Language of document : ECLI:EU:C:2022:544

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 7 juillet 2022(1)

Affaire C88/21

Regionų apygardos administracinio teismo Kauno rūmai

en présence de :

Lietuvos Respublikos vidaus reikalų ministerija

[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie)]

« Renvoi préjudiciel – Système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) – Décision 2007/533/JAI – Articles 38 et 39 – Signalements concernant des objets aux fins d’une saisie ou de la preuve dans une procédure pénale – Exécution de la conduite à tenir demandée dans le signalement – Réglementation nationale interdisant l’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II – Effacement des signalements – Article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit de propriété – Proportionnalité »






I.      Introduction

1.        Le 14 juin 1985, les chefs d’État et de gouvernement d’une poignée d’États membres se retrouvaient dans une petite commune luxembourgeoise pour signer le premier accord (l’accord de Schengen) (2) jetant les fondements d’un espace européen sans contrôles aux frontières intérieures : l’espace Schengen.

2.        Au cours des années qui ont suivi, cet espace européen partagé a évolué non seulement en taille (géographiquement avec l’augmentation du nombre d’États membres parties), mais également en ce qui concerne le corpus de droit de l’Union – désigné comme l’« acquis de Schengen » (3) – qui garantit le bon fonctionnement de l’espace Schengen et assure la coopération entre les États membres.

3.        Si l’avancée vers un espace sans frontières intérieures a permis aux citoyens de l’Union européenne de se déplacer plus librement, ce développement a été accompagné, en parallèle, de la responsabilité d’établir et de maintenir un niveau élevé de sécurité sur les territoires des États membres à travers des mesures qui, d’une part, préviennent et combattent la criminalité et, d’autre part, améliorent la coordination et la coopération entre les autorités policières et judiciaires. N’est-ce pas enfoncer une porte ouverte que d’affirmer que la libre circulation peut inévitablement faciliter les activités criminelles transfrontalières ?

4.        La présente affaire concerne l’un des outils clés créés eu égard à cette responsabilité, à savoir le système d’information Schengen de deuxième génération (ci-après le « SIS II »), qui vise précisément à préserver cette sécurité et cette gestion des frontières en Europe. La Cour est invitée, dans ce contexte, à interpréter l’un des instruments principaux régissant le SIS II, à savoir la décision 2007/533/JAI sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (4), et plus spécifiquement son article 39.

5.        Cette affaire offre à la Cour l’opportunité de préciser les obligations imposées et la marge d’appréciation laissée aux autorités compétentes des États membres dans des circonstances où un signalement a été introduit dans le SIS II aux fins de la saisie d’un objet ou de son utilisation comme preuve dans une procédure pénale, mais où ce signalement n’est ensuite plus considéré pertinent.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La décision 2007/533

6.        En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2007/533 et aux fins de cette décision, on entend par :

« a)      “signalement”, un ensemble de données introduites dans le SIS II pour permettre aux autorités compétentes d’identifier une personne ou un objet en vue de tenir une conduite particulière à son égard ;

b)      “informations supplémentaires”, les informations non stockées dans le SIS II, mais en rapport avec des signalements introduits dans le SIS II, qui doivent être échangées [...]

[...] »

7.        Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2007/533, « [l]es informations supplémentaires sont échangées conformément aux dispositions d’un manuel appelé “le manuel Sirene” et au moyen de l’infrastructure de communication. [...] ».

8.        Le chapitre IX de la décision 2007/533, intitulé « Signalements concernant des objets aux fins d’une saisie ou de la preuve dans une procédure pénale », est composé des articles 38 et 39. L’article 38, intitulé « Objectifs des signalements et conditions auxquelles ils sont soumis », dispose ce qui suit :

« 1.      Les données relatives aux objets recherchés aux fins d’une saisie ou de la preuve dans une procédure pénale sont intégrées dans le SIS II.

2.      Les catégories ci-après d’objets facilement identifiables sont introduites :

a)      les véhicules à moteur d’une cylindrée supérieure à 50 cm3, les embarcations et les aéronefs [...]

[...] »

9.        D’après l’article 39 de la décision 2007/533, intitulé « Exécution de la conduite à tenir demandée dans un signalement » :

« 1.      Si une interrogation fait apparaître l’existence d’un signalement pour un objet trouvé, l’autorité qui l’a constaté se met en rapport avec l’autorité signalante afin de convenir des mesures nécessaires. [...]

2.      Les informations visées au paragraphe 1 sont communiquées grâce à l’échange d’informations supplémentaires.

3.      L’État membre qui a trouvé l’objet prend les mesures conformément à son droit national. »

10.      En vertu de l’article 45 de la décision 2007/533, qui concerne la durée de conservation des signalements concernant des objets :

« 1.      Les signalements concernant des objets introduits dans le SIS II aux fins [de la décision 2007/533] ne sont conservés que pendant le temps nécessaire à la réalisation des objectifs pour lesquels ils ont été introduits.

[...]

3.      Les signalements concernant des objets, introduits conformément à l’article 38, sont conservés pendant une durée maximale de dix ans.

[...] »

11.      D’après l’article 49, paragraphe 2, de la décision 2007/533 :

« Seul l’État membre signalant est autorisé à modifier, compléter, rectifier, mettre à jour ou effacer les données qu’il a introduites. »

2.      Le règlement (CE) no 1986/2006

12.      En vertu de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) no 1986/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, sur l’accès des services des États membres chargés de l’immatriculation des véhicules au système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (5) :

« 1.      Nonobstant les articles 38 et 40 et l’article 46, paragraphe 1, de la décision [2007/533], les services chargés, dans les États membres, de délivrer les certificats d’immatriculation des véhicules visés par la directive 1999/37/CE [du Conseil, du 29 avril 1999, relative aux documents d’immatriculation des véhicules (JO 1999, L 138, p. 57)] ont accès aux données ci-après, introduites dans le SIS II conformément à l’article 38, paragraphe 2, points a), b) et f), de la décision [2007/533], exclusivement en vue de vérifier si les véhicules qui leur sont présentés afin d’être immatriculés ont été volés, détournés ou égarés, ou sont recherchés aux fins de preuve dans une procédure pénale :

a)      les données relatives aux véhicules à moteur d’une cylindrée supérieure à 50 cm3 ;

[...]

