Language of document : ECLI:EU:T:2008:376

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

16 septembre 2008 (*)

« Union douanière − Opération de transit communautaire externe − Produits de la pêche en provenance de Norvège − Demande de remise et de remboursement de droits à l’importation − Clause d’équité − Règlements (CEE) n° 2913/92 et n° 2454/93 – Circonstances particulières – Ouverture rétroactive de contingents tarifaires »

Dans l’affaire T‑496/04,

Nortrail Transport GmbH, établie à Kiel (Allemagne), représentée par Me J. Krause, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. B. Schima et Mme J. Hottiaux, puis par M. Schima et Mme M. Patakia, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission REM 15/02, du 1er octobre 2004, constatant que le remboursement des droits à l’importation au profit de la requérante, faisant l’objet de la demande présentée par la République fédérale d’Allemagne, n’est pas justifié,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe et M. S. Soldevila Fragoso (rapporteur), juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 janvier 2008,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

 Dispositions relatives à l’ouverture de contingents tarifaires pour certains produits de la pêche en provenance du Royaume de Norvège

1        Aux termes du règlement (CE) nº 992/95 du Conseil, du 10 avril 1995, portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires pour certains produits agricoles et de la pêche, originaires de Norvège (JO L 101, p. 1), la Communauté s’engage à ouvrir chaque année, sous certaines conditions, des contingents à droits réduits ou nuls pour un certain nombre de produits originaires de ce pays. Ces contingents tarifaires sont octroyés sur la base de l’accord entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Norvège, conclu le 14 mai 1973 (JO L 171, p. 2).

2        La décision 95/312/CE du Conseil, du 24 juillet 1995, concernant la conclusion du protocole additionnel à l’accord entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Norvège à la suite de l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à l’Union européenne (JO L 187, p. 14), a adapté les contingents susmentionnés en tenant compte des régimes d’échanges qui existaient en matière de produits de la pêche entre ces trois pays et la Norvège. L’article 5 du protocole additionnel prévoit que son entrée en vigueur se produira le 1er juillet 1995, « à condition que les parties contractantes se soient notifiées, avant cette date, l’accomplissement des procédures nécessaires à cet effet ». Après cette date, le protocole entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois qui suit ladite notification. L’accomplissement des procédures nécessaires s’étant achevé le 28 juillet 1995, le protocole additionnel est finalement entré en vigueur le 1er septembre 1995.

3        L’annexe I du protocole additionnel contient une liste de produits de la pêche originaires de Norvège pour lesquels la Communauté accorde des contingents tarifaires. Il y est indiqué que ces contingents tarifaires seront appliqués du 1er janvier au 31 décembre de chaque année, sauf pour 1995, où ils seront appliqués du 1er juillet au 31 décembre. Pour les montants indiqués pour chaque groupe de produits, les importations communautaires originaires de Norvège peuvent être mises en libre pratique à droits nuls.

4        Les contingents tarifaires établis par le protocole additionnel ont été ouverts par le règlement (CE) nº 3061/95 du Conseil, du 22 décembre 1995, modifiant le règlement nº 992/95 (JO L 327, p. 1). L’avant-dernier considérant du règlement nº 3061/95 prévoit l’ouverture des contingents tarifaires en cause pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre de chaque année, tout en précisant que, eu égard au fait que lesdites concessions ne pouvaient être mises en application qu’à partir du 1er juillet 1995, l’ouverture de ces contingents aurait lieu, exceptionnellement pour l’année 1995, du 1er juillet au 31 décembre, pour la totalité du volume annuel contingentaire.

5        Aux termes de l’article 2 du règlement nº 3061/95, son annexe I, laquelle remplace l’annexe I du règlement nº 992/95, est applicable à partir du 1er janvier 1995 ou pendant les périodes qui y sont indiquées. Cette annexe contient, en particulier, un tableau énumérant les produits originaires de Norvège pour lesquels des contingents tarifaires sont ouverts, avec indication de leur volume exprimé en tonnes. Conformément à la note en bas de page nº 2 de ladite annexe, ces volumes contingentaires sont applicables du 1er juillet au 31 décembre 1995 et, ensuite, du 1er janvier au 31 décembre de chaque année.

6        La gestion des contingents tarifaires ouverts par le règlement nº 3061/95 est régie par le règlement nº 992/95. Aux termes de l’article 2 dudit règlement, ces contingents sont gérés par la Commission, qui peut prendre toute mesure administrative utile en vue d’en assurer une gestion efficace. L’article 3 du règlement nº 992/95 prévoit que, si un importateur présente dans un État membre une déclaration de mise en libre pratique comprenant une demande du bénéfice préférentiel et si cette déclaration est acceptée par les autorités douanières, l’État membre concerné procède, par voie de notification à la Commission, à un prélèvement (tirage), sur le volume contingentaire, d’une quantité correspondant à ses besoins. Les demandes de prélèvement, avec indication de la date d’acceptation desdites déclarations, doivent être transmises à la Commission sans retard. Par la suite, ces demandes de prélèvement sont accordées par la Commission en fonction de la date d’acceptation des déclarations de mise en libre pratique par les autorités douanières de l’État membre concerné, dans la mesure où le solde disponible le permet. Si les quantités demandées sont supérieures au solde disponible du volume contingentaire, l’attribution est faite au prorata des demandes. Les États membres sont informés par la Commission des prélèvements effectués.

