Language of document : ECLI:EU:C:2023:53

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 26 janvier 2023 (1)

Affaire C689/21

X

contre

Udlændinge- og Integrationsministeriet

[demande de décision préjudicielle formée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark)]

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Article 20 TFUE – Article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Nationalité d’un État membre et d’un État tiers – Perte de plein droit de la nationalité de l’État membre à l’âge de 22 ans pour défaut de lien effectif en l’absence de demande de maintien avant cette date – Perte de la citoyenneté de l’Union – Examen au titre du principe de proportionnalité des conséquences de la perte au regard du droit de l’Union »






I.      Introduction

1.        La réglementation nationale d’un État membre prévoit la perte de plein droit de la nationalité des ressortissants de cet État membre, sous certaines conditions, à l’âge de 22 ans pour défaut de lien effectif et en l’absence de demande de maintien de la nationalité avant cette date. Cela entraîne dès lors pour la personne concernée la perte de son statut de citoyenne de l’Union, sans que les autorités nationales effectuent un contrôle de proportionnalité, au regard du droit de l’Union, des conséquences qu’entraîne cette perte sur la situation de cette personne lorsque la demande est introduite après cet âge.

2.        La juridiction de renvoi souhaite être éclairée sur la question de savoir si une telle réglementation nationale est conforme à l’article 20 TFUE, lu en combinaison avec l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

3.        La présente affaire est le quatrième volet du chapitre relatif aux obligations des États membres en matière d’acquisition et de perte de la nationalité au regard du droit de l’Union, qui a été ouvert par l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Rottmann (2). La jurisprudence issue de cet arrêt a été confirmée par la Cour dans les arrêts Tjebbes e.a. (3) et Wiener Landesregierung (Révocation d’une assurance de naturalisation) (4). La présente affaire offre à la Cour l’occasion d’examiner une nouvelle fois les conditions de la perte de plein droit de la nationalité d’un État membre entraînant la perte du statut de citoyen de l’Union au regard des exigences découlant du droit de l’Union, telles qu’interprétées par la Cour dans l’arrêt Tjebbes e.a..

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        L’article 20, paragraphe 1, TFUE institue la citoyenneté de l’Union et dispose que « toute personne ayant la nationalité d’un État membre » est citoyenne de l’Union. Conformément à l’article 20, paragraphe 2, sous a), TFUE, les citoyens de l’Union ont le « droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ».

5.        Aux termes de l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

B.      Le droit danois

6.        L’article 8, paragraphe 1, de la Lov nr. 422 om dansk indfødsret, lovbekendtgørelse (loi sur la nationalité danoise, arrêté de codification no 422), du 7 juin 2004, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur la nationalité »), prévoit :

« La personne née à l’étranger, qui n’a jamais résidé sur le territoire national et n’y a pas non plus séjourné dans des conditions indiquant une cohésion avec le Danemark, perd sa nationalité danoise à l’âge de 22 ans, à moins qu’elle ne devienne apatride. Toutefois, le ministre des Réfugiés, des Migrants et de l’Intégration, ou la personne qu’il habilite à cet effet, peut, sur demande présentée avant cette date, autoriser le maintien de la nationalité. »

7.        La cirkulæreskrivelse nr. 10873 om naturalisation (circulaire sur la naturalisation no 10873), du 13 octobre 2015, a été modifiée par la circulaire no 9248, du 16 mars 2016 (ci-après la « circulaire sur la naturalisation »).

8.        Selon la circulaire sur la naturalisation, les anciens ressortissants danois qui ont perdu leur nationalité danoise en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité doivent, en principe, remplir les conditions générales d’acquisition de la nationalité danoise exigées par la loi. Cela signifie que les personnes qui remplissent les conditions prévues par cette circulaire en ce qui concerne les séjours, l’âge, la bonne conduite, les dettes envers les autorités publiques, l’autosuffisance, l’emploi, la connaissance de la langue danoise et la connaissance de la société, de la culture et de l’histoire danoises sont incluses dans le projet de loi du gouvernement danois sur l’octroi de la nationalité. Conformément à l’article 5, paragraphe 1, de cette circulaire, le demandeur doit résider sur le territoire national au moment de la demande de naturalisation. En vertu de l’article 7 de ladite circulaire, un séjour ininterrompu de neuf ans est exigé du demandeur.

9.        En application de l’article 13, lu en combinaison avec l’annexe 1, point 3, de la même circulaire, les exigences générales en matière de séjour peuvent être assouplies à l’égard des personnes qui possédaient auparavant la nationalité danoise ou qui sont d’origine danoise.

III. Les faits de l’affaire au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

10.      La requérante au principal, qui est née le 5 octobre 1992 aux États-Unis d’Amérique, possède, depuis sa naissance, les nationalités danoise et américaine et n’a jamais résidé au Danemark. Elle a deux frères et sœurs qui vivent aux États-Unis, l’un d’eux étant de nationalité danoise, et n’a aucun parent, frère ou sœur au Danemark.

11.      Le 17 novembre 2014, la requérante au principal a introduit auprès de l’Udlændinge- og Integrationsministeriet (ministère de l’Immigration et de l’Intégration) une demande de certificat de maintien de sa nationalité danoise après l’âge de 22 ans. Sur la base des informations contenues dans cette demande, ce ministère a considéré qu’elle avait séjourné au Danemark pendant une durée maximum de 44 semaines avant son 22e anniversaire. En outre, la requérante au principal a déclaré avoir séjourné au Danemark pendant 5 semaines après son 22e anniversaire et avoir fait partie de l’équipe nationale danoise féminine de basket-ball en 2015. Elle a également indiqué avoir séjourné environ 3 à 4 semaines en France au cours de l’année 2005. Rien n’indique toutefois qu’elle aurait séjourné hors de cela sur le territoire d’un autre État membre de l’Union.

12.      Par décision du 31 janvier 2017 (ci-après la « décision litigieuse »), le ministère de l’Immigration et de l’Intégration a informé la requérante au principal de la perte de sa nationalité danoise lorsqu’elle a atteint l’âge de 22 ans, conformément à l’article 8, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la nationalité, et qu’il n’était pas possible de recourir à la dérogation prévue à l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, de cette loi, dès lors que sa demande de maintien de la nationalité danoise avait été introduite après l’âge de 22 ans. Cette décision indique, notamment, que la requérante au principal a perdu sa nationalité danoise lorsqu’elle a atteint l’âge de 22 ans, dès lors qu’elle n’a jamais résidé au Danemark et n’y a pas non plus séjourné dans des conditions indiquant une cohésion avec cet État membre, la durée totale de l’ensemble des séjours qu’elle a passés sur le territoire national, avant l’âge de 22 ans, n’étant que de 44 semaines au maximum.

13.      Le 9 février 2018, la requérante au principal a saisi le Københavns byret (tribunal municipal de Copenhague, Danemark) d’une demande d’annulation de la décision litigieuse et de réexamen de l’affaire. Par ordonnance du 3 avril 2020, le litige a été renvoyé devant l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), qui a décidé d’examiner l’affaire en première instance.

14.      C’est dans ces circonstances que, par décision du 11 octobre 2021, parvenue à la Cour le 16 novembre 2021, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 20 TFUE, lu en combinaison avec l’article 7 de la [Charte], s’oppose-t-il à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que les personnes nées hors de cet État membre et qui n’y ont jamais résidé ou séjourné dans des circonstances indiquant une cohésion avec ledit État membre perdent ex lege la nationalité de cet État à l’âge de 22 ans, ce qui entraîne, pour les personnes qui ne sont pas ressortissantes d’un autre État membre, la perte de leur statut de citoyennes de l’Union et des droits qui y sont attachés, alors qu’il résulte du régime en cause au principal,

a)      que la cohésion avec l’État membre est notamment présumée exister en cas de séjour(s) d’une durée totale d’un an dans cet État membre,

b)      qu’il est possible, si une demande de maintien de la nationalité est introduite avant d’avoir atteint l’âge de 22 ans, d’être autorisé à conserver la nationalité de l’État membre dans des conditions plus souples, et que les autorités compétentes examinent à cet effet les conséquences de la perte de la nationalité, et

c)      que le recouvrement de la nationalité perdue après le vingt-deuxième anniversaire ne peut intervenir que par naturalisation assortie d’un certain nombre d’exigences, dont celle d’un séjour ininterrompu de longue durée dans l’État membre, étant entendu que l’exigence relative à la durée de séjour peut être quelque peu atténuée pour les anciens ressortissants de cet État membre ? »

15.      Des observations écrites ont été déposées par la requérante au principal, les gouvernements danois et français ainsi que par la Commission européenne. Les mêmes parties, à l’exception du gouvernement français, ont été représentées lors de l’audience qui s’est tenue le 4 octobre 2022 et ont répondu aux questions pour réponse orale que leur avait adressées la Cour.

IV.    Analyse juridique

16.      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 20 TFUE, lu à la lumière de l’article 7 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’un État membre qui prévoit, sous certaines conditions, la perte de plein droit de la nationalité de cet État membre à l’âge de 22 ans pour défaut de lien effectif en l’absence de demande de maintien de la nationalité avant cet âge, celle-ci entraînant, s’agissant des personnes n’ayant pas également la nationalité d’un autre État membre, la perte de leur statut de citoyennes de l’Union et des droits qui y sont attachés, sans qu’il soit procédé, lorsque cette demande de maintien de la nationalité est effectuée après l’âge de 22 ans, à un examen individuel, au regard du principe de proportionnalité, des conséquences d’une telle perte sur leur situation au regard du droit de l’Union.