2.      Les services visés au paragraphe 1 qui sont des services publics ont le droit d’accéder directement aux données introduites dans le SIS II. »

3.      Le manuel Sirene

13.      Dans le contexte du SIS II, et en conformité avec les dispositions posées dans la décision d’exécution (UE) 2015/219 de la Commission, du 29 janvier 2015, remplaçant l’annexe de la décision d’exécution 2013/115/UE relative au manuel Sirene et à d’autres mesures d’application pour le système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) et son annexe (ci-après le « manuel Sirene »)(6), les États membres échangent des informations supplémentaires relatives aux signalements enregistrés dans le SIS II. Pour que le SIS II fonctionne de manière efficace, cet échange d’informations est effectué par les bureaux Sirene.

14.      Le manuel Sirene a été adopté afin de faciliter le travail des bureaux Sirene, de mieux refléter les besoins opérationnels des utilisateurs du SIS II impliqués dans les opérations Sirene et d’améliorer la cohérence des procédures de travail.

15.      Le considérant 4 du manuel Sirene affirme, entre autres, que « [...] les signalements introduits dans le SIS II ne doivent être conservés que pendant le temps nécessaire à la réalisation des objectifs pour lesquels ils ont été introduits ».

16.      La section 8 du manuel Sirene couvre spécifiquement les « [s]ignalements d’objets aux fins de saisie ou de preuve (article 38 de la [décision 2007/533]) ». La section 8.4 du manuel Sirene, intitulée « Suppression des signalements concernant des objets recherchés aux fins de saisie ou de preuve dans une procédure pénale », prévoit qu’un signalement sera effacé :

« a)      dès la saisie de l’objet ou mesure équivalente, lorsque le nécessaire échange consécutif d’informations supplémentaires a eu lieu entre les bureaux Sirene ou que l’objet est désormais visé par une autre procédure judiciaire ou administrative (par exemple, une procédure judiciaire de bonne foi, une contestation de propriété ou une coopération judiciaire en matière de preuves) ;

b)      à l’expiration du signalement ; ou

c)      dès l’adoption de la décision d’effacement par l’autorité compétente de l’État membre signalant. »

17.      En vertu de la section 2.2.2 de l’appendice 2 du manuel Sirene, les autorités de l’État membre ayant trouvé l’objet doivent, en conformité avec la réglementation nationale, i) saisir l’objet ou prendre toutes les mesures provisoires nécessaires, ii) identifier la personne détenant l’objet, et iii) contacter le bureau Sirene de l’État membre signalant.

B.      Le droit lituanien

18.      D’après le point 3 des dispositions du système national lituanien d’information Schengen de deuxième génération, approuvées par arrêté no 1V‑324 du ministre de l’Intérieur lituanien, du 17 septembre 2007 (Dėl Lietuvos nacionalinės antrosios kartos Šengeno informacijos sistemos nuostatų patvirtinimo), le SIS II national (ci-après le « N.SIS II ») lituanien est établi et opère sur le fondement du droit de l’Union.

19.      Conformément au point 25 des dispositions nationales susmentionnées, l’entreprise publique Regitra se voit accorder l’accès à la liste des données N.SIS II sur les véhicules à moteur et leurs remorques recherchés, au registre national des immatriculations des véhicules, et aux documents d’immatriculation des véhicules à moteur recherchés.

20.      D’après les points 13 à 13.3 des règles d’immatriculation des véhicules à moteur et de leurs remorques, approuvées par le décret no 260 du ministre de l’Intérieur lituanien, du 25 mai 2001 (ci-après les « règles d’immatriculation »), l’entreprise publique Regitra informe la police, notamment, lorsqu’un demandeur souhaite faire immatriculer un véhicule dont le moteur ou la plaque d’immatriculation, voire le véhicule lui-même, est enregistré dans le registre des véhicules recherchés, le N.SIS II de la Lituanie.

21.      Le point 14 des règles d’immatriculation indique que, après que la police a été informée dans les cas prévus dans les points 13.1 à 13.3 de ces règles d’immatriculation, les véhicules mentionnés au point 13.1.1 desdites règles ne peuvent être immatriculés qu’après avoir été effacés du registre des véhicules recherchés, le N.SIS II.

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

22.      Le 13 novembre 2015, D.R. a acheté un véhicule en Allemagne sur le fondement d’un contrat conclu avec la société A.M. Transports. Ce véhicule a été radié une semaine plus tard du registre allemand et transporté en Lituanie où il a été revendu à un tiers.

23.      Le 22 février 2016, le nouveau propriétaire a tenté de faire immatriculer le véhicule en Lituanie, mais n’a pas été en mesure de le faire étant donné qu’un signalement avait été introduit dans le SIS II pour ce véhicule, délivré en Bulgarie le 23 décembre 2015 parce qu’il avait été prétendument volé.

24.      Les autorités lituaniennes ont informé les autorités bulgares que le véhicule avait été trouvé et qu’une enquête pénale à son égard avait été ouverte. Toutefois, par décision du 21 septembre 2016 du parquet du district de Marijampolė (Lituanie), cette enquête a été close, concluant qu’aucune infraction pénale n’avait été commise en Lituanie. Par cette même décision, le véhicule en question a été restitué à D.R. et le propriétaire du véhicule au moment du vol allégué, à savoir Nabko Holding Grup (Bulgarie), a été informé et s’est vu fournir les données personnelles de D.R.

25.      Pourtant, pendant plus de trois ans, les autorités compétentes en Bulgarie ont omis d’entreprendre la moindre action afin de radier le signalement du véhicule du SIS II.

