Language of document : ECLI:EU:T:2009:463

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

24 novembre 2009 (*)

« Recours en carence – Absence de présentation par la Commission dans le délai prescrit d’une évaluation scientifique – Acte non susceptible de recours – Défaut d’affectation individuelle – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑228/08,

Grzegorz Szomborg, demeurant à Jastarnia (Pologne), représenté par MR. Nowosielski, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes K. Banks et A. Szmytkowska, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en carence visant à faire constater que la Commission s’est illégalement abstenue de présenter, dans le délai prescrit, l’évaluation scientifique prévue à l’article 27 du règlement (CE) n° 2187/2005 du Conseil, du 21 décembre 2005, relatif à la conservation, par des mesures techniques, des ressources halieutiques dans les eaux de la mer Baltique, des Belts et de l’Øresund, modifiant le règlement (CE) n° 1434/98 et abrogeant le règlement (CE) n° 88/98 (JO L 349, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (sixième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij (rapporteur), président, V. Vadapalas et L. Truchot, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits et procédure

1        Le requérant, M. Grzegorz Szomborg, est un pêcheur polonais titulaire d’une licence et d’un permis spécial de pêche avec des filets maillants ainsi que d’une licence de pêche avec filets dérivants, valables jusqu’au 31 décembre 2007.

2        Par un courrier du 25 février 2008, le requérant a invité la Commission des Communautés européennes à remplir son obligation, prévue à l’article 27 du règlement (CE) n° 2187/2005 du Conseil, du 21 décembre 2005, relatif à la conservation, par des mesures techniques, des ressources halieutiques dans les eaux de la mer Baltique, des Belts et de l’Øresund, modifiant le règlement (CE) n° 1434/98 et abrogeant le règlement (CE) n° 88/98 (JO L 349, p. 1), de veiller à la réalisation d’une évaluation scientifique de l’incidence sur les cétacés de l’utilisation de filets maillants, de trémails et de filets emmêlants (ci-après l’« évaluation scientifique ») et à en présenter les conclusions au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne.

3        Par lettre adressée au conseil du requérant le 24 avril 2008, la Commission a indiqué qu’elle avait assigné la réalisation de l’évaluation scientifique au Conseil international pour l’exploration de la mer. Elle a indiqué, en outre, que les rapports annuels des États membres sur l’application de l’article 4 du règlement (CE) n° 812/2004 du Conseil, du 26 avril 2004, établissant des mesures relatives aux captures accidentelles de cétacés dans les pêcheries et modifiant le règlement (CE) n° 88/98 (JO L 150, p. 12), constituaient une source importante d’informations en vue de l’élaboration de l’évaluation scientifique et que la Commission avait été contrainte de reporter la finalisation de cette évaluation à une date ultérieure en 2008, notamment en raison du défaut de transmission par certains États membres de leurs rapports annuels avant la date limite prévue à cet effet par le règlement n° 812/2004, à savoir le 1er juin 2007.

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juin 2008, le requérant a formé le présent recours au titre de l’article 232 CE, par lequel il reproche à la Commission de s’être abstenue illégalement d’effectuer l’évaluation scientifique et d’en présenter les conclusions au Parlement et au Conseil.

5        Par acte enregistré le 15 octobre 2008, la Commission, conformément à l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, a soulevé une exception d’irrecevabilité.

6        Le 4 décembre 2008, le requérant a déposé des observations sur l’exception d’irrecevabilité.

 Conclusions des parties

7        Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater la carence de la Commission dans la mesure où elle n’a pas réalisé l’évaluation scientifique prévue à l’article 27 du règlement n° 2187/2005 et n’en a pas présenté les conclusions au Parlement et au Conseil ;

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        ordonner le remboursement au requérant des frais de procédure.

8        Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner le requérant à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission.

 Sur la recevabilité

9        En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Selon le paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cette disposition, qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure.

