Language of document : ECLI:EU:C:2022:984

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

15 décembre 2022 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Agents contractuels – Pension – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Réforme de l’année 2014 – Règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 – Annexe XIII de ce statut – Article 21, second alinéa, et article 22, paragraphe 1, deuxième alinéa – Mesures transitoires relatives au taux annuel d’acquisition des droits à pension et à l’âge de départ à la retraite – Régime applicable aux autres agents de l’Union européenne – Annexe – Article 1er, paragraphe 1 – Application de ces mesures transitoires par analogie aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 – Signature d’un nouveau contrat d’agent contractuel – Acte faisant grief – Protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire C‑366/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 9 juin 2021,

Maxime Picard, demeurant à Hettange-Grande (France), représenté par Me S. Orlandi, avocat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. G. Gattinara et B. Mongin, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), MM. F. Biltgen, N. Wahl et J. Passer, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juillet 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, M. Maxime Picard demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 mars 2021, Picard/Commission (T‑769/16, EU:T:2021:153), tel que rectifié par l’ordonnance du 16 avril 2021, Picard/Commission (T‑769/16, EU:T:2021:200) (ci-après l’« arrêt attaqué »), par lequel le Tribunal a rejeté son recours tendant à l’annulation, d’une part, de la réponse du gestionnaire du secteur « Pensions » de l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels (PMO) de la Commission européenne du 4 janvier 2016 (ci‑après la « réponse du 4 janvier 2016 ») et, d’autre part, pour autant que de besoin, de la décision du 25 juillet 2016 du directeur de la direction E de la direction générale des ressources humaines de la Commission (ci-après la « DG “Ressources humaines” »), rejetant la réclamation du requérant du 4 avril 2016 contre la réponse du 4 janvier 2016 (ci-après la « décision de rejet du 25 juillet 2016 »).

 Le cadre juridique

 Le statut

2        Le statut des fonctionnaires de l’Union européenne, tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013 (JO 2013, L 287, p. 15) (ci-après le « statut »), comprend un titre V, intitulé « Du régime pécuniaire et des avantages sociaux du fonctionnaire », dont le chapitre 3, intitulé « Pensions et allocation d’invalidité », contient les articles 77 à 84 du statut.

3        L’article 77, premier, deuxième et cinquième alinéas, du statut prévoit :

« Le fonctionnaire qui a accompli au moins dix années de service a droit à une pension d’ancienneté. [...]

Le montant maximum de la pension d’ancienneté est fixé à 70 % du dernier traitement de base afférent au dernier grade dans lequel le fonctionnaire a été classé pendant au moins un an. 1,80 % de ce dernier traitement de base est acquis au fonctionnaire pour chaque année de service calculée conformément à l’article 3 de l’annexe VIII.

[...]

Le droit à pension d’ancienneté est acquis à l’âge de 66 ans. »

4        Aux termes de l’article 83, paragraphes 1 et 2, du statut :

« 1.      Le paiement des prestations prévues au présent régime de pensions constitue une charge du budget de l’Union. Les États membres garantissent collectivement le paiement de ces prestations selon la clé de répartition fixée pour le financement de ces dépenses.

2.      Les fonctionnaires contribuent pour un tiers au financement de ce régime de pensions. [...] Cette contribution est déduite mensuellement du traitement de l’intéressé. [...] »

5        Le titre VII du statut est intitulé « Des voies de recours ». Il comprend les articles 90 à 91 bis du statut.

6        L’article 90, paragraphe 2, du statut dispose :

« Toute personne visée au présent statut peut saisir l’autorité investie du pouvoir de nomination [(AIPN)] d’une réclamation dirigée contre un acte lui faisant grief [...] »

7        L’article 91, paragraphe 1, du statut prévoit :

« La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer sur tout litige entre l’Union et l’une des personnes visées au présent statut et portant sur la légalité d’un acte faisant grief à cette personne au sens de l’article 90[,] paragraphe 2. [...] »

8        L’article 21, second alinéa, de l’annexe XIII du statut, intitulée « Mesures de transition applicables aux fonctionnaires de l’Union », se lit comme suit :

« Le fonctionnaire entré en service entre le 1er mai 2004 et le 31 décembre 2013 acquiert 1,9 % du traitement visé [à l’article 77, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut] par année de service ouvrant droit à pension, calculée conformément à l’article 3 de l’annexe VIII. »

9        L’article 22, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette annexe XIII énonce :

« Le fonctionnaire âgé de 35 ans ou plus au 1er mai 2014 et qui est entré en service avant le 1er janvier 2014 a droit à une pension d’ancienneté à l’âge déterminé par le tableau suivant [...] »

10      Concernant les fonctionnaires âgés de 35 ans au 1er mai 2014, le tableau visé au point précédent fixe l’âge de la retraite à 64 ans et 8 mois.

 Le RAA

11      L’article 8, premier alinéa, du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, tel que modifié par le règlement no 1023/2013 (ci-après le « RAA »), prévoit :

« L’engagement d’un agent temporaire [...] peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. Le contrat de cet agent engagé pour une durée déterminée ne peut être renouvelé qu’une fois pour une durée déterminée. Tout renouvellement ultérieur de cet engagement devient à durée indéterminée. »

12      L’article 39, paragraphe 1, du RAA énonce :

« Lors de la cessation de ses fonctions, l’agent [temporaire] a droit à la pension d’ancienneté, au transfert de l’équivalent actuariel ou au versement de l’allocation de départ dans les conditions prévues au titre V, chapitre 3, du statut et à l’annexe VIII du statut. [...] »

13      Aux termes de l’article 86, paragraphe 2, du RAA :

« L’agent contractuel [...] qui change de poste au sein d’un groupe de fonctions ne peut être classé à un grade ou à un échelon inférieurs à ceux prévus dans son ancien poste.