17.      Les doutes de la juridiction de renvoi, qui portent sur la conformité avec l’article 20 TFUE, lu en combinaison avec l’article 7 de la Charte, du régime de perte de la nationalité danoise, prévu à l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité, qui intervient à l’âge de 22 ans, tiennent, d’une part, au fait que la perte de cette nationalité et, partant, du statut de citoyen de l’Union est automatique et que cette disposition ne prévoit pas d’exception et, d’autre part, à la difficulté de recouvrer la nationalité par naturalisation après cet âge.

18.      Dans mon analyse, j’indiquerai, tout d’abord, les aspects liés au litige au principal que j’estime pertinents pour l’affaire devant la Cour (titre A). J’exposerai, ensuite, le fil conducteur qui se dégage de la jurisprudence de la Cour relative à la perte du statut de citoyen de l’Union et, notamment, de l’arrêt Tjebbes e.a., au regard duquel la juridiction de renvoi a exposé ses doutes en ce qui concerne la conformité du régime de perte de la nationalité danoise avec le droit de l’Union (titre B). Enfin, j’analyserai la question préjudicielle à la lumière de cette jurisprudence en me concentrant, d’une part, sur l’examen de la légitimité de l’objectif d’intérêt général poursuivi par la perte de la nationalité danoise prévue par la réglementation en cause et, d’autre part, sur le contrôle de la proportionnalité de cette perte, entraînant celle du statut de citoyen de l’Union, au regard du droit de l’Union (titre C).

A.      Sur les aspects du litige au principal pertinents pour l’affaire devant la Cour

1.      Sur les particularités du régime danois de perte de la nationalité en cause dans le litige au principal

19.      Il ressort du cadre juridique exposé par la juridiction de renvoi que le régime de perte de plein droit de la nationalité danoise est établi, d’une part, par l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité et la pratique administrative du ministère de l’Immigration et de l’Intégration relative à l’application de cette disposition (5) et, d’autre part, par la circulaire sur la naturalisation, qui fixe les conditions exigées pour le recouvrement de la nationalité des anciens ressortissants danois qui ont perdu leur nationalité danoise en vertu de ladite disposition.

20.      Premièrement, s’agissant de la loi sur la nationalité, je rappelle que l’article 8, paragraphe 1, première phrase, de celle-ci prévoit la perte de plein droit de la nationalité danoise à l’âge de 22 ans pour tout ressortissant danois « [né] à l’étranger, qui n’a jamais résidé [au Danemark] et n’y a pas non plus séjourné dans des conditions indiquant une cohésion avec le Danemark, [...] à moins qu[’il] ne devienne apatride » (6). L’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, de cette loi prévoit toutefois une dérogation à cette règle, à savoir que de tels ressortissants peuvent, avant d’avoir atteint l’âge de 22 ans, présenter une demande de maintien de leur nationalité danoise au ministère de l’Immigration et de l’Intégration.

21.      Deuxièmement, s’agissant de la pratique administrative du ministère de l’Immigration et de l’Intégration relative  à l’application de l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité, la juridiction de renvoi expose les éléments suivants.

22.      Tout d’abord, concernant la règle prévue à l’article 8, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la nationalité, cette juridiction indique, s’agissant du critère de séjour en cause dans la présente affaire, qu’une distinction est opérée selon que la durée du séjour au Danemark, avant l’âge de 22 ans, a été d’au moins un an ou de moins d’un an. Dans le premier cas, le ministère de l’Immigration et de l’Intégration reconnaît l’existence d’une « cohésion suffisante » avec le Danemark pour le maintien de la nationalité danoise. Dans le second cas, les exigences relatives à la cohésion qui découlent de cette pratique administrative sont toutefois plus strictes (7). En effet, le demandeur doit justifier que les séjours d’une durée de moins d’un an sont néanmoins l’expression d’une « cohésion particulière avec le Danemark ». À cet égard, la juridiction de renvoi précise que, selon les travaux préparatoires de la loi sur la nationalité (8), de tels séjours peuvent concerner des périodes de service militaire, d’études supérieures, de formation ou de vacances récurrentes d’une certaine durée.

23.      En ce qui concerne, ensuite, la dérogation prévue à l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, de la loi sur la nationalité, la juridiction de renvoi explique que, selon la pratique administrative du ministère de l’Immigration et de l’Intégration, lorsque les conditions de résidence ou de séjour ne sont pas remplies, et si la demande a été introduite avant d’atteindre l’âge de 22 ans (9), l’accent est mis sur une série d’autres éléments, tels que la durée totale du séjour du demandeur au Danemark, le nombre de séjours dans cet État membre, le fait que les séjours ont été effectués peu avant l’âge de 22 ans ou qu’ils remontent à plusieurs années auparavant, ainsi que le fait que le demandeur parle couramment le danois et a, par ailleurs, un lien avec ledit État membre.

24.      Enfin, pour ce qui est des demandes de maintien de la nationalité, il ressort des indications de la juridiction de renvoi que le ministère de l’Immigration et de l’Intégration traite ces demandes en distinguant trois cas de figure, selon que, au moment de l’introduction de la demande, le demandeur a moins de 21 ans, entre 21 et 22 ans, ou plus de 22 ans. Si le demandeur a moins de 21 ans, ce ministère ne fait que délivrer un certificat de nationalité au demandeur sous réserve de la perte de la nationalité danoise en vertu de l’article 8 de la loi sur la nationalité, ce qui, selon cette juridiction, signifie que ledit ministère prend position non pas sur le point de savoir si le demandeur conserve la nationalité danoise mais uniquement sur celui de savoir s’il possède cette nationalité. Ladite juridiction indique que cela tient au fait que, selon la pratique du même ministère, l’appréciation du maintien de la nationalité doit intervenir le plus près possible de l’âge de 22 ans.

25.      La juridiction de renvoi précise, en outre, que, si cette pratique administrative danoise a continué à s’appliquer en dépit du prononcé de l’arrêt Tjebbes e.a., rendu après la décision au principal, l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité a toutefois été modifié. Elle indique que cette modification implique que le ministère de l’Immigration et de l’Intégration doit désormais, en cas de demande de maintien de la nationalité introduite avant l’âge de 22 ans, prendre en considération un certain nombre d’éléments supplémentaires afin de procéder à un examen individuel des effets, au regard du droit de l’Union, de la perte de la nationalité danoise et, partant, de la citoyenneté de l’Union. À cet égard, ce ministère serait tenu d’apprécier si ces effets sont proportionnés à l’objectif de la réglementation en cause au principal, à savoir l’existence d’un lien effectif entre les ressortissants danois et le Danemark.

26.      Troisièmement, s’agissant de la circulaire sur la naturalisation, la juridiction de renvoi explique que les anciens ressortissants danois ayant perdu la nationalité danoise en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité ont la possibilité de demander la nationalité danoise par voie de naturalisation et que, dans ce cas, ils doivent, en principe, remplir une série de conditions générales d’acquisition de la nationalité danoise prévues par cette loi (10). Toutefois, ces conditions peuvent être assouplies à l’égard de tels ressortissants en ce qui concerne la durée de séjour ininterrompu de neuf ans exigée au Danemark (11). Il ressort néanmoins des indications fournies par cette juridiction que cet assouplissement, d’une part, a un champ d’application très limité et, d’autre part, ne change rien au fait que, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de cette circulaire, le demandeur doit résider sur le territoire national au moment de la demande (12).

2.      Sur la situation de la requérante au principal

27.      En ce qui concerne la situation de la requérante au principal, la juridiction de renvoi expose les constats factuels suivants : elle a la double nationalité danoise et américaine ; elle est née aux États-Unis et n’a jamais résidé au Danemark ; elle a néanmoins séjourné dans cet État membre pendant 44 semaines avant l’âge de 22 ans et pendant 5 semaines après cet âge ; elle a introduit, auprès du ministère de l’Immigration et de l’Intégration, une demande de maintien de la nationalité 43 jours après avoir atteint 22 ans ; elle a été informée, par la décision litigieuse, d’une part, de la perte de plein droit de sa nationalité danoise lorsqu’elle a atteint l’âge de 22 ans pour défaut de lien effectif en l’absence de demande de maintien de la nationalité avant cette date, conformément à l’article 8, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la nationalité, et, d’autre part, qu’elle ne bénéficiait pas de la dérogation prévue à l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, de cette loi, sa demande ayant été introduite après qu’elle a eu atteint l’âge de 22 ans.

B.      Sur le fil conducteur qui se dégage de la jurisprudence de la Cour relative à la perte du statut de citoyen de l’Union

28.      Dans les développements qui suivent, j’exposerai la jurisprudence de la Cour relative à la perte du statut de citoyen de l’Union et les éléments importants de son évolution pour l’analyse de la présente affaire.

1.      L’arrêt Rottmann : la consécration du principe du contrôle juridictionnel opéré au regard du droit de l’Union

29.      Dans son arrêt Rottmann (13), qui concernait l’examen d’une décision de retrait de la naturalisation adoptée par les autorités allemandes, la Cour a, tout d’abord, confirmé le principe, consacré dans les années 90 (14), selon lequel la compétence des États membres en matière d’acquisition et de perte de la nationalité doit être exercée dans le respect du droit de l’Union (15). Elle a ensuite clarifié la portée de ce principe en précisant que « le fait qu’une matière ressorte de la compétence des États membres n’empêche pas que, dans des situations relevant du droit de l’Union, les règles nationales concernées doivent respecter ce dernier » (16). Elle a ainsi considéré que, compte tenu du caractère fondamental du statut de citoyen de l’Union conféré par l’article 20 TFUE, la situation d’un citoyen de l’Union qui est confronté à une décision de retrait de la naturalisation adoptée par les autorités d’un État membre, le plaçant, après qu’il a perdu la nationalité d’un autre État membre qu’il possédait à l’origine, dans une situation susceptible d’entraîner la perte dudit statut et des droits qui y sont attachés, relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l’Union (17).