7        Conformément à la décision nº 1/94 du comité mixte CE-Norvège, du 8 mars 1994, portant modification du protocole nº 3 relatif à la définition de la notion de « produits originaires » et aux méthodes de coopération administrative, annexé à l’accord entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Norvège (JO L 204, p. 90), l’article 17, paragraphe 7, dudit protocole prévoit que les certificats de circulation des marchandises EUR.1 sont délivrés par les autorités douanières du pays d’exportation lorsque les produits en cause sont exportés, ces certificats étant tenus à la disposition de l’exportateur dès que l’exportation réelle est effectuée ou assurée. L’article 18, paragraphe 1, de ce protocole établit, toutefois, ce qui suit :

« Par dérogation à l’article 17, paragraphe 7, un certificat de circulation des marchandises EUR.1 peut, à titre exceptionnel, être délivré après l’exportation des produits auxquels il se rapporte :

a)      s’il n’a pas été délivré au moment de l’exportation par suite d’erreurs, d’omissions involontaires ou de circonstances particulières ou

b)      s’il est démontré à la satisfaction des autorités douanières qu’un certificat de circulation des marchandises EUR.1 a été délivré, mais n’a pas été accepté à l’importation pour des raisons techniques. »

 Règles relatives au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou à l’exportation

8        L’article 239 du règlement (CEE) nº 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le « code des douanes »), prévoit la possibilité d’un remboursement ou d’une remise des droits à l’importation ou à l’exportation dans des situations, autres que celles visées aux articles 236, 237 et 238 du code des douanes, qui résultent de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé.

9        Cette disposition a été précisée et développée par le règlement (CEE) nº 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du code des douanes (JO L 253, p. 1, ci-après le « règlement d’application »), en particulier par ses articles 899 à 909. Ainsi, l’article 905, paragraphe 1, du règlement d’application, dans sa version applicable à la présente espèce, dispose que, lorsque l’autorité douanière nationale n’est pas en mesure de prendre une décision sur la base de l’article 899 de ce règlement et que la demande est assortie de justifications susceptibles de constituer une situation particulière qui résulte de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé, l’État membre dont relève cette autorité transmet le cas à la Commission, pour être réglé conformément à la procédure prévue aux articles 906 à 909 dudit règlement.

 Faits à l’origine du litige

10      À partir de juillet 1995, la requérante, Nortrail Transport GmbH, une société de transport et commissionnaire en douanes établie en Allemagne, a importé des produits de la pêche originaires de Norvège, pour le compte de ses clients, des exportateurs norvégiens. Les marchandises en cause étaient susceptibles de bénéficier d’une mise en libre pratique en exemption des droits au titre des contingents tarifaires prévus par la décision 95/312.

11      Par note du 31 août 1995, le ministère fédéral des Finances a informé les bureaux de douane allemands de l’ouverture de contingents tarifaires à partir du 1er septembre 1995, dans le cadre du protocole additionnel à l’accord entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Norvège. Par note du 4 octobre 1995, il leur a toutefois communiqué que ces contingents tarifaires avaient été ouverts avec effet rétroactif au 1er juillet 1995.

12      À partir du 1er septembre 1995, la requérante a sollicité la mise en libre pratique des marchandises au bénéfice de l’exemption des droits au titre de ces contingents tarifaires et a joint, à cet effet, les certificats d’origine EUR.1 nécessaires. Dès que les contingents tarifaires concernés ont été ouverts par le règlement nº 3061/95, le bureau de douane compétent a adressé des demandes de prélèvement au Zentralstelle Zollkontingente (Office central des contingents douaniers) à Düsseldorf.

13      Par la suite, les autorités douanières allemandes ont constaté que l’exemption des droits sollicitée par la requérante ne pouvait lui être accordée pour un certain nombre de ses importations. En conséquence, le 8 mars 1996, elles lui ont réclamé le montant des droits d’importation au taux normal pour les mises en libre pratique concernées, soit un montant de 955 330,64 marks allemands (DEM) (488 452,80 euros). En ce qui concerne les importations effectuées par la requérante durant les mois de juillet et d’août 1995 et pour lesquelles elle disposait des titres préférentiels, les certificats d’origine EUR.1, les autorités douanières ont procédé d’office à l’imputation a posteriori des marchandises en cause sur lesdits contingents. Cette opération a donné lieu à un remboursement de droits au profit de la requérante pour un montant de 274 658,37 DEM (140 430,59 euros). Ainsi, après compensation des montants, il restait à la charge de la requérante une dette douanière d’un montant de 680 672,27 DEM (348 022,21 euros), qui a ensuite été ramené, après déduction de ses exportations pour les mois de mai et de juin 1996, à 669 903,87 DEM (342 516,41 euros).

14      Le 8 mai 1996, la requérante a demandé aux autorités douanières allemandes une remise des droits à l’importation à hauteur de 460 220,67 DEM (235 307,09 euros), ainsi que le remboursement des droits déjà payés, pour un montant de 209 683,20 DEM (107 209,32 euros). Le 28 novembre 1997, le bureau des douanes compétent a rejeté cette demande. La réclamation introduite par la requérante a été rejetée le 19 mars 1998. Le 13 octobre 1999, le recours qu’elle a introduit devant le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg, Allemagne) a également été rejeté. Le Finanzgericht Hamburg a notamment considéré qu’il n’existait pas de situation particulière au sens de l’article 239 du code des douanes. La requérante a ensuite introduit un recours en révision auprès du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances), qui, dans un arrêt du 24 avril 2001, a estimé, en revanche, que les circonstances en présence pouvaient être constitutives d’une telle situation particulière et a décidé que le dossier devait être transmis à la Commission pour être examiné sous l’angle dudit article 239.

15      En exécution de l’arrêt du Bundesfinanzhof, les autorités allemandes ont, par lettre du 13 juin 2002, transmis le dossier à la Commission afin qu’elle examine si le remboursement des droits était justifié pour un montant de 669 903,87 DEM (342 516,41 euros).

16      Le 1er octobre 2004, la Commission a adopté la décision REM 15/02 constatant que le remboursement des droits à l’importation n’était pas justifié en l’espèce (ci-après la « décision attaquée »).

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 2004, la requérante a introduit le présent recours.

18      Dans ses écritures, la requérante a demandé au Tribunal que les données la concernant soient, dans la mesure du possible, rendues anonymes et que les documents relatifs aux procédures judiciaires engagées devant le Finanzgericht Hamburg et le Bundesfinanzhof soient joints au dossier.