Un tel agent contractuel qui accède à un groupe de fonctions plus élevé est classé à un grade et échelon lui donnant une rémunération au moins égale à celle dont il bénéficiait lors du contrat précédent.

[...] »

14      L’article 109, paragraphe 1, du RAA dispose :

« Lors de la cessation de ses fonctions, l’agent contractuel a droit à la pension d’ancienneté, au transfert de l’équivalent actuariel ou au versement de l’allocation de départ, dans les conditions prévues au titre V, chapitre 3, du statut et de l’annexe VIII du statut. [...] »

15      L’article 117 du RAA prévoit :

« Les dispositions du titre VII du statut relatives aux voies de recours sont applicables par analogie. »

16      L’article 1er, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’annexe du RAA, intitulée « Mesures transitoires applicables aux agents relevant du [RAA] », prévoit, notamment, que l’article 21 et l’article 22, à l’exception de son paragraphe 4, de l’annexe XIII du statut « s’appliquent par analogie aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 ».

 Le règlement no 1023/2013

17      Le considérant 29 du règlement no 1023/2013 énonce :

« Il convient de prévoir des dispositions transitoires afin de permettre une mise en œuvre progressive des nouvelles règles et mesures, sans préjudice des droits acquis et des attentes légitimes du personnel en place avant l’entrée en vigueur des présentes modifications du statut. »

18      L’article 3 du règlement no 1023/2013 prévoit :

« 1.      Le présent règlement entre en vigueur le troisième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

2.      Il s’applique à partir du 1er janvier 2014, à l’exception de l’article 1er, point 44, et de l’article 1er, point 73, d), qui s’appliquent à partir de la date d’entrée en vigueur du présent règlement. »

 Les antécédents du litige

19      Les antécédents du litige figurent aux points 1 à 25 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés de la manière suivante.

20      Le requérant est un agent contractuel de la Commission.

21      Le 10 juin 2008, il a été recruté, avec effet au 1er juillet 2008, par la Commission, en qualité d’agent contractuel auprès de l’unité 5 du PMO (ci-après le « contrat de 2008 »). Par ce recrutement, le requérant a été classé dans le premier groupe de fonctions. Le contrat de 2008 a été renouvelé à trois reprises pour une durée déterminée et, par une décision du 3 mai 2011, pour une durée indéterminée.

22      Le 16 mai 2014, la DG « Ressources humaines » a proposé au requérant un nouveau contrat en qualité d’agent contractuel, que ce dernier a signé le même jour (ci-après le « contrat du 16 mai 2014 »). Ce contrat, à durée indéterminée, a pris effet le 1er juin 2014, avec classement du requérant dans le deuxième groupe de fonctions.

23      Entre-temps, le statut et le RAA ont été modifiés par le règlement no 1023/2013, applicable, en ce qui concerne les dispositions pertinentes dans la présente affaire, à partir du 1er janvier 2014 (ci-après la « réforme de 2014 »).

24      À la suite de la réforme de 2014, l’article 77, deuxième alinéa, du statut, applicable aux agents contractuels en vertu de l’article 109, paragraphe 1, du RAA, définit un nouveau taux annuel d’acquisition des droits à pension de 1,8 %, moins favorable que le taux antérieur de 1,9 %. En outre, cet article 77, cinquième alinéa, établit l’âge de départ à la retraite à 66 ans, contre 63 ans auparavant.

25      Un régime transitoire a toutefois été prévu à l’annexe XIII du statut. Ainsi, le fonctionnaire entré en service entre le 1er mai 2004 et le 31 décembre 2013 continue à bénéficier du taux annuel d’acquisition des droits à pension de 1,9 %. En outre, le fonctionnaire âgé de 35 ans au 1er mai 2014 et qui est entré en service avant le 1er janvier 2014 a droit à une pension d’ancienneté à l’âge de 64 ans et 8 mois. Enfin, l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA prévoit que ce régime transitoire s’applique par analogie aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013.

26      Par un courriel du 4 janvier 2016, le requérant, ayant des doutes quant aux implications que la réforme de 2014 pourrait avoir sur sa situation à la suite de la signature du contrat du 16 mai 2014, a demandé des explications au gestionnaire du secteur « Pensions » du PMO.

27      Par la réponse du 4 janvier 2016, ce gestionnaire a indiqué au requérant que ses droits à pension avaient changé en raison du changement de contrat et que, dès lors, en ce qui le concerne, l’âge normal de départ à la retraite et le taux annuel d’acquisition des droits à pension étaient passés, respectivement, à 66 ans et à 1,8 % à partir du 1er juin 2014.

28      Le 4 avril 2016, le requérant a introduit, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation contre la réponse du 4 janvier 2016.

29      Par la décision de rejet du 25 juillet 2016, le directeur de la direction E de la DG « Ressources humaines », en sa qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (AHCC), a rejeté cette réclamation, à titre principal, comme étant irrecevable faute d’acte faisant grief, et, à titre subsidiaire, comme étant non fondée.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

30      Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 7 novembre 2016, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation de la réponse du 4 janvier 2016 et, pour autant que de besoin, de la décision de rejet du 25 juillet 2016.

31      Par un acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 6 février 2017, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, tirée de l’absence d’acte faisant grief, au sens de l’article 91 du statut.

32      Par une décision du 12 octobre 2017, le président de la troisième chambre du Tribunal a décidé de suspendre l’affaire T‑769/16, Picard/Commission, jusqu’à ce que la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑128/17, Torné/Commission, eût acquis force de chose jugée.

