identifie dans la décision attaquée près de 90 réunions et contacts entre le printemps 1998 et le mois de mars 2003. Le dernier contact trilatéral aurait eu lieu le 21 janvier 2003, alors que la dernière réunion bilatérale se serait déroulée dans le courant de la seconde quinzaine du mois de mars 2003, entre Saint-Gobain et AGC. Les participants auraient eu recours à des abréviations ou à des noms de code pour s’identifier lors de ces réunions et contacts.

20      La participation de Soliver à l’entente n’aurait débuté que le 19 novembre 2001 et aurait perduré jusqu’au 11 mars 2003. Soliver aurait été contactée par Saint-Gobain dès l’année 2000 en vue de participer à l’entente litigieuse. Les participants initiaux à l’entente, en l’occurrence Saint-Gobain, Pilkington et AGC, auraient exploité, à cet effet, la dépendance de Soliver envers les producteurs de la matière première, Soliver ne produisant pas le verre plat nécessaire à la fabrication du vitrage automobile.

21      Aux termes de la décision attaquée, le plan global de l’entente consistait en une répartition des livraisons de verre automobile entre les participants à l’entente, tant en ce qui concernait les contrats de fourniture existants qu’en ce qui concernait les nouveaux contrats. Ce plan aurait visé à garantir la stabilité des parts de marché de ces participants. Pour parvenir à cet objectif, les participants, au cours des réunions et contacts visés aux points 16 à 20 ci-dessus, auraient échangé des informations sur les prix ainsi que d’autres données sensibles. Ils auraient, de plus, coordonné leurs politiques de fixation des prix et d’approvisionnement de la clientèle. En particulier, une concertation aurait eu lieu sur les réponses à apporter aux demandes d’offres de prix émises par les constructeurs automobiles, de manière à influencer le choix par ces derniers d’un fournisseur de verre, voire de plusieurs d’entre eux en cas d’approvisionnement multiple. Les participants auraient disposé, à cet égard, de deux moyens pour favoriser l’attribution d’un contrat de fourniture au producteur convenu, à savoir soit ne faire aucune offre, soit remettre une offre de couverture, c’est-à-dire une offre comportant des prix plus élevés que ceux dudit producteur. Des mesures correctives, prenant la forme de compensations accordées à un ou plusieurs participants, auraient été décidées lorsque cela s’avérait nécessaire, afin de garantir que la situation globale de l’offre au niveau de l’EEE demeure conforme à la répartition convenue. Lorsque des mesures correctives devaient affecter des contrats de fourniture en cours, le procédé utilisé par les concurrents pour ajuster les parts de marché aurait consisté à prévenir les constructeurs automobiles qu’un problème technique ou une pénurie de matières premières perturbait la livraison des pièces commandées et à suggérer à ceux-ci de faire appel à un fournisseur de remplacement.

22      Afin de conserver la répartition des contrats convenue, les participants à l’entente se seraient en outre mis d’accord, à plusieurs reprises, sur des réductions de prix à accorder aux constructeurs automobiles en fonction des gains de productivité réalisés, voire sur d’éventuelles augmentations de prix appliquées à des modèles de véhicule dont le niveau de production était inférieur aux prévisions. Ils se seraient également entendus, le cas échéant, pour limiter la divulgation d’informations sur leurs coûts réels de production aux constructeurs automobiles, en vue d’éviter de trop fréquentes demandes de réduction de prix par ces derniers.

23      La concertation visant à la stabilité des parts de marché aurait été rendue possible, notamment, par la transparence du marché de la fourniture de verre automobile. L’évolution des parts de marché aurait été calculée sur la base des coûts de production et des prévisions de vente, en prenant en considération les contrats de fourniture préexistants.

24      La Commission indique, dans la décision attaquée, que la demanderesse de clémence a confirmé qu’à partir de l’année 1998 au plus tard des représentants de Splintex ont participé, avec certains concurrents, à des activités illicites du point de vue du droit de la concurrence. En outre, l’absence de contestation, par Saint-Gobain, de la matérialité des faits exposés dans la communication des griefs devrait être comprise comme une approbation, par cette entreprise, de la description faite par la Commission du contenu des réunions et des contacts litigieux.

25      Enfin, Pilkington, Saint-Gobain et AGC se seraient mises d’accord, lors d’une réunion qui s’est tenue le 6 décembre 2001, sur une nouvelle méthode de calcul aux fins de la répartition et de la réattribution de contrats de fourniture.

26      C’est sur la base de ce faisceau d’indices que la Commission a tenu Saint-Gobain, la Compagnie, Pilkington, Soliver et la demanderesse de clémence pour responsables d’une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE.

27      Les arrangements conclus entre ces parties constituent, selon la Commission, des accords ou des pratiques concertées au sens de ces dispositions qui ont faussé la concurrence sur le marché de la fourniture de verre automobile. Cette infraction serait, au demeurant, unique et continue dès lors que les participants à l’entente ont exprimé leur volonté commune de se comporter d’une manière déterminée sur le marché et ont adopté un plan commun destiné à limiter leur autonomie commerciale individuelle en se répartissant les livraisons de verre automobile destiné aux voitures particulières et aux véhicules utilitaires légers ainsi qu’en faussant les prix de ces vitrages dans le but d’assurer une stabilité globale sur le marché et d’y maintenir des prix artificiellement élevés. Selon la décision attaquée, la fréquence et le caractère ininterrompu de ces réunions et de ces contacts, sur une période de cinq ans, ont eu pour résultat que tous les grands constructeurs produisant des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers dans l’EEE ont été couverts par l’entente.

28      La Commission a par ailleurs estimé que rien n’indiquait que les accords et les pratiques concertées entre les fournisseurs de verre automobile aient débouché sur des gains d’efficacité ou favorisé le progrès technique ou économique dans le secteur du verre automobile. La Commission a, par conséquent, écarté une application en l’espèce de l’article 81, paragraphe 3, CE.

29      S’agissant de l’identification des destinataires de la décision attaquée, la Commission a notamment considéré que la Compagnie détenait indirectement 100 % des parts de Saint-Gobain. Dans ces conditions, elle a estimé que la Compagnie était présumée avoir eu une influence déterminante sur la politique commerciale de Saint-Gobain. D’autres éléments, tels que la structure commerciale du groupe contrôlé directement ou indirectement par la Compagnie (ci-après le « groupe Saint-Gobain ») et la composition du conseil d’administration de Saint-Gobain, confirmeraient cette influence déterminante. La Compagnie n’ayant pas été en mesure de renverser cette présomption, la Commission a conclu qu’elle formait avec Saint-Gobain une seule entreprise ayant participé à l’infraction et, dès lors, a infligé à la Compagnie et à Saint-Gobain une amende au paiement de laquelle celles-ci sont tenues de manière solidaire.

30      S’agissant de la durée de l’infraction, la Commission a estimé que Saint-Gobain et la Compagnie y avaient participé du 10 mars 1998 au 11 mars 2003. La participation de Pilkington a été retenue pour la période allant du 10 mars 1998 au 3 septembre 2002. Quant à Soliver, elle aurait participé à l’infraction entre le 19 novembre 2001 et le 11 mars 2003.

31      S’agissant du calcul des amendes, la Commission a tout d’abord déterminé la valeur des ventes de vitrage automobile réalisées par chaque entreprise participante au sein de l’EEE en relation directe ou indirecte avec l’infraction. Elle a opéré une distinction, à cet effet, entre plusieurs périodes. Pour la période ayant débuté en mars 1998 et s’étant achevée le 30 juin 2000, qualifiée de période de « montée en puissance », elle a estimé ne disposer de preuves de l’infraction que pour une partie des constructeurs automobiles européens. La Commission n’a dès lors retenu, en ce qui concerne cette période, que les ventes de verre automobile aux constructeurs pour lesquels elle disposait de preuves directes de l’entente. En ce qui concerne la période comprise entre le 1er juillet 2000 et le 3 septembre 2002, la Commission a observé que les comptes ayant fait l’objet de l’entente concernaient au moins 90 % des ventes au sein de l’EEE. Elle a dès lors conclu que, s’agissant de cette période, la totalité des ventes de verre automobile au sein de l’EEE, par les destinataires de la décision attaquée, devait être prise en considération. Enfin, à la fin de la période d’infraction, soit entre le 3 septembre 2002 et le mois de mars 2003, les activités du cartel se seraient ralenties à la suite du départ de Pilkington. Par conséquent, la Commission a décidé de ne retenir, pour cette période, que les ventes à des constructeurs automobiles pour lesquels elle disposait de preuves directes de l’entente. Une moyenne annuelle pondérée de ces chiffres de ventes a ensuite été calculée pour chaque fournisseur de verre automobile concerné, en divisant les valeurs des ventes évoquées ci-dessus par le nombre de mois auxquels chacun desdits fournisseurs avait participé à l’infraction et en multipliant le produit de cette division par douze.

32      La Commission a ensuite relevé que l’infraction en cause, qui a consisté en une répartition de la clientèle, comptait parmi les restrictions de concurrence les plus graves. Eu égard à la nature de cette infraction, à sa portée géographique et à la part de marché cumulée des entreprises y ayant participé, la Commission a retenu, pour le calcul du montant de base de l’amende, une proportion de 16 % de la valeur des ventes de chaque entreprise impliquée, multipliée par le nombre d’années de participation à l’infraction. Le montant de base des amendes a, de surcroît, été majoré d’un montant additionnel (ou droit d’entrée) fixé à 16 % de la valeur des ventes, à des fins de dissuasion.

33      Le montant de base de l’amende infligée de manière solidaire à Saint-Gobain et à la Compagnie a été majoré de 60 % pour cause de récidive. Quant au montant de l’amende infligée à Soliver, il a été ramené à 10 % du chiffre d’affaires de cette dernière, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003. Une réduction de 50 % du montant de l’amende a été accordée à la demanderesse de clémence, compte tenu des éléments de preuve qu’elle avait transmis à la Commission et qui ont permis à cette dernière d’avoir une meilleure compréhension des documents recueillis au cours des inspections.

34      Le 11 février 2009, la Commission a adopté la décision C(2009) 863 final, rectifiant la décision attaquée sur un nombre limité de points.

35      Le 28 février 2013, la Commission a adopté la décision C(2013) 1118 final, rectifiant notamment la décision attaquée s’agissant de la prise en compte des ventes effectuées par Saint-Gobain à [confidentiel] avant le 31 mai 1999 (ci-après la « décision rectificative du 28 février 2013 »). Par cette décision, la Commission a corrigé le montant de l’amende infligée aux requérantes et fixé celui-ci à 880 millions d’euros.

 Procédure et conclusions des parties

36      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 février 2009, Saint-Gobain a introduit un recours dans l’affaire T‑56/09. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 février 2009, la Compagnie a introduit un recours dans l’affaire T‑73/09.

37      Après la clôture de la procédure écrite et à la suite de la demande de réouverture de ladite procédure par la Compagnie dans l’affaire T‑73/09, cette dernière a présenté un mémoire complémentaire, parvenu au greffe le 6 septembre 2010. Par acte reçu au greffe le 22 octobre 2010, la Commission a présenté ses observations sur ce mémoire complémentaire.

38      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle les présentes affaires ont été, par conséquent, attribuées.

39      Par ordonnance du 23 avril 2012, le président de la deuxième chambre du Tribunal, les parties entendues, a décidé de joindre les affaires T‑56/09 et T‑73/09 aux fins de la procédure orale.

40      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 11 décembre 2012. Les parties ont été invitées, à cette occasion, à présenter leurs observations sur une éventuelle jonction des affaires T‑56/09 et T‑73/09 aux fins de l’arrêt et elles ont indiqué ne pas avoir d’observations à cet égard.

41      Dans l’affaire T‑56/09, Saint-Gobain conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, en ce qu’elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 2 de la décision attaquée, en ce qu’il la concerne ;

–        à titre encore plus subsidiaire, réduire l’amende qui lui a été infligée dans la décision attaquée jusqu’à un montant approprié ;

–        condamner la Commission aux dépens.

42      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans l’affaire T‑56/09 comme non fondé ;

–        condamner Saint-Gobain aux dépens.

43      Par lettre parvenue au greffe du Tribunal le 19 février 2009, Saint-Gobain a adapté ses conclusions en annulation, en vue de solliciter, d’une part, l’annulation de la version de la décision attaquée telle que modifiée par la décision C(2009) 863 final du 11 février 2009 et, d’autre part et à titre subsidiaire, la réduction du montant de l’amende infligée au titre de l’article 2 de de la décision modifiée.

44      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 mai 2009, le Conseil de l’Union européenne a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire T‑56/09. Le président de la septième chambre du Tribunal a fait droit à cette demande par une ordonnance du 7 juillet 2009.

45      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans l’affaire T‑56/09 comme non fondé ;

–        statuer de manière appropriée sur les dépens.

46      Dans l’affaire T‑73/09, la Compagnie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, en ce qu’elle la concerne, et en tirer toutes les conséquences qui s’imposent en ce qui concerne le montant de l’amende ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende qui lui est infligée dans la décision attaquée, conjointement et solidairement avec Saint-Gobain ;

–        condamner la Commission aux dépens.

47      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans l’affaire T‑73/09 comme non fondé ;

–        condamner la Compagnie aux dépens.

48      À la suite de l’adoption de la décision rectificative du 28 février 2013, la Commission a, par un courrier daté du 7 mars 2013, sollicité du Tribunal qu’il rouvre la procédure orale.

49      Après avoir entendu les parties à ce sujet, la deuxième chambre du Tribunal a, par ordonnance du 23 avril 2013, décidé de rouvrir la procédure orale.

50      Par un courrier daté du 30 juillet 2013, Saint-Gobain a informé le Tribunal, notamment, d’une adaptation de ses conclusions afin de tenir compte de la décision rectificative du 28 février 2013. Saint-Gobain, faisant valoir que son recours en annulation demeurait fondé et déclarant maintenir sa demande de condamnation de la Commission aux dépens, a toutefois formulé subsidiairement une demande tendant à la condamnation de la Commission au paiement partiel des dépens. La Commission a, pour sa part, fait connaître ses observations sur ladite décision rectificative ainsi que sur la renonciation par Saint-Gobain à une branche de l’un de ses moyens dans un courrier daté du 30 juillet 2013. Par courriers datés respectivement des 22 juillet et 1er août 2013, le Conseil et la Compagnie ont indiqué au Tribunal qu’ils n’avaient pas d’observations à formuler à cet égard.

51      La procédure orale a ensuite été clôturée le 11 septembre 2013.

 En droit

52      Il y a lieu, les parties entendues, de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, en application de l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

I –  Sur l’objet du recours

53      Conformément aux observations formulées par les parties requérantes tant lors de l’audience qu’à la suite de la réouverture de la procédure orale, de même qu’aux observations présentées par Saint-Gobain dans son courrier du 11 mars 2013 au Tribunal, il y a lieu de considérer que les présents recours sont dirigés contre la décision attaquée telle qu’elle a été modifiée en dernier lieu par la décision rectificative du 28 février 2013, et ce aussi bien en tant que lesdits recours tendent à l’annulation de ladite décision qu’en tant qu’ils visent à la diminution par le Tribunal de l’amende infligée conjointement et solidairement aux parties requérantes.

II –  Sur les conclusions soulevées à titre principal et tendant à l’annulation de la décision attaquée

54      Il convient, en premier lieu, d’examiner les moyens d’annulation soulevés dans l’affaire T‑56/09. Certains des moyens et des arguments présentés par Saint-Gobain rejoignant ceux présentés par la Compagnie dans l’affaire T‑73/09, il y a lieu d’examiner ceux-ci conjointement. Il convient, en second lieu, d’examiner les arguments spécifiques du recours en annulation introduit par la Compagnie et qui ne se rattachent à aucun des moyens présentés par Saint-Gobain.

A –  Affaire T‑56/09

55      Saint-Gobain invoque, en substance, six moyens, pris, le premier, de l’illégalité du règlement no 1/2003, le deuxième, d’une violation des droits de la défense, le troisième, d’une motivation insuffisante de la décision attaquée et d’une erreur dans le calcul de l’amende, le quatrième, d’une erreur de droit dans l’imputation de la responsabilité du comportement infractionnel de Saint-Gobain à la Compagnie, d’une violation des principes de la personnalité des peines et de la présomption d’innocence ainsi que d’un détournement de pouvoir, le cinquième, d’une violation des principes de non-rétroactivité des peines et de confiance légitime, et enfin, le sixième, du caractère disproportionné de l’amende infligée à Saint-Gobain.

1.     Sur le premier moyen, pris de l’illégalité du règlement no 1/2003

56      Par son premier moyen, Saint-Gobain soulève une exception d’illégalité à l’encontre du règlement no 1/2003, en ce que celui-ci confie à la Commission tant des pouvoirs d’instruction que de sanction en matière d’infractions à l’article 81 CE. Cette exception étant, en substance, identique à celle soulevée par la Compagnie dans l’affaire T‑73/09, il convient de les examiner ensemble.

57      Ce moyen se divise en deux branches. En premier lieu, un tel cumul de fonctions par la Commission méconnaîtrait le droit à un tribunal indépendant et impartial. En second lieu, le pouvoir reconnu à la Commission d’adopter des décisions de sanction au titre de l’article 81 CE ne serait pas conforme au principe de la présomption d’innocence.

a)     Sur la première branche, tirée de la violation du droit à un tribunal indépendant et impartial

 Arguments des parties

58      Saint-Gobain et la Compagnie soutiennent, en substance, que le cumul, par la Commission, des fonctions d’instruction et de sanction dans la mise en œuvre de l’article 81 CE, tel qu’il est organisé par le règlement no 1/2003, méconnaît le droit à un tribunal indépendant et impartial, alors qu’il s’agit d’une garantie essentielle du droit à un procès équitable inscrite à l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), ainsi qu’à l’article 47, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

59      Saint-Gobain fait valoir, tout d’abord, que les sanctions infligées par la Commission dans ce cadre ont un caractère pénal, non seulement parce que l’interdiction prévue à l’article 81 CE s’adresse à toute entreprise et non pas à une catégorie d’entreprises déterminée, mais aussi en raison de l’objectif dissuasif et répressif de telles sanctions. L’indication par le législateur, à l’article 23, paragraphe 5, du règlement no 1/2003, que ces sanctions n’ont pas un caractère pénal serait sans pertinence à cet égard. Le droit à un tribunal indépendant et impartial s’appliquerait dès lors sans restriction en l’espèce.

60      Or, il résulterait de la jurisprudence que la Commission ne saurait être qualifiée de tribunal indépendant et impartial.

61      L’invalidité du règlement no 1/2003 qui en découle ne serait pas contredite par la possibilité offerte au destinataire d’une décision de sanction prise par la Commission, au titre dudit règlement, d’introduire un recours en annulation contre cette décision devant le Tribunal. Il résulterait en effet de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que les principes d’indépendance et d’impartialité doivent être respectés au stade même où la sanction est prononcée.

62      S’agissant de ce dernier point, Saint-Gobain rappelle que ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, caractérisées par des exigences particulières d’efficacité et par la légèreté des infractions, que le pouvoir de prendre une décision sur le bien-fondé d’une accusation tombant dans le champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH peut faire l’objet d’une délégation à une instance administrative dont les décisions sont susceptibles de faire l’objet d’un recours devant un tribunal de pleine juridiction. Ces circonstances ne seraient pas réunies en l’espèce.

63      Même s’il fallait considérer que les sanctions en cause ne relèvent pas du noyau dur du droit pénal, il y aurait lieu de constater que la limitation apportée au droit à un tribunal indépendant et impartial par le système de poursuite et de sanction des infractions au droit de la concurrence de l’Union européenne méconnaît les principes de légitimité et de proportionnalité. Ainsi, aucun risque de saturation judiciaire ne justifierait le cumul de fonctions organisé par ce système. De surcroît, la limitation du droit à un tribunal indépendant et impartial serait disproportionnée au regard non seulement de la gravité des sanctions infligées sur la base de l’article 81 CE et du règlement no 1/2003, mais aussi des caractéristiques du contrôle exercé par le Tribunal en cas de recours.

64      À cet égard, Saint-Gobain et la Compagnie soutiennent que le Tribunal, lorsqu’il se prononce sur des recours en annulation dirigés contre des décisions de sanction prises par la Commission au titre de l’article 81 CE, n’exerce pas un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. En effet, le Tribunal se limiterait en principe, à l’occasion d’un tel contrôle, à la vérification de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation ou d’un éventuel détournement de pouvoir. Il y aurait lieu de tenir compte également du fait qu’un recours introduit devant le Tribunal n’a pas d’effet suspensif sur la décision attaquée.

65      Saint-Gobain s’oppose encore à l’argument soulevé par le Conseil selon lequel l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre du règlement no 1/2003 reviendrait à remettre en cause la validité de l’article 83, paragraphe 2, CE. En effet, cette disposition du traité ne prévoirait pas que la Commission cumule les fonctions d’instruction et de sanction des infractions aux règles de la concurrence, ce choix ayant été opéré par le législateur.

66      Enfin, la Compagnie soutient que le problème que pose le cumul, par la Commission, des fonctions de poursuite et de sanction des infractions au droit de la concurrence est confirmé par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 11 juin 2009, Dubus SA c. France (no 5242/04).

67      La Commission et le Conseil s’opposent à ces critiques.

68      Tout en ne niant pas que les entreprises impliquées dans une procédure administrative de contrôle en matière de concurrence ont droit à un tribunal indépendant et impartial, la Commission conteste le point de vue selon lequel l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH s’appliquerait de la même façon dans le domaine du droit pénal au sens strict et dans celui des sanctions administratives.

69      La Commission rappelle à cet égard que, aux termes de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, les sanctions adoptées sur le fondement de l’article 81 CE n’ont pas un caractère pénal. Elle fait également valoir que, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence du juge de l’Union, elle ne saurait être considérée comme un tribunal qui impose des sanctions pénales. Il s’ensuit que l’article 6 de la CEDH ne s’appliquerait pas pleinement à elle lorsqu’elle prend des décisions sur le fondement de l’article 81, paragraphe 1, CE. Le Tribunal, dans son arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission (T‑54/03, non publié au Recueil), aurait ainsi jugé que le cumul, par la Commission, des fonctions d’instruction et de sanction en matière de concurrence n’était pas contraire à la protection des droits fondamentaux.

70      Au demeurant, Saint-Gobain aurait à tort cru pouvoir déduire de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme trois conditions cumulatives à une délégation du pouvoir de sanction à une instance administrative dans des matières qui tombent en dehors du noyau dur du droit pénal. D’une part, même des amendes d’un montant élevé pourraient tomber en dehors du noyau dur du droit pénal. D’autre part, les garanties offertes par l’article 6 de la CEDH ne s’opposeraient pas à ce qu’une autorité administrative puisse exercer un pouvoir de sanction dans des domaines qui ne sont pas caractérisés par un grand nombre d’infractions, pour peu que l’objectif poursuivi soit légitime. Or, il serait évident que l’efficacité de la poursuite et de la sanction des infractions aux règles de la concurrence constitue un objectif légitime.

71      La Commission fait valoir, de surcroît, que le contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal présente toutes les caractéristiques d’un contrôle de pleine juridiction au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il en irait ainsi, à plus forte raison, dans le domaine des amendes infligées en matière d’ententes, dont le Tribunal peut être amené à vérifier le caractère approprié en vertu de l’article 31 du règlement no 1/2003. Il serait sans importance, à cet égard, que le Tribunal n’ait fait, jusqu’à présent, qu’un usage limité de sa compétence de pleine juridiction en vue de réduire le montant des amendes infligées par la Commission.

72      Enfin, ce moyen, dès lors qu’il impliquerait de reconnaître que les décisions de la Commission constatant et sanctionnant des infractions au droit de la concurrence n’ont ni force obligatoire ni force exécutoire, se heurterait au principe selon lequel les décisions de la Commission bénéficient d’une présomption de validité aussi longtemps qu’elles n’ont pas été annulées ou retirées ainsi qu’au principe inscrit à l’article 242 CE, selon lequel le recours en annulation n’a pas, en principe, d’effet suspensif sur l’acte attaqué.

73      Le Conseil développe une argumentation en substance semblable à celle de la Commission. Il fait valoir, notamment, que le système de sanction mis en place par le règlement no 1/2003 ne relève pas du droit pénal et que, partant, l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH n’est pas applicable en l’espèce. Le Conseil soutient par ailleurs que, par l’exception d’illégalité qu’elle soulève, Saint-Gobain vise en réalité à remettre en cause la validité de l’article 83, paragraphe 2, CE, en tant que cette disposition prévoit qu’il appartient au législateur de définir les rôles respectifs de la Commission et de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de poursuite et de sanction des infractions aux règles de la concurrence. Or, le juge de l’Union serait incompétent pour se prononcer sur la validité d’une disposition du droit primaire.

74      Enfin, s’agissant de l’argument pris par la Compagnie de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Dubus SA c. France, point 66 supra, les circonstances ayant donné lieu audit arrêt seraient différentes de celles de la présente affaire. En effet, cet arrêt concernerait un cumul des fonctions de poursuite et de sanction par la Commission bancaire en France, dont les décisions auraient le caractère de décisions juridictionnelles. Or, la Commission ne pourrait quant à elle être considérée comme étant un tribunal au sens de l’article 6 de la CEDH.

 Appréciation du Tribunal

75      Le Tribunal considère, sans même qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la fin de non-recevoir du présent moyen présentée par la Commission dans l’affaire T‑73/09, que la première branche du premier moyen n’est pas fondée, ainsi que cela résulte, par analogie, de la jurisprudence relative à des affaires où était contestée, en substance, la validité du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204) (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Enso Española/Commission, T‑348/94, Rec. p. II‑1875, points 55 à 65 ; du 11 mars 1999, Aristrain/Commission, T‑156/94, Rec. p. II‑645, points 23 à 40, et Lafarge/Commission, point 69 supra, points 36 à 47).

76      Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que le droit à un procès équitable, garanti à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, constitue un principe général de droit de l’Union, désormais inscrit à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux.

77      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la Commission n’est pas un « tribunal » au sens de l’article 6 de la CEDH (arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 81, et du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 7) ni au sens de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux. En outre, l’article 23, paragraphe 5, du règlement no 1/2003 dispose expressément que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n’ont pas un caractère pénal.

78      Cependant, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le droit à un procès équitable s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de la concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir au prononcé d’amendes ou d’astreintes (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, points 20 et 21, et du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, Rec. p. I‑7191, point 143).

79      Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de préciser, dans son arrêt A. Menarini Diagnostics srl c. Italie, du 27 septembre 2011 (no 43509/08), les conditions dans lesquelles une amende qui, compte tenu de son montant et de l’objectif préventif et répressif qu’elle poursuit, relève de la matière pénale peut être infligée par une autorité administrative ne remplissant pas toutes les exigences de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Dans cet arrêt était en cause le système italien de répression des infractions au droit de la concurrence. La Cour européenne des droits de l’homme a indiqué, en substance, que le respect de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH n’excluait pas qu’une « peine » puisse être imposée par une autorité administrative investie d’un pouvoir de sanction en matière de droit de la concurrence, pour autant que la décision adoptée par cette dernière soit susceptible de faire l’objet d’un contrôle ultérieur par un organe judiciaire de pleine juridiction. Parmi les caractéristiques d’un organe judiciaire de ce type figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise rendue par l’organe inférieur. Ainsi, le contrôle opéré par le juge, dans de tels cas, ne saurait se limiter à une vérification de la légalité « externe » de la décision soumise à son contrôle, le juge devant être en mesure d’apprécier la proportionnalité des choix de l’autorité de la concurrence et de vérifier ses évaluations d’ordre technique.

80      Or, force est de constater que le contrôle juridictionnel opéré par le Tribunal à l’égard de décisions par lesquelles la Commission inflige des sanctions en cas d’infraction au droit de la concurrence de l’Union répond à ces exigences.

81      Il convient tout d’abord de souligner, à cet égard, que le droit de l’Union confère à la Commission une mission de surveillance qui comprend la tâche de poursuivre les infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 82 CE, la Commission étant tenue, dans le cadre de cette procédure administrative, de respecter les garanties procédurales prévues par le droit de l’Union. Le règlement no 1/2003 l’investit, en outre, du pouvoir d’infliger, par voie de décision, des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux associations d’entreprises qui ont commis, de façon délibérée ou par négligence, une infraction à ces dispositions.

82      Par ailleurs, l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif de toute décision de la Commission constatant et réprimant une infraction aux règles de la concurrence constitue un principe général de droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres (arrêt Enso Española/Commission, point 75 supra, point 60). Ce principe est désormais inscrit à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux (arrêts de la Cour du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09, Rec. p. I‑13849, points 30 et 31, et du 28 juillet 2011, Samba Diouf, C‑69/10, Rec. p. I‑7151, point 49).

83      Or, il ressort de la jurisprudence que le contrôle juridictionnel des décisions adoptées par la Commission en vue de sanctionner des infractions au droit de la concurrence, organisé par les traités et complété par le règlement no 1/2003, est conforme à ce principe (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑272/09 P, Rec. p. I‑12789, point 106, et Chalkor/Commission, C‑386/10 P, Rec. p. I‑13085, point 67).

84      En premier lieu, le Tribunal est une juridiction indépendante et impartiale, établie par la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1, rectificatif au JO 1989, L 241, p. 4). Comme cela ressort du troisième considérant de ladite décision, il a été institué notamment afin d’améliorer la protection juridictionnelle des justiciables dans les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes.

85      En deuxième lieu, le Tribunal est compétent, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la décision 88/591, pour exercer les compétences conférées à la Cour par les traités et par les actes pris pour leur exécution, notamment « pour les recours formés contre une institution […] par des personnes physiques ou morales en vertu de l’article [230], deuxième alinéa, [CE] et concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises ». Dans le cadre de ces recours fondés sur l’article 230 CE, le contrôle de la légalité d’une décision de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence et infligeant à ce titre une amende à la personne physique ou morale concernée doit être considéré comme un contrôle juridictionnel effectif de l’acte en cause. En effet, les moyens susceptibles d’être invoqués par la personne physique ou morale concernée au soutien de sa demande d’annulation sont de nature à permettre au Tribunal d’apprécier le bien-fondé en droit comme en fait de toute accusation portée par la Commission dans le domaine de la concurrence.

86      En troisième lieu, conformément à l’article 31 du règlement no 1/2003, le contrôle de légalité prévu à l’article 230 CE est complété par un contrôle de pleine juridiction, lequel habilite le juge, au-delà du contrôle de la légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 692).

87      Il s’ensuit que l’argument de Saint-Gobain et de la Compagnie selon lequel la décision attaquée serait illégale au seul motif qu’elle a été prise dans le cadre d’un système qui organise un cumul par la Commission des fonctions d’instruction et de sanction des infractions à l’article 81 CE n’est pas fondé et que, partant, la première branche du moyen doit être rejetée.

b)     Sur la seconde branche, tirée de la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence

 Arguments des parties

88      Dans une seconde branche, Saint-Gobain et la Compagnie soutiennent que la décision attaquée méconnaît le principe de la présomption d’innocence, inscrit à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH ainsi qu’à l’article 48 de la charte des droits fondamentaux, dès lors qu’elle a été adoptée par une autorité administrative qui n’a pas la qualité de tribunal indépendant et impartial et que, de surcroît, un éventuel recours contre cette décision devant le Tribunal n’a pas d’effet suspensif.

