Language of document : ECLI:EU:C:2019:1052

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 5 décembre 2019 (1)

Affaire C560/18 P

Izba Gospodarcza Producentów i Operatorów Urządzeń Rozrywkowych

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Accès aux documents des institutions de l’Union européenne – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents concernant une procédure en manquement en cours – Avis circonstanciés émis dans le cadre d’une procédure de notification sur la base de la directive 98/34/CE – Refus d’accorder l’accès – Exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret – Divulgation des documents demandés dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal de l’Union européenne – Irrecevabilité – Persistance de l’intérêt à agir »






I.      Introduction

1.        L’intérêt à agir d’une association représentant les intérêts des opérateurs d’un secteur commercial déterminé disparaît-il à la suite de la divulgation, au cours de la procédure devant le Tribunal de l’Union européenne, des documents dont l’accès avait été refusé par la Commission européenne ?

2.        De quels éléments le Tribunal doit-il constater l’existence pour pouvoir valablement exclure la persistance de l’intérêt de la requérante à agir, et donc déclarer qu’il n’y a pas lieu de statuer ?

3.        La probabilité que l’illégalité prétendue, à savoir le refus de l’accès à certains documents, se reproduise à l’avenir doit-elle être appréciée in abstracto, concernant toute hypothèse de refus sur la base de la même disposition de droit, ou bien in concreto, en tenant compte des caractéristiques subjectives et objectives de la situation particulière ?

4.        Ce sont, en substance, les questions juridiques qui sous-tendent l’affaire en cause en l’espèce, dans laquelle une association de défense des intérêts des fabricants, des distributeurs et des opérateurs d’automates de divertissement en Pologne saisit la Cour d’un pourvoi contre l’ordonnance du Tribunal du 10 juillet 2018, Izba Gospodarcza Producentów i Operatorów Urządzeń Rozrywkowych/Commission (T‑514/15, non publiée, EU:T:2018:500, ci-après l’« ordonnance attaquée »), déclarant qu’il n’y avait plus lieu de statuer au motif que cette association ne disposait plus d’un intérêt pour agir.

5.        La requérante a fondé son pourvoi sur cinq moyens, mais je me limiterai dans les présentes conclusions, comme l’a demandé la Cour, à traiter les questions juridiques relatives au premier moyen du pourvoi.

6.        Après avoir défini l’objet de la procédure, j’analyserai la jurisprudence de la Cour sur la question de l’intérêt à agir, en appliquant à l’espèce les principes exposés.

7.        En particulier, je m’efforcerai d’expliquer que la persistance de l’intérêt à agir dans un litige relatif à l’accès aux documents, après la divulgation de ces derniers, est tout à fait exceptionnelle et réservée à des situations spécifiques que la Cour a rappelées encore récemment dans son arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (2).

8.        Enfin, je conclurai que ces situations spécifiques ne sont pas constatées en l’espèce, que le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il n’y avait pas lieu de statuer et que, par conséquent, il convient de rejeter le premier moyen du pourvoi.

II.    Le cadre juridique

9.        Conformément au considérant 4 du règlement (CE) no 1049/2001 (3) :

« Le présent règlement vise à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents et à en définir les principes généraux et limites conformément à l’article 255, paragraphe 2, du traité CE ».

10.      En outre, le considérant 11 de ce règlement précise :

« En principe, tous les documents des institutions devraient être accessibles au public. Toutefois, certains intérêts publics et privés devraient être garantis par le biais d’un régime d’exceptions. Il convient de permettre aux institutions de protéger leurs consultations et délibérations internes lorsque c’est nécessaire pour préserver leur capacité à remplir leurs missions. [...] »

11.      L’article 2 (« Bénéficiaires et champ d’application ») du règlement no 1049/2001 prévoit :

« 1.      Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement. »

12.      L’article 4 (« Exceptions »), paragraphes 2 et 3, du règlement no 1049/2001 prévoit :

« 2.      Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

–        des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle,

–        des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,

–        des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit,

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

3.      L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle‑ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé. [...] »

III. Les faits, la procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

A.      Les faits antérieurs à l’introduction du recours devant le Tribunal

13.      Le 20 novembre 2013, la Commission a adressé à la République de Pologne, dans le cadre de la procédure en manquement 2013/4218, une lettre de mise en demeure sur le fondement de l’article 258 TFUE par laquelle elle lui demandait de mettre son cadre réglementaire national régissant les services de jeux de hasard en conformité avec les libertés fondamentales prévues par le droit de l’Union.

14.      La République de Pologne a donc annoncé à la Commission, dans sa réponse reçue le 3 mars 2014, qu’elle avait l’intention de notifier, sur le fondement de la directive 98/34/CE (4), un projet de loi portant modification de la loi polonaise sur les jeux de hasard.

15.      Le 5 novembre 2014, la République de Pologne a notifié à la Commission, sous la référence 2014/537/PL, le projet de loi annoncé (5), conformément à l’article 8 de la directive 98/34.

16.      Dans le cadre de cette procédure, la Commission et la République de Malte ont émis, respectivement les 3 et 6 février 2015, deux avis circonstanciés sur le projet de loi notifié, au sens de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 98/34.

17.      Le 17 février 2015, Izba Gospodarcza Producentów i Operatorów Urządzeń Rozrywkowych (ci‑après « Igpour »), une organisation représentant les intérêts des fabricants, des distributeurs et des opérateurs d’automates de divertissement en Pologne, a demandé l’accès aux deux avis émis par la Commission et la République de Malte, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001.

