Language of document : ECLI:EU:T:2005:324

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
15 septembre 2005


Affaire T-132/03


Paola Casini

contre

Commission des Communautés européennes

« Fonctionnaires de la Commission – Promotion – Exercice 2002 – Non‑inscription sur la liste des fonctionnaires promus au grade A 6 – Obligation de motivation – Examen comparatif des mérites – Erreur manifeste d’appréciation – Caractère probant des déclarations postérieures des membres du service du personnel – Recours en annulation – Recours en indemnité »

Objet : Recours ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision de la Commission de ne pas promouvoir la requérante au grade A 6 au titre de l’exercice de promotion 2002 et, d’autre part, une demande de réparation du préjudice matériel et moral subi.

Décision : La décision de la Commission de ne pas promouvoir la requérante au grade A 6 au titre de l’exercice de promotion 2002, en date du 14 août 2002, est annulée. La défenderesse est condamnée à verser à la requérante la somme de 2 000 euros en réparation du dommage moral qu’elle a subi. Le recours est rejeté pour le surplus. La défenderesse est condamnée aux dépens.


Sommaire


1.      Fonctionnaires – Promotion – Réclamation d’un candidat non promu – Décision de rejet – Obligation de motivation – Portée – Insuffisance de motivation – Régularisation au cours de la procédure contentieuse – Conditions – Explications orales non susceptibles, sauf exception, de constituer un début de motivation

(Statut des fonctionnaires, art. 25, alinéa 2, 45 et 90, § 2)

2.      Fonctionnaires – Promotion – Examen comparatif des mérites – Pouvoir d’appréciation de l’administration – Contrôle juridictionnel – Limites

(Statut des fonctionnaires, art. 45)

3.      Fonctionnaires – Promotion – Examen comparatif des mérites – Pouvoir d’appréciation de l’administration – Portée – Prise en considération des rapports de notation – Autres éléments susceptibles d’être pris en considération

(Statut des fonctionnaires, art. 45)

4.      Fonctionnaires – Promotion – Examen comparatif des mérites – Prise en compte de la sévérité des appréciations afin d’éliminer la subjectivité résultant des appréciations des différents notateurs – Admissibilité

(Statut des fonctionnaires, art. 45)

5.      Fonctionnaires – Promotion – Examen comparatif des mérites – Prise en compte d’une proposition de promotion lors de l’exercice précédent – Admissibilité – Limites

(Statut des fonctionnaires, art. 45)

6.      Fonctionnaires – Promotion – Conditions – Ancienneté minimale dans le grade – Date à prendre en considération

(Statut des fonctionnaires, art. 45)

7.      Fonctionnaires – Responsabilité non contractuelle des institutions – Conditions – Préjudice – Préjudice matériel prétendument causé par un refus de promotion – Préjudice non certain en raison de l’absence d’un droit à la promotion

8.      Fonctionnaires – Recours – Compétence de pleine juridiction – Indemnisation du préjudice moral subi par un fonctionnaire ayant dû introduire un recours pour connaître la motivation d’un refus de promotion

(Statut des fonctionnaires, art. 91, § 1)


1.      Si l’autorité investie du pouvoir de nomination n’est tenue de motiver une décision de promotion ni à l’égard de son destinataire ni à l’égard des candidats non promus, elle a, en revanche, l’obligation de motiver sa décision portant rejet d’une réclamation introduite en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut par un candidat non promu, la motivation de cette décision de rejet étant censée coïncider avec la motivation de la décision contre laquelle la réclamation était dirigée. Ainsi, la motivation doit intervenir, au plus tard, lors du rejet de la réclamation.

Une absence totale de motivation avant l’introduction d’un recours ne peut être couverte par des explications fournies par l’autorité investie du pouvoir de nomination après l’introduction du recours. À ce stade, de telles explications ne rempliraient plus leur fonction. L’introduction d’un recours met donc un terme à la possibilité, pour l’autorité investie du pouvoir de nomination, de régulariser sa décision par une réponse portant rejet de la réclamation.

En revanche, une insuffisance initiale de la motivation peut être palliée par des précisions complémentaires apportées même en cours d’instance lorsque, avant l’introduction de son recours, l’intéressé disposait déjà d’éléments constituant un début de motivation. En outre, une décision est suffisamment motivée dès lors que l’acte qui fait l’objet du recours est intervenu dans un contexte connu du fonctionnaire concerné et lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard.

À cet égard, et compte tenu de l’importance de l’obligation de motivation, qui constitue un principe général du droit communautaire et une exigence de forme substantielle dans toute procédure administrative dont le résultat est susceptible de faire grief à l’intéressé, des explications orales fournies au cours d’une réunion portant sur l’examen d’une réclamation ne sauraient que très exceptionnellement se voir conférer la qualité d’un début de motivation suffisante. Cela est d’autant plus vrai lorsque le contenu de ces explications est contesté par l’intéressé et n’est pas appuyé par une preuve écrite, notamment un procès‑verbal.

