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ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

1er juillet 2024 (*) 

« Fonction publique – Intervention – Absence d’intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire T‑1176/23,

WU, représenté par Me N. de Montigny, avocate,

partie requérante,

contre

Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust), représentée par Mme M. García Bello et M. N. Kyriacou, en qualité d’agents, assistés de Mes D. Waelbroeck et A. Duron, avocats,

partie défenderesse,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, le requérant, WU, demande, d’une part, l’annulation de la décision 2023-03, du 14 février 2023, par laquelle le Collège de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) a rejeté sa demande d’assistance du 7 mai 2021, ainsi que, en tant que de besoin, de la décision du 14 septembre 2023 par laquelle Eurojust a rejeté sa réclamation du 14 mai 2023 et, d’autre part, la réparation du préjudice qu’il aurait subi à la suite de ces décisions.

 Faits et procédure

2        Le requérant est agent temporaire de grade AST 4. Il exerce les fonctions d’assistant administratif au sein d’Eurojust.

3        Par courrier électronique du 7 mai 2021 adressé, notamment, à la cheffe de l’unité « Affaires juridiques » d’Eurojust, le requérant a, sur le fondement de l’article 24 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), introduit une demande d’assistance (ci-après la « demande d’assistance ») dans laquelle il alléguait être victime de harcèlement moral, au sens de l’article 12 bis du statut, et demandait que le directeur administratif d’Eurojust, qu’il désignait comme étant à l’origine des faits de harcèlement à son égard, soit écarté du traitement de sa demande.

4        Dans la demande d’assistance, incluant son annexe et telle que complétée par l’envoi d’un courrier électronique le 25 octobre 2021, le requérant a fait état, en substance, de deux périodes successives, au cours desquelles il aurait été victime de comportements répétés de harcèlement moral, au sens de l’article 12 bis du statut, de la part de dix membres du personnel d’Eurojust, parmi lesquels figuraient à la fois des membres du personnel de même niveau hiérarchique que le sien ainsi que des membres du personnel d’encadrement intermédiaire et supérieur. Il soutenait que, bien que ces comportements aient été le fait de membres du personnel différents, tous auraient été la conséquence de comportements initiés dès décembre 2015 par le chef de l’unité « Ressources humaines », devenu par la suite, en 2017, le directeur administratif d’Eurojust.

5        En application des règles internes d’Eurojust concernant, notamment, l’exercice des pouvoirs d’autorité investie du pouvoir de nomination et d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC »), ainsi que le déroulement des enquêtes administratives et des procédures disciplinaires, le directeur administratif d’Eurojust, qui exerce en principe les pouvoirs d’AHCC vis-à-vis des membres du personnel de cette agence, s’est récusé de la procédure de traitement de la demande d’assistance. En application de ces mêmes règles, Eurojust a identifié et désigné en son sein deux organes différents pour exercer les pouvoirs d’AHCC.

6        Ainsi, le Collège d’Eurojust a été désigné comme AHCC compétente en ce qui concerne les allégations portées contre le directeur administratif d’Eurojust, alors que le Conseil exécutif d’Eurojust s’est vu attribuer les prérogatives d’AHCC en ce qui concerne les allégations visant les neuf autres membres du personnel. Le traitement de la demande d’assistance a donc été scindé en deux procédures distinctes, l’une concernant uniquement le directeur administratif d’Eurojust (ci-après le « volet 1 ») et la seconde concernant les neuf autres membres du personnel visés, à l’exclusion du directeur administratif d’Eurojust.

7        Par décision 2021-05, du 15 juin 2021, le Conseil exécutif a décidé de l’ouverture d’une enquête administrative concernant ces neuf autres membres du personnel, à l’exclusion du directeur administratif d’Eurojust, et a désigné deux enquêteurs externes aux fins de la conduite de celle-ci. Par décision 2021-01, du 30 juin 2021, le Collège a délégué ses prérogatives d’AHCC à trois membres nationaux désignés, lesquels ont décidé d’étendre l’enquête administrative précédemment ouverte afin que cette dernière porte également sur le volet 1.

8        Le 30 mars 2022, les trois membres nationaux désignés ont adopté la décision 2022-01, aux termes de laquelle l’enquête administrative étendue par la décision du 30 juin 2021 a été clôturée sans suite et la demande d’assistance rejetée, en tant que celle-ci portait sur les faits relevant du seul volet 1.

9        Le 30 juin 2022, le requérant a, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, introduit une réclamation contre la décision 2022-01 des trois membres nationaux désignés.

10      Par décision du 2 décembre 2022, le Collège, en sa qualité d’AHCC compétente pour connaître de la réclamation dirigée contre la décision des trois membres nationaux désignés, a annulé la décision 2022‑01 adoptée par lesdits membres, principalement en raison d’une violation de l’obligation de motivation.

