Language of document : ECLI:EU:C:2021:907

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

11 novembre 2021 (*)

Table des matières


Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (CE) n o 1346/2000

La directive 2004/38

Le règlement (UE) n o 492/2011

Le droit du Royaume-Uni

Règles relatives à l’effet de la faillite sur les droits à pension tirés de régimes de pension agréés

Règles relatives à l’effet de la faillite sur les droits à pension tirés de régimes de pension non agréés

Le litige au principal et les questions préjudicielles

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement

Sur l’existence d’une justification de la restriction à la liberté d’établissement

Sur l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier la restriction à la liberté d’établissement

Sur la proportionnalité de la restriction à la liberté d’établissement

Sur les dépens



« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des personnes – Citoyenneté de l’Union – Article 21 TFUE – Liberté d’établissement – Article 49 TFUE – Égalité de traitement – Directive 2004/38/CE – Article 24, paragraphe 1 – Réglementation du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord subordonnant la distraction, en principe intégrale et automatique, de la masse de la faillite de droits à pension tirés d’un plan d’épargne retraite à une exigence d’agrément, à des fins fiscales, du plan d’épargne retraite concerné – Imposition de cette exigence dans une procédure d’insolvabilité d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit de libre circulation afin d’exercer, à titre permanent, une activité non salariée au Royaume-Uni – Droits à pension tirés par ce citoyen de l’Union d’un plan d’épargne retraite constitué et agréé à des fins fiscales dans son État membre d’origine – Exclusion de ces droits à pension du bénéfice de ladite distraction de la masse de la faillite – Application à ces droits à pension d’un régime de distraction de la masse de la faillite nettement moins avantageux pour le failli »

Dans l’affaire C‑168/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (business and property courts, insolvency and companies list) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (tribunaux du commerce et de la propriété, registre de l’insolvabilité et des sociétés), Royaume-Uni], par décision du 30 mars 2020, parvenue à la Cour le 22 avril 2020, dans la procédure

BJ, agissant en qualité de curateur à la faillite de M. M,

OV, agissant en qualité de curateur à la faillite de M. M

contre

Mme M,

MH,

ILA,

M. M,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de la deuxième chambre faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Passer, F. Biltgen, Mme L. S. Rossi et M. N. Wahl, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour BJ et OV, agissant en qualité de curateurs à la faillite de M. M, par Mme D. J. Rhee, QC, M. C. Harrison, barrister, et M. I. Gill, solicitor,

–        pour Mme M, MH, ILA et M. M, par M. G. Peretz, QC, M. J. Briggs, barrister, et M. S. Gilchrist, solicitor,

–        pour la Commission européenne, par Mme L. Armati ainsi que par MM. L. Malferrari et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 21 et 49 TFUE ainsi que de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BJ et OV, agissant en qualité de curateurs à la faillite de M. M (ci-après les « curateurs ») à Mme M, MH, ILA et M. M (ci-après, ensemble, « M. M e.a. ») au sujet de la réclamation par les curateurs, au profit de la masse de la faillite, des droits à pension de M. M, ressortissant irlandais, tirés d’un plan d’épargne retraite constitué en Irlande et agréé au titre du droit fiscal irlandais.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement (CE) no 1346/2000

3        L’article 3 du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO L 160, p. 1), intitulé « Compétence internationale », prévoyait, à son paragraphe 1 :

« Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire. »

4        Aux termes de l’article 4 de ce règlement, intitulé « Loi applicable » :

« 1.      Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, ci–après dénommé “État d’ouverture”.

2.      La loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d’insolvabilité. Elle détermine notamment :

[...]

b)      les biens qui font l’objet du dessaisissement et le sort des biens acquis par le débiteur après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ;

[...] »

5        Le règlement no 1346/2000 a été abrogé et remplacé par le règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2015, L 141, p. 19). Toutefois, eu égard à la date des faits de l’affaire en cause au principal, seul le règlement no 1346/2000 s’applique ratione temporis à celle-ci.

 La directive 2004/38

6        L’article 24 de la directive 2004/38, intitulé « Égalité de traitement », dispose, à son paragraphe 1 :

« Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. [...] »

 Le règlement (UE) no 492/2011

7        Le considérant 1 du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1), est ainsi libellé :

« Le règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté [(JO 1968, L 257, p. 2),] a été modifié à plusieurs reprises et de façon substantielle. Il convient, dans un souci de clarté et de rationalité, de procéder à la codification dudit règlement. »

8        Aux termes de l’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement no 492/2011 :

« 1.      Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.

2.      Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. »

 Le droit du Royaume-Uni

 Règles relatives à l’effet de la faillite sur les droits à pension tirés de régimes de pension agréés

9        Le Welfare Reform and Pensions Act 1999 (loi de 1999 portant réforme de la protection sociale et des pensions, ci-après la « WRPA 1999 »), entré en vigueur le 29 mai 2000, dispose, à son article 11 :

« Effet de la faillite sur les droits à pension : les régimes agréés

(1)      Lorsqu’une faillite est prononcée à l’encontre d’une personne à la suite d’une demande ou d’un aveu fait après l’entrée en vigueur du présent article, tous les droits qu’elle tire d’un régime de pension agréé sont distraits de la masse de sa faillite.

(2)      Dans le présent article, on entend par “régime de pension agréé”

(a)      un plan d’épargne retraite enregistré au titre de l’article 153 du Finance Act 2004 [loi de finances de 2004] ;

[...]

(h)      les régimes de pension de tout type pouvant être visés par des arrêtés pris par le secrétaire d’État ;

[...] »

10      Concernant les régimes de pension agréés, les curateurs peuvent, en vertu de l’article 15 de la WRPA 1999, solliciter en justice la récupération des cotisations de pension considérées comme étant « excessives ».

11      Les Occupational and Personal Pension Schemes (Bankruptcy) (no 2) (Regulations) 2002 [l’arrêté no 2 de 2002 relatif aux régimes de pension professionnels et personnels (faillite)] (ci-après l’« arrêté 2/2002 ») prévoient à leur article 2, paragraphe 1, sous (c) :

« Régimes de pension visés :

(1)      Les régimes visés aux fins de l’article 11, paragraphe 2, sous (h), de la [WRPA 1999] (les “régimes de pension agréés”) sont des régimes [...]

[...]

(c)      auxquels s’applique l’article 308A de [l’Income Tax (Earnings and Pensions) Act 2003] [loi de 2003 relative à l’impôt sur le revenu (rémunérations et pensions) ] (exemption des cotisations à un plan d’épargne retraite étranger) ;

[...] »

12      L’article 308A de l’Income Tax (Earnings and Pensions) Act 2003 [loi de 2003 relative à l’impôt sur le revenu (rémunérations et pensions), ci-après l’« ITEPA »] dispose :

« Exemption des cotisations à un plan d’épargne retraite étranger

(1)      N’est pas redevable de l’impôt sur le revenu pour des rémunérations, l’employeur qui verse des cotisations au titre d’un plan d’épargne retraite étranger remplissant les conditions pour un salarié qui est un bénéficiaire migrant concerné par le plan d’épargne retraite.

(2)      Dans le paragraphe (1)

 “plan d’épargne retraite étranger remplissant les conditions” et

“bénéficiaire migrant concerné”

ont la même signification qu’à l’annexe 33 de la loi de finances de 2004 (plans d’épargne retraite étrangers : avantage bénéficiaire migrant). »

13      La notion de « plan d’épargne retraite étranger » (overseas pension scheme), au sens de l’article 308A de l’ITEPA, est définie à l’article 150, paragraphe 7, de la loi de finances de 2004 comme suit :

« [...] “plan d’épargne retraite étranger” se définit comme un plan d’épargne retraite (autre qu’un plan d’épargne retraite enregistré) qui

(a)      est constitué dans un pays ou un territoire hors du Royaume-Uni, et

(b)      répond à toutes les conditions visées aux fins du présent titre par l’arrêté pris par les autorités fiscales (Board of Inland Revenue). »

14      Les Pension Schemes (Categories of Country and Requirements for Overseas Pension Schemes and Recognised Overseas Pension Schemes) Regulations 2006 [arrêté de 2006 relatif aux plans d’épargne retraite (catégories de pays et conditions requises pour les plans d’épargne retraite étrangers et les plans d’épargne retraite étrangers reconnus) ] prévoient que les conditions visées à l’article 150, paragraphe 7, sous (b), de la loi de finances de 2004 sont remplies si, notamment, le plan est un plan d’épargne retraite professionnel, si, dans le pays ou le territoire dans lequel il a été constitué, il existe un organisme qui contrôle les plans d’épargne retraite professionnels et qui contrôle le plan en question et si le plan est reconnu à des fins fiscales.

