Language of document : ECLI:EU:C:2023:869

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

16 novembre 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Travailleurs migrants – Sécurité sociale – Législation applicable – Règlement (CE) no 987/2009 – Articles 5, 6 et 16 – Certificat A 1 – Inexactitude des mentions – Retrait d’office – Obligation de l’institution émettrice d’engager une procédure de dialogue et de conciliation avec l’institution compétente de l’État membre d’accueil – Absence »

Dans l’affaire C‑422/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), par décision du 27 avril 2022, parvenue à la Cour le 22 juin 2022, dans la procédure

Zakład Ubezpieczeń Społecznych Oddział w Toruniu

contre

TE,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl, J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le Zakład Ubezpieczeń Społecznych Oddział w Toruniu, par Mme J. Jaźwiec-Blecharczyk, radca prawny,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement belge, par M. S. Baeyens et Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par M. R. Bénard et Mme A. Daniel, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Brauhoff et M. D. Martin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6 et 16 du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci-après le « règlement no 987/2009 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Zakład Ubezpieczeń Społecznych Oddział w Toruniu (Institut des assurances sociales, antenne de Toruń, Pologne) (ci-après le « ZUS ») à TE au sujet de la décision du ZUS de retirer à TE le certificat A 1 attestant la soumission de celui-ci à la législation polonaise en matière de sécurité sociale pour la période allant du 22 août 2016 au 21 août 2017.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement no 883/2004

3        Le titre II du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement no 465/2012 (ci-après le « règlement no 883/2004 »), intitulé « Détermination de la législation applicable », comporte les articles 11 à 16 de celui-ci.

4        L’article 11 du règlement no 883/2004 prévoit :

« 1.      Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.

[...]

3.      Sous réserve des articles 12 à 16 :

a)      la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;

[...] »

5        L’article 13 de ce règlement, intitulé « Exercice d’activités dans deux ou plusieurs États membres », dispose, à son paragraphe 2 :

« La personne qui exerce normalement une activité non salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise :

a)      à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre,

ou

b)      à la législation de l’État membre dans lequel se situe le centre d’intérêt de ses activités, si la personne ne réside pas dans l’un des États membres où elle exerce une partie substantielle de son activité. »

6        En vertu de l’article 72, sous a), dudit règlement, la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci‑après la « commission administrative ») est chargée notamment de traiter toute question administrative ou d’interprétation découlant des dispositions du règlement no 883/2004 ou de celles du règlement no 987/2009.

7        Aux termes de l’article 76 du règlement no 883/2004, intitulé « Coopération » :

« [...]

4.      Les institutions et les personnes couvertes par le présent règlement sont tenues à une obligation mutuelle d’information et de coopération pour assurer la bonne application du présent règlement.

[...]

6.      En cas de difficultés d’interprétation ou d’application du présent règlement, susceptibles de mettre en cause les droits d’une personne couverte par celui-ci, l’institution de l’État membre compétent ou de l’État membre de résidence de l’intéressé contacte la ou les institutions du ou des États membres concernés. À défaut d’une solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées peuvent saisir la commission administrative.

[...] »

 Le règlement no 987/2009

8        Les considérants 2 et 22 du règlement no 987/2009 énoncent :

« (2)      L’organisation d’une coopération plus efficace et plus étroite entre les institutions de sécurité sociale est un facteur essentiel pour permettre aux personnes concernées par le [règlement no 883/2004] de faire valoir leurs droits dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions possibles.

[...]

(22)      L’information des personnes concernées sur leurs droits et leurs obligations est un élément essentiel d’une relation de confiance avec les autorités compétentes et les institutions des États membres. [...] »

9        Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 :

« Les institutions communiquent ou échangent dans les meilleurs délais toutes les données nécessaires à l’établissement et à la détermination des droits et des obligations des personnes auxquelles s’applique le [règlement no 883/2004]. Ces données sont transmises entre les États membres soit directement par les institutions elles-mêmes, soit par l’intermédiaire des organismes de liaison. »

10      L’article 3 du règlement no 987/2009 est libellé comme suit :

« 1.      Les États membres veillent à ce que les informations nécessaires soient mises à la disposition des personnes concernées pour leur signaler les changements apportés par le [règlement no 883/2004] et le [présent règlement] de manière à leur permettre de faire valoir leurs droits. Ils veillent en outre à la convivialité des services fournis.