18.      Après examen, le 10 mars 2015, la Commission a refusé d’accorder à Igpour l’accès aux documents demandés.

19.      Le 16 avril 2015, Igpour a donc adressé une demande confirmative d’accès aux documents à la Commission, conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001.

20.      Le 12 juin 2015, la Commission a adopté la décision Gestdem 2015/1291, par laquelle elle a rejeté la demande confirmative d’Igpour en tant qu’elle concernait son avis circonstancié ; le 17 juillet 2015, elle a rejeté la demande confirmative en tant qu’elle concernait l’avis circonstancié de la République de Malte (6).

21.      Dans les décisions litigieuses, la Commission a motivé son refus de divulguer les documents demandés par Igpour sur la base de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001. Plus précisément, la Commission a expliqué que la divulgation des documents en cause aurait porté atteinte à la protection des « objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit », en ce qui concerne la procédure en manquement 2013/4218, étant donné que ces avis étaient inextricablement liés à ladite procédure.

B.      La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

22.      Le 1er septembre 2015, Igpour a déposé une requête au greffe du Tribunal contre le refus susmentionné, demandant l’annulation des décisions litigieuses.

23.      Dans le cadre de cette procédure, le Royaume de Suède a été admis à intervenir à l’appui des conclusions d’Igpour, tandis que la République de Pologne a été admise à intervenir au soutien de la Commission.

24.      À l’audience du 28 septembre 2017, les parties ont présenté des observations et répondu aux questions posées par le Tribunal.

25.      Par acte déposé le 6 mars 2018, la Commission a demandé qu’il plaise au Tribunal constater que le recours introduit par Igpour était devenu sans objet, la Commission ayant décidé d’accorder à la requérante l’accès aux deux documents en cause après la clôture de la procédure en manquement correspondante 2013/4218. Par le même acte, la Commission a également demandé la condamnation de la requérante aux dépens.

26.      À la suite de cette demande, le Tribunal a décidé de rouvrir la phase orale de la procédure par ordonnance du 14 mars 2018 et il a invité les parties à s’exprimer sur la demande de non‑lieu à statuer déposée par la Commission.

27.      Dans ses observations, Igpour a contesté avoir perdu son intérêt à agir, alors que la République de Pologne s’est limitée à relever dans ses observations qu’elle ne s’opposait pas à la demande de la Commission. Le Royaume de Suède n’a pas déposé d’observations sur cette demande.

28.      Par l’ordonnance attaquée (7), le Tribunal a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de statuer et il a condamné chaque partie à supporter ses propres dépens.

29.      À l’appui de sa décision, le Tribunal, eu égard à la spécificité de la situation en cause dans la procédure, a considéré peu probable qu’une situation analogue à celle de l’espèce se représente à l’avenir et il a donc exclu la persistance de l’intérêt de la requérante à agir à la suite de la mise à disposition des documents demandés.

30.      En outre, le Tribunal a estimé qu’Igpour, en contestant la demande de la Commission de conclure la procédure par un non‑lieu, s’était limitée à évoquer la possibilité au sens général d’un recours futur en responsabilité, sans toutefois préciser si elle avait réellement l’intention de le faire.

C.      La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

31.      Par un pourvoi introduit le 3 septembre 2018 devant la Cour, Igpour a demandé à la Cour d’annuler l’ordonnance du Tribunal constatant le non‑lieu à statuer et d’annuler les décisions litigieuses, refusant à la requérante l’accès aux avis circonstanciés émis par la Commission et la République de Malte dans le cadre de la procédure de notification 2014/537/PL. Igpour a également demandé la condamnation de la Commission aux dépens.

32.      À titre subsidiaire, Igpour a demandé que l’affaire soit renvoyée devant le Tribunal pour que ce dernier statue sur le fond et sur les dépens.

33.      Le Royaume de Suède a demandé à la Cour d’annuler l’ordonnance attaquée et les décisions litigieuses.

34.      La Commission a, en revanche, conclu au rejet du pourvoi et à la condamnation de la requérante aux dépens.

IV.    Examen du pourvoi

35.      Igpour invoque cinq moyens à l’appui de son pourvoi.

36.      Par son premier moyen, divisé en deux branches, Igpour reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit (points 30 et 32 de l’ordonnance attaquée) :

–        en considérant qu’il était peu probable que l’illégalité alléguée par la requérante se représente à l’avenir et que, partant, la requérante, à la suite de la divulgation des documents demandés, n’avait aucun intérêt à poursuivre la procédure ;

–        en considérant, aux fins de cette appréciation, que la question pertinente était de savoir s’il était possible que se présente à l’avenir une situation spécifique telle que celle en cause en l’espèce, plutôt que de savoir si la Commission risquait d’appliquer à l’avenir, dans d’autres cas d’accès, l’exception prévue à l’article 4, deuxième alinéa, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

37.      Par son deuxième moyen, la requérante fait valoir qu’au point 33 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’une décision de clôture de la procédure sans arrêt ne permettrait pas à la Commission de se soustraire à un contrôle juridictionnel effectif.

38.      Par son troisième moyen, Igpour fait valoir qu’au point 34 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la clôture de la procédure sans arrêt ne ferait pas peser sur la requérante une charge injustifiable si elle devait introduire un recours en indemnité contre la Commission.

