Language of document : ECLI:EU:C:2005:145

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

10 mars 2005 (*)

«Agriculture – Lutte contre la fièvre aphteuse – Mesures conservatoires adoptées en complément des mesures prévues par la directive 85/511/CEE – Pouvoirs des États membres»

Dans les affaires jointes C-96/03 et C-97/03,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduites par le College van Beroep voor het bedrijfsleven (Pays-Bas), par décisions du 7 janvier 2003, parvenues à la Cour le 4 mars 2003, dans les procédures

A. Tempelman (C-96/03),

Époux T. H. J. M. van Schaijk (C-97/03)

contre

Directeur van de Rijksdienst voor de keuring van Vee en Vlees,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, MM. A. Borg Barthet,  J.-P. Puissochet, J. Malenovský et U. Lõhmus, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: Mme M. Múgica Arzamendi, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 30 septembre 2004,

considérant les observations présentées:

–       pour M. Tempelman, par Me H. Bronkhorst, advocaat,

–       pour les époux Van Schaijk, par Me A. van Beek, advocaat,

–       pour le Directeur van de Rijksdienst voor de keuring van Vee en Vlees, par Me E. J. Daalder, advocaat,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mmes J. G. M. van Bakel et H. G. Sevenster, en qualité d'agents,

–       pour le gouvernement hellénique, par M. V. Kontolaimos, ainsi que par Mmes  S. Charitaki et M. Tassopoulou, en qualité d'agents,

–       pour le gouvernement irlandais, par M. D. O'Hagan, en qualité d'agent, assisté de M. P. McGarry, BL,

–       pour le gouvernement italien, par MM. I.  Braguglia et G. Fiengo, en qualité d'agents,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mlle R. Caudwell et Mme C. Jackson, en qualité d'agents, assistées de MM. P. Goldsmith et C. Vajda, QC, ainsi que P. Harris, barrister,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par M. T. van Rijn, en qualité d'agent,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 2 décembre 2004,

rend le présent

Arrêt

1       Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la directive 85/511/CEE du Conseil, du 18 novembre 1985, établissant des mesures communautaires de lutte contre la fièvre aphteuse (JO L 315, p. 11), telle que modifiée par la directive 90/423/CEE du Conseil, du 26 juin 1990 (JO L 224 p. 13, ci-après la «directive 85/511»), ainsi que de la directive 90/425/CEE du Conseil, du 26 juin 1990, relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intracommunautaires de certains animaux vivants et produits dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (JO L 224, p. 29). 

2       Ces demandes ont été présentées dans le cadre des litiges opposant M. Tempelman (C‑96/03), d’une part, et les époux Van Schaijk (C‑97/03), d’autre part, au Directeur van de Rijksdienst voor de keuring van Vee en Vlees (directeur du service national d’inspection du bétail et de la viande, ci-après le «directeur du RVV»), au sujet des décisions par lesquelles celui-ci a considéré que les animaux biongulés appartenant aux intéressés étaient suspects d’être contaminés par la fièvre aphteuse et a ordonné leur abattage sur le fondement de la Gezondheids- en welzijnswet voor dieren (loi relative à la santé et au bien-être des animaux), du 24 septembre 1992 (Stbl. 1992, 585).

 La réglementation applicable

3       Le texte de base définissant les mesures communautaires de lutte contre la fièvre aphteuse, applicables en cas d’apparition de celle-ci, est constitué par la directive 85/511. Lors de la modification apportée à cette dernière par l’adoption de la directive 90/423, il a été décidé d’interdire la vaccination préventive contre la fièvre aphteuse dans toute la Communauté au profit d’une politique de lutte fondée sur l’abattage total et la destruction des animaux infectés. Une vaccination d’urgence est demeurée cependant possible, dans des conditions strictes et en accord avec la Commission des Communautés européennes.

4       La directive 85/511 prévoit notamment, à son article 4, que, lorsque dans une exploitation se trouvent un ou plusieurs animaux suspects d’être infectés ou contaminés, l’autorité compétente fait placer l’exploitation sous surveillance officielle et impose diverses mesures restreignant les mouvements des animaux, des produits, des personnes et des véhicules. Selon les circonstances, ces mesures peuvent être étendues aux exploitations immédiatement voisines.