11      Par une décision 2023-03, du 14 février 2023 (ci-après la « décision attaquée »), le Collège, exerçant ses prérogatives d’AHCC, a rejeté une nouvelle fois la demande d’assistance du requérant, en tant que celle-ci portait sur les faits relevant du seul volet 1.

12      Par courrier électronique du 14 mai 2023, le requérant a, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, introduit une réclamation contre la décision attaquée.

13      Par décision du 14 septembre 2023, le Collège a rejeté la réclamation.

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 décembre 2023, le requérant a introduit un recours visant, notamment, à l’annulation de la décision attaquée ainsi que, en tant que de besoin, de la décision de rejet de la réclamation.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 avril 2024, EE [confidentiel] (1) a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions d’Eurojust. La demande d’intervention a été signifiée aux parties conformément à l’article 144, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

16      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 mai 2024, le requérant a soulevé des objections à l’encontre de la demande d’intervention. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 mai 2024, Eurojust a indiqué ne pas avoir d’observations à l’égard de la demande d’intervention et s’en remettre à la sagesse du Tribunal.

 En droit

17      En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, le droit d’intervenir aux litiges soumis au Tribunal appartient non seulement aux États membres et aux institutions de l’Union, mais également à toute personne justifiant d’un intérêt à la solution du litige.

18      Selon une jurisprudence constante, la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens dudit article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles‑mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir (voir ordonnance du 19 février 2013, Commission/EnBW, C‑365/12 P, non publiée, EU:C:2013:83, point 7 et jurisprudence citée).

19      En outre, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que lorsque cette solution est de nature à modifier substantiellement la situation juridique du demandeur en intervention [voir ordonnance du 6 octobre 2015, Comité d’entreprise SNCM/SNCM et Commission C‑410/15 P(I), EU:C:2015:669, point 6 et jurisprudence citée].

20      Dans le cadre de sa demande d’intervention, en premier lieu, EE rappelle qu’il a participé à l’ensemble de la procédure administrative ayant précédé l’adoption des décisions contestées en tant que personne spécifiquement visée par des allégations de harcèlement moral et que, par lesdites décisions, Eurojust a conclu qu’aucun fait de harcèlement moral ne pouvait être retenu à son égard.

21      En second lieu, EE soutient, en substance, qu’il est d’autant plus important qu’il soit admis à intervenir [confidentiel] qu’une remise en cause des décisions contestées aurait pour conséquence de porter atteinte à son honneur et à sa réputation professionnelle.

22      Le requérant considère, pour sa part, que EE ne justifie d’aucun intérêt direct à intervenir dans la présente procédure, dès lors que le présent recours vise seulement à obtenir, d’une part, l’annulation de la décision attaquée, portant rejet de sa demande d’assistance du 7 mai 2021 et, d’autre part, l’indemnisation des préjudices subis en raison du traitement inapproprié de cette demande d’assistance. Selon le requérant, même s’il était fait droit à ses conclusions en annulation et en indemnité, cela ne saurait emporter modification substantielle de la situation juridique de EE, une telle modification n’étant, le cas échéant, susceptible d’intervenir qu’à un stade ultérieur, à savoir dans l’hypothèse où, à la suite d’une annulation par le Tribunal de la décision attaquée, la demande d’assistance serait accueillie par Eurojust et où, après qu’il aurait été fait droit à cette demande, une procédure disciplinaire serait menée [confidentiel].

23      En l’espèce, le recours introduit par le requérant a pour objet, d’une part, l’annulation de la décision attaquée, par laquelle le Collège a rejeté sa demande d’assistance du 7 mai 2021 en tant que celle-ci portait sur les faits relevant du seul volet 1 et, d’autre part, la réparation du préjudice qu’il aurait subi du fait des illégalités commises par Eurojust dans le traitement de sa demande d’assistance. Ainsi, il y a lieu d’observer que l’objet principal du présent litige porte sur une demande d’annulation d’une décision adoptée en réponse à une demande d’assistance introduite au titre de l’article 24 du statut.

24      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 24, premier alinéa, du statut, l’Union assiste le fonctionnaire, « notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens dont il est, ou dont les membres de sa famille, sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions ». Cela signifie que, lorsqu’un fonctionnaire ou agent estime faire l’objet, de la part de ses supérieurs hiérarchiques, de ses collègues, voire de ses subordonnés, d’un comportement qui méconnaît l’obligation, figurant à l’article 12 bis, paragraphe 1, du statut, de s’abstenir de toute forme de harcèlement moral et sexuel, ce fonctionnaire peut demander l’assistance de l’institution au sens de l’article 24 du statut (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2023, QI/Commission, T‑807/21, non publié, EU:T:2023:786, point 100).