2.      Les personnes auxquelles s’applique le [règlement no 883/2004] sont tenues de transmettre à l’institution concernée les informations, documents ou pièces justificatives nécessaires à l’établissement de leur situation ou à celle de leur famille, à l’établissement ou au maintien de leurs droits et obligations, ainsi qu’à la détermination de la législation applicable et des obligations qui leur incombent en vertu de celle-ci.

[...]

4.      Dans la mesure nécessaire à l’application du [règlement no 883/2004] et du [présent règlement], les institutions concernées transmettent les informations et délivrent les documents nécessaires aux personnes concernées sans tarder et, en tout état de cause, dans les délais fixés par la législation de l’État membre concerné.

[...] »

11      L’article 5 du règlement no 987/2009, intitulé « Valeur juridique des documents et pièces justificatives établis dans un autre État membre », dispose :

« 1.      Les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application du [règlement no 883/2004] et du [présent règlement], ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis.

2.      En cas de doute sur la validité du document ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution de l’État membre qui reçoit le document demande à l’institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document. L’institution émettrice réexamine ce qui l’a amenée à établir le document et, au besoin, le retire.

3.      En application du paragraphe 2, en cas de doute sur les informations fournies par les intéressés, sur le bien-fondé d’un document ou d’une pièce justificative, ou encore sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution du lieu de séjour ou de résidence procède, pour autant que cela soit possible, à la demande de l’institution compétente, à la vérification nécessaire desdites informations ou dudit document.

4.      À défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative au plus tôt un mois après la date à laquelle l’institution qui a reçu le document a présenté sa demande. La commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine. »

12      L’article 6 du règlement no 987/2009, intitulé « Application provisoire d’une législation et octroi provisoire de prestations », est libellé comme suit :

« 1.      Sauf disposition contraire du [présent règlement], lorsque les institutions ou les autorités de deux États membres ou plus ont des avis différents quant à la détermination de la législation applicable, la personne concernée est soumise provisoirement à la législation de l’un de ces États membres, [...]

[...]

2.      En cas de divergence de vues entre les institutions ou les autorités de deux États membres ou plus au sujet de la détermination de l’institution appelée à servir les prestations en espèces ou en nature, la personne concernée qui pourrait prétendre à des prestations s’il n’y avait pas de contestation bénéficie à titre provisoire des prestations prévues par la législation qu’applique l’institution de son lieu de résidence ou, si elle ne réside pas sur le territoire de l’un des États membres en cause, des prestations prévues par la législation qu’applique l’institution à laquelle la demande a été présentée en premier lieu.

3.      À défaut d’un accord entre les institutions ou autorités concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative au plus tôt un mois après la date à laquelle la divergence de vues visée aux paragraphes 1 et 2 s’est manifestée. La commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine.

[...] »

13      L’article 15 de ce règlement prescrit la procédure pour l’application de l’article 11, paragraphe 3, sous b) et d), de l’article 11, paragraphe 4, et de l’article 12 du règlement no 883/2004.

14      L’article 16 du règlement no 987/2009, intitulé « Procédure pour l’application de l’article 13 du règlement [no 883/2004] », dispose :

« 1.      La personne qui exerce des activités dans deux États membres ou plus en informe l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre de résidence.

2.      L’institution désignée du lieu de résidence détermine dans les meilleurs délais la législation applicable à la personne concernée, compte tenu de l’article 13 du [règlement no 883/2004] et de l’article 14 du [présent règlement]. Cette détermination initiale est provisoire. L’institution informe de cette détermination provisoire les institutions désignées de chaque État membre où une activité est exercée.

3.      La détermination provisoire de la législation applicable visée au paragraphe 2 devient définitive dans les deux mois suivant sa notification à l’institution désignée par les autorités compétentes des États membres concernés, conformément au paragraphe 2, sauf si la législation a déjà fait l’objet d’une détermination définitive en application du paragraphe 4, ou si au moins une des institutions concernées informe l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre de résidence, à l’expiration de cette période de deux mois, qu’elle ne peut encore accepter la détermination ou qu’elle a un avis différent à cet égard.