89      Selon Saint-Gobain, cette violation, qui trouverait sa source dans une illégalité du règlement no 1/2003, ne saurait être écartée du seul fait que le Tribunal conclurait, à tort, que ledit règlement ne méconnaît pas le droit à un tribunal indépendant et impartial en raison de la possibilité offerte aux destinataires d’une décision de la Commission constatant une infraction à l’article 81 CE de contester celle-ci devant le Tribunal. En effet, même dans cette hypothèse, la culpabilité des destinataires d’une telle décision ne serait légalement établie, le cas échéant, qu’à dater de la confirmation de cette décision par le Tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation.

90      Enfin, ce serait à tort que la Commission invoque le droit des destinataires d’une décision constatant une infraction au droit de la concurrence et qui poursuivent l’annulation de celle-ci de fournir une garantie bancaire à la Commission, en lieu et place du paiement immédiat de l’amende. Outre qu’elle serait laissée à l’entière discrétion de la Commission, une telle possibilité ne modifierait en rien la circonstance que la décision commence à produire ses effets avant que le Tribunal se prononce.

91      Dans ces conditions, la Commission n’aurait pas légalement établi une violation du droit de la concurrence par Saint-Gobain et la Compagnie et il y aurait dès lors lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où elle les concerne.

92      La Commission et le Conseil s’opposent à ces critiques.

93      La Commission rappelle que, en vertu d’une jurisprudence bien établie, une entreprise qui fait l’objet d’une enquête pour infraction aux règles de la concurrence de l’Union est présumée innocente jusqu’à ce que la Commission démontre l’implication de celle-ci dans une telle infraction. Le Conseil ajoute qu’il ne saurait y avoir de violation de la présomption d’innocence en l’espèce puisqu’il n’y a pas de décision finale sur l’existence et l’imputabilité de l’infraction à Saint-Gobain tant que le Tribunal ne s’est pas prononcé.

94      De surcroît, selon la Commission, l’argumentation de Saint-Gobain reviendrait à soulever une exception d’illégalité de l’article 242 CE, en vertu duquel les recours formés devant la Cour de justice n’ont pas d’effet suspensif. Or, le juge de l’Union ne serait pas compétent pour se prononcer sur la validité d’une disposition relevant du droit primaire.

95      La Commission invoque enfin la circonstance que, nonobstant l’absence de caractère suspensif du présent recours sur la décision attaquée, la requérante a été en mesure de déposer une garantie bancaire au lieu d’effectuer un paiement provisoire de l’amende. Cette faculté procéderait, entre autres, du fait que l’existence d’une infraction aux règles de la concurrence n’a pas encore été établie par un tribunal indépendant et impartial avant la décision du Tribunal mettant fin à l’instance et que le montant de l’amende ne peut être tenu pour définitivement fixé avant la clôture de la procédure juridictionnelle.

 Appréciation du Tribunal

96      Par cette seconde branche, Saint-Gobain et la Compagnie soutiennent, en substance, que, dès lors que la Commission n’est pas un tribunal indépendant et impartial, celle-ci n’est pas en mesure d’établir légalement la culpabilité des entreprises dont elle retient la participation à une infraction à l’article 81 CE. Les sanctions qu’elle inflige sur le fondement de l’article 81, paragraphe 1, CE seraient dès lors adoptées en méconnaissance du principe de la présomption d’innocence.

97      Selon une jurisprudence constante, compte tenu de la nature des infractions en cause ainsi que de la nature et du degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence, inscrit désormais à l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de la concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir au prononcé d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, points 149 et 150, et Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, points 175 et 176 ; arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 216).

98      Une jurisprudence désormais bien établie a précisé la portée de ce principe.

99      La présomption d’innocence implique que toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Elle s’oppose ainsi à tout constat formel et même à toute allusion ayant pour objet la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée dans une décision mettant fin à l’action, sans que cette personne ait pu bénéficier de toutes les garanties normalement accordées pour l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure suivant son cours normal et aboutissant à une décision sur le bien-fondé de la contestation (arrêt du Tribunal du 6 octobre 2005, Sumitomo Chemical et Sumika Fine Chemicals/Commission, T‑22/02 et T‑23/02, Rec. p. II‑4065, point 106).

100    Partant, la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/02 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, Rec. p. II‑3567, point 59, et la jurisprudence citée). Il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la conviction que l’infraction a été commise (arrêts du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, points 43 et 72, et la jurisprudence citée, et du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, Rec. p. II‑6681, point 129).

101    Les exigences tenant au respect de la présomption d’innocence doivent également guider l’action du juge de l’Union lorsqu’il est appelé à contrôler les décisions par lesquelles la Commission constate une infraction à l’article 81 CE. Ainsi, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (arrêt Dresdner Bank e.a./Commission, point 100 supra, point 60).

102    Il résulte ainsi des points 99 à 101 ci-dessus que le principe de la présomption d’innocence ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée au droit de la concurrence de l’Union soit établie au terme d’une procédure s’étant déroulée entièrement selon les modalités prescrites par les dispositions découlant de l’article 81 CE, du règlement no 1/2003 ainsi que du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18) et dans le cadre de laquelle les droits de la défense ont ainsi pu être pleinement exercés.

103    Dès lors que le pouvoir de sanction accordé à la Commission en cas d’infraction à l’article 81 CE ne méconnaît pas, dans son principe, la présomption d’innocence, le grief pris de l’absence de caractère suspensif d’un recours porté devant le Tribunal contre une décision sanctionnant une infraction au droit de la concurrence de l’Union est inopérant. Dans ces circonstances, il n’est pas davantage nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si, ainsi que le soutient le Conseil, un tel grief équivaut à une exception d’illégalité de l’article 242 CE.

104    En tout état de cause, il y a lieu de relever que la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Janosevic c. Suède, du 23 juillet 2002 (Recueil des arrêts et décisions, 2002‑VII, p. 1, § 106 à 110), a jugé que le droit à la présomption d’innocence ne s’opposait pas, en principe, à ce que des sanctions de nature pénale adoptées par un organe administratif puissent être mises à exécution avant qu’elles soient devenues définitives, au terme d’une procédure de recours devant un tribunal, pourvu qu’une telle exécution s’inscrive dans des limites raisonnables ménageant un juste équilibre entre les intérêts en jeu et que le destinataire de la sanction puisse être rétabli dans sa situation initiale en cas de succès de son recours. Or, aucun argument n’a été avancé par les requérantes qui permette de conclure que le système de poursuite et de sanction des infractions au droit de la concurrence de l’Union, tel qu’il est organisé par le règlement no 1/2003 et mis en œuvre, en premier lieu, par la Commission, ne serait pas conforme à ces exigences.

105    Au vu de l’analyse qui précède, et sans préjudice du contrôle du respect des exigences rappelées aux points 97 à 101 ci-dessus dans le cas d’espèce, dans le cadre d’autres moyens du recours, il convient donc de rejeter comme non fondée la seconde branche et, partant, le premier moyen tiré d’une exception d’illégalité dans son ensemble, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la recevabilité de celle-ci.

2.     Sur le deuxième moyen, pris d’une violation des droits de la défense

a)     Arguments des parties

106    Par son deuxième moyen, Saint-Gobain soutient que ses droits de la défense ont été méconnus par la Commission dès lors que cette dernière a adopté la décision attaquée sans qu’elle ait été en mesure de faire valoir ses observations sur le mode de calcul de l’amende qui a été finalement retenu. La Commission, lors du calcul de l’amende, aurait ainsi retenu un certain nombre de facteurs qui n’avaient pas été portés à la connaissance de Saint-Gobain, notamment la valeur des ventes en relation avec l’infraction. Les indications contenues dans la communication des griefs n’auraient pas permis à Saint-Gobain de faire connaître utilement son point de vue à cet égard, alors même que la valeur des ventes constitue un élément de fait déterminant pour le calcul de l’amende et qui, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, doit être soumis au débat contradictoire. En effet, cette communication ne contiendrait pas d’information relative aux ventes retenues pour le calcul du montant de base de l’amende et à la méthode que la Commission entendait suivre pour identifier les ventes pertinentes. En outre, ce document ne contiendrait aucune indication s’agissant du taux de gravité que la Commission allait appliquer ou encore de la façon dont la récidive pourrait être prise en compte.

107    Aucune des demandes de renseignements complémentaires adressées à Saint-Gobain à un stade ultérieur, relatives à la détermination de la valeur des ventes, n’aurait comblé ces lacunes. Quant à l’indication, dans la communication des griefs, que les ventes affectées seraient déterminées par application du paragraphe 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »), elle serait dépourvue de pertinence en l’espèce dès lors que ce mode de calcul était encore incertain à l’époque où la décision attaquée a été préparée. Ces incertitudes seraient notamment reflétées dans le manque de cohérence des diverses demandes de renseignement adressées par la Commission à Saint-Gobain à ce sujet.

108    Dans ces conditions, Saint-Gobain estime ne pas avoir été en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la méthode de calcul de l’amende avant l’adoption de la décision attaquée.

109    Saint-Gobain critique également la jurisprudence selon laquelle la Commission, dans le cadre de procédures visant à instruire et à sanctionner des infractions au droit de la concurrence, serait uniquement tenue d’indiquer aux destinataires de ses décisions les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner l’imposition d’une amende, sans que ces mêmes destinataires puissent revendiquer un droit à anticiper de telles décisions. Selon elle, une telle jurisprudence n’est pas de nature à garantir le respect des droits fondamentaux. De plus, il y aurait lieu de tenir compte du fait que la communication d’informations plus précises au cours de la procédure d’enquête ne permettrait pas nécessairement aux entreprises concernées d’anticiper la décision de la Commission, puisque cette dernière ne serait pas liée par de telles indications au moment d’adopter la décision.

110    Saint-Gobain fait encore valoir que, par l’adoption des lignes directrices de 2006, la Commission a limité son pouvoir d’appréciation concernant la base de calcul de l’amende, le concept de « ventes affectées » constituant un élément objectif et vérifiable. Il s’ensuit que la Commission, en tout état de cause, ne saurait se prévaloir en l’espèce de la jurisprudence qui vise à écarter le risque d’une anticipation inappropriée des futures décisions du collège des commissaires.

111    La Commission rappelle tout d’abord que, conformément à une jurisprudence bien établie, le fait de donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, au stade de la communication des griefs, reviendrait à anticiper de façon inappropriée ses décisions. Or, les entreprises ne devraient pas être en mesure d’anticiper avec précision le niveau des amendes pour exercer leurs droits de la défense. Partant, le droit à être entendu serait respecté pour peu que la Commission indique, dans une telle communication, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle y renseigne les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner l’adoption d’une décision portant condamnation à de telles amendes.

112    La Commission souligne ensuite que la communication des griefs adressée à Saint-Gobain annonçait clairement que la méthode de calcul contenue dans les lignes directrices de 2006 serait appliquée en l’espèce. Elle fait également valoir qu’elle a adressé aux entreprises concernées diverses demandes de renseignements sur la valeur des ventes pertinentes pour le calcul de l’amende. Compte tenu de la marge d’appréciation dont elle dispose pour le calcul des amendes en cas d’infraction à l’article 81 CE, la Commission estime dès lors que les droits de la défense de Saint-Gobain ont été pleinement respectés dans la décision attaquée.

113    La Commission s’oppose également à l’argument de Saint-Gobain selon lequel cette dernière n’aurait pas été en mesure de faire utilement connaître son point de vue sur la prise en compte de la récidive comme circonstance aggravante. Elle fait valoir, à cet égard, qu’elle a spécifiquement attiré l’attention de Saint-Gobain, dans la communication des griefs, sur la circonstance aggravante de la récidive ainsi que sur divers constats précédents d’infraction à l’article 81 CE. La Commission, de cette façon, serait allée au-delà même des obligations qui pèsent sur elle en vertu de l’arrêt Groupe Danone/Commission, point 97 supra (point 50). La circonstance que Saint-Gobain a reçu des informations suffisantes dans la communication des griefs, s’agissant de la récidive, serait attestée par les arguments avancés par cette entreprise en vue de contester cette circonstance aggravante dans sa réponse à ladite communication.

b)     Appréciation du Tribunal

114    L’argumentation de Saint-Gobain comprend deux griefs distincts, pris d’une violation de ses droits de la défense.

115    Par son premier grief, Saint-Gobain reproche à la Commission de ne pas lui avoir indiqué, avant l’adoption de la décision attaquée, la valeur des ventes qu’elle retiendrait pour calculer l’amende qui lui a été infligée, la méthode de calcul employée à cet effet ainsi que le taux de gravité qui serait appliqué.

116    Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence bien établie, au stade de la communication des griefs, le fait de donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n’ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (voir arrêts de la Cour Musique Diffusion française e.a./Commission, point 77 supra, point 21, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 434, et la jurisprudence citée).

117    En effet, le fait qu’un opérateur économique ne puisse, à l’avance, connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission infligera dans chaque espèce apparaît justifié au regard des objectifs de répression et de dissuasion poursuivis par la politique des sanctions en matière de concurrence. Ces objectifs seraient menacés si les entreprises concernées étaient en mesure d’évaluer les bénéfices qu’elles retireraient de leur participation à une infraction en tenant compte, par avance, du montant de l’amende qui leur serait infligée en raison de ce comportement illicite (arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 83).

118    Ainsi, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction et le fait d’avoir commis celle-ci de propos délibéré ou par négligence, elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d’être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais aussi contre le fait de se voir infliger une amende (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, point 428, et la jurisprudence citée, et arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 181).

119    Par ailleurs, il n’incombe pas à la Commission d’annoncer aux entreprises qui font l’objet de poursuites pour infraction à l’article 81 CE, dans la communication des griefs, l’ampleur d’une éventuelle augmentation de l’amende opérée afin d’assurer l’effet dissuasif de celle-ci (arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 62).

120    Il s’ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire valoir leurs observations sur la durée, la gravité et le caractère anticoncurrentiel des faits reprochés, mais ne requièrent pas en revanche que cette possibilité couvre la manière dont la Commission entend se servir des critères impératifs de la gravité et de la durée de l’infraction en vue d’une telle détermination (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, point 439). Les entreprises concernées bénéficient, à cet égard, d’une garantie supplémentaire, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, dans la mesure où le Tribunal statue avec une compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l’amende (voir arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 200, et la jurisprudence citée).

121    En l’espèce, il y a lieu tout d’abord de constater que la Commission a présenté en détail, dans la communication des griefs, dont Saint-Gobain a été destinataire, le cadre factuel sur lequel elle entendait se fonder pour constater une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE. Elle a en outre exposé, aux pages 129 à 131 ainsi qu’aux pages 132 à 135 de la communication des griefs, les raisons pour lesquelles elle considérait que les contacts auxquels avait participé Saint-Gobain étaient constitutifs d’accords ou de pratiques concertées au sens de cette disposition.

122    Ensuite, la Commission a également exposé, aux pages 132 à 135 et 152 à 155 de la communication des griefs, les éléments sur lesquels elle s’était fondée pour apprécier, notamment, la durée de la participation de Saint-Gobain à l’infraction. Elle a également décrit, aux pages 156 et 157 de ladite communication, les principaux facteurs dont elle tiendrait compte en vue d’apprécier la gravité de l’infraction, à savoir notamment le fait que des arrangements collusoires du type de ceux qui sont au cœur de la présente affaire figurent parmi les infractions les plus graves à l’article 81, paragraphe 1, CE, que ces arrangements se sont répercutés sur l’ensemble du secteur du verre automobile, au détriment non seulement des constructeurs automobiles, mais aussi du grand public, que les participants à l’entente étaient conscients du caractère illégal de leurs agissements et que les activités de l’entente ont porté sur l’ensemble de l’EEE.

123    Au point 489 de la communication des griefs, la Commission a, au demeurant, précisé qu’elle entendait tenir compte du rôle de chef de file potentiel de Saint-Gobain dans l’entente, dès lors que celle-ci aurait, à diverses reprises, représenté les intérêts d’autres entreprises lors de réunions du club et qu’elle aurait, de surcroît, convoqué la plupart des réunions dudit club. Elle a ajouté qu’elle calculerait également le montant des amendes en fonction de la durée de la participation de chacune des entreprises concernées à l’entente ainsi que d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes.

124    Or, dès lors qu’elle avait indiqué de cette façon les principaux éléments de fait et de droit sur lesquels elle baserait son calcul du montant des amendes, la Commission, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 120 ci-dessus, n’était pas tenue de préciser la manière dont elle se servirait de chacun desdits éléments pour la détermination du niveau de l’amende. Il est sans importance, à cet égard, que la Commission se soit finalement écartée en partie, dans la décision attaquée, de la méthode de calcul de la valeur des ventes pertinentes prescrite au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006.

125    En tout état de cause, il y a lieu de relever que la Commission a indiqué, à la page 156 de la communication des griefs, que l’amende qu’elle infligerait en l’espèce serait calculée par référence aux principes édictés dans les lignes directrices de 2006. Or, si, ainsi qu’il ressort des considérants 664 à 667 de la décision attaquée, la Commission a décidé en l’espèce de déroger en partie à cette méthode de calcul en ce qui concernait les ventes de vitrage prises en compte, c’était précisément en vue de répondre à certaines des objections formulées par les destinataires de la communication des griefs s’agissant de la méthode de calcul des ventes pertinentes prescrite au paragraphe 13 desdites lignes directrices, dans leurs observations sur cette communication ainsi que dans leurs réponses à diverses demandes de renseignements qui leur avaient été adressées par la Commission.

126    Il s’ensuit que la Commission a suffisamment informé Saint-Gobain, avant l’adoption de la décision attaquée, des éléments de fait et de droit sur lesquels elle entendait se fonder aux fins de constater la participation de celle-ci à une infraction à l’article 81 CE et que les droits de la défense de Saint-Gobain ont, dans cette mesure, été respectés. Partant, le premier grief ne saurait prospérer.

127    Par son second grief, Saint-Gobain soutient que la Commission ne l’a pas mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire valoir utilement son point de vue en ce qui concerne la prise en compte de la récidive comme circonstance aggravante.

128    À cet égard, il suffit de souligner, sans préjudice de l’examen de la première branche du sixième moyen ci-après, que, aux pages 157 et 158 de la communication des griefs, la Commission a non seulement attiré l’attention des entreprises concernées sur le fait qu’elle pourrait appliquer les dispositions relatives à la récidive à titre de circonstance aggravante, mais a aussi précisé, dans le cas de Saint-Gobain et de la Compagnie, les trois décisions antérieures sanctionnant des infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE sur lesquelles elle entendait se fonder pour constater la circonstance aggravante de récidive à leur égard. Il ressort d’ailleurs de la réponse présentée par Saint-Gobain à la communication des griefs que celle-ci a fait valoir divers arguments en vue de s’opposer à une éventuelle majoration de l’amende pour récidive, fondée sur l’une ou l’autre de ces décisions.

129    Le second grief ne saurait dès lors être retenu. Partant, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

3.     Sur le troisième moyen, pris d’une motivation insuffisante et d’une erreur dans le calcul de l’amende

130    Il convient d’examiner comme étant un moyen unique les moyens que Saint-Gobain présente dans la requête comme étant ses troisième et quatrième moyens, dans la mesure où ils constituent deux branches d’un même moyen, relatif aux chiffres de ventes retenus par la Commission pour le calcul du montant de base de l’amende infligée à Saint-Gobain.

a)     Sur la première branche, prise d’une insuffisance de motivation

 Arguments des parties

131    Dans une première branche, Saint-Gobain soutient que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation au sens de l’article 253 CE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux, dès lors qu’elle n’indique pas précisément les différents chiffres de ventes sur la base desquels l’amende a été calculée, en application du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006. L’obligation de motiver la décision attaquée sur ce point s’imposerait d’autant plus s’agissant d’un domaine dans lequel la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire en vue d’imposer de lourdes amendes.

132    Saint-Gobain reproche plus particulièrement à la Commission de n’avoir fourni aucun élément de nature à établir si le chiffre de ventes retenu à son égard est le résultat d’un calcul exact et cohérent ou, au contraire, si ce calcul est entaché d’un vice. En effet, la décision attaquée ne permettrait pas d’identifier les constructeurs qui ont été pris en compte pendant les périodes de montée en puissance et à la fin de l’infraction, à l’égard desquels la Commission soutient détenir des preuves directes qu’ils ont fait l’objet de l’entente litigieuse. Il s’ensuit également que Saint-Gobain ne serait pas en mesure de vérifier si de telles preuves existent. La décision n’indiquerait pas non plus les montants des ventes par constructeur durant les trois phases de l’infraction. Enfin, la décision ne ferait pas apparaître le nombre exact de mois de participation pris en compte par la Commission pour calculer la moyenne annuelle de la valeur des ventes affectées. Dans ces circonstances, le Tribunal ne serait pas en mesure d’exercer son contrôle juridictionnel de manière adéquate et la décision attaquée serait entachée d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation.

133    L’obligation de motivation qui pèse sur la Commission serait renforcée par la circonstance que cette dernière s’est, dans la décision attaquée, écartée des règles issues des lignes directrices de 2006 s’agissant des ventes devant servir de base au calcul de l’amende. Alors que ces lignes directrices prescrivent la prise en compte de la valeur de la vente des biens concernés durant la dernière année complète de participation à l’infraction, la Commission aurait retenu en l’espèce un chiffre représentant une moyenne annuelle pondérée des ventes au cours de l’ensemble de la période d’infraction.

134    Saint-Gobain ajoute que l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée, s’agissant de la valeur des ventes retenue, ne saurait être compensée par les informations communiquées au cours de la procédure juridictionnelle devant le Tribunal. En tout état de cause, les informations complémentaires avancées par la Commission dans ses écritures en défense ne seraient pas de nature à constituer une motivation suffisante, d’importantes questions demeurant sans réponse.

135    La Commission s’oppose à ces critiques. Elle souligne que la décision attaquée contient une explication sur la méthode qu’elle a suivie pour déterminer le montant de base de l’amende. Or, il résulterait notamment de l’arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission (C‑196/99 P, Rec. p. I‑11005, point 56), que des données chiffrées ne sont pas indispensables pour que la motivation d’une décision infligeant une amende puisse apparaître comme suffisante.

136    Selon la Commission, les explications complémentaires qu’elle a fournies dans le cadre de ses écritures en défense pouvaient déjà être déduites d’un examen attentif de la décision attaquée ou, à tout le moins, étaient prévisibles.

137    Ainsi, contrairement à ce qu’allègue Saint-Gobain, les constructeurs automobiles qui ont été pris en compte lors des phases de montée en puissance et de déclin de l’entente seraient identifiés dans la décision attaquée, dans la présentation du cadre factuel de celle-ci. Il en irait de même du fait qu’un constructeur ayant fait l’objet d’une collusion au cours d’une année déterminée a également été pris en compte au titre des années suivantes. Le nombre de mois concernés, pour chaque participant à l’infraction et pour chaque période, pourrait lui aussi être déduit des motifs de la décision attaquée.

138    Quant au chiffre d’affaires retenu pour l’année 1998, la Commission a indiqué que, en l’absence de précisions suffisantes communiquées par les entreprises concernées à ce sujet, elle avait été effectivement contrainte d’opérer une estimation sur la base des données chiffrées de l’année 1999, mais en ne prenant en considération que les constructeurs qui avaient fait l’objet d’une collusion en 1998.

139    En outre, la Commission aurait dûment expliqué, dans la décision attaquée, les raisons qui l’ont conduite à déroger en l’espèce au principe de la prise en compte des ventes de la dernière année complète de participation à l’infraction, tel qu’il est prévu par les lignes directrices de 2006. Cette dérogation serait justifiée par les caractéristiques de l’entente qui fait l’objet de la décision attaquée, relative à des contrats de fourniture de verre automobile conclus après adjudication et qui étaient appelés à rester en vigueur durant de longues périodes. Ce contexte aurait rendu nécessaire la prise en compte de phases distinctes, reflétant notamment la montée en puissance de l’entente et le déclin de celle-ci jusqu’à sa cessation. Cette dérogation aurait d’ailleurs été favorable aux entreprises destinataires de ladite décision, puisque, selon la Commission, l’amende aurait été beaucoup plus élevée si le chiffre d’affaires total réalisé durant la dernière année de l’infraction avait été retenu.

140    La Commission ajoute qu’elle ne pouvait divulguer de chiffres de ventes plus précis dans la décision attaquée, ceux-ci constituant des secrets d’affaires.

 Appréciation du Tribunal

141    Par la première branche du troisième moyen, Saint-Gobain reproche en substance à la Commission, d’une part, de ne pas avoir détaillé dans la décision attaquée le calcul au terme duquel elle a retenu à son égard un chiffre de ventes pertinent de [confidentiel] millions d’euros et, d’autre part, de ne pas avoir explicité les raisons qui l’ont conduite à déroger en l’espèce au mode de calcul inscrit au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006.

142    Aucun de ces deux griefs ne saurait cependant être retenu.

143    Il y a lieu de rappeler à cet égard que, conformément à l’article 253 CE, désormais complété par l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux, la Commission est tenue de motiver les décisions qu’elle adopte.

144    L’obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, point 135 supra, point 52, et la jurisprudence citée).

145    La motivation doit donc, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L’absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant le Tribunal (arrêt de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22).

146    L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a été adopté (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63).

147    S’agissant de l’indication de données chiffrées relatives au calcul des amendes, il convient de relever que la Commission n’a effectivement pas détaillé, dans la décision attaquée, les chiffres de ventes spécifiques de Saint-Gobain qu’elle a retenus en vue du calcul de l’amende infligée à celle-ci.

148    Toutefois, en ce qui concerne la fixation d’amendes au titre de violations du droit de la concurrence, la Commission remplit son obligation de motivation lorsqu’elle indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction commise, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, point 66 ; voir arrêts du Tribunal du 3 mars 2011, Siemens/Commission, T‑110/07, Rec. p. II‑477, point 311, et la jurisprudence citée, et du 13 juillet 2011, Schindler Holding e.a./Commission, T‑138/07, Rec. p. II‑4819, point 243, et la jurisprudence citée).

149    Ainsi, l’indication de données chiffrées relatives au mode de calcul du montant des amendes, pour utiles que soient de telles données, n’est pas indispensable au respect de l’obligation de motivation (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, points 75 à 77, et arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffaisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 414).

150    En effet, en ce qui concerne la motivation de la fixation du montant des amendes en termes absolus, il y a lieu de rappeler que, en prévoyant notamment que l’amende infligée à une entreprise qui commet une infraction aux règles de la concurrence de l’Union est fixée en prenant en considération la durée et la gravité de cette infraction, et que ladite amende ne peut dépasser 10 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent par cette entreprise, l’article 23 du règlement no 1/2003 confère à la Commission une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, Rec. p. II‑1333, point 335, et la jurisprudence citée).

151    De plus, il importe d’éviter que les amendes soient aisément prévisibles par les opérateurs économiques. Or, si la Commission avait l’obligation d’indiquer dans sa décision les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul du montant des amendes, il serait porté atteinte à l’effet dissuasif de celles-ci. Si le montant de l’amende était le résultat d’un calcul obéissant à une simple formule arithmétique, les entreprises auraient en effet la possibilité de prévoir l’éventuelle sanction et de la comparer aux bénéfices qu’elles tireraient de l’infraction aux règles du droit de la concurrence (arrêts BPB/Commission, point 150 supra, point 336, et Degussa/Commission, point 117 supra, point 83).

152    Contrairement à ce que soutient Saint-Gobain, la seule circonstance que la méthode de calcul des amendes a été adaptée dans le cadre des lignes directrices de 2006 n’est pas de nature à remettre en cause ces constatations.

153    Il résulte du paragraphe 13 de ces lignes directrices que, en vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilise la valeur des ventes de biens ou de services réalisées par l’entreprise concernée, en relation directe ou indirecte avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE et qu’elle prend normalement en compte les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction. De surcroît, en adoptant une telle règle de conduite et en annonçant par la publication de lignes directrices qu’elle l’appliquera dorénavant aux cas concernés par celle-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de cette règle sans justification, sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, point 211).

154    Il s’ensuit qu’il doit être vérifié si, à la lecture de la décision attaquée, Saint-Gobain pouvait comprendre que le calcul du montant de l’amende qui lui a été infligée avait été opéré sur la base d’une méthode alternative à celle prévue au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 et connaissait les raisons qui avaient conduit la Commission à s’écarter en l’espèce de la ligne de conduite qu’elle s’était fixée audit paragraphe.

155    Il y a tout d’abord lieu de relever, à cet égard, que la Commission a indiqué, tant dans la communication des griefs que dans la décision attaquée, que l’amende serait calculée par référence aux principes édictés dans les lignes directrices de 2006. Elle a notamment rappelé, au considérant 658 de la décision attaquée, la règle de calcul des ventes pertinentes énoncée au paragraphe 13 desdites lignes directrices. La Commission a également exposé les raisons pour lesquelles, selon elle, le calcul de la valeur des ventes pertinentes ne pouvait être opéré, en l’espèce, par référence aux seuls contrats pour lesquels elle disposait de preuves directes d’un accord ou d’une pratique concertée. Pour justifier cette approche, la Commission a notamment fait valoir, aux considérants 660 à 662 de la décision attaquée, non seulement que des accords ou des pratiques concertées avaient pu être établis à l’égard de l’ensemble des grands constructeurs automobiles dans l’EEE, au cours de la période d’infraction, mais aussi que cette entente visait à la stabilité globale des parts de marché des participants et que cette stabilité était notamment poursuivie par le biais d’un mécanisme de compensation reposant sur tous les comptes individuels et mettant en jeu l’ensemble des éléments de vitrage.

156    La Commission a ensuite indiqué qu’elle s’écarterait, en l’espèce, de la méthode de calcul consistant à ne retenir que les ventes réalisées durant la dernière année complète de participation à l’infraction. Aux considérants 664 à 667 de la décision attaquée, la Commission a justifié cette dérogation à la règle inscrite au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, en substance, par le fait que l’entente litigieuse présentait la particularité d’avoir connu une intensité variable entre mars 1998 et mars 2003. Au cours d’une première période, comprise entre mars 1998 et la première moitié de l’année 2000, qualifiée de période de « montée en puissance », la Commission n’aurait disposé de preuves directes de l’infraction qu’au sujet d’une partie des constructeurs automobiles européens. Durant la période comprise entre le 1er juillet 2000 et le 3 septembre 2002, en revanche, les accords ou les pratiques concertées auraient concerné au moins 90 % des ventes de verre automobile de première monte au sein de l’EEE. Enfin, la période comprise entre le 3 septembre 2002 et la fin de la période d’infraction, qualifiée de période de « déclin », se serait caractérisée par un ralentissement des activités du cartel à la suite du départ de Pilkington.

157    Compte tenu de ces circonstances, la Commission a indiqué avoir retenu une approche « plus calibrée » consistant à réduire le poids de la période de montée en puissance ainsi que celui de la période de déclin lors du calcul de l’amende de base, en ne retenant dans ce cadre que la valeur des ventes à des constructeurs automobiles pour lesquels elle disposait de preuves directes qu’ils avaient fait l’objet d’une collusion. En revanche, la Commission a précisé que l’ensemble des ventes au sein de l’EEE avaient été prises en compte pour la période comprise entre le 1er juillet 2000 et le 3 septembre 2002. Ainsi qu’il a été constaté au point 155 ci-dessus, la Commission a notamment justifié cette approche, aux considérants 660 à 662 de la décision attaquée, en indiquant que des accords ou des pratiques concertées avaient pu être établis à l’égard de l’ensemble des grands constructeurs automobiles dans l’EEE, au cours de la période d’infraction, mais aussi que cette entente visait à la stabilité globale des parts de marché des participants et que cette stabilité était notamment poursuivie par le biais d’un mécanisme de compensation reposant sur tous les comptes individuels et mettant en jeu l’ensemble des éléments de vitrage.

