Language of document : ECLI:EU:T:2014:255

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

6 mai 2014 (*)

« Référé – Aides d’État – Alcools et spiritueux – Annulation d’une dette fiscale dans le cadre d’une procédure collective d’insolvabilité – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence – Défaut de fumus boni juris »

Dans l’affaire T‑103/14 R,

Frucona Košice a.s., établie à Košice (Slovaquie), représentée par MM. K. Lasok, QC, B. Hartnett, J. Holmes, barristers, et Me O. Geiss, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes K. Walkerová et L. Armati, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision C (2013) 6261 final de la Commission, du 16 octobre 2013, concernant l’aide d’État SA.18211 (C 25/2005) (ex NN 21/2005), mise à exécution par la République slovaque en faveur de Frucona Košice a.s., pour autant qu’elle ordonne à la République slovaque de procéder à la récupération de l’aide,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente


Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, Frucona Košice a.s., est une société de droit slovaque qui était active, notamment, dans le secteur de la production d’alcools et de spiritueux.

2        En février 2004, la requérante n’était pas en mesure d’acquitter les droits d’accises dont elle était redevable. En conséquence, sa licence de production et de traitement des alcools et des spiritueux lui a été retirée. Depuis lors, elle s’est limitée à distribuer des spiritueux achetés à une entreprise qui les produisait sous licence dans les fabriques de la requérante. Cette dernière s’est également retrouvée en situation d’endettement au sens de la réglementation slovaque relative à la liquidation judiciaire et au concordat.

3        En droit slovaque, les procédures de liquidation judiciaire et de concordat sont placées sous le contrôle d’un tribunal, qui vise à régler la situation financière de sociétés endettées. Tandis que la liquidation judiciaire aboutit à la disparition de la société endettée, le concordat lui permet de poursuivre ses activités, en aboutissant à un accord en vertu duquel la société endettée rembourse une partie de ses dettes en échange d’une annulation du solde.

4        En juillet 2004, les créanciers de la requérante, y compris l’autorité fiscale locale dont elle relevait, ont accepté une proposition de concordat que le tribunal compétent a homologuée, en relevant que le concordat prévoyait que la créance de l’administration fiscale slovaque devait être remboursée à concurrence de 35 %, soit un montant à payer d’environ 224 millions de couronnes slovaques (SKK).

5        En décembre 2004, la requérante ayant payé à l’autorité fiscale locale un montant d’environ 224 millions de SKK, correspondant à 35 % de sa dette totale, le tribunal a prononcé la clôture de la procédure de concordat. À la suite d’une plainte introduite auprès de la Commission des Communautés européennes concernant une aide présumée illégale en faveur de la requérante, la République slovaque a demandé à la Commission d’autoriser cette aide en tant qu’aide au sauvetage accordée à une entreprise en difficulté.

6        Dans sa décision 2007/254/CE du 7 juin 2006, concernant l’aide d’État C 25/05 (ex NN 21/05) mise à exécution par la République slovaque en faveur de Frucona Košice a.s. (JO 2007, L 112, p. 14), la Commission a cependant considéré que cette aide, d’un montant de 416 515 990 SKK, était incompatible avec le marché commun et ordonné qu’elle soit récupérée par les autorités slovaques.

7        Le recours introduit par la requérante contre cette décision a été rejeté comme non fondé par arrêt du Tribunal du 7 décembre 2010, Frucona Košice/Commission (T‑11/07, Rec. p. II‑5453). Saisie d’un pourvoi formé par la requérante, la Cour, par arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission (C‑73/11 P, non encore publié au Recueil), a annulé l’arrêt du Tribunal et renvoyé l’affaire devant celui-ci pour qu’il statue à nouveau sur la décision 2007/254 (affaire T‑11/07 RENV).