33      À la suite du prononcé de l’arrêt du 14 décembre 2018, Torné/Commission (T‑128/17, EU:T:2018:969), et en l’absence d’introduction d’un pourvoi contre ce dernier, la procédure dans l’affaire T‑769/16, Picard/Commission a repris et les parties ont présenté leurs observations sur les conséquences de cet arrêt pour cette affaire.

34      Par une ordonnance du 13 mai 2019, le Tribunal a joint au fond l’examen de l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et a réservé les dépens.

35      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a décidé d’examiner d’emblée le moyen soulevé par le requérant, sans statuer préalablement sur cette exception d’irrecevabilité, au motif que le recours était, en tout état de cause, non fondé.

36      À cet égard, le Tribunal a jugé que c’est à bon droit que la Commission a considéré que le contrat du 16 mai 2014 a eu pour conséquence que le requérant ne pouvait pas bénéficier de l’application des dispositions transitoires prévues aux articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut concernant le taux annuel d’acquisition des droits à pension et l’âge de départ à la retraite.

37      D’abord, aux points 65 à 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a interprété l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, en ce qu’il dispose que ces dispositions transitoires « s’appliquent par analogie aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 ».

38      Le Tribunal a jugé, notamment, qu’il découle du libellé de cet article 1er, paragraphe 1, que ces articles 21 et 22 s’appliquent aux agents relevant du RAA dans la mesure où il est possible d’établir une analogie entre ces derniers et les fonctionnaires, en tenant compte des caractéristiques propres à chacune de ces catégories de personnel. Après avoir examiné ces caractéristiques, le Tribunal a relevé que si le fonctionnaire entre et reste au service de l’administration de l’Union en vertu d’un acte de nomination qui reste inchangé pour toute sa carrière, un agent contractuel entre et reste en fonction en vertu d’un contrat tant qu’il produit ses effets.

39      C’est au regard de ces considérations que le Tribunal a interprété l’exigence d’être « en fonction au 31 décembre 2013 », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

40      Au point 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la notion de « par analogie », figurant à cette disposition, suppose que les agents se trouvent dans une situation analogue à celle des fonctionnaires. Selon le Tribunal, cette situation ne peut être établie que dans le cas où un agent n’aurait pas signé un nouveau contrat qui implique le début d’une nouvelle relation de travail avec l’administration de l’Union. À cet égard, en se référant au point 40 de son arrêt du 16 septembre 2015, EMA/Drakeford (T‑231/14 P, EU:T:2015:639), le Tribunal a rappelé qu’il avait déjà jugé qu’une relation de travail entre un agent et l’administration de l’Union peut demeurer inchangée, même à la suite de la signature d’un nouveau contrat formellement distinct du contrat initial, à la condition que ce nouveau contrat n’apporte pas de modification substantielle des fonctions de l’agent, notamment du groupe de fonctions, de nature à remettre en cause la continuité fonctionnelle de sa relation de travail avec l’administration de l’Union.

41      Le Tribunal en a conclu que les articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut ne s’appliquent qu’aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 et qui le demeurent, après cette date en vertu d’un contrat, jusqu’à ce que leur position soit examinée aux fins du calcul des droits à pension.

42      Ensuite, aux points 85 à 93 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé la situation du requérant à la lumière de cette interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA. En particulier, après avoir examiné les contrats conclus entre celui-ci et la Commission ainsi que les caractéristiques des postes sur lesquels il a été engagé, et constaté que le changement de groupe de fonctions avait remis en cause la continuité fonctionnelle de la relation de travail du requérant avec l’administration de l’Union, le Tribunal a jugé que le contrat du 16 mai 2014 avait emporté la cessation de tous les effets du contrat de 2008 sur la base duquel le requérant était « en fonction au 31 décembre 2013 », au sens de cette disposition, et, partant, une rupture de cette relation de travail. Ainsi, le Tribunal a constaté que le contrat du 16 mai 2014 avait donné lieu à une nouvelle entrée en fonction aux fins de l’application de ladite disposition, ne permettant pas au requérant de bénéficier de l’application des dispositions transitoires, prévues à l’annexe XIII du statut, concernant le taux annuel d’acquisition des droits à pension et l’âge de départ à la retraite.

43      Enfin, le Tribunal a notamment relevé que cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant selon lequel un nouveau contrat ne ferait pas obstacle au bénéfice de ces dispositions transitoires, dès lors qu’il n’entraîne pas de discontinuité dans l’affiliation et dans la cotisation au régime de pensions de l’Union. Selon le Tribunal, l’application desdites dispositions aux agents ne saurait dépendre de l’affiliation prétendument ininterrompue au régime de pensions de l’Union, mais dépendrait de la continuité fonctionnelle de ladite relation de travail.

44      Le Tribunal a, dès lors, rejeté le recours.

 Les conclusions des parties devant la Cour

45      Le requérant demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler la réponse du 4 janvier 2016 et, pour autant que de besoin, la décision de rejet du 25 juillet 2016, et

–        de condamner la Commission aux dépens des deux instances.

46      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner le requérant aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

47      La Commission remet en cause la recevabilité du pourvoi, au motif que le requérant n’identifie pas avec précision les points de l’arrêt attaqué qu’il conteste, en méconnaissance de l’exigence énoncée à l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

48      Selon cette institution, le requérant ne conteste pas comme étant erronés en droit les points clés de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal a livré son interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

49      En outre, ladite institution se réfère à la jurisprudence de la Cour selon laquelle doit être rejeté comme étant manifestement irrecevable un pourvoi dépourvu de structure cohérente, se limitant à des affirmations générales et ne comportant pas d’indications précises relatives aux points de la décision attaquée qui seraient éventuellement entachés d’une erreur de droit (arrêt du 4 octobre 2018, Staelen/Médiateur, C‑45/18 P, non publié, EU:C:2018:814, point 15).

