Language of document : ECLI:EU:C:2021:918

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 11 novembre 2021 (1)

Affaire C559/20

Koch Media GmbH

contre

FU

[demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Saarbrücken (tribunal régional de Sarrebruck, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Directive 2004/48/CE – Article 14 – Frais de justice et autres frais – Honoraires d’avocat pour l’envoi d’une mise en demeure extrajudiciaire – Disposition prévoyant une limitation des honoraires récupérables en cas d’infraction commise par une personne physique en dehors de toute activité professionnelle ou commerciale – Valeur en litige non équitable dans les circonstances particulières du cas d’espèce – Article 13 – Dommages-intérêts – Absence de pertinence »






1.        Une société établie en Allemagne, titulaire de droits de propriété intellectuelle sur un jeu d’ordinateur, a chargé un avocat d’ordonner, au moyen d’une mise en demeure extrajudiciaire, à une personne qui avait violé ces droits de cesser ses agissements, ce que cette dernière a accepté.

2.        Le droit allemand prévoit que, en principe, le contrevenant doit payer les honoraires dus pour l’intervention de l’avocat dans le cadre de la défense du titulaire des droits de propriété intellectuelle. Il permet toutefois d’en limiter le montant lorsque l’infraction a été commise par une personne physique en dehors de toute activité professionnelle ou commerciale.

3.        Dans la présente affaire, cette personne estime que le montant des honoraires dont le remboursement lui est réclamé (984,60 euros) est excessif et refuse de les payer. Son opposition a donné lieu à un litige dans le cadre duquel la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance :

–        si les frais correspondant aux honoraires d’avocat au titre de la mise en demeure extrajudiciaire entrent dans le champ d’application de la directive 2004/48/CE (2);

–        dans l’affirmative, s’ils peuvent relever de l’article 14 (« frais de justice » ou « autres frais ») ou de l’article 13 (« dommages-intérêts ») de la directive 2004/48 ;

–        si la règle nationale imposant un plafonnement des honoraires, à moins que des raisons d’équité justifient la non‑application de cette limite, est conforme à la directive 2004/48 ainsi qu’aux directives 2001/29/CE (3) et 2009/24/CE (4) et quels facteurs pourraient avoir une incidence sur la détermination du montant de ces honoraires.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 2004/48

4.        L’article 1er (« Objet ») de la directive 2004/48 prévoit :

« La présente directive concerne les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle. Aux fins de la présente directive, l’expression “droits de propriété intellectuelle” inclut les droits de propriété industrielle. »

5.        L’article 2 (« Champ d’application ») de la directive 2004/48 dispose :

« 1.      Sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus dans la législation communautaire ou nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits, les mesures, procédures et réparations s’appliquent, conformément à l’article 3, à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation communautaire et/ou la législation nationale de l’État membre concerné.

[...] »

6.        L’article 3 (« Obligation générale ») de la directive 2004/48 énonce :

« 1.      Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2.      Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif. »

7.        Aux termes de l’article 13 (« Dommages-intérêts ») de la directive 2004/48 :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte.

Lorsqu’elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires :

a)      prennent en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte ;

ou

b)      à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question.

2.      Lorsque le contrevenant s’est livré à une activité contrefaisante sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir, les États membres peuvent prévoir que les autorités judiciaires pourront ordonner le recouvrement des bénéfices ou le paiement de dommages-intérêts susceptibles d’être préétablis. »

8.        Conformément à l’article 14 (« Frais de justice ») de la directive 2004/48 :

« Les États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne le permette pas. »

2.      La directive 2001/29

9.        L’article 8 (« Sanctions et voies de recours ») de la directive 2001/29 énonce :

« 1.      Les États membres prévoient des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits et obligations prévus par la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir l’application. Ces sanctions sont efficaces, proportionnées et dissuasives.

2.      Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les titulaires de droits dont les intérêts sont lésés par une infraction commise sur son territoire puissent intenter une action en dommages-intérêts et/ou demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue ainsi que, le cas échéant, demander la saisie du matériel concerné par l’infraction ainsi que des dispositifs, produits ou composants visés à l’article 6, paragraphe 2.

3.      Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin. »

3.      La directive 2009/24

10.      L’article 7 (« Mesures spéciales de protection ») de la directive 2009/24 dispose :

« 1.      Sans préjudice des articles 4, 5 et 6, les États membres prennent, conformément à leurs législations nationales, des mesures appropriées à l’encontre des personnes qui accomplissent l’un des actes suivants :

a)      mettre en circulation une copie d’un programme d’ordinateur en sachant qu’elle est illicite ou en ayant des raisons de le croire ;

b)      détenir à des fins commerciales une copie d’un programme d’ordinateur en sachant qu’elle est illicite ou en ayant des raisons de le croire ;

c)      mettre en circulation ou détenir à des fins commerciales tout moyen ayant pour seul but de faciliter la suppression non autorisée ou la neutralisation de tout dispositif technique éventuellement mis en place pour protéger un programme d’ordinateur.

2.      Toute copie illicite d’un programme d’ordinateur est susceptible de saisie conformément à la législation de l’État membre concerné.

3.      Les États membres peuvent prévoir la saisie des moyens visés au paragraphe 1, [sous] c). »

B.      Le droit allemand – La loi sur le droit d’auteur et les droits voisins

11.      L’article 97 du Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (ci-après l’« UrhG ») (5) prévoit que toute personne portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle ou à un autre droit protégé par l’UrhG peut être mise en demeure, par la victime de l’infraction, de cesser celle‑ci.