19      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

20      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a posé par écrit une question à la Commission, en l’invitant à y répondre lors de l’audience.

21      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 30 janvier 2008.

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Arguments des parties

24      La requérante invoque, à l’appui de son recours, un moyen unique tiré de la violation de l’article 239 du code des douanes et de l’article 905 du règlement d’application, ainsi que de la violation du principe d’égalité de traitement. Elle soutient que les conditions pour le remboursement de droits à l’importation sont remplies en l’espèce, car il existait des circonstances spéciales la mettant dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs économiques de la Communauté qui exerçaient la même activité.

25      D’après la requérante, lesdites circonstances particulières résident, tout d’abord, dans l’ouverture rétroactive des contingents tarifaires en cause. Elle prétend que, comme le Bundesfinanzhof l’aurait constaté dans son arrêt du 24 avril 2001, il n’existait en l’espèce aucun motif justifiant une telle ouverture avec effet rétroactif. La requérante fait par ailleurs remarquer que, actuellement, cette ouverture rétroactive de contingents tarifaires n’est pas conforme à l’article 308 bis, paragraphe 9, du règlement d’application.

26      La requérante fait ensuite valoir que la décision 95/312 était rédigée de manière incomplète et ambiguë, eu égard, en particulier, à la contradiction existant entre ses dates de publication et d’entrée en vigueur, d’une part, et la date d’ouverture des contingents tarifaires, d’autre part. Ces insuffisances et contradictions auraient provoqué, pour les autorités douanières nationales, une incertitude en ce qui concerne la date d’ouverture de ces contingents et auraient donné lieu à cet égard à des interprétations divergentes de la part de celles-ci, ce qui aurait créé une insécurité juridique chez les opérateurs économiques.

27      La requérante fait remarquer que les autorités allemandes ont d’abord considéré que les contingents tarifaires en cause ne seraient ouverts qu’à partir du 1er septembre 1995. Le 31 août 1995, elle aurait été informée de cette circonstance par l’agence de dédouanement d’Oslokai (Kiel). Or, le 4 octobre 1995, le ministère fédéral des Finances aurait informé les bureaux de douane allemands que, en raison d’une décision du service juridique de la Commission, ces contingents étaient ouverts rétroactivement au 1er juillet 1995. Le 6 octobre 1995, l’agence de dédouanement aurait informé la requérante de cette ouverture rétroactive. La requérante fait remarquer que cela l’a particulièrement surprise, car les autorités douanières allemandes lui avaient confirmé à plusieurs reprises, depuis 1994, qu’il ne fallait pas s’attendre à une ouverture des contingents tarifaires pour 1995. La requérante conclut qu’elle devait partir du principe qu’un tel régime préférentiel ne serait pas proposé avant le 1er septembre 1995.

28      Après cette date, la requérante aurait constamment demandé aux autorités compétentes, sans succès, si les contingents tarifaires en cause étaient déjà épuisés ou quand il fallait s’attendre à leur clôture. Vers la fin du mois de novembre 2005, la requérante aurait commencé à avoir des doutes fondés sur l’attitude des autorités douanières allemandes, qui seraient toujours prêtes à placer les marchandises en franchise de droits, en ouvrant ainsi la perspective d’une possibilité de bénéficier des contingents tarifaires. À partir du 30 novembre 1995, la requérante n’aurait plus eu recours à ces contingents. Or, malgré ses demandes d’information incessantes auprès des services compétents, ce ne serait qu’après la publication de la circulaire du ministère fédéral des Finances du 13 février 1996 que la requérante aurait été informée de manière fiable de la date d’épuisement du volume des contingents.

29      La requérante relève que, dans d’autres États membres, en revanche, les opérateurs ont été informés à temps de l’ouverture éventuelle du contingent tarifaire. Ainsi, au Danemark, à la suite de la publication, le 8 août 1995, de la décision 95/312, les autorités douanières seraient parties du principe que des contingents tarifaires seraient ouverts rétroactivement, avec effet au 1er juillet 1995. Les autorités danoises auraient donc confirmé les importations réalisées en franchise de droits jusqu’à ce moment et fait bénéficier rétroactivement du régime préférentiel les marchandises qui n’avaient, jusqu’alors, pas été placées en franchise de droits.

30      De même, selon la requérante, les autorités douanières danoises ont enregistré les placements en franchise de droits auxquels elles procédaient, ce qui leur a permis, grâce à des projections, de mettre en accord le montant total de ces placements avec le volume du contingent tarifaire. Par conséquent, les autorités danoises auraient déjà pu indiquer, à la fin du mois de septembre 1995, que les placements en franchise de droits ne pouvaient plus avoir lieu, en raison de l’épuisement des contingents.

31      À cet égard, la requérante fait remarquer que, à partir du 1er septembre 1995, date à laquelle elle a commencé à demander l’application de l’exemption de droits de douane, certains contingents tarifaires étaient déjà épuisés, en raison de leur ouverture rétroactive au 1er juillet 1995. Ce fait démontrerait que d’autres États membres auraient interprété de manière différente la date d’ouverture des contingents et autorisé auparavant le dédouanement ou l’importation dans ce cadre. Or, la requérante devant se conformer aux instructions des autorités douanières allemandes, elle n’aurait pu imputer ses marchandises sur ces contingents avant le 1er septembre 1995 et aurait subi la fixation a posteriori des droits de douane.

32      La requérante fait dès lors valoir que, contrairement aux déclarants danois, elle a été soumise au risque de ne pouvoir faire valoir aucun droit sur les contingents tarifaires existants. Les déclarants d’importations en Allemagne, en effet, n’auraient eu, dès le départ, aucune chance de bénéficier du régime préférentiel, dans la mesure où les contingents tarifaires étaient déjà épuisés longtemps avant que ces opérateurs aient été informés de manière certaine de leur ouverture.

