Language of document : ECLI:EU:C:2013:341

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

30 mai 2013 (*)

«Directive 93/13/CEE – Clauses abusives figurant dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrat de bail d’habitation conclu entre un bailleur professionnel et un locataire agissant à des fins privées – Examen d’office, par le juge national, du caractère abusif d’une clause contractuelle – Clause pénale – Annulation de la clause»

Dans l’affaire C‑488/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Gerechtshof te Amsterdam (Pays‑Bas), par décision du 13 septembre 2011, parvenue à la Cour le 23 septembre 2011, dans la procédure

Dirk Frederik Asbeek Brusse,

Katarina de Man Garabito

contre

Jahani BV,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Levits, M. Safjan et Mme M. Berger (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. M. van Beek et Mme M. Owsiany‑Hornung, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»), en particulier de l’article 6, paragraphe 1, de celle-ci.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Asbeek Brusse et Mme de Man Garabito à Jahani BV (ci‑après «Jahani») au sujet du paiement, par les premiers, d’arriérés de loyer, d’intérêts contractuels et de pénalités dus en vertu d’un contrat de bail d’habitation.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les neuvième et dixième considérants de la directive sont rédigés comme suit:

«[...] les acquéreurs de biens ou de services doivent être protégés contre les abus de puissance du vendeur ou du prestataire, en particulier contre les contrats d’adhésion et l’exclusion abusive de droits essentiels dans les contrats;

[...] une protection plus efficace du consommateur peut être obtenue par l’adoption de règles uniformes concernant les clauses abusives; [...] ces règles doivent s’appliquer à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur; [...] par conséquent, sont notamment exclus de la présente directive les contrats de travail, les contrats relatifs aux droits successifs, les contrats relatifs au statut familial ainsi que les contrats relatifs à la constitution et aux statuts des sociétés».

4        L’article 1er de la directive dispose:

«1.      La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

2.      Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives [...] ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive.»

5        L’article 2 de la directive définit les notions de «consommateur» et de «professionnel» de la manière suivante:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[...]

b)      ‘consommateur’: toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle;

c)      ‘professionnel’: toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée.»

6        L’article 3, de la directive définit la clause abusive en ces termes:

«1.      Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

[...]

3.      L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

7        En ce qui concerne les effets liés à la constatation du caractère abusif d’une clause, l’article 6, paragraphe 1, de la directive dispose:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

8        Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la directive, «[l]es États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel».

9        L’annexe de la directive énumère les clauses visées à l’article 3, paragraphe 3, de cette dernière. Parmi ces clauses figurent:

«1.      [Les clauses] ayant pour objet ou pour effet:

[...]

e)      d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé;

[...]»

 Le droit national

10      La directive a été mise en œuvre aux Pays-Bas par les dispositions relatives aux conditions générales des contrats, qui figurent aux articles 6:231 à 6:247 du code civil (Burgerlijk Wetboek, ci-après le «BW»).

11      L’article 6:233, premier alinéa, sous a), du BW dispose:

«Une clause figurant dans des conditions générales peut être annulée:

a)      si elle constitue une charge excessive pour l’autre partie, compte tenu de la nature et du contenu du contrat, de la manière dont les conditions ont été conclues et des intérêts réciproques manifestes des parties ainsi que des autres circonstances de l’espèce».

12      Selon l’article 3:40 du BW, un acte qui est contraire aux bonnes mœurs, à l’ordre public ou à une disposition légale contraignante est frappé de nullité. Toutefois, dans le cas de la violation d’une disposition qui vise uniquement la protection de l’une des parties à un acte multilatéral, il s’agit seulement d’une possibilité d’annulation de l’acte, pour autant qu’il ne découle pas de la portée de la disposition en cause qu’il doit en être autrement.

13      S’agissant des clauses pénales, l’article 6:94, paragraphe 1, du BW prévoit que le juge a, à la demande du débiteur, le pouvoir de modérer la pénalité stipulée si l’équité l’exige manifestement.

