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Affaire T223/21

SE

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 5 juillet 2023

« Fonction publique – Agents temporaires – Recrutement – Contrat d’engagement – Article 2, sous b), du RAA – Rejet de candidature – Promotion – Reclassement – Nouveau contrat – Expiration du contrat – Article 8, deuxième alinéa, et article 10, paragraphe 3, du RAA – Erreur de droit – Égalité de traitement – Recours en annulation – Recevabilité »

1.      Recours des fonctionnaires – Acte faisant grief – Décision explicite de rejet de la réclamation – Décision prise après réexamen de la situation de l’intéressé et sur la base d’éléments nouveaux – Recevabilité

(Statut des fonctionnaires, art. 90 et 91)

(voir points 23-25)

2.      Fonctionnaires – Agents temporaires – Recrutement – Conclusion d’un contrat en vue d’occuper à titre temporaire un emploi permanent – Renouvellement après expiration – Exclusion – Notion d’expiration – Résiliation – Exclusion – Conclusion d’un nouveau contrat pendant la durée du contrat initial – Admissibilité – Conditions

[Régime applicable aux autres agents, art. 2, b), 8, 2e al., et 47, b), ii)]

(voir points 63-73, 75, 90-93)

3.      Fonctionnaires – Régime applicable aux autres agents – Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs – Durée maximale totale des contrats ou des relations de travail à durée déterminée successifs – Absence de limite quant au nombre de renouvellements – Admissibilité – Condition – Respect de la durée maximale d’engagement

[Art. 288, 2e al., et 336 TFUE ; régime applicable aux autres agents, art. 2, b), et 8, 2e al. ; directive du Conseil 1999/70, annexe, clause 5, point 1]

(voir points 76-89)

4.      Recours des fonctionnaires – Acte faisant grief – Notion – Actes produisant des effets juridiques obligatoires – Note de l’administration exposant des considérations reprises par la suite dans la décision de rejet de la réclamation – Exclusion

(Statut des fonctionnaires, art. 90)

(voir points 103, 104)

5.      Fonctionnaires – Agents temporaires – Reclassement – Droit au reclassement – Absence – Pouvoir d’appréciation de l’administration – Non-organisation d’un exercice de reclassement – Violation du principe de non-discrimination – Absence

[Statut des fonctionnaires, art. 45 ; régime applicable aux autres agents, art. 2, b), 8, 2e al., 10, § 3, 15 et 16]

(voir points 111, 112, 115-117, 151)

6.      Fonctionnaires – Agents temporaires – Recrutement – Conclusion d’un contrat en vue d’occuper à titre temporaire un emploi permanent – Traitement différencié de tels agents par rapport aux conditions de travail d’autres catégories d’agents temporaires – Caractère non comparable des différentes situations – Absence de discrimination – Invocation des règles applicables à d’autres institutions – Absence d’incidence

[Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 20 et 21 ; régime applicable aux autres agents, art. 2, a) à c)]

(voir points 126, 127, 129, 130, 137-140, 142, 150)

7.      Fonctionnaires – Responsabilité non contractuelle des institutions – Conditions – Illégalité – Préjudice – Lien de causalité – Notion – Perte d’une chance découlant du rejet illégal d’une candidature – Critères d’évaluation du préjudice

(Art. 340, 2e al., TFUE)

(voir points 157, 161-172, 176-181)

8.      Fonctionnaires – Responsabilité non contractuelle des institutions – Conditions – Illégalité – Préjudice – Lien de causalité – Notion – Perte d’une chance de devenir fonctionnaire par le biais d’un concours interne à la suite du rejet illégal d’une candidature pour un poste d’agent temporaire – Charge de la preuve

(Art. 340, 2e al., TFUE)

(voir points 182, 183)

Résumé

En mai 2018, le requérant, SE, est entré en fonctions à la Commission européenne en tant qu’agent temporaire du groupe de fonctions assistant (AST) en vue d’occuper, à titre temporaire, un emploi permanent sur le fondement de l’article 2, sous b), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »). Le contrat initial pour une période de trois ans a été prorogé par la suite pour une période de deux ans. Au cours de son contrat initial, le requérant s’est porté candidat à deux emplois permanents du groupe de fonctions administrateur (AD) qui étaient devenus disponibles au sein de son unité (dont le second ci-après le « poste litigieux »).