26.      Le 20 février 2019, D.R. a demandé au bureau régional de VĮ Regitra (ci‑après « Regitra ») de procéder à l’immatriculation du véhicule en Lituanie. Ce bureau régional a néanmoins rejeté cette demande. Bien que le requérant ait formé une réclamation contre cette décision, Regitra l’a maintenue sur le fondement du point 14 des règles d’immatriculation compte tenu du fait que les données relatives à la recherche du véhicule en Bulgarie avaient été introduites dans le SIS II et continuaient à apparaître dans le système.

27.      Le requérant a alors formé un recours contre la décision de Regitra devant le Regionų apygardos administracinio teismo Kauno rūmai (tribunal administratif régional, section de Kaunas, Lituanie). Selon cette juridiction, la disposition nationale sur laquelle s’appuie Regitra pour maintenir sa décision initiale semble restreindre de manière disproportionnée le droit de propriété du propriétaire du véhicule ainsi que son droit de disposer de ladite propriété. En effet, l’interdiction d’immatriculation du véhicule s’applique pour une durée indéfinie et ne peut pas être adaptée aux circonstances spécifiques du cas individuel.

28.      C’est dans ce contexte que cette juridiction nationale a décidé de déférer l’affaire au Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) afin qu’il examine ces questions. Ce dernier partage les doutes exprimés par le Regionų apygardos administracinio teismo Kauno rūmai (tribunal administratif régional, section de Kaunas). Compte tenu du fait, en particulier, que certaines dispositions des règles d’immatriculation ont été introduites afin de garantir les objectifs de l’acquis de Schengen et de contribuer au fonctionnement général du SIS II, la juridiction de renvoi se demande si ces règles sont compatibles avec le droit de l’Union.

29.      Le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) a ainsi décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 39 de la décision [2007/533], en particulier son paragraphe 3, doit‑il être interprété comme imposant une obligation d’interdire l’immatriculation d’objets pour lesquels un signalement est introduit dans le [SIS II], en dépit du fait que le signalement n’est plus d’actualité (le véhicule étant trouvé, la procédure pénale dans l’État membre où le véhicule a été trouvé étant close en l’absence d’infraction pénale commise dans cet État membre, et l’État signalant, bien qu’informé, n’engageant pas d’actions pour radier le signalement du système) ?

2)      L’article 39 de la décision [2007/533], en particulier son paragraphe 3, doit‑il être interprété comme obligeant l’État membre ayant trouvé l’objet pour lequel le signalement est introduit sur le fondement de l’article 38, paragraphe 1, de cette décision, à prévoir des règles de droit national qui interdiraient toute action avec l’objet trouvé, sauf les actions qui permettraient d’atteindre l’objectif de l’article 38 (aux fins d’une saisie ou de la preuve dans une procédure pénale) ?

3)      L’article 39 de la décision [2007/533], notamment son paragraphe 3, doit-il être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres de prévoir une réglementation comportant des dérogations à l’interdiction d’immatriculer les véhicules pour lesquels un signalement dans le SIS [II] est introduit sur le fondement de l’article 38 de la décision, après que les autorités compétentes de l’État membre ont pris des mesures pour informer l’État signalant au sujet de l’objet trouvé ? »

30.      Les gouvernements lituanien, letton, néerlandais et portugais ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites.

IV.    Analyse

31.      Par ses trois questions préjudicielles, qu’il est opportun d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 39 de la décision 2007/533, d’une part, exige des États membres qu’ils interdisent l’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II, et, d’autre part, exclut les dérogations à une telle interdiction dans des circonstances où le signalement est considéré comme n’étant plus pertinent.

32.      Après avoir rappelé très brièvement les termes et la fonction de l’article 39 de la décision 2007/533 (section A), je me pencherai sur la première question soulevée par la juridiction de renvoi : celle de savoir si cette disposition exige des États membres qu’ils interdisent l’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II (section B). J’apporterai ensuite des précisions quant au moment où un tel signalement devrait être effacé avant de me tourner vers la deuxième question soulevée par la juridiction de renvoi : celle de savoir si le droit de l’Union fait obstacle à une réglementation nationale interdisant l’immatriculation d’un véhicule lorsqu’un signalement n’est plus pertinent ou à jour (section C).

A.      Brève introduction à l’article 39 de la décision 2007/533

33.      Le SIS II, qui est entré en application le 9 avril 2013, est un outil essentiel pour garantir un niveau élevé de sécurité au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice de l’Union, ainsi que pour assurer l’application des dispositions de l’acquis de Schengen. Afin d’atteindre ces objectifs, le système a été conçu pour permettre aux autorités de sécurité des États membres d’introduire des informations spécifiques dans le SIS II et d’échanger des informations supplémentaires de sorte que des actions spécifiques puissent être conduites. À cet égard, le SIS II contient, notamment, des signalements relatifs à certains objets comme des billets de banque, des armes à feu et des véhicules qui ont été volés, détournés ou égarés.

34.      En ce qui concerne de tels objets, un signalement peut être introduit, entre autres, à des fins de saisie ou d’utilisation comme preuve dans des procédures pénales conformément à l’article 38 de la décision 2007/533. Dans ce contexte, l’article 39 de cette décision – la disposition au cœur de la présente affaire – concerne l’action qui doit être engagée par les autorités de l’État membre qui a trouvé l’objet (ci-après l’« État membre exécutant ») pour lequel les autorités d’un autre État membre (ci-après l’« État membre signalant ») ont introduit un signalement dans le SIS II.

35.      L’article 39, paragraphe 1, de la décision 2007/533 exige des autorités de l’État membre exécutant qu’elles se mettent en rapport avec les autorités de l’État membre signalant « afin de convenir des mesures nécessaires ». Le paragraphe 3 de cette disposition exige quant à lui que l’État membre exécutant « [prenne] les mesures conformément à son droit national ».