39.      Le quatrième moyen, relatif au point 34 de l’ordonnance attaquée, est tiré d’une prétendue erreur de droit commise par le Tribunal lorsqu’il a considéré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le fondement des éventuelles demandes de dommages‑intérêts formées par la requérante ou par ses membres en réparation du préjudice causé par les décisions litigieuses, dans la mesure où la requérante : n’avait pas précisé si l’intention d’intenter une action en dommages-intérêts était purement hypothétique ; ne s’était pas fondée sur des éléments précis, concrets et vérifiables, et n’avait fourni aucune preuve du préjudice causé par les décisions litigieuses.

40.      Par son cinquième moyen, Igpour soutient que, au point 34 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que la requérante n’avait aucun intérêt à poursuivre le recours alors que l’annulation des décisions litigieuses était nécessaire pour réparer le préjudice moral infligé à la requérante en tant qu’organisation professionnelle.

41.      Comme je l’ai indiqué, les présentes conclusions se concentreront sur le premier moyen du pourvoi.

A.      Argumentation des parties sur le premier moyen

42.      Igpour soutient que, aux points 30 et 32 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant qu’il était peu probable que, dans une situation telle que celle en cause en l’espèce, le prétendu refus illégal d’accès aux documents cités opposé par la Commission puisse se produire à l’avenir et que, partant, la requérante n’avait pas d’intérêt à poursuivre la procédure.

43.      Plus précisément, Igpour estime que le Tribunal n’a pas conclu qu’il était improbable que la Commission se fonde à l’avenir sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 selon laquelle, lorsque les documents auxquels un accès est demandé en vertu du règlement no 1049/2001 comportent des références à des lettres de mise en demeure, voire, en l’absence de telles références, sont « indissolublement liés » à une procédure en manquement en cours, ils sont couverts par une présomption générale de non‑divulgation.

44.      La requérante soutient en effet que le Tribunal a plutôt évalué la probabilité que l’interprétation effectuée en l’espèce puisse être réutilisée dans une situation analogue à celle de la présente affaire, à savoir une nouvelle affaire dans laquelle, dans le cadre d’une procédure en manquement, un État membre notifie à la Commission un projet de loi répondant à ses préoccupations faisant l’objet de ladite procédure, et la Commission refuse de divulguer les avis rendus sur ce projet de loi afin de protéger la confidentialité nécessaire dans les relations entre les États et la Commission pendant la procédure en manquement.

45.      À cet égard, Igpour renvoie notamment à l’arrêt du Tribunal du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement (8), dans lequel le Tribunal a confirmé l’intérêt de la requérante à obtenir une décision dans une situation similaire, dans la mesure où l’illégalité alléguée par la requérante reposait sur une interprétation d’une des exceptions prévues par le règlement no 1049/2001 que le Parlement risquait de réitérer à l’occasion d’une nouvelle demande d’accès.

46.      Selon Igpour, le Tribunal aurait commis la même erreur que celle visée aux points précédents en approuvant l’interprétation de la Commission selon laquelle le principe de transparence qui sous-tend la directive 98/34 (dorénavant la directive 2015/1535) n’empêche pas la Commission d’invoquer des présomptions générales de non‑divulgation à l’égard d’avis circonstanciés rendus dans le cadre d’une procédure de notification non confidentielle.

47.      En outre, Igpour fait valoir que, compte tenu de l’étendue considérable des obligations des États membres en matière de notification en vertu de la directive 2015/1535, il est fortement probable que de nombreux documents notifiés répondront, au moins partiellement, aux préoccupations de la Commission.

48.      La requérante fait en outre observer qu’une autre ordonnance la concernant, à savoir l’ordonnance du 19 juillet 2018, Izba Gospodarcza Producentów i Operatorów Urządzeń Rozrywkowych/Commission (9), peut être considérée comme pertinente en l’espèce afin de montrer que la Commission défend avec constance ses interprétations de l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1049/2001 et du principe de transparence inscrit dans les directives 98/34 et 2015/1535. C’est précisément ce précédent, selon la requérante, qui confirme qu’il est probable que l’interprétation contestée se reproduise à l’avenir.

49.      Enfin, Igpour soutient qu’il est tout à fait probable qu’elle‑même dépose, à l’avenir, des demandes d’accès à des documents semblables à ceux de l’espèce : en sa qualité d’organisation d’entrepreneurs, ses activités concernent tous les aspects des opérations commerciales de ses membres et non uniquement les aspects qui sont directement liés au secteur particulier qu’elle représente, à savoir celui des jeux de hasard.

50.      Le gouvernement suédois estime que le pourvoi est fondé et limite ses observations au premier moyen soulevé par Igpour. À cet égard, le gouvernement observe que, bien qu’Igpour ait à présent accès aux documents litigieux, il ressort des points 10 et 35 du pourvoi que les décisions litigieuses n’ont pas été formellement retirées par la Commission, de sorte que le litige a conservé son objet.

51.      Selon le gouvernement suédois, Igpour a délibérément demandé à avoir accès aux avis circonstanciés dans le cadre d’une procédure de notification alors que la procédure en manquement était encore pendante. Toutefois, l’accès à ces documents n’a été autorisé qu’après la clôture de la procédure en manquement et de la procédure de notification. Puisque la divulgation des documents demandés n’a eu lieu qu’après la clôture des procédures pendantes, elle n’aurait pas atteint entièrement les objectifs poursuivis par la demande d’accès.

52.      Le gouvernement suédois partage l’avis d’Igpour selon lequel le Tribunal aurait dû examiner si la règle de présomption générale appliquée par la Commission aux décisions contestées pouvait être invoquée par celle‑ci à l’avenir. Cette conclusion trouve un appui direct dans l’arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660), duquel il ressort que ce qui doit être examiné est la question de savoir si l’illégalité invoquée est susceptible de se reproduire à l’avenir.