4.      Lorsqu’une incertitude quant à la détermination de la législation applicable nécessite des contacts entre les institutions ou autorités de deux États membres ou plus, la législation applicable à la personne concernée est déterminée d’un commun accord, à la demande d’une ou plusieurs des institutions désignées par les autorités compétentes des États membres concernés ou des autorités compétentes elles-mêmes, compte tenu de l’article 13 du [règlement no 883/2004] et des dispositions pertinentes de l’article 14 du [présent règlement].

Si les institutions ou autorités compétentes concernées ont des avis divergents, elles recherchent un accord conformément aux conditions énoncées ci-dessus, et l’article 6 du [présent règlement] s’applique.

[...] »

15      L’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 est ainsi libellé :

« À la demande de la personne concernée ou de l’employeur, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du [règlement no 883/2004] atteste que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu’à quelle date et à quelles conditions. »

16      L’article 20 du règlement no 987/2009, intitulé « Coopération entre institutions », énonce :

« 1.      Les institutions concernées communiquent à l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable à une personne en vertu du titre II du [règlement no 883/2004] les informations nécessaires pour déterminer la date à laquelle cette législation devient applicable et établir les cotisations dont cette personne et son ou ses employeurs sont redevables au titre de cette législation.

2.      L’institution compétente de l’État membre dont la législation devient applicable à une personne en vertu du titre II du [règlement no 883/2004] met à la disposition de l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre à la législation duquel la personne était soumise en dernier lieu les informations indiquant la date à laquelle l’application de cette législation prend effet. »

17      L’article 60 du règlement no 987/2009, intitulé « Procédure pour l’application des articles 67 et 68 du [règlement no 883/2004] », prévoit, à son paragraphe 4 :

« En cas de divergence de vues entre les institutions concernées au sujet de la détermination de la législation applicable en priorité, l’article 6, paragraphes 2 à 5, du [présent règlement] s’applique. À cette fin, l’institution du lieu de résidence visée à l’article 6, paragraphe 2, du [présent règlement] est l’institution du lieu de résidence du ou des enfants. »

 Le droit polonais

18      L’article 83a, paragraphe 1, de l’ustawa o systemie ubezpieczeń społecznych (loi sur l’assurance sociale), du 13 octobre 1998 (Dz. U. de 1998, no 137, position 887), dans sa version applicable aux faits au principal (Dz. U. de 2021, position 430), énonce :

« Un droit ou une obligation qui a été établi par une décision définitive de [l’institut des assurances sociales] est déterminé à nouveau à la demande de l’intéressé ou d’office si, après que la décision est devenue définitive, de nouveaux éléments de preuve sont présentés ou des circonstances existant avant l’adoption de la décision sont révélées qui affectent ce droit ou cette obligation. »

19      L’article 47714a du kodeks postępowania cywilnego (code de procédure civile) prévoit :

« La juridiction d’appel, lorsqu’elle annule un jugement et la décision de l’organisme de pension qui l’a précédé, peut renvoyer l’affaire directement à l’organisme de pension pour réexamen. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

20      TE, un entrepreneur inscrit au registre du commerce polonais et qui exerce une activité non salariée dont les revenus sont imposés en Pologne, a, le 11 août 2016, signé un contrat avec une société établie à Varsovie (Pologne) en vertu duquel il devait fournir certaines prestations de services en France, dans le cadre d’un projet déterminé, à partir du 22 août 2016 et jusqu’à la fin de ce projet.

21      Sur la base de ce contrat, un certificat A 1 a été délivré par le ZUS, au titre de l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 883/2004, attestant, en application de l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, que TE relevait de la législation polonaise en matière de sécurité sociale pour la période allant du 22 août 2016 au 21 août 2017 (ci-après la « période litigieuse »).