(voir points 32, 33, 36 et 38)

Référence à : Cour 30 octobre 1974, Grassi/Conseil, 188/73, Rec. p. 1099, point 13 ; Cour 29 octobre 1981, Arning/Commission, 125/80, Rec. p. 2539, points 12 à 14 ; Cour 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22 ; Cour 16 décembre 1987, Delauche/Commission, 111/86, Rec. p. 5345, point 13 ; Cour 7 février 1990, Culin/Commission, C‑343/87, Rec. p. I‑225, point 13 ; Cour 7 mars 1990, Hecq/Commission, C‑116/88 et C‑149/88, Rec. p. I‑599, point 26 ; Cour 9 décembre 1993, Parlement/Volger, C‑115/92 P, Rec. p. I‑6549, point 23 ; Cour 23 septembre 2004, Hectors/Parlement, C‑150/03 P, non encore publié au Recueil, point 50 ; Tribunal 12 février 1992, Volger/Parlement, T‑52/90, Rec. p. II‑121, points 36 et 40 ; Tribunal 17 mai 1995, Benecos/Commission, T‑16/94, RecFP p. I‑A‑103 et II‑335, point 36 ; Tribunal 14 juillet 1997, B/Parlement, T‑123/95, RecFP p. I‑A‑245 et II‑697, point 51 ; Tribunal 27 avril 1999, Thinus/Commission, T‑283/97, RecFP p. I‑A‑69 et II‑353, points 78 à 83 ; Tribunal 6 juillet 1999, Séché/Commission, T‑112/96 et T‑115/96, RecFP p. I‑A‑115 et II‑623, point 76 ; Tribunal 9 mars 2000, Vicente Nuñez/Commission, T‑10/99, RecFP p. I‑A‑47 et II‑203, points 44 et 45 ; Tribunal 20 juillet 2001, Brumter/Commission, T‑351/99, RecFP p. I‑A‑165 et II‑757, point 33 ; Tribunal 20 février 2002, Roman Parra/Commission, T‑117/01, RecFP p. I‑A‑27 et II‑121, points 25, 30 et 32 ; Tribunal 12 décembre 2002, Morello/Commission, T‑338/00 et T‑376/00, RecFP p. I‑A‑301 et II‑1457, point 48 ; Tribunal 18 septembre 2003, Callebaut/Commission, T‑241/02, RecFP p. I‑A‑215 et II‑1061, point 42 ; Tribunal 6 juillet 2004, Huygens/Commission, T‑281/01, non encore publié au Recueil, points 106 et 108 ; Tribunal 3 février 2005, Heurtaux/Commission, T‑172/03, non encore publié au Recueil, points 42, 44 et 46 à 49


2.      L’autorité investie du pouvoir de nomination dispose, aux fins de l’examen comparatif des mérites des fonctionnaires candidats à une promotion, d’un large pouvoir d’appréciation et le contrôle du juge communautaire doit se limiter à la question de savoir si, eu égard aux voies et moyens qui ont pu conduire l’administration à son appréciation, celle‑ci s’est tenue dans des limites non critiquables et n’a pas usé de son pouvoir de manière manifestement erronée. Le juge ne saurait donc substituer son appréciation des qualifications et mérites des candidats à celle de l’autorité investie du pouvoir de nomination.

(voir point 52)

Référence à : Cour 21 avril 1983, Ragusa/Commission, 82/81, Rec. p. 1245, points 9 et 13 ; Tribunal 19 mars 2003, Tsarnavas/Commission, T‑188/01 à T‑190/01, RecFP p. I‑A‑95 et II‑495, point 97 ; Tribunal 10 juin 2004, Liakoura/Conseil, T‑330/03, non encore publié au Recueil, point 45 ; Tribunal 28 septembre 2004, Tenreiro/Commission, T‑216/03, non encore publié au Recueil, point 50


3.      Le pouvoir discrétionnaire reconnu à l’administration pour évaluer les mérites à prendre en considération dans le cadre d’une décision de promotion au titre de l’article 45 du statut est limité par la nécessité de procéder à l’examen comparatif des candidatures avec soin et impartialité, dans l’intérêt du service et conformément au principe d’égalité de traitement. En pratique, cet examen doit être conduit sur une base égalitaire et à partir de sources d’informations et de renseignements comparables, étant précisé que les rapports de notation constituent un élément indispensable d’appréciation chaque fois que la carrière d’un fonctionnaire est prise en considération en vue de l’adoption d’une décision concernant sa promotion. À cette fin, l’autorité investie du pouvoir de nomination dispose du pouvoir statutaire de procéder à un tel examen selon la procédure ou la méthode qu’elle estime la plus appropriée. En effet, pour procéder à l’examen des mérites prévu à l’article 45 du statut, l’autorité investie du pouvoir de nomination n’est pas tenue de se référer uniquement aux rapports de notation des candidats, mais elle peut également fonder son appréciation sur d’autres aspects de leurs mérites, tels que d’autres informations concernant leur situation administrative et personnelle, de nature à relativiser l’appréciation portée uniquement au vu des rapports de notation.

