Language of document : ECLI:EU:T:2014:642

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

4 juillet 2014 (*)

« Recours en annulation et en indemnité – Privilèges et immunités – Membre du Parlement européen – Décision de lever l’immunité – Réexamen – Décision de ne pas défendre l’immunité – Irrecevabilité – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑84/12,

Viktor Uspaskich, demeurant à Kėdainiai (Lituanie), représenté par Me A. Raišutis, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par M. N. Lorenz, Mmes M. Windisch et L. Mašalaitė-Chouteau, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

République de Lituanie, représentée par M. D. Kriaučiūnas et Mme V. Balčiūnaitė, en qualité d’agents,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision du Parlement du 1er décembre 2011 de ne pas défendre l’immunité parlementaire du requérant et de rejeter sa demande de réexamen de la décision de levée d’immunité et, d’autre part, une demande de dommages-intérêts,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen (rapporteur), président, Mme I. Pelikánová et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Viktor Uspaskich, est un ressortissant lituanien, à l’encontre duquel des poursuites pénales ont été lancées en Lituanie en 2009. Il est accusé d’infractions pénales en vertu de l’article 24, paragraphe 4, du code pénal lituanien, lu respectivement en combinaison avec l’article 205, paragraphe 1, l’article 220, paragraphe 1, et l’article 222, paragraphe 1, du même code. Ces accusations visent de prétendus délits de falsification de comptabilité en lien avec le financement d’un parti politique, le parti du travail lituanien.

2        Lesdites accusations concernent une période comprise entre le 13 juillet 2004 et le 17 mai 2006.

3        Le requérant ayant été élu en juin 2009 membre du Parlement européen, il a bénéficié depuis cette date des dispositions du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 266, ci-après le « protocole »).

4        Le procureur général de Lituanie a, le 14 juillet 2009, adressé au Parlement une demande de levée de l’immunité du requérant.

5        Le 7 septembre 2010, le Parlement a décidé de lever l’immunité du requérant (ci-après la « décision du 7 septembre 2010 ») pour les motifs suivants :

« […]

C.      considérant que les charges portées à l’encontre de M. Uspaskich ne se rapportent ni à des opinions ni à des votes exprimés dans l’exercice de ses fonctions de député au Parlement européen,

D.      considérant que, conformément à l’article 62 de la Constitution de la République de Lituanie, un membre du parlement national (le Seimas) ne peut, sans le consentement du Seimas, ni être poursuivi en justice pour crime, ni être arrêté, ni voir sa liberté restreinte de toute autre manière,

E.      considérant que l’article 62 poursuit en disposant qu’un membre du Seimas ne peut être poursuivi pour des votes ou des discours au Seimas, mais qu’il peut toutefois être poursuivi en justice, selon le droit commun, pour injure à personne ou diffamation,

F.      considérant que M. Uspaskich est principalement accusé de délits de falsification de comptabilité en lien avec le financement d’un parti politique pendant une période antérieure à son élection au Parlement européen,

G.      considérant qu’aucune preuve convaincante n’a été avancée quant à l’existence d’un fumus persecutionis et que les infractions dont M. Uspaskich est accusé n’ont rien à voir avec ses activités de député au Parlement européen […] ».

6        Le 28 octobre 2010, le requérant a introduit un recours devant le Tribunal en vue de l’annulation de la décision du 7 septembre 2010. Ce recours a été enregistré sous le numéro d’affaire T‑507/10. Le requérant s’étant désisté dudit recours le 29 juin 2011, l’affaire T‑507/10 a été rayée du registre par ordonnance du président de la huitième chambre du Tribunal du 3 août 2011.

7        Le 5 avril 2011, le requérant a introduit une demande de défense de son immunité et de ses privilèges en invoquant l’article 7 du protocole (ci-après la « demande de défense d’immunité du 5 avril 2011 »).

8        Il a, à cet égard, accusé la République de Lituanie d’avoir mené une attaque contre lui et le parti du travail lituanien. Il a prétendu que cette attaque avait entraîné la violation d’« un aspect de [s]on immunité de membre du Parlement européen », à savoir « le privilège de la liberté de mouvement, qui est garanti par l’article 7 du protocole sur les privilèges et immunités ».