 Arguments des parties

10      Le requérant fait valoir que l’évaluation scientifique prévue par l’article 27 du règlement n° 2187/2005 était censée motiver l’interdiction d’utiliser certains types de filets, qui auraient dû faire l’objet de cette évaluation. Cette interdiction aurait précisément pris effet à la date limite pour effectuer l’évaluation scientifique, à savoir le 1er janvier 2008. Se prévalant des intentions que les institutions communautaires auraient exprimées, notamment dans un rapport de la commission de la pêche du Parlement, du 16 septembre 2005, et dans la réponse de la Commission à la question parlementaire E-3897/2007, du 10 septembre 2007, le requérant soutient, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, que, si l’évaluation scientifique avait été réalisée, la mise en œuvre de l’interdiction en question se serait avérée injustifiée.

11      Le requérant prétend être directement et individuellement affecté par l’interdiction d’utiliser les filets visés par l’évaluation scientifique et estime dès lors avoir un intérêt légitime à engager le présent recours. À cet égard le requérant fait remarquer, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, que ladite interdiction concerne un nombre déterminé d’opérateurs et non pas des personnes envisagées de manière abstraite.

12      La Commission fait valoir que les affirmations du requérant concernant le lien entre l’interdiction en question et l’évaluation scientifique prévue par l’article 27 du règlement n° 2187/2005 sont erronées étant donné que, d’une part, ladite interdiction s’inscrirait dans une tendance, existant depuis 2004, à l’imposition de restrictions progressives à l’utilisation des filets concernés dans la mer Baltique et, d’autre part, l’évaluation scientifique en cause aurait une portée différente, tendant plutôt à proposer l’introduction de contraintes supplémentaires dans l’utilisation de types particuliers d’engins menaçant les cétacés.

13      La Commission soutient, en outre, que l’évaluation scientifique dont le requérant critique l’absence n’aurait pu, si elle avait été réalisée et présentée au Conseil, produire des effets juridiques obligatoires susceptibles d’affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique, et ne saurait ainsi faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 230 CE. Partant, la non-réalisation de cette évaluation ne saurait faire l’objet d’un recours en carence au titre de l’article 232 CE.

 Appréciation du Tribunal

14      Aux termes de l’article 27 du règlement n° 2187/2005, la Commission veille à ce que soit réalisée, pour le 1er janvier 2008 au plus tard, l’évaluation scientifique et à ce que les conclusions en soient présentées au Parlement et au Conseil.

 Sur la nature attaquable de la carence alléguée

15      Il ressort d’une jurisprudence constante que l’article 232 CE permet uniquement à une personne physique ou morale de demander que soit constatée l’omission fautive, par une institution, de lui adresser un acte visant à produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter ses intérêts, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (voir ordonnance du Tribunal du 30 mars 2006, Korkmaz e.a./Commission, T‑2/04, non publiée au Recueil, point 63, et la jurisprudence citée).

16      Il convient de constater, à cet égard, que, de par leur nature, ni la réalisation de l’évaluation scientifique ni la présentation des conclusions de celle-ci au Parlement et au Conseil ne sauraient produire des effets juridiques obligatoires à l’égard du requérant. Partant, le recours doit être rejeté comme irrecevable dans la mesure où il vise la carence dans la mise en oeuvre de l’article 27 du règlement n° 2187/2005 (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 26 novembre 1996, Kuchlenz-Winter/Conseil, T‑167/95, Rec. p. II‑1607, point 20).

17      Le requérant fait certes valoir que l’évaluation scientifique était censée motiver l’adoption d’une interdiction, laquelle l’affecterait directement et individuellement. Il vise, notamment, l’article 9, paragraphe 1 du règlement n° 2187/2005, qui interdit, à partir du 1er janvier 2008, l’utilisation d’une sous-catégorie des filets maillants, à savoir les filets dérivants.