15      Afin de pouvoir être qualifié de « plan d’épargne retraite étranger remplissant les conditions » (qualifying overseas pension scheme), au sens de l’article 308A de l’ITEPA 2004 et, ainsi, de pouvoir relever du champ d’application de l’article 11 de la WRPA 1999, un plan d’épargne retraite étranger doit satisfaire aux conditions énoncées au point 5 de l’annexe 33 de la loi de finances de 2004 dont le paragraphe 1 dispose :

« Aux fins de la présente annexe, un plan d’épargne retraite étranger est un plan d’épargne retraite remplissant les conditions si

(a)      l’administrateur du plan a notifié aux autorités fiscales que le plan est un plan d’épargne retraite étranger et a produit les preuves attestant qu’il est un plan d’épargne retraite à la satisfaction des autorités fiscales,

(b)      l’administrateur du plan s’est engagé envers les autorités fiscales à les informer si le plan cesse d’être un plan d’épargne retraite étranger,

(c)      l’administrateur du plan s’est engagé envers les autorités fiscales à se conformer à toutes les exigences relatives aux informations voulues sur la cristallisation de la prestation imposées à l’administrateur du plan, [...]

[...] »

 Règles relatives à l’effet de la faillite sur les droits à pension tirés de régimes de pension non agréés

16      L’article 12 de la WRPA 1999 prévoit :

« Effet de la faillite sur les droits à pension : les régimes non agréés

(1)      Le secrétaire d’État peut prévoir directement ou indirectement par arrêté que les droits qu’une personne tire d’un régime de pension non agréé sont distraits du patrimoine d’une personne lorsque la faillite est déclarée à l’encontre de celle-ci. [...]

(2)      Les arrêtés adoptés au titre du présent article peuvent prévoir, en particulier,

(a)      la distraction des droits découlant d’un régime de pension non agréé du patrimoine d’un individu,

(i)      par une ordonnance rendue au sujet de sa demande par un tribunal désigné ou

(ii)      conformément à un accord remplissant les conditions requises conclu entre lui-même et son curateur ;

(b)      la possibilité que le tribunal fonde sa décision relative à une telle ordonnance sur

(i)      les besoins que l’individu et sa famille pourront avoir dans l’avenir, et

(ii)      la probabilité qu’il perçoive des prestations (à titre de pension ou non) en vertu de ses droits relevant d’autres régimes de pension et (si tel est le cas) la mesure dans laquelle ces prestations semblent suffire à répondre à de tels besoins ; [...] »

17      Conformément à l’article 12, paragraphe 2, de la WRPA 1999, les articles 4 à 6 de l’arrêté 2/2002 permettent au failli de solliciter le tribunal auprès duquel la procédure d’insolvabilité est ouverte de distraire totalement ou partiellement de la masse de sa faillite les droits qu’il tire d’un régime de pension non agréé, en considération des besoins que celui-ci et sa famille pourront avoir dans l’avenir, ou de négocier avec son curateur un accord remplissant les conditions requises ayant un effet similaire.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

18      Avant qu’il ne soit déclaré en faillite, M. M exerçait son activité de promoteur immobilier principalement, sinon exclusivement, en Irlande, et ce à travers MMC, une société de droit irlandais.

19      En 2002, cette société a mis en place, en contrepartie du paiement par M. M d’une prime unique de 6 161 256 euros, un plan d’épargne retraite professionnel sous forme d’une assurance souscrite auprès d’ILA et régie par le droit irlandais, au titre de laquelle des prestations seraient servies à la date de la mise à la retraite de M. M ou de son décès prématuré.

20      Le 16 juillet 2009, M. M et Mme M ont constitué S Industries, société de droit irlandais, dont M. M a été un administrateur jusqu’au 14 avril 2012 ainsi qu’un salarié du 1er décembre 2009 au 31 janvier 2011.

21      Par acte authentique du 31 août 2009, S Industries a mis en place un plan d’épargne retraite, régi par le droit irlandais, dont le personnel de cette société avait vocation à bénéficier mais dont les seuls bénéficiaires étaient en réalité M. M, Mme M et leur fils RM (ci-après le « plan d’épargne retraite en cause au principal »).

22      Ce plan a été spécifiquement conçu afin de pouvoir être agréé en tant que plan de prestations de retraite tel que défini par le droit fiscal irlandais.

23      Par lettre du 28 octobre 2009, les autorités fiscales irlandaises ont avisé MH que ce plan avait été agréé en tant que plan de prestations de retraite aux fins de la législation fiscale irlandaise, prenant effet à compter du 30 août 2009.

24      Par acte de cession du 7 décembre 2009, MMC a cédé l’assurance souscrite auprès d’ILA à MH, à M. M et à Mme M en tant qu’administrateurs du plan d’épargne retraite en cause au principal afin que ce plan assure à M. M une pension qui soit appropriée eu égard à l’assurance souscrite. De ce fait, ladite assurance a été intégrée dans le plan d’épargne retraite en cause au principal.

25      Au mois de novembre 2010, à la suite de l’effondrement du marché immobilier irlandais, MMC a été mise en liquidation en Irlande à la demande de la National Asset Management Agency (Agence nationale de gestion des actifs, Irlande) qui avait acquis les dettes de cette société inscrites dans des comptes à la Banque d’Irlande.

26      À partir du mois de février 2011, M. M a partiellement vécu à Londres (Royaume-Uni). À compter du mois de juillet 2011, M. M et Mme M ont déménagé à Londres à titre permanent.

27      Au cours d’une période allant jusqu’au 31 août 2011, les administrateurs du plan d’épargne retraite en cause au principal ont effectué plusieurs paiements en faveur de M. M, celui-ci ayant atteint l’âge de 60 ans en 2010. Aucune cotisation n’a été versée dans ce plan au nom de M. M ou de Mme M après leur déménagement au Royaume-Uni.

28      Au moment de son déménagement au Royaume-Uni, M. M avait d’importantes dettes personnelles notamment envers l’Agence nationale de gestion des actifs, le montant total des créances grevant son patrimoine dépassant, selon les curateurs, le milliard d’euros.

29      Par acte du 26 juillet 2011, M. M a été démis de son mandat d’administrateur du plan d’épargne retraite en cause au principal, MH et Mme M restant les seuls administrateurs de ce plan.

30      À partir du mois d’août 2011, M. M a pris en location des bureaux à Londres pour exercer des activités de conseil en transactions et en constructions immobilières au Royaume-Uni.

31      Par lettre du 26 mars 2012, le conseil fiscal de M. M a avisé les autorités fiscales irlandaises que celui-ci était à présent domicilié à Londres et a présenté aux autorités fiscales du Royaume-Uni la déclaration de TVA de M. M pour la période se terminant le 31 juillet 2012 ainsi que sa déclaration de revenus pour la période se terminant le 5 avril 2012.

32      Le 13 avril 2012, S Industries a été enregistrée au titre de la réglementation du Royaume-Uni, à savoir le Companies Act 2006 (loi de 2006 relative aux sociétés) en tant que société étrangère ayant établi un établissement au Royaume-Uni. Il ressort de la demande d’enregistrement de cette société que la date d’ouverture de cet établissement était le 1er décembre 2011, que son siège se situait à Londres et que M. M en était l’administrateur et Mme M l’administratrice ainsi que la secrétaire de la société.