158    Selon le considérant 667 de la décision attaquée, les ventes retenues aux fins du calcul de l’amende ont été déterminées, pour chaque participant au cartel, sur la base des ventes totales pondérées de la façon qui vient d’être exposée, divisées par le nombre de mois de participation à l’infraction et multipliées par douze afin d’obtenir une moyenne annuelle pondérée. La Commission a encore précisé que ces calculs avaient été effectués sur la base des chiffres fournis par les entreprises concernées en réponse à la demande de renseignements qui leur avait été adressée le 25 juillet 2008.

159    Ainsi que la Commission le souligne à juste titre dans ses écritures, ces explications doivent être lues à la lumière d’autres parties de la décision attaquée, relatives notamment au fonctionnement de l’entente (considérants 120 à 428 de la décision attaquée), dans lesquelles la Commission a systématiquement identifié les constructeurs qui ont fait l’objet de contacts illégaux au cours des différentes périodes de l’infraction.

160    De surcroît, la Commission a fourni diverses précisions, dans la décision attaquée, sur la méthode qu’elle a suivie pour calculer les amendes qu’elle a infligées à chacune des entreprises concernées en l’espèce, s’agissant notamment des chiffres de ventes pertinents, de la proportion de la valeur des ventes prise en compte, du montant additionnel ainsi que des ajustements du montant de base de l’amende.

161    Enfin, s’il vrai que la décision attaquée ne fournit pas d’explication quant aux chiffres de ventes qui ont été retenus pour l’année 1998, il y a lieu de constater que Saint-Gobain n’a pas fourni de chiffres de ventes par constructeur pour cette année au cours de l’enquête. Il s’ensuit que, comme la Commission le fait valoir à juste titre, c’est de manière légitime et prévisible, dans ce contexte, qu’elle a utilisé les chiffres de ventes de l’année la plus proche, en l’occurrence l’année 1999, en vue de calculer l’amende infligée à Saint-Gobain.

162    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les indications figurant dans la décision litigieuse permettaient à Saint-Gobain de comprendre non seulement les motifs qui ont conduit la Commission à déroger partiellement à la règle de conduite inscrite au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 en l’espèce, mais aussi les éléments sur la base desquels la Commission a examiné la gravité et la durée de l’infraction de même que la méthode de calcul de l’amende. Dès lors, en dépit du fait que les détails de ce calcul ne figurent pas dans la décision attaquée, cette dernière n’est pas entachée d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation à cet égard.

163    La première branche du moyen n’est donc pas fondée.

b)     Sur la seconde branche, prise d’une erreur de calcul

 Arguments des parties

164    Saint-Gobain, qui soutient avoir découvert, à la lecture du mémoire en défense de la Commission, que cette dernière a commis une erreur manifeste d’appréciation consistant en une erreur de calcul de l’amende, soulève à cet égard un moyen nouveau dans sa réplique.

165    Saint-Gobain relève que le chiffre des ventes affectées initialement retenu par la Commission, en ce qui la concerne, était de [confidentiel] d’euros. Or, en appliquant de manière scrupuleuse la méthode de calcul préconisée par la Commission, Saint-Gobain parviendrait à un chiffre de [confidentiel] d’euros, soit un montant inférieur de [confidentiel] d’euros à celui retenu par la Commission. Cette différence pourrait s’expliquer, selon Saint-Gobain, par l’inclusion dans la base de calcul des amendes des chiffres correspondant à des ventes réalisées en dehors de l’EEE. Or, conformément au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, il ne saurait être tenu compte de tels chiffres lors du calcul d’une amende pour infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE.

166    La Commission émet des doutes quant à la recevabilité de cette branche du moyen. Selon elle, Saint-Gobain aurait déjà pu avancer ce grief dans sa requête, dès lors qu’il ressort de la décision attaquée que ce sont les chiffres de ventes communiqués par Saint-Gobain qui ont servi de base au calcul de l’amende infligée à cette entreprise.

167    Sur le fond, la Commission fait valoir qu’elle a retenu les chiffres de ventes qui lui ont été communiqués par Saint-Gobain. Certes, cette dernière aurait indiqué, au cours de l’enquête, qu’une partie des ventes correspondant auxdits chiffres n’était pas affectée par l’entente et que certaines des ventes concernées avaient été réalisées en dehors de l’EEE. Toutefois, Saint-Gobain n’aurait pas spécifié le type de ventes réalisées en dehors de l’EEE, ni les clients concernés par celles-ci, ni même le montant du chiffre d’affaires qu’elles représentaient. En outre, les chiffres avancés par Saint-Gobain, sur ce point, n’auraient pas été certifiés.

168    La Commission avance plusieurs autres circonstances qui, selon elle, faisaient obstacle à la réduction des chiffres d’affaires pertinents sollicitée par Saint-Gobain, s’agissant de ventes réalisées en dehors de l’EEE. Tout d’abord, Saint-Gobain n’aurait pas expliqué si ces éventuelles livraisons en dehors de l’EEE avaient fait l’objet de discussions centralisées par les constructeurs ou si elles tombaient en dehors de la gestion centralisée. Ensuite, il ne pouvait être exclu, selon la Commission, que ces livraisons aient été destinées à des dépôts de constructeurs dans l’Union, en vue d’un usage par des revendeurs agréés en dehors de l’EEE. Par ailleurs, une éventuelle réduction des chiffres de ventes en ce sens aurait nécessité, pour certaines périodes de l’infraction, une répartition précise des ventes à chaque constructeur concerné, laquelle n’a pas été fournie par Saint-Gobain. Enfin, la Commission relève que Saint-Gobain n’a avancé aucune preuve fiable démontrant que des ventes avaient été réalisées en dehors de l’EEE. Il ressortirait d’ailleurs du dossier d’enquête que Saint-Gobain a elle-même renoncé à procéder à une ventilation détaillée de ce type, compte tenu du faible montant des ventes concernées.

 Appréciation du Tribunal

169    Le Tribunal souligne, à titre liminaire, que la Commission a confirmé l’hypothèse avancée par Saint-Gobain selon laquelle l’amende qui a été infligée à cette dernière a été calculée en ne déduisant pas des chiffres de ventes communiqués les éventuels montants correspondant à des ventes prétendument réalisées en dehors de l’EEE.

170    Il y a lieu de relever ensuite que, dans les demandes de renseignements qu’elle avait adressées à Saint-Gobain le 10 décembre 2007 et le 25 juillet 2008, la Commission avait sollicité de cette dernière qu’elle lui communique son chiffre d’affaires réalisé au sein de l’EEE au cours de plusieurs exercices successifs. Dans chacune de ces demandes, la Commission avait demandé à Saint-Gobain de fournir, si possible, des chiffres certifiés et de distinguer le chiffre d’affaires réalisé pour chaque constructeur automobile concerné.

171    Dans ses réponses communiquées à la Commission le 28 janvier 2008 et le 22 août 2008, Saint-Gobain a fourni des renseignements relatifs à ses chiffres d’affaires globaux et par constructeur pour les années 1999 à 2004, issus de sa base de données commerciale internationale. En revanche, Saint-Gobain a indiqué, dans ces mêmes réponses, que les chiffres communiqués comprenaient également des ventes de verre automobile à des clients situés en dehors de l’EEE, à savoir en Pologne, en République tchèque et en Slovaquie. Estimant toutefois que ces ventes représentaient un chiffre d’affaires relativement faible et qu’il aurait été difficile de les retirer de la base de données commerciale internationale, Saint-Gobain a fait savoir à la Commission qu’elle avait renoncé à procéder à une adaptation de ladite base de données en ce sens. Elle a cependant déduit des chiffres d’affaires globaux, pour chaque année concernée, un pourcentage censé refléter les ventes réalisées en dehors de l’EEE.

172    Ainsi, force est de constater que les réponses visées au point précédent ne contenaient pas un calcul spécifique, par constructeur et par année, des ventes effectuées à des clients situés en dehors de l’EEE, en dépit des demandes de renseignements adressées en ce sens par la Commission à Saint-Gobain. Or, il ressort du considérant 667 de la décision attaquée que la Commission, s’agissant des périodes de montée en puissance et de déclin de l’entente, n’a tenu compte que des chiffres de ventes à des constructeurs au sujet desquels elle était en mesure de démontrer que des contrats de fourniture de verre automobile avaient fait l’objet d’accords ou de pratiques collusoires. Il s’ensuit que la Commission ne pouvait, sur la base des renseignements qui lui avaient été fournis par Saint-Gobain, déterminer si et, dans l’affirmative, dans quelle mesure, les pourcentages de ventes que celle-ci soutenait avoir réalisés en dehors de l’EEE concernaient ces constructeurs.

173    Plus généralement, il y a lieu de constater, tout comme la Commission, que Saint-Gobain n’a présenté au cours de l’enquête aucun élément de nature à démontrer que les pourcentages de chiffres d’affaires qu’elle entend voir déduits de la base de calcul de l’amende correspondent bien à des ventes réalisées en dehors de l’EEE.

174    Partant, à supposer même que la présente branche du moyen soit recevable alors qu’elle n’a été présentée qu’au stade de la réplique, le Tribunal estime que la Commission n’a commis aucune erreur en retenant comme chiffres d’affaires, pour le calcul de l’amende infligée à Saint-Gobain, les chiffres d’affaires totaux et par constructeur qui lui avaient été communiqués par celle-ci, sans déduire de ces derniers un pourcentage forfaitaire correspondant prétendument à des ventes réalisées en dehors de l’EEE.

175    Il s’ensuit que la seconde branche du moyen, en ce qu’elle vient au soutien des conclusions en annulation de la décision attaquée, doit être rejetée comme non fondée et, avec elle, le troisième moyen dans son ensemble. Il doit toutefois être précisé que cette branche est également examinée aux points 463 à 477 ci-après, dans la mesure où elle vient au soutien des conclusions en réformation de la décision attaquée.

4.     Sur le quatrième moyen, pris d’une erreur dans l’imputation de la responsabilité du comportement infractionnel de Saint-Gobain à la Compagnie, d’une violation des principes de la personnalité des peines et de la présomption d’innocence ainsi que d’un détournement de pouvoir

176    Le présent moyen correspond, pour l’essentiel, à l’un des moyens soulevés par la Compagnie dans l’affaire T‑73/09. Il convient dès lors de les examiner ensemble.

177    Le troisième moyen soulevé par la Compagnie dans le cadre de l’affaire T‑73/09 contient toutefois un grief subsidiaire, pris également d’un dépassement du plafond visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, mais reposant sur une argumentation différente. La Compagnie soutient en effet que, même s’il fallait conclure que c’est à bon droit que la Commission l’a tenue pour responsable des agissements de sa filiale Saint-Gobain Glass France, elle a toutefois commis une erreur en retenant le chiffre d’affaires global du groupe Saint-Gobain aux fins de calculer le plafond de l’amende visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003. Ce grief étant distinct de celui qui fait l’objet du présent moyen, il est examiné séparément (voir points 442 à 458 ci-après).

a)     Arguments des parties

178    Saint-Gobain et la Compagnie reprochent à la Commission d’avoir imputé à cette dernière les agissements de Saint-Gobain Glass France, qu’elle détient à 100 %, alors même qu’il n’aurait pas été démontré que la Compagnie avait exercé une influence déterminante sur la politique commerciale de Saint-Gobain.

179    La Compagnie fait valoir à cet égard que, tant en raison de la nature des infractions aux règles de la concurrence que de la nature et du degré de sévérité des sanctions qui s’y attachent, une personne morale ne devrait être sanctionnée à ce titre que si la Commission est en mesure de démontrer, de manière positive, son implication dans une telle infraction. L’imputation de la responsabilité d’une infraction à une société mère, pour les agissements de l’une de ses filiales, serait possible lorsqu’il est établi que cette dernière n’a pas agi de manière autonome ou n’a fait qu’appliquer les instructions de ladite société mère. La Compagnie estime, en revanche, que la Commission commet une erreur de droit lorsqu’elle conclut, comme en l’espèce, à une telle imputation sans avoir vérifié si la société mère a effectivement exercé une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale. L’imputation d’un comportement infractionnel dans de telles conditions reviendrait à confondre les concepts de personne morale et d’entreprise et, partant, à méconnaître le principe de la personnalité des peines.

180    Selon la Compagnie, si l’élément relatif à la détention de la totalité du capital d’une filiale constitue un indice fort de l’existence, dans le chef de la société mère, d’un pouvoir d’influence déterminant sur le comportement de la filiale sur le marché, une telle circonstance ne suffit pas, à elle seule, pour permettre d’imputer la responsabilité du comportement d’une filiale à ladite société mère. Un faisceau complémentaire d’indices serait indispensable à cet effet, en dépit de la jurisprudence de l’Union ayant déjà statué en sens contraire.

181    C’est en méconnaissance de ce principe, reconnu dans d’autres systèmes juridiques, ainsi que du principe de la présomption d’innocence que la Commission aurait imputé à la Compagnie l’infraction commise par Saint-Gobain Glass France, alors même qu’aucun élément ne permettait de démontrer que cette dernière s’est bornée à suivre les instructions de sa société mère dans la mise en œuvre de sa politique commerciale. En particulier, des consignes générales données à une filiale ou l’exercice de fonctions non exécutives, au sein de la société mère, par le responsable d’une filiale ne seraient pas de nature à établir l’exercice d’un tel contrôle. La Commission aurait ainsi établi une présomption irréfragable d’influence déterminante à charge de la Compagnie, en méconnaissance des principes dégagés dans l’arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237).

182    La Compagnie considère qu’elle devrait pouvoir se limiter à démontrer que le groupe à la tête duquel elle se trouve n’est pas organisé d’une façon telle qu’elle dispose de moyens humains et matériels suffisants pour s’impliquer de façon régulière et approfondie dans la gestion de la politique commerciale de ses filiales. Or, cela aurait bien été démontré.

183    Tout d’abord, le seul fait qu’il existe une stratégie commune à l’ensemble du groupe Saint-Gobain, publiée sur le site Internet de ce dernier, ne serait pas de nature à démontrer l’exercice par la Compagnie d’une influence déterminante sur la politique commerciale de Saint-Gobain, les principes constitutifs de cette stratégie étant sans rapport avec la politique commerciale des différents pôles d’activités au sein dudit groupe. De surcroît, les moyens humains limités dont dispose la Compagnie, de même que la vocation exclusivement fonctionnelle des différents départements qui la composent, témoigneraient de l’impossibilité pratique dans laquelle elle se trouve d’exercer une influence, même générale, sur la politique commerciale de ses centaines de filiales. La Compagnie ne donnerait ainsi aucune consigne sur les techniques commerciales auxquelles ses filiales doivent avoir recours en vue d’atteindre leurs objectifs. La communication d’un nombre limité d’informations à la Compagnie, telles que les budgets et les rapports financiers, serait au demeurant organisée selon un système « bottom-up », caractéristique d’une gestion décentralisée et de la nature très diversifiée des activités du groupe Saint-Gobain. La Commission ne serait d’ailleurs pas parvenue à démontrer que des rapports précis sur les activités commerciales du pôle « Vitrage » de Saint-Gobain étaient adressés à la Compagnie.

184    Ensuite, le rôle individuel au sein de la Compagnie de M. A., ancien directeur du pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain, ne permettrait pas d’établir l’absence d’autonomie commerciale dudit pôle. Ainsi, la Compagnie fait valoir que les fonctions de M. A. en son sein n’étaient pas exécutives, son titre de directeur général adjoint de la Compagnie présentant un caractère honorifique. M. A. n’aurait à aucun moment été membre du comité exécutif de la Compagnie, qui, sous réserve des attributions du conseil d’administration, prend seul les décisions qui relèvent de la compétence de la Compagnie au sein du groupe. M. A. n’aurait de surcroît exercé des fonctions au sein de la Compagnie qu’à partir du 15 octobre 2001, soit près de quatre années après le début de l’infraction, et n’aurait été responsable de l’innovation dans le groupe qu’à partir du 1er mai 2004, soit plus d’un an après la fin de l’entente litigieuse. Quant au comité de direction générale, si les sujets qui y sont traités présentent bien un intérêt commun à l’ensemble du groupe, les informations qui y sont échangées seraient trop générales pour permettre de déduire l’existence d’une influence déterminante sur la politique commerciale du pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain.

185    S’agissant de la participation de deux employés de la Compagnie au conseil d’administration de Saint-Gobain Glass France, contrairement à ce qu’affirme la Commission, elle serait dénuée de toute pertinence en l’espèce. Il serait en effet habituel qu’un actionnaire à 100 % d’une société détienne un certain nombre de sièges au sein du conseil d’administration de celle-ci. Il s’ensuit que le fait de retenir un tel élément en vue d’imputer l’infraction à la Compagnie, de même que de simples échanges d’informations générales avec Saint-Gobain Glass France, contribuerait à rendre irréfragable la présomption d’influence déterminante dégagée par la jurisprudence.

186    Dans un grief distinct, Saint-Gobain et la Compagnie soutiennent par ailleurs que la décision attaquée est entachée d’un détournement de pouvoir, l’imputation de l’infraction à la Compagnie ayant eu pour seul objet, selon elles, de permettre que l’amende très élevée qui leur a été infligée ne dépasse pas le plafond de 10 % du chiffre d’affaires de chaque « entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction », fixé à l’article 23 du règlement no 1/2003. Il s’ensuit que, indépendamment même des autres moyens du recours, l’amende qui leur a été infligée n’aurait pas dû dépasser 10 % du chiffre d’affaires de Saint-Gobain au cours de l’exercice social précédent, soit [confidentiel] millions d’euros.

187    La Commission soulève, à titre liminaire, une fin de non-recevoir à l’encontre du présent moyen, en tant qu’il est soulevé par Saint-Gobain, dans la mesure où cette dernière se contenterait de renvoyer en l’espèce à certains arguments présentés par la Compagnie au cours de l’enquête et résumés dans la décision attaquée.

188    Sur le fond, la Commission souligne tout d’abord que c’est à tort que la Compagnie lui reproche d’avoir fait un amalgame, dans la décision attaquée, entre les notions d’entreprise et de personne morale. La Commission n’aurait en effet imputé à la Compagnie le comportement infractionnel de Saint-Gobain qu’après avoir constaté que ces sociétés formaient une seule et même entreprise au sens de l’article 81 CE.

189    La Commission rappelle ensuite que, selon une jurisprudence bien établie, une société mère qui détient 100 % du capital d’une filiale est présumée avoir exercé une influence déterminante sur la politique commerciale de cette dernière et, partant, est susceptible de se voir imputer les infractions au droit de la concurrence commises par celle-ci. Cette présomption serait justifiée par la circonstance que, dans une grande majorité des cas, une filiale détenue à 100 % par une société mère ne mène pas sa politique commerciale de manière autonome. Contrairement à ce que soutient la Compagnie, il ne serait dès lors pas nécessaire que la Commission apporte la preuve positive que la société mère a effectivement exercé une telle influence en l’espèce.

190    La Commission expose en outre que, si elle a mentionné dans la décision attaquée certains éléments additionnels en vue d’appuyer cette présomption, il ne saurait en être déduit qu’elle a estimé que ces éléments étaient indispensables pour tenir la Compagnie pour responsable du comportement infractionnel de Saint-Gobain.

191    Selon la Commission, aucune raison ne justifierait l’abandon de la présomption rappelée au point 189 ci-dessus. Tout d’abord, il importerait peu que les ordres juridiques d’États tiers ne reconnaissent pas une forme de présomption réfragable semblable à celle qui vient d’être décrite. Ensuite, cette présomption ne serait pas contraire au principe de l’égalité de traitement entre des sociétés mères qui détiennent l’intégralité du capital d’une filiale et celles qui ne détiennent qu’une part plus restreinte de celui-ci, étant donné que ces sociétés ne se trouvent pas dans des situations comparables. Enfin, en tout état de cause, la Commission aurait déjà retenu, dans des décisions antérieures, la responsabilité d’une société mère qui ne détient qu’une partie du capital de l’une de ses filiales.

192    S’agissant de la pratique administrative antérieure que la Compagnie a cru pouvoir identifier, la Commission indique non seulement qu’une telle pratique ne saurait résulter d’un seul précédent, mais aussi que, en tout état de cause, une éventuelle pratique de ce type ne l’obligerait pas à porter des appréciations identiques dans le cadre de décisions ultérieures. En tout état de cause, la Commission réfute l’existence d’une quelconque contradiction entre ses décisions antérieures, citées par la Compagnie, et la décision attaquée, cette dernière s’inscrivant dans un cadre factuel différent.

193    Par ailleurs, comme l’aurait confirmé la Cour dans son arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 181 supra, la seule circonstance que la présomption d’influence déterminante est difficile à renverser ne signifierait pas que cette présomption est irréfragable. En l’espèce, la Compagnie n’aurait pas apporté d’éléments permettant de renverser la présomption qui pèse sur elle. La Compagnie formerait en effet une entreprise unique avec Saint-Gobain Glass France, au sens du droit de la concurrence. Il s’ensuit également que le grief selon lequel la décision attaquée méconnaîtrait, sur ce plan, le principe de la personnalité des peines ou encore le principe de la présomption d’innocence devrait être rejeté comme non fondé.

194    Cette conclusion serait confirmée par différents éléments.

195    Tout d’abord, la structure commerciale du groupe Saint-Gobain, mise en place par la Compagnie, tendrait à démontrer que cette dernière a exercé une influence déterminante sur le comportement commercial de Saint-Gobain France. En effet, la Compagnie aurait élaboré la stratégie dudit groupe et réparti les activités de ce dernier en secteurs spécifiques. Ce dernier élément témoignerait de sa volonté de garder, en dernier ressort, la maîtrise de la structure et de la conduite de ce groupe, sans que la connaissance de l’infraction par la Compagnie soit pertinente en vue de la mise en œuvre de la présomption. Il serait d’ailleurs normal, dans ce contexte, que les différentes tâches de l’entreprise sanctionnée dans la décision attaquée soient réparties entre la Compagnie et ses filiales qui relèvent du pôle « Vitrage » et que la Compagnie dispose de ressources humaines plus limitées que lesdites filiales.

196    L’allégation de la Compagnie selon laquelle elle ne donnerait aucune instruction précise à ses filiales ne serait en outre aucunement étayée au moyen de preuves. Il y aurait lieu de noter, sur ce dernier point, qu’il existe, au sein de la Compagnie, un département consacré à la recherche et au développement ainsi qu’à l’innovation, de même qu’un poste de juriste spécialisé dans les droits de propriété intellectuelle et un poste de chef des contrats internationaux.

197    La Commission considère, ensuite, que les fonctions exercées par M. A. tant au sein de Saint-Gobain Glass France qu’au sein de la Compagnie contribuent à démontrer l’influence déterminante qu’a eue la Compagnie sur la politique commerciale de cette filiale. M. A. était, en effet, employé de Saint-Gobain Glass France et directeur du pôle « Vitrage » au sein du groupe Saint-Gobain, en charge de l’ensemble des sociétés opérationnelles produisant et commercialisant du vitrage. Contrairement à ce qu’allègue la Compagnie, M. A. aurait exercé la fonction de directeur du pôle « Vitrage » au sein dudit groupe entre octobre 1996 et octobre 2001, avant d’exercer les fonctions de directeur général adjoint. Or, M. A. aurait à plusieurs reprises, en ces diverses qualités, fait rapport des activités du pôle « Vitrage » à la Compagnie et cette dernière n’aurait pas démontré que ces fonctions n’impliquaient aucun rôle exécutif.

198    De surcroît, il ne serait pas contesté que M. A. faisait partie du comité de direction générale, dont la mission est, selon les réponses fournies à la communication des griefs par la Compagnie, de partager les informations générales susceptibles de présenter un intérêt pour les dirigeants du groupe et d’examiner mois après mois les résultats consolidés du groupe Saint-Gobain ainsi que l’évolution de ses effectifs globaux. Ce comité formerait, avec le comité exécutif, l’équipe dirigeante du groupe Saint-Gobain.

199    Quant à la présence de plusieurs membres de la direction de la Compagnie à la tête de Saint-Gobain Glass France, elle témoignerait de l’importance de l’implication de cette société mère dans les activités du pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain.

200    Au demeurant, ni le budget du pôle « Vitrage » pour l’année 2001, ni le plan stratégique pour ce même pôle pour la période 2002-2006, présentés par la Compagnie en annexe à son mémoire en réplique, ne seraient de nature à remettre en cause ces conclusions. En effet, même à supposer que ces documents aient été préparés au niveau du pôle « Vitrage » et n’aient été remis qu’ensuite à la Compagnie, il n’aurait pas été démontré que cette dernière n’était pas en mesure de les modifier, de les rejeter ou de contrôler leur application. Il serait d’ailleurs difficilement concevable que le pôle « Vitrage » soit entièrement autonome dans le groupe Saint-Gobain, compte tenu de la part importante qu’il représente au sein de ce dernier en termes de chiffre d’affaires et de résultats.

201    Enfin, la Commission soutient que l’argument pris d’une prétendue violation du droit à la présomption d’innocence, invoqué par la Compagnie dans son mémoire complémentaire, est tardif et, partant, irrecevable. À titre subsidiaire, elle fait valoir que des présomptions de culpabilité sont possibles dans le domaine pénal, pour autant qu’elles ne dépassent pas un certain seuil. Or, il y aurait lieu de constater, d’une part, que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles constitue un enjeu important et, d’autre part, que les droits de la défense de la Compagnie ont été pleinement respectés en l’espèce, celle-ci ayant été en mesure, à la suite de l’envoi de la communication des griefs, de réfuter la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur la politique commerciale de Saint-Gobain Glass France.

b)     Appréciation du Tribunal

 Sur la recevabilité du moyen en tant qu’il est soulevé par Saint-Gobain

202    Avant d’examiner le moyen au fond, il convient d’examiner la fin de non-recevoir opposée par la Commission audit moyen, en tant qu’il est soulevé par Saint-Gobain. Se fondant sur l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la Commission fait valoir que Saint-Gobain, dans sa requête, s’est contentée de faire référence à des arguments avancés par la Compagnie lors de l’enquête et résumés aux considérants 606 et 607 de la décision attaquée, sans toutefois les développer.

203    En vertu de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui (arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschppij e.a./Commission, dit « PVC II », T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 39). Si le texte de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu de la disposition mentionnée ci-dessus, doivent figurer dans la requête (ordonnance du Tribunal du 27 mars 2009, Alves dos Santos/Commission, T‑184/08, non publiée au Recueil, point 19).

204    En l’espèce, le Tribunal constate que les passages de la requête de Saint-Gobain consacrés au présent moyen sont conformes à ces exigences. Comme la Commission le reconnaît elle-même dans ses écritures, Saint-Gobain ne s’est pas limitée, en l’espèce, à renvoyer purement et simplement à une argumentation contenue dans d’autres écrits. La requête contient en effet plusieurs arguments au soutien du moyen tiré d’une violation du principe de la personnalité des peines, du fait de l’imputation à la Compagnie du comportement infractionnel de Saint-Gobain, ainsi que d’un dépassement du plafond visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 et d’un détournement de pouvoir.

205    Il s’ensuit que la fin de non-recevoir opposée par la Commission au présent moyen, en tant qu’il est soulevé par Saint-Gobain, doit être écartée.

 Sur le fond

206    Sur le fond, il convient de relever, à titre liminaire, que le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des entreprises (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 59) et que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêt de la Cour du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, Rec. p. I‑289, point 107).

207    La Cour a également précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 181 supra, points 54 et 55, et la jurisprudence citée).

208    Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe de répondre de cette infraction, qui doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes. La communication des griefs doit par ailleurs être adressée à cette dernière et lui indiquer en quelle qualité elle se voit reprocher les faits allégués (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 181 supra, points 56 et 57, et la jurisprudence citée).

209    En outre, il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère eu égard, en particulier, aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. En effet, il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 206 et 207 ci-dessus. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 181 supra, points 58 et 59, et la jurisprudence citée).

210    Ce n’est dès lors pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens qui vient d’être exposé qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, point 58).

211    Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (voir arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 181 supra, point 60, et la jurisprudence citée).

212    Ainsi, s’il est vrai que la Cour a évoqué, aux points 28 et 29 de l’arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 148 supra, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d’autres circonstances, telles que la non-contestation de l’influence exercée par la société mère sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés durant la procédure administrative, il n’en demeure pas moins que lesdites circonstances n’ont été mentionnées par la Cour, dans cette affaire, que dans le but d’exposer l’ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement pour conclure que celui-ci n’était pas fondé uniquement sur la détention de la totalité du capital de la filiale par sa société mère. Partant, le fait que la Cour ait confirmé l’appréciation du Tribunal dans cette affaire ne saurait être compris comme impliquant une modification des conditions dans lesquelles opère la présomption d’influence déterminante visée au point précédent (arrêts du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 210 supra, point 62, et du 30 avril 2009, Itochu/Commission, T‑12/03, Rec. p. II‑883, point 50).

213    Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêts de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 181 supra, point 61, et du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec. p. I‑8947, point 57).

214    Afin de déterminer si une filiale détermine de façon autonome son comportement sur le marché, il ne convient pas seulement de tenir compte du fait que la société mère influence la politique des prix, les activités de production et de distribution, les objectifs de vente, les marges brutes, les frais de vente, le « cash-flow » ou encore les stocks et le marketing. Il convient également de prendre en considération, ainsi qu’il a été rappelé au point 209 ci-dessus, l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent cette filiale à la société mère, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l’objet d’une énumération exhaustive (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 181 supra, point 65, et arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 210 supra, points 64 et 65).

215    Une présomption, même difficile à renverser, demeure dans des limites acceptables tant qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi, qu’existe la possibilité d’apporter la preuve contraire et que les droits de la défense sont assurés (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck, C‑45/08, Rec. p. I‑12073, points 43 et 44, et Cour eur. D. H., arrêt Janosevic c. Suède, point 104 supra, § 101 à 110).

216    Or, la présomption d’influence déterminante exercée sur la filiale détenue en totalité ou en quasi-totalité par sa société mère vise notamment à ménager un équilibre entre, d’une part, l’importance de l’objectif consistant à réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence, en particulier l’article 81 CE, et d’en prévenir le renouvellement et, d’autre part, les exigences de certains principes généraux du droit de l’Union tels que, notamment, les principes de présomption d’innocence, de personnalité des peines et de la sécurité juridique ainsi que les droits de la défense, y compris le principe d’égalité des armes (arrêt Elf Aquitaine/Commission, point 213 supra, point 59).

217    Il s’ensuit qu’une telle présomption est proportionnée au but légitime poursuivi.

218    En outre, la présomption rappelée au point 211 ci-dessus repose sur le constat selon lequel, sauf circonstances exceptionnelles, une société détenant la totalité du capital d’une filiale peut, au vu de cette seule circonstance, exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et selon lequel l’absence d’exercice effectif de ce pouvoir d’influence peut normalement le plus utilement être recherchée dans la sphère des entités à l’encontre desquelles la présomption opère. Dans ces conditions, s’il suffisait à une partie intéressée de réfuter ladite présomption en avançant de simples affirmations non étayées, celle-ci serait largement privée de son utilité. Cette présomption est toutefois réfragable et les entités qui souhaitent la renverser peuvent apporter tout élément relatif aux liens économiques, organisationnels et juridiques unissant la filiale à la société mère et qu’elles considèrent comme étant de nature à démontrer que la filiale et la société mère ne constituent pas une entité économique unique, mais que la filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêt Elf Aquitaine/Commission, point 213 supra, points 60 et 61 ; voir, en ce sens, arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 148 supra, point 29).