Par ailleurs, est également licite la méthode d’appréciation qui consiste en la comparaison de la moyenne des appréciations analytiques des fonctionnaires promouvables à la moyenne des appréciations analytiques de leurs directions générales respectives, dans la mesure où elle tend à éliminer la subjectivité résultant des appréciations portées par des notateurs différents.

Le mérite constituant le critère déterminant de toute promotion, l’âge et l’ancienneté ne peuvent être pris en considération qu’à titre subsidiaire, sauf en cas d’égalité de mérites, où ils peuvent constituer un élément décisif.

(voir points 53 à 55 et 57)

Référence à : Cour 1er juillet 1976, de Wind/Commission, 62/75, Rec. p. 1167, point 17 ; Cour 17 décembre 1992, Moritz/Commission, C‑68/91 P, Rec. p. I‑6849, point 16 ; Tribunal 25 novembre 1993, X/Commission, T‑89/91, T‑21/92 et T‑89/92, Rec. p. II‑1235, points 49 et 50 ; Tribunal 30 novembre 1993, Tsirimokos/Parlement, T‑76/92, Rec. p. II‑1281, point 21 ; Tribunal 13 juillet 1995, Rasmussen/Commission, T‑557/93, RecFP p. I‑A‑195 et II‑603, points 20 et 30 ; Tribunal 29 février 1996, Lopes/Cour de justice, T‑280/94, RecFP p. I‑A‑77 et II‑239, point 138 ; Tribunal 12 décembre 1996, X/Commission, T‑130/95, RecFP p. I‑A‑603 et II‑1609, point 45 ; Tribunal 21 octobre 1997, Patronis/Conseil, T‑168/96, RecFP p. I‑A‑299 et II‑833, point 35 ; Tribunal 5 mars 1998, Manzo-Tafaro/Commission, T‑221/96, RecFP p. I‑A‑115 et II‑307, points 17 et 18 ; Tribunal 21 septembre 1999, Oliveira/Parlement, T‑157/98, RecFP p. I‑A‑163 et II‑851, point 35 ; Tribunal 24 février 2000, Jacobs/Commission, T‑82/98, RecFP p. I‑A‑39 et II‑169, points 36 à 39 ; Tribunal 3 octobre 2000, Cubero Vermurie/Commission, T‑187/98, RecFP p. I‑A‑195 et II‑885, points 59 et 85 ; Tribunal 11 juillet 2002, Perez Escanilla/Commission, T‑163/01, RecFP p. I‑A‑131 et II‑717, points 29 et 36 ; Tsarnavas/Commission, précité, point 97 ; Tribunal 9 avril 2003, Tejada Fernández/Commission, T‑134/02, RecFP p. I‑A‑125 et II‑609, point 42 ; Callebaut/Commission, précité, points 22 et 23


4.      Dans le cadre de l’examen comparatif des mérites des fonctionnaires promouvables, l’autorité investie du pouvoir de nomination est, en principe, en droit de tenir compte de la sévérité des appréciations portées dans les rapports de notation, afin d’éliminer la subjectivité résultant des appréciations portées par les différents notateurs. En effet, cette sévérité peut être constatée objectivement à partir d’un examen comparatif des rapports de notation, ledit examen pouvant, le cas échéant, conduire à la conclusion que les mérites d’un fonctionnaire disposant d’une notation inférieure par rapport à celle d’un fonctionnaire non promu sont supérieurs ou égaux aux mérites de ce dernier.

(voir point 62)

Référence à : Callebaut/Commission, précité, points 30 et 34


5.      Lors de l’octroi des promotion, l’autorité investie du pouvoir de nomination est, en principe, en droit de prendre en considération, dans le cadre de l’appréciation comparative des mérites, la circonstance qu’un fonctionnaire a déjà fait l’objet d’une proposition de promotion à l’occasion d’un exercice antérieur, à condition qu’il n’ait pas démérité et que ses mérites soient appréciés par rapport à ceux des autres candidats à la promotion.