33      Le 2 novembre 2012 M. M a été déclaré en faillite par la High Court of Justice (England & Wales) [Haute Cour de justice, (Angleterre et pays de Galles), Royaume-Uni] sur aveu fait le même jour par celui-ci.

34      Par demande introduite devant la juridiction de renvoi le 1er novembre 2018, les curateurs ont réclamé, au profit de la masse de la faillite, les droits relatifs à l’assurance incluse dans le plan d’épargne retraite en cause au principal. Selon les curateurs, cette assurance aurait eu, au 19 août 2020, une valeur de 8 462 870,24 euros, ce que conteste M. M.

35      Pour leur défense, M. M e.a. ont fait valoir que le droit de l’Union, en particulier les articles 21, 45 et 49 TFUE, l’article 24 de la directive 2004/38 ainsi que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011, impose que tous les droits tirés du plan d’épargne retraite en cause au principal soient distraits de la masse de la faillite en tant que droits tirés d’un régime de pension agréé visés à l’article 11 de la WRPA 1999. À titre subsidiaire, ils demandent que la juridiction de renvoi ordonne la distraction desdits droits de la masse de la faillite au titre de l’article 12 de la WRPA 1999.

36      La juridiction de renvoi relève, d’abord, s’agissant de la réglementation du Royaume-Uni applicable à l’affaire en cause au principal, qu’il est constant que le plan d’épargne retraite en cause au principal n’a pas été enregistré auprès des autorités fiscales du Royaume-Uni au titre de l’article 153 de la loi de finances de 2004 et que ledit plan d’épargne retraite ne constitue donc pas un régime de pension agréé, tel que visé au paragraphe 2, sous (a), de l’article 11 de la WRPA 1999 dont les droits sont distraits de la masse de la faillite en vertu du paragraphe 1 de cet article 11.

37      Cette juridiction indique en outre que l’objectif des articles 11 à 16 de la WRPA 1999 vise à ce que les droits à pension soient conçus et l’avantage fiscal y afférent soit accordé en vue d’apporter un soutien financier aux particuliers dans le cadre de leur future retraite et non pas en vue de protéger les intérêts financiers des créanciers en cas de faillite des particuliers avant leur retraite et que, sauf dans le cas de cotisations dites « excessives », ces droits sont distraits de la masse de la faillite.

38      L’application de l’article 11 de la WRPA 1999 serait, de manière générale, limitée aux plans fiscalement agréés dès lors que l’une des caractéristiques de ces plans est que les prestations susceptibles d’être servies au titre de ceux-ci sont limitées.

39      En revanche, les prestations pouvant être servies au titre de plans non agréés, tels que visés à l’article 12 de la WRPA 1999, ne seraient pas limitées, ce qui pourrait, selon la juridiction de renvoi, expliquer la raison pour laquelle ceux-ci sont distraits non pas dans leur intégralité de la masse de la faillite mais seulement à concurrence des besoins raisonnables du failli et de sa famille et moyennant l’accord des curateurs à la faillite ou d’une juridiction à laquelle serait réservé un pouvoir discrétionnaire à cet égard.

40      L’enregistrement au titre de l’article 153 de la loi de finances de 2004 d’un plan d’épargne retraite étranger tel que le plan d’épargne retraite en cause au principal conduisant à la distraction de la masse de la faillite des droits tirés de ce plan en vertu de l’article 11, paragraphe 1, de la WRPA 1999 serait, en principe, possible. Il donnerait lieu à des avantages fiscaux, tels que l’exemption fiscale des contributions au plan ainsi que des revenus et des plus-values résultant de celui-ci, mais présenterait également des inconvénients, tels que, en particulier, la limitation des paiements pouvant être effectués par le plan sans encourir de dette fiscale. 

41      En conséquence, un tel enregistrement constituerait non pas une simple formalité mais une démarche emportant de lourdes conséquences.

42      Il serait de plus évident que des ressortissants d’États membres de l’Union européenne sont davantage susceptibles que des ressortissants du Royaume-Uni d’avoir acquis des droits à pension relevant de régimes qui ne sont pas enregistrés au titre de l’article 153 de la loi de finances de 2004.

43      À cet égard, la juridiction de renvoi estime que les administrateurs d’un plan d’épargne retraite constitué de manière à répondre aux conditions d’agréation requises par la législation fiscale irlandaise, tel le plan d’épargne retraite en cause au principal, pourraient ne pas nécessairement vouloir que ce plan réponde également aux conditions d’agréation requises par la législation fiscale du Royaume-Uni.

44      Par ailleurs, la juridiction de renvoi considère que, dès lors qu’il répond aux conditions imposées par l’arrêté de 2006 mentionné au point 14 du présent arrêt, le plan d’épargne retraite, notamment s’il s’agit d’un plan d’épargne retraite professionnel qui est contrôlé par un organisme établi dans le pays ou le territoire dans lequel il a été constitué, est susceptible d’être qualifié de « plan d’épargne retraite étranger », au sens de l’article 150, paragraphe 7, de la loi de finances de 2004.

45      Toutefois, faute pour les administrateurs du plan d’épargne retraite concerné d’avoir entrepris les démarches nécessaires afin que ce plan satisfasse aux conditions visées au point 5. 1 de l’annexe 33 de la loi de finances de 2004, relatives, notamment, à la notification du plan aux autorités fiscales du Royaume-Uni, à la démonstration, auprès de celles-ci, qu’il s’agit d’un plan d’épargne retraite et à l’engagement de respecter certaines exigences d’information de ces autorités, ledit plan ne pourrait être qualifié de « plan d’épargne retraite remplissant les conditions », au sens de l’article 308A de l’ITEPA, de sorte que les droits tirés de ce plan ne seraient pas distraits de la masse de la faillite en vertu de l’article 11, paragraphe 1, de la WRPA 1999.

46      Si, certes, ces conditions n’étaient pas difficiles à remplir et n’impliquaient pas, en pratique, le respect d’exigences particulièrement lourdes, il y aurait, de manière générale, peu d’intérêt pour les administrateurs d’un plan d’épargne retraite d’entreprendre les démarches nécessaires afin que celui-ci puisse devenir un « plan d’épargne retraite remplissant les conditions », au sens de l’article 308A de l’ITEPA.

47      Il n’en irait autrement que dans une situation, qui ne serait toutefois pas celle en cause au principal, dans laquelle il est envisagé de verser des cotisations au plan par ou pour le compte de bénéficiaires qui se sont installés au Royaume-Uni.

48      Par ailleurs, la juridiction de renvoi estime que, si le plan d’épargne retraite en cause au principal est susceptible d’être qualifié de « plan d’épargne retraite non agréé », au sens de l’article 12 de la WRPA 1999, les dispositions régissant la distraction de la masse de la faillite des droits tirés d’un tel plan sont moins avantageuses du point de vue du failli en ce qu’elles prévoient un régime moins protecteur des droits à pension du failli que celui prévu à l’article 11 de la WRPA 1999 pour les plans d’épargne retraite agréés.

49      S’agissant, ensuite, de l’analyse de la situation en cause au principal au regard du droit de l’Union, la juridiction de renvoi estime que la question principale qui se pose est celle de savoir si les dispositions de droit national en matière de distraction des droits à pension de la masse de la faillite peuvent avoir une quelconque incidence sur le droit d’établissement ou si elles relèvent à un autre titre de l’article 49 TFUE.

50      Ladite juridiction relève que M. M e.a. ont soutenu à cet égard qu’il n’est nécessaire ni de démontrer que lesdites dispositions de droit national sont susceptibles d’avoir un effet dissuasif sur la liberté d’établissement ni de comparer la situation du travailleur migrant dans l’État membre d’accueil et dans l’État membre d’origine.