53.      Le gouvernement suédois, comme Igpour, estime qu’une telle situation est susceptible de se reproduire à l’avenir.

54.      Premièrement, il existe un risque immédiat que la Commission puisse motiver des décisions de rejet de demandes futures d’accès à des documents, présentées dans le cadre des procédures de notification de la directive 2015/1535, en se référant à la présomption générale en cause.

55.      Deuxièmement, la Commission a de facto déjà appliqué cette règle de présomption générale après avoir rendu les décisions contestées, afin de justifier le rejet d’une demande complémentaire d’Igpour qui, présentée dans le cadre d’une procédure de notification prévue par la directive 2015/1535, visait à avoir accès aux commentaires de la Commission et à un avis circonstancié.

56.      Troisièmement, le fait qu’Igpour s’expose au risque de voir la règle de présomption générale invoquée à l’avenir découle aussi de la circonstance qu’Igpour est une organisation représentant les intérêts des fabricants, des distributeurs et des opérateurs d’automates de divertissement en Pologne, dont les activités concernent tous les aspects des opérations commerciales de ses membres et non uniquement les aspects qui sont directement liés au secteur particulier qu’elle représente ou qui sont concernés par la législation nationale sur les jeux de hasard. Enfin, ce risque ne concerne pas seulement les demandes d’accès à des documents formulées par Igpour, mais également celles provenant d’autres acteurs.

57.      La Commission considère que le premier moyen n’est pas fondé pour trois raisons.

58.      Premièrement, elle fait valoir qu’Igpour ne conteste pas les critères juridiques retenus par le Tribunal pour apprécier la possibilité qu’elle ait pu conserver un intérêt à poursuivre la procédure, mais semble demander à la Cour de substituer à l’appréciation d’un élément factuel effectuée par le Tribunal, à savoir la probabilité que réapparaisse à l’avenir l’illégalité alléguée, sa propre appréciation du même élément factuel. Selon la Commission, le Tribunal a correctement examiné les circonstances de l’espèce et conclu qu’Igpour n’avait pas d’intérêt concret et actuel à empêcher que l’illégalité alléguée ne se reproduise à l’avenir.

59.      Deuxièmement, la Commission soutient que, après avoir pris la décision d’accorder l’accès aux documents en cause, l’intérêt actuel de la requérante à l’annulation des décisions litigieuses a disparu, étant donné que le fait de la poursuivre ne lui aurait procuré aucun avantage concret. Igpour a affirmé à tort que son intérêt à poursuivre la procédure peut être considéré comme étant de contester l’interprétation du règlement no 1049/2001 sur la base de laquelle la Commission a adopté les décisions litigieuses et qui pourrait réapparaître à l’avenir.

60.      Troisièmement, la Commission soutient que le Tribunal a utilisé à bon droit les éléments de fait spécifiques de l’affaire comme point de référence pour évaluer si des actions telles que celle d’Igpour risquaient d’être répétées et a conclu qu’il était peu probable qu’une telle situation atypique se reproduise à l’avenir.

61.      Enfin, selon la Commission, la position d’Igpour est très différente de celle de la requérante dans l’affaire C‑57/16 P. Dans cette affaire, la Cour a reconnu l’existence d’un intérêt de la requérante à engager ou à poursuivre la procédure malgré la divulgation des documents demandés, dans la mesure où le pourvoi visait à réformer un arrêt qui avait reconnu l’application d’une présomption générale de confidentialité à une certaine catégorie de documents et que la requérante, une organisation à but non lucratif ayant pour objectif la protection de l’environnement, était particulièrement susceptible d’être affectée par une réapparition de l’illégalité alléguée.

B.      Appréciation de la Cour

62.      Le présent pourvoi a pour objet le contrôle par la Cour de l’ordonnance attaquée, afin d’apprécier si le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que l’intérêt à agir (ou plus exactement à poursuivre la procédure) de l’actuelle requérante au pourvoi avait disparu au motif que la Commission avait accordé, avant la fin de la procédure devant le Tribunal, l’accès aux documents ayant fait l’objet d’un refus antérieur, qui avait donné lieu au recours en annulation.

63.      À cette fin, je résumerai brièvement les principes établis par la Cour concernant l’intérêt à agir et j’aborderai ensuite la question des limites dans lesquelles on peut considérer qu’il existe encore un intérêt à agir après la mise à disposition des documents demandés.

64.      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’objet du litige doit perdurer, de même que l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non‑lieu à statuer. Un tel intérêt suppose que l’annulation de l’acte attaqué soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (10).

65.      Il s’ensuit que, afin que son recours puisse être considéré comme recevable, non seulement le requérant doit se trouver dans une situation particulière par rapport à l’acte dont il entend contester la légalité, mais encore l’annulation de cet acte doit produire des effets positifs dans sa situation juridique (11). Si le requérant ne peut tirer aucun bénéfice du fait que son recours soit éventuellement accueilli, la saisine du juge ou la poursuite de l’instance ne sauraient être justifiées. C’est, en effet, afin de garantir la bonne administration de la justice, en évitant que le juge de l’Union ne soit saisi de questions purement théoriques, dont la solution n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences juridiques ou de procurer un bénéfice au requérant que toute personne introduisant une action en justice doit, indépendamment de la voie de recours choisie, avoir, et maintenir tout au long de l’instance, un intérêt à agir (12).