30.      La Cour a également consacré le principe selon lequel, lorsqu’il s’agit de citoyens de l’Union, l’exercice de cette compétence, dans la mesure où il affecte les droits conférés et protégés par l’ordre juridique de l’Union, comme c’est notamment le cas pour une décision de retrait de la naturalisation, est susceptible d’un contrôle juridictionnel opéré au regard du droit de l’Union (18). Ainsi, après avoir conclu à la légitimité, dans son principe, d’une décision de retrait de la naturalisation fondée sur des manœuvres frauduleuses (19), elle a déclaré qu’une telle décision est toutefois susceptible d’un examen de la proportionnalité pour « tenir compte des conséquences éventuelles que cette décision emporte pour l’intéressé et, le cas échéant, pour les membres de sa famille en ce qui concerne la perte des droits dont jouit tout citoyen de l’Union » (20).

31.      La Cour a enfin jugé que l’article 20 TFUE ne s’oppose pas à ce qu’un État membre retire à un citoyen de l’Union la nationalité de cet État membre acquise par naturalisation lorsque celle-ci a été obtenue de manière frauduleuse à condition que cette décision de retrait respecte le principe de proportionnalité (21).

32.      Cette jurisprudence a été confirmée et complétée sur quelques points par deux arrêts ultérieurs de la Cour.

2.      L’arrêt Tjebbes e.a. : l’importance de l’examen individuel des conséquences de la perte du statut de citoyen de l’Union dans le cadre du contrôle de proportionnalité

33.      Dans l’arrêt Tjebbes e.a., qui concernait l’examen au regard du droit de l’Union d’une condition générale de perte de plein droit de la nationalité néerlandaise (22) et, partant, du statut de citoyen de l’Union des intéressées (23), le point de départ du raisonnement de la Cour est la confirmation du principe énoncé dans la jurisprudence antérieure (24). Ainsi, en se fondant sur les points 42 et 45 de l’arrêt Rottmann, la Cour a affirmé que la situation des citoyens de l’Union qui ne possèdent la nationalité que d’un seul État membre et qui, par la perte de cette nationalité, sont confrontés à la perte du statut de citoyens de l’Union, conféré par l’article 20 TFUE, ainsi que des droits y attachés relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l’Union et que les États membres doivent donc, dans l’exercice de leur compétence en matière de nationalité, respecter le droit de l’Union (25).

34.      Plus précisément, dans un premier temps, en rappelant notamment que, dans l’exercice de sa compétence lui permettant de définir les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité, il est légitime pour un État membre de considérer que la nationalité traduit la manifestation d’un lien effectif entre lui-même et ses ressortissants et d’attacher en conséquence à l’absence ou à la cessation d’un tel lien effectif la perte de sa nationalité (26), la Cour a affirmé que le droit de l’Union ne s’oppose pas, par principe, à ce que, dans des situations telles que celles visées dans la réglementation nationale concernée, un État membre prévoie, pour des motifs d’intérêt général, la perte de sa nationalité, quand bien même cette perte entraîne, pour la personne concernée, celle de son statut de citoyen de l’Union (27).

35.      Toutefois, dans un second temps, en relevant l’importance du respect du principe de proportionnalité par les autorités compétentes et les juridictions nationales dans ces situations, la Cour a déclaré que la perte de plein droit de la nationalité d’un État membre serait incompatible avec ce principe si les règles nationales pertinentes ne permettaient, à aucun moment, un examen individuel des conséquences que comporte cette perte pour les personnes concernées au regard du droit de l’Union (28).

36.      Il s’ensuit, selon la Cour, que, dans une situation où la perte de la nationalité d’un État membre intervient de plein droit et entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union, les autorités et les juridictions nationales compétentes doivent être en mesure d’examiner, de manière incidente, les conséquences de cette perte de nationalité et, le cas échéant, de faire recouvrer ex tunc la nationalité à la personne concernée, à l’occasion de la demande, par celle-ci, d’un document de voyage ou de tout autre document attestant de sa nationalité (29). La Cour a encore ajouté que cet examen de proportionnalité impose aux autorités nationales et aux juridictions nationales de s’assurer qu’une telle perte de nationalité est conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte, dont elle assure le respect et, tout particulièrement, au droit au respect de la vie familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la Charte (30).

37.      La jurisprudence issue des arrêts Rottmann et Tjebbes e.a. a été confirmée par l’arrêt Wiener Landesregierung, dans lequel la Cour a conclu clairement à l’absence de compatibilité avec le principe de proportionnalité de la décision en cause dans cette dernière affaire.

3.      L’arrêt Wiener Landesregierung : incompatibilité avec le principe de proportionnalité de la décision litigieuse en cause dans cette affaire

38.      Je me permets de renvoyer aux considérations que j’ai formulées dans mes conclusions dans l’affaire Wiener Landesregierung (31) et je me limiterai à présenter ici, par souci de clarté, un bref rappel des éléments utiles de l’arrêt Wiener Landesregierung pour l’analyse des questions posées par la juridiction de renvoi dans le cadre de la présente affaire.

39.      Dans cette affaire, une juridiction autrichienne souhaitait savoir si la situation d’une personne qui, n’ayant la nationalité que d’un seul État membre, renonce à cette nationalité et perd, de ce fait, son statut de citoyenne de l’Union, en vue d’obtenir la nationalité autrichienne, à la suite de l’assurance donnée par les autorités autrichiennes que cette nationalité lui serait octroyée, relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l’Union lorsque cette assurance est révoquée, avec pour effet d’empêcher cette personne de recouvrer le statut de citoyenne de l’Union. La Cour a répondu par l’affirmative à cette question, confirmant ainsi l’applicabilité du droit de l’Union à une telle situation (32).

40.      La juridiction autrichienne cherchait également à savoir si les autorités compétentes et, le cas échéant, les juridictions nationales de l’État membre d’accueil sont tenues de vérifier si la décision de révoquer l’assurance portant sur l’octroi de la nationalité de cet État membre, qui rend définitive la perte du statut de citoyen de l’Union pour la personne concernée, est compatible avec le principe de proportionnalité au regard des conséquences qu’elle emporte sur la situation de cette personne. La Cour a également répondu par l’affirmative à cette question en confirmant l’obligation des juridictions nationales de l’État membre d’accueil de vérifier la compatibilité de la décision nationale en cause avec le principe de proportionnalité (33).

41.      Je souhaite attirer l’attention sur certains éléments de cet arrêt.

42.      En premier lieu, la Cour a relevé l’importance de l’appréciation de la situation individuelle de la personne concernée ainsi que, le cas échéant, de celle de sa famille dans le cadre de l’examen du respect du principe de proportionnalité consacré par le droit de l’Union (34). À cet égard, elle a notamment réitéré sa jurisprudence constante selon laquelle il incombe aux autorités compétentes et, le cas échéant, aux juridictions nationales de s’assurer que la décision nationale concernée est conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte et, tout particulièrement, au droit au respect de la vie familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de celle-ci (35).

43.      En second lieu, après avoir examiné les motifs de justification de la décision nationale entraînant la perte du statut de citoyen de l’Union avancés par le gouvernement autrichien (36), la Cour a considéré que, au regard des conséquences importantes sur la situation de la personne concernée et, en particulier, sur le développement normal de sa vie familiale et professionnelle que comportait la décision de révoquer l’assurance portant sur l’octroi de la nationalité autrichienne, laquelle avait pour effet de rendre définitive la perte du statut de citoyen de l’Union, cette décision n’apparaissait pas proportionnée à la gravité des infractions commises par cette personne (37). Par conséquent, elle a jugé que « [l’]exigence de compatibilité avec le principe de proportionnalité n’est pas satisfaite lorsqu’une telle décision est motivée par des infractions administratives au code de la route, qui, selon le droit national applicable, entraînent une simple sanction pécuniaire ». Autrement dit, la Cour a, pour la première fois dans le cadre de cette jurisprudence, fermement considéré qu’une telle décision nationale n’est pas conforme au principe de proportionnalité du droit de l’Union (38).

4.      Les principes jurisprudentiels relatifs à l’analyse des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité au regard du droit de l’Union

44.      Le fil conducteur qui se dégage de la jurisprudence de la Cour relative à la perte du statut de citoyen de l’Union est constitué essentiellement de deux principes jurisprudentiels.

45.      Le premier principe est celui selon lequel la compétence des États membres en matière d’acquisition et de perte de la nationalité doit être exercée dans le respect du droit de l’Union. Comprendre ce principe présuppose de bien saisir la distinction entre cette compétence exclusive et son exercice dans le respect de l’ordre juridique de l’Union. À cet égard, je tiens à relever que cette compétence des États membres n’a jamais été remise en cause par la Cour. Comme l’a écrit l’avocat général Poiares Maduro, « ce n’est pas que l’acquisition et la perte de la nationalité (et, partant, de la citoyenneté de l’Union) sont en soi régies par le droit [de l’Union], mais les conditions de l’acquisition et de la perte de la nationalité doivent être compatibles avec les règles [du droit de l’Union] et respecter les droits du citoyen européen » (39). Par conséquent, il ne s’agit ni de déduire de ce principe l’impossibilité absolue de retirer la nationalité au cas où la perte de celle-ci entraînerait la perte du statut de citoyen de l’Union, ni de considérer que les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité échappent au contrôle du droit de l’Union (40). En effet, le statut de citoyen de l’Union ne saurait être privé de son effet utile et, partant, les droits qu’il confère ne sauraient être violés par l’adoption d’une réglementation nationale qui ne respecterait pas le droit de l’Union et, en particulier, les principes issus de la jurisprudence de la Cour, tels qu’ils ont été rappelés ci-dessus (41).