12.      L’article 97a de l’UrhG, dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« 1)      Avant d’engager une procédure judiciaire, la personne lésée doit (6) adresser au contrevenant une mise en demeure invitant ce dernier à cesser les agissements concernés et doit donner au contrevenant la possibilité de régler le litige en prenant l’engagement de s’abstenir de ces agissements, assorti d’une clause pénale appropriée.

2)      La mise en demeure doit, de manière claire et compréhensible :

1.      indiquer le nom ou la dénomination sociale de la personne lésée si ce n’est pas la personne lésée elle-même mais un représentant qui délivre la mise en demeure,

2.      décrire exactement l’atteinte portée à un droit,

3.      présenter un calcul détaillé des demandes de paiement, selon qu’il s’agit de dommages-intérêts ou du remboursement de frais, et

4.      si elle exige un engagement de s’abstenir de certains agissements, indiquer dans quelle mesure l’engagement proposé va au-delà de l’atteinte qui fait l’objet de la mise en demeure.

Une mise en demeure non conforme à la première phrase est sans effet.

3)      Dans la mesure où la mise en demeure est justifiée et conforme au paragraphe 2, première phrase, points 1 à 4, le remboursement des frais nécessaires peut être exigé. S’agissant de l’utilisation des services d’un avocat, le remboursement des frais nécessaires est limité, en ce qui concerne les honoraires légaux, à un montant correspondant à une valeur en litige de 1 000 euros pour une action en interdiction et en cessation, si la personne mise en demeure :

1.      est une personne physique qui n’utilise pas d’œuvres protégées en vertu de la présente loi ou d’autres objets protégés en vertu de la présente loi pour son activité commerciale ou son activité professionnelle indépendante, et

2.      n’est pas déjà tenue de cesser certains agissements en raison d’un droit contractuel de la personne à l’origine de la mise en demeure ou en raison d’une décision de justice définitive ou d’une injonction provisoire.

La valeur indiquée dans la deuxième phrase s’applique également si l’on fait valoir parallèlement un droit d’interdiction et un droit en cessation. La deuxième phrase ne s’applique pas si ladite valeur est inéquitable dans les circonstances particulières du cas d’espèce. »

II.    Les faits et les questions préjudicielles

13.      Koch Media GmbH, entreprise qui commercialise des jeux d’ordinateur, est titulaire, sur le territoire allemand, de droits voisins exclusifs pour la mise à la disposition du public du jeu d’ordinateur développé par des professionnels « This War of Mine » (7).

14.      FU est une personne physique qui, sans poursuivre un intérêt commercial ou professionnel, a diffusé le jeu à au moins treize reprises, entre le 26 et le 28 novembre 2014, en violation des droits de Koch Media, sur une plateforme d’échange de fichiers et l’a proposé publiquement en téléchargement à d’autres personnes en utilisant sa connexion Internet.

15.      Afin de faire valoir ses droits, Koch Media a fait appel à un cabinet d’avocats qui, en son nom, a adressé une mise en demeure à FU, lui demandant de s’engager à cesser de mettre le jeu à la disposition du public et de payer des dommages-intérêts.

16.      La mise en demeure a produit effet : le contrevenant s’y est conformé et aucune action judiciaire ultérieure n’a été nécessaire.

17.      Les services de l’avocat ont entraîné pour Koch Media des frais d’un montant de 984,60 euros, que cette société a réclamés au contrevenant. Ce montant a été obtenu en appliquant un pourcentage à une valeur en litige estimée à 20 000 euros (8).

18.      FU étant en désaccord avec le montant des honoraires lui étant réclamés, une procédure judiciaire a été engagée à cet égard.

19.      En première instance, par jugement du 12 mars 2019, l’Amtsgericht Saarbrücken (tribunal de district de Sarrebruck, Allemagne) a condamné le contrevenant à payer 124 euros et a rejeté le recours de Koch Media pour le surplus (9). Il a fondé sa décision sur l’article 97a, paragraphe 3, de l’UrhG.

20.      Koch Media a interjeté appel devant le Landgericht Saarbrücken (tribunal régional de Sarrebruck, Allemagne), demandant la reconnaissance de son droit au remboursement intégral des frais d’avocat.

21.      La juridiction d’appel, après avoir exposé son interprétation du droit national (10), doute que les directives pertinentes en la matière permettent de limiter les honoraires remboursables par le contrevenant lorsque celui-ci est une personne physique qui n’a pas agi dans le cadre d’une activité commerciale ou professionnelle.

22.      Selon elle, dans l’arrêt United Video Properties (11), la Cour a jugé que, dans certaines circonstances, une règle visant à exclure du remboursement les frais excessifs peut être justifiée. Toutefois, la solution dans la présente affaire impose de déterminer si les principes dégagés dans cet arrêt sont applicables à une personne physique impliquée en tant que partie adverse qui n’agit pas à titre commercial ou professionnel.

23.      Pour la juridiction d’appel, l’article 97a, paragraphe 3, quatrième phrase, de l’UrhG a inversé les termes de l’exception prévue à l’article 14 de la directive 2004/48 : si la partie adverse est une personne physique, le remboursement intégral des frais n’est possible en Allemagne que si des raisons d’équité l’exigent.