66.      L’intérêt à agir, qualifié dans la jurisprudence de condition essentielle et première de tout recours, doit être né et actuel et ne saurait être évalué en fonction d’un événement futur et hypothétique (13).

67.      La persistance de l’intérêt à agir d’un requérant doit donc être appréciée in concreto, en tenant compte, notamment, des conséquences de l’illégalité alléguée et de la nature du préjudice prétendument subi (14).

68.      Les principes généraux suivants peuvent donc être tirés desdits enseignements de la Cour : l’intérêt à agir doit exister au moment de l’action et demeurer jusqu’à la fin de l’instance et son absence donne lieu à l’irrecevabilité ou au non‑lieu à statuer ; l’intérêt à agir doit être né, actuel et réel, et non pas purement hypothétique ; la conclusion de la procédure doit être susceptible de procurer un bénéfice concret au requérant.

69.      Il convient maintenant de passer au deuxième aspect, plus spécifique, de la persistance ou non de l’intérêt à agir dans le cas des décisions relatives à l’accès à des documents qui, dans le cadre d’une procédure judiciaire, sont mis à la disposition du requérant.

70.      En effet, en l’espèce, comme indiqué plus haut, l’argument de base de la requérante est que son intérêt à agir persisterait même après la mise à disposition par la Commission des documents demandés (à la suite de la clôture de la procédure en manquement contre la République de Pologne), en raison du risque qu’une telle situation prétendument illégale puisse fréquemment se reproduire à l’avenir.

71.      Il convient aussi de décrire la situation qui pourrait se reproduire à l’avenir et qui serait donc susceptible de justifier la persistance de l’intérêt à agir.

72.      Selon la requérante, il s’agit de l’interprétation par la Commission de l’article 4, deuxième alinéa, troisième tiret, du règlement no 1049/2001. La requérante estime, en d’autres termes, que la seule circonstance que la Commission pourrait interpréter à l’avenir de manière similaire cette disposition, c’est‑à‑dire en considérant qu’elle pourrait opposer un refus à une demande d’accès au cours d’une procédure en manquement contre un État membre, aurait pour effet la persistance de l’intérêt à agir et, partant, la nécessité de poursuivre cette procédure jusqu’à la décision sur le fond du litige.

73.      Une telle solution aurait des conséquences paradoxales : en effet, l’intérêt à agir du requérant, dans toute procédure en matière d’accès à des documents, persisterait automatiquement du seul fait qu’à l’avenir l’institution européenne pourrait interpréter une disposition de droit spécifique de la manière contestée.

74.      Afin d’éviter ces effets paradoxaux, de nature à priver de tout effet utile les dispositions permettant d’ordonner le non‑lieu à statuer dans la procédure devant le Tribunal dans les affaires d’accès aux documents, il est certainement plus approprié d’appliquer le critère de probabilité à la circonstance spécifique qui fait l’objet de la procédure.

75.      Cela, en toute cohérence avec ce qui a été exposé ci‑dessus à propos de la nature de l’intérêt à agir qui, répétons-le, doit être concret, réel non purement hypothétique.

76.      Cela ne signifie pas, bien entendu, que la situation à prendre en considération pour le critère de probabilité soit seulement celle de l’affaire en cause en l’espèce, mais il peut s’agir aussi d’une situation similaire, pouvant concerner les mêmes circonstances factuelles.

77.      Cette position est confirmée à la lecture de la jurisprudence de la Cour en la matière lorsque, dans un arrêt, également cité par la requérante à l’appui de ses arguments, la Cour rappelle que la persistance de l’intérêt à agir suppose que l’illégalité alléguée soit susceptible de se reproduire à l’avenir « indépendamment des circonstances particulières de l’affaire en cause » (15).

78.      Le sens à donner à cette expression, à la lecture de l’ensemble du raisonnement de la Cour, est que l’intérêt du requérant à agir peut subsister s’il prouve que l’illégalité alléguée peut se reproduire à l’avenir y compris dans des procédures similaires et non identiques à celle en cause (16).

79.      En l’espèce, la situation qu’il convient de prendre en considération afin d’apprécier à quel degré elle est susceptible de se reproduire est la suivante : une demande d’accès aux documents formulée par une association représentant des intérêts commerciaux dans le cadre d’une procédure en manquement, au cours de laquelle l’État membre, afin d’éviter les conséquences pour l’infraction dont il est accusé, notifie à la Commission un projet de loi modifiant les dispositions considérées comme illicites. Les documents demandés, en particulier, sont deux avis exprimés par la Commission elle‑même et par un autre État membre dans le cadre de cette procédure.

80.      Une telle situation est certainement atypique et la probabilité qu’elle se reproduise ne saurait être considérée comme élevée.

81.      À cet égard, aucun argument spécifique n’a été soulevé sur ce point par la requérante qui, comme indiqué plus haut, s’est contentée d’indiquer que l’erreur de droit commise par le Tribunal résiderait dans la circonstance choisie comme référence pour l’appréciation de la probabilité.

82.      Au contraire, la Commission, estimant qu’il s’agissait d’une situation de fait et non de droit, dont l’appréciation par le Tribunal ne pouvait pas faire l’objet d’une révision dans le cadre du pourvoi, a fait valoir à plusieurs reprises, dans ses mémoires, confirmés à l’audience, le caractère atypique de cette situation, en confirmant que, dans les faits, elle ne s’est que rarement produite et qu’il est donc peu probable que cela puisse encore arriver dans le proche avenir.