33      En outre, selon la requérante, si les autorités douanières allemandes ont imputé a posteriori certaines déclarations sur les contingents, cette mesure n’a pas compensé, pour l’essentiel, les dommages économiques subis par les déclarants concernés. Elle fait valoir que, si la procédure avait suivi son cours normal, elle aurait essayé, après l’ouverture du contingent, de former le plus de demandes possibles afin de l’utiliser le plus largement possible à son profit. Elle maintient aussi que, lorsque, des mois après le dédouanement, les autorités douanières allemandes lui ont demandé des attestations de régime préférentiel afin de prendre en compte a posteriori les marchandises déjà dédouanées, il était trop tard pour se les procurer rétroactivement. Or, la nécessité d’obtenir ces attestations pour des motifs de contingentement n’aurait pas été évidente avant le 1er septembre 1995. Au surplus, la requérante prétend avoir subi une inégalité de traitement, car les autorités douanières danoises auraient imputé des marchandises déjà dédouanées sans attestation de régime préférentiel sur les contingents ouverts rétroactivement, s’il ressortait simplement de la facture que la marchandise ne provenait que de Norvège.

34      De même, la requérante soutient que le fait que les autorités allemandes aient procédé d’office à une telle imputation a posteriori était contraire à la pratique habituelle, ne correspondait pas au déroulement prévu de la procédure et constituait, partant, une mesure d’équité, destinée à atténuer les conséquences négatives de l’ouverture rétroactive de ces contingents. Cette imputation a posteriori démontrerait que, aux yeux de l’administration des douanes allemande, les circonstances de l’époque constituaient une situation extraordinaire.

35      La requérante soutient, en définitive, que les déclarants qui n’ont été informés qu’en octobre 1995 par les autorités douanières de l’ouverture rétroactive des contingents tarifaires ont subi une inégalité de traitement. Aux fins de l’application de l’article 239 du code des douanes, elle devrait être comparée aux autres opérateurs économiques qui exercent la même activité dans d’autres États membres. La discrimination qu’elle aurait subie ne serait donc pas justifiée par le fait que tous les autres déclarants allemands en aient aussi été affectés. Ainsi que le Bundesfinanzhof aurait conclu, pour admettre l’existence d’un doute, au sens de l’article 905 du règlement d’application, il suffirait de démontrer qu’un acte communautaire exclut dès le départ un grand nombre d’importateurs, en l’espèce, au moins tous les importateurs allemands, du bénéfice d’un avantage douanier [voir arrêt du 24 avril 2001 du Bundesfinanzhof, point 2, sous d)]. La requérante fait encore valoir qu’elle a fait l’objet d’une discrimination par rapport à tout opérateur économique participant à un contingent dont la date d’ouverture ne présente aucune incertitude.

36      La Commission soutient que la requérante n’a pas prouvé l’existence de circonstances susceptibles de la mettre dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs économiques exerçant la même activité. Elle conteste, en particulier, que la requérante ou en général les déclarants allemands aient été empêchés d’effectuer des importations dans le cadre des contingents tarifaires préférentiels en cause.

37      La Commission fait valoir que le caractère rétroactif de la décision 95/312 ou du règlement nº 3061/95 ne justifie pas l’existence d’une situation exceptionnelle. Cette ouverture de contingents tarifaires avec effet rétroactif ne serait pas illégale et aurait procuré des avantages servant les intérêts des justiciables. En fait, l’ouverture rétroactive de contingents tarifaires ne serait pas inhabituelle et serait connue des opérateurs économiques.

38      La Commission soutient, par ailleurs, que les faits antérieurs à décembre 1995 n’ont eu aucune incidence en l’espèce sur la répartition des contingents tarifaires. Cette répartition aurait été régie uniquement par le règlement nº 3061/95, dans la mesure où la décision 95/312 et le protocole additionnel à l’accord entre la Communauté économique européenne et le Royaume de la Norvège n’établissaient ni le numéro ni le mode de gestion de ces contingents. Partant, avant la publication dudit règlement, il n’aurait pas été possible d’introduire des demandes de prélèvement auprès de la Commission. Après cette publication, les États membres auraient permis aux opérateurs économiques de déposer ou de modifier des demandes afin de bénéficier de l’allègement douanier, ceux-ci ayant pu se procurer a posteriori des titres préférentiels, des certificats d’origine EUR.1, pour les importations effectuées depuis la date d’ouverture des contingents.

39      La Commission fait remarquer que la répartition des volumes contingentaires a eu lieu le 5 février 1996, la date déterminante à cet égard étant celle de l’acceptation de la déclaration par les autorités douanières nationales. La question de savoir si les autorités nationales avaient accordé provisoirement ou non une exonération de droits dans le cadre des contingents n’aurait, en revanche, aucune pertinence à ce titre. La Commission prendrait ainsi en considération, pour une date d’acceptation déterminée, toutes les demandes de prélèvement émanant des différents États membres, jusqu’à épuisement du contingent. Cette procédure garantirait une égalité de traitement entre les demandes provenant de l’ensemble des États membres. Enfin, la Commission relève qu’il a fallu attendre que les contingents soient répartis pour connaître avec certitude le jour où un contingent déterminé était épuisé. Un contrôle préalable de l’accès aux contingents ne serait ni prévu ni même possible en cas d’ouverture avec effet rétroactif.

 Appréciation du Tribunal

40      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 239 du code des douanes prévoit la possibilité d’un remboursement total ou partiel des droits à l’importation ou à l’exportation acquittés, ou d’une remise d’un montant de dette douanière. La règle contenue dans cette disposition a été précisée par l’article 905 du règlement d’application, lequel constitue une clause générale d’équité, destinée, notamment, à couvrir des situations exceptionnelles, qui, en tant que telles, ne relèvent pas de l’un des cas de figure prévus aux articles 900 à 904 dudit règlement (arrêt de la Cour du 25 février 1999, Trans-Ex-Import, C‑86/97, Rec. p. I‑1041, point 18 ; arrêts du Tribunal du 13 septembre 2005, Ricosmos/Commission, T‑53/02, Rec. p. II‑3173, point 103, et du 27 septembre 2005, Geologistics/Commission, T‑26/03, Rec. p. II‑3885, point 34).