24.      La juridiction d’appel indique également que, dans son pays, les juridictions divergent sur le point de savoir s’il est possible d’interpréter l’exception visée à l’article 97a, paragraphe 3, quatrième phrase, de l’UrhG d’une manière conforme à la directive 2004/48.

25.      Dans ce contexte, le Landgericht Saarbrücken (tribunal régional de Sarrebruck) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      a)      L’article 14 de la directive [2004/48] doit-il être interprété en ce sens qu’il inclut, en tant que “frais de justice” ou “autres frais”, les frais d’avocat nécessaires encourus par un titulaire de droits de propriété intellectuelle au sens de l’article 2 de la directive 2004/48 du fait que le titulaire de ces droits a fait valoir un droit en cessation à l’égard du contrevenant par la voie extrajudiciaire d’une mise en demeure ?

b)      S’il est répondu par la négative à la question au point 1) a), l’article 13 de la directive 2004/48 doit-il être interprété en ce sens qu’il inclut en tant que dommages-intérêts les frais d’avocat mentionnés dans la question au point 1) a) ?

2)      a)      Le droit de l’Union, eu égard notamment

–        aux articles 3, 13 et 14 de la directive 2004/48,

–        à l’article 8 de la directive [2001/29] et

–        à l’article 7 de la directive [2009/24],

doit-il être interprété en ce sens qu’un titulaire de droits de propriété intellectuelle au sens de l’article 2 de la directive 2004/48 a en principe droit au remboursement de la totalité des frais d’avocat mentionnés dans la question au point 1) a) ou, en tout état de cause, au remboursement d’une partie appropriée et substantielle de ces frais, même si

–        l’atteinte aux droits visée a été commise par une personne physique en dehors de son activité professionnelle ou commerciale et

–        la réglementation nationale prévoit, dans ce cas, que de tels frais d’avocat ne sont normalement remboursables qu’en fonction d’une valeur en litige réduite ?

b)      Si la réponse à la question 2) a) est affirmative, le droit de l’Union visé à la question 2) a) doit-il être interprété en ce sens qu’une exception au principe énoncé au point 2) a) – selon lequel la totalité des frais d’avocat mentionnés dans la question au point 1) a) ou, en tout état de cause, une partie appropriée et substantielle de ces frais doit être remboursée au titulaire des droits – entre en ligne de compte, eu égard à d’autres facteurs (tels que l’actualité de l’œuvre, la durée de publication et le fait que l’atteinte aux droits a été commise par une personne physique en dehors de son activité professionnelle ou commerciale), même si l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle au sens de l’article 2 de la directive 2004/48 consiste en un partage de fichiers (“filesharing”), c’est-à-dire en la mise à disposition au public de l’œuvre par [l’intermédiaire] d’un téléchargement gratuit proposé à tous les participants à un marché d’échange librement accessible sans gestion des droits numériques (“digital rights management”) ? »

III. La procédure devant la Cour

26.      La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 26 octobre 2020.

27.      Des observations écrites ont été déposées par Koch Media, le gouvernement allemand et la Commission européenne.

28.      La tenue d’une audience n’a pas été jugée nécessaire.

IV.    Appréciation

A.      Précisions sur le droit national applicable selon l’ordonnance de renvoi

29.      La juridiction de renvoi interprète les règles nationales pertinentes et décrit la pratique nationale dans les termes qui seront indiqués dans les présentes conclusions. La Cour doit, en principe, s’en tenir à cet exposé, la tâche de définir la portée du droit national incombant à la juridiction de renvoi.

30.      Conformément à l’article 97a, lu en combinaison avec l’article 97, paragraphe 1, de l’UrhG, le titulaire des droits de propriété intellectuelle lésé peut exiger du contrevenant qu’il cesse l’infraction et qu’il paye des dommages‑intérêts.

31.      En règle générale, le titulaire du droit, utilisant les services d’un avocat, fait tout d’abord valoir son droit de demander la cessation de l’infraction. L’avocat adresse une mise en demeure conformément à l’article 97a, paragraphe 1, de l’UrhG visant à ce que le contrevenant émette une déclaration dite « de cessation sous peine de clause pénale ».

32.      Cette déclaration élimine le risque de récidive et assure le respect du droit en cessation. Il ne sera ensuite plus nécessaire, ni possible, d’exercer ce droit en justice. En ce sens, la mise en demeure a pour fonction d’éviter le procès.

33.      Conformément à l’article 97a, paragraphe 3, de l’UrhG, en cas de violation des droits d’auteur, les « frais nécessaires » exposés par le titulaire de ces droits sont, en principe, remboursés par le contrevenant.

34.      Afin de déterminer le régime des « frais nécessaires » de la mise en demeure extrajudiciaire pouvant être qualifiés d’« honoraires d’avocat », il convient de se référer à la loi allemande relative à la rémunération des avocats (12).

35.      Aux termes du RVG :

–        le remboursement des honoraires d’avocat est effectué conformément au barème établi par le RVG. Normalement, les tribunaux déclarent non remboursables les montants supérieurs à ceux indiqués dans cette loi ;

–        les honoraires qu’un avocat peut réclamer à son client dépendent de la valeur en litige. Plus cette valeur est élevée, plus les honoraires seront élevés.