18      Il convient de souligner, à cet égard, que le présent recours ne vise ni à l’annulation de cette interdiction, ni à la constatation que les institutions concernées se sont abstenues illégalement de l’abroger ou de la modifier. Le recours est dirigé contre l’abstention de la Commission d’effectuer une évaluation censée motiver le maintien ou le retrait de l’interdiction. Cette évaluation ne saurait donc être qualifiée que de mesure intermédiaire.

19      À cet égard, il y a lieu de remarquer que, selon la jurisprudence, l’abstention d’adopter une mesure intermédiaire ne peut faire l’objet d’un recours qu’à titre exceptionnel, dans l’hypothèse où la mesure en cause est un acte préparatoire, qui constitue le préalable nécessaire au déroulement d’une procédure devant déboucher sur un acte définitif et juridiquement contraignant (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, 302/87, Rec. p. 5615, point 16, et du 18 mars 1997, Guérin automobiles/Commission, C‑282/95 P, Rec. p. I‑1503, points 35 à 38, et du Tribunal du 27 juin 1995, Guérin automobiles/Commission, T‑186/94, Rec. p. II‑1753, point 25). Or, le requérant n’a ni établi ni même apporté un début de raisonnement indiquant que ces conditions sont réunies en l’espèce.

20      Au vu du point 16 ci-dessus, la question de la qualité pour agir du requérant ne sera examinée qu’à titre surabondant.

 Sur la qualité du requérant pour agir

21      Il ressort de la jurisprudence que, de même que l’article 230, quatrième alinéa, CE permet aux particuliers de former un recours en annulation contre un acte d’une institution dont ils ne sont pas les destinataires dès lors que cet acte les concerne directement et individuellement, l’article 232, troisième alinéa, CE doit être interprété comme leur ouvrant également la faculté de former un recours en carence contre une institution qui aurait manqué d’adopter un acte qui les aurait concernés de la même manière (arrêt de la Cour du 26 novembre 1996, T. Port, C‑68/95, Rec. p. I‑6065, point 59, et ordonnance du Tribunal du 25 juin 2003, Pérez Escolar/Commission, T‑41/01, Rec. p. II‑2157, point 29).

22      En l’espèce, l’évaluation scientifique dont la réalisation est exigée par le requérant porte sur l’incidence sur les cétacés de trois catégories de filets de pêche, définis par l’article 2 du règlement n° 2187/2005 en termes généraux et abstraits. Elle doit, par conséquent, avoir une portée générale.

23      Or, il ressort de la jurisprudence que, afin d’être considérée comme individuellement concernée par un acte de portée générale, une personne physique ou morale doit être atteinte par cet acte en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223).

24      En l’espèce, le requérant soutient que l’évaluation scientifique en cause vise essentiellement un sous-groupe distinct de pêcheurs, auquel il appartiendrait, autorisés à pêcher avec des techniques de pêche définies, ce qui impliquerait qu’il soit suffisamment individualisé.

25      Néanmoins, il est de jurisprudence constante que la seule possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels un acte s’applique à un moment donné n’est pas en soi suffisante pour établir l’affectation individuelle d’un tel sujet par l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853, point 18 ; du 31 mai 2001, Sadam Zuccherifici e.a./Conseil, C-41/99 P, Rec. p. I-4239, point 29, et ordonnance du Tribunal du 12 mars 2007, Confcooperative, Unione regionale della Cooperazione Fvg Federagricole e.a./Commission, T‑418/04, non publiée au Recueil, point 53).

26      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que le requérant ne saurait être individuellement affecté par l’évaluation scientifique prévue à l’article 27 du règlement n° 2187/2005 et n’a, dès lors, pas qualité pour agir contre la prétendue abstention illégale de la Commission de réaliser cette évaluation et d’en présenter les conclusions au Parlement et au Conseil.

27      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient de rejeter le recours comme irrecevable.

 Sur les dépens

28      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      M. Grzegorz Szomborg est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission des Communautés européennes.

Fait à Luxembourg, le 24 novembre 2009.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      A. W. H. Meij


* Langue de procédure : le polonais.