51      Il importerait plutôt de comparer la situation d’un travailleur migrant dans l’État membre d’accueil et la situation des ressortissants nationaux dans ce même État membre. L’exclusion des droits à pension de la masse de la faillite d’une personne ayant exercé son droit à la libre circulation serait un « avantage social » garanti par l’article 49 TFUE, lu conjointement avec l’article 24 de la directive 2004/38.

52      Devant la juridiction de renvoi, les curateurs font en revanche valoir que les dispositions du droit national en cause, en particulier celles de l’article 11 de la WRPA 1999, ne constituent, même considérées en tant que telles, pas une entrave au droit d’établissement de M. M. En effet, celles-ci n’auraient apparemment pas dissuadé celui-ci d’exercer ce droit. Il n’aurait en outre pas été démontré que ces dispositions seraient globalement moins favorables que les dispositions correspondantes du droit irlandais. S’agissant de l’article 24 de la directive 2004/38, il y aurait lieu de tenir compte, aux fins de l’application de l’article 21 TFUE, pour autant qu’elles n’ont pas été harmonisées au niveau du droit de l’Union, de la différenciation des législations nationales portant sur l’insolvabilité.

53      Enfin, la juridiction de renvoi indique qu’elle est parvenue à la conclusion provisoire selon laquelle l’incidence de la faillite sur les droits à pension accumulés dans son État membre d’origine par une personne exerçant le droit d’établissement en tant que travailleur non salarié dans un autre État membre avant d’y être déclaré en faillite présente un lien suffisamment étroit avec l’exercice dudit droit pour relever de l’article 49 TFUE.

54      Cette juridiction considère que les dispositions du droit du Royaume-Uni en matière de distraction des droits à pension de la masse de la faillite en vertu desquelles la protection intégrale prévue à l’article 11 de la WRPA 1999 ne peut bénéficier qu’à ceux qui tirent des droits de régimes de pension agréés, bien qu’elles ne soient pas expressément conçues par référence à la nationalité, sont susceptibles de concerner une proportion nettement plus élevée de ressortissants d’États membres exerçant leur droit d’établissement au Royaume-Uni que de ressortissants du Royaume-Uni et comportent, dès lors, une discrimination dans la jouissance d’un avantage social qui est interdite par l’article 49 TFUE ainsi que par l’article 24 de la directive 2004/38.

55      De surcroît, la juridiction de renvoi estime qu’une telle discrimination, si elle était constatée par la Cour en réponse à ses questions, peut être éliminée en procédant à une interprétation conforme au droit de l’Union de l’article 11 de la WRPA 1999 consistant à étendre l’application de cette disposition à un plan d’épargne retraite agréé ou enregistré par les autorités fiscales d’un autre État membre, dès lors également que cette interprétation serait conforme à l’objectif poursuivi par les dispositions concernées, qui vise à assurer que les droits à pension ne soient pleinement protégés en cas de faillite que lorsqu’ils sont tirés de régimes agréés ou enregistrés ou reconnus par les autorités fiscales compétentes dans l’État membre dans lequel ils ont été établis.

56      Dans ces conditions, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (business and property courts, insolvency and companies list) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (tribunaux du commerce et de la propriété, registre de l’insolvabilité et des sociétés), Royaume Uni] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Lorsque le ressortissant d’un État membre a exercé les droits qu’il tire des articles 21 et 49 TFUE et de la [directive 2004/38] en se déplaçant ou en s’établissant [...] au Royaume-Uni, est-il conforme à ces dispositions que l’article 11 [de la WRPA 1999] subordonne la distraction, de la masse de la faillite, des droits à pension [tirés d’]un plan d’épargne retraite, y compris ceux établis et agréés [à des] fins fiscales dans un autre État membre, au fait que, au moment de la faillite, le plan d’épargne retraite soit enregistré au titre de l’article 153 [de la loi de finances de 2004] ou visé à l’article 2 de l’[arrêté 2/2002] et donc agréé [à des] fins fiscales au Royaume-Uni ?

2)      Pour répondre à [cette] question [...], est-il pertinent ou nécessaire :

a)      de déterminer si le particulier a déménagé au Royaume-Uni en vue, principalement, de faire aveu de faillite au Royaume-Uni ?

b)      de prendre en compte (i) les protections dont peut bénéficier le failli à l’égard de plans d’épargne retraite non agréés au titre de l’article 12 de la WRPA 1999 et (ii) la faculté des curateurs à la faillite de récupérer des montants à l’égard de régimes de pension agréés ?

c)      de prendre en compte les conditions requises des plans [d’]épargne retraite enregistrés et agréés à des fins fiscales au Royaume-Uni ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

57      À titre liminaire, il y a lieu de relever, en premier lieu, que, comme le fait observer également la juridiction de renvoi, la Cour demeure compétente en vertu de l’article 86, paragraphe 2, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait »), pour statuer à titre préjudiciel sur la présente demande dès lors que celle-ci a été présentée avant la fin de la période de transition, soit la période ayant expiré le 31 décembre 2020.

58      En outre, dès lors qu’il est constant que M. M est un citoyen de l’Union, en raison de sa nationalité irlandaise, qui a exercé, conformément au droit de l’Union, son droit de résider au Royaume-Uni avant la fin de ladite période de transition et qu’il continue d’y résider après cette période, celui-ci a vocation à bénéficier, en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous a), de l’accord de retrait, de la protection offerte par cet accord.

59      Ainsi, conformément à l’article 25, paragraphe 1, de l’accord de retrait, M. M, en tant que travailleur non salarié, dispose dans son « État d’accueil », à savoir le Royaume-Uni, sous réserve des limitations énoncées aux articles 51 et 52 TFUE, qui sont sans pertinence dans le cadre de l’affaire au principal, notamment, des droits garantis par l’article 49 TFUE, parmi lesquels le « droit d’accéder aux activités non salariées et de les exercer ».

60      En second lieu, la juridiction de renvoi sollicitant une réponse à ses questions au regard des articles 21 et 49 TFUE ainsi que de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, il y a lieu de déterminer lesquelles de ces dispositions sont applicables dans une situation telle que celle en cause au principal.

61      Selon une jurisprudence constante, l’article 21, paragraphe 1, TFUE, qui énonce de manière générale le droit, pour tout citoyen de l’Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, trouve une expression spécifique dans l’article 45 TFUE relatif à la liberté de circulation des travailleurs, dans l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement et dans l’article 56 TFUE relatif à la libre prestation de services. Partant, si l’affaire au principal relève de l’article 45 TFUE, de l’article 49 TFUE ou de l’article 56 TFUE, il ne sera pas nécessaire que la Cour se prononce sur l’interprétation de l’article 21 TFUE (voir en ce sens, notamment, arrêts du 11 septembre 2007, Schwarz et Gootjes-Schwarz, C‑76/05, EU:C:2007:492, point 34, ainsi que du 11 septembre 2007, Commission/Allemagne, C‑318/05, EU:C:2007:495, point 35 et jurisprudence citée).

62      Par ailleurs, conformément à une jurisprudence tout aussi constante, la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice (arrêts du 21 février 2006, Ritter-Coulais, C‑152/03, EU:C:2006:123, point 19, ainsi que du 14 mars 2019, Jacob et Lennertz, C‑174/18, EU:C:2019:205, point 21 et jurisprudence citée).

63      Les ressortissants d’un État membre disposent, en particulier, du droit, qu’ils tirent directement du traité FUE, de quitter leur État d’origine pour se rendre sur le territoire d’un autre État membre et y séjourner afin d’y exercer une activité économique (arrêt du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 44).

64      Or, eu égard à ces principes, il y a lieu de constater que l’affaire au principal relève incontestablement de l’article 49 TFUE.

65      En effet, il est constant que, avant d’être déclaré en faillite au Royaume-Uni, M. M a quitté l’Irlande, où il exerçait une activité économique non salariée principalement voire exclusivement sur le marché irlandais, en vue de s’installer à titre permanent au Royaume-Uni afin d’y exercer cette même activité sur le marché de cet État.