219    Enfin, la société mère doit être entendue par la Commission avant que celle-ci adopte une décision à son endroit et cette décision peut être soumise au contrôle du juge de l’Union, qui doit statuer dans le respect des droits de la défense (arrêt Schindler Holding e.a./Commission, point 80 supra, point 110).

220    En l’espèce, il est constant que la Compagnie détenait 100 % du capital social de Saint-Gobain Glass France à l’époque de l’infraction.

221    De surcroît, il ressort de la jurisprudence exposée aux points 213 à 215 ci-dessus que, lorsque la Commission se fonde sur la présomption d’exercice d’une influence déterminante pour imputer la responsabilité d’une infraction à une société mère, il incombe à cette dernière de la renverser en apportant des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché. À cet égard, il incombe à la société mère de soumettre tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre elle-même et sa filiale de nature à démontrer qu’elles ne constituent pas une seule entité économique.

222    Il y a donc lieu d’examiner si c’est à bon droit que la Commission a considéré que les éléments qui ont été avancés par la Compagnie au cours de l’enquête ne permettaient pas d’établir l’autonomie commerciale de Saint-Gobain Glass France sur le marché et, partant, de démontrer que celle-ci et la Compagnie ne formaient pas une entité économique unique au sens du droit de la concurrence de l’Union.

223    Ainsi qu’il apparaît aux points 600 et suivants de la décision attaquée, la Commission se fonde, pour l’essentiel, sur trois ordres de considérations aux fins d’appuyer la présomption selon laquelle la Compagnie exerçait une influence déterminante sur la politique commerciale de Saint-Gobain Glass France à l’époque de l’infraction.

224    La Commission avance, en premier lieu, des arguments relatifs à l’organisation commerciale du groupe Saint-Gobain. Ainsi, la Commission, faisant référence à divers rapports annuels de la Compagnie, relève que, si les différents pôles d’activité du groupe Saint-Gobain gèrent leurs propres opérations et définissent et mettent en œuvre les stratégies commerciales et de marketing liées à leur propre activité, ces pôles font néanmoins partie d’un cadre de direction opérationnelle de base, fixé par la Compagnie, destiné à mettre en œuvre le modèle commercial du groupe. La Commission mentionne à cet égard un courrier qui lui a été adressé par Saint-Gobain Glass France le 4 octobre 2006, en réponse à une demande de renseignements qu’elle lui avait adressée, et dont il ressortirait que les initiatives prises et les résultats obtenus par le pôle « Vitrage » du groupe seraient conformes aux priorités et aux objectifs fixés pour toutes les activités du groupe, tels que définis par la direction générale de la Compagnie. D’après la Commission, ce même courrier indiquerait que, quoique les orientations commerciales, telles que les plans d’exploitation et les budgets ainsi que d’importantes décisions commerciales opérationnelles, soient élaborées au niveau des unités commerciales, elles sont adoptées, en dernier ressort, par le directeur du pôle « Vitrage » de Saint-Gobain.

225    En deuxième lieu, la Commission fait valoir des éléments de nature structurelle. Elle souligne ainsi, tout d’abord, les liens qui existaient entre la direction de la Compagnie et celle du pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain. Ainsi, M. A. aurait occupé les fonctions de directeur général adjoint de la Compagnie et, à ce titre, rapporté au directeur général délégué du groupe. M. A. aurait par ailleurs été président du pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain ainsi que de Saint-Gobain Glass France et de Saint-Gobain Sekurit France. Il aurait également été président de Saint-Gobain Sekurit International jusqu’en 2001. M. A. aurait participé aux réunions du comité opérationnel et du comité de direction générale de la Compagnie et aurait, de surcroît, été responsable de l’innovation au sein du groupe Saint-Gobain. Ensuite, il y aurait lieu de tenir compte de la circonstance que trois membres du conseil d’administration de Saint-Gobain Glass France occupaient simultanément des postes de direction au sein de la Compagnie.

226    La Commission ajoute que M. A. est membre de l’équipe de direction du groupe, tout comme le directeur général délégué de celui-ci, et que ledit directeur général délégué est quant à lui également membre du comité exécutif de la Compagnie. Or, il ne serait pas plausible que des membres de l’équipe de direction qui sont à la tête d’un secteur commercial, comme M. A., communiquent uniquement entre eux et assument dès lors la direction du groupe sans la participation du comité exécutif de la Compagnie.

227    En troisième lieu, enfin, la Commission relève que la Compagnie et Saint-Gobain Glass France ont leur siège à la même adresse. Cette circonstance faciliterait le développement d’une politique commerciale uniforme au sein de cette entreprise.

228    La Compagnie et Saint-Gobain contestent ce point de vue.

229    À cet égard, s’il est vrai que certains éléments avancés par la Compagnie indiquent que Saint-Gobain Glass France jouissait d’une autonomie importante, il n’en demeure pas moins que la Compagnie n’est pas parvenue à renverser la présomption qui pèse sur elle en l’espèce.

230    En premier lieu, la Compagnie ne saurait être suivie lorsqu’elle soutient que l’autonomie de Saint-Gobain est attestée par la gestion décentralisée du groupe Saint-Gobain et par le fait que la Compagnie n’est qu’une société faîtière qui n’assume pas de responsabilités opérationnelles et n’intervient pas dans la gestion opérationnelle de ses filiales.

231    En effet, tout d’abord, la Compagnie affirme que sa « charte éthique » se borne à édicter des principes généraux sans lien avec la politique commerciale de ses filiales et soutient que, si elle fixe la stratégie générale du groupe Saint-Gobain, elle laisse en revanche les pôles d’activité libres de définir et de mettre en œuvre leur politique commerciale. Force est toutefois de constater que la Compagnie n’a produit ni sa « charte éthique » ni un quelconque document de nature à étayer ces affirmations.

232    Ensuite, dans le contexte d’un groupe de sociétés, une société holding a vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et a pour fonction d’en assurer l’unité de direction (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 63, et du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, point 283). Dès lors, en l’absence d’indices démontrant que tel n’est pas le cas, il y a lieu de considérer que les liens qui unissent la Compagnie à Saint-Gobain Glass France sont de nature à impliquer que la Compagnie exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale à l’époque à laquelle l’infraction a été commise, en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe Saint-Gobain (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, T‑299/08, Rec. p. II‑2149, point 99). Il y a d’ailleurs lieu de relever à cet égard, d’une part, que la Compagnie admet fixer des objectifs généraux de rentabilité à ses filiales, veiller à l’équilibre financier et à la réputation de celles-ci, et contribuer au financement des investissements qu’elles réalisent et, d’autre part, que, selon les chiffres communiqués par la Compagnie elle-même, près de la moitié des employés de celle-ci sont attachés aux affaires financières.

233    Quant à la répartition interne des diverses activités de la Compagnie, qui s’apparente à une gestion décentralisée, entre plusieurs divisions ou départements, elle constitue un phénomène normal au sein des groupes de sociétés tel que celui à la tête duquel se trouve la Compagnie et n’est donc pas davantage de nature à renverser la présomption selon laquelle la Compagnie et Saint-Gobain constituaient une seule entreprise au sens de l’article 81 CE (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, point 232 supra, point 99).

234    En deuxième lieu, la Compagnie ne saurait être suivie lorsqu’elle soutient, d’une part, que Saint-Gobain Glass France a toujours défini de manière autonome sa stratégie commerciale, dès lors que la Compagnie n’a jamais arrêté ni approuvé ses plans d’activité et ses budgets et que Saint-Gobain Glass France était, en pratique, en mesure d’agir de manière autonome sur le marché et, d’autre part, que Saint-Gobain Glass France disposait d’une pleine autonomie financière, dès lors que le contrôle qu’exerçait sur elle la Compagnie était très général.

235    En effet, outre que la Compagnie n’avance aucun élément de nature à étayer de telles affirmations, il y a lieu de relever que, selon un courrier adressé par Saint-Gobain Glass France à la Commission le 4 octobre 2006, en réponse à une demande de renseignements que lui avait adressée cette dernière, la Compagnie approuvait les investissements et les budgets de chacun des pôles d’activité du groupe Saint-Gobain et contrôlait régulièrement les résultats engrangés par ces différents pôles. Cet élément tend à corroborer la conclusion selon laquelle la Compagnie exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe Saint-Gobain (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, point 232 supra, point 102).

236    En tout état de cause, à supposer même que les plans d’activité aient été approuvés par la direction du pôle « Vitrage » avant d’être éventuellement transmis à la Compagnie, il ne saurait en être déduit que cette dernière ne pouvait pas les modifier, ni les rejeter ou encore contrôler leur application.

237    En troisième lieu, l’argument de la Compagnie selon lequel Saint-Gobain Glass France lui communiquait des informations selon un système « bottom-up » (du bas vers le haut) et que la transmission de ces informations ne donnait pas lieu à l’envoi subséquent d’instructions à sa filiale, manque de pertinence. En effet, même à supposer que tel était le cas, ce mode de communication des informations d’une filiale à sa société mère est sans préjudice de la faculté qu’a cette dernière d’exercer une influence déterminante sur le comportement de la filiale en question sur le marché. En l’espèce, la confirmation par la Compagnie que les informations contenues dans les budgets et les rapports financiers de ses filiales lui étaient communiquées tend au contraire à confirmer que cette société mère était pleinement en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de la filiale en cause sur le marché en contrôlant la rentabilité de cette dernière et, en fonction des résultats obtenus, en orientant ses choix commerciaux stratégiques. Cette conclusion est encore confortée par l’indication fournie au cours de la procédure administrative par M. A., directeur du pôle « Vitrage » au sein du groupe Saint-Gobain, selon laquelle celui-ci présentait au directeur général délégué de la Compagnie les activités de la branche « Verre automobile » dudit groupe.

238    En quatrième lieu, il convient par ailleurs de rejeter les arguments selon lesquels, d’une part, la Compagnie n’aurait jamais participé à l’infraction et n’aurait même pas eu connaissance de celle-ci, dès lors que les décisions concernant les prix de vente, les soumissions d’offres spécifiques à des constructeurs automobiles et la politique de remise relevaient des seules filiales faisant partie du pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain, et, d’autre part, le marché du verre automobile constituerait un secteur spécifique parmi les cinq pôles d’activité du groupe Saint-Gobain, ne présentant de surcroît que des rapports lointains avec les autres secteurs relevant du pôle « Vitrage ».

239    Aucun de ces arguments n’est en effet de nature à établir que Saint-Gobain Glass France déterminait sa politique commerciale de manière autonome sur le marché.

240    Tout d’abord, il convient de rappeler que, comme il ressort d’une jurisprudence bien établie, ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et la filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés (arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 210 supra, point 58 ; voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 novembre 2011, Groupe Gascogne/Commission, T‑72/06, non publié au Recueil, point 74). Ainsi, les liens organisationnels, économiques et juridiques existant entre la société mère et sa filiale peuvent établir l’existence d’une influence de la première sur la stratégie de la seconde et, dès lors, justifier de les concevoir comme une seule entité économique (arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 210 supra, point 83).

241    Ensuite, le fait que les activités de Saint-Gobain Glass France concernées par la décision attaquée ne concernent que l’un des nombreux marchés sur lesquels le groupe Saint-Gobain est actif manque de pertinence en l’espèce. En effet, il n’est pas inhabituel, pour des groupes tels que celui à la tête duquel se trouve la Compagnie, d’être présents sur plusieurs marchés et de confier la responsabilité des activités qui relèvent de ceux-ci à différentes filiales ou groupes de filiales, sans toutefois qu’une telle circonstance constitue un obstacle à ce que la société faîtière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de ses différentes filiales.

242    Partant, il convient de rejeter l’argument de la Compagnie selon lequel, en substance, la Commission a considéré à tort que les éléments qui ont été portés à sa connaissance au cours de l’enquête ne permettaient pas d’établir que la Compagnie n’exerçait pas une influence déterminante sur la politique commerciale de Saint-Gobain Glass France.

243    Quant au grief pris de ce que le standard de preuve exigé par la Commission en l’espèce, en vue de renverser la présomption, reviendrait à transformer la présomption d’exercice d’une influence déterminante en une présomption irréfragable, il ne saurait être retenu. Conformément à la jurisprudence rappelée aux points 213 à 215 ci-dessus, il n’a en effet pas été exigé de la Compagnie qu’elle rapporte une preuve de son absence d’immixtion dans la gestion de sa filiale, mais uniquement qu’elle produise des éléments de preuve suffisants pour démontrer que sa filiale se comportait de façon autonome sur le marché en cause (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, point 232 supra, point 120). Or, la seule circonstance qu’une entité ne produise pas, dans un cas donné, d’éléments de preuve de nature à renverser la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante ne signifie pas que ladite présomption ne peut, en aucun cas, être renversée (arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, point 213 supra, points 65 et 66).

244    Il y a donc également lieu de considérer, eu égard aux développements qui précèdent, que l’approche retenue par la Commission dans la décision attaquée au sujet des éléments avancés par la Compagnie afin de renverser la présomption qui pèse sur elle en l’espèce ne relève pas, prise dans son ensemble, de la probatio diabolica.

245    S’agissant des différentes références faites par la Compagnie à certaines décisions adoptées précédemment par la Commission, dans lesquelles cette dernière n’aurait pas imputé à des sociétés mères les comportements infractionnels de filiales qu’elles détenaient à 100 %, il suffit de rappeler que la pratique décisionnelle de la Commission ne sert pas, en elle-même, de cadre juridique aux amendes en matière d’infraction aux règles de la concurrence, étant donné que celui-ci est uniquement défini dans le règlement no 1/2003, tel qu’appliqué à la lumière des lignes directrices, et que la Commission n’est pas liée par les appréciations qu’elle a portées antérieurement (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, Rec. p. I‑1843, point 82, et Erste Group Bank e.a./Commission, point 118 supra, point 123).

246    De même, il est sans pertinence, aux fins de l’examen de la légalité de la décision attaquée, que des règles d’imputabilité des infractions au droit de la concurrence différentes trouvent à s’appliquer dans d’autres systèmes juridiques.

247    Il résulte des développements qui précèdent que le grief pris d’une erreur de droit dans l’imputation à la Compagnie du comportement infractionnel de Saint-Gobain Glass France ne saurait prospérer.

248    Dès lors que c’est à bon droit que la Commission a considéré que la Compagnie et Saint-Gobain Glass France constituaient une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, il convient par ailleurs de rejeter comme étant inopérant l’argument de la Compagnie selon lequel, en substance, la présomption d’exercice d’une influence déterminante dont la Commission a fait usage dans la décision attaquée et dont la Cour a reconnu la légalité, dans son principe, dans l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 181 supra, est contraire au principe de la personnalité des peines. De même, le grief pris par la Compagnie d’une violation du principe de la présomption d’innocence inscrit à l’article 48 de la charte des droits fondamentaux et à l’article 6 de la CEDH, à supposer même qu’il soit recevable alors qu’il n’a été présenté qu’au stade du mémoire complémentaire, ne saurait prospérer (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 novembre 2011, Álvarez/Commission, T‑78/06, non publié au Recueil, points 31 à 41).

249    Enfin, compte tenu de la conclusion figurant au point 247 ci-dessus, il y a lieu de rejeter comme étant non fondé le grief pris d’un détournement de pouvoir, en ce que l’imputation à la Compagnie du comportement infractionnel de Saint-Gobain aurait été justifiée uniquement par le souhait de la Commission d’infliger à cette dernière une amende qui dépasse le plafond de 10 % visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

250    Partant, le présent moyen n’est pas fondé et doit être rejeté.

5.     Sur le cinquième moyen, pris d’une violation des principes de non-rétroactivité des peines et de confiance légitime

251    Ce moyen rejoint, en substance, l’un des moyens soulevés par la Compagnie dans l’affaire T‑73/09. Il convient dès lors de les examiner ensemble.

a)     Arguments des parties

252    Saint-Gobain et la Compagnie soutiennent que la décision attaquée méconnaît le principe de non-rétroactivité des peines, consacré à l’article 7 de la CEDH et à l’article 49 de la charte des droits fondamentaux, ainsi que le principe de confiance légitime, dans la mesure où la Commission applique les lignes directrices de 2006 alors que celles-ci ont été adoptées après que l’infraction en cause a pris fin. Cette application rétroactive des lignes directrices aurait donné lieu à une augmentation significative du niveau des amendes qui pouvait être prévu au moment des faits, en application des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices de 1998 »).

253    Conformément à la jurisprudence, le principe de non-rétroactivité des peines s’opposerait à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction, ayant un effet aggravant sur le niveau des amendes infligées, si cette évolution n’était pas raisonnablement prévisible à l’époque où l’infraction a été commise et si elle n’est pas nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de la concurrence de l’Union. Or, ces deux conditions seraient réunies en l’espèce. D’une part, le niveau des amendes infligées depuis l’application des lignes directrices de 2006 étant sans commune mesure avec celui des amendes infligées auparavant, il y aurait lieu de considérer que l’évolution résultant de l’application desdites lignes directrices n’était pas raisonnablement prévisible. Cela serait dû, en particulier, à l’importance accordée au facteur de la durée de l’infraction lors du calcul de l’amende dans le cadre des lignes directrices de 2006, laquelle serait nettement plus importante que sous l’empire des lignes directrices de 1998. D’autre part, le niveau très élevé des amendes infligées par la Commission en application des lignes directrices de 2006 ne serait pas nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de la concurrence de l’Union.

254    Selon la Compagnie, même s’il fallait considérer que la Commission a fait application, en l’espèce, du règlement no 17, les lignes directrices de 2006 seraient assimilables à un changement de la ligne de conduite que la Commission s’était clairement fixée dans les lignes directrices de 1998, dans le sens d’une sévérité accrue. Les lignes directrices de 2006 ne pourraient dès lors s’appliquer qu’à des situations postérieures à leur publication.

255    Ces conclusions ne seraient pas remises en cause par l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, dès lors que, dans cet arrêt, la Cour s’est bornée à statuer sur l’application rétroactive des lignes directrices de 1998. Ainsi, cet arrêt concernerait l’application de lignes directrices à des faits s’étant déroulés à une époque à laquelle de telles lignes directrices n’avaient pas encore été publiées. Il s’ensuit que, contrairement à la situation ayant donné lieu au présent litige, l’infraction en cause dans cette affaire avait été commise à une époque se caractérisant par une grande insécurité juridique quant au calcul des amendes et au cours de laquelle, par conséquent, les entreprises concernées n’avaient pu développer aucune confiance légitime à cet égard. En l’espèce, en revanche, les entreprises destinataires de la décision attaquée auraient eu toutes les raisons de s’attendre à ce que leurs comportements futurs soient sanctionnés en application des lignes directrices de 1998, et ce d’autant que la Cour avait reconnu le caractère normatif de ces dernières dans l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra.

256    La Compagnie invoque en outre plusieurs discours prononcés avant 2006 par des commissaires européens en charge de la politique de la concurrence dans l’Union, dont il ressortirait que l’adoption de nouvelles lignes directrices en matière de calcul des amendes n’était pas prévisible à l’époque des faits litigieux.

257    Il s’ensuit, selon Saint-Gobain et la Compagnie, que l’amende aurait dû être calculée sur la base des lignes directrices de 1998.

258    La Commission rappelle que la base légale des amendes infligées en cas d’infraction aux règles de la concurrence inscrites à l’article 81 CE est l’article 23 du règlement no 1/2003, les lignes directrices de 2006 se limitant à préciser la méthode selon laquelle ces amendes sont calculées. Ainsi, tant sous l’empire des lignes directrices de 1998 que sous celui des lignes directrices de 2006, le calcul des amendes devrait être effectué par référence à la gravité et à la durée des infractions, ainsi que le prévoit l’article 23 du règlement no 1/2003. Dès lors que les lignes directrices de 2006 reflètent une méthode adaptée pour l’application d’une disposition légale inchangée, la Commission considère que le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, est transposable en l’espèce. Il en irait d’autant plus ainsi que la Cour, dans cet arrêt, a dégagé des principes généraux en ce qui concerne le champ d’application des lignes directrices sur le calcul des amendes.

259    Or, si un poids plus important est certes accordé au critère de la durée sous l’empire des lignes directrices de 2006, cette évolution était, selon la Commission, prévisible au moment où l’infraction a été commise, de même que le fait que la valeur des ventes concernées pourrait être prise en compte dans le futur pour le calcul de l’amende, plutôt qu’un montant forfaitaire. Ainsi, dès avant l’adoption des lignes directrices de 2006, la Cour aurait déjà exprimé une certaine préférence pour la prise en compte de la valeur des ventes concernées plutôt que d’un montant forfaitaire lors du calcul d’une amende. Par ailleurs, selon la Commission, le montant additionnel désormais infligé dans un but de dissuasion était déjà contenu dans le montant forfaitaire appliqué à l’époque où les lignes directrices de 1998 étaient en vigueur, en fonction de la gravité de l’infraction. Enfin, la Compagnie affirmerait sans fondement que, à l’époque des faits litigieux, il était prévisible que la Commission s’interdirait de faire une application rétroactive de nouvelles lignes directrices qu’elle pourrait éventuellement adopter. La Commission rappelle en effet le principe selon lequel elle est libre d’adapter les lignes directrices en fonction des nécessités, pour autant que de telles adaptations respectent le cadre légal fixé par le règlement no 1/2003.

260    La Commission souligne en outre que, d’une part, les lignes directrices de 1998 ne précisaient nullement qu’elles seraient applicables aux décisions portant sur des infractions commises au moment de leur application et que, d’autre part, les lignes directrices de 2006, dont elle ne saurait s’écarter sans justification, indiquent qu’elles s’appliquent dans tous les cas où la communication des griefs a été envoyée après le 1er septembre 2006. Or, la communication des griefs aurait été envoyée, en l’espèce, le 18 avril 2007.

261    Il résulterait de surcroît d’une jurisprudence récente que l’objectif des lignes directrices de 1998 était la transparence et l’impartialité, mais pas la prévisibilité du montant des amendes. Une telle prévisibilité ne serait pas souhaitable dès lors qu’elle pourrait porter atteinte à l’effet dissuasif des amendes en mettant les entreprises concernées en mesure de comparer avec précision l’éventuelle sanction qui pourrait leur être infligée en cas d’infraction aux bénéfices qu’elles pourraient tirer d’une telle infraction.

262    Ces conclusions, selon la Commission, ne sauraient être remises en cause par le principe de non-rétroactivité des peines. Certes, en principe, l’adoption de lignes directrices susceptibles de modifier la politique générale de la concurrence en matière d’amendes peut relever du champ d’application de ce principe. Il s’ensuit que ce dernier est de nature à s’opposer à l’application rétroactive de nouvelles lignes directrices, dans la mesure où les règles contenues dans ces dernières n’étaient pas raisonnablement prévisibles au moment de l’infraction. La Commission fait toutefois valoir que la seule circonstance que les lignes directrices de 2006 sont susceptibles de donner lieu à des amendes plus élevées que celles qui étaient infligées sur la base des lignes directrices de 1998 ne saurait entraîner une violation du principe de non-rétroactivité dès lors que, d’une part, une comparaison des amendes infligées dans des affaires différentes ne constitue pas une méthode fiable à cet égard et que, d’autre part, la Compagnie et Saint-Gobain ne pouvaient pas anticiper le niveau exact de l’amende qui leur aurait été infligée en application des lignes directrices de 1998.

263    La Commission conteste encore la pertinence, dans le cadre de la présente procédure, de la référence faite par la Compagnie aux discours de commissaires européens en charge de la politique de la concurrence dans l’Union prononcés postérieurement à la fin de l’infraction. En effet, outre le fait que le collège des commissaires ne saurait voir son pouvoir d’appréciation limité par de tels discours, ces derniers ne seraient en aucun cas de nature à démontrer que l’adaptation des lignes directrices de 1998 n’était pas raisonnablement prévisible à l’époque où l’infraction a été commise.

b)     Appréciation du Tribunal

264    Par le présent moyen, Saint-Gobain et la Compagnie reprochent en substance à la Commission d’avoir méconnu les principes de confiance légitime et de non-rétroactivité des peines en appliquant en l’espèce les lignes directrices de 2006 alors même que, au moment où l’infraction a été commise, les lignes directrices de 1998 étaient applicables. L’application des lignes directrices de 2006 aurait impliqué une augmentation significative du montant de l’amende par rapport à celle qui aurait résulté d’une application des lignes directrices de 1998, principalement en raison de la multiplication de la valeur des ventes de biens concernées par l’infraction par la durée de cette dernière.

265    À cet égard, le Tribunal relève, à titre liminaire, que l’argumentation selon laquelle l’augmentation du niveau des amendes à laquelle l’application des lignes directrices de 2006 a donné lieu est manifestement disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi par la politique de la concurrence de l’Union se confond, en substance, avec l’argumentation invoquée dans le cadre de la deuxième branche du sixième moyen soulevé dans l’affaire T‑56/09. Elle est dès lors examinée aux points 353 à 391 ci‑après.

266    Il y a lieu ensuite de rappeler que les amendes que la Commission a infligées en l’espèce sont régies par l’article 23 du règlement no 1/2003, qui correspond à l’article 15 du règlement no 17, lequel était en vigueur au moment où l’infraction a été commise. Aux termes de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de la concurrence, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci. Pour déterminer le montant de l’amende, la Commission a appliqué les lignes directrices de 2006, lesquelles ont été publiées avant l’envoi de la communication des griefs à la requérante le 18 avril 2007.

267    Selon une jurisprudence bien établie, le principe de non-rétroactivité des lois pénales, consacré à l’article 7 de la CEDH et, désormais, à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, constitue un principe général du droit de l’Union dont le respect s’impose lorsque des amendes sont infligées pour infraction aux règles de la concurrence. Ce principe exige que les sanctions prononcées correspondent à celles qui étaient fixées à l’époque où l’infraction a été commise (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, point 202 ; arrêts du Tribunal LR AF 1998/Commission, point 120 supra, points 218 à 221, et du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 39).

268    Ainsi, l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, qui doit être interprété et appliqué de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (voir Cour eur. D. H., arrêt S.W. c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A no 335‑B, § 35), impose de vérifier que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition (voir Cour eur. D. H., arrêts Coëme e.a. c. Belgique du 22 juin 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000‑VII, § 145 ; Achour c. France du 29 mars 2006, Recueil des arrêts et décisions 2006‑IV, § 43, et Gurguchiani c. Espagne du 15 décembre 2009, no 16012/06, § 30).

269    Par ailleurs, les lignes directrices sont susceptibles de déployer des effets juridiques. Ces effets juridiques découlent non pas d’une normativité propre, mais de l’adoption et de la publication de ces lignes directrices par la Commission. Cette adoption et cette publication des lignes directrices entraînent une autolimitation du pouvoir d’appréciation de la Commission, qui ne peut se départir de ces dernières sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation des principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement, la protection de la confiance légitime et la sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, points 209 à 212).

270    Les lignes directrices, en tant qu’instrument d’une politique en matière de concurrence, tombent dès lors dans le champ d’application du principe de non-rétroactivité, à l’instar de la nouvelle interprétation jurisprudentielle d’une norme établissant une infraction, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH (voir Cour eur. D. H., arrêts S.W. et C.R. c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A nos 335‑B et 335‑C, § 34 à 36 et § 32 à 34 ; Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, § 29 à 32, et Coëme e.a. c. Belgique, point 268 supra, § 145). Selon cette jurisprudence, une méconnaissance de cette disposition est susceptible de résulter d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause.

271    Toutefois, la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. Ainsi, la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier et dont on peut s’attendre qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques que celui-ci comporte (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, points 215 à 223 ; arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, Rec. p. II‑3627, point 44 ; voir Cour eur. D. H., arrêts Cantoni c. France, point 270 supra, § 35, et Sud Fondi Srl e.a. c. Italie du 20 janvier 2009, no 75909/01, § 109).

272    De surcroît, les garanties offertes par l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH ne sauraient être interprétées comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, en vue notamment de s’adapter aux changements de situation, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (voir Cour eur. D. H., arrêt Jorgic c. Allemagne du 12 juillet 2007, Recueil des arrêts et décisions 2007‑III, § 101, et la jurisprudence citée).

273    Au vu de ces rappels jurisprudentiels, il y a dès lors lieu, afin de contrôler le respect du principe de non-rétroactivité en l’espèce, de vérifier si les modifications qui sont intervenues dans le mode de calcul de l’amende, à la suite de l’adoption des lignes directrices de 2006, étaient raisonnablement prévisibles à l’époque où les infractions ont été commises (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, point 224).

274    Il convient de relever, à cet égard, que le principal motif qui a présidé à l’adoption des lignes directrices de 2006 était, sur le fondement des enseignements issus de la pratique antérieure, de modifier la politique des poursuites en matière d’infractions aux articles 81 CE et 82 CE, en vue d’assurer aux amendes infligées à ce titre un caractère suffisamment dissuasif. Cet objectif s’est notamment traduit par trois innovations principales, à savoir, premièrement, la référence faite à la valeur des ventes de biens en relation avec l’infraction comme base pour la détermination des amendes, en lieu et place d’un système de tarification, deuxièmement, l’inclusion dans le montant de base de l’amende d’un montant additionnel destiné à dissuader les entreprises de participer aux infractions les plus graves au droit de la concurrence et, troisièmement, la reconnaissance d’un poids plus important de la durée de l’infraction lors du calcul de l’amende.

275    S’agissant de ce dernier point, la Commission considère que, compte tenu de l’impact qu’a nécessairement la durée d’une infraction sur les conséquences potentielles de celle-ci sur le marché, il est important que l’amende reflète également le nombre d’années pendant lesquelles l’entreprise a participé à l’infraction. La multiplication de la valeur des ventes en relation avec l’infraction par la durée de participation à l’infraction est ainsi censée contribuer à la fixation d’une amende reflétant non seulement l’importance économique de ladite infraction, mais aussi le poids relatif de chaque entreprise y ayant participé.

276    Or, il résulte d’une jurisprudence constante, et ce déjà à l’époque où a débuté l’entente litigieuse, que le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau, même de manière significative, dans les limites prévues par le règlement no 17 et par le règlement no 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de la concurrence de l’Union. L’application efficace des règles de la concurrence de l’Union exige ainsi que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir, en ce sens, arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, point 77 supra, point 109 ; du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, point 135 supra, point 81, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, point 227). Cette marge de manœuvre est justifiée, notamment, par la circonstance que, si le montant de l’amende était le résultat d’un calcul obéissant à une simple formule arithmétique, les entreprises auraient la possibilité de prévoir l’éventuelle sanction et de la comparer aux bénéfices qu’elles tireraient de l’infraction aux règles du droit de la concurrence (arrêt BPB/Commission, point 150 supra, point 336).

277    Il en découle que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime ni dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement ni dans une méthode de calcul de ces dernières (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, point 228). Cela vaut également lorsque le relèvement du niveau des amendes résulte de l’application, dans des cas d’espèce, de règles de conduite ayant une portée générale, telles que les lignes directrices de 2006 (voir, par analogie, arrêts Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, points 229 et 230, et du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, point 245 supra, point 59).