41      Il ressort du libellé dudit article 905 que le remboursement des droits à l’importation est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir, premièrement, l’existence d’une situation particulière et, deuxièmement, l’absence de négligence manifeste et de manœuvre de la part de l’intéressé (arrêts du Tribunal du 12 février 2004, Aslantrans/Commission, T‑282/01, Rec. p. II‑693, point 53, et Geologistics/Commission, précité, point 35). En conséquence, il suffit que l’une des deux conditions fasse défaut pour que le remboursement des droits doive être refusé (arrêt Ricosmos/Commission, précité, point 103 ; voir également, par analogie, arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, Günzler Aluminium/Commission, T‑75/95, Rec. p. II‑497, point 54).

42      La Commission ayant estimé, dans la décision attaquée, que la demande de remboursement n’était pas justifiée, au motif que les circonstances de l’espèce n’étaient pas de nature à créer une situation particulière, elle n’a pas examiné la deuxième condition susvisée, relative à l’absence de manœuvre et de négligence manifeste. En conséquence, l’examen du Tribunal doit porter exclusivement sur la question de savoir si la Commission a fait ou non une appréciation erronée de la notion de situation particulière.

43      Il importe de noter à cet égard qu’il est de jurisprudence constante que la Commission jouit d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elle adopte une décision en application de la clause générale d’équité prévue par l’article 905 du règlement d’application (arrêt Ricosmos/Commission, précité, point 154 ; voir également, par analogie, arrêt du Tribunal du 9 novembre 1995, France-aviation/Commission, T‑346/94, Rec. p. II‑2841, point 34). Il y a lieu de relever également que le remboursement ou la remise des droits à l’importation, qui ne peuvent être accordés que sous certaines conditions et dans des cas spécifiquement prévus, constituent une exception au régime normal des importations et des exportations et que, par conséquent, les dispositions prévoyant un tel remboursement ou une telle remise sont d’interprétation stricte (arrêt de la Cour du 11 novembre 1999, Söhl & Söhlke, C‑48/98, Rec. p. I‑7877, point 52 ; arrêts du Tribunal Ricosmos/Commission, précité, point 154, et du 30 novembre 2006, Heuschen & Schrouff Oriëntal Foods/Commission, T‑382/04, non publié au Recueil, points 45 et 84).

44      Il convient de rappeler aussi que, selon une jurisprudence constante, des circonstances de nature à constituer une situation particulière au sens de l’article 905 du règlement d’application existent lorsque, à la lumière de la finalité d’équité qui sous-tend l’article 239 du code des douanes, des éléments susceptibles de mettre le demandeur dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs économiques exerçant la même activité sont constatés (arrêts de la Cour Trans-Ex-Import, précité, point 22, et du 27 septembre 2001, Bacardi, C‑253/99, Rec. p. I‑6493, point 56 ; arrêt Aslantrans/Commission, précité, point 56). En effet, la clause d’équité prévue par la réglementation douanière communautaire est destinée à être appliquée lorsque les circonstances qui caractérisent le rapport entre l’opérateur économique et l’administration sont telles qu’il ne serait pas équitable d’imposer à cet opérateur un préjudice que, normalement, il n’aurait pas subi (arrêt Geologistics/Commission, précité, point 39 ; voir également, par analogie, arrêt de la Cour du 29 avril 2004, British American Tobacco, C‑222/01, Rec. p. I‑4683, point 63).

45      C’est au vu de ces principes qu’il y a lieu d’examiner si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant, dans la décision attaquée, que les circonstances de l’espèce n’étaient pas constitutives d’une situation particulière.

46      À cet égard, la requérante fait valoir, en substance, qu’elle s’est trouvée dans une telle situation particulière en raison, en premier lieu, de l’ouverture rétroactive des contingents tarifaires préférentiels en cause, en deuxième lieu, des contradictions dont serait entachée la réglementation pertinente, qui auraient suscité des interprétations divergentes de la part des autorités douanières des États membres quant à la date d’ouverture desdits contingents, et, en troisième lieu, des mesures prises par les autorités allemandes concernant la gestion de ces contingents, qui l’auraient désavantagée par rapport à des opérateurs économiques exerçant leur activité dans d’autres États membres. La requérante soutient que, dans ces circonstances, elle s’est vue empêchée d’imputer un certain nombre d’importations sur ces contingents et a subi la fixation a posteriori des droits de douane correspondants.

 Sur l’ouverture rétroactive des contingents tarifaires

47      Il importe de relever, en premier lieu, que la requérante, ainsi qu’elle l’a confirmé expressément lors de l’audience, ne conteste pas la légalité de l’ouverture avec effet rétroactif des contingents en cause. Elle fait toutefois valoir qu’il n’existait en l’espèce aucun motif justifiant cette ouverture rétroactive, qu’elle ne pouvait pas s’attendre à l’adoption d’une telle mesure et qu’une ouverture rétroactive de contingents n’est pas conforme à la version actuelle de l’article 308 bis, paragraphe 9, du règlement d’application.

48      S’agissant, premièrement, de la prétendue absence de justification de l’ouverture avec effet rétroactif des contingents en cause, il ressort notamment du premier considérant de la décision 95/312 et du troisième considérant du règlement nº 3061/95 que cette mesure était motivée par le besoin de prendre en compte les régimes d’échanges existant en matière de produits de la pêche entre la République d’Autriche, la République de Finlande et le Royaume de Suède, d’une part, et le Royaume de Norvège, d’autre part, à la suite de l’adhésion de ces trois premiers pays à la Communauté. En effet, ainsi que la Commission le fait remarquer, lors d’un élargissement de la Communauté, l’ouverture de contingents avec effet rétroactif peut s’avérer nécessaire, dans la mesure où les nouveaux États membres doivent généralement attendre leur adhésion avant d’indiquer les quantités de marchandises dont ils ont besoin, la communication de ces quantités justifiant souvent une extension des contingents existants. Par ailleurs, des retards dans la ratification des accords conclus avec des pays tiers et dans l’adoption des mesures communautaires d’application peuvent justifier l’entrée en vigueur rétroactive de certaines dispositions ouvrant des contingents tarifaires.