5       Conformément à l’article 5, point 2, de la directive 85/511, lorsqu’il est établi qu’un ou plusieurs animaux d’une exploitation sont infectés, l’autorité compétente doit, sans délai, ordonner la mise à mort sur place et la destruction de tous les animaux des espèces sensibles de l’exploitation. L’article 5, point 4, de la même directive prévoit que ladite autorité peut étendre les mesures prévues au point 1 du même article, c’est-à-dire faire procéder aux prélèvements en vue des examens adéquats dans les exploitations immédiatement voisines dans le cas où leur implantation, la configuration des lieux ou les contacts avec les animaux de l’exploitation où la maladie a été constatée permettent de soupçonner une contamination éventuelle.

6       En vertu de l’article 8 de ladite directive, sont placées sous surveillance officielle les exploitations dont le vétérinaire officiel constate ou estime, selon des informations confirmées, qu’elles ont pu être en contact avec les exploitations visées aux articles 4 ou 5 de la directive à la suite de mouvements de personnes, d’animaux ou de véhicules ou de tout autre moyen.

7       Par la décision 2001/246/CE de la Commission, du 27 mars 2001, établissant les conditions relatives à la lutte contre la fièvre aphteuse et à son éradication aux Pays-Bas en application de l’article 13 de la directive 85/511 (JO L 88, p. 21), la vaccination suppressive a été autorisée aux Pays-Bas, celle-ci étant définie comme la vaccination d’urgence des animaux des espèces sensibles de certaines exploitations situées dans un périmètre déterminé et pratiquée exclusivement en liaison avec l’abattage préventif.

8       La décision 2001/279/CE de la Commission, du 5 avril 2001, modifiant la décision 2001/246 (JO L 96, p. 19), a notamment autorisé la vaccination de protection des bovins se trouvant dans un périmètre d’environ 25 kilomètres autour d’Oene.

9       L’article 10, paragraphes 1 et 4, de la directive 90/425 dispose:

 «1.       Chaque État membre signale immédiatement aux autres États membres et à la Commission, outre l’apparition sur son territoire des maladies prévues par la directive 82/894/CEE, l’apparition de toute zoonose, maladie ou cause susceptible de constituer un danger grave pour les animaux ou la santé humaine.

L’État membre d’expédition met immédiatement en œuvre les mesures de lutte ou de prévention prévues par la réglementation communautaire, et notamment la détermination des zones de protection qui y sont prévues ou arrête toute autre mesure qu’il jugera appropriée.

L’État membre de destination ou de transit qui, lors d’un contrôle visé à l’article 5, a constaté l’une des maladies ou causes visées au premier alinéa peut, si nécessaire, prendre des mesures de prévention prévues par la réglementation communautaire, y compris la mise en quarantaine des animaux.

Dans l’attente des mesures à prendre, conformément au paragraphe 4, l’État membre de destination peut, pour des motifs graves de protection de la santé publique ou de la santé animale, prendre des mesures conservatoires à l’égard des exploitations, centres ou organismes concernés ou, dans le cas d’une épizootie, à l’égard de la zone de protection prévue par la réglementation communautaire.

Les mesures prises par les États membres sont communiquées sans délai à la Commission et aux autres États membres.

[...]

4.       Dans tous les cas, la Commission procède au sein du comité vétérinaire permanent, dans les meilleurs délais, à un examen de la situation. Elle arrête, selon la procédure prévue à l’article 17, les mesures nécessaires pour les animaux et les produits visés à l’article 1er et, si la situation l’exige, pour les produits dérivés de ces animaux. Elle suit l’évolution de la situation et, selon la même procédure, modifie ou abroge, en fonction de cette évolution, les décisions prises.»

10     La loi relative à la santé et au bien-être des animaux du 24 septembre 1992 prévoit, à titre de mesure de lutte contre une maladie contagieuse, que l’autorité compétente peut ordonner la mise à mort d’animaux suspects d’être atteints par la maladie. Selon le Regeling aanwijzing besmettelijke dierziekten (règlement désignant les maladies animales contagieuses) du 12 mars 1996 (Stcrt. 1996, p. 61), un animal est considéré comme suspect lorsque l’agent désigné a des raisons de penser que ledit animal a eu l’occasion d’être infecté ou contaminé et s’il est d’une espèce sensible à la maladie contagieuse concernée.