50      Selon la Commission, la seule référence, dans le pourvoi, à un élément de l’arrêt attaqué serait celle faite au point 90 de cet arrêt, ce qui ne saurait satisfaire aux exigences de clarté imposées par l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure.

51      Le requérant conteste cette argumentation.

 Appréciation de la Cour

52      Il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les points critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (arrêt du 23 novembre 2021, Conseil/Hamas, C‑833/19 P, EU:C:2021:950, point 50 et jurisprudence citée).

53      Ne répond notamment pas à ces exigences et doit être déclaré irrecevable un moyen dont l’argumentation n’est pas suffisamment claire et précise pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle de légalité, notamment parce que les éléments essentiels sur lesquels le moyen s’appuie ne ressortent pas de façon suffisamment cohérente et compréhensible du texte de ce pourvoi, qui est formulé de manière obscure et ambiguë à cet égard. La Cour a également jugé que devait être rejeté comme étant manifestement irrecevable un pourvoi dépourvu de structure cohérente, se limitant à des affirmations générales et ne comportant pas d’indications précises relatives aux points de la décision attaquée qui seraient éventuellement entachés d’une erreur de droit (arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

54      En l’occurrence, il découle des points 24 et suivants du pourvoi que le requérant reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, en jugeant, au point 81 de l’arrêt attaqué, que les dispositions transitoires prévues aux articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut ne peuvent continuer à s’appliquer aux autres agents que dans la mesure où ces derniers ne concluent pas un nouveau contrat, ou que, concluant formellement un nouveau contrat, ils continuent à exercer, de façon substantielle, les mêmes fonctions. Le requérant expose également les raisons pour lesquelles il estime que cette interprétation est entachée d’une erreur de droit.

55      Ainsi, contrairement à ce que soutient la Commission, le pourvoi indique de façon précise le point critiqué de l’arrêt attaqué et expose à suffisance les motifs pour lesquels ce point serait entaché d’une erreur de droit, de telle sorte que ce pourvoi permet à la Cour d’exercer son contrôle de légalité.

56      Dans ces conditions, il y a lieu de déclarer le présent pourvoi recevable.

 Sur le moyen unique

 Argumentation des parties

57      À l’appui de son pourvoi, le requérant soulève un moyen unique tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal lorsqu’il a jugé, au point 81 de l’arrêt attaqué, que les mesures transitoires prévues à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA ne peuvent continuer à s’appliquer aux autres agents que dans la mesure où ces derniers ne concluent pas un nouveau contrat, ou que, concluant formellement un nouveau contrat, ils continuent à exercer, de façon substantielle, les mêmes fonctions.

58      Au regard du domaine du régime de pensions et de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union, ce serait non pas la continuité fonctionnelle mais le maintien de l’affiliation et la continuité de la contribution à ce régime qui permettraient de définir le champ d’application des mesures transitoires prévues à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA. Ainsi, en cas de succession de contrats d’agent contractuel sans interruption, l’agent maintiendrait son affiliation audit régime et continuerait à accumuler des droits à pension.

59      La Commission conteste ce moyen unique. Elle avance, tout d’abord, s’agissant des points 81 et 82 de l’arrêt attaqué, que le requérant se limite à contester la référence du Tribunal à sa jurisprudence relative à la continuité fonctionnelle d’une relation de travail malgré la signature d’un nouveau contrat, référence qui ne viserait que l’exception énoncée à la dernière phrase de ce point 81 à la règle qui veut qu’une analogie avec la situation des fonctionnaires, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, ne subsiste que dans le cas où l’agent demeure en fonction en vertu d’un contrat et ne signe pas un nouveau contrat. Or, cette exception aurait permis au requérant de bénéficier de l’application des articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut au cas où une continuité fonctionnelle entre ses différents contrats aurait pu être établie, mais ne lui aurait précisément pas été appliquée.

60      Ensuite, le Tribunal aurait interprété l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA conformément aux termes de cette disposition, qui se réfère à la recherche d’une « analogie » entre fonctionnaires et autres agents. Dans ce contexte, compte tenu de la différence de nature de son lien d’emploi par rapport à celui d’un fonctionnaire, il serait nécessaire, afin de déterminer si un autre agent est toujours en fonction, de prendre en considération son contrat, et non le maintien de son affiliation au régime de pensions.

61      Par ailleurs, l’arrêt du 14 décembre 2018, Torné/Commission (T‑128/17, EU:T:2018:969), ne serait pas pertinent pour la présente affaire, dès lors que l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA n’aurait pas été en cause dans cet arrêt, ce dernier concernant les conditions d’applicabilité des articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut à un fonctionnaire. Seraient aussi non fondées les considérations selon lesquelles le Tribunal aurait relevé, dans ledit arrêt, que seule une interruption de l’affiliation au régime de pensions de l’Union pourrait justifier l’inapplicabilité des dispositions transitoires visées à ces articles 21 et 22. En effet, le Tribunal aurait constaté que la requérante en cause dans l’affaire ayant donné lieu au même arrêt était en service uniquement sur la base de sa nomination comme fonctionnaire, son affiliation au régime de pensions de l’Union n’étant que la conséquence de cette constatation.

62      En outre, selon la Commission, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’aurait pas assimilé la conclusion d’un nouveau contrat à une cessation définitive des fonctions d’un fonctionnaire. Il aurait uniquement rappelé que, à la différence d’un fonctionnaire, le fait qu’un agent contractuel soit en fonction à une date déterminée ne pourrait pas être établi en constatant simplement l’existence d’un acte de nomination.

63      En l’occurrence, le Tribunal aurait exclu toute continuité entre le contrat de 2008 et le contrat du 16 mai 2014 à la suite d’une vérification factuelle très détaillée de toutes les circonstances ayant entouré la succession de ces contrats, aux points 86 à 90 de l’arrêt attaqué. Or, le requérant n’ayant pas contesté ces derniers, il ne serait pas fondé à soutenir qu’une continuité subsisterait entre ces deux contrats.