83.      Afin d’apprécier si le Tribunal a effectivement commis une erreur de droit en considérant peu probable que la situation en cause en l’espèce se produise, il est très utile de comparer l’arrêt à un précédent récent de la Cour, cité par toutes les parties à la procédure à l’appui de leur thèse et, en particulier, par le gouvernement suédois dans ses observations écrites et par la requérante à l’audience.

84.      En effet, dans l’arrêt 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660), la Cour, statuant en grande chambre, s’est prononcée sur le pourvoi contre un arrêt du Tribunal en matière d’accès à des documents de la Commission, mais surtout, et c’est sous cet aspect que cette affaire présente le lien le plus étroit avec la présente procédure, elle a été amenée à répondre à la demande de la Commission de conclure l’affaire par un non‑lieu à statuer dès lors que, après l’audience et avant l’arrêt, les documents demandés avaient été transmis à la requérante.

85.      À cette occasion, la Cour a conclu, en rappelant également une jurisprudence antérieure, qu’un requérant peut, « dans certains cas », même à la suite de la mise à disposition des documents demandés, conserver un intérêt à demander l’annulation (17), mais en présence de certaines conditions, que la Cour a considéré remplies dans cette affaire spécifique dont elle était saisie mais qui, comme je l’exposerai, ne le sont pas en l’espèce. Elle a conclu à cet égard que « dans de telles conditions », il y avait lieu de considérer que la requérante avait conservé un intérêt à agir et que « [l]a reconnaissance d’un tel intérêt [était], compte tenu du risque de répétition de l’illégalité alléguée et eu égard aux circonstances particulières mentionnées cidessus, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice » (18).

86.      Dans son arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660), la Cour n’a pas énoncé, comme semble le prétendre la requérante, un principe général concernant la persistance de l’intérêt à agir dans les procédures en matière d’accès aux documents des institutions européennes.

87.      Au contraire, elle a clairement indiqué, surmontant certains doutes qui pouvaient résulter de la lecture de certains arrêts du Tribunal (19), que, dans les procédures relatives à l’accès aux documents, la persistance de l’intérêt à agir à la suite de la mise à disposition des documents par l’institution européenne doit être considérée comme exceptionnelle, la règle étant que, une fois la disponibilité des documents acquise, l’objet de la procédure et l’intérêt à agir cessent d’exister.

88.      Cette circonstance exceptionnelle, la persistance de l’intérêt à agir, peut en fait exister ou non en fonction de certaines variables : la nature de l’auteur de la demande et des intérêts en jeu et la réglementation spécifique applicable, le type d’acte faisant l’objet de la demande d’accès, la nature de la procédure à laquelle se réfèrent les documents demandés et l’exception au droit d’accès invoquée par la Commission au fondement de son refus.

89.      Toutes ces variables, qui constituent à mon avis, à la lumière des considérations qui précèdent, les « circonstances particulières » qui permettent la persistance de l’intérêt à agir, sont différentes dans l’affaire C‑57/16 P et dans le cas d’espèce : elles doivent donc conduire à une solution différente.

90.      La requérante dans l’affaire C‑57/16 P est une association à but non lucratif qui s’occupe de la protection des intérêts environnementaux ; la requérante en l’espèce est une association qui protège les intérêts de fabricants, de distributeurs et d’exploitants d’automates de divertissement et de jeux de hasard.

91.      Dans le domaine de l’environnement, comme on le sait, il existe une réglementation spécifique de la transparence des actes qui exige, entre autres, une interprétation restrictive des motifs de refus en ce qui concerne l’accès à l’information environnementale (20).

92.      En ce qui concerne le type d’actes pour lesquels l’accès a été demandé, il s’agissait, dans l’affaire C‑57/16 P, de rapports d’analyse d’impact et d’avis du comité d’analyse d’impact qui les accompagnaient, comportant des informations constituant des éléments importants du processus législatif de l’Union, faisant partie de la base de l’action législative de celle‑ci. Il s’ensuivait que le motif de refus d’accès devait être interprété de manière stricte s’agissant d’informations environnementales, compte tenu de l’intérêt que la divulgation des informations demandées présente pour le public, tendant ainsi à une transparence accrue de ces informations (21).

93.      Les actes faisant l’objet de la demande d’accès dans la présente procédure sont les avis rendus par la Commission elle‑même et par un État membre sur la proposition de modification législative présentée par la République de Pologne afin d’éviter les conséquences d’une procédure en manquement.

94.      En effet, il convient de rappeler que, dans l’affaire C‑57/16 P, il s’agissait sans conteste d’une procédure législative (22), alors que, en l’espèce, il s’agit, comme cela a été dit, d’une procédure législative qui s’intègre cependant fonctionnellement dans une procédure en manquement contre un État membre, dans laquelle le dialogue confidentiel entre la Commission et les États membres doit être préservé, conformément à une jurisprudence constante.

95.      À cet égard ne saurait être remis en cause le lien étroit entre les documents attaqués et la procédure en manquement, un lien toujours affirmé par la Commission dans ses mémoires et à l’audience, confirmé par la République de Pologne lors de l’audience et non démenti par des conclusions spécifiques de la requérante qui se borne à le contester de manière catégorique et sans pertinence au fond, bien qu’elle ait pu avoir connaissance de son contenu avant la saisine de la Cour.

96.      Il convient, en effet, de rappeler que la Cour a mentionné à plusieurs reprises que les documents afférents à la phase précontentieuse d’une procédure en manquement constituent, aux fins de la protection des objectifs des activités d’enquête, une catégorie unique de documents, sans qu’il y ait lieu d’opérer aucune distinction en fonction du type de document faisant partie du dossier ou de l’auteur des documents concernés (23).