278    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la Compagnie selon lequel « [les] politiques de conformité au droit de la concurrence représentent […] un investissement dont le calibrage est notamment déterminé par le niveau attendu des sanctions », ce qui, selon la Compagnie, devrait encourager le Tribunal, dans le cadre de l’examen du présent moyen, à tenir compte de l’effort particulier qu’elle prétend devoir consentir en vue de se conformer aux règles découlant dudit droit. En effet, un tel argument ne peut être accueilli dès lors que les règles de l’Union en matière de concurrence ne présentent pas un caractère supplétif et qu’une entreprise ne saurait dès lors utilement se prévaloir du coût qu’implique pour elle le fait de devoir s’y conformer.

279    Contrairement à ce que fait valoir la Compagnie, il est en outre sans importance que le relèvement du niveau moyen des amendes résultant de l’application des lignes directrices de 2006 ait fait suite à une période au cours de laquelle d’autres règles de conduite de portée générale étaient applicables.

280    En effet, en premier lieu, ce relèvement ne saurait, en soi, être considéré comme illégal au regard des principes de non-rétroactivité et de confiance légitime, dès lors qu’il reste dans le cadre légal défini par l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1/2003, tel qu’interprété par le juge de l’Union (voir, par analogie, arrêts du Tribunal du 2 février 2012, EI du Pont de Nemours e.a./Commission, T‑76/08, point 126, et la jurisprudence citée, et Dow Chemical/Commission, T‑77/08, point 141, et la jurisprudence citée). Ainsi, conformément au paragraphe 32 des lignes directrices de 2006, l’application de la nouvelle méthode de calcul prévue par ces dernières est sans préjudice de la règle inscrite à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, selon laquelle les amendes imposées ne peuvent en aucun cas dépasser le plafond de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par l’entreprise ou l’association d’entreprises ayant participé à l’infraction au cours de l’exercice social précédent. En outre, les lignes directrices de 2006 prévoient que l’amende est calculée en prenant en considération la gravité et la durée de l’infraction en cause, reflétant ainsi la règle édictée à l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003.

281    En deuxième lieu, compte tenu des principes rappelés aux points 276 et 277 ci-dessus et contrairement à ce que soutient la Compagnie, ni la circonstance que les lignes directrices de 1998 aient pu voir leur application étendue à l’ensemble de l’EEE en janvier 2003, ni les discours prononcés par des commissaires en charge de la politique de la concurrence dans l’Union en 2003 et en 2005, n’étaient de nature à créer, pour les opérateurs économiques, une confiance légitime dans le fait que ces mêmes lignes directrices ne seraient pas modifiées à l’avenir.

282    Enfin, en troisième lieu, il n’est pas contesté que la Commission a appliqué en l’espèce la règle de conduite énoncée au paragraphe 38 des lignes directrices de 2006, aux termes duquel lesdites lignes directrices s’appliquent à toutes les affaires pour lesquelles une communication des griefs a été notifiée après le 1er septembre 2006. Ainsi, la Compagnie ne saurait être suivie lorsqu’elle allègue qu’elle avait une confiance légitime dans le fait que la Commission exclurait l’application de la méthode de calcul prévue par les lignes directrices de 2006 dans la présente affaire.

283    Il résulte donc du raisonnement exposé aux points 274 à 282 ci-dessus que, à l’époque où les infractions ont été commises, l’augmentation du niveau moyen des amendes infligées aux entreprises pour des violations de l’article 81 CE à la suite de l’adoption des lignes directrices de 2006 était raisonnablement prévisible pour des opérateurs avisés tels que Saint-Gobain et la Compagnie. Il s’ensuit que ces dernières ne sauraient être suivies lorsqu’elles reprochent à la Commission d’avoir appliqué en l’espèce les lignes directrices de 2006 et, de cette façon, d’avoir méconnu les principes de non-rétroactivité des peines et de confiance légitime, en ce que ce choix aurait conduit à l’imposition d’une amende plus élevée que celle qui aurait résulté de l’application des lignes directrices de 1998. Pour les mêmes motifs, la Commission ne devait pas exposer davantage, dans les lignes directrices de 2006, que l’augmentation du niveau des amendes était nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de la concurrence de l’Union (voir, par analogie, arrêt Schindler Holding e.a./Commission, point 148 supra, point 128).

284    Le cinquième moyen doit dès lors être rejeté comme étant non fondé.

6.     Sur le sixième moyen, pris du caractère excessif de l’amende

285    Les sixième, septième et huitième moyens de la requête de Saint-Gobain doivent être compris comme trois branches d’un même moyen, pris du caractère excessif de l’amende. Il y a lieu tout d’abord d’examiner le grief pris d’une mauvaise application de l’article 23 du règlement no 1/2003, s’agissant de la prise en compte de la récidive comme circonstance aggravante, ainsi que d’un défaut de motivation. Sont ensuite examinés les griefs pris du caractère disproportionné de l’amende et de la prise en compte insuffisante, par la Commission, de l’absence de contestation de la matérialité des faits par Saint-Gobain.

a)     Sur la première branche, tirée d’une mauvaise application de l’article 23 du règlement no 1/2003 s’agissant de la prise en compte de la récidive comme circonstance aggravante, d’une violation du principe de proportionnalité et d’un défaut de motivation

286    Cette première branche rejoint, en substance, l’un des moyens soulevés par la Compagnie dans le cadre de l’affaire T‑73/09. Il convient dès lors de les examiner ensemble.

 Arguments des parties

287    Saint-Gobain et la Compagnie soutiennent que, en prenant en compte dans le cadre de l’examen des circonstances aggravantes, en l’espèce, la décision no 84/388/CEE de la Commission, du 23 juillet 1984, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/30.988 – Accords et pratiques concertées dans le secteur du verre plat dans les pays du Benelux) (JO L 212, p. 13) [ci-après la « décision Verre plat (Benelux) »] et la décision no 89/93/CEE de la Commission, du 7 décembre 1988, relative à une procédure d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (IV/31.906 – Verre plat) (JO 1989, L 33, p. 44) [ci-après la « décision Verre plat (Italie) »], la Commission a fait une application incorrecte des règles relatives à la récidive inscrites à l’article 23 du règlement no 1/2003.

288    Tout d’abord, la Compagnie fait valoir que l’application des lignes directrices de 2006, à cet égard, méconnaît les principes de confiance légitime et de non-rétroactivité dès lors que ces lignes directrices n’avaient pas été adoptées ni publiées à l’époque des faits litigieux.

289    Ensuite, les principes qui régissent l’imputabilité aux entreprises des infractions aux règles de la concurrence de l’Union s’opposeraient à la prise en compte de ces décisions s’agissant du calcul de l’amende infligée à Saint-Gobain. En effet, cette dernière n’aurait été destinataire d’aucune d’elles et n’aurait, de surcroît, aucun pouvoir de direction sur les entreprises destinataires de ces décisions. Même s’il fallait considérer, à tort, que le groupe Saint-Gobain forme une seule entreprise, la Commission aurait commis une erreur en imputant l’ensemble des agissements d’un groupe à des sociétés qui ne se trouvent pas à la tête de celui-ci. Cette conclusion s’appliquerait, à plus forte raison, à la décision Verre plat (Italie), puisque la seule société destinataire de celle-ci était Fabbrica Pisana, à l’exclusion de la Compagnie. La prise en compte de cette décision méconnaîtrait également les droits de la défense de la Compagnie, dès lors que cette dernière, n’étant pas destinataire de celle-ci, n’a été en mesure de faire valoir ses observations ni sur les agissements reprochés à sa filiale ni sur sa propre responsabilité, préalablement à l’adoption de ladite décision. Par ailleurs, la circonstance que cette décision n’a été adressée qu’à Fabbrica Pisana tendrait à démontrer que la Compagnie, qui était la société mère de Fabbrica Pisana, n’exerçait pas une influence déterminante sur la politique commerciale de celle-ci.

290    Cette partie de la décision attaquée serait en outre entachée d’un défaut de motivation dès lors que la Commission a retenu les deux décisions en question comme circonstances aggravantes de l’infraction commise par Saint-Gobain, sans toutefois exposer d’éléments de nature à justifier que soient imputés à cette dernière les agissements de sociétés sœurs ainsi que ceux de la Compagnie.

291    Saint-Gobain et la Compagnie considèrent en outre que c’est à tort que la Commission a retenu, pour établir la récidive, la décision Verre plat (Benelux), alors même que celle-ci a été adoptée en 1984. Le délai de quatorze ans qui s’est écoulé entre l’année 1984 et le début de l’infraction en l’espèce serait en effet excessif à cet égard.

292    En tout état de cause, la Compagnie estime que, même si la décision Verre plat (Benelux) pouvait être retenue au titre de la récidive, il y aurait lieu de considérer que la majoration de 60 % du montant de l’amende qui lui a été infligée, conjointement et solidairement avec Saint-Gobain, est disproportionnée compte tenu non seulement de l’ancienneté de cette décision, mais aussi du fait qu’il s’agit du seul terme de récidive qui pourrait lui être opposé. Il s’ensuit que le Tribunal, en vue de respecter les principes garantis à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, devrait à tout le moins exercer sa compétence de pleine juridiction en l’espèce et réduire la sanction de telle sorte que celle-ci reflète plus adéquatement la gravité de l’infraction. Saint-Gobain sollicite également du Tribunal qu’il exerce sa compétence de pleine juridiction en réduisant l’amende à un montant approprié.

293    La Commission conteste ces arguments. Elle rappelle tout d’abord qu’il était justifié d’appliquer en l’espèce les règles relatives à la récidive contenues dans les lignes directrices de 2006 et que, en tout état de cause, même si tel n’était pas le cas, la récidive figurait déjà parmi les circonstances aggravantes que la Commission pouvait appliquer en vertu des lignes directrices de 1998.

294    Ensuite, il y aurait lieu de tenir compte du fait que Saint-Gobain et la Compagnie appartiennent à la même entreprise et que la Compagnie exerce un contrôle effectif sur chacune de ses filiales.

295    S’agissant de sa décision Verre plat (Italie), la Commission considère qu’elle avait la faculté de s’abstenir d’adresser celle-ci à la Compagnie, sans que cette abstention constitue un indice d’autonomie de sa filiale Fabbrica Pisana envers cette dernière. Au contraire, la Compagnie n’aurait pas contesté que, à l’époque des faits ayant donné lieu à l’adoption de cette décision, elle détenait 100 % de Fabbrica Pisana. Il s’ensuit que, en l’absence de preuve contraire, cette dernière ne déterminait pas son comportement sur le marché de manière autonome et que, partant, la Commission aurait pu, si elle l’avait souhaité, imposer l’amende à la Compagnie dans cette affaire. Par conséquent, la Commission estime que c’est à bon droit qu’elle a pris en compte la décision en question aux fins de constater la récidive de l’entreprise formée par Saint-Gobain et la Compagnie dans la décision attaquée.

296    S’agissant de la décision Verre plat (Benelux), qui a quant à elle été adressée à la Compagnie, la Commission soutient que, en vertu de l’arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission (C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331), le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques de la récidive font partie de son pouvoir d’appréciation aux fins de la détermination du montant des amendes et qu’elle ne saurait dès lors être liée par un éventuel délai de prescription pour un tel constat. Il s’ensuit que la Commission disposerait d’une certaine marge pour apprécier, dans chaque cas, les indices tendant à confirmer une éventuelle propension des entreprises concernées à s’affranchir des règles de la concurrence, y compris le délai qui s’est écoulé entre les infractions en cause. Or, même s’il ne fallait pas prendre en considération la décision Verre plat (Italie), adoptée en 1988, il y aurait lieu néanmoins de constater que le fait qu’il se soit écoulé moins de quatorze ans entre la décision constatant l’infraction dans l’affaire Verre plat (Benelux) et la répétition du comportement infractionnel démontre une propension de l’entreprise formée par la Compagnie et Saint-Gobain à ne pas respecter le droit de la concurrence. Il en irait d’autant plus ainsi que toutes les infractions constatées concernaient le pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain.

297    La décision attaquée ne serait, de surcroît, entachée d’aucun défaut de motivation dès lors que, d’une part, la Commission y ferait apparaître les motifs pour lesquels, selon elle, Saint-Gobain et la Compagnie appartiennent à la même entreprise et que, d’autre part, cette dernière était destinataire de la décision Verre plat (Benelux) et aurait pu être destinataire de la décision Verre plat (Italie). Dans ces circonstances, Saint-Gobain aurait été en mesure de comprendre pourquoi ces termes de récidive ont été pris en compte à l’égard de l’entreprise qu’elle forme avec la Compagnie.

298    Quant aux droits de la défense dans le cadre de la décision Verre plat (Italie), ils auraient été pleinement respectés, puisque la Compagnie avait la possibilité, dans le cadre de la procédure qui a conduit à l’adoption de la décision attaquée, de tenter de renverser la présomption réfragable qui a permis à la Commission de retenir la récidive, en démontrant que Fabbrica Pisana formait une entreprise distincte.

299    La Commission considère enfin que l’argument pris par la Compagnie d’une prétendue méconnaissance du principe de proportionnalité, invoqué au stade de la réplique, constitue un moyen nouveau et est, dès lors, irrecevable. En tout état de cause, en appliquant en l’espèce un taux de majoration de 60 %, la Commission serait restée nettement en-deçà de la majoration maximale prévue par les lignes directrices de 2006, à savoir un doublement de l’amende de base. La possibilité offerte au Tribunal de vérifier la proportionnalité de l’amende démontrerait, au demeurant, que le contrôle qu’il exerce est de nature à répondre aux exigences contenues dans la charte des droits fondamentaux.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la recevabilité des arguments fondés sur la charte des droits fondamentaux et exposés par la Compagnie dans son mémoire complémentaire

300    Il y a lieu d’apprécier, à titre liminaire, la recevabilité de l’argument soulevé par la Compagnie dans son mémoire complémentaire à l’appui du présent moyen, pris du principe de la proportionnalité des peines énoncé à l’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux.

301    À cet égard, il ressort des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, d’une part, que la requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués et, d’autre part, que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et présentant un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable. Une solution analogue s’impose pour un grief invoqué au soutien d’un moyen (arrêt du Tribunal du 21 mars 2002, Joynson/Commission, T‑231/99, Rec. p. II‑2085, point 156).

302    En l’espèce, il y a lieu de constater que, par les références faites dans son mémoire complémentaire au principe de proportionnalité des peines visé à l’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux, la Compagnie ne fait valoir aucun moyen ou grief nouveau par rapport aux moyens et griefs qu’elle a énoncés antérieurement, mais se borne à invoquer une disposition de la charte des droits fondamentaux qui complète le fondement juridique de l’un des griefs soulevés dans sa requête.

303    Il s’ensuit que les arguments invoqués par la Compagnie à cet égard, dans son mémoire complémentaire, sont recevables.

–       Sur le fond

304    À titre liminaire, il y a lieu d’écarter l’argument de la Compagnie selon lequel la Commission ne pouvait faire application en l’espèce des lignes directrices de 2006 aux fins de majorer le montant de base de l’amende au titre de la récidive. Outre que la Compagnie n’avance aucun argument concret à l’appui de cette prétention, il y a lieu de souligner que la récidive figurait déjà parmi les circonstances aggravantes susceptibles de donner lieu à une augmentation du montant de base de l’amende sous l’empire des lignes directrices de 1998 et que, partant, compte tenu notamment des principes rappelés aux points 265 à 273 ci-dessus, l’application en l’espèce des lignes directrices de 2006 ne saurait, à cet égard, être critiquée ni sous l’angle du principe de non-rétroactivité des lois pénales, ni sous celui du principe de la confiance légitime.

305    Il convient ensuite de rappeler que la notion de récidive, telle qu’elle est comprise dans un certain nombre d’ordres juridiques nationaux, implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 617). Ainsi, l’un des exemples de circonstances aggravantes cité au paragraphe 28 des lignes directrices de 2006 est le cas où « une entreprise poursuit ou répète une infraction identique ou similaire après que la Commission ou une autorité nationale de concurrence a constaté que cette entreprise a enfreint les dispositions de l’article 81 ou de l’article 82 [CE] ».

306    À cet égard, il résulte du raisonnement exposé aux points 206 à 247 ci-dessus que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré que la Compagnie et Saint-Gobain Glass France appartenaient à la même entreprise à l’époque de l’infraction sanctionnée par la décision attaquée.

307    Dès lors que Saint-Gobain et la Compagnie ne prétendent pas que l’infraction litigieuse ne serait pas similaire ou identique aux infractions qui ont été sanctionnées dans les deux décisions antérieures retenues en l’espèce par la Commission aux fins de constater la récidive, il y a lieu de vérifier si, conformément aux règles contenues à l’article 23 du règlement no 1/2003 ainsi qu’au paragraphe 28 des lignes directrices de 2006, c’est à bon droit que la Commission a considéré que ces diverses infractions avaient été commises par la même entreprise. Il convient également d’examiner, d’une part, le grief avancé par Saint-Gobain et par la Compagnie selon lequel la décision Verre plat (Benelux) ne pouvait être retenue en l’espèce compte tenu du délai qui s’est écoulé entre celle-ci et le début de l’infraction litigieuse et, d’autre part, le grief pris d’un défaut de motivation.

308    S’agissant tout d’abord de la décision Verre plat (Italie), adoptée en 1988, il est constant que celle-ci avait notamment pour destinataire la société Fabbrica Pisana, qui est une filiale de la Compagnie, mais que ni cette dernière ni Saint-Gobain n’en ont été destinataires. Il n’est en outre pas contesté que Fabbrica Pisana était détenue à 100 % par la Compagnie à l’époque où la décision Verre plat (Italie) a été adoptée.

309    Ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, le Tribunal a jugé, dans son arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission (T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 290, et la jurisprudence citée), que, dès lors que deux filiales sont détenues directement ou indirectement à 100 %, ou presque 100 %, par la même société mère, il est permis de conclure raisonnablement que de telles filiales ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché et constituent avec leur société mère une entité économique et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE. Partant, il peut être tenu compte de l’infraction antérieure commise par l’une des filiales du groupe afin d’établir la circonstance aggravante de récidive à l’égard d’une autre filiale de ce groupe.

310    Cependant, le comportement infractionnel d’une telle filiale, détenue à 100 % ou presque 100 % par sa société mère, ne peut être imputé à cette dernière et la Commission ne sera en mesure de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale que si la société mère ne renverse pas la présomption réfragable d’exercice effectif d’une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale, conformément aux principes rappelés aux points 211, 213 et 214 ci-dessus.

311    Il s’ensuit que la Commission ne saurait se contenter de constater qu’une entreprise « pouvait » exercer une influence déterminante sur la politique commerciale d’une autre entreprise, sans qu’il soit besoin de vérifier si cette influence a effectivement été exercée. Au contraire, il incombe, en principe, à la Commission de démontrer une telle influence déterminante sur la base d’un ensemble d’éléments factuels, dont, en particulier, l’éventuel pouvoir de direction de l’une de ces entreprises vis-à-vis de l’autre (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 juillet 2011, ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, T‑144/07, T‑147/07 à T‑150/07 et T‑154/07, Rec. p. II‑5129, point 311, et la jurisprudence citée).

312    De surcroît, il convient de rappeler que, pour l’application et l’exécution des décisions prises en application de l’article 81, paragraphe 1, CE, il est nécessaire d’identifier une entité dotée de la personnalité juridique qui sera destinataire de l’acte (arrêt PVC II, point 203 supra, point 978). Ainsi, selon la jurisprudence, lorsque l’existence d’une infraction aux règles de la concurrence de l’Union est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l’exploitation de l’entreprise au moment où l’infraction a été commise afin qu’elle réponde de celle-ci (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, point 78, et SCA Holding/Commission, C‑297/98 P, Rec. p. I‑10101, point 27 ; arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T‑6/89, Rec. p. II‑1623, point 236). Lorsque la Commission adopte une décision en application de cette disposition, elle doit dès lors identifier la ou les personnes, physiques ou morales, qui peuvent être tenues pour responsables du comportement de l’entreprise en cause et qui peuvent être sanctionnées à ce titre, lesquelles se verront adresser la décision (voir arrêt du 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, point 232 supra, points 250 et 251, et la jurisprudence citée).

313    Au demeurant, le Tribunal a jugé, dans son arrêt du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, point 135 supra (point 99), que le simple fait que le capital social de deux sociétés commerciales distinctes appartienne à une même personne ou à une même famille n’est pas suffisant, en tant que tel, pour établir l’existence, entre ces deux sociétés, d’une unité économique ayant pour conséquence, en vertu du droit de la concurrence de l’Union, que les agissements de l’une peuvent être imputés à l’autre et que l’une peut être tenue de payer une amende pour l’autre.

314    Partant, il ne saurait être admis que la Commission puisse considérer, dans le cadre de l’établissement de la circonstance aggravante de récidive à l’égard de Saint-Gobain et de la Compagnie, que celles-ci puissent être tenues pour responsables d’une infraction antérieure, pour laquelle elles n’ont pas été sanctionnées par une décision de la Commission, et dans le cadre de l’établissement de laquelle elles n’ont pas été destinataires d’une communication des griefs, de sorte qu’elles n’ont pas été mises en mesure de présenter leurs arguments aux fins de contester, à leur égard, l’existence éventuelle d’une unité économique avec l’une ou l’autre société destinataire de la décision antérieure.

315    Ainsi, eu égard au constat opéré au point 308 ci-dessus, il y a lieu de décider que la décision Verre plat (Italie) ne pouvait être retenue par la Commission aux fins d’établir en l’espèce un cas de récidive à l’égard de Saint-Gobain et de la Compagnie.

316    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la Commission selon lequel la société mère avait la possibilité, dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée, de contester l’existence d’une unité économique entre elle et les entreprises sanctionnées dans la décision Verre plat (Italie).

317    Il convient, à cet égard, de rappeler la jurisprudence de la Cour selon laquelle, d’une part, le principe du respect des droits de la défense exclut que puisse être considérée comme licite une décision par laquelle la Commission impose à une entreprise une amende en matière de concurrence sans lui avoir préalablement communiqué les griefs retenus à son endroit et, d’autre part, eu égard à son importance, la communication des griefs doit préciser sans équivoque la personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et être adressée à cette dernière (voir arrêt ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, point 311 supra, point 318, et la jurisprudence citée).

318    Dès lors, il ne saurait être admis que la Commission puisse considérer, dans le cadre de l’établissement de la circonstance aggravante de récidive, qu’une entreprise doive être tenue responsable d’une infraction antérieure, pour laquelle elle n’a pas été sanctionnée par une décision de la Commission, et dans le cadre de l’établissement de laquelle elle n’a pas été destinataire d’une communication des griefs, en sorte qu’une telle entreprise n’a pas été mise en mesure, lors de la procédure ayant mené à l’adoption de la décision constatant l’infraction antérieure, de présenter ses arguments aux fins de contester, en ce qui la concerne, l’existence éventuelle d’une unité économique avec l’une ou l’autre société destinataire de la décision antérieure (arrêt ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, point 311 supra, point 319).

319    Cette solution se justifie d’autant plus que, selon la jurisprudence, la Commission ne saurait être liée par un éventuel délai de prescription pour un constat de récidive et qu’un tel constat peut ainsi être effectué de nombreuses années après la constatation d’une infraction, à un moment où l’entreprise concernée serait, en tout état de cause, dans l’impossibilité de contester l’existence d’une telle unité économique, en particulier s’il est fait application de la présomption d’influence déterminante rappelée ci-dessus (arrêt ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, point 311 supra, point 320).

320    À cet égard, s’il est raisonnablement permis de considérer qu’une société mère a connaissance d’une décision antérieure adressée par la Commission à sa filiale, dont elle détient la quasi-totalité du capital, une telle connaissance ne saurait pallier l’absence de constatation, dans la décision antérieure, d’une unité économique entre une telle société mère et sa filiale, aux fins d’imputer à ladite société mère la responsabilité de l’infraction antérieure et de majorer le montant des amendes qui lui sont infligées pour cause de récidive (arrêt ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, point 311 supra, point 322). En effet, l’écoulement d’une période qui peut être longue depuis l’adoption de la décision constatant l’infraction antérieure est, dans ce cas, de nature à rendre très difficile, voire impossible, la contestation par la société mère non seulement de l’existence d’une telle unité économique, mais aussi, le cas échéant, des éléments constitutifs de l’infraction elle-même.

321    Il découle de ce qui précède que, sans même qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le grief pris d’un défaut de motivation de la décision attaquée à cet égard, cette dernière est entachée d’une erreur de droit en tant que la Commission y a retenu une circonstance aggravante de récidive à l’égard de Saint-Gobain et de la Compagnie sur le fondement de la décision Verre plat (Italie).

322    À la différence de la décision Verre plat (Italie), la décision Verre plat (Benelux), adoptée en 1984, a non seulement été adressée, notamment, à une filiale du groupe Saint-Gobain, en l’occurrence à la SA Glaceries de Saint-Roch, mais également à la Compagnie.

323    Or, il résulte du raisonnement exposé aux points 206 à 247 ci-dessus que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré que la Compagnie et Saint-Gobain Glass France appartenaient à la même entreprise à l’époque à laquelle l’infraction a été commise.

324    Il s’ensuit que la Commission pouvait considérer que l’entreprise formée par Saint-Gobain et la Compagnie, visée par la décision attaquée, avait déjà été sanctionnée pour une infraction à l’article 81 CE identique ou similaire, dans le cadre de la décision Verre plat (Benelux). Il importe peu, à cet égard, que la Compagnie n’ait pas participé directement à l’infraction sanctionnée dans la décision Verre plat (Benelux). En effet, l’unité économique étant le seul critère pertinent aux fins de définir la notion d’entreprise au sens des règles de la concurrence de l’Union, il suffit que celle-ci soit impliquée dans plusieurs infractions pour qu’une récidive puisse être constatée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 mars 2012, UPM-Kymmene/Commission, T‑53/06, point 129).

325    Saint-Gobain et la Compagnie entendent toutefois déduire de l’arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 97 supra, que l’écoulement d’un délai de plus de dix ans entre de précédents constats d’infraction et la répétition du comportement infractionnel par l’entreprise concernée fait obstacle à la constatation d’une situation de récidive. La décision attaquée méconnaîtrait sur ce point le principe de sécurité juridique.

326    Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive font partie du pouvoir d’appréciation de la Commission en ce qui concerne le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant d’une amende, et que la Commission ne saurait être liée par un éventuel délai de prescription pour un tel constat (arrêt du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, point 296 supra, point 38 ; arrêts du Tribunal BPB/Commission, point 150 supra, point 383, et du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, p. II‑3555, point 141).

327    Ainsi, la récidive constitue un élément important que la Commission est appelée à apprécier, étant donné que sa prise en compte vise à inciter les entreprises qui ont manifesté une propension à s’affranchir des règles de la concurrence à modifier leur comportement. La Commission peut dès lors, dans chaque cas, prendre en considération les indices tendant à confirmer une telle propension, y compris, par exemple, le temps qui s’est écoulé entre les infractions en cause (arrêts du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, point 296 supra, point 39 ; BPB/Commission, point 150 supra, point 383, et Hoechst/Commission, point 326 supra, point 142).

328    La Cour a encore précisé, dans son arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission (C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361, point 70), que le principe de proportionnalité exige que le temps écoulé entre l’infraction en cause et un précédent manquement aux règles de la concurrence soit pris en compte pour apprécier la propension de l’entreprise à s’affranchir de ces règles. Dans le cadre du contrôle juridictionnel exercé sur les actes de la Commission en matière de droit de la concurrence, le Tribunal et, le cas échéant, la Cour peuvent donc être appelés à vérifier si la Commission a respecté ledit principe lorsqu’elle a majoré l’amende infligée au titre de la récidive et, en particulier, si une telle majoration s’imposait au regard du temps écoulé entre l’infraction en cause et le précédent manquement aux règles de la concurrence.

329    Il convient de souligner, à cet égard, que, si le Tribunal, dans son arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 97 supra (points 354 et 355), a certes admis que la Commission ait pu tenir compte d’une décision adoptée près de dix-huit ans avant le début du comportement infractionnel en cause dans cette affaire, c’était dans un contexte où la récidive avait également pu être constatée sur la base d’une décision moins ancienne et où un délai relativement bref, à savoir moins de dix ans, avait séparé chacune de ces infractions. C’est à l’aune de ces circonstances que la Cour, dans son arrêt rendu sur pourvoi, a rejeté le moyen pris d’une violation du principe de sécurité juridique par le Tribunal (arrêt du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, point 296 supra, point 40).

330    En l’espèce, dès lors que c’est à tort que la décision Verre plat (Italie) a été retenue aux fins de constater la récidive de Saint-Gobain et de la Compagnie (voir points 308 à 321 ci-dessus), il y a lieu de constater qu’un délai de treize ans et huit mois environ s’est écoulé entre le moment où a été adoptée la décision Verre plat (Benelux), à savoir le 23 juillet 1984, et celui où a débuté l’infraction sanctionnée dans la décision attaquée, à savoir le mois de mars 1998. Ainsi, l’entreprise formée par Saint-Gobain et la Compagnie n’a pas témoigné d’une propension à la répétition d’un comportement infractionnel au regard du droit de la concurrence exactement comparable à celle reprochée au Groupe Danone dans l’affaire citée au point précédent.

331    Il convient dès lors d’examiner si le fait de retenir cette seule décision aux fins de constater la propension de Saint-Gobain et de la Compagnie à s’affranchir des règles du droit de la concurrence emporte, en l’espèce, une méconnaissance du principe de proportionnalité.

332    Dans la décision Verre plat (Benelux), la Commission a notamment sanctionné la Compagnie ainsi que certaines de ses filiales relevant du pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain. Or, force est de constater qu’il s’agit du même pôle d’activités que celui dont relèvent les filiales du groupe Saint-Gobain destinataires de la décision attaquée.

333    De surcroît, l’entente visée par la décision Verre plat (Benelux) présentait des caractéristiques très proches de celle qui a été sanctionnée dans la décision attaquée, cette entente ayant consisté en l’échange d’informations sensibles sur les prix, en une répartition de la clientèle ainsi qu’en la poursuite d’une stabilité des parts de marché des participants.

334    Au vu de ces circonstances, le Tribunal considère que l’écoulement d’un délai de treize ans et huit mois environ entre le moment où a été adoptée la décision Verre plat (Benelux) et celui où a débuté l’infraction sanctionnée dans la décision attaquée ne faisait pas obstacle à ce que la Commission puisse constater, sans méconnaître le principe de proportionnalité, que l’entreprise formée par les requérantes avait une propension à s’affranchir des règles de la concurrence. C’est, dès lors, sans commettre d’erreur que la Commission s’est fondée sur la décision Verre plat (Benelux) afin d’établir la circonstance aggravante de récidive à l’égard de Saint-Gobain et de la Compagnie.

335    S’agissant enfin du grief pris d’un défaut de motivation, en tant que la décision attaquée n’exposerait pas les raisons pour lesquelles la Commission a imputé à Saint-Gobain la décision Verre plat (Benelux) alors que celle-ci ne lui avait pas été adressée, il ne saurait être retenu.

336    Il convient en effet de rappeler que la Compagnie était destinataire de la décision Verre plat (Benelux). Or, la Commission a exposé, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle a estimé que la Compagnie et Saint-Gobain ne formaient qu’une seule entreprise, la Compagnie n’étant pas parvenue à renverser la présomption d’influence déterminante sur la politique commerciale de Saint-Gobain Glass France, qu’elle détient à 100 % (considérants 599 à 622 de la décision attaquée). De surcroît, il ressort notamment des considérants 686 et 688 de la décision attaquée que la Commission a reproché à l’entreprise formée par Saint-Gobain et la Compagnie son comportement récidiviste, en faisant explicitement référence aux décisions Verre plat (Italie) et Verre plat (Benelux).