22      À la suite d’un réexamen d’office, le ZUS a constaté que, au cours de la période litigieuse, TE n’exerçait son activité que dans un seul État membre, à savoir la République française. Ainsi, par une décision du 1er décembre 2017 (ci–après la « décision litigieuse »), le ZUS, d’une part, a retiré ledit certificat A 1, et, d’autre part, a constaté que, conformément à l’article 11, paragraphe 3, sous a), du règlement no 883/2004, TE n’était pas soumis à la législation polonaise pendant ladite période. Considérant que la disposition pertinente pour déterminer la législation applicable à TE était non pas l’article 13 du règlement no 883/2004, mais l’article 11 de ce dernier, le ZUS a adopté cette décision sans avoir suivi préalablement la procédure visée à l’article 16 du règlement no 987/2009 en vue d’une coordination avec l’institution française compétente en ce qui concerne la détermination de la législation applicable à TE.

23      TE a formé un recours devant le Sąd Okręgowy w Toruniu (tribunal régional de Toruń, Pologne) contre la décision litigieuse. Cette juridiction a considéré, d’une part, que, au cours de la période litigieuse, TE ne travaillait pas dans un seul État membre, de telle sorte qu’il relevait de l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 883/2004, et, d’autre part, que le ZUS n’avait pas épuisé la procédure de coordination prévue aux articles 6, 15 et 16 du règlement no 987/2009 alors que cette procédure serait obligatoire aux fins de la détermination de la législation applicable. Ainsi, au cours de la procédure judiciaire, ladite juridiction a demandé au ZUS d’engager ladite procédure de coordination avec l’institution française compétente, ce que le ZUS a refusé de faire, estimant que l’engagement de la même procédure n’était pas justifié. Afin d’éviter une situation dans laquelle TE ne serait couvert par aucun régime de sécurité sociale, le Sąd Okręgowy w Toruniu (tribunal régional de Toruń) a jugé que, pendant la période litigieuse, TE était soumis à la législation polonaise et a, en conséquence, maintenu en vigueur le certificat A 1 en cause au principal.

24      Par un arrêt du 5 février 2020, le Sąd Apelacyjny w Gdańsku (cour d’appel de Gdansk, Pologne) a rejeté l’appel interjeté par le ZUS contre le jugement rendu par le Sąd Okręgowy w Toruniu (tribunal régional de Toruń), confirmant ainsi ce jugement.

25      Le ZUS s’est pourvu en cassation contre cet arrêt devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), la juridiction de renvoi, en faisant valoir que, dès lors que le retrait du certificat A 1 en cause au principal exigeait l’épuisement préalable de la procédure de coordination prévue par le règlement no 987/2009, la décision litigieuse était entachée d’une irrégularité à laquelle il ne pouvait être remédiée que dans le cadre de la procédure engagée devant le ZUS lui-même. Ainsi, les décisions judiciaires rendues par le Sąd Okręgowy w Toruniu (tribunal régional de Toruń) et par le Sąd Apelacyjny w Gdańsku (cour d’appel de Gdansk) seraient erronées au motif que ces juridictions auraient dû renvoyer l’affaire au ZUS afin que ce dernier procède au réexamen dudit certificat A 1 en collaboration avec l’institution française compétente, et non se prononcer sur la législation applicable à TE.

26      Dans ces conditions, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’institution d’un [État membre] qui a délivré le [certificat] A 1 et qui souhaite, d’office – sans que cela ait été demandé par l’institution compétente de l’État membre concerné – annuler, révoquer ou invalider le [certificat] émis est-elle tenue de mener une procédure de conciliation avec l’institution compétente de l’autre État membre, par analogie avec les règles en vigueur en application des articles 6 et 16 du [règlement no 987/2009] ?

2)      La procédure de conciliation doit-elle être menée avant même l’annulation, la révocation ou l’invalidation du [certificat] émis, ou cette annulation, révocation ou invalidation est-elle [conformément à l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 987/2009] préliminaire et provisoire, devenant définitive si l’institution concernée de [l’autre État membre] ne formule pas d’objection ou d’avis contraire sur la question ? »

 Sur les questions préjudicielles

27      À titre liminaire, il convient de relever que les articles 6 et 16 du règlement no 987/2009, mentionnés par la juridiction de renvoi dans ses questions, qui visent, respectivement, l’application provisoire d’une législation et l’octroi provisoire de prestations ainsi que la procédure pour l’application de l’article 13 du règlement no 883/2004, reprennent, en substance, les dispositions de l’article 76, paragraphe 6, de ce dernier règlement qui prévoit la procédure de dialogue et de conciliation entre les institutions compétentes des États membres concernés (ci-après la « procédure de dialogue et de conciliation »).