 Les faits des litiges au principal et les questions préjudicielles

11     Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C­‑96/03, M. Tempelman possédait des chèvres angoras à Wenum, localité située dans la zone de 25 kilomètres entourant Oene. Le 3 avril 2001, le ministre de l’Agriculture a décidé que tous les animaux biongulés de la région d’Oene seraient vaccinés et abattus. L’existence des chèvres angoras de M. Tempelman ayant été, semble-t-il, découverte ultérieurement, le directeur du RVV a, par décision du 23 mai 2001, informé M. Tempelman que ses chèvres étaient considérées comme suspectes d’être infectées et qu’il y avait donc lieu de les abattre. Par décision du 15 novembre 2001, ledit directeur a rejeté la réclamation introduite par M. Tempelman contre cette décision. Le 17 décembre 2001, ce dernier a introduit un recours contre cette décision de rejet devant le College van Beroep voor het bedrijfsleven.

12     Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C‑97/03, les épouxVan Schaijk exploitaient un élevage de bétail à Ravenstein. Par décision du 26 mars 2001, le directeur du RVV a informé les intéressés que tous les animaux biongulés de leur exploitation étaient considérés comme suspects d’être infectés par la fièvre aphteuse, au motif qu’il existait dans le voisinage de cet élevage, à 772 mètres de celui-ci, une exploitation dans laquelle un ou plusieurs animaux étaient fortement suspects d’être infectés par cette maladie, et qu’il y avait donc lieu de les abattre. Par décision du 15 novembre 2001, le directeur du RVV a rejeté la réclamation introduite par les époux Van Schaijk contre cette décision. Le 20 décembre 2001, les intéressés ont introduit un recours contre cette décision de rejet devant le College van Beroep voor het bedrijfsleven.

13     Devant la juridiction de renvoi, M. Tempelman et les époux Van Schaijk ont fait valoir de nombreux moyens, tirés d’une violation tant du droit international et communautaire que du droit national.

14     Examinant les moyens tirés d’une violation du droit national, le College van Beroep voor het bedrijfsleven a jugé, dans la décision de renvoi à l’origine de l’affaire C-96/03:

«La stratégie de prévention de toute propagation (supplémentaire) du virus aphteux mise en œuvre par le défendeur jusqu’au 3 avril 2001, et consistant dans l’abattage de tous les biongulés dans un rayon d’un kilomètre, puis de deux, autour de chaque foyer de contamination, n’a pas pu empêcher des foyers de la maladie de continuer à apparaître dans la région d’Oene. En conséquence, et compte tenu aussi de la densité élevée du bétail dans cette région, le College van Beroep estime que le défendeur a, d’un point de vue vétérinaire, raisonnablement pu supposer qu’il pouvait exister, dans la région d’Oene, des biongulés porteurs d’agents pathogènes au-delà même des zones de deux kilomètres de rayon autour des foyers de contamination. À cet égard, le College van Beroep prend en compte que le virus aphteux est extrêmement contagieux, qu’il peut se propager à grande vitesse et de multiples manières, et que le défendeur a consulté des experts vétérinaires quant aux mesures à prendre.

[...]

Au vu de l’ensemble des circonstances pertinentes, le College van Beroep ne voit aucun motif pour considérer que le défendeur aurait – compte tenu [de la marge d’appréciation qui doit lui être reconnue] – fait une estimation incorrecte des risques dans le cas d’espèce. On ne peut pas affirmer, selon le College van Beroep, que le préjudice subi par l’appelant, en conséquence de la décision d’abattage de ses animaux, ait été disproportionné par rapport aux objectifs de cette dernière. À cet égard, le College van Beroep considère en outre que les moyens invoqués par l’appelant ne tiennent pas compte du fait que, ainsi qu’il ressort de l’argumentation du défendeur, chaque animal suspect laissé en vie dans la région d’Oene présentait, en principe, un risque sous l’angle de la lutte contre l’épidémie de fièvre aphteuse. L’appelant ne convainc pas lorsqu’il prétend qu’il existait des circonstances particulières qui auraient dû amener le défendeur à conclure que les animaux suspects qu’il possédait ne présentaient aucun risque pertinent du point de vue vétérinaire.»