337    Sur la base de ces divers éléments, il y a lieu de considérer que Saint-Gobain, en prenant connaissance de la décision attaquée, était en mesure de comprendre que, pour établir la récidive, la Commission avait tenu compte du fait que la Compagnie formait avec celle-ci une seule entreprise et que, partant, ce sont les agissements passés de cette entreprise et non de Saint-Gobain uniquement qui seraient pris en considération.

b)     Sur la deuxième branche, tirée d’une violation du principe de proportionnalité

 Arguments des parties

338    Dans une deuxième branche, Saint-Gobain reproche à la Commission d’avoir méconnu le principe de proportionnalité des peines ainsi que les règles applicables au calcul des amendes, inscrites à l’article 23 du règlement no 1/2003, en lui infligeant une amende de 880 millions d’euros. À titre liminaire, Saint-Gobain soutient que la proportionnalité de l’amende qui lui a été infligée devrait être appréciée non pas par référence au montant de cette amende tel qu’il figure au dispositif de la décision attaquée, mais par référence au montant des bénéfices avant imposition qui serait nécessaire afin de s’acquitter de ladite amende, soit plus de 1,3 milliard d’euros.

339    Cette branche du moyen comprend cinq griefs.

340    En premier lieu, Saint-Gobain considère qu’un poids trop important a été accordé à la durée de l’infraction en l’espèce, en raison de l’effet multiplicateur inscrit au paragraphe 24 des lignes directrices de 2006. La durée aurait ainsi eu un impact deux fois plus important que la gravité lors du calcul de l’amende.

341    En deuxième lieu, Saint-Gobain soutient que les lignes directrices de 2006, en imposant que la proportion des ventes prise en compte pour le calcul de l’amende en matière d’infractions horizontales soit comprise entre 16 et 30 %, limitent indûment la marge d’appréciation de la Commission en vue de fixer une amende en fonction de la gravité réelle de l’infraction constatée. En l’espèce, un pourcentage inférieur à 16 % aurait dû être retenu afin de refléter l’impact économique limité de l’infraction sur le marché, compte tenu notamment du pouvoir de négociation exceptionnel dont bénéficient les constructeurs automobiles. De même, les lignes directrices de 2006 limiteraient indûment la marge de manœuvre de la Commission en empêchant cette dernière de retenir un montant additionnel représentant moins de 15 % de la valeur des ventes pertinentes.

342    En troisième lieu, ce serait à tort que la Commission a augmenté le montant de l’amende infligée à Saint-Gobain pour récidive, alors que le montant de base de l’amende comporte déjà un facteur de dissuasion. Les lignes directrices de 2006 prévoient en effet, contrairement aux lignes directrices de 1998, qu’un montant additionnel doit être appliqué lors du calcul de ce montant de base. C’est sur ce fondement qu’une majoration de 60 % a été appliquée par la Commission au montant de base de l’amende infligée à Saint-Gobain. Il s’ensuit que l’objectif de dissuasion aurait été pris en compte à deux niveaux différents, s’agissant de Saint-Gobain, ce cumul ayant entraîné une augmentation du montant de l’amende de plus de [confidentiel] millions d’euros. Ce cumul irait au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer le respect des règles de la concurrence issues du droit de l’Union.

343    En quatrième lieu, Saint-Gobain soutient que la Commission aurait dû davantage tenir compte de deux facteurs complémentaires lors du calcul de l’amende. Tout d’abord, elle reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte de l’effet dissuasif de l’amende de 133,9 millions d’euros infligée à Saint-Gobain Glass France dans sa décision C(2007) 5791 final, du 28 novembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.165 – Verre plat) (ci-après la « décision Verre plat », résumée au JO 2008, C 127, p. 9). La décision attaquée s’écarterait sans motif, sur ce point, du raisonnement suivi par la Commission dans sa décision C(2002) 5083 final, du 17 décembre 2002, concernant une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E-2/37.667 – Graphites spéciaux) (ci-après la « décision Graphites spéciaux »), dans laquelle la Commission aurait accordé une réduction de 33 % du montant de l’amende infligée à l’une des entreprises destinataires de la décision Graphites spéciaux, afin de prendre en compte une amende qui avait été imposée à cette même entreprise un an et cinq mois auparavant. Ensuite, Saint-Gobain soutient que la Commission aurait dû tenir compte de la crise économique exceptionnelle qui frappait le secteur automobile au moment où la décision a été prise et qui a aggravé de façon significative l’impact réel de l’amende. S’agissant de ce dernier point, Saint-Gobain souligne que ces difficultés économiques n’étaient pas le résultat de son incapacité à s’adapter aux conditions du marché, mais reflétaient plutôt une situation de crise touchant le secteur entier au moment où la décision attaquée a été adoptée.

344    En cinquième lieu, enfin, le caractère disproportionné de l’amende infligée à Saint-Gobain résulterait du fait que celle-ci dépasse largement le niveau d’une amende optimale, celui-ci correspondant à un montant égal ou légèrement supérieur au profit illicite que les membres d’un cartel tirent de ce dernier.

345    La Commission soutient que l’amende infligée à Saint-Gobain est proportionnée.

346    Tout d’abord, la Commission considère que l’argument pris de l’absence de déductibilité fiscale de l’amende ne saurait être retenu. Cette absence de déductibilité n’aurait nullement pour effet d’augmenter le montant de l’amende. Au contraire, selon la Commission, une éventuelle déductibilité du montant de l’amende des revenus imposables de l’entreprise concernée permettrait à cette dernière de récupérer indûment une partie importante de l’amende qui lui a été infligée.

347    Ensuite, la Commission fait valoir qu’il est légitime de considérer, lors du calcul de l’amende, que la gravité d’une infraction dépend notamment de sa durée. En l’espèce, en opérant une distinction entre trois phases de l’infraction, elle aurait indirectement réduit l’importance de la durée totale de l’infraction lors de la fixation du niveau de l’amende.

348    Par ailleurs, s’agissant du pourcentage des ventes retenu, la Commission conteste que les lignes directrices de 2006 la privent d’une marge d’appréciation suffisante pour réduire le montant des amendes dans le cas d’infractions horizontales. Ces infractions figureraient en effet parmi les plus graves, ce qui justifierait de retenir, à leur égard, un pourcentage de ventes élevé en vue de déterminer tant le montant variable que le montant additionnel de l’amende. En tout état de cause, les lignes directrices laisseraient à la Commission une marge suffisante en vue de distinguer selon la gravité des infractions. La Commission s’oppose de surcroît à l’argument tiré du pouvoir de négociation des constructeurs automobiles, la jurisprudence étant selon elle établie en ce sens qu’une circonstance de ce type ne doit pas nécessairement donner lieu à une réduction du montant de l’amende.

349    S’agissant de l’argument selon lequel l’objectif de dissuasion aurait été pris en compte deux fois, au titre du montant additionnel, d’une part, et dans l’augmentation de l’amende au titre de la récidive, d’autre part, il ne saurait, selon la Commission, être retenu. Outre que le juge de l’Union aurait déjà rejeté cet argument dans d’autres affaires, le montant additionnel et l’augmentation pour récidive ne devraient pas être confondus, le premier constituant une augmentation générale destinée à refléter la gravité des ententes horizontales, alors que la seconde serait un facteur de majoration individuel destiné à prendre en compte le comportement antérieur d’une entreprise.

350    La Commission fait valoir que le reproche qui lui est fait de ne pas avoir tenu compte de l’amende infligée à Saint-Gobain Glass France dans la décision Verre plat ne saurait davantage prospérer, dès lors que la prise en compte d’une telle circonstance relèverait de sa marge d’appréciation.

351    La Commission soutient de surcroît que, conformément à la jurisprudence, elle n’est pas tenue de réduire les amendes qu’elle inflige pour des infractions au droit de la concurrence en considération des difficultés financières éventuelles des entreprises visées, puisque cela reviendrait à procurer un avantage concurrentiel aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché.

352    Enfin, s’agissant du grief pris d’un dépassement du montant d’une amende optimale, la Commission souligne qu’il a déjà été jugé qu’une limitation du montant des amendes en matière d’ententes aux seuls bénéfices escomptés par les participants à celles-ci ferait perdre à ces amendes leur caractère dissuasif et que, de surcroît, l’éventuelle absence de bénéfices ne fait pas obstacle à l’imposition d’amendes.

 Appréciation du Tribunal

353    Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt de la Cour du 5 mai 1998, Royaume-Uni/Commission, C‑180/96, Rec. p. I‑2265, point 96, et arrêt du Tribunal du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T‑336/07, point 428).

354    Dans le cadre des procédures engagées par la Commission pour sanctionner les violations des règles de la concurrence, l’application de ce principe implique que les amendes ne doivent pas être démesurées par rapport aux objectifs visés, c’est-à-dire par rapport au respect de ces règles, et que le montant de l’amende infligée à une entreprise au titre d’une infraction en matière de concurrence doit être proportionné à l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte, notamment, de la gravité de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Prym et Prym Consumer/Commission, T‑30/05, non publié au Recueil, points 223 et 224, et la jurisprudence citée). En particulier, le principe de proportionnalité implique que la Commission doit fixer l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doit à cet égard appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée (arrêts du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, points 226 à 228, et du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05, Rec. p. II‑1255, point 171).

355    C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les griefs avancés par Saint-Gobain dans le cadre de la deuxième branche du moyen.

356    À titre liminaire, il convient d’examiner l’argument de Saint-Gobain selon lequel la proportionnalité de l’amende qui lui a été infligée devrait être appréciée non pas par référence au montant de cette amende tel qu’il figure au dispositif de la décision attaquée, à savoir 880 millions d’euros, mais par référence au montant des bénéfices avant imposition qui serait nécessaire afin de s’acquitter d’une telle amende, à savoir, selon le chiffre avancé par Saint-Gobain, plus de 1,3 milliard d’euros.

357    Le Tribunal considère que l’absence de possibilité offerte à Saint-Gobain de déduire de ses bénéfices imposables l’amende qui lui a été infligée ne constitue pas une circonstance pertinente en vue d’examiner la proportionnalité de cette amende. En effet, c’est à juste titre que la Commission, lors du calcul d’une amende, part du principe que celle-ci est prélevée sur le bénéfice après impôt, dès lors que, si l’amende devait être prélevée sur le bénéfice imposable, cela aurait pour conséquence de faire supporter une partie de l’amende par l’État dont l’entreprise relève en matière fiscale et qu’une telle conséquence serait contraire à la logique qui sous-tend les règles de la concurrence issues du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Hoechst/Commission, T‑10/89, Rec. p. II‑629, point 369).

358    Il y a par ailleurs lieu de rappeler que l’effectivité des décisions par lesquelles la Commission inflige des amendes à des entreprises pourrait être sensiblement réduite si les sociétés concernées étaient autorisées à déduire en tout ou en partie le montant des amendes qu’elles subissent du montant de leurs bénéfices imposables, puisqu’une telle possibilité aurait pour effet de compenser partiellement la charge desdites amendes par une réduction de la charge fiscale (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 juin 2009, X, C‑429/07, Rec. p. I‑4833, point 39).

359    Il s’ensuit que c’est par référence au montant de 880 millions d’euros, tel qu’il apparaît à l’article 2, sous b), du dispositif de la décision attaquée, que doit être appréciée la conformité de l’amende infligée par la Commission à Saint-Gobain au principe de proportionnalité.

360    Le premier grief est pris de l’importance accordée à la durée de l’infraction lors du calcul de l’amende, en application de l’effet multiplicateur inscrit au paragraphe 24 des lignes directrices de 2006. Il y a lieu de rappeler à cet égard que, conformément à une jurisprudence constante, si la Commission, dans les limites prévues par le règlement no 1/2003, dispose d’une marge d’appréciation dans l’exercice de son pouvoir d’imposer des amendes (arrêt Erste Group Bank e.a./Commission, point 118 supra, point 123), ce pouvoir est toutefois limité. En effet, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est imposées (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, point 328 supra, point 95). Elle ne peut s’en écarter dans un cas particulier sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (voir, par analogie, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, point 209).

361    En ce qui concerne le coefficient multiplicateur en fonction de la durée, le paragraphe 24 des lignes directrices de 2006 prévoit que, « [a]fin de prendre pleinement en compte la durée de participation de chaque entreprise à l’infraction, le montant déterminé en fonction de la valeur des ventes […] sera multiplié par le nombre d’années de participation à l’infraction », les périodes de moins d’un semestre étant « comptées comme une demi[-]année », alors que les périodes de plus de six mois, mais de moins d’un an, sont « comptées comme une année complète ». La multiplication par le nombre d’années de participation à l’infraction, prévue dans les lignes directrices de 2006, équivaut à augmenter le montant de base de l’amende de 100 % par année.

362    Cette approche représente un changement méthodologique fondamental en ce qui concerne la prise en considération de la durée de l’entente. L’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 ne s’oppose toutefois pas à une telle évolution, cette disposition accordant un poids aussi important à la gravité qu’à la durée de l’infraction dans la fixation de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Team Relocations e.a./Commission, T‑204/08 et T‑212/08, Rec. p. II‑3569, point 109).

363    Cette disposition n’impose pas, en revanche, que ces deux facteurs aient une incidence égale, d’un point de vue arithmétique, sur le montant de l’amende.

364    Or, c’est à juste titre que la Commission considère que, en principe, le profit illégitime que les participants à une entente tirent de celle-ci est d’autant plus important que l’infraction est de longue durée. Ainsi, en l’espèce, ce n’est qu’après avoir examiné les effets sur le marché des pratiques concertées initialement mises en œuvre qu’est apparue la nécessité d’ajustements et de mesures correctives, afin de parvenir à l’objectif de stabilité des parts de marché entre les participants. De surcroît, dans l’hypothèse où une entente porte sur la répartition de contrats de fourniture dont la mise en œuvre est assez longue, en vue d’assurer une stabilité globale des parts de marché, plusieurs années peuvent s’écouler avant que l’entente opère sur une partie significative du marché.

365    À l’aune de ces éléments, il apparaît dès lors que l’application au cas d’espèce de la règle de multiplication contenue au paragraphe 24 des lignes directrices de 2006 était justifiée et que le premier grief doit être rejeté.

366    Par son deuxième grief, Saint-Gobain soutient que les lignes directrices de 2006, en imposant que la proportion des ventes prise en compte pour le calcul de l’amende en matière d’infractions horizontales soit comprise entre 16 et 30 % dans le cas d’infractions horizontales, limitent indûment la marge d’appréciation de la Commission en vue de fixer une amende en fonction de la gravité réelle de l’infraction constatée.

367    Le deuxième grief a été soulevé pour la première fois dans la réplique. Dès lors toutefois qu’il est invoqué au soutien du sixième moyen énoncé dans la requête introductive d’instance, tiré d’une violation du principe de proportionnalité, et qu’il présente avec celui-ci un lien étroit, il doit, conformément à une jurisprudence bien établie, être déclaré recevable (arrêts du Tribunal Joynson/Commission, point 301 supra, point 156, et du 15 octobre 2008, Mote/Parlement, T‑345/05, Rec. p. II‑2849, point 85).

368    Sur le fond, il y a lieu de relever, tout d’abord, que, aux termes du paragraphe 21 des lignes directrices de 2006, « [e]n règle générale, la proportion de la valeur des ventes prise en compte sera fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30 % ». Selon le paragraphe 23 de ces mêmes lignes directrices, « [l]es accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production, qui sont généralement secrets, comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves » et doivent être « sévèrement sanctionnés » ; « [p]ar conséquent, la proportion des ventes prise en compte pour de telles infractions sera généralement retenue en haut de l’échelle ».

369    Il ressort notamment de l’utilisation des termes « [e]n règle générale » et « généralement » que la Commission, en adoptant ces dispositions, ne s’est pas imposé une règle de conduite absolue, mais a expressément prévu la possibilité de s’en écarter si les circonstances le justifient, pour autant qu’elle expose celles-ci dans sa décision. Saint-Gobain ne saurait dès lors être suivie lorsqu’elle soutient que la Commission ne serait en aucun cas en mesure de retenir un pourcentage des ventes inférieur à 16 % en matière d’infractions horizontales.

370    Ensuite, Saint-Gobain ne conteste pas la constatation faite par la Commission, au considérant 670 de la décision attaquée, selon laquelle l’entente litigieuse avait pour objet une répartition de la clientèle entre concurrents, par le biais d’une coordination des prix. Or, il est de jurisprudence constante que les ententes horizontales en matière de prix font partie des infractions les plus graves au droit de la concurrence de l’Union et peuvent donc, à elles seules, être qualifiées de très graves (arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, point 103, et du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, dit « FETTCSA », T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 262). Ainsi, les mécanismes décrits par la Commission dans la décision attaquée, consistant en la répartition concertée de contrats relatifs à la fourniture de vitrage automobile dans l’EEE, par la coordination des politiques de prix et des stratégies d’approvisionnement de la clientèle visant à maintenir une stabilité globale des parts de marché des entreprises y ayant participé, relèvent des formes les plus graves d’atteinte aux règles de la concurrence, en ce qu’ils tendent à l’élimination pure et simple de cette dernière entre les entreprises qui les mettent en œuvre.

371    Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission a considéré que les accords et les pratiques concertées en cause constituaient, par leur nature même, une infraction très grave (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 97 supra, point 147). Un tel constat s’impose d’autant plus en l’espèce qu’il n’est pas contesté que, d’une part, les parts de marché pertinentes cumulées des entreprises ayant participé à l’entente étaient d’environ 60 % en moyenne au cours de la période d’infraction et, d’autre part, les accords et les pratiques concertées litigieux ont progressivement concerné la quasi-totalité des constructeurs automobiles au sein de l’EEE.

372    Par ailleurs, s’agissant de l’argument pris de l’impact économique prétendument limité de l’infraction, compte tenu du pouvoir de négociation des constructeurs automobiles, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue, dès lors que celui-ci a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Par conséquent, la démonstration d’effets anticoncurrentiels réels n’est pas requise, alors même que l’objet anticoncurrentiel des comportements reprochés est établi (voir arrêt Volkswagen/Commission, point 100 supra, point 178, et la jurisprudence citée). De plus et en tout état de cause, il convient de souligner que la Commission, au considérant 677 de la décision attaquée, a reconnu que les constructeurs automobiles avaient bénéficié d’un pouvoir de négociation qui leur a permis d’élaborer des stratégies de réponse afin de réduire ou de contrecarrer l’entente. Or, il ressort d’une lecture combinée de ce passage de la décision attaquée et du considérant 673 de celle-ci que la Commission a bien tenu compte de cette circonstance en vue de ne pas retenir un pourcentage des ventes pertinentes plus élevé lors du calcul de l’amende infligée aux requérantes.

373    Enfin, il y a lieu de tenir compte du fait que la Commission, en l’espèce, a subdivisé la période d’infraction en trois phases, aux fins du calcul de la valeur des ventes pertinentes, et retenu une valeur moyenne sur toute la période d’infraction (voir points 31, 156 et 158 ci-dessus). Cette méthode déroge à la règle contenue au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, selon lequel sont normalement prises en compte les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction. La Commission a justifié cette dérogation en expliquant, aux considérants 664 à 667 de la décision attaquée, qu’elle ne disposait de preuves directes de pratiques collusoires que pour certains constructeurs automobiles s’agissant des périodes de « montée en puissance » et de « déclin » de l’entente et que cela justifiait de ne retenir comme ventes pertinentes au cours de ces deux périodes que les ventes de verre automobile auxdits constructeurs. Or, c’est à la valeur des ventes calculée de cette façon qu’ont été appliqués les taux retenus par la Commission en application des paragraphes 21 et 23 des lignes directrices de 2006 ainsi que le montant additionnel. Il s’ensuit que la méthode de calcul retenue par la Commission a permis que le montant de l’amende infligée à l’entreprise formée par Saint-Gobain et la Compagnie reflète au mieux la gravité de l’infraction commise par cette même entreprise, appréciée dans son ensemble, conformément à la jurisprudence rappelée au point 354 ci-dessus.

374    Quant à l’argument pris de l’impossibilité pour la Commission de fixer un montant additionnel inférieur à 15 %, il se confond en substance avec le troisième grief et est dès lors examiné dans ce cadre.

375    Le deuxième grief ne saurait dès lors prospérer.

376    Par son troisième grief, Saint-Gobain reproche à la Commission d’avoir augmenté le montant de l’amende qui lui a été infligée au titre de la récidive, alors que le montant de base de l’amende comporte déjà un facteur de dissuasion, à savoir le montant additionnel. Selon Saint-Gobain, ce cumul irait au-delà de ce qui est nécessaire pour faire assurer le respect des règles de la concurrence de l’Union.

377    Cette argumentation ne saurait toutefois être suivie.

378    D’une part, il convient de rappeler que l’effet dissuasif de l’amende ne vise pas uniquement à détourner l’entreprise en cause de la récidive, ce qui relève du domaine de la prévention spéciale. La Commission a également le pouvoir de décider du niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif à titre général, notamment lorsque des infractions d’un type déterminé sont encore relativement fréquentes et sont à considérer comme graves, ce qui relève du domaine de la prévention générale (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Tate & Lyle e.a./Commission, point 370 supra, point 134, et du 13 septembre 2013, Total Raffinage Marketing/Commission, T‑566/08, point 460). C’est une préoccupation de cette nature qui est reflétée au paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, lequel prévoit l’inclusion dans le montant de base de l’amende d’une somme comprise entre 15 et 25 % de la valeur des ventes en relation directe ou indirecte avec l’infraction, afin de dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production.

379    Or, la capacité de la Commission à prévenir de manière générale les infractions à l’article 81 CE serait menacée si celle-ci n’était pas en mesure de tenir compte de l’objectif de dissuasion lors de la fixation du montant de base d’une amende, dès lors que c’est ce dernier montant, obtenu dans le cadre de la première phase de fixation de l’amende, qui est censé refléter la gravité de l’infraction en fonction des éléments propres à celle-ci, tels que sa nature, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction et sa mise en œuvre ou non (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 octobre 2011, Aragonesas Industrias y Energía/Commission, T‑348/08, Rec. p. II‑7583, point 264, et la jurisprudence citée).

380    D’autre part, selon une jurisprudence constante, la dissuasion constitue une finalité de l’amende et une exigence générale guidant la Commission tout au long du calcul du montant de celle-ci. Ainsi, l’objectif de dissuasion ne requiert pas nécessairement que ce calcul soit caractérisé par une étape spécifique destinée à une évaluation globale de toutes les circonstances pertinentes aux fins de la réalisation de cette finalité (arrêts du Tribunal BASF/Commission, point 119 supra, point 226, et du 8 octobre 2008, Carbone Lorraine/Commission, T‑73/04, Rec. p. II‑2661, point 131).

381    Partant, même si l’exigence de dissuasion constitue la raison d’être de l’application d’une majoration de l’amende au titre de la récidive (voir, en ce sens, arrêt Michelin/Commission, point 309 supra, point 293), la Commission pouvait valablement prendre en compte l’objectif de dissuasion également au stade du calcul du montant de base de l’amende, par l’application d’un montant additionnel (voir, par analogie, arrêt UPM-Kymmene/Commission, point 324 supra, point 137). Il y a d’ailleurs lieu de relever à cet égard que, si l’inclusion d’un montant additionnel dans le montant de base de l’amende et la majoration de ce montant de base au titre de la récidive poursuivent chacune un objectif de dissuasion, elles sont en revanche justifiées par des considérations distinctes. Ainsi, conformément au raisonnement exposé aux points 378 et 379 ci-dessus, le montant additionnel, à propos duquel le libellé même du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, tant en français qu’en anglais et en allemand (« inclura », « will include » et « fügt hinzu »), suggère qu’il revêt un caractère automatique en ce qui concerne les infractions flagrantes (voir, en ce sens, arrêt Team Relocations e.a./Commission, point 362 supra, point 117), vise à ce que le montant de base de l’amende reflète la toute particulière gravité des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition des parts de marché et de limitation de la production, alors que la majoration au titre de la récidive a pour but de sanctionner plus lourdement le comportement infractionnel d’entreprises qui témoignent d’une propension à s’affranchir des règles de la concurrence.

382    Par son quatrième grief, Saint-Gobain soutient que la Commission aurait dû tenir compte de deux facteurs complémentaires lors de la fixation de l’amende, à savoir, d’une part, la décision Verre plat, par laquelle elle a été sanctionnée pour infraction au droit de la concurrence de l’Union moins d’un an avant l’adoption de la décision attaquée, et, d’autre part, la crise économique exceptionnelle qui frappait le secteur automobile au moment où la décision attaquée a été prise.

383    S’agissant tout d’abord de la prise en compte de la décision Verre plat lors du calcul de l’amende, il y a lieu de relever que Saint-Gobain n’a aucunement démontré ni même allégué que celle-ci visait à sanctionner la même infraction au droit de la concurrence que celle qui a donné lieu à l’adoption de la décision attaquée. Or, il a déjà été jugé que l’existence de marchés de produits différents, quand bien même voisins, est un critère pertinent aux fins de la détermination de la portée et, partant, de l’identité des infractions à l’article 81 CE (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au Recueil, points 118 à 124, et Jungbunzlauer/Commission, point 354 supra, points 309 à 314).

384    S’agissant ensuite de la référence faite par Saint-Gobain à la réduction de 33 % du montant de l’amende accordée par la Commission à l’une des entreprises visées notamment par la décision Graphites spéciaux, elle n’est pas pertinente en l’espèce. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est uniquement défini dans le règlement no 1/2003, tel qu’appliqué à la lumière des lignes directrices, et que la Commission n’est pas liée par les appréciations qu’elle a portées antérieurement (voir point 245 ci-dessus). Les décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernées, soient identiques (voir arrêt de la Cour du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, Rec. p. I‑4405, point 60, et la jurisprudence citée). Ainsi, la réduction du montant de l’amende infligée à SGL Carbon AG, notamment, dans la décision Graphites spéciaux, était justifiée par une conjonction de facteurs, à savoir non seulement la circonstance que cette entreprise avait déjà été sanctionnée peu de temps avant pour une infraction au droit de la concurrence de l’Union, mais aussi la situation financière très défavorable à laquelle elle faisait face de même que le fait qu’elle ne se trouvait pas en situation de récidive (arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 383 supra, points 405 et 406). Or, Saint‑Gobain n’a apporté aucun élément concret de nature à démontrer qu’elle se trouvait dans une situation financière comparable au moment de l’adoption de la décision attaquée. De surcroît, ainsi qu’il ressort de l’analyse figurant aux points 300 à 334 ci-dessus, Saint-Gobain se trouvait bien en situation de récidive lorsque la Commission a adopté la décision attaquée.

385    S’agissant encore de la crise économique exceptionnelle qu’aurait traversée le marché automobile au moment où a été adoptée la décision attaquée, laquelle aurait aggravé de manière significative l’impact réel de l’amende sur Saint-Gobain, cette circonstance, en la supposant avérée, manque de pertinence en l’espèce. Selon une jurisprudence bien établie, en effet, la Commission n’est pas obligée, lors de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte de la situation financière déficitaire d’une entreprise, étant donné que la reconnaissance d’une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (arrêt de la Cour du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, Rec. p. I‑5977, point 105 ; voir arrêt du Tribunal du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T‑62/02, Rec. p. II‑5057, point 175, et la jurisprudence citée).

386    Il est sans importance, à cet égard, que de telles difficultés financières, qui peuvent se concrétiser par une dégradation des indicateurs économiques et comptables de l’entreprise concernée, voire par une situation financière déficitaire, trouvent leur origine dans un contexte de crise affectant les marchés sur lesquels cette entreprise est active.

387    En premier lieu, une telle crise a en principe un impact plus important sur les entreprises les moins adaptées aux conditions du marché. En deuxième lieu, une éventuelle obligation pour la Commission de prendre en compte toute situation de crise économique aux fins de réduire le montant des amendes infligées en matière d’infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE pourrait affecter de manière significative l’efficacité de l’interdiction contenue dans cette disposition dès lors qu’il est fréquent que les cartels naissent au moment où un secteur connaît des difficultés (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 mai 2009, KME Germany e.a./Commission, T‑127/04, Rec. p. II‑1167, point 122). Enfin, en troisième lieu, des circonstances telles qu’une baisse continue de la demande ou la capacité de production excédentaire qui peut en résulter, quand bien même elles seraient avérées, sont des risques inhérents à toute activité économique et qui, en tant que tels, ne caractérisent pas une situation structurelle ou conjoncturelle exceptionnelle susceptible d’être prise en compte pour la fixation du montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 97 supra, point 414).

388    Il s’ensuit que le quatrième grief doit également être rejeté.

389    Par son cinquième grief, enfin, Saint-Gobain soutient que l’amende qui lui a été infligée est disproportionnée en raison du fait qu’elle va bien au-delà d’une amende optimale.

390    Il suffit de rappeler, à cet égard, que, dans ses arrêts du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission (T‑329/01, Rec. p. II‑3255, point 141, et T‑59/02, point 271 supra, point 130), le Tribunal a jugé que, si l’amende devait être fixée à un niveau qui se limiterait à annuler le bénéfice de l’entente, elle n’aurait pas d’effet dissuasif. Il peut en effet être raisonnablement présumé que des entreprises tiennent rationnellement compte, dans le cadre de leur calcul financier et de leur gestion, non seulement du niveau des amendes qu’elles risquent de se voir infliger en cas d’infraction, mais également du niveau de risque de détection de l’entente. De plus, si la fonction de l’amende était réduite au simple anéantissement du profit ou du bénéfice escompté, il ne serait pas tenu compte à suffisance du caractère infractionnel du comportement en cause au vu de l’article 81, paragraphe 1, CE. En effet, en réduisant l’amende à une simple compensation du préjudice encouru, serait négligé, outre l’effet dissuasif qui ne peut viser que des comportements futurs, le caractère répressif d’une telle mesure par rapport à l’infraction concrète effectivement commise. Ainsi, tant l’effet dissuasif que l’effet répressif de l’amende justifient que la Commission puisse imposer une amende qui, en fonction des circonstances de l’espèce, peut dépasser substantiellement le montant du bénéfice escompté par l’entreprise en cause.

391    Il s’ensuit que le cinquième grief doit être rejeté et, avec lui, la deuxième branche du moyen.

c)     Sur la troisième branche, tirée d’une prise en compte insuffisante de l’absence de contestation de la matérialité des faits par Saint-Gobain, ainsi que d’une violation du principe de non-discrimination et d’une insuffisance de motivation

 Arguments des parties

392    Saint-Gobain allègue que la Commission a violé l’article 23, paragraphe 2, sous a), et l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, en ne réduisant pas le montant de l’amende qui lui a été infligée au seul motif qu’elle n’avait pas invoqué de circonstances atténuantes dans sa réponse à la communication des griefs. La nécessité d’une telle réduction en l’espèce résulterait non seulement de la jurisprudence, mais aussi du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 ainsi que du paragraphe 21 de la communication sur la coopération de 2002. Ainsi, selon Saint-Gobain, la Commission aurait dû tenir compte de la circonstance que, à la différence d’autres entreprises concernées, elle n’a pas contesté, dans ladite réponse, la matérialité des faits qui lui étaient reprochés dans la communication des griefs.