9        Le 11 avril 2011, le requérant a introduit une demande de réexamen de la décision du 7 septembre 2010 (ci-après la « demande de réexamen du 11 avril 2011 »). Il a joint à cette demande quatre annexes, à savoir une note de l’ambassade des États-Unis d’Amérique d’octobre 2006, dévoilée par WikiLeaks en 2011 (ci-après la « note de l’ambassade américaine d’octobre 2006 »), un article de presse du 9 avril 2011 et deux autres documents, à savoir le transcript d’une réunion du comité n° 15 de sécurité et de défense nationale du Parlement lituanien, publié le 20 mars 2007, et un extrait de propos publics de l’ancien président de la République de Lituanie et du premier ministre lituanien en exercice, publié le 22 mars 2007.

10      Le requérant a soutenu, à cet égard, que la note de l’ambassade américaine d’octobre 2006 prouvait qu’il était victime de persécution politique et que le Parlement, lorsqu’il a levé son immunité parlementaire, a commis une erreur en n’appliquant pas le principe du fumus persecutionis.

11      Saisie des deux demandes du requérant, la commission des affaires juridiques du Parlement, avec comme rapporteur M. R., a rendu deux rapports (A7-0411/2011 et A7-0413/2011). Le Parlement a décidé de traiter conjointement la demande de défense d’immunité du 5 avril 2011 et la demande de réexamen du 11 avril 2011 au motif qu’elles se rapportaient à la même procédure judiciaire.

12      Après la décision du 7 septembre 2010, le requérant a transmis plusieurs fois des documents aux membres du Parlement, ainsi qu’au rapporteur M. R. Le requérant a été auditionné par la commission des affaires juridiques du Parlement le 10 octobre 2011.

13      Par la décision du 1er décembre 2011, sur les demandes de défense de l’immunité et des privilèges et de réexamen de Viktor Uspaskich [2011/2162(IMM) et 2011/2099(IMM)] (ci-après la « décision attaquée »), le Parlement a décidé de ne pas défendre l’immunité parlementaire du requérant et a rejeté la demande de réexamen du 11 avril 2011 pour les motifs suivants :

« […]

I.      considérant que, dans sa lettre du 5 avril 2011 demandant la défense de son immunité, Viktor Uspaskich fait valoir que la procédure judiciaire engagée à son encontre par les autorités lituaniennes ne lui permet pas d’exercer les fonctions de son mandat, ou rend cette tâche difficile, car elle restreint sa liberté de déplacement en violation de l’article 7 du protocole ;

J.      considérant que l’article 7 du protocole a pour fonction de protéger les députés contre les restrictions, autres que judiciaires, à leur liberté de déplacement, et contient par conséquent non une immunité, mais un privilège, et ne protège pas contre les restrictions judiciaires à la liberté de déplacement des députés […] ;

K.       considérant que, par conséquent, il est impossible que le Parlement accède à la demande de Viktor Uspaskich du 5 avril 2011 de défendre son immunité sur la base de l’article 7 du protocole ;

L.      considérant que, dans sa lettre du 11 avril 2011, Viktor Uspaskich demande la révision de la décision du Parlement du 7 septembre 2010 sur la base de faits nouveaux allégués dévoilés par WikiLeaks, qui, selon lui, indiquent qu’il était victime de fumus persecutionis ;

M.      considérant que cette allégation doit être rejetée au motif qu’il n’a pas été établi de lien suffisant entre les faits nouveaux allégués et la procédure judiciaire engagée contre Viktor Uspaskich pour comptabilité irrégulière ;

N.      considérant en outre – et cela vaut également pour l’allégation de Viktor Uspaskich selon laquelle son droit fondamental à la défense et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ont été violés par l’adoption de la décision du 7 septembre 2010 – la demande de révision de la décision du Parlement du 7 septembre 2010 ne constitue pas une demande de défense de son immunité et de ses privilèges au sens des articles 6 et 7 du règlement […] »

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 janvier 2012, le requérant a introduit le présent recours.

15      Aux termes de cette requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        faire droit à la demande de réexamen du 11 avril 2011 ;

–        protéger son immunité ;

–        lui allouer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

16      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 10 mai 2012, le Parlement a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal.

17      Aux termes de cet acte, le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation comme manifestement irrecevable ;

–        rejeter la demande d’indemnité comme manifestement irrecevable ;

–        condamner le requérant aux dépens.

18      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 juillet 2012, le requérant a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, aux termes desquelles il demande au Tribunal de reconnaître la recevabilité du recours.

19      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 14 juin 2012, la République de Lituanie a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Parlement.