28      Par ailleurs, la seule disposition du droit de l’Union qui fait référence au retrait des certificats A 1 est l’article 5 du règlement no 987/2009, qui s’intitule « Valeur juridique des documents et pièces justificatives établis dans un autre État membre ».

29      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le certificat A 1 correspond à un formulaire type délivré, conformément au titre II du règlement no 987/2009, par l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre dont la législation en matière de sécurité sociale est applicable pour attester, selon les termes, notamment, de l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement, de la soumission des travailleurs se trouvant dans l’une des situations visées au titre II du règlement no 883/2004 à la législation de cet État membre (arrêt du 2 mars 2023, DRV Intertrans et Verbraeken J. en Zonen, C‑410/21 et C‑661/21, EU:C:2023:138, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

30      Or, l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 prévoit que les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application des règlements no 883/2004 et no 987/2009, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre dans lequel ils ont été établis.

31      Les paragraphes 2 et 4 de l’article 5 du règlement no 987/2009 précisent les modalités d’application de la procédure de dialogue et de conciliation aux fins de la résolution des différends entre l’institution de l’État membre qui reçoit les documents et les pièces visés au paragraphe 1 de cet article 5 et l’institution émettrice de ces documents. Plus particulièrement, les paragraphes 2 et 3 dudit article 5 précisent les démarches que ces institutions sont appelées à suivre en cas de doute sur la validité de tels documents et pièces justificatives ou sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, en imposant à l’institution émettrice de réexaminer le bien–fondé de la délivrance desdits documents et, le cas échéant, de les retirer. Le paragraphe 4 du même article 5, quant à lui, dispose que, à défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative, laquelle s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine.

32      Ainsi, il y a lieu de considérer que, par ses deux questions qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 5, 6 et 16 du règlement no 987/2009 doivent être interprétés en ce sens que l’institution émettrice d’un certificat A 1 qui, à la suite d’un réexamen d’office des éléments qui sont à la base de la délivrance de ce certificat, constate l’inexactitude de ces éléments peut retirer ledit certificat sans engager préalablement la procédure de dialogue et de conciliation avec les institutions compétentes des États membres concernés en vue de déterminer la législation nationale applicable.

33      En premier lieu, il convient de préciser qu’un certificat A 1 peut être retiré d’office par l’institution émettrice, à savoir sans être saisie d’une demande de réexamen et de retrait adressée par l’institution compétente d’un autre État membre.

34      En effet, d’une part, dès lors que l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 se réfère aux certificats A 1 « retirés », sans préciser ou limiter les hypothèses d’un tel retrait, il y a lieu de considérer que cette disposition vise toute hypothèse de retrait de tels certificats.

35      D’autre part, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le caractère contraignant des certificats A 1 à l’égard des institutions des États membres autres que l’État membre d’émission repose sur le principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, lequel implique également le principe de confiance mutuelle. En vertu de ces principes, l’institution émettrice doit procéder à une appréciation correcte des faits qui sont à la base de la délivrance de ces certificats et à un examen diligent de l’application de son propre régime de sécurité sociale afin de garantir l’exactitude des mentions figurant dans lesdits certificats et, dès lors, la correcte application du règlement no 883/2004, et les institutions des autres États membres sont en droit de s’attendre à ce que l’institution émettrice se conforme à une telle obligation (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C‑359/16, EU:C:2018:63, points 37, 40 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

36      Or, dans la mesure où les modalités des activités du travailleur concerné sont susceptibles d’évoluer par rapport à la situation prise en compte lors de la délivrance d’un certificat A 1 et où les éléments ayant servi de base pour l’établissement initial de cette situation peuvent ultérieurement s’avérer inexacts, les principes de coopération loyale et de confiance mutuelle impliquent l’obligation pour l’institution émettrice de vérifier tout au long de l’exécution de l’activité qui est à la base de la délivrance d’un tel certificat l’exactitude des mentions y figurant et de le retirer si, eu égard à la situation réelle du travailleur concerné, elle constate que ledit certificat n’est pas conforme aux dispositions du titre II du règlement no 883/2004.