36.      Pour le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), la valeur en litige s’agissant d’un droit en cessation exercé par le titulaire de droits relatifs à des films, de la musique ou des DVD s’élève, au minimum, à 10 000 euros.

37.      Toutefois, l’article 97a, paragraphe 3, deuxième phrase, de l’UrhG limite la valeur en litige, à laquelle un pourcentage est appliqué, à 1 000 euros si la personne mise en demeure : 1) est une personne physique qui n’utilise pas les œuvres ou les objets protégés pour son activité commerciale ou professionnelle indépendante, et 2) n’est pas déjà tenue de cesser ses agissements en raison d’un droit contractuel de la personne à l’origine de la mise en demeure ou en raison d’une décision de justice définitive ou d’une injonction provisoire.

38.      La limitation de la valeur en litige produit des effets sur la relation entre le titulaire des droits et le contrevenant, mais non sur celle entre le titulaire des droits et son avocat. L’avocat facturera au titulaire des droits ses honoraires sur la base de la valeur réelle du litige (c’est-à-dire sans limitation de montant), ce qui peut entraîner des différences considérables (13).

39.      L’article 97a, paragraphe 3, quatrième phrase, de l’UrhG contient toutefois une exception permettant, dans des cas concrets, de ne pas respecter la limitation de la valeur en litige si, eu égard aux circonstances, il serait « inéquitable » de la fixer à 1 000 euros.

B.      Sur la première question préjudicielle

40.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si les honoraires d’avocat dus par un titulaire de droits de propriété intellectuelle au titre d’une mise en demeure extrajudiciaire adressée à un contrevenant afin qu’il cesse de violer ces droits relèvent de la directive 2004/48 (notamment de son article 14 ou, à titre subsidiaire, de son article 13).

41.      Une procédure extrajudiciaire de règlement des différends peut relever de l’objet de la directive 2004/48, dès lors qu’elle constitue l’une des « mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle » (14).

42.      La Cour a jugé, dans l’arrêt M.I.C.M., que « la recherche d’une solution amiable constitue souvent un préalable à l’introduction de l’action en réparation proprement dite » (15).

43.      Elle a souligné, dans cet arrêt, que la directive 2004/48 s’applique à une procédure autonome, menée au titre de l’article 8, paragraphe 1, de cette directive, portant sur « une demande d’informations [...] formulée dans une phase précontentieuse » (16).

44.      Par conséquent, dans le contexte de la protection des droits de propriété intellectuelle, la directive 2004/48 constitue, en principe, le cadre juridique de référence pour les actions visant – judiciairement ou extrajudiciairement – non seulement l’identification du contrevenant, mais également la cessation de ses agissements.

45.      Cette prémisse étant posée, la juridiction de renvoi demande si les honoraires dus pour l’intervention d’un avocat dans le cadre de la mise en demeure de cessation relèvent : a) des frais de justice ou des autres frais visés à l’article 14 de la directive 2004/48, ou b) à titre subsidiaire, des dommages-intérêts mentionnés à l’article 13 de cette directive.

46.      Ainsi que je l’ai indiqué dans mes conclusions dans l’affaire United Video Properties, « [d]u point de vue systématique, la directive 2004/48 englobe dans une même section (section 6) les dommages et intérêts ainsi que les frais de justice. Même lorsque son considérant 26, relatif à la réparation du préjudice subi, ne mentionne pas les frais de justice, il est possible de soutenir que leur emplacement commun permet de les cataloguer comme un élément supplémentaire que la directive envisage en sus de l’indemnité des titulaires du droit de propriété intellectuelle » (17).

47.      La victime d’une atteinte à des droits de propriété intellectuelle peut entreprendre plusieurs actions préalables à la procédure judiciaire afin de défendre ses droits, sans que le coût de chacune de ces actions doive nécessairement être inclus dans les frais de justice, au sens de la directive 2004/48.

48.      Afin de déterminer si une procédure extrajudiciaire de protection de droits de propriété intellectuelle entre dans le champ d’application de la directive 2004/48, il y a lieu d’examiner ses caractéristiques particulières ; il conviendra dans les présentes conclusions de dissocier les notions de « frais de justice » et de « dommages-intérêts », car, étant proches, il existe un risque qu’elles se confondent.

49.      Classer les frais inhérents à une mise en demeure extrajudiciaire en tant que l’un des composants des dommages-intérêts visés à l’article 13 de la directive 2004/48 pourrait priver l’article 14 de cette directive d’une partie de son champ d’application.

50.      À l’inverse, « une interprétation extensive de l’article 14 de la directive 2004/48 en ce sens que celui-ci prévoit que la partie qui succombe doit supporter, en règle générale, “les autres frais” exposés par la partie ayant obtenu gain de cause, sans apporter aucune précision quant à la nature de ces frais, risque de conférer à cet article un champ d’application excessif, privant ainsi l’article 13 de cette directive de son effet utile » (18).

51.      La recherche d’un équilibre a conduit la Cour à « interpréter strictement cette notion et [à] considérer que relèvent des “autres frais”, au sens [de l’]article 14 [de la directive 2004/48], les seuls frais qui sont directement et étroitement liés à la procédure judiciaire concernée » (19).