49      Ainsi, il importe de noter, par exemple, que, lors de l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise en 1986, des contingents tarifaires ont également été ouverts avec effet rétroactif dans le cadre des accords conclus entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Norvège dans les domaines de l’agriculture et de la pêche [voir décision 86/557/CEE du Conseil, du 15 septembre 1986, concernant la conclusion des accords sous forme d’échanges de lettres entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Norvège relatifs aux domaines de l’agriculture et de la pêche (JO L 328, p. 76), et règlement (CEE) nº 1393/86 du Conseil, du 6 mai 1986, portant ouverture, répartition et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires pour certaines morues et les filets de morues, relevant des sous positions ex 03.02 A I b) et 03.02 A II a) du tarif douanier commun, originaires de Norvège (JO L 125, p. 1)].

50      À la demande du Tribunal, la Commission a, lors de l’audience, démontré que la Communauté avait effectivement souvent recours à une telle ouverture rétroactive de contingents tarifaires, en particulier lors de l’adhésion de nouveaux États [voir, par exemple, règlement (CE) nº 499/96 du Conseil, du 19 mars 1996, portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires pour certains produits de la pêche ainsi que pour des chevaux vivants, originaires d’Islande (JO L 75, p. 8) ; règlement (CE) nº 241/2005 de la Commission, du 11 février 2005, modifiant le règlement (CE) nº 747/2001 du Conseil en ce qui concerne les contingents tarifaires communautaires pour certains produits originaires d’Israël (JO L 42, p. 11) ; règlement (CE) nº 1314/2007 de la Commission, du 8 novembre 2007, portant modification du règlement nº 499/96 en ce qui concerne les contingents tarifaires communautaires pour certains poissons et produits de la pêche originaires d’Islande (JO L 291, p. 13)].

51      Par ailleurs, il convient de relever que, en l’espèce, cette ouverture rétroactive des contingents tarifaires préférentiels était à même de bénéficier à l’ensemble des opérateurs du secteur. En effet, il importe de noter que le règlement nº 3061/95, portant ouverture des contingents en cause, n’est entré en vigueur que le 6 janvier 1996. Or, si ce règlement n’avait pas déclaré l’annexe I du protocole additionnel applicable dès le 1er janvier 1995, les opérateurs n’auraient aucunement pu bénéficier des contingents tarifaires correspondant à cette année 1995.

52      Deuxièmement, l’argument de la requérante selon lequel elle ne pouvait aucunement s’attendre à une ouverture des contingents en cause avant le 1er septembre 1995 ne saurait être accueilli. Certes, les autorités allemandes ont initialement considéré que les contingents seraient ouverts à cette date (voir point 11 ci-dessus) et auraient informé la requérante de cette circonstance (voir point 27 ci-dessus). Il n’en demeure pas moins que la décision 95/312, adoptée le 24 juillet 1995 et publiée le 8 août 1995, dispose explicitement, dans son annexe I, que les contingents tarifaires en cause seraient appliqués de manière rétroactive, à compter du 1er juillet 1995.

53      En outre, il ressort de la lettre du 8 mai 1996, adressée par la requérante au bureau de douane de Kiel, que, fin juin 1995, elle avait été informée par les autorités norvégiennes que des contingents tarifaires seraient ouverts le 1er juillet 1995 pour des produits de la pêche. De même, lors de l’audience, la requérante a reconnu que les clients pour le compte desquels elle présentait des déclarations concernant les produits en cause étaient déjà au courant, avant septembre 1995, de la possibilité d’introduire des demandes de placement en franchise de droits auprès des autorités danoises. Enfin, comme indiqué aux points 48 à 50 ci-dessus, l’ouverture de contingents tarifaires préférentiels avec effet rétroactif n’est pas une pratique inhabituelle, notamment lors de l’adhésion de nouveaux États membres à la Communauté, la possibilité d’avoir recours à une telle mesure devant donc être réputée connue des opérateurs économiques du secteur, dont notamment les commissionnaires en douanes, telle que la requérante.

54      Enfin, en ce qui concerne, troisièmement, la thèse de la requérante selon laquelle l’article 308 bis, paragraphe 9, du règlement d’application empêcherait l’ouverture rétroactive de contingents tarifaires, il convient de relever que cette disposition se borne à prévoir que, lorsqu’un nouveau contingent tarifaire est ouvert, la Commission n’attribue aucune quantité avant le onzième jour ouvrable suivant la date de publication de la mesure qui a créé ce contingent. En l’espèce, les contingents ont été ouverts par le règlement nº 3061/95, qui a été publié le 30 décembre 1995. Or, ainsi que cela ressort des considérants 27 et 28 de la décision attaquée, la Commission n’a pas procédé à l’imputation de quantités sur ces volumes contingentaires avant le 5 février 1996. Il importe de noter, en tout état de cause, que l’article 308 bis du règlement d’application a été introduit par le règlement (CE) nº 1427/97 de la Commission, du 23 juillet 1997 (JO L 196, p. 31), modifiant ledit règlement d’application, avec effet au 1er janvier 1998, et n’était donc pas en vigueur au moment des faits de l’espèce. Partant, l’argumentation de la requérante est inopérante.

 Sur les prétendues insuffisances et contradictions de la réglementation portant ouverture des contingents tarifaires

55      En deuxième lieu, la requérante allègue que la réglementation concernant l’ouverture des contingents tarifaires en cause était rédigée de manière incomplète et ambiguë, notamment quant à la question de savoir quelle était la date exacte d’ouverture desdits contingents, ce qui aurait donné lieu à des interprétations divergentes de la part des autorités nationales et créé un contexte d’insécurité juridique pour les opérateurs économiques.