46.      Le second principe est celui selon lequel le contrôle juridictionnel est opéré au regard du droit de l’Union et, en particulier, au regard du principe de proportionnalité. Dans le contexte du respect du principe de proportionnalité, plusieurs éléments sont à retenir : tout d’abord, l’examen individuel des conséquences de la perte du statut de citoyen de l’Union pour la personne concernée et pour les membres de sa famille en ce qui concerne la perte des droits dont jouit tout citoyen de l’Union ; ensuite, l’exigence de conformité de ces conséquences aux droits fondamentaux garantis par la Charte et, enfin, le cas échéant, l’obligation de faire recouvrer ex tunc la nationalité à la personne concernée. Ces éléments sont essentiels au contrôle juridictionnel opéré au regard du droit de l’Union, et l’examen de la proportionnalité de la perte de la nationalité entraînant la perte du statut de citoyen de l’Union exigé par la Cour doit être effectué de manière complète et minutieuse par les autorités compétentes et les juridictions nationales.

47.      Par conséquent, il ne fait guère de doute que c’est à la lumière de ces principes que la perte de la nationalité, entraînant la perte du statut de citoyen de l’Union, prévue par la réglementation en cause au principal, doit être examinée.

C.      Sur l’application des principes jurisprudentiels à la présente affaire

48.      Je rappelle d’emblée que la requérante au principal a, conformément à l’article 8, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la nationalité, perdu ex lege sa nationalité danoise lorsqu’elle a atteint l’âge de 22 ans pour défaut de lien effectif avec le Danemark et, dès lors que sa demande de maintien de la nationalité danoise a été introduite après l’âge de 22 ans, n’a pas pu bénéficier de la dérogation prévue à l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, de cette loi.

49.      La requérante au principal se trouve donc confrontée à la perte de son statut de citoyenne de l’Union, lequel, selon une jurisprudence constante, a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des État membres (42).

50.      Eu égard au cadre jurisprudentiel exposé plus haut (43) et, en particulier, à l’arrêt Tjebbes e.a., il est clair que la situation d’un citoyen de l’Union qui ne possède la nationalité que d’un seul État membre et qui est confronté à la perte du statut conféré par l’article 20 TFUE ainsi que des droits y attachés relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l’Union (44). Il s’ensuit, dès lors que la situation de la requérante au principal entre dans le champ d’application du droit de l’Union, que le Royaume de Danemark doit, dans l’exercice de sa compétence en matière de nationalité, respecter ce droit et que cette situation doit être soumise à un contrôle au regard de ce droit (45).

51.      Au regard de ce constat se pose la question de savoir si la perte de plein droit de la nationalité prévue à l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité danoise est conforme au droit de l’Union. Je rappelle que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, pour que la perte de la nationalité prévue par une réglementation nationale soit conforme à ce droit, elle doit correspondre à un motif d’intérêt général, ce qui implique qu’elle est apte à atteindre l’objectif poursuivi et que la perte de la nationalité que cette réglementation entraîne n’est pas un acte arbitraire (46).

52.      La requérante au principal fait valoir que si la perte automatique et sans exception de la nationalité prévue à l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité poursuit un but licite et un objectif de maintien d’un lien effectif et de sauvegarde du rapport particulier de solidarité et de loyauté entre l’État membre et ses citoyens, elle n’est toutefois pas apte à garantir cet objectif. En outre, la perte automatique prévue par cette disposition ne serait pas proportionnée et serait donc contraire à l’article 20 TFUE, lu en combinaison avec l’article 7 de la Charte.

53.      En revanche, le gouvernement danois soutient, dans ses observations écrites, que l’examen de la légalité et de la proportionnalité de l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité à l’égard des personnes ayant atteint l’âge de 22 ans au moment de la demande de maintien de la nationalité doit reposer sur une appréciation globale du régime danois de la perte et du recouvrement de la nationalité. La proportionnalité de la perte ex lege de la nationalité danoise pour les personnes ayant atteint l’âge de 22 ans devrait également être appréciée à la lumière des règles de conservation de la nationalité jusqu’à cet âge, lesquelles sont, dans leur ensemble, très indulgentes. Par ailleurs, ce gouvernement considère que la légalité et la proportionnalité des règles relatives à la perte de la nationalité danoise sont étayées par le fait qu’il peut autoriser, sur la base d’une appréciation au cas par cas, le maintien de la nationalité lorsque la demande est introduite avant l’âge de 22 ans.

54.      J’examinerai donc, à la lumière de la jurisprudence exposée, si la réglementation nationale en cause, prévoyant la perte de la nationalité danoise et entraînant la perte du statut de citoyenne de l’Union de la requérante au principal, poursuit un motif légitime et est apte à atteindre l’objectif poursuivi et si le régime de perte de la nationalité danoise respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences que celle-ci implique sur la situation de la requérante au principal.

1.      Sur l’examen de la légitimité du motif d’intérêt général poursuivi par le régime de perte de la nationalité danoise

55.      En premier lieu, je rappelle que la Cour a déjà jugé qu’il est légitime pour un État membre de vouloir protéger le rapport particulier de solidarité et de loyauté entre lui-même et ses ressortissants ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs, qui sont le fondement du lien de nationalité (47). Selon elle, il est donc légitime pour un État membre, dans l’exercice de sa compétence lui permettant de définir les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité, de considérer que la nationalité traduit la manifestation d’un lien effectif entre lui-même et ses ressortissants, et d’attacher en conséquence à l’absence ou à la cessation d’un tel lien effectif la perte de sa nationalité (48).

56.      En second lieu, je rappelle également que la Cour a déjà eu l’occasion de préciser, dans l’arrêt Tjebbes e.a., qu’un critère fondé sur la résidence habituelle des ressortissants de cet État membre pendant une période suffisamment longue « en dehors de [l’]État membre [concerné] et des territoires auxquels le traité UE est applicable » peut être considéré comme un facteur reflétant l’absence de ce lien effectif (49).

57.      En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité vise à empêcher la transmission de la nationalité danoise pendant des générations à des personnes qui n’ont pas ou plus de lien effectif avec le Danemark. Selon le gouvernement danois, le législateur danois aurait estimé que les personnes nées à l’étranger et n’ayant pas vécu au Danemark ou résidé de manière significative dans cet État membre perdent progressivement leur loyauté, leur solidarité et leur lien avec cet État membre au fur et à mesure qu’elles grandissent (50).

58.      Dans ces conditions, je suis d’avis que, comme le font valoir les gouvernements danois et français ainsi que la Commission, il est, en principe, légitime, pour un État membre, de considérer que les personnes nées à l’étranger et n’ayant pas résidé ou séjourné dans cet État membre de manière à démontrer un lien effectif avec celui-ci peuvent perdre progressivement leur relation de loyauté et de solidarité ainsi que leur lien avec ledit État membre. À cet égard, je relève que l’article 7, paragraphe 1, sous e), de la convention européenne sur la nationalité prévoit que la nationalité peut être perdue de plein droit en l’absence de tout lien effectif entre l’État et un ressortissant qui réside habituellement à l’étranger (51).

59.      Par conséquent, il me semble, en principe, légitime pour un État membre, d’une part, de décider que des critères tels que le séjour sur son territoire pour des périodes dont la durée cumulée s’élève à moins d’un an n’indiquent pas un lien effectif avec cet État membre et, d’autre part, de pouvoir établir un âge, comme en l’espèce l’âge de 22 ans, afin d’examiner si les conditions de perte de la nationalité sont remplies.

60.      Cela étant dit, il me faut mentionner, par souci d’exhaustivité, une question importante, soulevée par la Commission dans ses observations écrites et débattue lors de l’audience à la suite d’une question de la Cour, qui dépasse le problème auquel la juridiction de renvoi est confrontée. Il s’agit de celle de savoir si un critère de perte de la nationalité qui repose sur le fait qu’un ressortissant danois réside en dehors du Danemark et qui ne fait pas de distinction entre une résidence au sein de l’Union et une résidence dans un État tiers peut être considéré comme un critère légitime au regard du droit de l’Union, lorsque cette perte entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union (52).

61.      En effet, l’application d’un tel critère de résidence aurait pour conséquence, ainsi que l’a souligné à juste titre la Commission dans ses observations écrites et orales, qu’une personne, ressortissante danoise et ayant la nationalité d’un État tiers, née dans un autre État membre, de mère ou de père danois ayant exercé leur droit à la libre circulation en vertu de l’article 21 TFUE, perde ainsi sa nationalité danoise de plein droit et, donc, son statut de citoyenne de l’Union, si, lorsqu’elle atteint l’âge de 22 ans, elle remplit les conditions cumulatives prévues à l’article 8, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la nationalité et qu’elle ne bénéficie pas de la dérogation prévue à l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, de cette loi. Autrement dit, l’exercice des droits attachés au statut de citoyens de l’Union de ses parents conduirait, paradoxalement, à ce que cette personne perde la totalité des droits attachés à son statut de citoyenne de l’Union (53). En outre, cette perte aurait lieu, également, lorsque cette personne, née dans un autre État membre, fait usage, entre l’âge de 18 et de 22 ans, de son droit de libre circulation et de séjour, notamment, pour travailler ou séjourner dans un autre État membre (54).