36.      Ainsi que l’avocat général Pikamäe l’a récemment souligné, les termes de cette disposition ne sont pas un modèle de précision. Toutefois, la section 2.2.2 de l’appendice 2 du manuel Sirene – qui est supposé apporter des précisions quant à l’action qui doit être engagée par l’État membre exécutant – explique qu’une telle action est structurée autour des trois étapes suivantes : premièrement, la saisie de l’objet ou l’adoption de toutes les mesures provisoires nécessaires ; deuxièmement, l’identification de la personne détenant l’objet, et, troisièmement, la prise de contact avec le bureau Sirene de l’État membre signalant afin de convenir des mesures à prendre (7).

37.      Cela étant dit, je me pencherai à présent sur la première question soulevée par le renvoi préjudiciel, qui est de savoir si l’article 39 de la décision 2007/533 exige des États membres qu’ils interdisent l’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II.

B.      L’article 39 de la décision 2007/533 exige-t-il des États membres qu’ils interdisent l’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II ?

38.      En examinant cette question, il convient de noter d’emblée que les différentes observations présentées dans le cadre de la présente procédure contiennent des points de vue divergents quant à la manière de la résoudre. Tandis que les gouvernements lituanien et letton estiment que l’article 39 de la décision 2007/533 exige bel et bien des États membres qu’ils introduisent une réglementation à cet effet, les gouvernements néerlandais et portugais adoptent le point de vue opposé. La Commission adopte quant à elle une position quelque peu à mi-chemin : l’article 39 de la décision 2007/533 fait obstacle, du moins initialement, à l’immatriculation du véhicule. Un État membre ne serait cependant plus tenu – selon la Commission – de s’opposer à l’immatriculation du véhicule lorsque l’objectif pour lequel le signalement a été introduit dans le SIS II a été atteint.

39.      Bien que les points soulevés par les gouvernements lituanien et letton ainsi que par la Commission fassent naître des considérations pertinentes, je souscris en somme pour l’essentiel à l’opinion des gouvernements néerlandais et portugais.

40.      Il convient, pour commencer, d’avoir à l’esprit que, d’après une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (8).

41.      Il est indiscuté dans la présente affaire que l’article 39 de la décision 2007/533 est formulé en des termes larges et généraux. En fait, il en va également ainsi pour la section 2.2.2 de l’appendice 2 du manuel Sirene qui, comme je l’ai noté au point 36 des présentes conclusions, précise l’action exacte que les autorités de l’État membre exécutant doivent engager avant de se mettre en rapport avec les autorités de l’État membre signalant.

42.      Aucune des deux dispositions ne fait expressément référence à une obligation des États membres d’interdire l’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II. Une telle obligation ne peut, selon moi, pas non plus être considérée comme étant implicitement prévue par ces dispositions.

43.      La section 2.2.2 de l’appendice 2 du manuel Sirene fait référence à « toutes les mesures provisoires nécessaires » à titre d’alternative à la saisie de l’objet trouvé, tandis que l’article 39, paragraphe 1, de la décision 2007/533 fait simplement référence aux « mesures nécessaires » à convenir avec l’État membre signalant. Les mesures provisoires à adopter unilatéralement par l’État membre exécutant sont donc uniquement envisagées comme un substitut à la saisie (indéniablement plus efficace) de l’objet en question, alors que les mesures à adopter à la suite de l’échange d’informations entre les autorités des États membres exécutant et signalant sont celles qui ont été convenues par ces autorités.

44.      L’existence d’une marge de manœuvre significative pour l’État membre exécutant dans ce contexte est en outre confirmée par l’article 39, paragraphe 3, de la décision 2007/533 aux termes duquel les mesures à prendre doivent l’être « conformément [au] droit national ».

45.      Je ne vois donc aucun élément textuel à l’article 39 de la décision 2007/533 qui viendrait suggérer, expressément ou implicitement, qu’il existe une obligation pour l’État membre exécutant d’adopter certaines mesures spécifiques allant au-delà de la possible saisie de l’objet (ou de mesures équivalentes) et de l’identification de la personne qui détient l’objet. En particulier, rien n’indique qu’il y aurait une obligation des États membres d’interdire l’immatriculation de véhicules pour lesquels un signalement a été introduit dans le SIS II (9).

46.      Cette conclusion semble corroborée par l’interprétation systémique des dispositions pertinentes du droit de l’Union et des pièces de législation de l’Union y afférentes.

47.      Premièrement, aucune disposition et aucun considérant de la décision 2007/533 ne prévoit de détail supplémentaire quant à la manière dont les États membres sont supposés (voire peuvent) se conformer à leur obligation de « [prendre] les mesures conformément à [leur] droit national » en vertu de l’article 39 de cette décision. En outre, ainsi que je l’ai déjà observé, le manuel Sirene ne contient pas la moindre indication à cet effet au-delà de ce qui est prévu dans la section 2.2.2 (10).

48.      Deuxièmement, ainsi que l’a suggéré le gouvernement néerlandais, il est utile de se tourner vers le règlement no 1986/2006 puisqu’il s’agit du règlement qui accorde aux services responsables, dans les États membres, de la délivrance des certificats d’immatriculation des véhicules l’accès aux données introduites dans le SIS II. L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, lu en combinaison avec son considérant 8, explique qu’un tel accès est accordé aux services compétents « en vue de vérifier si les véhicules qui leur sont présentés afin d’être immatriculés ont été volés, détournés ou égarés, ou sont recherchés aux fins de preuve dans une procédure pénale ». Si, par conséquent, le législateur de l’Union avait souhaité empêcher ces autorités d’immatriculer un véhicule pour lequel elles avaient relevé un signalement dans le SIS II, il aurait sans doute posé expressément une disposition à cet effet dans ce règlement.

49.      Il me semble donc que le législateur de l’Union a fait le choix conscient de ne pas introduire de détail spécifique quant aux mesures exactes que les États membres doivent adopter aux fins de l’exécution d’un signalement introduit dans le SIS II en vertu de l’article 38 de la décision 2007/533. Le législateur entendait laisser une grande marge d’appréciation aux États membres à cet égard.