52.      Dans le même sens, la Cour a jugé, en ce qui concerne les « frais extrajudiciaires, liés notamment au temps consacré par la victime de la contrefaçon pour faire valoir ses droits », qu’ils peuvent relever de l’article 14 de la directive 2004/48, dans la mesure où cette disposition « vise à renforcer le niveau de protection de la propriété intellectuelle, en évitant qu’une partie lésée ne soit dissuadée d’engager une procédure judiciaire aux fins de sauvegarder ses droits (voir arrêt du 16 juillet 2015, Diageo Brands, C‑681/13, EU:C:2015:471, point 77) » (20).

53.      Une mise en demeure extrajudiciaire de cessation de l’infraction va au-delà d’éventuelles autres actions précontentieuses visant à permettre à la victime de cerner les contours et la portée d’une infraction et d’identifier la personne responsable de la commission de celle-ci (21).

54.      Si une telle mise en demeure était prévue par la loi nationale comme la voie normale (bien que non strictement obligatoire) pour obtenir la cessation d’une infraction et que, en pratique, elle était couramment utilisée à cette fin, elle pourrait être qualifiée d’« antécédent immédiat et direct » de la procédure judiciaire. Lorsqu’un mécanisme de cette nature devient de facto incontournable dans la réalité juridique nationale, on peut lui attribuer une dimension « étroitement liée » à la procédure judiciaire qu’il vise à éviter.

55.      Il en irait d’autant plus ainsi si l’utilisation obligatoire de ce mécanisme avant de recourir à une procédure judiciaire était imposée non plus par la pratique, mais par la loi nationale elle-même.

56.      Sous réserve de l’interprétation par la juridiction de renvoi de son propre droit, l’article 97a, paragraphe 1, de l’UrhG admettrait deux lectures quant à la nature de la mise en demeure : a) elle constitue une obligation impérative si la personne lésée envisage d’introduire une action en justice (22) ou b) il s’agit d’un simple conseil ou admonition sans caractère contraignant avant l’introduction d’une telle action (23).

57.      La décision de renvoi semble implicitement opter pour la seconde interprétation. En réalité, l’une et l’autre aboutissent au même résultat :

–        si la mise en demeure préalable de cessation du comportement infractionnel était, en droit procédural allemand, une condition impérative pour déclarer recevable une action en justice ayant le même objet, le lien entre les procédures judiciaire et extrajudiciaire serait on ne peut plus clair ;

–        un tel lien existerait également (bien que n’apparaissant pas de manière aussi évidente) dans l’hypothèse où la mise en demeure extrajudiciaire serait – suivant l’indication de l’UrhG – la voie suggérée ou recommandée par le droit national avant la procédure judiciaire, dans des termes la rendant, de facto, presque incontournable (24).

58.      Il découle de cette prémisse que, aux fins de l’article 14 de la directive 2004/48 :

–        les frais inhérents à une mise en demeure extrajudiciaire de cessation d’une infraction sont directement et étroitement liés à la procédure judiciaire ultérieure, même si, en raison du succès de la première, la seconde n’est pas engagée ;

–        le contrevenant, en tant que partie « ayant succombé » (puisqu’il a accepté la mise en demeure de cesser ses agissements), doit supporter les frais encourus par le titulaire des droits (la partie ayant obtenu gain de cause), à moins que l’équité ne le permette pas ;

–        l’obligation de supporter les frais de l’autre partie s’impose au contrevenant, car « l’auteur de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle doit généralement supporter intégralement les conséquences financières de sa conduite » (25).

59.      Parmi les frais inhérents à la mise en demeure – à la charge, je le répète, du contrevenant – peuvent, en principe, figurer les honoraires de l’avocat étant intervenu à cet égard, même si la loi nationale n’exige pas impérativement que cette mise en demeure préalable à la procédure judiciaire soit formulée par un avocat. Je me pencherai sur ce point lors de l’examen de la seconde question préjudicielle.

60.      En somme, je ne vois pas d’obstacle à ce que, en raison de leur lien avec une éventuelle procédure judiciaire immédiate (qui viserait également la cessation d’une infraction constatée imputable à une personne déterminée), les frais – parmi lesquels les honoraires d’avocat – d’une mise en demeure extrajudiciaire visant à ce que le contrevenant cesse son infraction relèvent de l’article 14 de la directive 2004/48.

C.      Sur la seconde question préjudicielle

61.      La seconde question préjudicielle soulève deux interrogations qui peuvent être examinées conjointement.

62.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si le titulaire des droits de propriété intellectuelle « a en principe droit au remboursement de la totalité des frais d’avocat [...] ou, en tout état de cause, au remboursement d’une partie appropriée et substantielle de ces frais », lorsque :

–        le contrevenant est une personne physique agissant en dehors de son activité professionnelle ou commerciale et

–        la réglementation nationale prévoit que, dans un tel cas, les frais d’avocat sont normalement remboursables en fonction d’une valeur en litige réduite.

63.      La juridiction de renvoi demande, à cet effet, l’interprétation du « droit de l’Union, eu égard notamment aux articles 3, 13 et 14 de la directive 2004/48, à l’article 8 de la directive 2001/29 [...] et à l’article 7 de la directive 2009/24 [...] ».

64.      Les articles susmentionnés de la directive 2001/29 et de la directive 2009/24 prévoient certes des mesures relatives à la protection d’un titulaire de droits de propriété intellectuelle faisant l’objet d’agissements infractionnels.

