Language of document : ECLI:EU:T:2012:398

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

4 septembre 2012 (*)

« Référé – Marchés publics – Procédure d’appel d’offres – Rejet d’une offre – Demande de sursis à exécution – Méconnaissance des exigences de forme – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑213/12 R,

Elitaliana SpA, établie à Rome (Italie), représentée par Me R. Colagrande, avocat,

partie requérante,

contre

Eulex Kosovo, établie à Pristina (République du Kosovo), représentée par Me G. Brosadola Pontotti, solicitor,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande visant, en substance, au sursis à l’exécution de la décision d’Eulex Kosovo rejetant l’offre que la requérante avait présentée dans le cadre de la procédure d’attribution d’un marché public intitulé « EuropeAid/131516/D/SER/XK – Soutien par hélicoptère à la mission Eulex au Kosovo (PROC/272/11) » et portant adjudication de ce marché à un autre soumissionnaire,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Procédure et conclusions des parties

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 mai 2012, la requérante, Elitaliana SpA, a introduit un recours visant, d’une part, à l’annulation de la décision d’Eulex Kosovo rejetant l’offre que la requérante avait présentée dans le cadre de la procédure d’attribution d’un marché public intitulé « EuropeAid/131516/D/SER/XK – Soutien par hélicoptère à la mission Eulex au Kosovo (PROC/272/11) » et portant adjudication de ce marché à un autre soumissionnaire (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, à la condamnation d’Eulex Kosovo à la réparation du dommage subi, soit en nature, soit par équivalent à hauteur de 911 080 euros (élaboration de l’offre et manque à gagner). Elle reproche, notamment, à Eulex Kosovo d’avoir violé l’avis de marché en retenant l’offre d’un concurrent qui ne répondait pas aux exigences techniques prévues par ledit avis.

2        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal d’ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée et, en conséquence, d’interdire à Eulex Kosovo de procéder à la conclusion du marché en cause ou, si celle-ci a déjà eu lieu, de commencer l’exécution du marché et d’adopter toute autre mesure conservatoire jugée plus appropriée.

3        Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 25 juillet 2012, Eulex Kosovo conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal de rejeter la demande en référé.

 En droit

4        Il ressort d’une lecture combinée de l’article 278 TFUE et de l’article 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

5        En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit (fumus boni juris) justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent.

6        Or, le non-respect du règlement de procédure constitue une fin de non-recevoir d’ordre public, de sorte qu’il appartient au juge des référés d’examiner d’office, in limine litis, si les dispositions applicables de ce règlement ont été respectées (ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 43, et du 2 août 2006, BA.LA. di Lanciotti Vittorio e.a./Commission, T‑163/06 R, non publiée au Recueil, point 35).

7        Eu égard au libellé de la présente demande en référé, il y a lieu d’examiner si cette dernière est conforme à l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure et peut, dès lors, être considérée comme recevable. Il convient de vérifier, notamment, si elle contient un exposé suffisamment précis des éléments permettant l’examen de la condition relative à l’urgence.

8        À cet égard, il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé, énoncé à l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite des mesures provisoires. Il n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences de cette disposition d’alléguer seulement que l’exécution de l’acte dont le sursis à l’exécution est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure principale, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende la partie qui sollicite des mesures provisoires présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes permettant d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (ordonnance du président du Tribunal du 9 mars 2011, Castiglioni/Commission, T‑591/10 R, non publiée au Recueil, point 14, et la jurisprudence citée). La partie qui sollicite des mesures provisoires est ainsi tenue de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière (ordonnance du président du Tribunal du 30 septembre 2011, Elti/Délégation de l’Union européenne au Monténégro, T‑395/11 R, non publiée au Recueil, point 9, et la jurisprudence citée).

9        Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que cette image fidèle et globale de la situation financière doit être fournie dans le texte de la demande en référé. En effet, une telle demande doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé (ordonnance Elti/Délégation de l’Union européenne au Monténégro, précitée, point 10, et la jurisprudence citée).

10      En l’espèce, s’agissant de la condition relative à l’urgence, la requérante se borne à indiquer ce qui suit :

« [L]a conclusion imminente du marché en question et le début de son exécution pourraient rendre vains les effets de l’arrêt qui […] accueillera [le] recours [principal], étant donné les délais nécessaires et, donc, la disparition de l’effet utile […], ce qui constituerait une violation manifeste du principe général du droit à une protection juridictionnelle complète et effective, [principe qui] implique aussi [que puisse être assurée] la protection provisoire [des justiciables], si elle est nécessaire à la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par les juridictions communautaires ».

11      Force est de constater que, en se limitant à avancer de tels arguments génériques, relatifs à l’utilité inhérente à toute action préventive, qui est d’éviter la survenance d’un événement redouté, comme celui d’une perte de chance, la requérante s’abstient de fournir la moindre indication concrète relative à sa situation financière, susceptible de permettre au juge des référés d’apprécier le caractère grave et irréparable du préjudice allégué, alors que de telles indications sont indispensables à l’appréciation de l’urgence et auraient dû être présentées dans la demande en référé elle-même.

12      En effet, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, en matière de procédure d’appel d’offres, la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public est inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave. Par conséquent, c’est à la condition que l’entreprise qui sollicite des mesures provisoires ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres en cause que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de ladite entreprise (ordonnance Castiglioni/Commission, précitée, point 17, et la jurisprudence citée).

13      De plus, en ce qui concerne le préjudice financier prétendument causé par la perte du marché en cause, lequel a explicitement été chiffré à 911 080 euros, la requérante n’a produit aucun élément susceptible d’établir que ce préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une compensation financière ultérieure, étant entendu que, selon une jurisprudence bien établie, la seule possibilité de former un recours en indemnité au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE suffit à attester du caractère en principe réparable d’un tel préjudice. Or, de tels éléments auraient été d’autant plus nécessaires que la requérante a introduit un recours visant à obtenir la réparation du préjudice financier causé par la décision attaquée (voir point 1 ci-dessus) et que, selon une jurisprudence bien établie, il n’y a pas lieu de tenir compte de l’incertitude du succès d’un tel recours en indemnité (voir, en ce sens, ordonnance Elti/Délégation de l’Union européenne au Monténégro, précitée, point 12, et la jurisprudence citée).

14      Au demeurant, pour autant que la demande en référé puisse être interprétée en ce sens que la requérante entend invoquer une atteinte à sa réputation sur le marché (« dommage à l’image »), il suffit de relever que la participation à une soumission publique, par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que le rejet de l’offre d’un soumissionnaire, en vertu des règles de passation de marchés publics, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une société a vu son offre illégalement rejetée dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, ledit rejet de son offre est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation (voir, en ce sens, ordonnance Elti/Délégation de l’Union européenne au Monténégro, précitée, point 16, et la jurisprudence citée).

15      Enfin, s’agissant du chef de conclusions invitant le juge des référés à ordonner toute mesure conservatoire jugée appropriée, force est de constater que cette demande revêt un caractère vague et imprécis, de sorte qu’elle ne remplit pas les conditions de l’article 44, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, auquel renvoie l’article 104, paragraphe 3, de ce même règlement. Par conséquent, ce chef de conclusions doit être déclaré manifestement irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 36, et la jurisprudence citée).

16      Il résulte de tout ce qui précède que la présente demande en référé doit être rejetée comme irrecevable en ce que l’exposé des motifs qu’elle contient n’est pas conforme aux exigences de l’article 104, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres questions de recevabilité soulevées en l’espèce.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 4 septembre 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’italien.