15     Dans la décision de renvoi à l’origine de l’affaire C-97/03, le College van Beroep voor het bedrijfsleven a notamment jugé:

«On peut considérer comme suffisamment établi que, les 23, 24 et 25 mars 2001, se trouvaient dans l’exploitation primaire des animaux sur lesquels ont été observés des symptômes cliniques de la maladie, en sorte que l’on pouvait conclure que ces animaux étaient ‘infectés’, au sens de l’article 2, sous c), de la directive 85/511 et devaient être abattus, en vertu de l’article 5 de la directive. Contrairement à ce qu’avancent les appelants à ce propos, il n’est pas nécessaire, pour que des animaux soient qualifiés d’’infectés’, que les symptômes cliniques observés soient confirmés par un examen de laboratoire. De plus, la circonstance qu’un examen de laboratoire ultérieur n’a pas pu confirmer l’infection de l’exploitation primaire par le virus aphteux n’ôte rien au fait que le défendeur a, si l’on tient compte du moment où il a pris sa décision initiale, raisonnablement pu, dans le cadre du processus décisionnel en cause, craindre une infection par le virus dans ladite exploitation primaire. Dès lors, compte tenu du fait que les animaux des appelants se trouvaient, à l’époque de la décision initiale, dans un rayon d’un kilomètre de l’exploitation primaire, le défendeur pouvait raisonnablement croire que lesdits animaux avaient eu l’occasion d’être infectés ou contaminés par le virus.

Sous cet angle, la décision concluant, le 26 mars 2001, que les animaux des appelants étaient suspects d’être contaminés par le virus aphteux doit être considérée comme licite. À cet égard, le College van Beroep prend en compte que le virus aphteux est extrêmement contagieux et qu’il peut se propager à grande vitesse et de multiples manières. Il prend également en considération le fait que le défendeur a consulté des experts vétérinaires quant aux mesures à prendre et que ces experts ont estimé qu’étaient exposées à un risque particulier de contamination les exploitations se trouvant dans un rayon d’un kilomètre d’une exploitation infectée. Les appelants n’ont, d’ailleurs, pas valablement contesté cet avis des experts.»

16     Pour des motifs analogues à ceux développés dans la décision de renvoi à l’origine de l’affaire C-96/03, le College van Beroep voor het Bedrijfsleven a conclu, dans la décision de renvoi à l’origine de l’affaire C‑97/03, qu’il ne voyait aucun motif pour considérer que le défendeur au principal aurait fait une estimation incorrecte des risques, que le préjudice subi par les appelants, en conséquence de la décision d’abattage de leurs animaux, aurait été disproportionné par rapport aux objectifs de cette dernière, ou que ce défendeur aurait agi en violation de l’article 36 de la loi relative à la santé et au bien-être des animaux. Cette juridiction n’a pas davantage estimé que le défendeur aurait, dans le cadre de la procédure suivie, méconnu le principe de bonne administration ou commis un détournement de pouvoir.

17     Examinant ensuite, dans l’une et l’autre affaire, les moyens tirés de la violation du droit communautaire, le College van Beroep voor het bedrijfsleven constate que les décisions d’abattage des animaux ont été prises dans des hypothèses qui ne sont pas visées par la directive 85/511. Ainsi, dans sa décision à l’origine de l’affaire C-96/03, la juridiction de renvoi relève que, bien que les animaux se trouvaient sur l’un des territoires désignés à l’annexe III, A, de la décision 2001/279, pour lesquels la vaccination suppressive était prévue, ni cette dernière décision ni la décision 2001/246 n’étaient applicables, dans la mesure où les animaux en question n’étaient pas vaccinés au moment où ils ont été mis à mort. Dans la décision de renvoi à l’origine de l’affaire C‑97/03, le College van Beroep voor het bedrijfsleven constate que ni la décision 2001/246, du 27 mars 2001, ni les modifications qui ont été apportées à celle-ci par la décision 2001/279, du 5 avril 2001, n’étaient applicables le 26 mars 2001, date de la décision du directeur du RVV prescrivant l’abattage des animaux. Il n’est à cet égard contesté par aucune partie au principal que les décisions attaquées par M. Tempelman et les époux Van Schaijk ont été adoptées en vertu des dispositions du seul droit national.

18     Le College van Beroep voor het bedrijfsleven relève que les États membres pourraient fonder leur compétence propre sur l’article 10 de la directive 90/425. Il se demande cependant si la directive 85/511 doit être considérée comme lex specialis par rapport à la directive 90/425.

19     Selon cette juridiction, il semble ressortir de la directive 90/423, notamment du préambule et des articles 1er, 4, 5 et 16 de celle-ci que le régime communautaire de lutte contre la fièvre aphteuse a un caractère exhaustif. Toutefois, certaines dispositions de la décision 2001/246 laisseraient entendre que les États membres sont également compétents en matière d’abattage préventif d’animaux suspects, dans l’hypothèse où aucune infection par le virus aphteux n’a été constatée.