50.      Dans ces circonstances et compte tenu de ce pouvoir d’appréciation, j’observe qu’un certain nombre d’États membres autorisent dans les faits, ou du moins n’interdisent pas expressément, l’immatriculation de véhicules même lorsqu’un signalement pour un tel véhicule a été introduit dans le SIS II. L’immatriculation est après tout simplement le processus formel de détermination du propriétaire ou utilisateur d’un véhicule, en grande partie à des fins de fiscalité ou de détection d’infractions à la loi.

51.      Toutefois, les gouvernements lituanien et letton soutiennent qu’une interprétation plus rigoureuse de l’article 38 de la décision 2007/533 serait plus conforme aux objectifs généraux poursuivis par cette décision et que l’interprétation suggérée dans les présentes conclusions priverait en partie l’article 39 de la décision 2007/533 de son effectivité.

52.      À cet égard, il faut reconnaître qu’une mesure nationale qui interdit l’immatriculation de véhicules pour lesquels un signalement a été délivré semble susceptible de contribuer à assurer « un niveau élevé de sécurité dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice de l’Union européenne », celui-ci étant l’objectif général du SIS II (11). Une telle mesure semble de même susceptible de renforcer l’effectivité des signalements introduits dans le SIS II conformément à l’article 38 de la décision 2007/533.

53.      En effet, si une règle nationale contenant une interdiction absolue d’immatriculer un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II n’est pas une mesure visant directement à la saisie de ce véhicule ou à son utilisation comme preuve dans une procédure pénale, une telle mesure peut néanmoins aider à prévenir que le véhicule en question soit utilisé ou vendu, minimisant ainsi le risque que ce véhicule échappe à la saisie ou ne puisse pas être utilisé comme preuve dans une procédure pénale. C’est la raison pour laquelle une règle nationale comme celle en cause dans la présente affaire peut dans les faits venir en aide aux autorités compétentes lorsqu’il s’agit d’entreprendre les démarches nécessaires à l’exécution d’un signalement et à la réalisation des objectifs posés à l’article 38 de la décision 2007/533.

54.      Quoi qu’il en soit, ces arguments ne conduisent pas nécessairement à conclure qu’il est dans les faits impératif pour les États membres d’introduire dans leur législation nationale une règle telle que celle en cause.

55.      Au-delà des éléments textuels susmentionnés, il ne faut pas perdre de vue ce qu’est le SIS II en substance et comment il est supposé fonctionner. Le SIS II est – comme son nom l’indique sans laisser de place au doute – un système d’information (12). La décision 2007/533 est destinée à établir et à réglementer un système d’information commun (13), dont l’objectif immédiat est de « [soutenir] la coopération opérationnelle en matière pénale entre les services de police et les autorités judiciaires » (14).

56.      La décision 2007/533 est donc, fondamentalement, un instrument adopté en vue de mettre en place un système d’information et de fixer les règles nécessaires pour rendre ce système opérationnel : qui doit gérer le système ; quelles informations devraient être incluses et comment ; quand les informations devraient être ajoutées et effacées ; et ainsi de suite. La philosophie sous-tendant le SIS II est simple : les autorités nationales devraient échanger les informations et établir une coopération.

57.      A contrario, l’objet de la décision 2007/533 n’est pas de poser des règles matérielles sur ce que les autorités nationales doivent faire au-delà de ce qui est expressément contenu dans l’appendice 2 du manuel Sirene, à savoir i) saisir l’objet (ou adopter des mesures provisoires équivalentes) et identifier la personne détenant cet objet, et ii) coopérer avec les autorités au niveau approprié.

58.      De telles règles ne sont pas harmonisées par le droit de l’Union, mais sont au contraire entièrement gouvernées par le droit national (15). Il en est ainsi même lorsque de telles règles sont susceptibles de i) contribuer à l’objectif d’assurer un niveau élevé de sécurité au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, ou de ii) renforcer l’effectivité des signalements introduits dans le SIS II.

59.      En ce qui concerne le dernier aspect, j’ajouterai simplement que, dans le système de l’Union, le principe d’effectivité implique avant toute chose que l’interprétation des règles de l’Union devrait assurer un minimum d’effectivité afin d’éviter de réduire l’existence de ces dernières à une pure formalité et d’exclure les interprétations conduisant à des résultats absurdes ou inappropriés. Le principe d’effectivité ne devrait pas être compris comme un moyen de maximiser la portée et l’efficacité des règles de l’Union, tout spécialement lorsque faire ainsi va au-delà des intentions claires du législateur de l’Union (16).

60.      En conclusion, j’estime que l’article 39 de la décision 2007/533 n’exige pas des États membres qu’ils interdisent l’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II.

61.      Il me semble néanmoins tout aussi clair qu’il n’y a rien dans la décision 2007/533 qui, du moins en principe, interdise aux États membres d’introduire une règle à cet effet. Ainsi que je l’ai indiqué aux points 52 et 53 des présentes conclusions, une telle mesure peut en effet assurer que les objets mentionnés dans un signalement puissent, une fois trouvés, être par la suite saisis ou utilisés comme preuve dans une procédure pénale, contribuant ainsi à la réalisation des objectifs généraux poursuivis par l’établissement du SIS II.

62.      Toutefois, comme toute règle ou mesure nationale adoptée en vue de mettre en œuvre la législation de l’Union au niveau national, une telle règle doit être compatible avec les autres règles et principes découlant du droit de l’Union dans un sens plus large, dont la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

63.      Ce dernier point m’amène à la question de savoir si ce qui précède vaut également dans des circonstances où le signalement introduit dans le SIS II est considéré ne plus être pertinent dans la mesure où l’objectif pour lequel il a été introduit a été atteint.

C.      L’article 39 empêche-t-il les États membres d’interdire l’immatriculation d’un véhicule lorsqu’un signalement dans le SIS II est considéré ne plus être pertinent ?