97.      De même, la source sur laquelle la Commission a fondé son refus d’accès est également différente dans les deux cas. Dans l’affaire C‑57/16 P, s’agissant d’une procédure législative, la Commission a invoqué l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, en justifiant le refus de l’accès par l’impératif d’un espace de réflexion éloigné des pressions extérieures sur les initiatives politiques à proposer.

98.      En l’espèce, en revanche, la Commission a fondé le refus de l’accès aux documents demandés sur l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, au motif que les avis en cause contenaient des évaluations directement liées à la procédure en manquement, dont la connaissance aurait pu compromettre le dialogue entre les États membres et la Commission dans une procédure précontentieuse.

99.      En ce qui concerne la motivation du refus de la Commission et, partant, l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, bien qu’elle ne fasse pas directement l’objet de mon analyse dans les présentes conclusions pour les raisons exposées ci‑dessus, je me limiterai à quelques brèves considérations.

100. Si la règle en matière d’accès aux actes des institutions européennes est la plus grande transparence possible et, par conséquent, l’exception consiste en la possibilité de refuser l’accès pour des motifs spécifiques, exception qui, dérogeant au principe général doit être appliquée strictement (24), la jurisprudence de la Cour décline de différentes manières l’application concrète de ces principes.

101. L’arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660), a le mérite d’éclairer la portée de ces exceptions en les rendant dépendantes de la nature des actes, des acteurs et des procédures. En effet, si, dans le cadre d’une procédure législative, la portée du droit d’accès prend sa plus grande ampleur (et plus encore s’il s’agit de la protection d’intérêts environnementaux), s’agissant de procédures précontentieuses en manquement, ou au sens large de procédures d’inspection, cette portée tend à se réduire et la mise en balance de l’intérêt à la transparence et de l’intérêt à la confidentialité tend à pencher vers le second, ce qui permet aux institutions européennes de faire usage de présomptions générales.

102. En effet, le régime des exceptions prévu à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, est fondé sur une mise en balance des intérêts qui s’opposent dans une situation donnée, à savoir, d’une part, les intérêts qui seraient favorisés par la divulgation des documents concernés et, d’autre part, ceux qui seraient menacés par cette divulgation. La décision prise sur une demande d’accès à des documents dépend de la question de savoir quel est l’intérêt qui doit prévaloir dans le cas d’espèce (25).

103. En vertu de l’exception invoquée par la Commission en l’espèce, à savoir celle figurant à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, les institutions de l’Union refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé (26).

104. La Cour a, en effet, reconnu l’existence de présomptions générales de confidentialité au bénéfice de cinq catégories de documents, parmi lesquels les documents se rapportant à une procédure précontentieuse en manquement, y inclus les documents échangés entre la Commission et l’État membre concerné dans le cadre d’une procédure EU Pilot (27).

105. L’objectif de telles présomptions réside dans la possibilité, pour l’institution de l’Union concernée, de considérer que la divulgation de certaines catégories de documents porte, en principe, atteinte à l’intérêt protégé par l’exception qu’elle invoque, en se fondant sur de telles considérations générales, sans être tenue d’examiner concrètement et individuellement chacun des documents demandés (28).

106. La procédure précontentieuse, dans le cadre d’une procédure en manquement, a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit de l’Union et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission (29).

107. Partant, une divulgation des documents afférents à une procédure en manquement pendant la phase précontentieuse de celle‑ci serait susceptible de modifier la nature et le déroulement d’une telle procédure, étant donné que, dans ces circonstances, il pourrait s’avérer encore plus difficile d’entamer un processus de négociation et de parvenir à un accord entre la Commission et l’État membre concerné mettant fin au manquement reproché, afin de permettre que le droit de l’Union soit respecté et d’éviter un recours juridictionnel (30).

108. Il peut donc être présumé que la divulgation des documents afférents à une procédure en manquement, au cours de la phase précontentieuse de celle‑ci, risque d’altérer le caractère de cette procédure ainsi que d’en modifier le déroulement, et que, partant, cette divulgation porterait, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 (31).

109. La Cour a également précisé que cette présomption générale n’exclut pas la possibilité de démontrer qu’un document donné, dont la divulgation est demandée, n’est pas couvert par ladite présomption ou qu’il existe, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, du règlement no 1049/2001, un intérêt public supérieur justifiant la divulgation du document visé (32). Toutefois cette charge de la preuve incombe au requérant (33) et, en l’espèce, elle ne semble pas avoir été acquittée.

110. L’opportunité de l’utilisation d’une présomption générale, en l’espèce, ne semble pas devoir être exclue ; en effet, il s’agit d’une procédure en manquement, bien que caractérisée par certaines particularités.

111. À la lumière des considérations qui précèdent, il peut être conclu que l’actuelle requérante au pourvoi n’a pas démontré la persistance de son intérêt à agir à la suite de la mise à disposition, au cours de la procédure devant le Tribunal, des documents demandés et initialement refusés par la Commission.

112. En ce qui concerne le premier moyen, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant qu’il était peu probable que l’illégalité alléguée par la requérante se représente à l’avenir et que, aux fins de cette appréciation, la question pertinente était celle de savoir si une situation analogue à celle en cause en l’espèce pourrait se présenter à l’avenir.