20     Eu égard à ces éléments, le College van Beroep voor het bedrijfsleven a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, identiques dans les deux affaires au principal:

«1)       Le droit communautaire confère-t-il aux États membres le pouvoir de décider de l’abattage d’animaux suspects d’être infectés ou contaminés par le virus aphteux?

2)       La directive 85/511/CEE, telle que modifiée par la directive 90/423/CEE, laisse-t-elle aux États membres la latitude d’adopter (ou de faire adopter) des mesures nationales complémentaires pour lutter contre la fièvre aphteuse?

3)      Quelles sont les limites que le droit communautaire impose aux États membres en ce qui concerne l’adoption de mesures nationales complémentaires par rapport aux mesures prévues par la directive 85/511/CEE, telle que modifiée par la directive 90/423/CEE?»

21     Par ordonnance du Président de la Cour, du 8 avril 2003, les affaires C‑96/03 et C‑97/03 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

22     Par les questions posées, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si le droit communautaire confère aux États membres le pouvoir d’adopter des mesures de lutte contre la fièvre aphteuse, complémentaires à celles prévues par la directive 85/511, notamment, le pouvoir de faire procéder à la mise à mort d’animaux appartenant à une exploitation voisine ou se trouvant dans un rayon déterminé autour d’une exploitation comprenant des animaux infectés, et, dans l’affirmative, quelles limites le droit communautaire impose à l’exercice d’un tel pouvoir.

23     Selon M. Tempelman et les époux Van Schaijk, la directive 85/511 s’oppose à ce que les États membres adoptent des mesures nationales complémentaires pour lutter contre la fièvre aphteuse et aucune disposition du droit communautaire, notamment pas l’article 10 de la directive 90/425, ne confère à ces États le pouvoir de décider de l’abattage d’animaux suspects d’être infectés ou contaminés par le virus aphteux. À titre subsidiaire, en ce qui concerne la troisième question, les époux Van Schaijk font valoir que les mesures nationales prises devaient respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, ce qui n’aurait pas été le cas dans l’affaire au principal.

24     Les gouvernements néerlandais, hellénique, irlandais, italien et du Royaume-Uni ainsi que la Commission, estiment que le droit communautaire confère aux États membres le pouvoir de décider de l’abattage d’animaux suspects d’être infectés ou contaminés par le virus aphteux et de prendre des mesures nationales allant au-delà de celles prévues par la directive 85/511. Ce pouvoir des États membres serait limité par l’obligation de respecter les exigences expresses, l’objet et le but de la directive 85/511 ainsi que le principe de proportionnalité. La Commission ajoute que les mesures adoptées par un État membre doivent lui être communiquées et l’être également aux autres États membres.

25     Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 30 de ses conclusions, la directive 85/511 ne prévoit pas expressément qu’un vétérinaire officiel puisse faire procéder à la mise à mort d’animaux appartenant à une exploitation voisine ou se trouvant dans un rayon déterminé autour d’une exploitation dans laquelle se trouvent des animaux infectés par le virus de la fièvre aphteuse.

26     Sans qu’il soit besoin de s’interroger sur le fait que, ainsi que l’expose la Commission, c’est éventuellement à la suite d’une erreur lors de la rédaction de la directive 85/511 que l’article 5, point 4, de celle-ci ne renvoie qu’au point 1 du même article et non au point 2, il suffit de relever que cette directive ne peut être interprétée sans tenir compte de la directive 90/425, qui constitue un texte fondamental pour ce qui concerne la libre circulation des animaux et des produits agricoles.

27     Adoptée en vue de l’établissement du marché intérieur, la directive 90/425 part du constat, formulé à son troisième considérant, que les frontières sont utilisées pour effectuer des contrôles visant à assurer la protection de la santé publique et de la santé animale. Cette directive présuppose, ainsi qu’il est indiqué à son quatrième considérant, une harmonisation des exigences essentielles relatives à la protection de la santé animale. Elle fixe la nature des contrôles qui doivent ou peuvent être effectués par les États membres d’expédition et de destination des animaux ainsi que les mesures qui doivent ou peuvent être adoptées par ceux-ci.