14      Par ailleurs, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, dans une procédure d’appel, la juridiction saisie ne peut se prononcer que sur les griefs qui ont été invoqués par les parties dans les premières conclusions présentées en appel. La juridiction d’appel doit cependant appliquer d’office les dispositions d’ordre public pertinentes, même si celles‑ci n’ont pas été invoquées par les parties.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      Au cours de l’année 2007, Jahani, société exerçant à titre professionnel une activité de location d’immeubles d’habitation, a loué à M. Asbeek Brusse et à Mme de Man Garabito, agissant à des fins privées, un local à usage d’habitation à Alkmaar (Pays-Bas).

16      Le contrat de bail conclu à cet effet l’a été sur la base de conditions générales établies par une association de professionnels de l’immobilier, le Raad voor Onroerende Zaken (conseil des biens immobiliers).

17      Ces conditions générales contenaient notamment une clause pénale ainsi rédigée:

«20.1          Le preneur est réputé en défaut du seul fait de l’expiration d’un certain délai.

20.2      Dans chaque cas où le preneur est en défaut de paiement à l’échéance de la totalité d’une somme d’argent, il devient débiteur d’un intérêt de 1 % par mois sur la somme due en principal, courant de la date d’échéance jusqu’au paiement intégral de la somme due en principal.

[...]

20.6      Le preneur doit au bailleur une pénalité directement exigible de 25 euros par jour civil au titre de l’inexécution ou de la violation de toute obligation dérivant du présent contrat et des conditions générales y afférentes, sans préjudice de son obligation d’exécuter l’obligation en cause et sans préjudice des autres droits du bailleur à des dommages‑intérêts ou autres [...]»

18      Le loyer prévu dans le contrat de bail, qui s’élevait initialement à 875 euros par mois, a été porté à 894,25 euros à compter du 1er juillet 2008, en application de la clause d’indexation prévue par ce contrat. M. Asbeek Brusse et Mme de Man Garabito n’ont pas payé la somme correspondant à cette augmentation de loyer. Ils ont versé, pour le mois de février 2009, une somme de 190 euros, puis ont cessé de payer le loyer.

19      Au mois de juillet 2009, Jahani a assigné les locataires en justice, en demandant notamment la résiliation du contrat de bail et la condamnation des défendeurs à verser un montant total de 13 897,09 euros, qui se décompose comme suit:

–        5 365,50 euros à titre de loyer;

–        156,67 euros à titre d’intérêts contractuels déjà échus;

–        96,25 euros à titre de loyer, par suite de l’indexation;

–        4 525 euros à titre de pénalités pour non-paiement du loyer;

–        3 800 euros à titre de pénalités pour non-paiement de l’indexation du loyer, et

–        658,67 euros de frais extrajudiciaires.

20      Par jugement du 21 octobre 2009, le Rechtbank Alkmaar a fait droit aux demandes de Jahani.

21      Devant la juridiction de renvoi qu’ils ont saisie en appel, M. Asbeek Brusse et Mme de Man Garabito demandent que les montants accordés à titre de pénalités soient modérés, eu égard à la disproportion existant entre, d’une part, ces montants et, d’autre part, le préjudice subi par le bailleur.

22      C’est dans ces conditions que le Gerechtshof te Amsterdam a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Un bailleur professionnel d’habitations qui loue une habitation à un particulier peut-il être qualifié de vendeur [de biens] ou de prestataire de services au sens de la directive? Un contrat de bail entre un bailleur professionnel et un preneur non professionnel relève-t-il du champ d’application de la directive?

2)      La circonstance selon laquelle l’article 6 de la directive doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales ayant, au sein de l’ordre juridique interne, le caractère de normes d’ordre public confère-t-elle, dans le cadre d’un litige entre particuliers, le caractère de norme d’ordre public à la législation nationale de transposition relative aux clauses abusives, de sorte que le juge national, tant en première instance qu’en cause d’appel, a le pouvoir et l’obligation d’examiner d’office (et, partant, également ultra petita) une clause contractuelle au regard de la législation nationale de transposition et de déclarer la nullité de ladite clause s’il conclut au caractère abusif de cette dernière?