20      Par ordonnance du 31 juillet 2012, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis la demande d’intervention de la République de Lituanie. Le gouvernement lituanien a déposé un mémoire en intervention limité à la recevabilité le 29 août 2012 et le Parlement a déposé ses observations sur ce mémoire le 5 novembre 2012. Le requérant n’a pas déposé dans les délais ses observations sur le mémoire de la République de Lituanie.

21      La République de Lituanie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme manifestement irrecevable.

22      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 décembre 2012, le Parlement a communiqué un document faisant état de la fin du mandat du requérant à la suite de sa démission avec effet au 16 novembre 2012.

23      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 janvier 2013, le requérant a, en réponse à une question du Tribunal sur la production dudit document, indiqué considérer que l’objet de la présente affaire était de préciser si le retrait de son immunité pour la période du 7 septembre 2010 au 16 novembre 2012 était légal et que la production du document par le Parlement n’avait pas d’effet sur l’instruction de la présente affaire.

24      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 septembre 2013, le requérant a répondu à des questions posées par le Tribunal relatives, d’une part, aux annexes A14 et A18 à la requête et, d’autre part, à l’arrêt du Tribunal du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement (T‑346/11 et T‑347/11, non encore publié au Recueil). Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 septembre 2013, suivi d’un corrigendum déposé le 19 septembre 2013, le Parlement a répondu à des questions posées par le Tribunal également relatives auxdites annexes et audit arrêt et a communiqué une pièce demandée par le Tribunal. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 septembre 2013, la République de Lituanie a répondu à une question posée par le Tribunal relative à l’arrêt Gollnisch/Parlement, précité.

25      La composition des chambres ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

26      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 janvier 2014, le requérant a répondu à des questions posées par le Tribunal relatives aux observations du Parlement et de la République de Lituanie déposées respectivement les 19 et 20 septembre 2013.

 En droit

 Sur l’intérêt à agir du requérant

27      Il importe de rappeler que, selon la jurisprudence, l’objet du litige, tel qu’il a été déterminé par le recours introductif d’instance, doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêts de la Cour du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, Rec. p. I‑4333, point 42, et du Tribunal du 24 septembre 2008, Reliance Industries/Conseil et Commission, T‑45/06, Rec. p. II‑2399, point 35).

28      La persistance de l’intérêt à agir d’un requérant doit être appréciée in concreto, en tenant compte, notamment, des conséquences de l’illégalité alléguée et de la nature du préjudice prétendument subi (arrêt de la Cour du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, non encore publié au Recueil, point 65).

29      En l’espèce, bien que le mandat du requérant ait pris fin le 16 novembre 2012, ledit requérant garde un intérêt à la solution du litige, dans la présente affaire, ainsi qu’il le souligne à juste titre dans sa réponse du 18 janvier 2013. En effet, la réponse apportée à la question de savoir si la décision attaquée est légale est susceptible d’avoir des conséquences sur l’immunité du requérant pour la période du 7 septembre 2010 au 16 novembre 2012 et donc sur le déroulement de la procédure pénale engagée à son encontre en Lituanie. Le recours est également susceptible, par son résultat, d’avoir des conséquences sur la demande d’indemnité formée par le requérant. Au demeurant, le Parlement n’a pas fait valoir que le recours serait devenu, pour ce motif, irrecevable ou aurait perdu son objet.

 Sur l’exception d’irrecevabilité

30      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 4 du même article, le Tribunal statue sur l’irrecevabilité ou la joint au fond. Par ailleurs, aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsqu’un recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

31      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et considère qu’il y a lieu, en conséquence, de statuer sans poursuivre la procédure.

32      À titre de fins de non-recevoir, le Parlement a soulevé l’exception d’irrecevabilité du recours pour autant qu’il vise, en premier lieu, l’annulation du rejet de la demande de réexamen du 11 avril 2011, en deuxième lieu, l’annulation de la décision de ne pas défendre l’immunité du requérant et, en troisième lieu, la demande d’indemnité. S’agissant de la fin de non-recevoir invoquée par le Parlement en ce que le recours serait aussi irrecevable en ce qu’il viserait l’annulation de la décision du 7 septembre 2010, il suffit de constater, à la lecture de la requête, que le requérant n’a pas formulé une telle demande d’annulation, comme il le confirme au demeurant dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité. Il y a lieu de rejeter une telle fin de non-recevoir.