62.      À cet égard, même si je partage les doutes de la Commission sur la légitimité d’un tel critère de résidence et sur son impact général sur la libre circulation des citoyens au sein de l’Union, je ne crois pas que, dans la présente affaire, une analyse spécifique et approfondie centrée sur cet élément soit nécessaire pour répondre à la question posée par la juridiction de renvoi. En effet, il ressort de la décision de renvoi que, à l’exception d’un séjour de 3 ou 4 semaines en France (55), la requérante au principal n’a pas séjourné dans un autre État membre que le Danemark et a toujours résidé aux États-Unis. Je formulerai néanmoins les remarques suivantes pour le cas où la Cour serait d’un avis différent.

63.      Tout d’abord, je rappelle que le problème exposé dans les points précédents ne se posait pas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Tjebbes e.a. étant donné que le critère fondé sur la résidence prévu par la réglementation néerlandaise litigieuse dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ne distinguait pas entre une résidence aux Pays-Bas et une résidence dans un autre État membre (56). Ainsi, s’il est certes vrai que, dans cet arrêt, la Cour a considéré un tel critère comme reflétant l’absence de lien effectif, elle a néanmoins pris soin de spécifier qu’il s’agissait d’une résidence « en dehors de [l’]État membre [concerné] et des territoires auxquels le traité UE est applicable » (57).

64.      Ensuite, il convient de ne pas oublier que, s’agissant de citoyens de l’Union qui sont nés dans l’État membre d’accueil et qui n’ont jamais fait usage du droit à la libre circulation, la Cour a déjà jugé que de tels citoyens sont en droit de se prévaloir de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et des dispositions prises pour son application (58).

65.      Enfin, il me semble évident qu’un critère qui n’établit pas de distinction, à propos de la perte de la nationalité à l’âge de 22 ans entraînant pour la personne concernée la perte de son statut de citoyenne de l’Union, entre une résidence ou un séjour dans un État tiers et une résidence ou un séjour dans un État membre constitue une claire limitation du droit de libre circulation et de séjour sur le territoire des États membres, qui peut dissuader le ressortissant danois d’exercer ce droit (59). Il me faut relever, à cet égard, que je ne vois pas comment on pourrait affirmer qu’une telle restriction du droit de libre circulation et de séjour des citoyens de l’Union est proportionnée. En effet, le fait qu’un citoyen de l’Union puisse perdre sa nationalité du fait d’avoir établi sa résidence dans un État membre autre que celui dont il possède cette nationalité restreint, à mon avis, de manière disproportionnée le droit de libre circulation et de séjour de ce citoyen. Ainsi que l’a relevé, à juste titre, la Commission lors de l’audience, la résidence et le séjour sur le territoire de l’Union ne devraient pas être considérés comme une rupture du lien réel qui existe entre un citoyen de l’Union et son État membre d’origine.

66.      Dans ces conditions, et compte tenu de mes réserves concernant les effets sur la libre circulation des citoyens au sein de l’Union d’un critère de résidence tel que celui prévu à l’article 8, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la nationalité, je considère que, dans les circonstances de l’affaire au principal, le droit de l’Union ne s’oppose pas, par principe, à ce que, dans les situations visées à cette disposition, un État membre prévoie, pour des motifs d’intérêt général, la perte de la nationalité, quand bien même cette perte entraîne, pour la personne concernée, celle de son statut de citoyenne de l’Union.

2.      Sur le contrôle de la proportionnalité de la réglementation nationale en cause compte tenu des conséquences qu’elle implique pour la personne concernée

67.      À la lumière de la jurisprudence de la Cour et, en particulier, des points 40 à 42 de l’arrêt Tjebbes e.a. (60), j’éprouve des doutes en ce qui concerne le respect du principe de proportionnalité par le régime de perte de la nationalité danoise, qui intervient à l’âge de 22 ans, tel qu’il est prévu à l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité et appliqué, dans la pratique administrative, par les autorités danoises. Mes doutes trouvent leur origine non pas dans un seul aspect de la réglementation en cause au principal mais dans plusieurs éléments constitutifs de ce régime, et relatifs à l’absence, d’une part, d’examen individuel des conséquences de la perte du statut de citoyen de l’Union au regard du droit de l’Union pour toute personne ayant introduit sa demande après l’âge de 22 ans et, d’autre part, de recouvrement ex tunc de la nationalité perdue.

a)      Sur l’absence systématique d’examen individuel des conséquences de la perte du statut de citoyen de l’Union au regard du droit de l’Union pour toute personne ayant introduit sa demande après l’âge de 22 ans

68.      Je rappelle que les doutes de la juridiction de renvoi tiennent au fait que la perte de la nationalité danoise et, partant, du statut de citoyen de l’Union est automatique et que la loi sur la nationalité ne prévoit aucune exception. Ainsi que l’a relevé la Commission lors de l’audience, dans la situation en cause au principal, la personne concernée par cette perte n’a jamais bénéficié d’un examen individuel de sa situation et, le cas échéant, de celle de sa famille. Ce point me semble être au cœur des difficultés que pose le régime de perte de plein droit de la nationalité contesté dans la présente affaire.

69.      En premier lieu, je relève que la seule voie dont dispose un ressortissant danois pour pouvoir bénéficier d’un examen individuel des conséquences de la perte de la nationalité, entraînant la perte du statut de citoyen de l’Union, au regard du droit de l’Union, est l’introduction d’une demande de maintien de la nationalité danoise avant d’avoir atteint l’âge de 22 ans (61) et, plus précisément, entre l’âge de 21 et 22 ans (62), ce qui, selon moi, est une période très courte. Si sa demande est introduite après cet âge, elle ne sera alors examinée qu’afin de vérifier si les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la nationalité sont remplies. Si tel est le cas, sa demande sera automatiquement rejetée (63) et la personne concernée non seulement perd la nationalité danoise et, partant, son statut de citoyenne de l’Union, mais elle ne bénéficie, à aucun moment, d’un examen individuel des conséquences de cette perte au regard du droit de l’Union.

70.      En second lieu, j’observe qu’il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que, à la suite du prononcé de l’arrêt Tjebbes e.a., le ministère de l’Immigration et de l’Intégration a décidé que les anciens ressortissants danois ayant atteint l’âge de 22 ans au 1er novembre 1993 ou après cette date, qui avaient demandé le maintien de leur nationalité danoise avant d’avoir atteint l’âge de 22 ans et qui avaient fait l’objet d’une décision de perte de la nationalité en vertu de l’article 8 de la loi sur la nationalité, entraînant la perte de leur citoyenneté de l’Union, pouvaient demander le réexamen de cette décision (64). Ainsi, tandis que ces ressortissants ont pu bénéficier d’un tel réexamen au regard du droit de l’Union, la requérante au principal, qui avait atteint l’âge de 22 ans après le 1er novembre 1993, n’a, elle, toutefois pas pu en bénéficier, dès lors qu’elle avait introduit sa demande de maintien de la nationalité 43 jours après l’âge de 22 ans.

1)      Sur les objections alléguées par le gouvernement danois

71.      S’agissant de la raison du maintien de l’exigence prévue à l’article 8, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la nationalité, selon laquelle la demande de maintien de la nationalité danoise doit avoir été introduite avant l’âge de 22 ans, la juridiction de renvoi indique qu’il ressort des travaux préparatoires de cette disposition que, lors de sa modification par le législateur danois pour se conformer à l’arrêt Tjebbes e.a., celui-ci a considéré que « cet arrêt ne semble pas imposer la possibilité systématique d’un tel examen [individuel] ».

72.      À cet égard, le gouvernement danois a fait valoir, dans ses observations écrites et orales, qu’il ne ressort pas de l’arrêt Tjebbes e.a. qu’un examen individuel doit être possible à tout moment, lorsque la personne concernée le souhaite. Selon son interprétation de cet arrêt, il est suffisant qu’un tel examen individuel puisse être effectué, ce qui, selon lui, est le cas si la demande de maintien de la nationalité est introduite avant l’âge de 22 ans.

73.      Dans la présente affaire, si l’on acceptait cette interprétation, se poseraient alors les questions suivantes : doit-on considérer, dans certaines situations, qu’une personne puisse perdre la nationalité d’un État membre, entraînant la perte du statut de citoyen de l’Union, sans que soit effectué, à aucun moment, un examen individuel de cette perte et des conséquences qu’elle implique pour cette personne au regard du droit de l’Union ? Et doit-on considérer, comme le suggère ce gouvernement, que l’obligation des États membres d’effectuer cet examen individuel, telle qu’établie dans la jurisprudence de la Cour, puisse être limitée par un délai de forclusion ?

74.      Ces questions me conduisent clairement à conclure que cette interprétation de l’arrêt Tjebbes e.a. donnée par le législateur et le gouvernement danois ne saurait prospérer en ce qu’elle repose sur une lecture erronée de cet arrêt.

75.      En premier lieu, une telle lecture méconnaît, à mon avis, l’obligation des autorités compétentes et des juridictions nationales, d’une part, de respecter le principe de proportionnalité en matière de perte du statut de citoyen de l’Union et, d’autre part, d’effectuer, dans le cadre du respect de ce principe, un examen individuel des conséquences de la perte de ce statut au regard du droit de l’Union.

76.      En second lieu, une telle interprétation revient à permettre aux États membres de vider l’article 20 TFUE, tel qu’interprété par la Cour, de son effet utile dans des situations telles que celle au principal. Je rappelle que, selon une jurisprudence constante, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres. Ce statut ne saurait donc être privé de son effet utile et, partant, les droits qu’il confère ne sauraient être violés par l’adoption d’une réglementation nationale ne respectant pas le droit de l’Union.