25      En réponse à une demande d’assistance, l’administration peut, lorsque les faits allégués sont avérés et relèvent du champ d’application de l’article 12 bis du statut, décider d’adopter certaines mesures et d’engager éventuellement une procédure disciplinaire en vue, le cas échéant, de prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre du harceleur présumé, mais elle peut aussi décider que les éléments invoqués à l’appui de la demande d’assistance ne sont pas fondés et que, partant, les comportements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral au sens de l’article 12 bis du statut (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, CH/Parlement, T‑83/18, EU:T:2018:935, points 76 à 78).

26      Saisi, comme en l’espèce, d’un recours lui demandant principalement de statuer sur la légalité d’une décision rejetant une demande d’assistance et en présence d’une allégation de méconnaissance de l’article 12 bis du statut, le Tribunal doit rechercher, au regard des éléments ayant été portés à la connaissance de l’institution, notamment par le demandeur d’assistance lorsque celle-ci a statué, si cette institution a commis une erreur d’appréciation des faits au regard de la définition du harcèlement moral visée à cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2023, QI/Commission, T‑807/21, non publié, EU:T:2023:786, points 105 et 106 et jurisprudence citée).

27      Si, à la suite de son examen, au cours duquel il vérifie si un observateur impartial et raisonnable, doté d’une sensibilité normale et placé dans les mêmes conditions, considérerait le comportement ou l’acte en cause comme excessif et critiquable (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, point 78 et jurisprudence citée), le Tribunal estime que l’institution concernée a commis une erreur d’appréciation des faits au regard de la définition du harcèlement moral visée à l’article 12 bis du statut, il lui appartient seulement d’annuler la décision rejetant la demande d’assistance et, le cas échéant, d’accueillir les conclusions indemnitaires, et non de se prononcer sur l’existence de faits ou d’actes constitutifs d’un harcèlement moral.

28      Il s’ensuit que la solution du litige, au sens de la jurisprudence rappelée au point 18 ci-dessus, qui sera consacrée dans l’arrêt à intervenir ne peut être, en l’espèce, que le rejet du recours ou l’annulation de la décision attaquée, indépendamment du sort réservé aux conclusions indemnitaires. Elle ne saurait être la constatation de l’existence de faits ou d’actes constitutifs d’un harcèlement moral de la part de EE.

29      Il ressort d’ailleurs à cet égard d’une jurisprudence constante qu’il n’appartient pas au juge de l’Union de faire des constatations de principe (voir, en ce sens, ordonnance du 3 juillet 2017, De Nicola/BEI, T‑666/16 P, non publiée, EU:T:2017:476, point 13 et jurisprudence citée) ni, dans le cadre de son contrôle de légalité fondé sur l’article 91 du statut, de faire des déclarations en droit (voir arrêt du 25 octobre 2007, Lo Giudice/Commission, T‑154/05, EU:T:2007:322, point 55 et jurisprudence citée).

30      Ainsi, il y a lieu de considérer que la circonstance que EE soit la personne spécifiquement visée par des allégations de harcèlement moral n’est pas suffisante pour établir l’existence d’un intérêt direct à la solution du litige relatif à la demande d’annulation, introduite par le requérant, de la décision de rejet de sa demande d’assistance.

31      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation de EE selon laquelle, en substance, une hypothétique annulation de la décision attaquée par l’arrêt à intervenir serait susceptible de porter atteinte à son honneur et à sa réputation professionnelle. En effet, une telle atteinte, même à la supposée avérée, n’est pas susceptible de constituer une modification substantielle de la situation juridique de EE, au sens de la jurisprudence citée au point 19 ci-dessus.

32      En tout état de cause, à supposer qu’une modification substantielle de la situation juridique de EE puisse être constatée, elle serait uniquement la conséquence des mesures que pourrait décider d’adopter Eurojust en exécution d’un éventuel arrêt d’annulation, et en particulier, le cas échéant, de l’engagement d’une procédure disciplinaire à son égard. Ainsi, EE ne peut être affecté par la solution donnée au présent litige que de manière indirecte.

33      EE ne démontre, dès lors, pas l’existence d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige dans la présente procédure. Partant, sa demande en intervention doit être rejetée.

34      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de traitement confidentiel de certains éléments de la requête, du mémoire en défense et de leurs annexes respectives à l’égard de EE, déposées au greffe du Tribunal par le requérant et par Eurojust.

 Sur les dépens

35      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de EE, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande.

36      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 144, paragraphe 6, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’absence de conclusions des parties principales quant aux dépens afférents à la présente demande d’intervention, il convient d’ordonner que les parties principales et le demandeur en intervention supporteront chacun leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande d’intervention de EE est rejetée.

2)      WU, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) et EE supporteront leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 1er juillet 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

L. Truchot


*      Langue de procédure : le français.


1      Données confidentielles occultées.