À cet égard, le fait d’avoir, lors de l’exercice antérieur, été proposé pour une promotion ou même d’avoir figuré sur la liste des fonctionnaires les plus méritants est intrinsèquement lié aux mérites du candidat concerné, à condition que celui‑ci n’ait pas démérité entre‑temps, et constitue un élément pertinent affectant sa situation administrative et personnelle. L’autorité investie du pouvoir de nomination peut donc légitimement, à titre complémentaire, prendre en compte ce critère afin de restituer dans son contexte évolutif l’appréciation découlant uniquement des rapports de notation les plus récents.

En revanche, la simple référence au fait que certains candidats à la promotion auraient été proposés pour une promotion ou auraient même figuré sur la liste des fonctionnaires les plus méritants lors de l’exercice précédent, ainsi que la simple constatation qu’ils n’auraient pas démérité ne sauraient suffire pour conclure à l’équivalence de leurs mérites, au cas où ces candidats disposent de notations inférieures à celle d’un candidat non retenu pour une promotion. La notion de démérite implique nécessairement que l’autorité investie du pouvoir de nomination effectue une comparaison des mérites dans le temps, et notamment une comparaison évolutive des rapports de notation du candidat concerné quant à l’exercice précédent et à l’exercice en cause.

(voir points 68 à 70)

Référence à : Cour 9 novembre 2000, Commission/Hamptaux, C‑207/99 P, Rec. p. I‑9485, point 19 ; Patronis/Conseil, précité ; Manza-Tafaro, précité ; X/Commission, précité ; Jacobs/Commission, précité ; Cubero Vermurie/Commission, précité ; Perez Escanilla/Commission, précité


6.      C’est la date de la décision de promotion, et non pas la date à laquelle s’ouvre la procédure de promotion, qui est pertinente pour apprécier si le fonctionnaire justifie du minimum d’ancienneté requis pour être éligible à une promotion.

(voir point 84)

Référence à : Cour 7 octobre 1987, Brüggemann/CES, 248/86, Rec. p. 3963, point 8


7.      L’autorité investie du pouvoir de nomination dispose d’un large pouvoir discrétionnaire quant au choix des fonctionnaires à promouvoir. Il en découle que, même au cas où il est établi que l’autorité investie du pouvoir de nomination a commis des illégalités durant la procédure de promotion au détriment d’un fonctionnaire, ces éléments, à eux seuls, ne sauraient suffire, sous peine de nier le large pouvoir d’appréciation de l’autorité investie du pouvoir de nomination en matière de promotion, pour conclure que, en l’absence de telles illégalités, l’intéressé aurait été effectivement promu et que, dès lors, le préjudice matériel allégué serait certain et actuel. En effet, le statut ne confère aucun droit à une promotion, même aux fonctionnaires qui réunissent toutes les conditions pour pouvoir être promus. Il en résulte que les possibilités d’avancement de l’intéressé ne sauraient être déterminées avec suffisamment de précision par le Tribunal, sans que celui‑ci substitue son appréciation à celle de l’autorité investie du pouvoir de nomination, pour lui permettre de constater que l’intéressé a subi un préjudice pécuniaire de ce chef.

(voir point 97)

Référence à : Cour 27 octobre 1977, Giry/Commission, 126/75, 34/76 et 92/76, Rec. p. 1937, points 27 et 28 ; Tribunal 22 février 2000, Rose/Commission, T‑22/99, RecFP p. I‑A‑27 et II‑115, point 37 ; Tribunal 6 octobre 2004, Vicente-Nuñez/Commission, T‑294/92, non encore publié au Recueil, point 68


8.      Eu égard à sa compétence de pleine juridiction dans les litiges de caractère pécuniaire, le Tribunal peut, même en l’absence de conclusions régulières à cet effet ou dans le cas de conclusions peu circonstanciées, condamner l’institution défenderesse au paiement d’une indemnité pour le dommage moral causé par sa faute de service. Dans le cadre de ce pouvoir, et indépendamment de l’annulation de la décision attaquée par l’intéressé, une indemnité évaluée ex aequo et bono peut être accordée à un fonctionnaire qui s’est vu contraint d’introduire une procédure judiciaire pour connaître la motivation d’un refus de promotion et qui a ainsi été mis, pendant plusieurs mois, dans une situation d’incertitude.

(voir points 101 et 102)

Référence à : Cour 5 juin 1980, Oberthür/Commission, 24/79, Rec. p. 1743, point 14 ; Tribunal 12 mai 1998, Wenk/Commission, T‑159/96, ReFP p. I‑A‑193 et II‑593, point 122 ; Tribunal 12 décembre 2002, Morello/Commission, T‑181/00, RecFP p. I‑A‑293 et II‑1421, point 132 ; Morello/Commission, précité, point 153