 Sur l’annulation du rejet de la demande de réexamen du 11 avril 2011

33      Selon le Parlement, il ressort de la jurisprudence que le recours contre le refus de procéder à un réexamen est irrecevable si les faits invoqués au soutien de la demande de réexamen ne sont pas nouveaux et de caractère substantiel. En l’espèce, les informations fournies par le requérant ne seraient pas nouvelles en partie et n’auraient, en tout état de cause, pas le caractère de faits substantiels pouvant fonder la demande de réexamen du 11 avril 2011.

34      Le Parlement soutient que les quatre documents annexés à la demande de réexamen du 11 avril 2011, tels qu’indiqués au point 9 ci-dessus, ne sont pas aptes à modifier l’appréciation du Parlement au motif qu’ils ne sont pas pertinents pour la procédure pénale pour laquelle l’immunité du requérant a été levée, à savoir la procédure pénale visant de prétendues falsifications de comptabilité. Tout d’abord, la note de l’ambassade américaine d’octobre 2006 se limiterait à reproduire l’opinion exprimée par un ancien fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères lituanien sortie de son contexte et sans lien direct avec la procédure pénale qui vise le requérant. Ensuite, ce dernier n’aurait pas indiqué, dans sa demande, ce qu’il fallait déduire de la production de l’article de presse du 9 avril 2011. Enfin, les deux autres documents auraient déjà été communiqués au rapporteur, M. R., en 2010, et ne seraient donc pas des informations nouvelles.

35      Ainsi, le Parlement n’aurait pas procédé à un réexamen de la décision du 7 septembre 2010, mais uniquement analysé la pertinence des documents présentés par le requérant pour demander un tel réexamen. Le rejet de la demande de réexamen du 11 avril 2011 ne serait pas un acte attaquable et le recours devrait à cet égard être rejeté comme irrecevable.

36      La République de Lituanie, dans son mémoire en intervention, considère aussi que le recours est irrecevable. Elle estime à cet égard que la note de l’ambassade américaine d’octobre 2006 et l’article de presse du 9 avril 2011 sont davantage une tentative de présenter de nouvelles preuves liées à des faits qui ont déjà été exposés dans le cadre de la procédure de levée d’immunité précédemment ouverte et qui a donné lieu à la décision du 7 septembre 2010.

37      La République de Lituanie considère par ailleurs que le contenu de la note de l’ambassade américaine d’octobre 2006 n’a pas de lien avec la procédure pénale engagée contre le requérant et que ce document n’a pas force probante, tout comme les autres documents produits.

38      Le requérant conteste les arguments avancés par le Parlement et la République de Lituanie.

39      À cet égard, d’une part, il convient d’observer qu’aucune disposition explicite du règlement intérieur du Parlement ne prévoit une procédure de révision ou de réexamen d’une décision de levée de l’immunité. Une décision de levée de l’immunité est en tant que telle susceptible de recours (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 octobre 2008, Mote/Parlement, T‑345/05, Rec. p. II‑2849, points 28, 29 et 31).

40      D’autre part, il ressort de la jurisprudence que, si l’acte attaqué constitue la réponse à une demande dans laquelle des faits nouveaux et substantiels sont invoqués et par laquelle l’administration est priée de procéder à un réexamen de la décision antérieure devenue définitive, cet acte ne saurait être considéré comme revêtant un caractère purement confirmatif, dans la mesure où il statue sur ces faits et contient, ainsi, un élément nouveau par rapport à la décision antérieure. En effet, l’existence de faits nouveaux et substantiels peut justifier la présentation d’une demande tendant au réexamen d’une décision antérieure devenue définitive. À l’inverse, lorsque la demande de réexamen n’est pas fondée sur des faits nouveaux et substantiels, le recours contre la décision refusant de procéder au réexamen sollicité doit être déclaré irrecevable (arrêt du Tribunal du 7 février 2001, Inpesca/Commission, T‑186/98, Rec. p. II‑557, point 49 ; ordonnances du Tribunal du 29 avril 2004, SGL Carbon/Commission, T‑308/02, Rec. p. II‑1363, point 54, et du 10 octobre 2006, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑106/05, non publiée au Recueil, point 49).

41      Au considérant L de la décision attaquée, le Parlement a rappelé que le requérant avait, dans sa lettre du 11 avril 2011, demandé le réexamen de la décision du 7 septembre 2010 sur la base de faits nouveaux dévoilés par WikiLeaks, qui, selon lui, indiquaient qu’il était victime de fumus persecutionis.