2)      Sur la lecture correcte de l’arrêt Tjebbes e.a.

77.      Je rappelle qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que le principe selon lequel la compétence des États membres en matière d’acquisition et de perte de la nationalité doit être exercée dans le respect du droit de l’Union ne permet pas de considérer que les conditions de perte de la nationalité entraînant la perte du statut de citoyen de l’Union échappent au contrôle du droit de l’Union (65). À cet égard, la Cour a affirmé, dans l’arrêt Tjebbes e.a., que la perte de plein droit de la nationalité d’un État membre serait incompatible avec le principe de proportionnalité si les règles nationales pertinentes ne permettaient, à aucun moment, un examen individuel des conséquences que comporte cette perte pour les personnes concernées au regard du droit de l’Union (66).

78.      Or, à la différence de ce qu’a affirmé la Cour aux points 41 et 42 de l’arrêt Tjebbes e.a., dans une situation telle que celle de la requérante au principal, où la perte de la nationalité danoise intervient de plein droit et entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union, je constate que les autorités danoises ne sont pas en mesure d’examiner, de manière incidente, les conséquences de cette perte pour tous les ressortissants danois ayant introduit leur demande de maintien de leur nationalité danoise après l’âge de 22 ans. En effet, ces ressortissants ne bénéficient, à aucun moment, d’un examen individuel de proportionnalité des conséquences que cette perte comporte pour eux au regard du droit de l’Union. L’absence d’un tel examen est, selon moi, non seulement automatique, comme le constate la juridiction de renvoi, mais également systématique.

79.      Une lecture correcte de l’arrêt Tjebbes e.a. implique que toutes les situations de perte de nationalité entraînant la perte du statut de citoyen de l’Union doivent pouvoir être examinées au regard du principe de proportionnalité, tel qu’interprété par la Cour dans sa jurisprudence relative à l’article 20 TFUE, ce qui entraîne l’obligation d’un examen individuel également pour les personnes se trouvant dans une situation telle que celle de la requérante au principal. Or, compte tenu de la réglementation en cause au principal, certaines situations dans lesquelles la perte du statut de citoyen de l’Union a potentiellement des conséquences disproportionnées ne pourront jamais être examinées au regard du droit de l’Union alors même que les personnes concernées perdent tous les droits attachés à ce statut.

80.      Pouvons-nous accepter cela ? Je pense que non.

81.      Je rappelle, à cet égard, que la Cour a déjà jugé, dans l’arrêt Wiener Landesregierung, que toute perte, même provisoire, du statut de citoyen de l’Union implique que la personne concernée est privée, pendant une durée indéterminée, de la possibilité de jouir de tous les droits conférés par ce statut (67). Par conséquent, dans une situation telle que celle en cause au principal, où une personne a déjà perdu sa nationalité de plein droit à l’âge de 22 ans et, donc, son statut de citoyenne de l’Union sans avoir eu la possibilité de contester cette perte, eu égard aux conséquences que celle-ci entraîne pour elle, au regard du droit de l’Union, l’État membre concerné a l’obligation d’assurer l’effet utile de l’article 20 TFUE.

82.      Si, comme en l’espèce, les motifs de la perte de la nationalité, entraînant celle du statut de citoyen de l’Union, sont, en principe, légitimes, cette perte ne peut avoir lieu que si les autorités compétentes et les juridictions nationales respectent le principe de proportionnalité. C’est une chose qu’une réglementation nationale puisse prévoir une règle de perte de la nationalité ex lege, un tel choix législatif relevant de la compétence exclusive des États membres. Le fait que la procédure nationale prévue par cette réglementation ne permet pas à la personne concernée de contester cette perte dans le cadre d’un contrôle de la proportionnalité (68) et, partant, de bénéficier d’un examen individuel des conséquences de cette perte est cependant tout autre chose. Le fait qu’un État membre peut légitimement prévoir la perte ex lege de la nationalité doit donc être distingué du respect du principe de proportionnalité de cette perte au regard du droit de l’Union.

83.      Dans ces circonstances, on pourrait arguer qu’une telle absence totale et systématique d’examen individuel pour les personnes ayant effectué leur demande après l’âge de 22 ans ne serait pas apte à atteindre l’objectif poursuivi par l’obligation d’effectuer un examen de proportionnalité, à savoir de leur permettre de conserver la nationalité de l’État membre en question et, donc, le statut de citoyen de l’Union, et que la privation de la nationalité que la disposition litigieuse entraîne serait un acte arbitraire et incohérent.

84.      À titre d’illustration, prenons la situation de deux sœurs ayant la nationalité danoise, AA et BB. AA est née au Danemark mais a déménagé aux États-Unis avec ses parents quelques mois après sa naissance. En revanche, BB est née aux États-Unis et se trouve dans la même situation que la requérante au principal. Dans ce cas, l’application de l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité à ces deux sœurs aura pour conséquence que AA conserve sa nationalité danoise du fait de sa naissance au Danemark, tandis que sa sœur, BB, ayant introduit sa demande de maintien de la nationalité danoise peu après avoir atteint l’âge de 22 ans, perd sa nationalité de manière automatique et, partant, le statut de citoyen de l’Union, sans avoir la possibilité de contester une telle perte.

85.      En l’occurrence, la requérante au principal a indiqué, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, que ses frères et sœurs avaient pu conserver leur nationalité danoise et, en conséquence, leur statut de citoyens de l’Union parce qu’ils avaient introduit la demande en temps opportun. Nous sommes ainsi face à une situation où, au sein de sa famille, la requérante au principal est la seule à avoir perdu la nationalité danoise et, partant, son statut de citoyenne de l’Union.

86.      À cet égard, il convient de rappeler que l’examen individuel de la situation de la personne concernée implique, le cas échéant, l’examen de la situation de sa famille afin de déterminer si la perte de la nationalité de l’État membre concerné, lorsqu’elle emporte celle du statut de citoyen de l’Union, aura des conséquences qui affecteront de manière disproportionnée, par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur national, le développement normal de sa vie familiale et professionnelle, au regard du droit de l’Union (69). En l’absence d’un tel examen de proportionnalité, les autorités nationales compétentes et, le cas échéant, les juridictions nationales ne seront pas en mesure de s’assurer qu’une telle perte de nationalité est conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte et, notamment, au droit au respect de la vie familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la Charte (70).

87.      Je suis donc d’avis que, indépendamment du choix légitime du législateur national d’introduire ou non une date limite pour la perte ex lege de la nationalité, les autorités compétentes ou, le cas échéant, les juridictions nationales doivent être en mesure d’examiner individuellement toute perte de nationalité entraînant la perte du statut de citoyen de l’Union au moment de l’introduction de la demande de maintien de la nationalité. Dans ce cas se pose la question de savoir quelle période devrait être prise en compte pour effectuer un tel examen dans le cadre du contrôle de proportionnalité. À cet égard, la Commission a fait valoir, à juste titre, que cet examen pourrait être effectué en tenant compte de la situation de l’intéressé à l’âge de 22 ans. Dès lors qu’un examen individuel serait possible aussi lorsque la demande de maintien de la nationalité a été introduite après l’âge de 22 ans, une telle limitation de la période prise en compte pour effectuer cet examen respecterait, à mon avis, tant le principe de sécurité juridique que le principe de proportionnalité. À cet égard, il convient d’ajouter que, dans le cas où ledit examen serait effectué en tenant compte de la situation de la personne concernée à l’âge de 22 ans, l’existence éventuelle de faits nouveaux dans certains cas pourrait exiger néanmoins un nouvel examen de ceux-ci.

b)      Sur l’absence de recouvrement ex tunc de la nationalité dans un régime de perte de plein droit de celle-ci avec la possibilité de son recouvrement ultérieur dans le cadre d’une procédure générale de naturalisation

88.      Comme je l’ai déjà indiqué, la juridiction de renvoi s’interroge également sur la difficulté de recouvrer la nationalité par naturalisation après l’âge de 22 ans. À cet égard, le gouvernement danois soutient que l’examen de la proportionnalité de la perte de la nationalité prévue à l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité, à l’égard des personnes ayant atteint l’âge de 22 ans au moment de la demande de maintien de la nationalité doit reposer sur une appréciation globale du régime danois de la perte et du recouvrement de la nationalité.

89.      À cet égard, comme je l’ai déjà mentionné, le régime de perte de plein droit de la nationalité donne aux anciens ressortissants danois la possibilité de recouvrer cette nationalité ultérieurement dans le cadre de la procédure générale de naturalisation, à condition de remplir une série d’exigences, parmi lesquelles figurent celles de résider sur le territoire national au moment de la demande de naturalisation et d’avoir neuf ans de résidence ininterrompue au Danemark (71).

90.      Cette possibilité de recouvrer la nationalité est-elle suffisante pour considérer que le régime de perte de plein droit de la nationalité danoise est conforme aux exigences découlant du droit de l’Union, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Tjebbes e.a. ?

91.      Je pense que non.

92.      Premièrement, comme je l’ai déjà exposé, la Cour a consacré, dans sa jurisprudence, le principe selon lequel la compétence des États membres en matière d’acquisition et de perte de la nationalité doit être exercée dans le respect du droit de l’Union (72).