37      En deuxième lieu, si, en vertu de l’article 5 du règlement no 987/2009, la décision de l’institution émettrice de retirer un certificat A 1, à la suite d’une demande de réexamen et de retrait adressée par l’institution compétente d’un autre État membre, doit être adoptée dans le cadre de la procédure de dialogue et de conciliation entre les institutions concernées, conformément aux modalités d’application précisées aux paragraphes 2 à 4 de cet article 5, ledit article ne contient, en revanche, aucune disposition relative aux modalités procédurales devant être respectées par l’institution émettrice souhaitant retirer d’office un certificat A 1.

38      En particulier, l’article 5 du règlement no 987/2009 ne prévoit pas, dans un tel cas, l’obligation pour l’institution émettrice d’adopter la décision de retrait en respectant ladite procédure de dialogue et de conciliation.

39      Eu égard à l’absence de prévision spécifique d’une telle obligation procédurale dans le cas où l’institution émettrice souhaite retirer d’office un certificat A 1, il y a lieu de considérer que la procédure prévue à l’article 5, paragraphes 2 à 4, du règlement no 987/2009 ne constitue pas un préalable obligatoire aux fins du retrait d’office d’un certificat A 1 par l’institution émettrice qui a constaté l’inexactitude des éléments qui sont à la base de la délivrance de ce certificat.

40      Cette interprétation résultant du libellé de l’article 5 du règlement no 987/2009 est, par ailleurs, cohérente au regard de la nature, de la finalité et des conditions de mise en œuvre de la procédure de dialogue et de conciliation.

41      En effet, ainsi qu’il découle de l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, lu à la lumière de l’article 72, sous a), de ce règlement, cette procédure constitue un moyen institué par le législateur de l’Union afin de résoudre les différends entre les institutions compétentes des États membres concernés au sujet notamment de l’interprétation ou de l’application dudit règlement.

42      Il s’ensuit que le recours à la procédure de dialogue et de conciliation résulte de l’existence d’une divergence de vues entre les institutions compétentes de deux ou plusieurs États membres, ce qui est corroboré par les dispositions du règlement no 987/2009 qui prévoient le recours à une telle procédure.

43      En effet, les articles 5 et 6 de ce règlement prévoient le recours à ladite procédure, respectivement, lorsque l’institution qui reçoit un certificat A 1 met en cause sa validité ou l’exactitude des faits qui sont à la base de la délivrance de ce certificat et demande, en conséquence, à l’institution émettrice de le retirer, et, lorsque les institutions ou les autorités de plusieurs États membres ont des avis différents quant à la détermination de la législation applicable ou de l’institution appelée à servir les prestations concernées.

44      Pour leur part, les articles 16 et 60 du règlement no 987/2009, qui définissent les procédures pour l’application des articles 13 et 68 du règlement no 883/2004, prévoient le recours à la même procédure, conformément aux modalités d’application précisées à l’article 6 du règlement no 987/2009, en cas de divergence de vues entre les institutions concernées au sujet de la législation applicable.

45      Or, le retrait d’office d’un certificat A 1 par l’institution émettrice trouve son origine non pas dans l’existence d’un différend entre l’institution émettrice et l’institution d’un autre État membre qui mettrait en cause l’exactitude de ce certificat, mais dans la constatation par l’institution émettrice, à la suite des vérifications qu’elle est tenue d’effectuer afin de respecter les obligations qui lui incombent en vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, telles qu’énoncées aux points 35 et 36 du présent arrêt, que les mentions figurant dans ledit certificat ne correspondent pas à la réalité.

46      Enfin, l’interprétation mentionnée au point 39 du présent arrêt ne compromet ni les droits que le travailleur concerné par le certificat A 1 faisant l’objet du retrait tire du règlement no 883/2004 ni l’objectif poursuivi par ce règlement.

47      En effet, d’une part, il convient de rappeler que, en délivrant un tel certificat, l’institution compétente d’un État membre se borne à déclarer que le travailleur concerné est soumis à la législation de cet État membre (voir, par analogie, arrêt du 30 mars 2000, Banks e.a., C‑178/97, EU:C:2000:169, point 53).

48      Ainsi, dès lors que le certificat A 1 est non pas un acte constitutif de droits mais un acte déclaratif, son retrait ne saurait conduire à la perte de tels droits.