56      Or, il y a tout d’abord lieu de relever que de prétendues difficultés d’interprétation des normes douanières ne sauraient placer un opérateur économique dans une situation exceptionnelle par rapport à de nombreux autres opérateurs, qui se voient affectés de la même façon (arrêt du Tribunal du 21 septembre 2004, Gondrand Frères/Commission, T‑104/02, Rec. p. II‑3211, point 67).

57      Il convient de noter, ensuite, que, ainsi que la requérante l’a précisé lors de l’audience, elle ne se prévaut pas d’une quelconque négligence ou erreur de la part des autorités douanières allemandes lorsqu’elles ont initialement considéré que les contingents ne seraient ouverts que le 1er septembre 1995. La requérante fait, en effet, remarquer que les autorités allemandes ont agi de manière adéquate, puisque la réglementation applicable était susceptible, à son avis, d’interprétations divergentes. Cependant, elle soutient que, puisque les contingents ont finalement été ouverts avec effet au 1er juillet 1995, elle a été désavantagée par rapport à des opérateurs établis ou intervenant dans d’autres États membres, dont notamment le Danemark, qui auraient été informés plus tôt de l’ouverture des contingents et auraient pu présenter des demandes de placement en franchise de droits avant le 1er septembre 1995. D’après la requérante, les déclarants d’importations en Allemagne n’ont donc eu aucune chance de bénéficier du régime préférentiel en cause, dans la mesure où les contingents tarifaires étaient déjà épuisés avant que ces opérateurs aient été informés de manière certaine de leur ouverture.

58      Il importe toutefois de relever que, avant la publication, le 30 décembre 1995, du règlement nº 3061/95, portant ouverture des contingents en cause, les États membres n’ont pu introduire des demandes de prélèvement sur ces contingents auprès de la Commission. Avant cette date, les déclarations de mise en libre pratique comprenant une demande du bénéfice préférentiel introduites auprès des autorités nationales ont été simplement stockées par celles-ci, aucune allocation sur ces contingents ne s’étant produite à ce stade. En effet, la Commission n’a procédé à l’imputation de quantités sur ces volumes contingentaires qu’après le 5 février 1996 (voir point 54 ci-dessus). Il convient de noter, en outre, que la circonstance que les autorités nationales aient attribué ou non au déclarant, au moment de la déclaration douanière, une exonération provisoire de droits au titre de ces contingents n’a été aucunement déterminante pour la répartition et l’imputation définitives, par la suite, desdits contingents. En effet, après que les contingents ont été ouverts, les autorités nationales ont présenté à la Commission des demandes de prélèvement portant sur des déclarations qui ne comprenaient pas de demande de mise en libre pratique au titre de ces volumes contingentaires et qui, dès lors, n’avaient pas bénéficié d’une exonération provisoire de droits.

59      Ainsi, en ce qui concerne les importations effectuées par la requérante durant les mois de juillet et d’août 1995 et pour lesquelles elle disposait des certificats d’origine, les autorités douanières allemandes ont procédé d’office à leur imputation a posteriori sur les contingents en cause, malgré le fait que la requérante n’avait pas introduit de demandes du bénéfice préférentiel à leur égard. Cette imputation a posteriori a donné lieu à un remboursement de droits en faveur de la requérante. Par conséquent, il y a lieu de conclure que, bien que la requérante n’ait pas pu introduire de demandes de placement en franchise de droits avant le 1er septembre 1995, les importations qu’elle a réalisées avant cette date ont toutefois pu être imputées sur lesdits contingents. Enfin, contrairement à ce que la requérante prétend, ces imputations a posteriori ne constituaient pas une mesure d’équité, les autorités allemandes s’étant limitées à tirer les conséquences opportunes de l’ouverture rétroactive des contingents, par rapport aux opérations douanières réalisées avant la publication du règlement procédant à une telle ouverture.

60      La requérante soutient, néanmoins, que cette imputation a posteriori n’a pas compensé entièrement les préjudices qu’elle a subis en l’espèce. Ainsi, d’une part, elle relève que si elle avait été informée plus tôt de l’ouverture de ces contingents, elle aurait intensifié le rythme de ses importations, pour bénéficier au maximum du traitement tarifaire préférentiel. D’autre part, elle soutient que, pour un certain nombre d’opérations, elle ne disposait pas de certificats d’origine et n’a pu s’en procurer par la suite.

61      Ces arguments ne sauraient toutefois être accueillis. En effet, ainsi qu’il a été relevé aux points 52 et 53 ci-dessus, il y a lieu d’écarter l’allégation de la requérante selon laquelle elle ne pouvait aucunement s’attendre à une ouverture des contingents en cause avant le 1er septembre 1995. En particulier, la requérante ayant été informée par les autorités norvégiennes, à la fin du mois de juin 1995, que des contingents tarifaires seraient ouverts le 1er juillet 1995 pour des produits de la pêche, elle aurait pu adopter, dès cette date, des mesures appropriées pour pouvoir profiter d’une ouverture éventuelle desdits contingents, même si les informations reçues des autorités allemandes étaient contradictoires. Ainsi, à tout le moins, elle aurait pu demander des certificats d’origine pour les importations qu’elle réalisait. Par ailleurs, la requérante n’a pas suffisamment étayé les raisons pour lesquelles elle n’a pas réussi à obtenir a posteriori des certificats d’origine pour les importations qu’elle a réalisées en juillet et en août 1995, ce que lui permettait en principe l’article 18 du protocole nº 3 annexé à l’accord entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Norvège.