64      Enfin, l’article 86 du RAA serait dénué de pertinence aux fins de l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

 Appréciation de la Cour

65      Il convient de rappeler, d’une part, que l’annexe XIII du statut établit des mesures de transition applicables aux fonctionnaires en ce qui concerne, notamment, le régime de pensions de l’Union.

66      D’autre part, l’article 1er, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’annexe du RAA prévoit, notamment, que l’article 21 et l’article 22, à l’exception de son paragraphe 4, de l’annexe XIII du statut, qui contiennent des dispositions transitoires relatives au taux annuel d’acquisition des droits à pension et à l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires, « s’appliquent par analogie aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 ».

67      Au point 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la notion de « par analogie » figurant à cette disposition suppose que les agents se trouvent dans une situation analogue à celle des fonctionnaires, ce qui est exclu, selon lui, lorsqu’un agent a signé un nouveau contrat qui implique le début d’une nouvelle relation de travail avec l’administration de l’Union, à moins que ce nouveau contrat n’apporte pas de modification substantielle des fonctions de l’agent, notamment du groupe de fonctions, de nature à remettre en cause la continuité fonctionnelle de sa relation de travail avec cette administration. C’est en partant de cette prémisse que le Tribunal a examiné la situation du requérant et a rejeté son recours.

68      Afin de déterminer si le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation qu’il a effectuée de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’annexe du RAA, il convient donc notamment d’analyser la notion de « par analogie », figurant à cette disposition.

69      À cet égard, il importe de souligner qu’il découle du libellé même de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’annexe du RAA et, notamment, de la notion de « par analogie » qui y est reprise, que cette disposition vise à garantir aux autres agents qui étaient en fonction au 31 décembre 2013 le bénéfice de certaines des mesures transitoires prévues par l’annexe XIII du statut, et cela malgré les différences existantes entre les fonctionnaires et ces autres agents. Cela étant, cette notion de « par analogie » ne permet pas, en elle-même, de cerner avec précision, parmi les autres agents en fonction au 31 décembre 2013, ceux devant pouvoir bénéficier des mesures transitoires concernées, notamment en cas de modification ultérieure de leur relation de travail avec l’administration de l’Union.

70      Or, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 121 et jurisprudence citée).

71      S’agissant, d’une part, des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union dans le cadre de la réforme de 2014, il ressort du considérant 29 du règlement no 1023/2013, qui a modifié le statut et le RAA afin de mettre en œuvre cette réforme, qu'« [i]l convient de prévoir des dispositions transitoires afin de permettre une mise en œuvre progressive des nouvelles règles et mesures, sans préjudice des droits acquis et des attentes légitimes du personnel en place avant l’entrée en vigueur des présentes modifications du statut ».

72      Comme le Tribunal le relève à bon droit au point 67 de l’arrêt attaqué, au nombre de ces dispositions transitoires figurent non seulement les articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut, mais également l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

73      Dès lors, au regard du considérant 29 du règlement no 1023/2013, il y a lieu de constater que lesdites dispositions transitoires ont été établies sans préjudice des « attentes légitimes » du « personnel en place » au 31 décembre 2013. Il s’agit d’une formulation large, allant au-delà des droits acquis au sens strict et s’appliquant à tout le personnel de l’Union, et non aux seuls fonctionnaires de celle-ci.

74      Il convient donc, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 54 de ses conclusions, d’interpréter l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA à la lumière des objectifs tenant au respect des droits acquis et des attentes légitimes des autres agents de l’Union engagés par un contrat au 31 décembre 2013.

75      S’agissant, d’autre part, du contexte de cette disposition, il y a lieu d’observer, en premier lieu, qu’il ressort de l’article 83, paragraphe 2, du statut que les fonctionnaires contribuent pour un tiers au financement de ce régime de pensions, cette contribution étant fixée à un pourcentage déterminé du traitement de base (arrêt du 10 mai 2017, de Lobkowicz, C‑690/15, EU:C:2017:355, point 43). Tous les fonctionnaires percevant un traitement ou une indemnité à charge de l’Union et qui ne sont pas encore pensionnés doivent contribuer au régime de pensions instauré par le statut (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 1992, Lestelle/Commission, C‑30/91 P, EU:C:1992:252, point 23). Ces contributions confèrent au fonctionnaire le droit à une pension d’ancienneté indépendamment des fonctions qu’il exerce au sein de l’administration de l’Union.

76      Par ailleurs, il convient de relever qu’un fonctionnaire entré en service avant le 1er janvier 2014 bénéficie, sous certaines conditions, des dispositions transitoires prévues à l’article 21, second alinéa, et à l’article 22, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l’annexe XIII du statut, qui lui permettent de maintenir le taux annuel d’acquisition des droits à pension et l’âge de départ à la retraite, tels que fixés par le statut avant sa modification par le règlement no 1023/2013. Or, un fonctionnaire entré en service avant cette date et dont les fonctions seraient substantiellement modifiées après celle-ci ne perdrait pas, de ce seul fait, le bénéfice de ces dispositions transitoires au titre, notamment, des contributions qu’il continue à verser à ce régime de pensions pendant la durée de son service.

77      En second lieu, il importe de souligner que le statut et le RAA instituent un régime de pensions commun aux fonctionnaires et aux autres agents.

78      En effet, compte tenu du renvoi aux conditions prévues au chapitre 3 du titre V du statut, effectué par l’article 39, paragraphe 1, ainsi que par l’article 109, paragraphe 1, du RAA, les agents temporaires et les agents contractuels contribuent également, dans les conditions fixées à l’article 83, paragraphe 2, du statut, au financement de ce régime de pensions.