28     Les articles 8 à 10 de cette directive visent les zoonoses, maladies ou toutes autres causes susceptibles de constituer un danger grave pour les animaux ou pour l’homme. L’article 10, notamment, prévoit les mesures conservatoires qui peuvent être adoptées par les États membres et par la Commission, les obligations de chaque autorité intervenante ainsi que les procédures qui doivent être respectées afin que les problèmes de santé animale et humaine soient résolus dans les meilleures conditions de rapidité et de coordination.

29     La directive 90/425 s’applique lorsqu’aucun autre texte de droit communautaire ne prévoit les mesures qui peuvent être adoptées ni la procédure qui doit être suivie en cas de zoonose, de maladie ou de toute autre cause susceptible de constituer un danger grave pour les animaux ou pour l’homme.

30     Eu égard à son large champ d’application et à son objectif général, il y a lieu de considérer que, de même, ladite directive a vocation à s’appliquer lorsque les textes communautaires apparaissent insuffisants pour répondre à des problèmes spécifiques rencontrés dans des situations susceptibles de constituer un danger grave pour la santé animale ou humaine. À cet égard, la Cour a jugé que l’article 8 de la directive 90/425 devait être interprété en tenant compte de son objectif, qui est d’assurer la protection de la santé animale et humaine, et de l’évolution des connaissances scientifiques (arrêt du 8 janvier 2002, Van den Bor, C-428/99, Rec. p. I‑127, point 38).

31     Il convient toutefois de relever que la Commission et les États membres ne peuvent adopter de mesures conservatoires conformément à l’article 10 de la directive 90/425 que dans le respect du droit communautaire. Il leur appartient ainsi de respecter les objectifs visés par la réglementation communautaire en vigueur et les principes généraux du droit communautaire tels que le principe de proportionnalité. Par ailleurs, l’obligation faite aux États membres d’informer la Commission et les autres États membres, prévue à cet article 10, doit être scrupuleusement respectée, afin de permettre une étroite collaboration entre les autorités de ces États et cette institution.

32     S’agissant de l’objectif visé par la directive 85/511, il y a lieu de rappeler que le troisième considérant de cette dernière prévoit que des mesures doivent être prises dès que la présence de la fièvre aphteuse est soupçonnée afin de permettre une lutte immédiate et efficace dès qu’elle est confirmée.

33     Selon le dernier considérant de ladite directive, le régime institué par celle-ci revêt un caractère expérimental et doit être réexaminé en fonction de l’évolution de la situation. Le régime initialement prévu en 1985 a effectivement été réexaminé et profondément modifié en 1990 par la directive 90/423, qui a instauré une politique de non-vaccination accompagnée d’un abattage sanitaire. Le régime instauré en 1990 a, de même, été revu à la suite de l’épidémie survenue en 2001 afin de tenir compte de l’expérience acquise lors de cette crise, ainsi qu’il ressort des considérants de la directive 2003/85/CE du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des mesures communautaires de lutte contre la fièvre aphteuse, abrogeant la directive 85/511 (JO L 306, p. 1).

34     Si, ainsi qu’il a été rappelé au point 25 du présent arrêt, la directive 85/511 ne prévoit pas la mise à mort d’animaux appartenant à une exploitation voisine ou se trouvant dans un rayon déterminé autour d’une exploitation comprenant des animaux infectés, elle ne saurait toutefois être interprétée en ce sens qu’elle s’opposerait à une telle mesure.

35     Cette interprétation ne permettrait pas d’atteindre l’objectif de lutte efficace contre la maladie visé par ladite directive. Ainsi que les gouvernements qui ont présenté des observations l’ont relevé, il est des cas où un tel abattage préventif s’impose, eu égard à la vitesse de propagation du virus, compte tenu d’éléments tels que la virulence de la maladie, les espèces animales concernées ou les conditions climatiques.

36     Dans les observations du Royaume-Uni, État membre particulièrement touché par l’épidémie de 2001, a été citée à cet égard la déposition faite devant la High Court of Justice par M. James Marshall Scudamore, Chief Veterinary Officer du Royaume-Uni, datée du 29 mars 2001, d’où il ressortirait que cette épidémie n’aurait été maîtrisée qu’en raison de l’intensification de la politique d’abattage, celle-ci concernant initialement les animaux infectés ou ayant été en contact direct avec de tels animaux, dans un deuxième temps les animaux suspects et ceux se trouvant dans des exploitations situées à proximité et enfin, dans certaines localités, les moutons, les chèvres et les porcs se trouvant dans un rayon de 3 kilomètres autour d’une exploitation infectée.