113. En raison de la nature de la procédure en manquement dans le cadre de laquelle la demande de documents a été introduite, de la nature même des actes demandés et de l’auteur de la demande, ainsi que de la matière concernée par la procédure, l’approche exceptionnelle exposée par la Cour dans l’arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660), ne saurait être appliquée.

114. L’approche générale, confirmée par l’arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660), qui, en l’absence de conditions particulières, permet au Tribunal de conclure la procédure par une décision de non‑lieu à statuer lorsque, dans une procédure relative au droit d’accès à des documents, lesdits documents sont mis à disposition au cours de la procédure et que la partie ne démontre pas un intérêt spécifique de nature à justifier la poursuite de la procédure, reste donc applicable.

115. En effet, il n’y a en l’espèce aucune raison particulière de penser que la requérante serait « particulièrement exposée à de telles mises en œuvre de ladite présomption dans le futur », contrairement à ce qui était le cas de la requérante dans l’affaire C‑57/16 P qui, en tant qu’organisation à but non lucratif ayant pour objectif la protection de l’environnement, avait notamment pour mission d’agir en vue d’assurer une transparence et une légitimité accrues du processus législatif de l’Union en matière environnementale. Pour reprendre les termes de la Cour, il était donc probable qu’elle demande de nouveau accès à des documents analogues aux documents litigieux à l’avenir (34). Il n’en va pas de même de l’actuelle requérante au pourvoi, qui n’a pas démontré avoir un intérêt spécifique à l’annulation des mesures litigieuses dès lors que, comme il ressort des considérations exposées ci‑dessus, contrairement à l’affaire C‑57/16 P, la poursuite de la procédure n’aurait pu apporter aucun bénéfice supplémentaire concret.

V.      Conclusion

116. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.


1      Langue originale : l’italien.


2      C‑57/16 P, EU:C:2018:660.


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO 1998, L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015 (JO 2015, L 241, p. 1) (ci-après la « directive 98/34 »).


5      La Commission a attribué au projet de loi la référence 2014/537/PL


6      Les décisions litigieuses ont été répertoriées comme Gestdem 2015/1291.


7      Note sans objet pour la version de langue française des présentes conclusions.


8      T‑540/15, EU:T:2018:167.


9      T‑750/17, non publiée, EU:T:2018:506.


10      Voir, entre autres, arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 43 et jurisprudence citée).


11      Une telle caractérisation de l’intérêt à agir trouve confirmation, d’un côté, dans la teneur de certaines langues officielles de l’Union, comme l’allemand, qui désigne l’intérêt à agir par le terme « Rechtsschutzbedurfnis » ou « Rechtschutzinteresse » (littéralement « besoin » ou « intérêt à la protection juridique ») et, d’un autre côté, dans la jurisprudence de la Cour qui parle d’« intérêt né et actuel nécessitant une protection juridique » (voir arrêt Planet/Commission, C‑564/13 P, EU:C:2015:124, points 28 et 34). En ce sens, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Mory e.a./Commission (C‑33/14 P, EU:C:2015:409, points 27 et 28 et note 19).


12      Conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Mory e.a./Commission (C‑33/14 P, EU:C:2015:409, point 28 et jurisprudence citée).


13      Conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Mory e.a./Commission (C‑33/14 P, EU:C:2015:409, point 29 et jurisprudence citée).


14      Arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission (C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 65).


15      Arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission (C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 52).


16      En effet, la Cour juge dans cet arrêt, qui concernait une procédure de sélection en vue d’un recrutement, que « le Tribunal a considéré que le requérant conservait un intérêt à obtenir un jugement concernant la légalité de la procédure de sélection en cause afin que l’illégalité alléguée ne se reproduise pas à l’avenir dans le cadre d’une procédure analogue à celle de l’espèce. À cet égard, le Tribunal s’est fondé sur le moyen, invoqué par le requérant, tiré de l’illégalité de la procédure de sélection en raison de la présélection des candidats résultant de la note du directeur général. Le Tribunal a considéré qu’il ne pouvait être exclu que le directeur général puisse jouer un rôle similaire dans une procédure de sélection ultérieure et analogue ».


17      Arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 48). Mise en italique par mes soins.


18      Arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 56). Mise en italique par mes soins.


19      T‑540/15, EU:T:2018:167.


20      Considérant 15 du règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13).


21      Arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, points 91 et 100).


22      Le considérant 6 du règlement no 1049/2001 indique qu’un accès plus large aux documents devrait être autorisé dans les cas où les institutions de l’Union agissent en qualité de législateur. En effet, la possibilité, pour les citoyens, de contrôler et de connaître l’ensemble des informations qui constituent la base de l’action législative de l’Union est une condition préalable à l’exercice effectif par ces derniers de leurs droits démocratiques, reconnus notamment à l’article 10, paragraphe 3, TUE. Cet exercice suppose non seulement que les citoyens concernés disposent des informations en cause afin de comprendre les choix opérés par les institutions de l’Union dans le cadre du processus législatif, mais également qu’ils puissent avoir accès à ces informations en temps utile, à un moment qui les mette en mesure de faire valoir utilement leur point de vue sur ces choix [arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 84)].


23      Arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 64), et du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission (C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 74).


24      Arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 78).


25      Arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 42).


26      Arrêt du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission (C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 58).


27      Arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 81 et jurisprudence citée).


28      Arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 52 et jurisprudence citée).


29      Arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 62, et jurisprudence citée).


30      Arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 63).


31      Arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 65).


32      Arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 66, et jurisprudence citée).


33      Arrêt du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission (C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 90).


34      Arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 54).