79      Dès lors, aux fins de l’application des dispositions transitoires relatives audit régime de pensions, prévues aux articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut, un agent contractuel, tel que le requérant, se trouve dans une situation analogue à celle d’un fonctionnaire, telle qu’exposée au point 76 du présent arrêt, lorsqu’intervient une modification de sa relation de travail avec l’administration de l’Union après le 31 décembre 2013 n’entraînant pas d’interruption dans le versement de contributions au régime de pensions de l’Union.

80      Il s’ensuit que, conformément à l’interprétation contextuelle de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’annexe du RAA ainsi qu’aux objectifs des dispositions transitoires y prévues, rappelés au point 74 du présent arrêt et tenant au respect des droits acquis et des attentes légitimes des autres agents de l’Union engagés par un contrat au 31 décembre 2013, un agent autre qu’un fonctionnaire, engagé au plus tard à cette date et dont les fonctions auraient été substantiellement modifiées par un nouveau contrat conclu après celle-ci, devrait, par analogie avec ce qui s’applique aux fonctionnaires se trouvant dans une situation telle que celle décrite au point 76 du présent arrêt, bénéficier de ces dispositions transitoires, dès lors qu’il n’a pas cessé de contribuer au financement de ce régime de pensions.

81      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant , au point 81 de l’arrêt attaqué, s’agissant d’un agent autre qu’un fonctionnaire engagé au 31 décembre 2013 et ayant signé un nouveau contrat avec l’administration de l’Union après cette date, que la notion de « par analogie », figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, exige que  ce nouveau contrat n’apporte pas de modification substantielle des fonctions de cet agent  de nature à remettre en cause la continuité fonctionnelle de sa relation de travail avec cette administration.

82      Dans ces conditions , il y a lieu d’accueillir le pourvoi et, partant, d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur le recours devant le Tribunal

83      Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

84      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, devant le Tribunal, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, tirée de l’absence d’acte faisant grief, au sens de l’article 91 du statut. Ainsi qu’il a été indiqué aux points 34 et 35 du présent arrêt, le Tribunal a joint au fond l’examen de cette exception et a décidé d’examiner au fond le moyen unique soulevé par le requérant sans statuer préalablement sur ladite exception, au motif que le recours était, en tout état de cause, non fondé.

85      Dans ces conditions, afin de statuer définitivement sur le litige, il y a lieu de statuer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission avant d’examiner le bien-fondé du recours.

86      En l’espèce, au regard, notamment, de la circonstance que tant l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission que le moyen unique avancé par le requérant à l’appui de son recours ont fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et que leur examen ne nécessite l’adoption d’aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction du dossier, la Cour estime que ledit recours est en état d’être jugé et qu’il y a lieu de statuer définitivement sur celui-ci.

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

87      À l’appui de son exception d’irrecevabilité, la Commission relève que l’acte attaqué devant le Tribunal, à savoir la réponse du 4 janvier 2016, est un courriel envoyé par l’un des collègues du requérant auprès du PMO et que ce courriel contenait l’avertissement suivant : « [v] euillez noter que ce message est envoyé à titre d’information et ne constitue pas une décision de l’AIPN/AHCC pouvant faire l’objet d’une réclamation au titre de l’article 90 du [s]tatut ». Elle estime que ledit courriel ne répond pas aux conditions prévues par la jurisprudence concernant les actes faisant grief.

88      En premier lieu, la Commission affirme que, en l’espèce, elle n’a pris aucune décision, mais a simplement fourni un renseignement. En particulier, cet avertissement indiquerait la volonté claire de la Commission de fournir un simple renseignement et de faire comprendre qu’elle n’avait pas pris les précautions indispensables à l’adoption d’un acte faisant grief.

89      En deuxième lieu, même si le requérant avait introduit, auprès du PMO, une demande visant à connaître ses droits à pension futurs, la réponse à cette demande n’aurait pas constitué un acte faisant grief. En matière de droits à pension, une mesure produisant des effets juridiques ne pourrait être adoptée que lors du départ à la retraite, ce qui serait confirmé par l’arrêt du Tribunal du 3 avril 1990, Pfloeschner/Commission (T‑135/89, EU:T:1990:26).

90      En troisième lieu, l’âge de départ à la retraite et le taux annuel d’acquisition des droits à pension étant fixés par le statut et non par une décision administrative, la réponse du 4 janvier 2016 ne saurait avoir une portée autre que celle d’un simple renseignement.

91      En quatrième et dernier lieu, les dispositions statutaires relatives au taux d’acquisition des droits à pension et à l’âge de départ à la retraite seraient susceptibles d’être modifiées par le législateur de l’Union jusqu’à la liquidation effective des droits à pension. Partant, un grief tiré de leur violation serait, par définition, prématuré et, de ce fait, irrecevable.

92      Selon le requérant, son recours a été introduit contre un acte lui faisant grief, de telle sorte qu’il est recevable.

 Appréciation de la Cour

93      Par son recours devant le Tribunal, le requérant demande l’annulation, d’une part, de la réponse du 4 janvier 2016 et, d’autre part, pour autant que de besoin, de la décision de rejet du 25 juillet 2016. Dès lors, il convient d’abord d’examiner si cette réponse du 4 janvier 2016 constitue un acte faisant grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

94      Conformément à cette disposition, toute personne visée au statut peut saisir l’AIPN d’une réclamation dirigée contre un acte lui faisant grief. L’article 91, paragraphe 1, du statut précise que la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer sur tout litige entre l’Union et l’une des personnes visées au statut et portant sur la légalité d’un acte faisant grief à cette personne, au sens dudit article 90, paragraphe 2. Ces dispositions sont applicables par analogie aux recours des autres agents en vertu de l’article 117 du RAA.