66      Par ailleurs, sont concernés par l’affaire au principal des droits à pension tirés par M. M d’un plan d’épargne retraite, qui procèdent d’une activité non salariée exercée dans son État membre d’origine, avant qu’il ne se soit établi dans l’État membre d’accueil (voir, par analogie, arrêt du 14 mars 2019, Jacob et Lennertz, C‑174/18, EU:C:2019:205, point 22).

67      Il en résulte que l’article 49 TFUE est clairement applicable à des faits tels que ceux en cause au principal, de telle sorte que, conformément à la jurisprudence citée au point 61 du présent arrêt, il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur l’interprétation de l’article 21 TFUE.

68      Il en est de même s’agissant de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, qui reflète l’article 18 TFUE en consacrant le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, applicable à tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de cette directive.

69      En effet, dès lors que l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 ne s’applique, selon son libellé, que « [s]ous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé », cette disposition ne trouve pas à s’appliquer de manière autonome s’il existe une règle spécifique de non-discrimination prévue par le traité FUE qui soit applicable à la situation concernée (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld, C‑181/19, EU:C:2020:794, point 78 et jurisprudence citée).

70      Or, il ressort de la jurisprudence que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité est mis en œuvre par une règle spécifique, notamment, dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, par l’article 45 TFUE, dans celui de la liberté d’établissement, par l’article 49 TFUE, et dans celui de la libre prestation des services, par les articles 56 à 62 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 24 mai 2011, Commission/Luxembourg, C‑51/08, EU:C:2011:336, point 80, et du 18 juin 2019, Autriche/Allemagne, C‑591/17, EU:C:2019:504, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

71      La situation en cause au principal relevant clairement du principe de non-discrimination en raison de la nationalité mis en œuvre, dans le domaine de la liberté d’établissement, par la règle spécifique contenue dans l’article 49 TFUE, il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur l’interprétation de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38.

72      Partant, les questions préjudicielles doivent être examinées au regard du seul article 49 TFUE.

73      Il y a dès lors lieu de considérer que, par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition du droit d’un État membre qui subordonne la distraction, en principe intégrale et automatique, de la masse de la faillite de droits à pension tirés d’un plan d’épargne retraite à l’exigence que, au moment de la faillite, le plan concerné ait été agréé à des fins fiscales dans cet État, lorsque cette exigence est imposée dans une situation dans laquelle un citoyen de l’Union ayant, antérieurement à sa faillite, exercé son droit de libre circulation en s’installant, de manière permanente, dans ce même État, aux fins d’y exercer une activité économique non salariée, tire des droits à pension d’un plan d’épargne retraite constitué et agréé à des fins fiscales dans son État membre d’origine.

 Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement

74      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, que l’affaire en cause au principal concerne un ressortissant irlandais, M. M, à l’égard duquel une procédure de faillite a été ouverte au Royaume-Uni conformément à l’article 3 du règlement no 1346/2000 dès lors que celui-ci y avait déménagé et y avait déplacé le centre de ses intérêts principaux à la suite de la relocalisation de ses activités dans le secteur immobilier avant d’y être déclaré en faillite.

75      À cet égard, il y a lieu de souligner que le fait que, conformément à la règle sur la loi applicable prévue à l’article 4 du règlement no 1346/2000, l’article 11 de la WRPA 1999 s’impose en tant que règle relevant de la lex fori concursus n’implique nullement que cette disposition échapperait à un contrôle quant à sa conformité avec les libertés fondamentales garanties par le traité FUE.

76      En effet, si le droit matériel de l’insolvabilité, faute d’avoir fait l’objet d’une harmonisation au niveau du droit de l’Union, demeure à ce jour largement de la compétence des États membres, ceux-ci sont néanmoins tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union, y compris des libertés fondamentales garanties par le traité FUE.

77      Comme l’expose la juridiction de renvoi, les règles du droit du Royaume-Uni en matière d’insolvabilité régissant les biens qui font l’objet du dessaisissement prévoient essentiellement deux types de protection des droits à pension du failli.

78      La première protection, dénommée « protection or » par M. M e.a., prévue à l’article 11 de la WRPA 1999 pour les droits tirés de « régimes de pension agréés » dont font partie les plans d’épargne retraite enregistrés au titre de l’article 153 de la loi de finances de 2004 et les « plans d’épargne retraite étrangers remplissant les conditions », au sens de l’article 308A de l’ITEPA, est une protection intégrale, dans la mesure où, en principe, tous les droits à pension sont distraits de la masse de la faillite, et automatique, dans la mesure où le failli a droit à une telle distraction dès lors que les conditions de la réglementation fiscale sont remplies s’agissant du plan concerné, même si, dans le cadre de la protection prévue par l’article 11 de la WRPA 1999, d’une part, des contributions dites « excessives » peuvent être récupérées par les curateurs au bénéfice de la masse de la faillite et, d’autre part, les paiements pouvant être effectués par l’administrateur du plan sans encourir de dette fiscale sont limités.

79      En revanche, la seconde protection, dénommée « protection bronze » par M. M e.a., prévue à l’article 12 de la WRPA 1999 pour les droits tirés de « régimes de pension non agréés », est une protection partielle, dans la mesure où les droits à pension ne sont distraits de la masse de la faillite qu’à concurrence des besoins futurs du failli et de sa famille, et discrétionnaire, dans la mesure où le bénéfice de cette distraction doit être demandé par le failli et être accordé soit par le curateur à la faillite, soit au moyen d’une ordonnance de distraction rendue par une juridiction à laquelle est réservé un pouvoir discrétionnaire à cet égard.

80      S’agissant de la question de savoir si, dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, l’article 11 de la WRPA 1999, en refusant la distraction de droits à pension de la masse de la faillite telle que prévue par cette disposition comporte une restriction à la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE, il y a lieu de relever que cet article assure le bénéfice du traitement national aux ressortissants d’un État membre désireux d’exercer une activité non salariée dans un autre État membre et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité, faisant obstacle à l’accès ou à l’exercice d’une telle activité. Est ainsi interdite toute gêne aux activités non salariées des ressortissants des autres États membres qui consiste en un traitement différentiel des ressortissants des autres États membres par rapport aux nationaux, prévu par une disposition législative, réglementaire ou administrative d’un État membre ou résultant de l’application d’une telle disposition ou de pratiques administratives (voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 1999, Meeusen, C‑337/97, EU:C:1999:284, point 27).

81      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que la règle de l’égalité de traitement inscrite tant à l’article 45 TFUE qu’à l’article 7 du règlement no 492/2011 prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par l’application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (arrêt du 10 octobre 2019, Krah, C‑703/17, EU:C:2019:850, point 23 et jurisprudence citée).

82      Dans ce contexte, la Cour a précisé qu’une disposition de droit national, bien qu’indistinctement applicable à tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité, doit être considérée comme étant indirectement discriminatoire dès lors qu’elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les travailleurs ressortissants d’autres États membres que les travailleurs nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi (arrêt du 10 octobre 2019, Krah, C‑703/17, EU:C:2019:850, point 24 et jurisprudence citée).

83      Pour qu’une disposition nationale puisse être considérée comme étant indirectement discriminatoire, il n’est pas nécessaire qu’elle ait pour effet de favoriser l’ensemble des ressortissants nationaux ou de ne défavoriser que les seuls ressortissants des autres États membres à l’exclusion des nationaux (arrêt du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken, C‑514/12, EU:C:2013:799, point 27).

84      Il n’est pas non plus nécessaire, à cet égard, d’établir que la disposition nationale en cause affecte, en pratique, une proportion substantiellement plus importante de travailleurs migrants. Il suffit de constater que cette disposition est susceptible de produire un tel effet (arrêt du 18 décembre 2014, Larcher, C‑523/13, EU:C:2014:2458, point 33 ; voir également, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, PF e.a., C‑830/18, EU:C:2020:275, points 31 et 32).