393    Selon Saint-Gobain, une telle attitude diminuerait le degré de gravité de son comportement, puisque cette absence de contestation a été largement utilisée par la Commission pour établir l’infraction dans la décision attaquée. Il serait sans importance, à cet égard, que Saint-Gobain n’ait pas explicitement sollicité une prise en compte de ce facteur comme circonstance atténuante au cours de l’enquête, dès lors que la Commission devrait tenir compte de l’ensemble des faits dont elle avait connaissance au moment de l’adoption de la décision attaquée.

394    La décision attaquée méconnaîtrait également le principe de non-discrimination dès lors que la Commission aurait accordé le bénéfice de la communication sur la coopération de 2002 à la demanderesse de clémence, sans examiner si le montant de l’amende infligée à Saint-Gobain pouvait également être réduit en considération de cette communication. Cette dernière circonstance contrasterait de surcroît avec la pratique administrative antérieure de la Commission.

395    Saint-Gobain soutient encore que la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation dès lors que les raisons justifiant que sa non-contestation des faits n’a pas été retenue à titre de circonstance atténuante devraient y apparaître.

396    Saint-Gobain invite enfin le Tribunal, à titre subsidiaire, à exercer sa compétence de pleine juridiction en l’espèce en réduisant le montant de l’amende qui lui a été infligée dans la décision attaquée, afin de tenir compte de sa coopération dans le cadre de l’enquête.

397    La Commission indique, tout d’abord, que le reproche qui lui est fait de ne pas avoir tenu compte de l’absence de contestation de la matérialité des faits par Saint-Gobain manque en fait. Elle aurait effectivement examiné si l’absence de contestation de la matérialité des faits, par cette entreprise, justifiait une telle réduction.

398    La Commission fait ensuite valoir que la plus-value liée à la coopération de Saint-Gobain ne saurait être surestimée, l’absence de contestation du cadre factuel de la décision attaquée par cette dernière ayant principalement servi à corroborer les déclarations de la demanderesse de clémence ainsi que des faits établis par l’enquête. Saint-Gobain aurait par ailleurs contesté certains aspects de la qualification juridique des faits constitutifs de l’infraction, voire même certains faits.

399    En outre, Saint-Gobain n’aurait avancé aucune circonstance exceptionnelle de nature à justifier une prise en compte de sa coopération en dehors du régime de clémence. À cet égard, le Tribunal aurait confirmé, dans son arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, point 69 supra, qu’une simple absence de contestation de la matérialité des faits, par une entreprise impliquée dans une entente illégale, ne donne pas lieu à une réduction du montant de l’amende qui doit lui être infligée. Cette conclusion ne saurait être remise en cause par une pratique décisionnelle antérieure de la Commission, fondée notamment sur sa communication concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la clémence de 1996 »).

400    La Commission conteste par ailleurs que sa décision serait insuffisamment motivée sur ce point. Elle considère qu’il ressort de manière suffisamment claire du raisonnement contenu dans la décision attaquée au sujet de l’absence de contestation de la matérialité des faits par la demanderesse de clémence qu’une telle absence de contestation ne pouvait en aucun cas donner lieu à une réduction du montant de l’amende infligée à Saint-Gobain.

401    Enfin, la Commission estime qu’aucune raison ne justifie, en l’espèce, que le Tribunal réduise le montant de l’amende infligée à Saint-Gobain au titre de sa compétence de pleine juridiction.

 Appréciation du Tribunal

402    La présente branche doit être examinée en opérant une distinction entre, d’une part, la possibilité d’une réduction du montant de l’amende au titre des paragraphes 20 à 23 de la communication sur la coopération de 2002 et, d’autre part, une réduction du montant de l’amende à titre de circonstance atténuante en dehors du programme de clémence, par application du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006.

403    S’agissant tout d’abord de la communication sur la coopération de 2002, applicable ratione temporis au cas d’espèce, il convient de relever que la Commission y a précisé les conditions dans lesquelles les entreprises qui coopèrent avec elle au cours de son enquête sur une entente peuvent être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qu’elles auraient dû acquitter.

404    Il est ainsi précisé, au paragraphe 20 de la communication sur la coopération de 2002, que les entreprises qui ne remplissent pas les conditions d’exemption de l’amende, prévues au titre A de ladite communication, peuvent toutefois bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qui à défaut leur aurait été infligée. Il résulte des termes du paragraphe 21 de ladite communication que, « [a]fin de pouvoir prétendre à une telle réduction, une entreprise doit fournir à la Commission des éléments de preuve de l’infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission, et doit mettre fin à sa participation à l’activité présumée au plus tard au moment où elle fournit ces éléments de preuve ».

405    Le Tribunal a récemment jugé que, dans le cadre du programme de clémence prévu par la communication sur la coopération de 2002, la procédure d’octroi de l’immunité totale d’amendes à une entreprise comprend trois phases distinctes, la première d’entre elles consistant en une demande formée par l’entreprise intéressée auprès de la Commission (arrêt du Tribunal du 9 septembre 2011, Deltafina/Commission, T‑12/06, Rec. p. II‑5639, points 111 et 112).

406    Sous un titre intitulé « Procédure », les paragraphes 24 et 25 de la communication sur la coopération de 2002 indiquent ce qui suit :

« 24. Toute entreprise souhaitant bénéficier d’une réduction d’amende devra fournir à la Commission les éléments de preuve relatifs à l’entente en question.

25. L’entreprise recevra un accusé de réception de la direction générale de la concurrence portant la date à laquelle les éléments en question ont été remis. La Commission ne prendra pas en considération les éléments de preuve remis par une entreprise sollicitant une réduction du montant de l’amende avant d’avoir statué sur une demande d’immunité conditionnelle déjà présentée au sujet de la même infraction présumée. »

407    Il résulte du libellé de ces passages de la communication sur la coopération de 2002 que, pour pouvoir obtenir le bénéfice d’une réduction du montant de l’amende en application du programme de clémence institué par ladite communication, une entreprise doit former une demande en ce sens auprès de la Commission et fournir à cette dernière des éléments de preuve concernant une entente présumée affectant la concurrence dans l’Union. Cette interprétation du champ d’application de la communication sur la coopération de 2002 est d’autant plus justifiée que le programme de clémence apporte une nuance aux conséquences qui s’attachent en principe à l’établissement de la responsabilité des entreprises coupables d’infractions à l’article 81 CE. S’il peut apparaître opportun d’accorder un traitement favorable aux entreprises qui coopèrent avec la Commission aux enquêtes concernant les ententes secrètes affectant l’Union, un tel traitement doit être réservé aux entreprises qui respectent de manière scrupuleuse les conditions procédurales et de fond prévues par la communication sur la coopération de 2002.

408    Or, en l’espèce, Saint-Gobain n’a pas expressément sollicité le bénéfice de la communication sur la coopération de 2002 au cours de l’enquête et elle se borne à faire valoir qu’elle n’a pas contesté la matérialité des faits qui lui étaient reprochés dans sa réponse à la communication des griefs. Dans ce contexte, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir cherché à déterminer si Saint-Gobain pouvait bénéficier d’une réduction du montant de l’amende au titre de cette communication. Cette conclusion ne saurait être affectée par la circonstance que l’approche retenue en l’espèce par la Commission diffère d’une pratique décisionnelle antérieure, dès lors que celle-ci ne saurait de toute façon servir, en elle-même, de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir point 245 ci-dessus). Il s’ensuit également que le grief pris d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation sur ce point n’est pas fondé.

409    Il est sans pertinence à cet égard que le Tribunal ait jugé dans le passé que, pour bénéficier d’une réduction du montant de l’amende au titre de la non-contestation des faits, une entreprise devait explicitement informer la Commission qu’elle n’entendait pas contester la matérialité des faits, après avoir pris connaissance de la communication des griefs (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, Rec. p. II‑2223, point 303), ce qui a bien été le cas en l’espèce, et que, dans le cas où une telle demande avait été formulée, il appartenait à la Commission, le cas échéant, d’exposer les raisons pour lesquelles elle estimait néanmoins qu’il n’y avait pas lieu d’accorder une réduction du montant de l’amende à ce titre (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 415, et du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, point 326 supra, points 98 et 99).

410    En effet, ces conclusions étaient étroitement liées au fait que la communication sur la clémence de 1996 prévoyait, au paragraphe 2 du point D intitulé « Réduction significative du montant de l’amende », que l’absence de contestation de la matérialité des faits sur lesquels la Commission fondait ses accusations pouvait donner lieu à une réduction du montant de l’amende qui aurait été infligée en l’absence de coopération. Comme le souligne à juste titre la Commission dans ses écritures, une telle règle ne figure plus dans la communication sur la coopération de 2002, celle-ci mentionnant uniquement, en dehors de l’hypothèse d’une immunité, la possibilité d’une réduction du montant de l’amende dans le cas où une entreprise fournit à la Commission « des éléments de preuve de l’infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession [de celle-ci] ».

411    Quant au grief pris d’une violation du principe de non-discrimination, dès lors que la demanderesse de clémence aurait, à la différence de Saint-Gobain, bénéficié d’une réduction du montant de l’amende au titre de la communication sur la coopération de 2002, il ne saurait prospérer. Certes, il y a lieu de rappeler que la Commission ne saurait, dans le cadre de son appréciation de la coopération fournie par les membres d’une entente, méconnaître le principe d’égalité de traitement (arrêt du Tribunal du 6 mai 2009, Wieland-Werke/Commission, T‑116/04, Rec. p. II‑1087, point 124), lequel s’oppose à ce que des situations comparables ne soient pas traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt de la Cour du 15 octobre 2009, Audiolux e.a., C‑101/08, Rec. p. I‑9823, point 54, et la jurisprudence citée). Compte tenu toutefois du raisonnement exposé aux points 406 à 408 ci-dessus, il y a lieu de considérer que Saint-Gobain et la demanderesse de clémence ne se trouvaient pas dans une situation comparable au regard de la communication sur la coopération de 2002.

412    S’agissant ensuite des circonstances atténuantes auxquelles il est fait référence au paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, il y a lieu de constater que Saint-Gobain reproche en substance à la Commission de ne pas avoir tenu compte de la règle énoncée au quatrième tiret dudit paragraphe, selon lequel le montant de base de l’amende peut être réduit « lorsque l’entreprise concernée coopère effectivement avec la Commission, en dehors du champ d’application de la communication [sur la coopération de 2002] et au-delà de ses obligations juridiques de coopérer ».

413    Ce grief ne saurait toutefois prospérer.

414    Il convient de relever, à cet égard, que le paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006, à l’instar du point 3, sixième tiret, des lignes directrices de 1998, envisage la possibilité de prendre en compte en tant que circonstance atténuante la collaboration effective de l’entreprise à la procédure en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération et au-delà de ses obligations juridiques de coopérer.

415    Toutefois, dans le cas des ententes secrètes, la Commission est fondée à n’appliquer le paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006 qu’à titre exceptionnel. En effet, l’application de cette disposition ne saurait avoir pour conséquence de priver la communication sur la coopération de son effet utile. Or, il ressort clairement de ladite communication qu’elle définit le cadre permettant de récompenser, pour leur coopération à l’enquête de la Commission, les entreprises qui sont ou ont été parties à des ententes secrètes affectant l’Union. Il s’ensuit que les entreprises ne peuvent, en principe, obtenir une réduction du montant de l’amende au titre de leur coopération que lorsqu’elles satisfont aux conditions prévues par ladite communication (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 30 novembre 2011, Quinn Barlo e.a./Commission, T‑208/06, Rec. p. II‑7953, points 270 et 271).

416    C’est ainsi, par exemple, qu’il est loisible à la Commission de réserver l’application du paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006 à l’entreprise qui était la première à lui fournir des informations lui permettant d’élargir son enquête et d’entreprendre les mesures nécessaires afin d’établir une infraction plus grave ou une infraction d’une durée plus longue (voir, par analogie, arrêt Quinn Barlo e.a./Commission, point 415 supra, point 272, et la jurisprudence citée).

417    La présente affaire entre bien dans le champ d’application de la communication sur la coopération de 2002, laquelle vise, en son paragraphe 1, le cas des ententes secrètes entre entreprises consistant à fixer des prix et à répartir les marchés, y compris par le truquage d’appels d’offres. Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission fait valoir que l’application du paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006, devrait, dans un tel cas, être exceptionnelle.

418    Or, le Tribunal relève que Saint-Gobain n’a, ni au cours de l’enquête qui a conduit à l’adoption de la décision attaquée, ni dans le cadre du présent recours, exposé en quoi la seule circonstance qu’elle n’avait pas contesté la matérialité de certains faits répondait à une telle condition.

419    En premier lieu, c’est à juste titre que la Commission soutient que la prise en compte de la non-contestation des faits à titre de circonstance atténuante risquerait de mettre en péril le changement de sa politique de clémence intervenu par le biais de l’adoption de la communication sur la coopération de 2002, celle-ci se caractérisant notamment par le fait qu’une circonstance de cette nature ne justifie désormais plus, en principe, une réduction du montant de l’amende (voir point 410 ci-dessus).

420    En second lieu, même dans des affaires dans lesquelles s’appliquait la communication sur la clémence de 1996, il a déjà été jugé que, lorsqu’une entreprise ne fait, au titre de la coopération, que confirmer, et ce de manière moins précise et explicite, certaines des informations déjà fournies par une autre entreprise au titre de la coopération, le degré de coopération fourni par cette entreprise, quoiqu’il puisse ne pas être dénué d’une certaine utilité pour la Commission, ne saurait être considéré comme comparable à celui fourni par la première entreprise ayant fourni lesdites informations. En effet, une déclaration se limitant à corroborer, dans une certaine mesure, une déclaration dont la Commission disposait déjà ne facilite pas la tâche de cette dernière de manière significative et, partant, suffisante pour justifier une réduction du montant de l’amende au titre de la coopération (voir, par analogie, arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 97 supra, point 455).

421    À cet égard, le Tribunal constate que, ainsi qu’il résulte du considérant 120 de la décision attaquée, les preuves utilisées par la Commission en vue d’établir l’existence de l’entente litigieuse et son fonctionnement sont essentiellement constituées de documents saisis par la Commission lors des inspections qu’elle a menées dans les locaux des différentes entreprises impliquées, en février et en mars 2005, ainsi que des déclarations effectuées par la demanderesse de clémence, étayées par des documents contemporains des faits. La non-contestation de la matérialité des faits par Saint-Gobain a, comme il apparaît au considérant 456 de la décision attaquée, été utilisée par la Commission afin de corroborer certains constats déduits d’autres éléments en sa possession (voir à cet égard, notamment, les considérants 127, 146 à 148, 165, 187, 218, 255 à 277, 297 à 299, 312, 313, 316, 317, 328, 329, 337, 338 et 388 de la décision attaquée).

422    Il s’ensuit que Saint-Gobain ne saurait être suivie lorsqu’elle soutient que, par son absence de contestation des faits, elle a apporté à la Commission une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve dont celle-ci était déjà en possession.

423    Partant, le grief pris par Saint-Gobain de ce que la Commission n’aurait pas tenu compte de son degré de coopération en tant que circonstance atténuante en dehors du cadre juridique de la communication sur la coopération de 2002 ne saurait être accueilli.

424    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par une éventuelle pratique décisionnelle antérieure. En effet, la circonstance que la Commission ait pu considérer, dans d’autres affaires, que certains éléments constituaient des circonstances atténuantes aux fins de la détermination du montant de l’amende n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure, une telle pratique ne servant pas, en elle-même, de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir point 245 ci-dessus et arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 97 supra, point 395).

425    Il est sans pertinence également que des amendes d’un niveau globalement inférieur aient pu être infligées en l’application de précédentes lignes directrices sur la coopération. L’application efficace des règles de la concurrence de l’Union exige en effet que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique, en sorte que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement, ni dans une méthode de calcul de ces dernières (voir points 276 et 277 ci-dessus).

426    Quant au grief pris d’un défaut de motivation, en tant que la décision attaquée ne ferait pas apparaître les circonstances permettant de comprendre pourquoi Saint-Gobain n’a pu bénéficier d’une réduction du montant de l’amende au titre du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, il ne saurait davantage prospérer.

427    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en ce qui concerne la fixation d’amendes au titre de violations du droit de la concurrence, la Commission remplit son obligation de motivation lorsqu’elle indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction commise, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (voir, en ce sens, arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 148 supra, point 66). Le caractère suffisant d’une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du Tribunal du 28 avril 1994, AWS Benelux/Commission, T‑38/92, Rec. p. II‑211, point 26, et la jurisprudence citée). Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, point 146 supra, point 63).

428    En l’espèce, Saint-Gobain, à la suite de la réception de la communication des griefs, n’a pas sollicité de la Commission qu’elle lui accordât une réduction du montant de l’amende qu’elle pouvait lui infliger en raison d’une éventuelle coopération au titre du paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006. De surcroît, Saint-Gobain ne pouvait ignorer, d’une part, que la circonstance atténuante visée au paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006, compte tenu de son libellé, ne s’applique qu’en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération de 2002 et, d’autre part, que, eu égard à la nature de l’entente litigieuse, cette dernière entrait bien dans le champ d’application de ladite communication. Enfin, compte tenu notamment des considérants 56 à 59 et 127 de la décision attaquée, il convient de considérer que Saint-Gobain pouvait comprendre que la Commission s’était fondée, notamment, sur les déclarations de la demanderesse de clémence afin d’établir l’infraction en cause et que ces déclarations avaient été faites antérieurement à l’envoi par Saint-Gobain de sa réponse à la communication des griefs.

429    Il s’ensuit que Saint-Gobain, à la lecture de la décision attaquée, était en mesure de saisir les raisons pour lesquelles la Commission ne lui avait pas accordé une réduction du montant de l’amende qu’elle lui avait infligée au titre de la circonstance atténuante visée au paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006 et que, partant, la décision attaquée n’est pas entachée d’une insuffisance ou d’un défaut de motivation à cet égard.

430    La troisième branche du moyen n’est donc pas fondée.

431    Au regard de l’examen de l’ensemble du moyen, il y a lieu de décider que celui-ci est fondé dans la seule mesure où il vise l’illégalité de la décision attaquée en ce que la Commission y a retenu la décision Verre plat (Italie) afin d’établir la circonstance aggravante de récidive à l’égard de la Compagnie et de Saint-Gobain.

B –  Affaire T‑73/09

432    À titre liminaire, il convient de relever qu’il a déjà été procédé à l’examen, dans le cadre de l’analyse du recours dans l’affaire T‑56/09, de plusieurs moyens ou arguments soulevés par la Compagnie dans le cadre de l’affaire T‑73/09. Il en va ainsi, premièrement, du moyen pris d’une violation du droit à un tribunal indépendant et impartial, deuxièmement, du moyen pris d’une violation du principe de la personnalité des peines en raison de l’imputation à la Compagnie d’une infraction qui a été commise par l’une de ses filiales, troisièmement, du moyen pris d’une violation des principes de non-rétroactivité des peines et de confiance légitime et enfin, quatrièmement, du moyen pris d’une mauvaise application de l’article 23 du règlement no 1/2003 s’agissant de la prise en compte de la récidive comme circonstance aggravante et d’une violation du principe de proportionnalité.

433    Les développements qui suivent portent dès lors uniquement sur le moyen pris, en substance, d’une méconnaissance de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, en tant que la Commission aurait commis une erreur dans l’appréciation du chiffre d’affaires qui doit servir de référence en vue du calcul du plafond de l’amende, ainsi que d’une violation des droits de la défense et d’un défaut de motivation.

 Arguments des parties

434    Par ce moyen, la Compagnie reproche à la Commission de ne pas avoir recherché, dans la décision attaquée, d’éléments démontrant que l’ensemble du chiffre d’affaires du groupe Saint-Gobain pouvait être pris en compte pour le calcul du plafond de l’amende fixé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003. En effet, cette disposition, telle qu’interprétée par le juge de l’Union, ne permettrait pas l’imposition d’une amende supérieure à 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, définie comme une entité économique unique. Or, selon la Compagnie, il ressortirait de la décision attaquée que cette dernière ne vise que des pratiques concernant certaines activités du groupe Saint-Gobain relevant de son pôle « Vitrage » et non les autres activités du groupe, qui constitueraient des entreprises distinctes.

435    Il s’ensuit, selon la Compagnie, que la Commission devait calculer le plafond de l’amende en se limitant au chiffre d’affaires du pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain. Si tel avait été le cas, l’amende n’aurait pas dépassé, en tout état de cause, un montant de 560 millions d’euros. La Compagnie en déduit que l’amende qui lui a été infligée, conjointement et solidairement avec Saint-Gobain, est excessive et disproportionnée.

436    La Commission n’ayant fourni aucune explication à cet égard dans la décision attaquée, cette dernière serait de surcroît entachée d’un défaut de motivation.

437    Au stade de la réplique, la Compagnie fait encore valoir que, dès lors que la communication des griefs n’indiquait pas que la prise en compte de l’ensemble du chiffre d’affaires du groupe Saint-Gobain était justifiée par l’existence d’une présomption d’influence déterminante de sa part sur toutes ses filiales, elle n’a pas été en mesure de faire valoir utilement ses droits à cet égard avant l’adoption de la décision attaquée. Il s’ensuit que la Commission aurait agi en méconnaissance de ses droits de la défense.

438    La Commission s’oppose à ces critiques. Elle fait tout d’abord valoir qu’elle n’a pris en compte le chiffre d’affaires global du groupe Saint-Gobain, dans la décision attaquée, qu’aux fins de déterminer s’il y avait lieu d’appliquer le plafond de 10 % visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003. Elle rappelle ensuite que, conformément à une jurisprudence constante, ledit plafond doit être calculé sur la base du chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés constituant l’entité économique unique qui a commis l’infraction à l’article 81 CE, seul ce chiffre d’affaires donnant une indication de l’importance et de l’influence de l’entreprise en cause sur le marché. Il résulterait d’une jurisprudence bien établie que la Commission est habilitée à prendre en considération le chiffre d’affaires consolidé de la société mère à la tête de l’entreprise ayant participé à l’infraction lors du calcul dudit plafond. Ce chiffre comprendrait le chiffre d’affaires des diverses filiales du groupe, sans qu’il soit nécessaire d’attribuer formellement la responsabilité de l’infraction à l’ensemble des entreprises qui composent celui-ci.

439    Or, en l’espèce, la Commission aurait démontré à suffisance que la Compagnie exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de ses filiales et que, par conséquent, ces diverses sociétés forment ensemble une entreprise. Partant, le calcul du plafond visé au point précédent devait être effectué par référence au chiffre d’affaires consolidé de l’ensemble du groupe Saint-Gobain. Il serait sans pertinence, à cet égard, que la Compagnie réalise un chiffre d’affaires propre réduit, dès lors que le chiffre d’affaires global du groupe Saint-Gobain apparaît dans ses rapports annuels. En outre, le plafond de 10 % ne s’appliquerait ni au chiffre d’affaires réalisé au titre de l’activité concernée directement par l’infraction, ni aux bénéfices réalisés au cours de l’infraction, ni au chiffre d’affaires réalisé par la seule partie du groupe Saint-Gobain à laquelle appartiennent les filiales directement responsables de l’infraction dans l’année précédant la décision.

440    S’agissant du grief pris d’un défaut de motivation quant au calcul du plafond de l’amende visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, la Commission s’y oppose. Elle fait valoir que ledit plafond fait référence au chiffre d’affaires de l’entreprise visée par une décision de sanction prise au titre dudit règlement. Partant, la Compagnie, en sa qualité de destinataire de la décision attaquée, aurait été en mesure de vérifier que l’amende qui lui a été infligée ne dépassait pas ledit plafond.

441    S’agissant, enfin, du grief pris d’une violation des droits de la défense, invoqué dans la réplique, la Commission estime qu’il s’agit d’un moyen nouveau et qui, partant, est irrecevable. En tout état de cause, elle fait valoir que les droits de la défense de la Compagnie n’ont pas été méconnus en l’espèce, dès lors qu’elle n’était pas tenue de communiquer à cette dernière des indications concrètes concernant le niveau des amendes qu’elle envisageait de lui infliger ou le chiffre d’affaires qui serait utilisé afin de vérifier l’absence de dépassement du plafond visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003. La Commission ajoute que, conformément à la jurisprudence, elle a indiqué, dans la communication des griefs, la qualité en laquelle elle reprochait à la Compagnie les faits allégués.

 Appréciation du Tribunal

442    À titre liminaire, il y a lieu de constater que, par la référence qu’elle fait à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux dans son mémoire complémentaire, à l’appui du présent moyen, la Compagnie ne fait valoir aucun moyen ou grief nouveau par rapport aux moyens et griefs qu’elle a énoncés dans sa requête. Il s’ensuit que cet argument est recevable, conformément à la jurisprudence rappelée au point 301 ci-dessus.

443    Sur le fond, ensuite, il convient de rappeler que, comme il résulte de l’analyse figurant aux points 206 à 247 ci-dessus, c’est à juste titre que la Commission a, en l’espèce, imputé à la Compagnie le comportement infractionnel de Saint-Gobain.

444    Le présent moyen soulève néanmoins la question du sens qu’il y a lieu de donner à la notion de chiffre d’affaires de l’« entreprise » participant à l’infraction, à laquelle il est fait référence à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, dans une situation dans laquelle, d’une part, la Commission impute à bon droit à une société mère la responsabilité du comportement infractionnel d’une ou de plusieurs de ses filiales actives dans un secteur économique déterminé et, d’autre part, ladite société mère détient d’autres filiales actives dans des secteurs différents et à l’égard desquelles l’influence déterminante de la société mère n’a pas été établie dans la décision litigieuse. Comme le relève la Compagnie, de l’approche retenue sur ce point dépend, en l’espèce, la constatation d’un éventuel dépassement du plafond de l’amende qui lui a été infligée conjointement et solidairement avec Saint-Gobain.

445    À cet égard, il convient tout d’abord de rejeter le grief pris par la Compagnie d’un défaut de motivation s’agissant du montant du chiffre d’affaires utilisé par la Commission comme référence pour vérifier que l’amende qu’elle a infligée à l’entreprise formée par la Compagnie et par Saint-Gobain ne dépassait pas le plafond visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

446    En effet, dans la mesure où le plafond en cause vise le chiffre d’affaires de l’entreprise ou de l’association d’entreprises qui a commis l’infraction, laquelle est destinataire de la décision, cette entreprise ou association d’entreprises est, par hypothèse, en mesure de vérifier le respect de ce plafond. En effet, cette entreprise ou association d’entreprises est non seulement supposée avoir connaissance de la limite légale en question, mais est également censée connaître le montant de son propre chiffre d’affaires. Elle est dès lors en mesure d’apprécier si le plafond de 10 % a été ou non dépassé par l’amende qui lui a été infligée, en dépit de l’absence de toute explication sur ce point dans la décision par laquelle la sanction lui a été infligée. Il s’ensuit qu’aucune motivation spécifique n’est requise concernant l’application dudit plafond (arrêt du Tribunal du 13 décembre 2006, FNCBV/Commission, T‑217/03 et T‑245/03, Rec. p. II‑4987, points 237 et 238).

447    En tout état de cause, il convient de relever que, au considérant 13 de la décision attaquée, la Commission a notamment indiqué que le chiffre d’affaires consolidé total du groupe Saint-Gobain s’était élevé, en 2007, à 43,4 milliards d’euros et que le chiffre d’affaires réalisé par Saint-Gobain, durant le même exercice, était de 5,611 milliards d’euros. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des considérants 593 à 623 de la décision attaquée, la Commission a, en l’espèce, imputé l’infraction commise par Saint-Gobain à la Compagnie, la Commission ayant notamment conclu, au considérant 622 de la décision attaquée, que les diverses filiales du groupe Saint-Gobain impliquées dans l’infraction formaient une seule entreprise avec la Compagnie. La Commission a au demeurant rappelé, au considérant 710 de la décision attaquée, que, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, l’amende ne pouvait excéder 10 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent par chaque entreprise et association d’entreprises ayant participé à l’infraction. Enfin, il ressort à tout le moins implicitement des considérants 710 à 712 de la décision attaquée que la Commission a, en l’espèce, considéré que l’amende infligée conjointement et solidairement à Saint-Gobain et à la Compagnie ne dépassait pas ledit plafond.

448    Il y a dès lors lieu de considérer que la Compagnie était en mesure de comprendre, à la lecture de la décision attaquée, que c’est par référence au chiffre d’affaires consolidé du groupe Saint-Gobain et en raison de l’influence déterminante exercée par la Compagnie sur la politique commerciale de Saint-Gobain que la Commission a vérifié que l’amende infligée à cette entreprise ne dépassait pas le plafond visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

449    S’agissant ensuite du grief pris d’un dépassement du plafond visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, il convient tout d’abord de rappeler que la limite supérieure du montant de l’amende fixée dans cette disposition vise à éviter que soient infligées des amendes dont il est prévisible que les entreprises, au vu de leur taille, telle que déterminée par leur chiffre d’affaires global, fût-ce de façon approximative et imparfaite, ne seront pas en mesure de s’acquitter. Il s’agit donc d’une limite, uniformément applicable à toutes les entreprises et articulée en fonction de la taille de chacune d’elles, visant à éviter des amendes d’un niveau excessif et disproportionné (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 116 supra, points 280 et 281 ; voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, Knauf Gips/Commission, T‑52/03, non publié au Recueil, point 452). Ainsi, l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 interdit uniquement à la Commission d’infliger une amende excédant le plafond de 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, ce plafond étant déterminé par rapport à l’exercice social qui précède la date de la décision (arrêts Sarrió/Commission, point 149 supra, point 85, et Limburgse Vinyl Maatschappij e.a/Commission, point 86 supra, point 593).

450    Ce plafond de 10 % doit être calculé sur la base du chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés composant l’entité économique unique agissant en tant qu’entreprise au sens de l’article 81 CE, puisque seul le chiffre d’affaires cumulé desdites sociétés peut constituer une indication de la taille et de la puissance économique de l’entreprise en question (arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, points 528 et 529 ; du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a/Commission, point 210 supra, point 90, et du 16 novembre 2011, Sachsa Verpackung/Commission, T‑79/06, non publié au Recueil, point 107). Ainsi, conformément à la jurisprudence, la Commission ne commet pas d’erreur en prenant comme référence pour le calcul du plafond de l’amende le chiffre d’affaires consolidé de la société faîtière concernée, en l’absence de renversement de la présomption d’influence déterminante exercée par celle-ci sur la politique commerciale de la ou des filiales impliquées dans l’infraction (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 210 supra, point 91 ; ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, point 311 supra, point 288 ; du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission, T‑39/06, Rec. p. II‑6831, point 129, et du 12 octobre 2011, Alliance One International/Commission, T‑41/05, Rec. p. II‑7101, point 166).

451    De surcroît et comme le fait valoir à juste titre la Commission, le plafond visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 a un objectif distinct et autonome par rapport à celui résultant des critères de gravité et de durée de l’infraction (arrêt Knauf Gips/Commission, point 449 supra, point 452). Ainsi, l’appréciation dudit plafond doit se faire par référence à la taille et à la puissance économique de l’entreprise concernée, dès lors que ce plafond vise à éviter que ne soit infligée une amende dont il est prévisible que l’entreprise en question ne sera pas en mesure de s’acquitter.

452    Or, le chiffre d’affaires consolidé du groupe Saint-Gobain est davantage de nature à refléter la taille et la puissance économique de l’entreprise visée par la décision attaquée que la seule portion dudit chiffre d’affaires réalisée par le pôle « Vitrage » de ce groupe (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 5040, et arrêt HFB e.a./Commission, point 450 supra, point 529). Il est sans pertinence à cet égard que la Commission n’ait pas établi, dans la décision attaquée, que la Compagnie exerçait une influence déterminante sur la politique commerciale de l’ensemble de ses filiales.