64.      Il convient de rappeler qu’il appartient aux seules juridictions nationales d’apprécier et d’établir les circonstances matérielles de la présente affaire. Il ressort clairement de son ordonnance que la juridiction de renvoi estime que le signalement introduit dans le SIS II pour le véhicule en cause n’est plus pertinent.

65.      Dans l’hypothèse où une telle prémisse serait correcte, la juridiction de renvoi souligne qu’une règle nationale qui impose une interdiction absolue d’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II, et qui ne peut pas être adaptée aux circonstances individuelles spécifiques, par exemple, lorsque le signalement n’est plus pertinent ou à jour, soulève des questions tenant à la compatibilité de cette règle nationale avec le droit de l’Union, et en particulier avec le droit de propriété ainsi qu’avec le principe de proportionnalité.

66.      Afin de fournir à la juridiction nationale une réponse aussi utile que possible, j’examinerai tout d’abord la question du moment où un signalement devrait être effacé (sous-section 1), avant d’examiner si ces observations de la juridiction de renvoi sont bien fondées (sous-section 2).

1.      Effacer un signalement

67.      L’article 45 de la décision 2007/533 stipule la durée de conservation des signalements concernant les objets. Il découle de cette disposition, lue à l’aune du considérant 13 de cette décision, que les signalements ne doivent être conservés que pendant le temps nécessaire à la réalisation des objectifs pour lesquels ils ont été introduits. Dès que les conditions pour le maintien d’un signalement ne sont plus remplies, l’État membre signalant doit effacer le signalement sans délai (17). Le manuel Sirene offre une explication quant au moment où un signalement concernant un objet a atteint son objectif et devrait être effacé (18).

68.      Cependant, il ressort clairement de l’article 39 de la décision 2007/533, et du manuel Sirene plus généralement, que la coopération via la communication – particulièrement sous la forme i) d’un contact initial afin de convenir des mesures à prendre, et ii) d’une communication additionnelle à travers l’échange d’informations supplémentaires – est indispensable à l’exécution d’un signalement et nécessaire pour atteindre l’objectif pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II.

69.      Est-il nécessaire de souligner que communiquer la localisation de l’objet à l’État membre signalant n’équivaut pas à parvenir à un accord quant aux mesures à prendre ? La communication de telles informations équivaut simplement à une étape (l’étape initiale) dans l’ensemble du processus. À cet égard, il est légitime pour les autorités de l’État membre exécutant de s’attendre à ce que, après la prise de contact, les autorités de l’État membre signalant répondent afin que les actions supplémentaires puissent être engagées pour atteindre l’objectif pour lequel le signalement a été introduit dans le SIS II pour commencer.

70.      Si une telle coopération a lieu, l’objet en question sera probablement remis aux autorités de l’État membre signalant après sa saisie initiale. Dans ce contexte, l’objectif du signalement sera considéré satisfait et ce signalement devra ainsi être effacé.

71.      Il existe cependant inévitablement des circonstances dans lesquelles les autorités de l’État membre exécutant initient la coopération – souvent après avoir saisi l’objet en question – en se mettant en rapport avec les autorités de l’État membre signalant, mais où ces dernières ne répondent pas ou n’engagent aucune action.

72.      En fait, d’après les informations fournies par la juridiction de renvoi, il semble que l’affaire au principal pourrait illustrer ce point (19). En effet, après avoir trouvé le véhicule en question, les autorités lituaniennes ont contacté les autorités bulgares afin de déterminer les mesures appropriées à prendre. Il me semble néanmoins comprendre qu’en dépit du laps de temps important s’étant écoulé depuis, les autorités bulgares n’ont jusqu’à présent pas réagi.

73.      Dans ces circonstances, une juridiction nationale pourrait, selon moi, tout à fait adopter le point de vue selon lequel l’objectif poursuivi par un signalement introduit dans le SIS II a, du moins en partie, été atteint. En effet, les autorités de l’État membre exécutant ont réagi à un signalement et ont pris contact avec leurs homologues dans l’État membre signalant. La coopération entre les autorités nationales respectives a ainsi été rendue possible.

74.      Le système de signalement au cœur du SIS II repose sur le principe de la confiance mutuelle qui est la pierre angulaire de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (20). Cette confiance mutuelle implique que les autorités de l’État membre signalant sont, en principe, celles qui sont compétentes pour décider si un signalement introduit dans le SIS II est pertinent et à jour. Les autorités de l’État membre exécutant doivent, à titre de règle générale, avoir confiance dans le fait que tel est le cas et elles ne peuvent en principe pas remettre cela en cause en décidant d’ignorer un tel signalement.

75.      Cela étant dit, la confiance mutuelle ne peut pas devenir une forme de confiance aveugle (21). Par conséquent, lorsque les autorités de l’État membre exécutant contactent leurs homologues, remplissant ainsi leur obligation de coopération loyale, mais que les autorités de l’État membre signalant ne réagissent pas dans un délai raisonnable – en l’occurrence trois ans –, les autorités de l’État membre exécutant devraient être en mesure de considérer que le signalement en question n’est plus pertinent et qu’elles peuvent l’ignorer (22).

76.      Il n’en demeure pas moins que, en vertu de l’article 49, paragraphe 2, de la décision 2007/533, seul l’État membre qui a émis le signalement peut l’effacer. Les autorités de l’État membre exécutant ne peuvent pas, en tant que telles, le faire et aussi longtemps que ce signalement demeure dans le système elles sont tenues de prendre les mesures prévues dans la législation pertinente de l’Union.