85      Si les principes que consacre la jurisprudence rappelée aux points 80 à 84 du présent arrêt, laquelle est au cœur de l’argumentation avancée par M. M et qui est, en substance, considérée comme pertinente par la juridiction de renvoi dans le cadre de son appréciation provisoire de l’affaire au principal, ont certes été développés à la suite, notamment, de l’arrêt du 23 mai 1996, O’Flynn (C‑237/94, EU:C:1996:206, point 21), dans le cadre spécifique de la règle de l’égalité de traitement inscrite tant à l’article 45 TFUE qu’à l’article 7 du règlement no 492/2011, ceux-ci ne s’appliquent pas uniquement aux travailleurs migrants salariés, mais ils s’appliquent également, mutatis mutandis, dans le cadre de l’article 49 TFUE, aux travailleurs migrants non salariés, tel M. M (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2019, Jacob et Lennertz, C‑174/18, EU:C:2019:205, point 23).

86      En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants des États membres, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre (arrêts du 21 février 2006, Ritter-Coulais, C‑152/03, EU:C:2006:123, point 33, et du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

87      Eu égard aux principes consacrés par la jurisprudence rappelée aux points 80 à 84 du présent arrêt, il y a lieu de constater, à l’instar, en substance, de la juridiction de renvoi, que, bien qu’indistinctement applicable aux travailleurs migrants et aux travailleurs nationaux, l’exclusion du bénéfice de l’article 11 de la WRPA 1999, en raison de la nature même de cette disposition et, notamment, de ce que celle-ci ne permet pas de demander l’agréation d’un plan d’épargne retraite étranger postérieurement à la faillite, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, est susceptible de frapper, en pratique, une proportion substantiellement plus importante de travailleurs migrants que de travailleurs nationaux et risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers, de telle sorte que cette disposition nationale doit être considérée comme étant indirectement discriminatoire, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif qu’elle poursuit.

88      En effet, ainsi que l’expose la juridiction de renvoi, les travailleurs non salariés nationaux bénéficieront, en règle générale, de la protection prévue à l’article 11 de la WRPA 1999 pour ce qui concerne leurs droits à pension tirés de plans d’épargne retraite constitués et accumulés au Royaume-Uni dès lors que, le plus souvent, en raison des avantages fiscaux qui en découlent en vertu du droit fiscal du Royaume-Uni, ces plans seront enregistrés au titre de l’article 153 de la loi des finances de 2004 et, partant, seront agréés à des fins fiscales au Royaume-Uni.

89      En revanche, les travailleurs non salariés migrants disposeront, dans la plupart des cas, de droits à pension tirés de plans d’épargne retraite constitués et agréés à des fins fiscales dans leur État membre d’origine ou dans un autre État membre dans lequel ils ont été économiquement actifs, qui ne seront, en règle générale, pas agréés à des fins fiscales au Royaume-Uni, de telle sorte que, compte tenu également de l’impossibilité d’introduire une demande d’agréation postérieurement à la faillite pour ces mêmes plans, ce qu’il incombe à la juridiction de vérifier, les droits à pension tirés de ces plans ne bénéficieront, le plus souvent, que de la protection prévue à l’article 12 de la WRPA 1999 pour les régimes de pension non agréés, laquelle est nettement plus limitée.

90      Selon la juridiction de renvoi, les administrateurs de tels plans d’épargne retraite étrangers n’entreprendront, en règle générale, pas les démarches nécessaires, même si elles ne sont, en tant que telles, pas difficiles à accomplir, pour que ces plans soient en outre agréés au Royaume-Uni en vue de servir les besoins individuels de certains de leurs bénéficiaires moyennant l’enregistrement du plan concerné au titre de l’article 153 de la loi des finances de 2004 ou la satisfaction des conditions requises pour que ceux-ci constituent des « plans d’épargne retraite remplissant les conditions », au sens de l’article 308A de l’ITEPA.

91      La juridiction de renvoi indique toutefois qu’un enregistrement, au titre de l’article 153 de la loi des finances de 2004, de plans d’épargne retraite étrangers tel que celui en cause au principal est, en principe, possible mais constitue une démarche susceptible d’emporter de lourdes conséquences dès lors qu’elle induirait certains désavantages, tenant, en particulier, à la limitation des paiements pouvant être effectués par le plan sans encourir de dette fiscale.

92      Cette juridiction fait également observer que, si, en pratique, les conditions requises pour que de tels plans d’épargne retraite étrangers soient agréés en tant que « plan d’épargne retraite remplissant les conditions », au sens de l’article 308A de l’ITEPA, n’impliquent pas le respect d’exigences particulièrement lourdes, il y aurait néanmoins, en général, peu d’intérêt pour les administrateurs de ces plans d’entreprendre les démarches nécessaires afin que ceux-ci remplissent les conditions requises sauf, ce qui ne serait pas le cas dans l’affaire en cause au principal, s’il est envisagé de verser des cotisations au plan par ou pour le compte de bénéficiaires qui se sont installés au Royaume-Uni.

93      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que l’article 11 de la WRPA 1999, en ce qu’il subordonne le bénéfice de la distraction, en principe intégrale et automatique, de droits à pension de la masse de la faillite à l’exigence de l’obtention préalable d’un agrément à des fins fiscales du plan d’épargne retraite dont sont tirés ces droits, y compris lorsqu’il s’agit, comme dans l’affaire en cause au principal, d’un plan d’épargne retraite constitué et déjà agrée dans l’État membre d’origine du citoyen de l’Union concerné avant son installation permanente au Royaume-Uni, est contraire à la règle de l’égalité de traitement inscrite à l’article 49 TFUE et, partant, est constitutif d’une entrave à la liberté d’établissement prohibée par cette disposition, sauf si cette entrave était justifiée au regard du droit de l’Union.

94      Cette interprétation n’est pas remise en cause par les arguments avancés par les curateurs.

95      En premier lieu, il y a lieu de rejeter l’argument tiré, en substance, de la jurisprudence constante de la Cour et, en particulier des points 24 et 25 de l’arrêt du 27 janvier 2000, Graf (C‑190/98, EU:C:2000:49), selon lequel il ne saurait être soutenu que la réglementation nationale en cause au principal est susceptible de dissuader un travailleur non salarié de faire usage de sa liberté d’établissement pour autant que, en cas de faillite ultérieure dans l’État membre d’accueil, ses droits à pension risquent de ne pas bénéficier d’une protection adéquate dès lors que, au moment de l’exercice de cette liberté, la faillite serait un évènement futur et hypothétique devant être considéré comme constituant une circonstance trop aléatoire et indirecte au sens de cette jurisprudence.

96      En effet, la protection adéquate, en cas de faillite, de droits à pension accumulés dans l’État membre d’origine par un citoyen de l’Union est un facteur susceptible d’être pris en compte par ce citoyen lors de la prise d’une décision de se déplacer dans un autre État membre afin d’y exercer une activité professionnelle à titre permanent, surtout si ce citoyen a déjà accumulé des droits à pension dans son État membre d’origine ou un autre État membre dans lequel il a été économiquement actif.

97      Partant, la faillite du travailleur migrant économiquement actif et non salarié, si elle constitue, en règle générale, un évènement futur et hypothétique au moment où ce travailleur exerce son droit de libre circulation, ne saurait être considérée comme constituant une circonstance trop aléatoire et indirecte, pour exclure que la mesure nationale en cause soit de nature à entraver la liberté d’établissement.

98      En deuxième lieu, ne saurait pas non plus être retenue l’argumentation selon laquelle une personne qui déménage volontairement dans un autre État membre en vue d’y déclarer sa faillite ou en ayant connaissance de sa faillite probable dans cet État ne pourrait, en aucun cas, être autorisée à contester le régime d’insolvabilité de cet État membre constituant la lex fori concursus, sur la base d’une liberté fondamentale garantie par le traité FUE.