42      Il convient de relever que les faits invoqués par le requérant sont reproduits dans quatre annexes jointes à la demande de réexamen du 11 avril 2011, comme indiqué au point 9 ci-dessus.

43      La première annexe, à savoir la note de l’ambassade américaine d’octobre 2006, mentionne bien le nom du requérant et fait référence à des allégations selon lesquelles ce dernier aurait été en relation avec les services secrets russes.

44      Dans ses observations écrites sur l’exception d’irrecevabilité, le requérant indique que l’existence de cette note a été révélée le 9 avril 2011. Selon lui, il ressort de ladite note que le gouvernement lituanien avait organisé son expulsion et que la vraie justification de la procédure pénale engagée contre lui ne repose pas sur des falsifications de comptabilité, mais sur les prétendus liens qu’il aurait eus avec les services secrets russes.

45      Toutefois ladite note ne se révèle ni pertinente ni importante et ne saurait donc être considérée comme un fait substantiel. En effet, cette note ne fait que retranscrire des allégations de personnes tierces sans autre preuve. Sa lecture donne seulement un écho à des rumeurs sur une prétendue intrigue politique qui aurait eu lieu en 2005, consistant à éloigner le requérant de Lituanie. Elle ne fait pas apparaître le lien qu’il peut y avoir entre, d’une part, les relations du requérant avec les services secrets russes et, d’autre part, la procédure pénale engagée bien après ladite note, en 2009, pour les prétendus délits de falsification de comptabilité et qui est à l’origine de la demande de la levée d’immunité.

46      S’agissant des deuxième, troisième et quatrième annexes jointes à la demande de réexamen du 11 avril 2011, elles ne peuvent pas davantage être considérées comme des faits substantiels et nouveaux. En effet, s’agissant de la deuxième annexe, il importe de relever que le requérant ne conteste pas les arguments du Parlement selon lesquels elle contient un article de presse dont l’apport à la présente affaire n’est pas précisé, empêchant ainsi que l’information y relative puisse être qualifiée de fait substantiel. En outre, le Parlement souligne, sans que cela soit également contesté par le requérant, que les troisième et quatrième annexes visent des informations déjà communiquées en 2010 par le requérant au rapporteur M. R., lors de la contestation de la demande de levée de l’immunité et avant la décision du 7 septembre 2010. Ceci ne permet donc pas de qualifier les informations contenues dans lesdites annexes de faits nouveaux.

47      C’est donc à bon droit que le Parlement a fait valoir que les quatre annexes jointes à la demande de réexamen du 11 avril 2011 ne constituaient pas des faits nouveaux et substantiels. Le recours contre le rejet de la demande de réexamen du 11 avril 2011 devrait donc être déclaré irrecevable à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 40 supra.

48      Toutefois, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, le requérant s’est appuyé sur trois autres documents non mentionnés dans la décision attaquée, à savoir les annexes A 14, A 16 et A 18 à sa requête, correspondant respectivement à une note de l’ambassade des États-Unis d’Amérique de juin 2005 révélée le 30 août 2011 par WikiLeaks et envoyée au Parlement européen par le requérant en octobre 2011 (ci-après l’« annexe A 14 »), à une lettre du ministre de la Justice lituanien du 10 octobre 2011 adressée aux membres de la commission des affaires juridiques du Parlement (ci-après l’« annexe A 16 ») et à des extraits d’un livre de l’ancien président lituanien intitulé Journal du Président (ci-après l’« annexe A 18 »). Ces documents, communiqués au Parlement avant l’adoption de la décision attaquée, révèleraient plusieurs faits nouveaux et substantiels. Le requérant indique que le Parlement a ignoré ces faits et n’y a pas réagi, ce qui démontrerait une erreur manifeste d’appréciation.

49      Dans son mémoire en intervention, la République de Lituanie a considéré que les documents en question n’étaient pas suffisants, faute de confirmation par des témoignages, pour fonder le fumus persecutionis allégué par le requérant.

50      Le Parlement soutient, dans ses observations sur le mémoire en intervention de la République de Lituanie, que les annexes A 14 et A 18 étaient sans pertinence pour la présente affaire, dans la mesure où ils feraient l’objet d’une procédure séparée initiée par le requérant.