3)      Est-il conforme à l’effet utile du droit [de l’Union] que le juge national n’écarte pas l’application d’une clause pénale constituant une clause abusive au sens de la directive, mais modère uniquement le montant de la pénalité en application de la législation nationale, si un particulier a effectivement invoqué le pouvoir modérateur du juge, mais non la possibilité d’annuler la clause?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

23      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un contrat de bail portant sur un local à usage d’habitation, conclu entre un bailleur agissant dans le cadre d’une activité professionnelle et un locataire agissant à des fins privées, relève du champ d’application de la directive.

24      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive définit l’objet de celle-ci.

25      Il existe toutefois une certaine divergence entre les différentes versions linguistes de cette disposition. Ainsi, la version néerlandaise de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive indique que cette dernière a pour objet de rapprocher les dispositions nationales relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un «vendeur» («verkoper») et un consommateur. Les autres versions linguistiques de ladite disposition emploient, pour leur part, une expression d’une portée plus étendue pour désigner le cocontractant du consommateur. La version française de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive vise les contrats conclus entre un «professionnel» et un consommateur. Cette approche plus large se retrouve dans les versions espagnole («profesional»), danoise («erhvervsdrivende»), allemande («Gewerbetreibender»), grecque («επαγγελματίας»), italienne («professionista») et portugaise («profissional»). La version anglaise utilise les termes «seller or supplier».

26      Conformément à une jurisprudence constante, la nécessité d’une application et, dès lors, d’une interprétation uniformes d’un acte de l’Union exclut que celui-ci soit considéré isolément dans l’une de ses versions, mais exige qu’il soit interprété en fonction tant de la volonté réelle de son auteur que du but poursuivi par ce dernier, à la lumière, notamment, des versions établies dans toutes les autres langues officielles (voir, notamment, arrêts du 3 juin 2010, Internetportal und Marketing, C‑569/08, Rec. p. I‑4871, point 35, ainsi que du 9 juin 2011, Eleftheri tileorasi et Giannikos, C‑52/10, Rec. p. I‑4973, point 23).

27      À cet égard, il convient de relever que le terme «verkoper», utilisé dans la version en langue néerlandaise, est défini à l’article 2, sous c), de la directive, de la même manière que dans les autres versions linguistiques, comme désignant «toute personne physique ou morale qui [...] agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée».

28      Il apparaît ainsi que, au-delà du terme employé pour désigner le cocontractant du consommateur, l’intention du législateur n’a pas été de limiter le champ d’application de la directive aux seuls contrats conclus entre un vendeur et un consommateur.

29      En outre, il convient de relever qu’aucune disposition ne précise, dans le corps de la directive, à quels types de contrats cette dernière s’applique. Si plusieurs considérants de celle-ci, à l’instar du neuvième, soulignent la nécessité de protéger les acquéreurs de biens ou de services contre les abus de puissance des vendeurs ou des prestataires, le dixième considérant de la directive a une portée plus étendue puisqu’il énonce que les règles uniformes concernant les clauses abusives doivent s’appliquer à «tout contrat» conclu entre un professionnel et un consommateur, tels que définis à l’article 2, sous b) et c), de la directive.

30      C’est donc par référence à la qualité des contractants, selon qu’ils agissent ou non dans le cadre de leur activité professionnelle, que la directive définit les contrats auxquels elle s’applique.

31      Ce critère correspond à l’idée sur laquelle repose le système de protection mis en œuvre par la directive, à savoir que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir, notamment, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, point 39, et du 21 février 2013, Banif Plus Bank, C‑472/11, point 19).

32      Cette protection est particulièrement importante dans le cas d’un contrat de bail d’habitation conclu entre, d’une part, un particulier agissant à des fins privées et, d’autre part, un professionnel des questions immobilières. Les conséquences de l’inégalité existant entre les parties sont en effet aggravées par le fait que, d’un point de vue économique, un tel contrat concerne un besoin essentiel du consommateur, à savoir celui de se procurer un logement, et porte sur des sommes qui représentent le plus souvent, pour le locataire, l’un des postes les plus importants de son budget, tandis que, d’un point de vue juridique, il s’agit d’un contrat qui s’insère, en règle générale, dans une réglementation nationale complexe, souvent mal connue des particuliers.