77.      Toutefois, rien n’empêche les autorités de l’État membre exécutant d’amender et/ou modifier, selon les circonstances de l’affaire, les mesures adoptées en vue d’exécuter un signalement, mais qui ne sont requises par aucune disposition du droit de l’Union. Tel est le cas, ainsi que je l’ai expliqué auparavant, pour une règle nationale comme celle en cause ici. Il serait par conséquent entièrement possible pour ces autorités de décider, après avoir contacté celles qui ont introduit le signalement en question, et lorsque ces dernières n’ont pas répondu dans un délai raisonnable, qu’une interdiction d’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II ne devrait plus être appliquée si elles parviennent à la conclusion que ce signalement n’est plus pertinent bien qu’il demeure dans le système (23).

78.      En tout état de cause, la juridiction de renvoi se demande, en substance, si un État membre est tenu de lever une interdiction d’immatriculation d’un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II lorsqu’il parvient à la conclusion que ce signalement n’est plus pertinent bien qu’il demeure dans le système. En d’autres termes, la juridiction de renvoi demande si le droit de l’Union fait obstacle à une règle nationale interdisant l’immatriculation d’un objet comme un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II, lorsque le signalement est considéré comme n’étant plus pertinent.

79.      À cet égard, je souscris à la position de la juridiction de renvoi selon laquelle une telle règle peut en effet faire naître un certain nombre d’inquiétudes quant au droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte et en vertu duquel toute personne a le droit de posséder ses biens légalement acquis, de les utiliser et d’en disposer. Je me tourne donc à présent vers cette question.

2.      Le droit de propriété et la proportionnalité

80.      Il convient avant tout de rappeler que les droits fondamentaux consacrés par la Charte sont contraignants pour les États membres lorsqu’ils agissent dans le champ d’application du droit de l’Union (24). La règle nationale en cause, qui lie l’immatriculation d’un véhicule à un signalement introduit dans le SIS II, en vertu de dispositions spécifiques de la décision 2007/533, ainsi que les règles posées dans le manuel Sirene, relève naturellement du champ d’application du droit de l’Union. Cette règle doit en tant que telle se conformer aux droits fondamentaux consacrés par la Charte.

81.      Cela étant dit, je parviens aisément à la conclusion qu’une règle nationale comme celle en cause ici constitue une restriction du droit de propriété. En effet, du fait de cette règle, une personne qui possède un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II pourrait être dans l’impossibilité de l’utiliser ou d’en disposer comme elle l’entend (25).

82.      En vertu de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, des limitations peuvent néanmoins être imposées à l’exercice des droits qui y sont reconnus tant que les limitations sont prévues par la loi, respectent le contenu essentiel de ces droits et de ces libertés, et, dans le respect du principe de proportionnalité, sont nécessaires et répondent effectivement aux objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protéger les droits et libertés d’autrui.

83.      Ainsi que je l’ai déjà noté, une telle règle nationale pourrait faciliter l’exécution d’un signalement dans la mesure où l’interdiction qui y est prévue aide à minimiser le risque que le véhicule en question échappe à la saisie ou ne puisse pas être utilisé comme preuve dans une procédure pénale.

84.      Il convient de rappeler que les signalements introduits dans le SIS II en vertu de l’article 38 de la décision 2007/533 concernent des objets qui ont souvent été volés, détournés ou égarés, ou pourraient même constituer un danger pour la société en général, par exemple dans le cas des armes à feu. L’exécution de tels signalements est ainsi réalisée de sorte qu’un objet particulier puisse être saisi ou utilisé comme preuve dans une procédure pénale dans l’intérêt général du public. En effet, la saisie d’objets dangereux réduit le risque qu’ils se retrouvent dans les rues en Europe tandis que la saisie et l’utilisation comme preuve dans une procédure pénale d’objets qui ont été volés ou détournés aident à assurer la justice pour les victimes de crimes.

85.      Il fait donc peu de doute qu’une règle nationale qui empêche l’immatriculation d’un véhicule jusqu’à ce que le signalement concernant cet objet ne soit plus dans le SIS II est adoptée dans l’intérêt du public et vise à contribuer aux objectifs généraux d’intérêt général poursuivis par l’Union, en particulier dans les domaines de liberté, de sécurité et de justice.

86.      Quoi qu’il en soit, j’estime que – en raison de certaines caractéristiques – une règle comme celle en cause ici pourrait générer des atteintes inutiles et disproportionnées au droit de propriété de certaines personnes.

87.      En effet, la règle nationale en cause s’applique ad infinitum. En d’autres termes, la restriction qui y est prévue quant au moment où un véhicule peut être immatriculé peut être imposée pour une période indéfinie dans le temps parce que, aussi longtemps qu’un signalement pour un véhicule particulier introduit dans le SIS II demeure dans le système, il est tout simplement impossible d’immatriculer le véhicule en question en Lituanie.

88.      En outre, cette règle nationale ne peut pas être adaptée aux circonstances individuelles spécifiques comme le fait qu’un signalement n’est plus pertinent. Elle n’offre donc pas aux autorités décidant de l’immatriculation d’un véhicule la possibilité de décider de l’applicabilité de cette restriction.

89.      Selon moi, une règle nationale comme celle en cause ici va au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis et elle affecte de manière disproportionnée le droit de propriété des personnes qui se retrouvent dans une situation comme celle de la présente affaire, dans laquelle l’objectif pour lequel le signalement concernant un véhicule a été introduit dans le SIS II a été rempli et où par conséquent le signalement aurait dû être effacé par l’État membre signalant, mais qu’une telle action n’est pas intervenue.

90.      Lorsque de telles circonstances se présentent, il devient difficile de considérer qu’une telle limitation du droit de propriété – sous la forme de la règle nationale en l’état actuel – demeure nécessaire aux fins d’exécuter ce signalement, ou plus généralement par rapport aux objectifs et au bon fonctionnement du SIS II.

91.      L’impossibilité pour la personne d’utiliser un véhicule ou d’en disposer comme elle l’entend en raison du fait qu’un signalement concernant cet objet est encore enregistré dans le SIS II me semble porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété de cette personne lorsque la raison pour laquelle ce signalement demeure dans le système est due à l’omission des autorités de l’État membre signalant de répondre à et de coopérer avec les autorités de l’État membre qui ont trouvé l’objet en question.