65.      Toutefois, eu égard au caractère général de leurs libellés par rapport à celui de l’article 14 de la directive 2004/48, qui régit spécifiquement les frais de justice et les autres frais dans ce type de procédures, il y a lieu de se concentrer sur cette dernière disposition, en laissant les autres de côté.

66.      Ainsi que je l’ai indiqué dans mes conclusions dans l’affaire NovaText (26), l’article 14 de la directive 2004/48 n’est pas inconditionnel, car, outre qu’il s’agit d’une « règle générale », il impose aux États membres d’assurer le remboursement des seuls frais de justice raisonnables (27) et proportionnés (28).

67.      L’article 97a, paragraphe 3, de l’UrhG n’hésite pas à qualifier de « frais nécessaires » (29) ceux exposés pour les services d’un avocat engagé afin de procéder à la mise en demeure (à condition, bien entendu, qu’une telle mise en demeure soit justifiée). La juridiction de renvoi semble également considérer que ces frais sont nécessaires dans le litige au principal.

68.      Cette disposition de l’UrhG restreint toutefois, « [s]’agissant de l’utilisation des services d’un avocat, le remboursement des frais nécessaires » aux honoraires légaux calculés en se fondant sur une valeur en litige de 1 000 euros pour chaque action en interdiction ou en cessation intentée contre un particulier agissant en tant‑que tel (c’est-à-dire n’intervenant pas en qualité de professionnel ou de commerçant).

69.      La situation créée est analogue à celle qui était en cause dans l’affaire United Video Properties. Alors que, dans cette dernière, la réglementation belge prévoyait une limite absolue pour les frais liés à l’assistance d’un avocat, on parvient ici à un résultat similaire par une autre voie, consistant à fixer la valeur en litige à 1 000 euros lorsque le contrevenant au droit de propriété intellectuelle est un particulier.

70.      Dans l’affaire United Video Properties, j’ai considéré que l’article 14 de la directive 2004/48 instaure un principe susceptible de connaître des exceptions, « en faisant appel aux critères de caractère raisonnable et de proportionnalité qui confèrent aux États membres une marge de liberté importante pour la configuration de leurs lois. Le législateur national peut, selon moi, apprécier de lui-même, compte tenu de la culture juridique et de la situation du conseil juridique en Belgique, entre autres facteurs, le seuil à partir duquel les honoraires d’avocat remboursables auprès de la partie succombant ne sont plus raisonnables » (30).

71.      Dans l’arrêt United Video Properties, la Cour a jugé que le système de tarifs maximaux pour la fixation des honoraires d’avocat pouvant être répercutés sur la partie ayant succombé ne s’oppose en principe pas à la directive 2004/48 ; elle a toutefois nuancé cette déclaration en affirmant que :

–        l’exigence du caractère raisonnable « ne saurait justifier, aux fins de la mise en œuvre de l’article 14 de la directive 2004/48 dans un État membre, une réglementation imposant des tarifs forfaitaires largement inférieurs aux tarifs moyens effectivement appliqués aux services d’avocat dans cet État membre » (31) ;

–        une réglementation qui prévoit une telle limitation doit assurer, « d’une part, que cette limite reflète la réalité des tarifs pratiqués en matière de services d’un avocat dans le domaine de la propriété intellectuelle et, d’autre part [sous l’angle de la proportionnalité], que, à tout le moins, une partie significative et appropriée des frais raisonnables effectivement encourus par la partie ayant obtenu gain de cause soit supportée par la partie qui succombe » (32).

72.      Sur le fondement de ces prémisses juridiques, il est possible de répondre à la première partie de la seconde question préjudicielle : la personne lésée a, en principe, droit au remboursement de la totalité ou, en tout état de cause, d’une partie significative des frais d’avocat au titre d’une mise en demeure de cessation lorsque cette intervention est jugée nécessaire et que la somme demandée est raisonnable et proportionnée (appréciations qui incombent à la juridiction de renvoi).

73.      Le fait que le contrevenant aux droits de propriété intellectuelle soit une personne physique agissant en dehors de son activité professionnelle ou commerciale ne remet pas en cause cette réponse. Cette circonstance me semble dénuée de pertinence, envisagée au regard de l’article 14 de la directive 2004/48, qui vise la protection des droits de la personne lésée, dont l’exploitation commerciale subit une diminution également dans ces cas.

74.      La victime de l’atteinte au droit de propriété intellectuelle peut subir le préjudice résultant de la violation, que celle-ci ait été commise tant par une personne physique agissant en dehors de son activité professionnelle ou commerciale que par une personne intervenant dans le cadre de l’exercice de celle-ci.

75.      L’intensité de ce préjudice pourra, selon le cas, varier (il est logique de supposer que, dans la seconde hypothèse, le préjudice sera plus important), mais, pour le compenser dans son intégralité (33), il convient de recourir aux dommages‑intérêts visés à l’article 13 de la directive 2004/48 et non aux « frais de justice » mentionnés à l’article 14 de cette directive.

76.      Si la règle applicable, en vertu de l’article 97a, paragraphe 3, de l’UrhG, aux personnes physiques contrevenantes qui agissent en dehors de leur activité professionnelle ou commerciale n’admettait pas d’exceptions, elle serait incompatible avec l’article 14 de la directive 2004/48, interprété dans le sens que je viens d’exposer. Elle aboutirait souvent au remboursement de montants « largement inférieurs » aux honoraires normalement applicables, ce qui irait à l’encontre des critères de l’arrêt United Video Properties (34).