51      Dans sa réponse du 9 septembre 2013 à la question posée par le Tribunal, le Parlement précise que les annexes A 14 et A 18 n’ont été transmises que le 2 octobre 2011 au rapporteur M. R. et le 30 novembre 2011, donc après le vote en commission des affaires juridiques qui a eu lieu le 25 novembre 2011 et un jour avant le vote en plénière, à certains députés. La transmission de ces annexes n’aurait pas été faite selon les règles prévues aux articles 6 et 7 du règlement de Parlement et aurait été tardive pour être prise en compte dans le cadre de la procédure ayant conduit à la décision attaquée. En outre, la révision d’une décision de levée de l’immunité serait une procédure exceptionnelle, non prévue par le règlement de Parlement, et la manière de procéder à une telle révision devrait être bien identifiée.

52      Dans la même réponse du 9 septembre 2013, le Parlement ajoute que le requérant a demandé, par sa lettre qu’il lui a adressée le 5 septembre 2012, d’examiner ces annexes dans le cadre d’une nouvelle procédure de réexamen de la décision attaquée et de défense de son immunité qu’il entendait initier. Cette demande de nouvelle procédure aurait été transmise à la commission des affaires juridiques et le rapporteur, Mme L., aurait été nommé. Toutefois, en raison du fait que le requérant a été élu le 16 novembre 2012 au Parlement lituanien et qu’il a présenté sa démission du Parlement avec effet à cette date, il aurait été constaté la vacance du siège du requérant à compter de cette date. Par lettre du 29 novembre 2012, le président de la commission des affaires juridiques aurait informé le président du Parlement de ce que la nouvelle demande transmise le 5 septembre 2012 par le requérant n’avait plus lieu d’être traitée.

53      Dans sa réponse du 9 septembre 2013 à la question posée par le Tribunal, le requérant a expliqué que l’annexe A 14 a été communiquée au rapporteur M. R. et au secrétariat de la commission des affaires juridiques du Parlement le 2 octobre 2011 et que l’annexe A 18 l’a été le 16 novembre 2011. Il a précisé avoir transmis ces annexes à tous les députés européens par voie électronique et qu’elles sont donc recevables dans le cadre de la présente affaire.

54      Dans sa réponse du 7 janvier 2014 aux questions posées par le Tribunal, le requérant a ajouté que le rapporteur M. R., les membres et le secrétariat de la commission des affaires juridiques du Parlement ont été prévenus de l’annexe A 16 par lettre du 26 octobre 2011. Il aurait évoqué les annexes A 14 et A 18 lors de la séance de la commission des affaires juridiques du 25 novembre 2011 et il n’aurait pas été informé que ces annexes pouvaient être considérées comme irrecevables dans le cadre de la procédure ayant conduit à la décision attaquée. Le requérant conteste que les annexes A 14 et A 18 aient été communiquées tardivement. Dans l’hypothèse où le Tribunal aurait des doutes sur leur recevabilité, il demande qu’il soit enjoint au Parlement de communiquer divers documents, sur le fondement de l’article 64, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure. Il demande par ailleurs l’audition de M. J. P. A., en qualité de témoin, au titre de l’article 68 du règlement de procédure.

55      À cet égard, il convient d’indiquer qu’il n’est pas besoin de faire droit à la demande de citation formulée par le requérant, la solution du litige ne pouvant en tout état de cause dépendre de ce seul témoignage. Le Tribunal est en mesure de se prononcer utilement sur la base des conclusions, moyens et arguments développés à ce stade de la procédure et au vu des documents produits (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 novembre 2006, Masdar (UK)/Commission, T‑333/03, Rec. p. II‑4377, point 149).

56      En effet et sans qu’il soit besoin de faire également droit à la demande d’instruction présentée par le requérante, il importe de souligner que, à supposer même que les annexes A 14, A 16 et A 18 aient dû être prises en compte dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, comme le soutient le requérant, elles ne peuvent être considérées, en tout état de cause, comme constituant des faits substantiels pour ce qui concerne la décision attaquée, dans la mesure où, à l’instar des autres documents examinés aux points 42 à 47 supra, elles ne correspondent qu’à des dires retranscrits dans une note, dans une lettre ou dans un livre, non confirmés par d’autres preuves. La non prise en compte desdites annexes par le Parlement n’est, en conséquence, pas en mesure d’entraîner, en l’espèce, l’annulation de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2012, Italie/Commission, T‑257/10, non publié au Recueil, points 65 et 66). Le recours est donc à cet égard manifestement irrecevable.