8        Dans ces circonstances, en vue de remédier aux lacunes constatées par la Cour dans l’affaire C‑73/11 P, la Commission a adopté, le 16 octobre 2013, la décision C (2013) 6261 final concernant l’aide d’État SA.18211 (C 25/2005) (ex NN 21/2005) mise à exécution par la République slovaque en faveur de Frucona Košice a.s. (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission a abrogé la décision 2007/254 (article 1er de la décision attaquée), considéré qu’une aide d’État incompatible avec le marché intérieur avait été accordée à la requérante (article 2 de la décision attaquée) et enjoint à la République slovaque de récupérer cette aide auprès de la requérante (article 3 de la décision attaquée), en précisant que la restitution devait intervenir sans délai. En vertu de l’article 4 de la décision attaquée, la République slovaque doit informer la Commission, dans un délai de deux mois, des mesures qui seront prises afin de se conformer à cette décision.

9        La décision attaquée, adressée à la République slovaque (article 5 de ladite décision), a été communiquée, le 24 octobre 2013, à la requérante.

10      Dans l’affaire T‑11/07 RENV, la requérante a renoncé à adapter ses conclusions et moyens en les dirigeant contre la décision attaquée, puisqu’elle envisageait d’en contester la légalité par l’introduction d’un nouveau recours en annulation. En conséquence, le Tribunal a décidé, par ordonnance du 21 mars 2014, qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours tendant à l’annulation de la décision 2007/254.

11      Le 17 janvier 2014, la requérante a reçu une notification relative à l’ouverture d’une procédure nationale visant à l’exécution de la décision attaquée. Elle a été informée que l’exécution serait effectuée au moyen d’un prélèvement obligatoire sur ses comptes bancaires, d’une appropriation de ses créances monétaires et d’une vente de ses actifs mobiliers. En outre, elle s’est vu interdire de disposer de toutes les ressources économiques faisant l’objet de l’exécution.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 février 2014, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée. À l’appui de son recours, elle reproche à la Commission, en substance, d’avoir violé ses droits de la défense et commis plusieurs erreurs dans l’application du critère du créancier privé normalement prudent et diligent, tel qu’explicité par la Cour dans l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité.

13      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 18 février 2014, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de l’article 3, paragraphes 1 et 2, ainsi que de l’article 4 de la décision attaquée, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours principal ;

–        ordonner toute mesure provisoire jugée équitable et appropriée dans les circonstances de la cause ;

–        condamner la Commission aux dépens.

14      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 6 mars 2014, la Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

15      La requérante a répondu aux observations de la Commission par mémoire du 17 mars 2014. La Commission a pris définitivement position sur celui-ci par mémoire du 25 mars 2014.

 En droit

16      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 17 janvier 2013, Slovénie/Commission, T‑507/12 R, non publiée au Recueil, point 6, et la jurisprudence citée).

17      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

18      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

19      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

20      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative au fumus boni juris est remplie.

 Sur le fumus boni juris

21      À cet égard, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que la partie de l’argumentation de la requérante relative au fumus boni juris qui est motivée par un renvoi global au recours principal joint à la demande en référé (point 23 de cette demande) doit être déclarée irrecevable.

22      En effet, une demande en référé doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Ainsi, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels une telle demande se fonde doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible de son texte même. Si ce texte peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces jointes en annexe, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la demande en référé, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels dans celle-ci [voir ordonnance du président du Tribunal du 29 juillet 2010, Cross Czech/Commission, T‑252/10 R, non publiée au Recueil, points 9 à 11, et la jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13].

23      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est notamment le cas dès lors que l’un des moyens avancés révèle l’existence de questions juridiques complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond, ou lorsque le débat mené entre les parties révèle l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée [voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), non encore publiée au Recueil, point 67, et la jurisprudence citée].

24      En l’espèce, premièrement, la requérante fait valoir que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit, puisqu’elle aurait été adoptée sans que la Commission lui ait donné la possibilité au préalable d’être entendue sur les points soulevés par cette dernière qui sont nouveaux par rapport à la décision 2007/254. Cette violation des droits de la défense serait incontestable. Dans son mémoire du 17 mars 2014, elle ajoute que, dans la mesure où la Commission lui reproche, au considérant 117 de la décision attaquée, de ne pas avoir prouvé la pertinence de l’exemple relatif à la société Liehofruct White Lady Distillery, ce reproche présuppose nécessairement qu’elle jouit, en sa qualité de partie intéressée, du droit de fournir à la Commission des informations pertinentes avant qu’une décision qui lui est défavorable ne soit prise. Or, elle n’aurait pas bénéficié de ce droit, lorsque la Commission a adopté la décision attaquée.