95      Selon la jurisprudence de la Cour, seuls font grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, les actes ou les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du requérant en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci (arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 44 et jurisprudence citée).

96      Pour déterminer si un acte produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier ces effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu dudit acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir, par analogie, arrêts du 6 octobre 2021, Poggiolini/Parlement, C‑408/20 P, EU:C:2021:806, point 32 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 63 ainsi que jurisprudence citée).

97      Ainsi, la capacité d’un acte à produire directement des effets sur la situation juridique d’une personne physique ou morale ne saurait être appréciée au regard du seul fait que cet acte revêt la forme d’un courriel, dans la mesure où ceci reviendrait à faire primer la forme de l’acte faisant l’objet du recours sur la substance même dudit acte (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, points 64 et 67 ainsi que jurisprudence citée).

98      Il convient dès lors, conformément à la jurisprudence rappelée au point 96 du présent arrêt, d’examiner le contenu de la réponse du 4 janvier 2016, en tenant compte du contexte de l’adoption de cette dernière ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur.

99      À cet égard, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, le requérant, par un courriel du 4 janvier 2016, a demandé au gestionnaire du secteur « Pensions » du PMO des explications sur les implications que la réforme de 2014 pourrait avoir sur sa situation à la suite de la signature du contrat du 16 mai 2014. Par la réponse du 4 janvier 2016, ce gestionnaire a indiqué au requérant que ses droits à pension avaient changé en raison du changement de contrat et que, dès lors, en ce qui le concerne, l’âge normal de départ à la retraite et le taux annuel d’acquisition des droits à pension étaient passés, respectivement, à 66 ans et à 1,8 % à partir du 1er juin 2014.

100    Il ressort également de ce dossier que ledit gestionnaire a conclu le courriel par la formule suivante : « [j]’espère que ces informations vous seront utiles ». En outre, la signature du même gestionnaire était accompagnée de l’avertissement suivant : « [v]euillez noter que ce message est envoyé à titre d’information et ne constitue pas une décision de l’AIPN/AHCC pouvant faire l’objet d’une réclamation au titre de l’article 90 du [s]tatut ».

101    Bien que la réponse du 4 janvier 2016 contienne, certes, des indices de la volonté du PMO de lui attribuer un caractère purement informatif, elle contient également des assurances précises en ce que le gestionnaire du secteur « Pensions » du PMO y a indiqué au requérant qu’il lui « confirm[ait] effectivement que [ses] droits à pension [avaient] changé en raison du changement de contrat ».

102    Si, comme le fait observer la Commission, l’âge de départ à la retraite et le taux annuel d’acquisition des droits à pension sont fixés par le statut et non par l’administration, force est toutefois de constater que, dans la réponse du 4 janvier 2016, ce gestionnaire ne s’est pas borné à informer le requérant du contenu des dispositions du statut telles qu’elles résultent de la réforme de 2014, mais lui a indiqué que ces dispositions lui étaient désormais applicables et, implicitement mais nécessairement, qu’il ne pouvait pas bénéficier des mesures transitoires prévues à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA. Dès lors, cette réponse s’analyse non pas comme fournissant au requérant un simple renseignement relatif au contenu du statut et du RAA, mais comme lui indiquant les dispositions de ces textes que l’administration considérait applicables à sa situation.

103    Or, de tels éléments sont, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 85 de ses conclusions, de nature à exclure que la réponse du 4 janvier 2016 puisse, au regard de son contenu, être considérée comme revêtant un caractère purement informatif.

104    En effet, cette réponse, fournie par un gestionnaire du secteur « Pensions » du PMO, à savoir du service chargé de la gestion et de la liquidation des pensions du personnel de la Commission, était de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du requérant en modifiant, de façon caractérisée, sa situation juridique, particulièrement en ce qui concerne la détermination de l’âge auquel, à droit constant, c’est-à-dire conformément au cadre réglementaire en vigueur à chaque moment, il pourra prétendre partir à la retraite.

105    Cette conclusion est corroborée au regard des pouvoirs de l’auteur de ladite réponse. En effet, il est constant que celle-ci a été fournie par le service chargé de la gestion et de la liquidation des pensions du personnel de la Commission, sans qu’il soit contesté que la Commission était compétente pour adopter, à l’égard de l’intéressé, des décisions en la matière produisant des effets juridiques obligatoires, au sens de la jurisprudence rappelée au point 95 du présent arrêt.

106    La Commission affirme toutefois que, en matière de droits à pension, une mesure produisant des effets juridiques ne pourrait être adoptée que lors du départ à la retraite, ce qui serait confirmé par l’arrêt du Tribunal du 3 avril 1990, Pfloeschner/Commission (T‑135/89, EU:T:1990:26).

107    À cet égard, il y a lieu de constater que, s’il est exact qu’avant la mise à la retraite, événement futur incertain, les droits à pension sont des droits virtuels, en cours de formation quotidienne, il n’en reste pas moins qu’un acte administratif dont il découle qu’un agent ne peut pas bénéficier de dispositions plus favorables en ce qui concerne le taux annuel d’acquisition de ces droits et son âge de départ normal à la retraite affecte immédiatement et directement la situation juridique de l’intéressé, même si cet acte ne doit recevoir exécution qu’ultérieurement. S’il en était jugé autrement, le requérant ne pourrait connaître ses droits qu’au moment de la retraite et serait placé, jusqu’à ce moment, dans un état d’incertitude en ce qui concerne non seulement sa situation financière, mais également l’âge auquel il peut demander d’être mis à la retraite, ne lui permettant pas de prendre immédiatement les dispositions personnelles idoines pour assurer son avenir tel qu’il l’envisage. Il en résulte que le requérant possède un intérêt légitime, né et actuel, suffisamment caractérisé, à faire fixer judiciairement, dès maintenant, un élément incertain tel que son âge de départ à la retraite et le taux annuel d’acquisition des droits à pension (voir, en ce sens, arrêt du 1er février 1979, Deshormes/Commission, 17/78, EU:C:1979:24, points 10 à 12).