93.      Deuxièmement, ainsi que je l’ai également mentionné, la Cour a déjà jugé que, dans une situation où la perte de la nationalité d’un État membre intervient de plein droit et entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union, les autorités et les juridictions nationales compétentes doivent être en mesure non seulement d’examiner, de manière incidente, les conséquences de cette perte de nationalité, mais également, le cas échéant, de faire recouvrer ex tunc la nationalité à la personne concernée, à l’occasion de la demande, par celle-ci, d’un document de voyage ou de tout autre document attestant de sa nationalité (73).

94.      Il y a lieu de constater que le régime de perte de nationalité danoise en cause au principal ne prévoit pas cette possibilité, contrairement à ce qu’a jugé la Cour dans l’arrêt Tjebbes e.a. Or, une telle perte de la nationalité, même pour une durée déterminée de quelques années, comme en l’espèce, implique que la personne concernée est privée, pendant toute cette durée, de la possibilité de jouir de tous les droits conférés par le statut de citoyen de l’Union (74). Dès lors, je considère que cette possibilité de recouvrer la nationalité n’est pas suffisante, même en cas d’assouplissement des exigences générales en matière de séjour, pour considérer que le régime de perte de plein droit de la nationalité danoise est conforme aux exigences découlant du principe de proportionnalité au titre de l’article 20 TFUE.

95.      Dans ces conditions, je suis d’avis qu’un contrôle de proportionnalité, au regard du droit de l’Union, des conséquences qu’entraîne la perte de la nationalité, lorsque celle-ci entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union, qui est effectué uniquement s’il est demandé avant que la personne concernée ait atteint l’âge de 22 ans et sans pouvoir faire recouvrer ex tunc la nationalité à cette personne n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences découlant du droit de l’Union, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Tjebbes, e.a.

V.      Conclusion

96.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark) :

L’article 20 TFUE, lu à la lumière de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui prévoit, sous certaines conditions, la perte de plein droit de la nationalité de cet État membre à l’âge de 22 ans pour défaut de lien effectif en l’absence de demande de maintien de la nationalité avant cet âge, entraînant, s’agissant des personnes n’ayant pas également la nationalité d’un autre État membre, la perte de leur statut de citoyen de l’Union et des droits qui y sont attachés, sans qu’il soit procédé, lorsque cette demande est effectuée après l’âge de 22 ans, à un examen individuel, au regard du principe de proportionnalité, des conséquences d’une telle perte sur leur situation au regard du droit de l’Union avec la possibilité du recouvrement ex tunc de la nationalité aux personnes concernées lorsqu’elles demandent un document de voyage ou tout autre document attestant de leur nationalité.


1      Langue originale : le français.


2      Arrêt du 2 mars 2010 (C‑135/08, ci-après l’« arrêt Rottmann », EU:C:2010:104).


3      Arrêt du 12 mars 2019 (C‑221/17, ci-après l’« arrêt Tjebbes e.a. », EU:C:2019:189).


4      Arrêt du 18 janvier 2022 (C‑118/20, ci-après l’« arrêt Wiener Landesregierung », EU:C:2022:34).


5      Il ressort de la décision de renvoi que la pratique administrative du ministère de l’Immigration et de l’Intégration relative à l’application de l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité s’appuie sur les travaux préparatoires de cette disposition.


6      Pour ce qui est du critère de résidence, qui n’est pas en cause dans la présente affaire, la juridiction de renvoi explique que, selon la pratique administrative du ministère de l’Immigration et de l’Intégration, ce critère est rempli soit lorsqu’il s’agit d’une résidence enregistrée dans le registre central des personnes (CPR) d’au moins trois mois avant l’âge de 22 ans, soit lorsque la personne concernée peut prouver qu’elle a eu une adresse au Danemark  pendant au moins trois mois consécutifs avant ledit âge et qui était envisagée d’emblée pour une durée d’au moins trois mois. Selon cette juridiction, le fait de résider, notamment, en Finlande ou en Suède pendant une durée d’au moins sept ans est assimilé à une résidence au Danemark.


7      Il ressort de la décision de renvoi que, dans ce cas, selon la pratique administrative du ministère de l’Immigration et de l’Intégration, l’accent pourra notamment être mis sur le point de savoir si les séjours ont été effectués peu avant l’âge de 22 ans ou s’ils remontent à de nombreuses années auparavant, s’ils sont censés traduire une volonté propre du demandeur de visiter le Danemark ou résultent, notamment, de dispositions prises par les parents ou l’employeur.


8      La juridiction de renvoi se réfère à la section 2.2.2. de l’exposé des motifs du projet de loi nº L 138, du 28 janvier 2004, concernant l’article 8 de la loi sur la nationalité.


9      Il convient de rappeler que cette condition ressort de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, de la loi sur la nationalité.


10      Sur ces conditions générales, voir point 8 des présentes conclusions. La juridiction de renvoi indique que l’article 44, paragraphe 1, de la Constitution prévoit qu’aucun étranger ne peut obtenir la nationalité danoise si ce n’est en vertu de la loi. Ainsi, la naturalisation doit se faire par une loi faisant mention expresse du nom de chaque personne naturalisée.


11      Voir, à cet égard, point 9 des présentes conclusions.


12      Sur la pratique administrative du ministère de l’Immigration et de l’Intégration concernant le critère de « résidence », voir note en bas de page 10 des présentes conclusions.


13      Pour rappel, M. Rottmann avait acquis la nationalité allemande par naturalisation de manière frauduleuse.


14      Voir arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a. (C‑369/90, EU:C:1992:295, point 10), selon lequel « [l]a définition des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre, compétence qui doit être exercée dans le respect du droit [de l’Union ». Mise en italique par mes soins. Je rappelle que la Cour avait déjà esquissé cette idée dans les arrêts du 7 février 1979, Auer (136/78, EU:C:1979:34, point 28), et du 12 novembre 1981, Airola/Commission (72/80, EU:C:1981:267, points 8 et suiv.). En effet, il s’agit d’un principe général du droit de l’Union appliqué dans le domaine de la citoyenneté de l’Union.


15      Arrêt Rottmann, points 39 et 45 ainsi que jurisprudence citée.


16      Arrêt Rottmann, point 41 et jurisprudence citée. Je tiens à rappeler que, au point 41 de cet arrêt, la Cour s’est fondée sur une jurisprudence constante relative aux situations dans lesquelles une législation adoptée dans une matière relevant de la compétence nationale est appréciée à la lumière du droit de l’Union. Voir, également, conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans cette affaire (C‑135/08, EU:C:2009:588, point 20).


17      Arrêt Rottmann, points 42 et 43.


18      Arrêt Rottmann, point 48.


19      Arrêt Rottmann, point 54. Voir, également, points 51 à 53.


20      Arrêt Rottmann, point 56. Mise en italique par mes soins.


21      Arrêt Rottmann, point 59 et dispositif.


22      À savoir le fait, pour tout ressortissant néerlandais possédant également la nationalité d’un autre État membre, de séjourner en dehors des Pays-Bas et des territoires auxquels le traité UE est applicable pendant une période ininterrompue de dix ans.


23      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Rottmann, il s’agissait d’une décision individuelle de retrait de la nationalité, fondée sur le comportement de l’intéressé.


24      Arrêt Tjebbes e.a., point 30 et jurisprudence citée.


25      Arrêt Tjebbes e.a., point 32.


26      Arrêt Tjebbes e.a., point 35. Voir, également, arrêt Rottmann, point 51.


27      Arrêt Tjebbes e.a., point 39.


28      Arrêt Tjebbes e.a., points 40 et 41.


29      Arrêt Tjebbes e.a., point 42 et dispositif.


30      Arrêt Tjebbes e.a., point 45 et dispositif.


31      C‑118/20, EU:C:2021:530. Voir points 47 et suiv.


32      Arrêt Wiener Landesregierung, point 44 et point 1 du dispositif.


33      Arrêt Wiener Landesregierung, point 58 et jurisprudence citée. Il convient de relever que, au point 49 de cet arrêt, dans le cadre de l’examen de la seconde question préjudicielle, la Cour a déclaré, en faisant référence au point 62 de l’arrêt Rottmann, que les principes découlant du droit de l’Union en ce qui concerne la compétence des États membres en matière de nationalité ainsi que leur obligation d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union s’appliquent tant à l’État membre d’accueil qu’à l’État membre de la nationalité d’origine.


34      Arrêt Wiener Landesregierung, point 59 et jurisprudence citée.


35      Arrêt Wiener Landesregierung, point 61 et jurisprudence citée.


36      Arrêt Wiener Landesregierung, points 60 et 62 à 72.


37      Arrêt Wiener Landesregierung, point 73.


38      Arrêt Wiener Landesregierung, point 74 et point 2 du dispositif.


39      Voir conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Rottmann (C‑135/08, EU:C:2009:588, point 23). Mise en italique par mes soins.


40      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Rottmann (C‑135/08, EU:C:2009:588, point 23).


41      Voir, à cet égard, arrêts Rottmann, points 41 à 43, 45, 48, 56 et 59 ; Tjebbes e.a., points 30, 32, 40 à 42 et 45, ainsi que Wiener Landesregierung, points 44, 59, 61 et 73. Voir, également, points 29 à 43 et, en particulier, point 45 des présentes conclusions.


42      Arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk (C‑184/99, EU:C:2001:458, point 31), et Wiener Landesregierung (point 38 et jurisprudence citée).