33      Il convient toutefois de relever que, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive, les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives du droit national ne sont pas soumises aux dispositions de celle-ci (voir arrêt du 21 mars 2013, RWE Vertrieb, C-92/11, point 25). Il appartient au juge national de vérifier si tel est le cas des clauses qui font l’objet du litige pendant devant lui.

34      Au vu des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de répondre à la première question que la directive doit être interprétée en ce sens que, sous réserve des clauses reflétant des dispositions législatives ou réglementaires impératives prévues par le droit national, ce qu’il appartient au juge national de vérifier, elle s’applique à un contrat de bail à usage d’habitation, conclu entre un bailleur agissant dans le cadre de son activité professionnelle et un locataire agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.

 Sur la deuxième question

35      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, au regard de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 6 de la directive, cette dernière doit être interprétée en ce sens que les règles assurant sa transposition dans le droit national doivent recevoir le traitement procédural réservé, dans l’ordre juridique interne, aux normes d’ordre public, de sorte que le juge national a l’obligation d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle et, le cas échéant, d’annuler cette dernière.

36      Cette question comporte deux branches, la première étant relative à l’obligation, pour le juge national, de relever d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle, la seconde ayant trait aux conséquences à tirer par le juge national de la constatation d’un tel caractère abusif.

 Sur l’obligation de relever d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle

37      Il ressort du dossier dont dispose la Cour que la première branche de la deuxième question est liée à l’existence, dans le droit national, d’une règle qui impose au juge national statuant en appel de s’en tenir, en principe, aux griefs présentés par les parties et de fonder sa décision sur ces derniers, mais qui lui permet cependant d’appliquer d’office les dispositions d’ordre public.

38      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la directive, selon lequel les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, constitue une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir, notamment, arrêts précités Banco Español de Crédito, point 40, et Banif Plus Bank, point 20).

39      Afin d’assurer la protection recherchée par la directive, la Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que la situation d’inégalité existant entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (voir, notamment, arrêts précités Banco Español de Crédito, point 41, et Banif Plus Bank, point 21 ainsi que la jurisprudence citée).

40      C’est en raison de cette considération que la Cour a jugé que le juge national est tenu, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel (voir, notamment, arrêts précités Banco Español de Crédito, point 42, et Banif Plus Bank, point 22).

41      Par conséquent, le rôle qui est attribué par le droit de l’Union au juge national dans le domaine considéré ne se limite pas à la simple faculté de se prononcer sur le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, mais comporte également l’obligation d’examiner d’office cette question, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir, notamment, arrêts précités Banco Español de Crédito, point 43, et Banif Plus Bank, point 23).

42      S’agissant de la mise en œuvre de ces obligations par un juge national statuant en appel, il convient de rappeler que, en l’absence de réglementation par le droit de l’Union, les modalités des procédures d’appel destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts précités Banco Español de Crédito, point 46, et Banif Plus Bank, point 26).

43      En ce qui concerne le principe d’équivalence, auquel se réfère implicitement la deuxième question préjudicielle, il convient de souligner que, ainsi qu’il a été rappelé au point 38 du présent arrêt, l’article 6, paragraphe 1, de la directive constitue une disposition ayant un caractère impératif. Il importe en outre de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, cette directive, dans son intégralité, constitue une mesure indispensable à l’accomplissement des missions confiées à l’Union et, en particulier, au relèvement du niveau et de la qualité de vie dans l’ensemble de cette dernière (voir arrêts du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08, Rec. p. I‑4713, point 26, et Banco Español de Crédito, précité, point 67).

44      La Cour a d’ailleurs jugé que, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive assure aux consommateurs, l’article 6 de celle-ci doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public (voir arrêt du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, Rec. p. I‑9579, point 52, et ordonnance du 16 novembre 2010, Pohotovost’, C‑76/10, Rec. p I‑11557, point 50). Il y a lieu de considérer que cette qualification s’étend à toutes les dispositions de la directive qui sont indispensables à la réalisation de l’objectif poursuivi par ledit article 6.

45      Il en découle que, lorsque le juge national est compétent, selon les règles de procédure internes, pour examiner d’office la validité d’un acte juridique au regard des règles nationales d’ordre public, ce qui, selon les indications fournies dans la décision de renvoi, est le cas dans le système juridictionnel néerlandais du juge statuant en appel, il doit également exercer cette compétence aux fins d’apprécier d’office, au regard des critères édictés par la directive, le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle entrant dans le champ d’application de cette dernière.