453    Il s’ensuit que la seule circonstance que le groupe Saint-Gobain est actif dans différents secteurs industriels, tels le vitrage, les matériaux innovants, les produits pour la construction ou encore le conditionnement, n’est pas de nature à justifier qu’un chiffre d’affaires plus réduit que le chiffre d’affaires consolidé dudit groupe soit retenu aux fins du calcul du plafond de l’amende, et ce même si l’infraction visée par la décision attaquée ne concerne qu’un seul de ces secteurs.

454    Au demeurant, comme il a été rappelé au point 443 ci-dessus, la Commission a établi que la Compagnie formait, aux fins de l’application de l’article 81 CE, une unité économique avec le pôle « Vitrage » du groupe Saint-Gobain. Dans un tel cas, conformément à la jurisprudence, il est légitime pour la Commission de tenir compte du chiffre d’affaires de la société mère afin de fixer l’amende à un niveau suffisamment dissuasif (voir, en ce sens, arrêt ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, point 311 supra, point 445). Or, il serait porté atteinte à cet objectif si, comme le suggère en substance la Compagnie, seul le chiffre d’affaires des sociétés ayant directement participé à l’infraction pouvait servir de référence en vue du calcul du plafond de l’amende (arrêt du Tribunal du 13 septembre 2010, Trioplast Wittenheim/Commission, T‑26/06, non publié au Recueil, point 115).

455    Cette conclusion n’est pas incompatible avec le raisonnement retenu par le Tribunal dans l’arrêt Knauf Gips/Commission, point 449 supra. Dans cet arrêt, le Tribunal, aux fins de déterminer si le chiffre d’affaires mondial réalisé par l’ensemble des sociétés du groupe Knauf pouvait servir de référence pour le calcul du plafond de l’amende, a examiné, d’une part, si le groupe Knauf constituait une unité économique au sens du droit de la concurrence et, d’autre part, si la Commission avait démontré à suffisance de droit que Knauf Gips AG, requérante dans cette affaire, était la personne juridique qui, à la tête du groupe Knauf, était responsable de la coordination de l’action de celui-ci (arrêt Knauf Gips/Commission, point 449 supra, point 339). Toutefois, cette approche était justifiée dans ce cas par le fait que, dans la décision dont l’annulation était poursuivie dans cette affaire, la Commission n’avait pas été en mesure d’identifier une personne morale qui dirigeait le groupe de sociétés constituant l’entreprise responsable de l’infraction et qui aurait pu se voir imputer les infractions commises par les diverses sociétés la composant (arrêt Knauf Gips/Commission, point 449 supra, point 337). Par contraste, c’est à bon droit que la Commission a pu, dans la présente affaire, imputer les agissements de Saint-Gobain à la Compagnie, société faîtière du groupe Saint-Gobain.

456    S’agissant enfin du grief pris d’une violation des droits de la défense, en ce que la Commission n’aurait pas mis la Compagnie, avant l’adoption de la décision attaquée, en mesure de démontrer qu’elle n’exerçait pas une influence déterminante sur la politique commerciale de l’ensemble de ses filiales, il y a lieu de constater que, à supposer même qu’il soit recevable alors qu’il n’a été invoqué qu’au stade de la réplique, il n’est en tout état de cause pas fondé. En effet, ainsi qu’il a été souligné au point 452 ci-dessus, le calcul du plafond de l’amende infligée à la Compagnie et à Saint-Gobain par référence au chiffre d’affaires consolidé du groupe Saint-Gobain n’était pas conditionné à l’existence d’une influence déterminante de la Compagnie sur la politique commerciale de l’ensemble de ses filiales.

457    Il s’ensuit que la Commission n’a pas violé l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 en se fondant sur le chiffre d’affaires consolidé du groupe Saint-Gobain aux fins de déterminer le plafond de l’amende qui pouvait être infligée en l’espèce à la Compagnie et à Saint-Gobain. Or, force est de constater que l’amende de 880 millions d’euros infligée conjointement à la Compagnie et à Saint-Gobain est inférieure au plafond ainsi calculé.

458    Partant, le présent moyen doit être rejeté comme étant non-fondé.

C –  Conclusion sur les deux recours s’agissant des conclusions en annulation

459    Au regard de tout ce qui précède, il n’y a lieu d’accueillir les conclusions en annulation présentées par la Compagnie et par Saint-Gobain que dans la seule mesure où elles visent à faire constater que la Commission a retenu à tort la décision Verre plat (Italie) aux fins d’établir la circonstance aggravante de récidive à leur égard.

III –  Sur les conclusions visant à ce que le Tribunal exerce sa compétence de pleine juridiction

460    Saint-Gobain et la Compagnie sollicitent également du Tribunal qu’il exerce sa compétence de pleine juridiction en l’espèce et qu’il diminue le montant de l’amende qui leur a été infligée.

461    À titre liminaire, le Tribunal rappelle que la compétence de pleine juridiction qui lui est conférée en matière de concurrence par l’article 31 du règlement no 1/2003, en application de l’article 229 CE, l’habilite, au-delà du simple contrôle de la légalité de la sanction, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, en modifiant notamment l’amende infligée lorsque la question du montant de celle-ci est soumise à son appréciation (voir arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, point 86, et la jurisprudence citée ; arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 86 supra, point 692, et arrêt Romana Tabacchi/Commission, point 100 supra, point 265).

462    En l’espèce, il convient d’examiner successivement, en premier lieu, l’argument de Saint-Gobain selon lequel il y aurait lieu de déduire de la base de calcul de l’amende les chiffres de ventes qu’elle allègue avoir réalisés en dehors de l’EEE, en deuxième lieu, l’argument de Saint-Gobain selon lequel les chiffres de ventes qu’elle a réalisés en 1999 ne sauraient être utilisés pour l’année 1998 en vue du calcul de l’amende, en troisième lieu, les conséquences qu’il y a lieu de tirer, le cas échéant, de l’illégalité de la décision attaquée s’agissant de la prise en compte de la décision Verre plat (Italie) aux fins d’établir la récidive à l’égard de la Compagnie et de Saint-Gobain et, enfin, en quatrième lieu, le moyen nouveau soulevé lors de l’audience par la Compagnie, pris d’un dépassement du délai raisonnable.

A –  Sur les chiffres de ventes prétendument réalisés par Saint-Gobain en dehors de l’EEE

463    Saint-Gobain soutient que les ventes qu’elle a réalisées en dehors de l’EEE doivent être retranchées de la base de calcul de l’amende, indépendamment même de l’absence d’illégalité de la décision attaquée sur ce point. Elle se réfère, à cet égard, au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, aux termes duquel seuls les chiffres d’affaires réalisés à l’intérieur du territoire de l’EEE sont pris en compte pour le calcul des amendes infligées en cas d’infraction à l’article 81 CE.

464    Au considérant 33 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que l’étendue géographique du marché concerné par l’entente litigieuse correspondait à l’EEE dans son ensemble.

465    Dans un courrier adressé à la Commission le 28 janvier 2008, en réponse à une demande de renseignements de cette dernière du 10 décembre 2007, Saint-Gobain a fait référence à des montants de chiffres d’affaires annuels, pour les exercices 2001 à 2004, correspondant notamment à des ventes réalisées en dehors de l’EEE. Dans un courrier adressé à la Commission le 22 août 2008 en réponse à une nouvelle demande de renseignements de cette dernière du 25 juillet 2008, Saint-Gobain a complété ces informations en faisant référence à une partie des montants de chiffres d’affaires annuels, pour les exercices 1999 et 2000, correspondant également à des ventes réalisées, selon cette entreprise, en dehors de l’EEE.

466    La Commission estime toutefois qu’il n’y a pas lieu de déduire des montants totaux de chiffres d’affaires qui lui ont été communiqués par Saint-Gobain les ventes prétendument réalisées en dehors de l’EEE.

467    Le Tribunal a, par la voie d’une mesure d’organisation de la procédure, invité Saint-Gobain à communiquer tous documents de nature à étayer la réalité des chiffres d’affaires prétendument réalisés en dehors de l’EEE, y compris en produisant des contrats de vente, et à spécifier à quels constructeurs se rapportent les ventes auxquelles ces chiffres correspondent. Saint-Gobain a également été invitée à répondre aux arguments avancés par la Commission dans sa duplique pour s’opposer à ce que les chiffres en question soient déduits de la base de calcul de l’amende qui lui a été infligée.

468    Le Tribunal considère tout d’abord, à cet égard, que Saint-Gobain ne saurait être suivie lorsqu’elle allègue que la circonstance selon laquelle les arguments visés aux points 167 et 168 ci-dessus n’ont été avancés par la Commission qu’au stade de la duplique suggère que c’est par erreur que celle-ci a inclus les ventes réalisées en dehors de l’EEE dans la base de calcul de l’amende.

469    En effet, d’une part, il y a lieu de rappeler que ces précisions ont été apportées par la Commission au stade de la duplique en réponse à un moyen nouveau présenté dans sa réplique par Saint-Gobain et portant spécifiquement sur cette prétendue erreur. D’autre part, dans ses demandes de renseignements des 10 décembre 2007 et 25 juillet 2008, la Commission avait sollicité de Saint-Gobain qu’elle lui communique son chiffre d’affaires réalisé au sein de l’EEE au cours de plusieurs exercices successifs. Dans chacune de ces demandes, elle invitait Saint-Gobain à lui fournir, si possible, des chiffres certifiés et à distinguer le chiffre d’affaires réalisé pour chaque constructeur automobile concerné. Or, au cours de l’enquête, Saint-Gobain n’a présenté aucun élément de nature à démontrer que les pourcentages de chiffres d’affaires qu’elle entendait voir déduits des chiffres qu’elle avait précédemment communiqués à la Commission correspondaient bien à des ventes réalisées en dehors de l’EEE.

470    Ensuite, le Tribunal relève que Saint-Gobain a produit une série de factures ou de listes de facturation se rapportant à des ventes réalisées en dehors de l’EEE entre 1999 et 2003. Il ressort du tableau figurant au point 11 du courrier adressé par Saint-Gobain au Tribunal le 12 novembre 2012 que les constructeurs concernés sont [confidentiel]. Les pièces de vitrage auxquelles se rapportent ces factures concernent des sites de production qui étaient, à l’époque des faits, situés en dehors de l’EEE ([confidentiel]).

471    À cet égard, en premier lieu, il y a lieu de relever que les factures et les listes de facturation produites par Saint-Gobain ne permettent d’étayer qu’une partie seulement des chiffres de ventes réalisés par cette entreprise en dehors de l’EEE au cours de la période d’infraction. Ainsi, Saint-Gobain n’a produit que des factures ou listes de facturation relatives aux années 2002 et 2003 s’agissant des ventes de vitrage à [confidentiel] et à [confidentiel]. Dans certains cas, relatifs notamment aux ventes à [confidentiel], aucune facture n’a été produite.

472    Saint-Gobain tente de justifier les lacunes des pièces de son dossier en invoquant notamment l’écoulement d’une longue période depuis les faits, ce dont il découlerait que de nombreux documents probants, comptables ou autres, ont disparu. Ce dernier argument ne saurait toutefois être suivi. En effet, Saint-Gobain aurait pu tenter de communiquer des documents probants à la Commission durant l’enquête, ce qu’elle a explicitement renoncé à faire tant en raison du « montant relativement faible » des ventes concernées que des « difficultés majeures qu’il aurait fallu surmonter pour retirer de la [banque de données commerciales internationale de Saint-Gobain] le chiffre d’affaires relatif à ces ventes en dehors de l’[EEE] ». Il y a lieu de souligner sur ce point que, contrairement à ce que fait valoir Saint-Gobain, les questions que la Commission lui a adressées à plusieurs reprises au cours de l’enquête étaient suffisamment précises pour lui faire comprendre la nécessité de fournir des preuves de nature à étayer la réalité des chiffres de ventes en dehors de l’EEE auxquels cette entreprise se référait. Saint-Gobain ne saurait davantage être suivie lorsqu’elle suggère que la Commission n’a pas suffisamment attiré son attention sur l’importance d’une ventilation des chiffres d’affaires par constructeur. Cette allégation est en effet démentie par le libellé des questionnaires adressés à Saint-Gobain par la Commission le 10 décembre 2007 et le 25 juillet 2008.

473    En deuxième lieu, il convient d’observer que, en vertu de la décision attaquée, les constructeurs cités au point 470 ci-dessus ont tous fait l’objet de collusions de la part des membres du « club ». Si Saint-Gobain admet, dans sa réponse aux questions du Tribunal, que ces ventes sont partiellement intervenues dans le cadre d’une relation commerciale plus large régie par un contrat-cadre conclu avec une entité du constructeur située au sein de l’EEE, elle soutient toutefois que les ventes en question étaient le résultat d’appels de livraison passés par des filiales situées en dehors de l’EEE et que le vitrage a été livré à des sites de production situés en dehors de l’EEE. À l’audience, Saint-Gobain a également soutenu que les centrales d’achat des groupes automobiles au sein de l’EEE n’étaient pas systématiquement responsables de la négociation des contrats de fourniture.

474    Cependant, force est tout d’abord de constater que Saint-Gobain n’apporte, sous la seule réserve du contrat-cadre conclu avec [confidentiel], examiné au point 475 ci-après, aucune précision quant aux chiffres d’affaires mentionnés dans le tableau figurant au point 10 de sa réponse écrite aux questions du Tribunal et qui n’auraient pas été réalisés dans le cadre d’une relation commerciale plus large régie par un contrat-cadre conclu avec un constructeur automobile dans l’EEE. Le Tribunal relève d’ailleurs, à cet égard, que certains des documents mêmes produits par Saint-Gobain en réponse aux questions du Tribunal illustrent le modèle commercial de centralisation des achats au niveau des constructeurs automobiles dans l’EEE. Il convient de se référer, sur ce point, à l’appel d’offres lancé par [confidentiel] en vue notamment de la fourniture de pare-brises à destination du site de production de ce constructeur à [confidentiel] ainsi qu’au contrat entre Saint-Gobain et [confidentiel], relatif à la fourniture de vitrage pour l’usine [confidentiel].

475    S’agissant ensuite du contrat-cadre conclu entre Saint-Gobain et [confidentiel], celui-ci tend certes à démontrer que les chiffres d’affaires réalisés par Saint-Gobain dans ce contexte ne l’ont pas été en vertu d’un contrat-cadre conclu avec un constructeur établi au sein de l’EEE. Le Tribunal relève néanmoins qu’il s’agit du seul document produit par Saint-Gobain aux fins d’étayer les chiffres d’affaires mentionnés dans le tableau figurant au point 10 de sa réponse aux questions du Tribunal concernant des livraisons à ce constructeur en [confidentiel] au cours de la période d’infraction. En l’absence de tout autre élément probant, tels des factures ou des documents comptables, le Tribunal n’est dès lors pas en mesure de s’assurer de la réalité des chiffres avancés. Il en va d’autant plus ainsi que le contrat conclu entre Saint-Gobain et [confidentiel] ne fournit d’indications chiffrées ni quant aux prix pratiqués ni quant aux volumes de vitrage auxquels ledit contrat a donné lieu.

476    Il y a enfin lieu de relever que les ventes que Saint-Gobain allègue avoir réalisées en dehors de l’EEE concernaient des sites de production de constructeurs automobiles dans des pays frontaliers de l’EEE, dont la plupart ont adhéré à l’Union depuis que l’infraction a cessé. Or, ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre à l’audience, il ne fait aucun doute qu’à tout le moins une partie des véhicules produits dans ces sites et équipés des pièces de vitrage auxquelles Saint-Gobain se réfère dans le tableau susvisé a été commercialisée dans l’EEE. Il est dès lors raisonnable de considérer qu’un lien étroit existe entre de telles ventes et le marché intérieur.

477    Dans ces circonstances, les arguments avancés par Saint-Gobain pour justifier une réduction du montant de l’amende en raison du fait qu’une partie de ses chiffres d’affaires a été réalisée en dehors de l’EEE ne sauraient être retenus.

B –  Sur les chiffres de ventes à prendre en compte pour l’année 1998

478    S’agissant des chiffres d’affaires à prendre en compte pour l’année 1998, il convient de rappeler que Saint-Gobain, au cours de l’enquête, n’a pas communiqué de chiffres d’affaires ventilés par constructeur concernant cette année. Partant, ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 138 ci-dessus, la Commission a tenu compte, pour l’année 1998, des chiffres de ventes par constructeur qui lui avaient été fournis par Saint-Gobain pour l’année la plus proche couverte par la période d’infraction, à savoir 1999.

479    Saint-Gobain soutient toutefois que le marché du verre automobile a connu une croissance entre 1998 et 1999 et que, partant, la prise en compte des chiffres de ventes effectivement réalisés en 1998, en vue de la fixation de la base de calcul des amendes, lui aurait été plus favorable que la prise en compte des chiffres de ventes de 1999 également pour l’année 1998.

480    À cet égard, il convient de constater que l’argumentation de Saint-Gobain est vague et qu’elle n’est, de surcroît, étayée par aucun élément probant. Au demeurant, Saint-Gobain, tant durant l’enquête que dans ses écritures, a indiqué qu’elle n’était pas en mesure de fournir des chiffres d’affaires précis, par constructeur, pour l’année 1998.

481    Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de suivre en l’espèce une approche différente de celle qui a été suivie par la Commission lors du calcul de l’amende et il n’y pas lieu de se référer, pour déterminer les chiffres d’affaires de l’année 1998, à d’autres chiffres de ventes que ceux réalisés par Saint-Gobain en 1999.

C –  Sur les conséquences de l’illégalité de la décision attaquée s’agissant de la prise en compte de la décision Verre plat (Italie) aux fins d’établir la récidive

482    Il convient de se prononcer sur les conséquences de l’illégalité de la décision attaquée s’agissant de la prise en compte de la décision Verre plat (Italie) en vue d’établir la circonstance aggravante de récidive à l’égard de Saint-Gobain et de la Compagnie.

483    À titre liminaire, le Tribunal relève que le moyen pris d’une méconnaissance des règles relatives à la récidive a été soulevé tant par Saint-Gobain que par la Compagnie et que ce moyen a été partiellement accueilli dans le cadre des recours introduits par celles-ci (voir points 308 à 321 ci-dessus).

484    Il y a lieu de rappeler ensuite que, conformément à la jurisprudence citée au point 461 ci-dessus, le Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, peut, s’il le juge nécessaire, substituer son appréciation à celle de la Commission s’agissant du calcul de l’amende, y compris donc dans les conséquences qu’il convient de tirer de la constatation qu’une entreprise a tendance à s’affranchir des règles de la concurrence de l’Union.

485    Le niveau de majoration du montant de base de l’amende au titre de la récidive est censé refléter la gravité liée à la répétition d’un comportement contraire au droit de la concurrence de l’Union. Selon la décision attaquée, la majoration de 60 % du montant de base de l’amende était justifiée tant au regard de la décision Verre plat (Benelux) que de la décision Verre plat (Italie). Compte tenu du fait que seule la première de ces décisions peut être retenue aux fins d’établir la récidive et que, de surcroît, cette décision était la plus éloignée dans le temps du début de l’infraction visée par la décision attaquée, il y a lieu de considérer que la répétition du comportement infractionnel de Saint-Gobain et de la Compagnie présente une gravité moindre que celle qui a été retenue par la Commission dans la décision attaquée.

486    Au vu de ces circonstances, le pourcentage de majoration pour cause de récidive doit être ramené à 30 % et, de ce fait, l’amende infligée conjointement et solidairement à Saint-Gobain et à la Compagnie fixée à un montant de 715 millions d’euros.

D –  Sur le moyen nouveau soulevé par la Compagnie lors de l’audience, tiré d’un dépassement du délai raisonnable

487    La Compagnie a soulevé lors de l’audience un moyen nouveau, pris d’un dépassement du délai raisonnable eu égard à la durée excessive des procédures administrative et juridictionnelle. La Compagnie souligne, à cet égard, que plus de sept années se sont écoulées entre le moment où la Commission a adopté la première mesure d’instruction dans cette affaire et celui auquel l’audience a eu lieu, date à laquelle la Compagnie attendait encore l’arrêt du Tribunal. L’écoulement de ce laps de temps aurait des conséquences importantes sur la Compagnie en raison de la caution bancaire qui a été exigée de sa part par la Commission, en vue d’éviter le paiement immédiat de l’amende qui lui a été infligée. La Compagnie demande dès lors au Tribunal de réformer la décision attaquée afin de tenir compte de cette durée excessive et des coûts qu’a entraînés pour elle cet atermoiement.

488    La Commission soutient que ce moyen est irrecevable en tant qu’il vise à tenir compte de la durée de la procédure administrative ayant donné lieu à l’adoption de la décision attaquée. Selon la Commission, en effet, cette période était connue de la requérante au moment de l’introduction de son recours et il lui était dès lors loisible, à ce stade, d’en dénoncer le caractère déraisonnable. En tout état de cause, la Commission fait valoir que la durée de la procédure administrative ne saurait être tenue pour excessive. Enfin, il ressortirait de la jurisprudence qu’un éventuel délai excessif de la procédure ne saurait affecter la légalité de la décision attaquée, sans préjudice toutefois d’une action en dommages et intérêts.

489    À cet égard, le Tribunal relève que, selon l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un Tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

490    En tant que principe général de droit de l’Union, un tel droit est applicable dans le cadre d’un recours juridictionnel contre une décision de la Commission. Il a, par ailleurs, été réaffirmé à l’article 47, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, lequel est afférent au principe de protection juridictionnelle effective (voir arrêt de la Cour du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, Rec. p. I‑6155, points 178 et 179, et la jurisprudence citée).

491    En outre, selon une jurisprudence constante, l’observation d’un délai raisonnable constitue également un principe général du droit de l’Union applicable dans le cadre des procédures administratives en matière de politique de la concurrence devant la Commission (voir arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec. p. I‑8725, point 35, et la jurisprudence citée). Ce principe a été réaffirmé, en tant que tel, à l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, selon lequel toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union.

492    L’article 41, paragraphe 1, et l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux comportent ainsi deux énoncés d’un seul et même principe à caractère procédural, à savoir celui en vertu duquel les justiciables peuvent escompter l’adoption d’une décision dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑214/06, point 285).

493    En l’espèce, tout en soutenant que ce principe a été violé, la Compagnie n’allègue pas que la durée de la procédure ait eu une quelconque incidence sur le contenu de la décision attaquée ou qu’elle puisse affecter la solution du présent litige. En particulier, elle n’allègue pas que ladite durée a eu un quelconque effet sur ses possibilités de défense, que ce soit lors de la procédure administrative ou lors de la procédure juridictionnelle. Elle ne demande pas davantage l’annulation de la décision attaquée en raison de la violation alléguée. En revanche, la Compagnie sollicite du Tribunal qu’il réforme la décision de la Commission en conséquence de ladite violation.

494    À cet égard, il convient tout d’abord de décider que, à supposer que le grief pris d’un dépassement du délai raisonnable au cours de la procédure administrative soit recevable alors qu’il n’a pas été présenté dans la requête, la durée de ladite procédure ne saurait, en tout état de cause, être considérée comme excessive dans les circonstances de l’espèce. Cette procédure, qui a débuté en février 2005 par des inspections effectuées par la Commission dans certains locaux de sociétés du groupe Saint-Gobain, s’est achevée par l’adoption de la décision attaquée le 12 novembre 2008, soit à l’issue d’un délai d’environ trois ans et dix mois. Or, il suffit de constater, à cet égard, que l’enquête portait sur une entente particulièrement complexe, ayant graduellement touché la quasi-totalité des constructeurs automobiles dans l’Union et donné lieu à de multiples contacts et réunions. Le traitement de cette affaire par la Commission a nécessité l’examen d’un nombre important de questions de fait et de droit, ce dont témoigne le volume de la décision attaquée, laquelle comporte 731 paragraphes et 221 pages. Par ailleurs, la description par la Commission de la procédure qu’elle a suivie, aux considérants 39 à 55 de la décision attaquée, ne permet pas de déceler des périodes d’inactivité injustifiée.

495    S’agissant ensuite de la durée de la procédure juridictionnelle qui a abouti au prononcé du présent arrêt, il convient de souligner qu’il résulte de l’arrêt de la Cour du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission (C‑58/12 P), qu’une violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation résultant de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif et d’application générale pour faire valoir et sanctionner une telle violation (arrêt Groupe Gascogne/Commission, précité, points 82 et 83).

496    Il s’ensuit que le recours introduit en l’espèce par la Compagnie, qui vise uniquement à l’annulation de la décision attaquée en tant qu’elle la concerne ou, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui lui est infligée et ne saurait en aucun cas être assimilé à un recours en indemnité, ne constitue pas un cadre approprié aux fins de faire sanctionner une éventuelle violation par le Tribunal de son obligation de statuer dans un délai raisonnable dans la présente affaire.

497    À titre surabondant, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux, toute personne a par ailleurs droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. Cette garantie, qui relève des traditions constitutionnelles communes aux États membres, est également inscrite à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

498    Selon la jurisprudence, la garantie d’impartialité recouvre deux aspects. En premier lieu, le tribunal saisi doit être subjectivement impartial, c’est-à-dire qu’aucun de ses membres ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, l’impartialité personnelle se présumant jusqu’à preuve du contraire. En second lieu, ledit tribunal doit être objectivement impartial, ce qui signifie qu’il doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (arrêt de la Cour du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, Rec. p. I‑4777, point 54 ; voir, en ce sens, Cour eur. D. H., arrêts Piersack c. Belgique du 1er octobre 1982, série A no 53, § 30 ; De Cubber c. Belgique du 26 octobre 1984, série A no 86, § 24 à 30, et Findlay c. Royaume-Uni du 25 février 1997, Recueil des arrêts et décisions, 1997‑I, § 73).

499    En l’espèce, en soulevant un grief pris de la durée excessive de la procédure juridictionnelle dans la présente affaire, la Compagnie invite la chambre du Tribunal en charge de cette affaire à apprécier si elle a elle-même commis une irrégularité procédurale en accumulant un retard injustifié dans le traitement de celle-ci. Une telle appréciation conduirait dès lors la présente formation de jugement à devoir déterminer non seulement si un atermoiement peut lui être reproché, mais aussi, le cas échéant, si celui-ci doit être jugé excessif.

500    Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que, à supposer même que le recours en annulation ait constitué un cadre approprié pour sanctionner une violation de l’obligation pour le juge de l’Union de statuer dans un délai raisonnable, la présente formation de jugement n’aurait pu, en tout état de cause, offrir à la Compagnie des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant au fait qu’elle examinerait le grief pris du délai excessif de la procédure juridictionnelle de manière impartiale (voir, par analogie, arrêt du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission, point 495 supra, point 90).

501    Il s’ensuit que le présent moyen, invoqué par la Compagnie au soutien de ses conclusions en réformation, doit être rejeté comme étant en partie non fondé et en partie irrecevable.

 Sur les dépens

502    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

503    En l’espèce, les conclusions des requérantes n’ont été déclarées que partiellement fondées. Cependant, ainsi que Saint-Gobain l’a fait valoir à juste titre lors de l’audience, il y a lieu de tenir compte du fait que la renonciation par cette dernière à l’un de ses griefs tirés d’une erreur de calcul de l’amende est intervenue à la suite de l’adoption par la Commission d’une décision rectificative à un stade avancé de la procédure, à savoir postérieurement à l’audience.

504    De surcroît, le Conseil a limité son intervention dans l’affaire T‑56/09 au seul soutien des conclusions de la Commission visant au rejet du premier moyen soulevé par Saint-Gobain, pris de l’invalidité du règlement no 1/2003. Or, ce moyen a été rejeté comme étant non fondé.

505    Le Tribunal estime donc qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que chaque partie supportera ses propres dépens, à l’exception du Conseil, dont les dépens sont mis à la charge de Saint-Gobain.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T‑56/09 et T‑73/09 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      Le montant de l’amende infligée conjointement et solidairement à Saint‑Gobain Glass France SA, Saint-Gobain Sekurit Deutschland GmbH & Co. KG, Saint-Gobain Sekurit France SAS et à la Compagnie de Saint-Gobain SA, à l’article 2, sous b), de la décision C(2008) 6815 final de la Commission, du 12 novembre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/39.125 – Verre automobile), telle que modifiée par la décision C(2009) 863 final de la Commission, du 11 février 2009, et par la décision C(2013) 1118 final, du 28 février 2013, est fixé à 715 millions d’euros.

3)      Les recours sont rejetés pour le surplus.

4)      Chaque partie supportera ses propres dépens, à l’exception du Conseil de l’Union européenne, dont les dépens sont mis à la charge de Saint-Gobain Glass France, Saint-Gobain Sekurit Deutschland et Saint-Gobain Sekurit France.

Forwood

Dehousse

Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 mars 2014.

Table des matières


Antécédents du litige

Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

I – Sur l’objet du recours

II – Sur les conclusions soulevées à titre principal et tendant à l’annulation de la décision attaquée

A – Affaire T‑56/09

1. Sur le premier moyen, pris de l’illégalité du règlement no 1/2003

a) Sur la première branche, tirée de la violation du droit à un tribunal indépendant et impartial

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

b) Sur la seconde branche, tirée de la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

2. Sur le deuxième moyen, pris d’une violation des droits de la défense

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

3. Sur le troisième moyen, pris d’une motivation insuffisante et d’une erreur dans le calcul de l’amende

a) Sur la première branche, prise d’une insuffisance de motivation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

b) Sur la seconde branche, prise d’une erreur de calcul

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

4. Sur le quatrième moyen, pris d’une erreur dans l’imputation de la responsabilité du comportement infractionnel de Saint-Gobain à la Compagnie, d’une violation des principes de la personnalité des peines et de la présomption d’innocence ainsi que d’un détournement de pouvoir

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

Sur la recevabilité du moyen en tant qu’il est soulevé par Saint-Gobain

Sur le fond

5. Sur le cinquième moyen, pris d’une violation des principes de non-rétroactivité des peines et de confiance légitime

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

6. Sur le sixième moyen, pris du caractère excessif de l’amende

a) Sur la première branche, tirée d’une mauvaise application de l’article 23 du règlement no 1/2003 s’agissant de la prise en compte de la récidive comme circonstance aggravante, d’une violation du principe de proportionnalité et d’un défaut de motivation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

– Sur la recevabilité des arguments fondés sur la charte des droits fondamentaux et exposés par la Compagnie dans son mémoire complémentaire

– Sur le fond

b) Sur la deuxième branche, tirée d’une violation du principe de proportionnalité

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

c) Sur la troisième branche, tirée d’une prise en compte insuffisante de l’absence de contestation de la matérialité des faits par Saint-Gobain, ainsi que d’une violation du principe de non-discrimination et d’une insuffisance de motivation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

B – Affaire T‑73/09

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

C – Conclusion sur les deux recours s’agissant des conclusions en annulation

III – Sur les conclusions visant à ce que le Tribunal exerce sa compétence de pleine juridiction

A – Sur les chiffres de ventes prétendument réalisés par Saint-Gobain en dehors de l’EEE

B – Sur les chiffres de ventes à prendre en compte pour l’année 1998

C – Sur les conséquences de l’illégalité de la décision attaquée s’agissant de la prise en compte de la décision Verre plat (Italie) aux fins d’établir la récidive

D – Sur le moyen nouveau soulevé par la Compagnie lors de l’audience, tiré d’un dépassement du délai raisonnable

Sur les dépens


* Langue de procédure : le français.