99      En effet, à supposer même que M. M, en s’installant au Royaume-Uni, ait eu l’intention d’y déclarer sa faillite afin, notamment ou principalement, de pouvoir bénéficier de certains avantages que confère le droit du Royaume-Uni sur l’insolvabilité, tel le délai relativement bref de douze mois à la suite duquel le failli est en principe libéré de la faillite, alors que ce délai était, selon les curateurs, de douze ans en Irlande, force est de constater que le dossier dont dispose la Cour ne contient aucun élément permettant de conclure à l’existence, dans le chef de M. M, d’un « abus de droit » ou d’une quelconque « fraude », au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 9 mars 1999, Centros, C‑212/97, EU:C:1999:126, point 24).

100    Or, il est constant que M. M avait, préalablement à sa faillite, effectivement déplacé le centre de ses intérêts principaux de l’Irlande au Royaume-Uni en assumant d’ailleurs toutes les conséquences d’un tel choix y compris l’assujettissement à la législation fiscale de ce pays, ce qui a d’ailleurs eu comme conséquence que les juridictions du Royaume-Uni étaient compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité le concernant conformément à l’article 3 du règlement no 1346/2000, de sorte qu’il ne saurait pas davantage lui être reproché de s’être livré à du « forum shopping ».

101    En troisième lieu, selon les curateurs, M. M ne pourrait, moyennant l’invocation d’une liberté fondamentale, se livrer à du « cherry picking », lui permettant de se créer un régime d’insolvabilité « à la carte » en choisissant les éléments du régime d’insolvabilité prévu par le droit du Royaume-Uni qui lui sont favorables et en rejetant ceux qui lui sont moins favorables dès lors qu’une telle approche porterait atteinte à l’effet utile du règlement no 1346/2000.

102    À cet égard, en sus de ce qui a déjà été mentionné aux points 75 et 76 du présent arrêt, il importe de relever que, si l’article 11 de la WRPA 1999 fait partie d’un ensemble plus large de règles du Royaume-Uni portant sur l’insolvabilité, dont certaines sont plus favorables au failli que d’autres, cette disposition doit, en ce qu’elle prévoit un régime de protection des droits à pension tirés de régimes de pension agréés nettement plus avantageux au failli que le régime prévu à l’article 12 de la WRPA 1999 applicable aux droits à pension tirés de régimes de pension non agréés, être conforme en tant que telle aux libertés fondamentales.

103    En quatrième et dernier lieu, doit également être rejetée l’argumentation selon laquelle l’article 11 de la WRPA 1999 ne relèverait pas de l’article 49 TFUE dès lors que cet article 11 ne s’applique qu’après que la liberté d’établissement a été exercée, à savoir au moment de la faillite du travailleur migrant. En outre, la possibilité de l’existence d’une entrave ne peut être mise en doute en raison du simple fait que, apparemment, ledit article 11 n’a, de fait, pas eu d’effet dissuasif sur M. M dès lors que celui-ci s’est installé au Royaume-Uni en dépit de ce même article.

104    À cet égard, il y lieu de relever que l’impossibilité pour un travailleur migrant d’introduire postérieurement à la faillite une demande aux fins de bénéficier, pour ce qui concerne ses droits à pension issus d’un plan d’épargne retraite agréé dans son État membre d’origine ou dans un autre État membre dans lequel il a été économiquement actif, de la distraction, en principe intégrale et automatique, de la masse de la faillite, telle que prévue à l’article 11 de la WRPA 1999, est, à première vue, susceptible de rendre moins attrayant l’exercice par un tel travailleur migrant de sa liberté d’établissement en s’installant de manière permanente au Royaume-Uni, sans qu’il y ait lieu de s’attacher à examiner si, dans la situation en cause au principal, M. M a, de fait, été dissuadé ou non de s’installer au Royaume-Uni en raison de l’existence de cette réglementation.

105    De surcroît, selon la jurisprudence constante de la Cour, les articles du traité relatifs à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux constituent des dispositions fondamentales pour l’Union et toute entrave, même d’importance mineure, à cette liberté est prohibée (arrêt du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken, C‑514/12, EU:C:2013:799, point 34 et jurisprudence citée).

 Sur l’existence d’une justification de la restriction à la liberté d’établissement

106    Ainsi qu’il est mentionné au point 93 du présent arrêt, l’article 11 de la WRPA 1999, en ce qu’il subordonne le bénéfice de la distraction, en principe intégrale et automatique, de droits à pension de la masse de la faillite à l’exigence de l’obtention préalable d’un agrément à des fins fiscales du plan d’épargne retraite dont sont tirés ces droits, y compris lorsqu’il s’agit, comme dans l’affaire en cause au principal, d’un plan d’épargne retraite constitué et déjà agrée dans l’État membre d’origine du citoyen de l’Union concerné, est contraire à la règle de l’égalité de traitement inscrite à l’article 49 TFUE et, dès lors, est constitutif d’une entrave à la liberté d’établissement prohibée par cette disposition, sauf si une telle entrave est justifiée au regard du droit de l’Union, ce qu’il convient, partant, d’examiner.

107    À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour qu’une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité FUE ne peut être admise qu’à la condition que la mesure nationale en cause réponde à une raison impérieuse d’intérêt général, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 3 février 2021, Fussl Modestraße Mayr, C‑555/19, EU:C:2021:89, point 52 et jurisprudence citée).

108    En outre, l’article 11 de la WRPA 1999 constituant une restriction à la liberté d’établissement au motif de son caractère indirectement discriminatoire en raison de la nationalité, une telle restriction n’est admise que si elle est objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi (arrêt du 10 octobre 2019, Krah, C‑703/17, EU:C:2019:850, point 24 et jurisprudence citée).

109    Toutefois, l’examen du caractère objectivement justifié de la restriction en cause correspondant, en substance, à celui tenant à une éventuelle justification au titre d’une raison impérieuse d’intérêt général, il s’ensuit que ces deux examens doivent être menés de la même manière (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2021, Fussl Modestraße Mayr, C‑555/19, EU:C:2021:89, point 105).

 Sur l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier la restriction à la liberté d’établissement

110    À titre liminaire, il y a lieu de constater que le gouvernement du Royaume-Uni n’a pas déposé d’observations écrites dans le cadre de la présente procédure et qu’il découle des orientations du service de l’insolvabilité que, selon cet organe public du Royaume-Uni, s’impose une obligation d’égalité de traitement des plans d’épargne retraite reconnus ou agréés dans les États membres, de telle sorte que les droits tirés de ces plans doivent pouvoir bénéficier de la distraction de la masse de la faillite prévue à l’article 11 de la WRPA 1999, ce qui laisse entendre, comme le soutient M. M, que, selon l’appréciation dudit service, l’inégalité de traitement en cause ne saurait se justifier au regard d’une raison impérieuse d’intérêt général.

111    En outre, si, dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi n’analyse pas de manière spécifique une éventuelle justification de la restriction en cause au regard d’une raison impérieuse d’intérêt général, cette juridiction relève, s’agissant de l’objectif de l’article 11 de la WRPA 1999 que les droits à pension sont conçus et l’avantage fiscal y afférent est accordé en vue d’apporter un soutien financier aux particuliers dans le cadre de leur future retraite et non pas en vue de protéger les créanciers en cas de faillite des particuliers avant leur retraite et que, sauf dans le cas de cotisations dites « excessives », ces droits sont distraits de la masse de la faillite.

112    Compte tenu de cet objectif, la Commission européenne soutient, en substance, qu’est susceptible d’entrer en ligne de compte en tant que raison impérieuse d’intérêt général l’objectif de politique sociale lié à la garantie, pour le failli, d’un certain niveau de droits à pension afin de lui permettre de disposer d’un revenu adéquat et d’éviter ainsi qu’il ne devienne une charge pour l’État.