43      Voir points 29, 30 et 33 des présentes conclusions.


44      Voir arrêt Tjebbes e.a., point 32.


45      Voir, à cet égard, arrêts Rottmann, points 42 et 45, ainsi que Tjebbes e.a., point 32. Le gouvernement danois a fait valoir, lors de l’audience, qu’il ressort de la décision des chefs d’État et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen d’Édimbourg des 11 et 12 décembre 1992 que le Royaume de Danemark dispose d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’il s’agit de définir les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité et a une position particulière en ce qui concerne la citoyenneté de l’Union. Toutefois, la Commission a rappelé que les passages pertinents de cette décision relatifs à la citoyenneté de l’Union sont libellés dans les mêmes termes que dans la déclaration nº 2 relative à la nationalité d’un État membre, jointe par les États membres à l’acte final du traité UE. Voir, à cet égard, arrêt Rottmann, point 40. Elle a également rappelé qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que la compétence des États membres en matière d’acquisition et de perte de la nationalité doit être exercée dans le respect du droit de l’Union. Voir, notamment, arrêt Rottmann, point 41.


46      Voir, en ce sens, arrêt Rottmann, points 51 à 54.


47      Arrêts Rottmann, point 51 ; Tjebbes e.a., point 32, ainsi que Wiener Landesregierung, point 52.


48      Arrêt Tjebbes e.a., point 35. Voir, également, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Tjebbes e.a. (C‑221/17, EU:C:2018:572, point 53).


49      Arrêt Tjebbes e.a., point 36. Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Tjebbes e.a. (C‑221/17, EU:C:2018:572, point 54). Mise en italique par mes soins.


50      Bien que je m’interroge sur le point de savoir si cette perte progressive du lien effectif peut être généralisée à toutes les personnes relevant du champ d’application de la disposition litigieuse, je suis d’accord pour considérer qu’il peut exister, en principe, un risque pour qu’une telle perte progressive de lien effectif puisse avoir lieu dans certains cas. En outre, il me paraît parfaitement possible de considérer que certains citoyens de l’Union peuvent avoir un lien effectif avec plus d’un État membre. Mettre en doute un tel constat équivaudrait à mettre en doute l’essence même de la citoyenneté de l’Union. Il serait, à mon avis, paradoxal de ne pas accepter les éventuelles conséquences sur les ressortissants nationaux de l’exercice, notamment, d’une des libertés fondamentales de l’Union, à savoir la libre circulation des personnes.


51      La convention européenne sur la nationalité, adoptée le 6 novembre 1997 dans le cadre du Conseil de l’Europe et entrée en vigueur le 1er mars 2000, a été ratifiée par le Royaume de Danemark le 24 juillet 2002. Le rapport explicatif de cette convention indique que cette disposition vise à autoriser l’État qui le souhaite à empêcher que ses ressortissants qui vivent de longue date à l’étranger conservent la nationalité de cet État alors que le lien avec ce dernier n’existe plus ou qu’il a été remplacé par un lien avec un autre pays, étant entendu que, comme dans la présente affaire, il s’agit de personnes ayant une double nationalité et qu’il n’existe donc pas de risque d’apatridie. Voir point 70 de ce rapport.


52      L’absence d’une telle distinction a été confirmée par le gouvernement danois en réponse à une question posée par la Cour. S’agissant de la distinction opérée par la réglementation danoise entre une résidence, notamment, en Finlande ou en Suède et une résidence dans un autre État membre, le gouvernement danois a confirmé lors de l’audience que l’article 8, paragraphe 3, de la loi sur la nationalité prévoit qu’une période de résidence de sept ans dans ces deux État membres est considérée comme démontrant un lien effectif avec le Danemark. À cet égard, la Commission a indiqué, en réponse à une question posée par la Cour, que cette règle constitue une discrimination fondée sur l'État membre de résidence qui peut être considérée comme un manque de cohérence par rapport au motif d’intérêt général poursuivi par la réglementation danoise. Voir, également, note en bas de page 6 des présentes conclusions.


53      En réponse à une question posée par la Cour, la Commission a souligné qu’il découle de l’application d’un tel critère que l’exercice du droit de circuler et de séjourner par le ressortissant danois concerné entraîne la perte de ce droit.


54      Tel serait le cas, à mon avis, d’un ressortissant danois, né aux Pays-Bas de père danois et de mère américaine, qui, à l’âge de 18 ans, exerce son droit de libre circulation et de séjour pour aller travailler ou faire des études en Italie, en y séjournant jusqu’à l’âge de 22 ans. Il convient également de noter que, comme la Commission l’a expliqué en réponse à une question posée par la Cour, la situation où un tel ressortissant aurait la double nationalité danoise et italienne relèverait également du champ d’application du droit de l’Union. Dans ce cas, il s’agirait non pas de la perte du statut de citoyen de l’Union mais d’une restriction au droit de circuler et de séjourner librement au sein de l’Union.


55      La requérante au principal a confirmé lors de l’audience qu’il s’agissait de vacances.


56      Arrêt Tjebbes e.a., point 10.


57      Arrêt Tjebbes e.a., point 36. Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Tjebbes e.a. (C‑221/17, EU:C:2018:572, point 54). Mise en italique par mes soins.


58      Arrêts du 19 octobre 2004, Zhu et Chen (C‑200/02, EU:C:2004:639, point 26) ; du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, points 42 et 43 ), ainsi que du 2 octobre 2019, Bajratari (C‑93/18, EU:C:2019:809, point 26).


59      Voir conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Rottmann (C‑135/08, EU:C:2009:588, point 32), selon lequel « serait sans doute constitutive d’une violation du droit de circulation et de séjour conféré au citoyen de l’Union par l’article [21 TFUE] une règle étatique qui prévoirait la perte de la nationalité en cas de transfert de résidence dans un autre État membre ».


60      Voir points 35 et 36 des présentes conclusions.


61      Sur la modification de l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité à la suite du prononcé de l’arrêt Tjebbes e.a., voir point 25 des présentes conclusions.


62      Je rappelle que la juridiction de renvoi explique que, en cas de demande de maintien de la nationalité avant l’âge de 21 ans, le ministère de l’Immigration et de l’Intégration ne prend pas position sur le point de savoir si le demandeur a conservé la nationalité danoise et ne fait que délivrer un certificat de nationalité danoise sous réserve de la perte de cette nationalité à l’âge de 22 ans, en vertu de l’article 8 de la loi sur la nationalité. J’avoue que l’argument selon lequel l’appréciation du maintien de la nationalité doit intervenir le plus près possible de l’âge de 22 ans pour que les autorités danoises puissent prendre position sur le maintien de la nationalité ne me semble pas convaincant. Voir point 24 des présentes conclusions.


63      Lors de l’audience, le gouvernement danois a indiqué, en réponse à une question posée par la Cour, que si les autorités danoises n’informent pas systématiquement les ressortissants danois des conditions de perte de leur nationalité à l’âge de 22 ans, la règle de la perte de la nationalité danoise figure cependant à la page 2 des passeports. En outre, ce gouvernement a également précisé que le passeport de la personne concernée par la perte de la nationalité danoise n’est plus valable à partir de l’âge de 22 ans. Sur cet aspect, je suis d’avis que la mention de cette règle à la page 2 du passeport est sans incidence sur le problème qui se trouve au cœur de cette affaire, à savoir l’impossibilité totale pour la requérante au principal de contester la perte de sa nationalité, entraînant la perte de son statut de citoyenne de l’Union, et, donc, de bénéficier d’un contrôle de proportionnalité, au regard du droit de l’Union, des conséquences de cette perte.


64      La juridiction de renvoi fait référence, à cet égard, au document du ministère de l’Immigration et de l’Intégration intitulé « Orientering om behandlingen af ansøgninger om bevis for bevarelse af dansk indfødsret efter EU-Domstolens dom i sag C‑221/17, Tjebbes » (Informations sur le traitement des demandes de certificat de maintien de la nationalité danoise à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C‑221/17, Tjebbes).


65      Voir, en ce sens, arrêts Rottmann, points 41 à 43, 45, 48, 56 et 59 ; Tjebbes e.a., points 30, 32, 40 à 42 et 45, ainsi que Wiener Landesregierung, points 44, 59, 61 et 73. Voir, également, points 29 à 43 et, en particulier, point 45 des présentes conclusions.


66      Arrêt Tjebbes e.a., point 41. Je rappelle que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, il s’agissait pour la Cour de se prononcer non pas sur la compétence pour définir une condition de perte de la nationalité dans la réglementation nationale (telle que la résidence des ressortissants d’un État membre pendant une période ininterrompue de dix ans en dehors de cet État membre et de l’Union) mais sur l’incompatibilité avec le principe de proportionnalité de cette réglementation dès lors que celle-ci ne permettait, à aucun moment, d’examiner les conséquences de cette perte au regard du droit de l’Union. Sur cette distinction, voir mes considérations au point 45 des présentes conclusions.


67      Point 48 de cet arrêt.


68      Par exemple, dans le cadre de la procédure de révocation du titre de voyage ou à l’occasion d’une demande d’obtention d’un nouveau passeport.


69      Arrêts Tjebbes e.a., point 44, et Wiener Landesregierung, point 59.


70      Arrêts Tjebbes e.a., point 45, ainsi que Wiener Landesregierung, point 61.


71      Voir points 8 et 26 des présentes conclusions.


72      Voir arrêts du 7 juillet 1992, Micheletti e.a. (C‑369/90, EU:C:1992:295, point 10) ; Rottmann (points 39 et 41) ; Tjebbes e.a. (point 30) ; du 14 décembre 2021, Stolichna obshtina, rayon « Pancharevo » (C‑490/20, EU:C:2021:1008, point 38), ainsi que Wiener Landesregierung (point 37).


73      Arrêt Tjebbes e.a., point 42 et dispositif.


74      Voir, en ce sens, arrêt Wiener Landesregierung, point 48.