46      Il convient de rappeler qu’une telle obligation incombe également au juge national lorsqu’il dispose, dans le cadre du système juridictionnel interne, d’une simple faculté d’apprécier d’office la contrariété entre une telle clause et les règles nationales d’ordre public (voir arrêt Asturcom Telecomunicaciones, précité, point 54 et la jurisprudence citée).

 Sur les conséquences à tirer par le juge national de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle

47      Il ressort du dossier dont dispose la Cour que la seconde branche de la deuxième question est liée à l’existence, dans le droit national, d’une règle selon laquelle le juge national ne peut pas, en principe, annuler une clause abusive si le consommateur n’a pas invoqué la nullité de celle-ci. Le juge peut toutefois annuler d’office une clause contraire à l’ordre public ou à une disposition légale contraignante, lorsque cette dernière a une portée justifiant une telle sanction.

48      Il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, premier membre de phrase, de la directive exige que les États membres prévoient que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, «dans les conditions fixées par leurs droits nationaux».

49      La Cour a interprété cette disposition en ce sens que le juge national doit tirer toutes les conséquences qui, selon le droit national, découlent de la constatation du caractère abusif de la clause en cause afin de s’assurer que le consommateur n’est pas lié par celle-ci (arrêts précités Banco Español de Crédito, point 63, et Banif Plus Bank, point 27). À cet égard, la Cour a précisé que, lorsque le juge national considère une clause contractuelle comme abusive, il est tenu de ne pas l’appliquer, sauf si le consommateur s’y oppose (voir arrêt Pannon GSM, précité, point 35).

50      Il découle de cette jurisprudence que la pleine efficacité de la protection prévue par la directive requiert que le juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause puisse tirer toutes les conséquences de cette constatation, sans attendre que le consommateur, informé de ses droits, présente une déclaration demandant que ladite clause soit annulée (arrêt Banif Plus Bank, précité, points 28 et 36).

51      Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 43 et 44 du présent arrêt, il s’ensuit que, dès lors que le juge national a le pouvoir, selon les règles de procédure internes, d’annuler d’office une clause contraire à l’ordre public ou à une disposition légale contraignante dont la portée justifie cette sanction, ce qui, selon les indications fournies dans la décision de renvoi, est le cas dans le système juridictionnel néerlandais propre au juge statuant en appel, il doit également annuler d’office une clause contractuelle dont il a constaté le caractère abusif au regard des critères édictés par la directive.

52      Dans ce contexte, il convient de rappeler que le principe du contradictoire impose, en règle générale, au juge national qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause d’en informer les parties au litige et de leur donner la possibilité d’en débattre contradictoirement, selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure (arrêt Banif Plus Bank, précité, points 31 et 36).

53      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que la directive doit être interprétée en ce sens que:

–        dès lors que le juge national, saisi d’une action introduite par un professionnel à l’encontre d’un consommateur, portant sur l’exécution d’un contrat, a le pouvoir, selon les règles de procédure internes, d’examiner d’office la contrariété entre la clause qui sert de base à la demande et les règles nationales d’ordre public, il doit de la même manière, lorsqu’il a établi que ladite clause entre dans le champ d’application de cette directive, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif de celle-ci au regard des critères édictés par ladite directive;

–        dès lors que le juge national a le pouvoir, selon les règles de procédure internes, d’annuler d’office une clause contraire à l’ordre public ou à une disposition légale contraignante dont la portée justifie cette sanction, il doit, en principe, après avoir donné aux parties la possibilité d’un débat contradictoire, annuler d’office une clause contractuelle dont il a constaté le caractère abusif au regard des critères édictés par ladite directive.

 Sur la troisième question

54      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6 de la directive peut être interprété en ce sens qu’il permet à un juge national, lorsqu’il a établi le caractère abusif d’une clause pénale, au lieu d’écarter l’application de ladite clause, de se limiter à modérer le montant de la pénalité prévue par celle‑ci, comme l’y autorise le droit national et ainsi que l’a demandé le consommateur.