113    Si, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, une telle raison impérieuse d’intérêt général est susceptible d’être retenue, celle-ci semble devoir être précisée au regard de l’objectif spécifique de l’article 11 de la WRPA 1999 comme visant à assurer un juste équilibre entre une protection adéquate des intérêts du failli et la protection des intérêts financiers des créanciers du failli tenant à la récupération, à tout le moins en partie, de leur créance dans la masse de la faillite.

 Sur la proportionnalité de la restriction à la liberté d’établissement

114    Si l’objectif d’une protection équilibrée des intérêts nécessairement conflictuels du failli et de ses créanciers quant aux droits à pension du failli que poursuit l’article 11 de la WRPA 1999 est susceptible de constituer une raison impérieuse d’intérêt général, encore faut-il, ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 107 du présent arrêt, pour que la restriction à la liberté d’établissement que comporte cette disposition nationale puisse être justifiée, que celle-ci soit propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

115    Se pose, en particulier, la question de savoir si la restriction à la liberté d’établissement que comporte l’article 11 de la WRPA 1999 est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, en ce que cette disposition limite le bénéfice de la distraction, en principe intégrale et automatique, de la masse de la faillite qu’elle prévoit aux seuls droits à pension issus de régimes de pension agréés à des fins fiscales au Royaume-Uni à l’exclusion, notamment, des droits à pension tirés de régimes de pension agréés à des fins fiscales non pas au Royaume-Uni mais dans un État membre de l’Union, tel l’État membre d’origine du travailleur migrant dont les droits à pension sont en cause, qui font l’objet d’une distraction partielle et discrétionnaire de la masse de la faillite en vertu de l’article 12 de la WRPA 1999.

116    À cet égard, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier si, s’agissant de régimes de pension déjà agréés à des fins fiscales dans un État membre de l’Union et non pas au Royaume-Uni, l’exigence d’un agrément supplémentaire et préalable à la faillite de tels régimes de pension par les autorités fiscales du Royaume-Uni en tant que condition devant être remplie pour que les droits à pension concernés puissent bénéficier de la distraction prévue à l’article 11 de la WRPA 1999 est proportionnée à l’objectif que poursuit cette disposition.

117    Dans ce contexte, il y a lieu d’indiquer que, si une telle exigence visait à limiter la distraction de la masse de la faillite aux droits tirés de régimes de pension qui sont réglementés et supervisés, celle-ci serait susceptible d’aller au-delà de ce qui est nécessaire dès lors qu’elle aurait pour effet d’exclure du bénéfice de la distraction les droits à pension tirés de plans d’épargne retraite agréés à des fins fiscales dans un État membre et non pas au Royaume-Uni dans la mesure où ces plans sont également réglementés et supervisés, fût-ce, éventuellement, d’une manière différente.

118    Par ailleurs, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier s’il existe un rapport entre les règles fiscales relatives à la réglementation et à la supervision des plans d’épargne retraite et la finalité de la disposition nationale en cause qui semble consister à assurer, dans une procédure d’insolvabilité, un juste équilibre entre les intérêts du failli liés à la distraction de ses droits à pension de la masse de la faillite et ceux des créanciers liés à une inclusion maximale de ces droits dans la masse de la faillite.

119    En effet, l’exigence d’un agrément fiscal d’un plan d’épargne retraite en tant que condition en vue de bénéficier de certains avantages fiscaux liés aux contributions à un tel plan et aux prestations servies à partir de celui-ci semble dépourvue de lien avec l’imposition de cette même exigence en dehors de tout contexte fiscal en tant que condition en vue de bénéficier de la distraction, en principe intégrale et automatique, de la masse de la faillite prévue à l’article 11 de la WRPA 1999, en particulier si, comme c’est le cas dans la situation en cause au principal, le failli ne réclame aucun de ces avantages fiscaux.

120    En d’autres termes, si, dans le contexte de la fiscalité, une exigence d’agrément d’un régime de pension est susceptible de se justifier afin de pouvoir limiter et contrôler les avantages fiscaux y afférant, une telle logique pourrait faire défaut lorsqu’une telle exigence est imposée dans le contexte spécifique de l’insolvabilité, en particulier, au regard des règles déterminant les biens qui font l’objet du dessaisissement.

121    En outre, si, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, le but de cette exigence d’agrément à des fins fiscales était de garantir que le régime de pension dont le failli tire des droits est un régime qui fait l’objet d’une certaine publicité, de telle sorte que ces droits ne soient pas abusivement soustraits aux créanciers du failli, ladite disposition irait au-delà de ce qui est nécessaire s’il était confirmé que, comme le soutient la Commission, le droit du Royaume-Uni portant sur l’insolvabilité prévoit que, lors de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, le failli est tenu de déclarer auprès des curateurs tous ses actifs y compris les droits à pension qu’il pourrait tirer d’un régime de pension étranger.

122    Par ailleurs, si, comme le soutiennent les curateurs, l’imposition d’une obligation d’agrément au Royaume-Uni préalablement à la faillite d’un plan d’épargne retraite étranger déjà agréé dans un État membre avait comme finalité de permettre aux autorités fiscales britanniques de vérifier si le régime de pension en cause est bien un plan d’épargne retraite étranger qui a effectivement été agréé, une telle obligation serait susceptible d’aller au-delà de ce qui est nécessaire. En effet, si, comme c’est le cas dans la situation en cause au principal, les autorités fiscales de l’État membre dans lequel le plan d’épargne retraite a été établi confirment par écrit et de manière univoque que ce plan a bien été agréé conformément à la législation fiscale de cet État membre, l’imposition d’un contrôle visant à assurer que cet agrément a bien eu lieu serait superflu et apparaîtrait disproportionné dès lors également que les autorités fiscales des États membres sont tenues par un devoir de confiance mutuelle.

123    Enfin, la restriction que comporte l’article 11 de la WRPA 1999 apparaît également disproportionnée si, ce qu’il incombe également à la juridiction de vérifier, la condition d’agrément fiscal doit impérativement être remplie au plus tard au moment de la déclaration de la faillite, excluant ainsi que le failli demande l’agréation du plan d’épargne retraite étranger en cause après cette date afin de pouvoir bénéficier de la distraction de la masse de la faillite des droits tirés de ce plan que prévoit cette disposition.

124    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition du droit d’un État membre qui subordonne la distraction, en principe intégrale et automatique, de la masse de la faillite de droits à pension tirés d’un plan d’épargne retraite à l’exigence que, au moment de la faillite, le plan concerné ait été agréé à des fins fiscales dans cet État, lorsque cette exigence est imposée dans une situation dans laquelle un citoyen de l’Union ayant, antérieurement à sa faillite, exercé son droit de libre circulation en s’installant, de manière permanente, dans ce même État, aux fins d’y exercer une activité économique non salariée, tire des droits à pension d’un plan d’épargne retraite constitué et agréé à des fins fiscales dans son État membre d’origine, sauf si la restriction à la liberté d’établissement que comporte ladite disposition nationale est justifiée dès lors qu’elle répond à une raison impérieuse d’intérêt général, est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

 Sur les dépens

125    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition du droit d’un État membre qui subordonne la distraction, en principe intégrale et automatique, de la masse de la faillite de droits à pension tirés d’un plan d’épargne retraite à l’exigence que, au moment de la faillite, le plan concerné ait été agréé à des fins fiscales dans cet État, lorsque cette exigence est imposée dans une situation dans laquelle un citoyen de l’Union ayant, antérieurement à sa faillite, exercé son droit de libre circulation en s’installant, de manière permanente, dans ce même État, aux fins d’y exercer une activité économique non salariée, tire des droits à pension d’un plan d’épargne retraite constitué et agréé à des fins fiscales dans son État membre d’origine, sauf si la restriction à la liberté d’établissement que comporte ladite disposition nationale est justifiée dès lors qu’elle répond à une raison impérieuse d’intérêt général, est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.