La Commission a rejeté ses candidatures comme inéligibles au motif que son engagement auxdits postes aurait nécessité la conclusion d’un nouveau contrat d’agent temporaire sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA, ce qui aurait été contraire à l’article 8, deuxième alinéa, du RAA.

Entre temps, le requérant a introduit une demande, en vertu de l’article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), afin d’obtenir une position définitive de l’administration sur les questions de savoir, d’une part, s’il était éligible à une promotion, à un reclassement ou à une affectation à un emploi d’un grade supérieur et, d’autre part, s’il pouvait poser sa candidature et être affecté à d’autres emplois d’agent temporaire au sein de la Commission.

Saisi d’un recours contre la décision de rejet de la candidature du requérant au poste litigieux ainsi que contre la réponse de la Commission rejetant son éligibilité à une promotion ou un reclassement, le Tribunal, statuant en chambre élargie, annule la décision de rejet de candidature et clarifie l’interprétation de l’article 8, deuxième alinéa, du RAA en ce qui concerne la possibilité pour un agent temporaire engagé sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA de bénéficier d’un second contrat en cette même qualité dans les limites fixées par ce même article.

Appréciation du Tribunal

S’agissant, en premier lieu, du rejet de la candidature du requérant au poste litigieux, le Tribunal commence par rappeler que si l’article 2, sous b), du RAA prévoit expressément que des agents temporaires peuvent être engagés en vue d’occuper un emploi permanent, cet article précise que cet engagement ne peut être que temporaire. En outre, aux termes de l’article 8, deuxième alinéa, du RAA l’engagement d’un agent visé à l’article 2, sous b) ou d), ne peut excéder quatre ans, mais peut être limité à toute durée inférieure et son contrat ne peut être renouvelé qu’une fois pour une durée de deux ans au plus, à condition que la possibilité de renouvellement ait été prévue dans le contrat initial, dans les limites fixées dans ce contrat. À l’issue de cette période, il est obligatoirement mis fin aux fonctions de l’agent en qualité d’agent temporaire au sens des présentes dispositions. À l’expiration de son contrat, l’agent ne peut occuper un emploi permanent de l’institution que s’il fait l’objet d’une nomination en qualité de fonctionnaire dans les conditions fixées par le statut.

À cet égard, la notion d’expiration du contrat évoquée à l’article 8, deuxième alinéa, quatrième phrase, du RAA et visant le terme du délai pour lequel le contrat d’un agent temporaire a été conclu n’est pas équivalente à la notion de résiliation du contrat, intervenant avant ce terme. Partant, dans l’hypothèse où l’engagement du requérant au poste litigieux aurait nécessairement entraîné la résiliation de son contrat d’agent temporaire conclu sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA, l’article 8, deuxième alinéa, quatrième phrase, du RAA ne serait pas applicable à la situation du requérant.

En effet, l’objectif principal de l’article 8, deuxième alinéa, du RAA est de limiter le recours aux agents temporaires engagés sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA, lesquels occupent temporairement des emplois permanents ayant vocation à être occupés par des fonctionnaires, et la durée maximale totale de six ans de la relation de travail d’un agent temporaire engagé en cette qualité sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA a pour objet de servir cet objectif.

Par conséquent, l’article 8, deuxième alinéa, du RAA ne s’oppose pas à la possibilité pour un agent temporaire engagé sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA de conclure un nouveau contrat d’agent temporaire sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA, dès lors que la limitation dans le temps de six ans prévue par ladite disposition est respectée.