55      À titre liminaire, il convient de relever que l’annexe de la directive mentionne, à son point 1, sous e), parmi les clauses qui peuvent être déclarées abusives au sens de l’article 3, paragraphe 3, de cette directive, celles qui ont pour objet ou pour effet d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé. La Cour a jugé à cet égard que, si le contenu de cette annexe n’est pas de nature à établir automatiquement et à lui seul le caractère abusif d’une clause litigieuse, il constitue, cependant, un élément essentiel sur lequel le juge compétent peut fonder son appréciation du caractère abusif de cette clause (arrêt du 26 avril 2012, Invitel, C-472/10, point 26).

56      Quant au point de savoir si le juge national, lorsqu’il a établi le caractère abusif d’une clause pénale, peut se limiter à modérer le montant de la pénalité prévue par cette clause, comme l’y autorise en l’occurrence l’article 6:94, paragraphe 1, du BW, il y a lieu de relever que l’article 6, paragraphe 1, de la directive prévoit expressément dans son second membre de phrase que le contrat conclu entre le professionnel et le consommateur restera contraignant pour les parties «selon les mêmes termes», s’il peut subsister «sans les clauses abusives».

57      La Cour a déduit de ce libellé dudit article 6, paragraphe 1, que les juges nationaux sont tenus d’écarter l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sans être habilités à réviser le contenu de celle-ci. Le contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible (arrêt Banco Español de Crédito, précité, point 65).

58      La Cour a d’ailleurs relevé que cette interprétation est corroborée, en outre, par la finalité et l’économie générale de la directive. À cet égard, elle a rappelé que, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection assurée aux consommateurs, la directive impose aux États membres, comme il ressort de son article 7, paragraphe 1, de prévoir des moyens adéquats et efficaces «afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel». Or, s’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives figurant dans de tels contrats, une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive, dès lors qu’elle affaiblirait l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives (arrêt Banco Español de Crédito, précité, points 66 à 69).

59      Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 1, de la directive ne peut être interprété comme permettant au juge national, dans le cas où il constate le caractère abusif d’une clause pénale dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de réduire le montant de la pénalité mise à la charge du consommateur au lieu d’écarter entièrement l’application de la clause en cause à l’égard de ce dernier.

60      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas au juge national, lorsqu’il a établi le caractère abusif d’une clause pénale dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de se limiter, comme l’y autorise le droit national, à modérer le montant de la pénalité mise par cette clause à la charge de ce consommateur, mais lui impose d’écarter purement et simplement l’application de ladite clause à l’égard du consommateur.

 Sur les dépens

61      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens que, sous réserve des clauses reflétant des dispositions législatives ou réglementaires impératives prévues par le droit national, ce qu’il appartient au juge national de vérifier, elle s’applique à un contrat de bail à usage d’habitation, conclu entre un bailleur agissant dans le cadre de son activité professionnelle et un locataire agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.

2)      La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens que:

–        dès lors que le juge national, saisi d’une action introduite par un professionnel à l’encontre d’un consommateur, portant sur l’exécution d’un contrat, a le pouvoir, selon les règles de procédure internes, d’examiner d’office la contrariété entre la clause qui sert de base à la demande et les règles nationales d’ordre public, il doit de la même manière, lorsqu’il a établi que ladite clause entre dans le champ d’application de cette directive, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif de celle-ci au regard des critères édictés par ladite directive;

–        dès lors que le juge national a le pouvoir, selon les règles de procédure internes, d’annuler d’office une clause contraire à l’ordre public ou à une disposition légale contraignante dont la portée justifie cette sanction, il doit, en principe, après avoir donné aux parties la possibilité d’un débat contradictoire, annuler d’office une clause contractuelle dont il a constaté le caractère abusif au regard des critères édictés par ladite directive.

3)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas au juge national, lorsqu’il a établi le caractère abusif d’une clause pénale dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de se limiter, comme l’y autorise le droit national, à modérer le montant de la pénalité mise par cette clause à la charge de ce consommateur, mais lui impose d’écarter purement et simplement l’application de ladite clause à l’égard du consommateur.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.