108    En outre, il y a lieu de rappeler que des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale ne constituent pas, en principe, des actes qui peuvent faire l’objet d’un recours en annulation (voir, par analogie, arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 43 et jurisprudence citée).

109    Cependant, la constatation qu’un acte d’une institution constitue une mesure intermédiaire qui n’exprime pas la position finale de cette institution ne saurait suffire à établir, de manière systématique, que cet acte ne constitue pas un acte pouvant faire l’objet d’un recours en annulation (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Poggiolini/Parlement, C‑408/20 P, EU:C:2021:806, point 38).

110    En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un acte intermédiaire qui produit des effets juridiques autonomes est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation en ce qu’il ne peut être remédié à l’illégalité attachée à cet acte à l’occasion d’un recours dirigé contre la décision finale dont il constitue une étape d’élaboration (voir, par analogie, arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 46 et jurisprudence citée).

111    Partant, lorsque la contestation de la légalité d’un acte intermédiaire dans le cadre d’un tel recours n’est pas de nature à assurer une protection juridictionnelle effective au requérant contre les effets de cet acte, celui-ci doit pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation (voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2021, Poggiolini/Parlement, C‑408/20 P, EU:C:2021:806, point 40 et jurisprudence citée).

112    Or, ainsi que M. l’avocat général l’a constaté, en substance, au point 89 de ses conclusions, si le requérant était contraint d’attendre la date à laquelle il atteindrait l’âge de départ à la retraite retenu par l’autorité compétente pour pouvoir contester la décision finale qui serait prise à cette date et qui fixerait définitivement ses droits à pension, il serait privé de toute protection juridictionnelle effective lui permettant de faire valoir ses droits.

113    Certes, comme le fait valoir la Commission, un élément tel que l’âge de départ à la retraite d’un agent est susceptible d’être modifié à tout moment par le législateur de l’Union jusqu’au moment de la liquidation effective des droits à pension de cet agent. Néanmoins, sauf à priver le requérant de la protection juridictionnelle effective visée au point précédent, celui-ci ne devrait pas pour autant être empêché de connaître avec précision quel serait, à droit constant, son âge normal de départ à la retraite, sans préjudice d’une éventuelle modification du cadre réglementaire.

114    Dans ces conditions, dès lors que l’exercice d’un recours en annulation contre la décision finale que la Commission adopterait lors du départ à la retraite du requérant ne serait pas de nature à lui assurer une protection juridictionnelle effective, la réponse du 4 janvier 2016, qui constitue un acte faisant grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, doit pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation.

115    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation introduit par le requérant devant le Tribunal doit être déclaré recevable.

 Sur le fond

116    À l’appui de son recours devant le Tribunal, le requérant invoque un moyen unique, tiré d’une erreur de droit et d’une violation de l’article 77, deuxième et cinquième alinéas, du statut, applicable aux agents contractuels en vertu de l’article 109 du RAA, ainsi que de l’article 21, second alinéa, et de l’article 22, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l’annexe XIII du statut, en ce qu’il ressort de la réponse du 4 janvier 2016 que la date d’entrée en service prise en considération aux fins de l’application de ces dispositions statutaires a été celle du 1er juin 2014, date de début du contrat du 16 mai 2014, alors qu’aurait dû être retenue la date du 1er juillet 2008, date à laquelle il est initialement entré au service de la Commission, en tant qu’agent contractuel.

117    Il ressort du dossier soumis à la Cour que, depuis le 1er juillet 2008, date de son engagement initial en qualité d’agent contractuel auprès du PMO, le requérant a, de manière ininterrompue, travaillé au service de l’Union et contribué au financement du régime de pensions de cette dernière.

118    Dès lors, ainsi qu’il découle du point 80 du présent arrêt, le requérant doit, en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, se voir appliquer par analogie les dispositions transitoires relatives au maintien du taux annuel d’acquisition des droits à pension de 1,9 % et du droit à une pension d’ancienneté à l’âge de 64 ans et 8 mois, conformément, respectivement, à l’article 21, second alinéa, et à l’article 22, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l’annexe XIII du statut.

119    Par conséquent, il y a lieu d’annuler la réponse du 4 janvier 2016 ainsi que la décision de rejet du 25 juillet 2016 comme étant contraires à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

 Sur les dépens

120    Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

121    Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

122    En l’espèce, le requérant ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé, il convient de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le requérant à l’occasion du présent pourvoi ainsi que ceux qu’il a exposés en première instance.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 mars 2021, Picard/Commission (T769/16, EU:T:2021:153), tel que rectifié par l’ordonnance du 16 avril 2021, Picard/Commission (T769/16, EU:T:2021:200), est annulé.

2)      La réponse du gestionnaire du secteur « Pensions » de l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels (PMO) de la Commission européenne du 4 janvier 2016 ainsi que la décision du 25 juillet 2016 du directeur de la direction E de la direction générale des ressources humaines de la Commission, rejetant la réclamation de M. Maxime Picard du 4 avril 2016 contre cette réponse, sont annulées.

3)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Maxime Picard à l’occasion du présent pourvoi ainsi que ceux qu’il a exposés en première instance.

Prechal

Arastey Sahún

Biltgen

Wahl

 

Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 décembre 2022.

Le greffier

 

La présidente de chambre

A. Calot Escobar

 

A. Prechal


*      Langue de procédure : le français.