37     C’est ainsi que, par la décision 2001/246, fondée sur les articles 10 de la directive 90/425 et 13, paragraphe 3, de la directive 85/511, la Commission a autorisé la vaccination suppressive et l’abattage préventif d’animaux, cette dernière mesure désignant, selon l’article 1er de cette décision, la mise à mort des animaux sensibles dans les exploitations situées dans un rayon déterminé autour des exploitations soumises aux restrictions définies aux articles 4 ou 5 de la directive 85/511, ayant pour objectif de réduire de manière urgente le nombre d’animaux des espèces sensibles présents dans une zone infectée.

38     L’abattage préventif était motivé comme suit dans le quatrième considérant de la décision 2001/246:

«Outre les mesures prises dans le cadre de la directive 85/511/CEE, les Pays-Bas appliquent, à titre de mesure de précaution, l’abattage préventif des animaux sensibles dans les exploitations situées à proximité immédiate des exploitations infectées ou suspectes, eu égard à la situation épidémiologique et à la haute densité d’animaux sensibles dans certaines parties du territoire.»

39     La Cour a jugé que les dispositions visées dans la décision 2001/246 constituaient une base juridique suffisante à la compétence de la Commission pour adopter ladite décision (arrêt du 12 juillet 2001, Jippes e.a., C-189/01, Rec. p. I-5689, point 127).

40     Il résulte de ces éléments que la directive 85/511 ne peut être interprétée en ce sens que les mesures qu’elle prévoit ne pourraient être complétées par des mesures communautaires ou nationales adoptées sur le fondement de la directive 90/425.

41     À cet égard, la suppression du mot «minimales» à l’article 1er de la directive 85/511, lors de sa modification par la directive 90/423, ne saurait être interprétée, ainsi que le soutiennent M. Tempelman et les époux Van Schaijk, comme une volonté du législateur communautaire de limiter de façon précise les mesures de lutte pouvant être adoptées en cas d’épidémie. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 35 de ses conclusions, la suppression de ce mot doit être comprise dans le contexte de l’adoption d’une politique uniforme de non-vaccination préventive. En outre, l’interprétation invoquée par les requérants au principal serait contraire au souci d’amélioration du régime de lutte contre la maladie figurant au dernier considérant de la directive 85/511, dont le contenu n’a pas été modifié lors de l’adoption de la directive 90/423.

42     S’agissant des pouvoirs des États membres dans l’attente de l’adoption de mesures par la Commission, l’article 10, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 90/425 prévoit que, en cas de zoonose, maladie ou cause susceptible de constituer un danger grave pour les animaux ou la santé humaine, l’État membre d’expédition met immédiatement en œuvre les mesures de lutte ou de prévention prévues par la réglementation communautaire ou arrête toute autre mesure qu’il jugera appropriée.

43     Contrairement à ce que soutiennent les époux Van Schaijk, l’utilisation de la conjonction «ou» introduisant le dernier membre de phrase dudit alinéa doit être interprétée comme n’imposant pas à l’État membre un choix entre les mesures prévues par la réglementation communautaire et d’autres mesures qu’il jugerait appropriées. Une interprétation de cette disposition, conformément à l’objectif de protection de la santé animale et humaine qu’elle vise, impose en effet de comprendre ladite disposition en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce qu’un État membre arrête les mesures qu’il juge appropriées en complément de la mise en œuvre des mesures de lutte ou de prévention prévues par la réglementation communautaire.

44     Par ailleurs, l’expression «mesures conservatoires» figurant à l’article 10,  paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 90/425 doit être interprétée au regard de l’objectif général de protection de la santé animale et humaine et non en ce sens qu’elle s’oppose à toute mesure ne visant pas à la conservation de chaque animal en particulier et, notamment, à des mesures d’abattage d’animaux susceptibles d’être infectés.

45     C’est ainsi que, dans les circonstances des affaires au principal, les autorités néerlandaises ont pu estimer nécessaire de faire procéder à l’abattage préventif des animaux de M. Tempelman et des époux Van Schaijk.

46     Qu’elles soient adoptées par un État membre sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, de la directive 90/425 ou par la Commission sur le fondement de l’article 10, paragraphe 4, de cette même directive, des mesures conservatoires doivent respecter le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, s’agissant de mesures adoptées par un État membre de destination, arrêt du 3 juillet 2003, Lennox, C-220/01, Rec. p. I-7091, point 76; s’agissant de mesures adoptées par la Commission, arrêts du 5 mai 1998, Royaume-Uni/Commission, C‑180/96, Rec. p. I‑2265, points 96 à 111, et Jippes, précité, point 113).