77.      Toutefois, cette règle n’est pas rigide et les juridictions allemandes sont libres de ne pas l’appliquer, en fixant un montant supérieur en tant que valeur de référence (à laquelle appliquer le pourcentage correspondant), si des raisons d’équité le recommandent en fonction des « circonstances particulières du cas d’espèce ».

78.      On pourrait objecter que, même ainsi, la règle nationale n’est pas conforme à l’article 14 de la directive 2004/48 : en vertu de cette disposition, la partie ayant obtenu gain de cause doit se voir rembourser les frais de justice raisonnables, « à moins que l’équité ne le permette pas », alors que, comme l’indique le juge de renvoi, l’article 97a, paragraphe 3, de l’UrhG inverse précisément la règle.

79.      Je ne pense pas que cette objection soit suffisante pour écarter l’application de la règle nationale, si l’interprétation de celle-ci peut être effectuée dans des termes conformes au droit de l’Union, de manière à ce que, en définitive, son résultat coïncide avec celui prescrit par ce droit.

80.      L’appel à l’équité, présent dans les deux dispositions (article 97a, paragraphe 3, de l’UrhG et article 14 de la directive 2004/48), permet au juge national d’augmenter les honoraires pouvant être répercutés dans l’hypothèse où ceux résultant de l’application stricte de la règle nationale ne pourraient être remboursés qu’à hauteur d’un montant largement inférieur à un montant raisonnable et proportionné.

81.      Je partage donc l’avis de la Commission, lorsqu’elle affirme que « l’article 97a de l’UrhG laisse une marge de manœuvre suffisante au juge national pour apprécier, dans chaque cas particulier, si les faits de la cause rendent inéquitable l’application du plafond » (35).

82.      La juridiction de renvoi devra donc procéder à une double vérification, que la Cour ne peut pas faire à sa place :

–        en premier lieu, elle devra vérifier si la limitation de la valeur en litige conduit, dans de tels cas, à ce que les honoraires d’avocat pouvant être répercutés sur le contrevenant soient largement inférieurs au tarif habituel (ou au tarif moyen) pour les mises en demeure extrajudiciaires ;

–        en second lieu, si tel est le cas, elle pourra, pour des raisons d’équité, augmenter le montant de ces honoraires jusqu’à ce qu’ils atteignent un niveau raisonnable et proportionné.

83.      Dans le cadre de ces appréciations, rien n’empêche la juridiction de renvoi de prendre en considération l’incidence, entre autres, des facteurs qu’elle indique elle-même dans la seconde partie de la seconde question préjudicielle : « l’actualité de l’œuvre, la durée de publication » ou le fait que l’atteinte a consisté à mettre à la disposition du public une œuvre protégée au moyen d’un « téléchargement gratuit proposé à tous les participants à un marché d’échange librement accessible sans gestion des droits numériques ».

V.      Conclusion

84.      Eu égard à ce qui précède, je suggère à la Cour de répondre au Landgericht Saarbrücken (tribunal régional de Sarrebruck, Allemagne) en ces termes :

1)      L’article 14 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’il inclut les frais (honoraires) d’avocat dus par un titulaire de droits de propriété intellectuelle pour avoir fait valoir un droit en cessation à l’égard du contrevenant au moyen d’une mise en demeure extrajudiciaire, en tant que préalable à l’introduction d’une action en justice ayant le même objet.

2)      L’article 14 de la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas incompatible avec une règle nationale qui, aux fins du calcul des honoraires récupérables à la charge du contrevenant dus pour l’intervention d’un avocat dans le cadre d’une mise en demeure extrajudiciaire de cessation, limite la valeur en litige à 1 000 euros lorsque la violation des droits a été commise par une personne physique agissant en dehors de son activité professionnelle ou commerciale, pour autant que la règle nationale autorise le juge à ne pas respecter ce plafond, pour des raisons d’équité, dans des cas individuels.

3)      Afin de déterminer si les honoraires d’avocat récupérables à la charge du contrevenant sont raisonnables et proportionnés, le juge doit prendre en considération tous les facteurs en cause. Parmi ceux-ci, on peut citer l’actualité de l’œuvre protégée, la durée de publication ou le fait que l’infraction a consisté à mettre à la disposition du public cette œuvre protégée, en vue de son téléchargement gratuit sur un marché d’échange librement accessible sans gestion des droits numériques.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO 2009, L 111, p. 16).


5      Loi sur le droit d’auteur et les droits voisins, du 9 septembre 1965 (BGBl. 1965 I, p. 1273).


6      Voir, à cet égard, point 56 des présentes conclusions.


7      Aucune des parties ne conteste que le jeu contient des éléments susceptibles d’être protégés au moyen des droits de propriété intellectuelle. La juridiction de renvoi affirme que les jeux d’ordinateur tels que celui en cause en l’espèce sont protégés par la réglementation allemande en matière de droit d’auteur, de sorte qu’ils bénéficient de la protection de la directive 2004/48, en vertu de l’article 2 de celle-ci.


8      Le montant en résultant (964,60 euros) était majoré de 20 euros à titre de débours.


9      Le montant de 124 euros a été obtenu en appliquant un pourcentage à une valeur en litige estimée à 1 000 euros, plus les débours (20 euros).