62      Au demeurant, il convient de relever que l’affirmation de la requérante selon laquelle les déclarants d’importations en Allemagne n’ont eu aucune chance de bénéficier du régime préférentiel en cause, dans la mesure où les contingents tarifaires étaient déjà épuisés avant que ces opérateurs aient été informés de manière certaine de leur ouverture, manque en fait. En effet, il ressort de la décision attaquée que, en l’espèce, les déclarants allemands ont largement bénéficié de ces contingents. Ainsi, pour les contingents qui ont été épuisés avant le 1er septembre 1995, les autorités allemandes ont introduit, en moyenne, environ la moitié de l’ensemble des demandes de prélèvement présentées à la Commission. Lors de l’audience, la Commission a fait remarquer, en outre, sans être contredite par la requérante, que les opérateurs allemands ont profité davantage des contingents en cause pendant la période allant de juillet à août 1995 que pendant celle allant du 1er janvier au 31 décembre 1996, période pour laquelle il n’est pas contesté que les opérateurs allemands ont eu connaissance à temps de l’ouverture des contingents.

 Sur le prétendu retard des autorités allemandes à informer la requérante de l’épuisement des contingents tarifaires et la prétendue inégalité de traitement qui en résulterait

63      En troisième lieu, la requérante prétend que les autorités douanières allemandes l’ont informée de manière tardive de l’épuisement des contingents tarifaires et que, dès lors, elle a continué à présenter des demandes de placement de marchandises en franchise de droits à un moment où elle ne pouvait plus bénéficier desdits contingents, ce qui aurait donné lieu, pour ces opérations, au recouvrement postérieur des droits d’importation au taux normal. La requérante reproche ainsi aux autorités allemandes de n’avoir pas adopté des mesures appropriées pour limiter le risque des déclarants, contrairement à ce que leurs homologues danois auraient fait.

64      Or, il y a lieu de rappeler que, jusqu’à ce que, le 5 février 1996, les prélèvements aient été effectués, les autorités allemandes n’ont pu connaître avec certitude la date d’épuisement des contingents. Par ailleurs, ces autorités n’étaient nullement tenues de procéder à des projections et à des calculs aux fins de prévoir de façon anticipée la date éventuelle d’épuisement de ces contingents. Par ailleurs, il importe de noter que, depuis le 6 octobre 1995 au plus tard, la requérante était officiellement informée de l’ouverture rétroactive de ces contingents. Elle aurait donc pu tirer ses propres conclusions sur les conséquences éventuelles d’une telle mesure sur la date d’épuisement desdits contingents. Cependant, elle a continué à présenter des demandes de placement en franchise de droits jusqu’au 30 novembre 1995.

65      Dès lors, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas subi à cet égard un risque qui dépasserait le risque habituel pour tout déclarant de voir ses importations ne pas être prises en compte dans le cadre d’un contingent tarifaire préférentiel.

66      Enfin, il convient d’écarter l’argument de la requérante selon lequel elle a subi une inégalité de traitement du fait que, contrairement aux autorités douanières danoises, les autorités allemandes n’ont accepté l’imputation de marchandises sur les contingents ouverts rétroactivement que si les déclarants disposaient des certificats de circulation y afférents. En effet, la requérante ne conteste pas que les autorités douanières allemandes, en exigeant des tels certificats, ont appliqué correctement la législation douanière pertinente. Mais, elle ne saurait se prévaloir de la circonstance que, dans un autre État membre, les autorités n’aient prétendument pas exigé des déclarants la présentation de tels certificats.

67      De même, il convient d’écarter également l’argument de la requérante selon lequel elle aurait subi une discrimination par rapport à tout opérateur économique qui aurait participé à une procédure d’imputation sur un contingent tarifaire dont la date d’ouverture était certaine. En effet, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt de la Cour du 28 juin 1990, Hoche, C‑174/89, Rec. p. I‑2681, point 25 ; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309). Or, la situation de l’espèce est certainement différente de celle avec laquelle la requérante prétend la comparer.

68      Au demeurant, il y a lieu de relever que les circonstances invoquées par la requérante ont affecté un nombre indéfini d’opérateurs économiques exerçant la même activité, à savoir, à tout le moins, tous ceux participant à des opérations d’importation en Allemagne des produits en cause, voire ceux les important dans d’autres États membres. Dès lors, ces circonstances ne sauraient justifier l’existence d’une situation exceptionnelle pour la requérante (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 décembre 2004, Nordspedizionieri di Danielis Livio e.a./Commission, T‑332/02, Rec. p. II‑4405, point 71, et Aslantrans/Commission, précité, points 61 et 62).

69      Par conséquent, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les circonstances de l’espèce n’étaient pas constitutives d’une situation particulière au sens des articles 239 du code des douanes et 905 du règlement d’application.

 Sur les demandes de la requérante visant à la production de certains documents et à l’anonymisation des données

70      Enfin, il y a lieu de rejeter la demande de la requérante visant à ce que les documents relatifs aux procédures judiciaires engagées devant le Finanzgericht Hamburg et le Bundesfinanzhof soient joints au dossier (voir point 18 ci-dessus). En effet, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé à cet égard par les pièces produites par les parties, dont notamment l’arrêt du 24 avril 2001 du Bundesfinanzhof, qui met fin auxdites procédures. S’agissant de la demande de la requérante de rendre anonymes les données la concernant (voir également point 18 ci-dessus), celle-ci n’ayant pas identifié les données qui, selon elle, étaient confidentielles et n’ayant aucunement étayé sa demande, elle doit aussi être rejetée.

71      Eu égard à tout ce qui précède, le recours est rejeté.

 Sur les dépens

72      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Nortrail Transport GmbH supportera ses propres dépens et les dépens exposés par la Commission.



Pelikánová

Jurimae

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 septembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon                                                                   Pelikánová

Table des matières


Cadre juridique

Dispositions relatives à l’ouverture de contingents tarifaires pour certains produits de la pêche en provenance du Royaume de Norvège

Règles relatives au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou à l’exportation

Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur l’ouverture rétroactive des contingents tarifaires

Sur les prétendues insuffisances et contradictions de la réglementation portant ouverture des contingents tarifaires

Sur le prétendu retard des autorités allemandes à informer la requérante de l’épuisement des contingents tarifaires et la prétendue inégalité de traitement qui en résulterait

Sur les demandes de la requérante visant à la production de certains documents et à l’anonymisation des données

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’allemand.