47     Il résulte d’une jurisprudence constante que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les actes adoptés ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts Jippes e.a., précité, point 81, et Lennox, précité, point 76).

48     Lors de cette appréciation, il convient de tenir compte de l’ensemble des intérêts protégés en présence et, notamment, du droit de propriété (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec. p. I‑5659, point 79) ainsi que des exigences du bien-être des animaux (voir, en ce sens, arrêt Jippes e.a., précité, point 79).

49     Il ressort des décisions de renvoi que le College van Beroep voor het bedrijfsleven a effectué un contrôle de l’application du droit national analogue à celui qui est exigé lors de la vérification du respect du principe de proportionnalité en droit communautaire et il a estimé que les mesures en cause au principal n’étaient pas disproportionnées. Il appartient toutefois à cette juridiction de vérifier s’il peut être déduit de l’examen, au regard du droit communautaire, des circonstances dans lesquelles ont été adoptées les décisions d’abattage contestées dans les affaires au principal que le principe de proportionnalité a été respecté.

50     Outre le principe de proportionnalité, un État membre qui adopte des mesures conservatoires conformément à la directive 90/425 doit respecter les obligations que celle-ci instaure et la procédure qu’elle organise. À cet égard, l’article 10, paragraphe 1, cinquième alinéa, de cette directive prévoit que les mesures sont communiquées sans délai à la Commission et aux autres États membres [arrêt Lennox, précité, point 75; sur les obligations de communication sans délai et de coopération loyale en cas d’adoption de mesures conservatoires fondées sur l’article 8 de la directive 90/425, voir arrêt Van den Bor, précité, points 45 à 48; voir également, par analogie, s’agissant de mesures adoptées sur le fondement de la directive 89/662/CEE du Conseil, du 11 décembre 1989, relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (JO L 395, p. 13), arrêt du 22 octobre 2002, National Farmers’ Union, C-241/01, Rec. p. I-9079, point 60].

51     La Commission a, à cet égard, relevé que les mesures adoptées en l’espèce au principal par les autorités néerlandaises l’ont été dans le cadre d’une étroite collaboration avec elle.

52     Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient de répondre comme suit aux questions posées par le College van Beroep voor het bedrijfsleven:

Dès lors que la fièvre aphteuse est une maladie qui constitue un danger grave pour les animaux, l’article 10, paragraphe 1, de la directive 90/425 confère aux États membres le pouvoir d’adopter des mesures de lutte contre la maladie complémentaires de celles prévues par la directive 85/511, notamment, le pouvoir de faire procéder à la mise à mort d’animaux appartenant à une exploitation voisine ou se trouvant dans un rayon déterminé autour d’une exploitation comprenant des animaux infectés.

De telles mesures complémentaires doivent être adoptées dans le respect des objectifs visés par la réglementation communautaire en vigueur et, plus particulièrement, de la directive 85/511, des principes généraux du droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité, et de l’obligation de communication prévue à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 90/425.

 Sur les dépens

53     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Dès lors que la fièvre aphteuse est une maladie qui constitue un danger grave pour les animaux, l’article 10, paragraphe 1, de la directive 90/425/CEE du Conseil, du 26 juin 1990, relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intracommunautaires de certains animaux vivants et produits dans la perspective de la réalisation du marché intérieur, confère aux États membres le pouvoir d’adopter des mesures de lutte contre la maladie complémentaires de celles prévues par la directive 85/511/CEE du Conseil, du 18 novembre 1985, établissant des mesures communautaires de lutte contre la fièvre aphteuse, telle que modifiée par la directive 90/423/CEE du Conseil, du 26 juin 1990, notamment, le pouvoir de faire procéder à la mise à mort d’animaux appartenant à une exploitation voisine ou se trouvant dans un rayon déterminé autour d’une exploitation comprenant des animaux infectés.

De telles mesures complémentaires doivent être adoptées dans le respect des objectifs visés par la réglementation communautaire en vigueur et, plus particulièrement, de la directive 85/511, telle que modifiée par la directive 90/423, des principes généraux du droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité, et de obligation de communication prévue à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 90/425.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.