S’agissant, en deuxième lieu, de l’éligibilité d’un agent temporaire engagé sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA à une promotion ou à un reclassement, le Tribunal entérine la réponse de la Commission donnée au requérant. Il constate, à cet égard, que le RAA ne prévoit pas de possibilité de promotion pour les agents temporaires, mais plutôt, en application de ses articles 15 et 16, une possibilité d’être classés à un grade correspondant aux fonctions qu’ils sont appelés à exercer pendant la durée de leur contrat.

En ce qui concerne la possibilité d’un reclassement, le Tribunal considère que, dans la mesure où le RAA ne prévoit pas d’obligation incombant à l’administration de procéder à un exercice de reclassement des agents temporaires, celle-ci peut décider, dans le cadre de l’autonomie administrative dont elle jouit, de ne pas organiser un exercice de reclassement pour les agents temporaires engagés sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA. Une telle décision n’est nullement contraire au principe de non-discrimination, d’autant qu’elle s’applique également aux mêmes catégories d’agents temporaires au sein de la même institution.

En effet, le législateur a créé différentes catégories d’agents temporaires jouissant de conditions de travail différentes et relevant, par conséquent, de situations non comparables, de sorte qu’il n’est pas possible d’établir entre les agents temporaires appartenant à ces catégories une différence de traitement qui constituerait une discrimination au sens de l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Ainsi, les agents temporaires engagés sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA ne se trouvent pas dans une situation comparable à la situation des agents appartenant aux autres catégories d’agents temporaires. La différence fondamentale entre les différentes catégories d’agents temporaires réside dans le « type d’emploi » occupé par chacune des catégories concernées, et non directement dans la durée du contrat. En effet, les différentes catégories d’agents temporaires visent à répondre à des besoins différents des institutions, organes ou organismes. Dès lors, la durée des contrats que peuvent conclure les différentes catégories d’agents temporaires découle directement des types d’emplois distincts qu’ils peuvent occuper et ainsi de leur nature différente.

En troisième lieu, le Tribunal examine les conditions relatives à l’engagement de la responsabilité de la Commission. Il constate, à cet égard, que l’illégalité commise par la Commission a privé le requérant d’une chance réelle de se voir recruté au poste litigieux, de sorte qu’il existe un lien de causalité entre l’illégalité de la décision de rejet de candidature et la perte de chance alléguée.

Pour déterminer le montant de l’indemnité à verser au titre de la perte d’une telle chance, le critère de la perte de rémunération ne saurait déterminer à lui seul l’étendue de la réparation du dommage causé. Dans un tel cas, le dommage subi ne saurait être assimilé au montant de la rémunération qui aurait été perçue si cette chance s’était réalisée, puisque, eu égard au pouvoir d’appréciation dont jouit l’institution en la matière, l’intéressé ne peut faire valoir aucun droit à être recruté. Dès lors, le dommage dont un tel intéressé est en droit d’obtenir la réparation ne saurait correspondre au manque à gagner résultant de la perte d’un droit. Partant, après avoir évalué, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, le préjudice subi ex æquo et bono, le Tribunal condamne la Commission à verser au requérant la somme forfaitaire de 10 000 euros.

En ce qui concerne le préjudice consistant en la perte de chance de devenir fonctionnaire en participant aux concours internes organisés par la Commission et réservés aux agents temporaires du groupe de fonctions AD, le Tribunal relève que les conditions tenant à la responsabilité de la Commission ne sont pas remplies. En effet, la décision de rejet de candidature n’avait pas pour conséquence d’empêcher le requérant de devenir administrateur au sein de la Commission et ne faisait pas obstacle à ce qu’il présente sa candidature à d’autres postes du groupe de fonctions AD qui étaient vacants à la Commission postérieurement à l’adoption de ladite décision, tout comme elle ne l’empêchait pas d’être recruté, à l’avenir, à un poste de niveau AD, par exemple, sur le fondement de l’article 2, sous a), du RAA.