10      Voir points 29 et suiv. des présentes conclusions.


11      Arrêt du 28 juillet 2016 (C‑57/15, ci-après l’« arrêt United Video Properties », EU:C:2016:611).


12      Gesetz über die Vergütung der Rechtsanwältinnen und Rechtsanwälte (Rechtsanwaltsvergütungsgesetz, ci-après le « RVG »).


13      Ainsi, par exemple, dans un litige dont la valeur serait fixée à 10 000 euros, le titulaire des droits devrait payer à son avocat des honoraires de 745 euros, mais ne récupérerait du contrevenant que 124 euros.


14      Article 1er de la directive 2004/48.


15      Arrêt du 17 juin 2021 (C 597/19, EU:C:2021:492, point 80).


16      Arrêt du 17 juin 2021 (C‑597/19, EU:C:2021:492, points 82 et 84). Dans cette affaire, « un requérant demand[ait] à un fournisseur d’accès à Internet [...] les informations permettant l’identification de ses clients en vue, précisément, de pouvoir utilement introduire une action en justice contre les contrevenants présumés ». Étant donné que cette demande – et la procédure autonome en découlant – était pendante devant les autorités judiciaires compétentes, on ne saurait procéder purement et simplement à une application par analogie, dans toute son étendue, aux mises en demeure extrajudiciaires.


17      C‑57/15, EU:C:2016:201, point 58.


18      Arrêt United Video Properties, point 36.


19      Arrêt United Video Properties, point 36 in fine.


20      Arrêt du 9 juin 2016, Hansson (C‑481/14, EU:C:2016:419, point 62). Conformément au point 3 du dispositif de cet arrêt, l’article 94, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO 1994, L 227, p. 1) permet de ne pas prendre en considération les frais extrajudiciaires engagés dans le cadre de la procédure au fond. « L’absence de prise en compte de ces frais est, toutefois, subordonnée à la condition que le montant des dépens judiciaires susceptibles d’être alloués à la victime de la contrefaçon ne soit pas de nature à la dissuader de faire valoir ses droits en justice, eu égard aux sommes restant à sa charge au titre des frais extrajudiciaires engagés ainsi qu’à leur utilité pour l’action principale en réparation ».


21      C’est à ce type d’actions que se réfère le considérant 26 de la directive 2004/48, lorsqu’il mentionne l’objectif consistant à « permettre un dédommagement fondé sur une base objective tout en tenant compte des frais encourus par le titulaire du droit tels que les frais de recherche et d’identification ».


22      « Avant d’engager une procédure judiciaire, la personne lésée doit adresser au contrevenant une mise en demeure invitant ce dernier à cesser les agissements concernés ».


23      « Avant d’engager une procédure judiciaire, la personne lésée devrait adresser au contrevenant une mise en demeure invitant ce dernier à cesser les agissements concernés ».


24      Ce lien est renforcé par un argument évoqué dans les observations des parties : outre son objectif visant à éviter une procédure judiciaire, la mise en demeure est utile afin d’éviter une éventuelle condamnation aux dépens du titulaire des droits s’il saisit directement le juge. Les parties font valoir que, conformément au droit allemand, si la personne lésée choisissait directement la voie juridictionnelle, elle s’exposerait à un prévisible acquiescement du contrevenant, ce qui pourrait contraindre le titulaire du droit (victime de l’infraction) à supporter non seulement les dépens et les frais propres à la procédure judiciaire, mais également ceux du contrevenant. La partie lésée pourrait, dans ces conditions, être « dissuadée d’engager une procédure judiciaire aux fins de sauvegarder ses droits ».


25      Arrêt du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland (C‑406/09, EU:C:2011:668, point 49).


26      Voir point 34 des conclusions que je présente également ce jour dans l’affaire NovaText (C‑531/20, EU:C:2021:917).


27      Arrêt United Video Properties, point 24 : « l’article 14 de la directive 2004/48 impose aux États membres d’assurer le remboursement des seuls frais de justice “raisonnables”. En outre, l’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose, notamment, que les procédures prévues par les États membres ne doivent pas être inutilement coûteuses ».


28      Arrêt United Video Properties, point 29 : « l’article 14 de la directive 2004/48 prévoit que les frais de justice à supporter par la partie qui succombe doivent être “proportionnés”. Or, la question de savoir si ces frais sont proportionnés ne saurait être appréciée indépendamment des frais que la partie ayant obtenu gain de cause a effectivement encourus au titre de l’assistance d’un avocat, pour autant que ceux-ci sont raisonnables [...] ».


29      En ce qui concerne la nécessité des frais, je renvoie aux conclusions que je présente également ce jour dans l’affaire NovaText (C‑531/20, EU:C:2021:917).


30      Voir point 76 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire United Video Properties (C‑57/15, EU:C:2016:201).


31      Arrêt United Video Properties, point 26. Mise en italique par mes soins.


32      Arrêt United Video Properties, point 30. Mise en italique par mes soins.


33      Voir, à nouveau, arrêt du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland (C‑406/09, EU:C:2011:668, point 49, reproduit au point 58 des présentes conclusions).


34      En l’espèce, Koch Media affirme devoir payer à ses avocats le tarif strictement calculé en fonction de la valeur réelle du litige (20 000 euros), alors qu’elle ne récupérera que la part correspondant à une valeur en litige de 1 000 euros.


35      Point 33 de ses observations écrites.