49      D’autre part, à la suite du retrait du certificat A 1, la législation applicable au travailleur concerné sera déterminée conformément aux dispositions du titre II du règlement no 883/2004, en recourant, le cas échéant, lorsque l’article 6 du règlement no 987/2009 est applicable, à la procédure de dialogue et de conciliation.

50      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, les dispositions du titre II du règlement no 883/2004 constituent un système complet et uniforme de règles de conflit de loi qui ont pour but non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter, mais également d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application de ce règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable (arrêt du 8 mai 2019, Inspecteur van de Belastingdienst, C‑631/17, EU:C:2019:381, point 33 et jurisprudence citée).

51      Dans ce contexte, il importe de rappeler que l’article 6 du règlement no 987/2009 prévoit l’application provisoire d’une législation et l’octroi provisoire de prestations, en cas de divergence de vues entres les institutions de deux États membres ou plus quant à la détermination de la législation applicable ou de l’institution appelée à servir les prestations.

52      Par conséquent, l’application du système instauré par le règlement no 883/2004, en vue de déterminer la législation applicable, à la suite du retrait d’office d’un certificat A 1 par l’institution émettrice, permet d’assurer non seulement que la protection du travailleur concerné soit garantie à tout moment, y compris, en cas de différend entre les institutions concernées quant à la législation applicable, mais également que ledit travailleur soit soumis, à tout moment, même dans un tel cas de différend, à une seule législation nationale.

53      En troisième et dernier lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 76, paragraphe 4, du règlement no 883/2004 et des considérants 2 et 22 du règlement no 987/2009, le bon fonctionnement du système instauré par le règlement no 883/2004 requiert une coopération efficace et étroite aussi bien entre les institutions compétentes des différents États membres qu’entre ces institutions et les personnes relevant du champ d’application de ce règlement. Une telle coopération est nécessaire pour les besoins de la détermination des droits et des obligations des personnes concernées et aux fins de permettre à ces dernières de faire valoir leurs droits dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions possibles.

54      Ladite coopération impose à l’ensemble de ces institutions et personnes l’échange des informations nécessaires à l’établissement et à la détermination des droits et des obligations desdites personnes, ce qui ressort des articles 2 et 3 du règlement no 987/2009, qui délimitent la portée et les modalités des échanges entre ces institutions et entre celles‑ci et les personnes concernées, ainsi que de l’article 20 de ce règlement, qui précise le devoir de coopération entre les institutions compétentes des différents États membres.

55      Ainsi, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 53 de ses conclusions, si l’institution émettrice souhaitant retirer d’office un certificat A 1, en raison de l’inexactitude des mentions y figurant, ne doit pas engager préalablement la procédure de dialogue et de conciliation avec les institutions compétentes des États membres concernés, les dispositions mentionnées aux points 53 et 54 du présent arrêt font, en revanche, obligation à ladite institution, une fois ledit retrait effectué, d’informer de celui-ci, dans les plus brefs délais, tant ces institutions que la personne concernée et de leur communiquer toutes les informations et les données nécessaires aux fins de l’établissement et de la détermination des droits de cette personne.

56      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les articles 5, 6 et 16 du règlement no 987/2009 doivent être interprétés en ce sens que l’institution émettrice d’un certificat A 1 qui, à la suite d’un réexamen d’office des éléments qui sont à la base de la délivrance de ce certificat, constate l’inexactitude de ces éléments peut retirer ledit certificat sans engager préalablement la procédure de dialogue et de conciliation avec les institutions compétentes des États membres concernés en vue de déterminer la législation nationale applicable.

 Sur les dépens

57      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

Les articles 5, 6 et 16 du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012,

doivent être interprétés en ce sens que :

l’institution émettrice d’un certificat A 1 qui, à la suite d’un réexamen d’office des éléments qui sont à la base de la délivrance de ce certificat, constate l’inexactitude de ces éléments peut retirer ledit certificat sans engager préalablement la procédure de dialogue et de conciliation prévue à l’article 76, paragraphe 6, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement no 465/2012, avec les institutions compétentes des États membres concernés en vue de déterminer la législation nationale applicable.


Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.