92.      Je suis par conséquent amené à conclure qu’une règle nationale qui pose une interdiction absolue et indéfinie à l’immatriculation d’un véhicule va au-delà de ce qui est nécessaire et constitue une atteinte disproportionnée au droit de propriété consacré par l’article 17 de la Charte lorsque le signalement introduit dans le SIS II n’est objectivement plus pertinent bien qu’il demeure dans le système.

V.      Conclusion

93.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) :

–        L’article 39 de la décision 2007/533/JAI du Conseil, du 12 juin 2007, sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) n’exige pas des États membres qu’ils interdisent, sans pour autant les empêcher d’interdire, l’immatriculation d’un objet comme un véhicule pour lequel un signalement a été introduit dans le SIS II.

–        L’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’oppose à une règle nationale qui pose une interdiction absolue et indéfinie à l’immatriculation d’un véhicule, même dans des circonstances dans lesquelles un signalement introduit dans le SIS II demeure dans le système en dépit du fait qu’il est considéré comme n’étant plus pertinent.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Accord entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen le 14 juin 1985 (JO 2000, L 239, p. 13) (ci-après l’« accord de Schengen »).


3      L’acquis de Schengen fait référence à une série de règles, dispositions législatives et décisions jurisprudentielles formant le socle de l’espace Schengen permettant son bon fonctionnement. Voir, en particulier, l’accord de Schengen et l’acquis de Schengen – Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19).


4      Décision du Conseil du 12 juin 2007 (JO 2007, L 205, p. 63). Par souci d’exhaustivité, il convient de mentionner l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2018/1862 du Parlement européen et du Conseil, du 28 novembre 2018, sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine de la coopération policière et de la coopération judiciaire en matière pénale, modifiant et abrogeant la décision 2007/533/JAI du Conseil, et abrogeant le règlement (CE) no 1986/2006 du Parlement européen et du Conseil et la décision 2010/261/UE de la Commission (JO 2018, L 312, p. 56), abrogeant et remplaçant un certain nombre d’actes de droit dérivé dont cette décision. La décision 2007/533 est néanmoins applicable à l’affaire au principal ratione temporis.


5      JO 2006, L 381, p. 1.


6      JO 2015, L 44, p. 75. « Sirene » est un acronyme utilisé pour définir la structure du SIS II pour l’échange des informations supplémentaires (Supplementary Information Request at the National Entries).


7      Conclusions dans l’affaire Nachalnik na Rayonno upravlenie Silistra pri Oblastna direktsia na Ministerstvo na vatreshnite raboti (C‑520/20, EU:C:2022:12, point 32).


8      Voir, à cet égard, arrêts du 19 décembre 2013, Koushkaki (C‑84/12, EU:C:2013:862, point 34), et du 16 novembre 2016, Hemming e.a. (C‑316/15, EU:C:2016:879, point 27).


9      Voir, par analogie, arrêt du 16 juin 2022, Nachalnik na Rayonno upravlenie Silistra pri Oblastna direktsia na Ministerstvo na vatreshnite raboti (C‑520/20, EU:C:2022:466, points 51 à 53).


10      Voir points 36 et 41 des présentes conclusions.


11      Voir article 1er, paragraphe 2, de la décision 2007/533.


12      Voir aussi considérant 4 de la décision 2007/533.


13      Voir considérant 33 de la décision 2007/533.


14      Voir considérant 5 de la décision 2007/533.


15      Voir, mutatis mutandis, conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire Nachalnik na Rayonno upravlenie Silistra pri Oblastna direktsia na Ministerstvo na vatreshnite raboti (C‑520/20, EU:C:2022:12, point 46).


16      Sur cette question, voir de manière générale Pescatore, P., « Monisme, dualisme et “effet utile” dans la jurisprudence de la Cour de justice de la Communauté européenne », dans Colneric, N., e.a. (éd.), Une Communauté de droit : Festschrift für Gil Carlos Rodríguez Iglesias, Berlin, 2003, p. 340.


17      Voir aussi section 2.9 du manuel Sirene.


18      D’après la section 8.4 du manuel Sirene, un signalement sera effacé dès a) la saisie de l’objet ou mesure équivalente, lorsque le nécessaire échange consécutif d’informations supplémentaires a eu lieu entre les bureaux Sirene ou que l’objet est désormais visé par une autre procédure judiciaire ou administrative ; b) l’expiration du signalement, ou c) l’adoption d’une décision d’effacement par l’autorité compétente de l’État membre signalant.


19      Voir, à cet égard, points 25 et 26 des présentes conclusions.


20      Voir, par analogie, arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 78 et 79).


21      Lenaerts, K., « La vie après l’avis : Exploring the principle of mutual (yet not blind) trust », Common Market Law Review, vol. 54, 2017, p. 805 à 840.


22      Voir, par analogie, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a. (C‑359/16, EU:C:2018:63, points 59 et 60).


23      Je recommanderais bien entendu à ces autorités d’être particulièrement prudentes dans leur appréciation de cet élément. En effet, il n’est pas inimaginable que le bureau Sirene de l’État membre signalant nécessite dans certains cas un certain temps pour répondre au bureau Sirene de l’État membre exécutant. Il pourrait en effet être nécessaire d’obtenir une réponse et/ou de se coordonner avec différentes branches de l’administration nationale. Il serait donc préférable de laisser suffisamment de temps et probablement d’envoyer un ou plusieurs « rappels » à ces autorités avant de considérer qu’un signalement n’est plus pertinent du fait du silence persistent des autorités de l’État membre signalant.


24      Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 21).


25      Dans la présente affaire, il semblerait que la juridiction de renvoi ait établi que D.R. n’a pas commis d’infraction pénale et n’était donc pas impliqué dans le vol allégué du véhicule en question, mais l’a au contraire acquis légalement. D.R. peut donc invoquer l’article 17 de la Charte à l’égard de ce véhicule.