57      Au demeurant, s’agissant de l’annexe A 16, correspondant à la lettre du ministre de la Justice lituanien du 10 octobre 2011, aux termes de laquelle ce dernier propose sa collaboration aux membres du comité des Affaires juridiques du Parlement dans l’affaire visant le requérant, elle ne contient pas de faits nouveaux et elle ne permet pas d’infirmer la conclusion à laquelle le Parlement est arrivé au considérant M de la décision attaquée.

58      Il résulte de tout ce qui précède que le recours est manifestement irrecevable en ce qu’il vise l’annulation du rejet de de la demande de réexamen du 11 avril 2011.

 Sur l’annulation de la décision de ne pas défendre l’immunité du requérant

59      Le Parlement, soutenu par la République de Lituanie, considère que, dans la requête, le requérant n’a soulevé aucun moyen dirigé contre la décision de ne pas défendre son immunité. La requête serait donc irrecevable en ce qu’elle violerait les conditions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure et ne permettrait pas au Parlement de se défendre utilement.

60      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, le requérant répond que, dans la requête, il a soulevé, à titre principal, un moyen qui viserait le refus de réexamen de la levée d’immunité et, à titre subsidiaire, un moyen qui viserait ce refus ainsi que la décision de ne pas défendre son immunité.

61      Aux termes de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit, notamment, indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T‑387/94, Rec. p. II‑961, point 106, et la jurisprudence citée).

62      À la lecture de la requête, il apparaît que le requérant a invoqué plusieurs moyens, sans préciser s’ils étaient soulevés à titre principal ou à titre subsidiaire, contrairement à ce qu’il indique ensuite dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité.

63      Il n’est pas contesté que le premier moyen, exposé aux points 25 à 34 de la requête, porte uniquement sur la demande de réexamen de la levée d’immunité.

64      Par ailleurs, il ne ressort pas de la lecture du deuxième moyen, développé aux points 35 à 40 de la requête et qui se fonde sur un droit à un examen impartial de la demande, s’il vise la décision de ne pas défendre l’immunité du requérant. Il porte davantage sur la demande de réexamen de la levée d’immunité, comme cela ressort de la lecture des points 38 et 39 de la requête.

65      Le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à un traitement équitable, évoque la procédure déclenchée par la saisine par les autorités lituaniennes pour demander la levée de l’immunité du requérant, mais non celle déclenchée par ce dernier pour défendre son immunité. Il en est de même pour les quatrième et cinquième moyens, développés respectivement aux points 80 à 88 et 89 à 178 de la requête.

66      Il résulte de tout ce qui précède que le recours est irrecevable en ce qu’il vise la demande d’annulation de la décision de ne pas défendre l’immunité du requérant.

 Sur la demande d’indemnité

67      Le Parlement, soutenu par la République de Lituanie, soulève l’irrecevabilité de la demande d’indemnité formulée par le requérant au motif que cette demande n’est pas étayée et ne respecterait donc pas les conditions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

68      Aux termes de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit, notamment, indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution doit contenir, pour satisfaire à ces exigences, les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir arrêt du Tribunal du 19 mars 2010, Gollnisch/Parlement, T‑42/06, Rec. p. II‑1135, point 77, et la jurisprudence citée).

69      À cet égard, il suffit de constater que, aux points 180 et 181 de la requête, le requérant soutient qu’il aurait subi un dommage à la réputation qu’il évalue à la somme de 10 000 euros, mais il ne fournit aucun élément permettant d’identifier le caractère et l’étendue de ce préjudice. Il n’établit pas davantage le lien de causalité entre le comportement du Parlement et le préjudice qu’il prétend avoir subi.

70      Il convient donc de rejeter comme irrecevable le recours en ce qu’il vise à demander la condamnation du Parlement à des dommages-intérêts.

71      Les deuxième et troisième chefs de conclusions étant liés au premier qui est irrecevable, il convient, par voie de conséquence, de les rejeter.

72      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être déclaré en partie manifestement irrecevable et en partie irrecevable.

 Sur les dépens

73      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Parlement.

74      En application de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, la République de Lituanie, partie intervenante, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme en partie manifestement irrecevable et en partie irrecevable.

2)      M. Viktor Uspaskich est condamné à supporter ses dépens, ainsi que les dépens exposés par le Parlement européen.

3)      La République de Lituanie supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 4 juillet 2014.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       H. Kanninen


* Langue de procédure : le lituanien.