25      À cet égard, force est de constater que le moyen tiré d’une violation des droits de la défense, tel qu’avancé dans le cadre de la présente procédure de référé, ne saurait être considéré comme révélant l’existence de questions juridiques complexes ou d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 23 ci-dessus.

26      En effet, il est constant que la requérante a été invitée par la Commission, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), à présenter ses observations dans le cadre de la procédure formelle d’examen qui a conduit à l’adoption de la décision 2007/254 et que la requérante a déposé des observations écrites le 25 octobre 2005 et soumis des observations orales le 28 mars 2006.

27      Or, cette invitation adressée aux parties intéressées vise exclusivement à obtenir, de leur part, toutes informations destinées à éclairer la Commission dans le cadre de la procédure formelle d’examen qu’elle a entamée, ce qui leur confère essentiellement le rôle de sources d’information, alors qu’elles ne peuvent pas se prévaloir des droits de la défense reconnus aux personnes à l’encontre desquelles une procédure est ouverte (arrêt de la Cour du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, points 80 à 83 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, points 59 et 60, et la jurisprudence citée).

28      Dans ces circonstances, il ne saurait prima facie être reproché à la Commission d’avoir violé les droits de la défense de la requérante lorsqu’elle a remplacé la décision 2007/254 par la décision attaquée, en fondant celle-ci sur les mêmes faits et sur la même procédure formelle d’examen que ceux sur lesquels avait reposé la première décision, en ce compris les observations écrites et orales que la requérante avait adressées à la Commission, d’autant plus que les contacts entre les parties s’étaient encore intensifiés au cours des procédures contentieuses devant le Tribunal et la Cour. Cela est notamment vrai en ce qui concerne la référence de la requérante à la société Liehofruct White Lady Distillery. En effet, il ressort du considérant 117 et de la note en bas de page 40 de la décision attaquée que cette société avait été mentionnée dans les observations écrites de la requérante du 25 octobre 2005, sans que cette partie de ladite décision ait été contestée devant le juge des référés. Par conséquent, la Commission pouvait, à l’évidence, en tenir compte dans la décision attaquée, sans être obligée de rouvrir sur ce point précis la procédure formelle d’examen en invitant la requérante à se prononcer à nouveau sur ladite société.

29      Dans la mesure où la requérante invoque l’arrêt de la Cour du 4 février 1992, British Aerospace et Rover/Commission (C‑294/90, Rec. p. I‑493), pour étayer le moyen tiré d’une violation de ses droits de la défense, il suffit de rappeler, ainsi que la Commission l’a fait observer à juste titre, qu’il convient de faire une distinction nette entre l’affaire à l’origine de cet arrêt, qui concernait deux aides d’État différentes de sorte que la Commission aurait dû ouvrir deux procédures formelles d’examen différentes, et la présente affaire, qui a pour objet une seule aide d’État et une seule procédure formelle d’examen, la Commission n’ayant remplacé la décision 2007/254 par la décision attaquée que pour s’adapter à l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité (voir points 7 et 8 ci-dessus).

30      Dans ce contexte, il y a lieu d’ajouter que, même en remplaçant la décision 2007/254 par la décision attaquée, la Commission a confirmé, en dernière analyse, son appréciation initiale selon laquelle la requérante s’était vu accorder une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. La Commission n’a donc précisément pas procédé à la révocation d’une décision favorable au bénéficiaire de l’aide d’État en cause, en application de l’article 9 du règlement nº 659/1999, révocation qui l’aurait obligée à ouvrir une seconde procédure formelle d’examen et à inviter la requérante à présenter des observations nouvelles.

31      Enfin, pour autant que la requérante semble se prévaloir d’une violation des droits de la défense de la République slovaque, la Commission a souligné, à bon droit, que la violation de ces droits constitue une illégalité subjective par sa nature, si bien que la requérante n’est pas recevable à invoquer un moyen tiré d’une violation des droits de la défense de l’État membre concerné, en l’occurrence la République slovaque (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 1er juillet 2010, Nuova Terni Industrie Chimiche/Commission, T‑64/08, non publié au Recueil, points 186 et 187, et la jurisprudence citée), d’autant que cette dernière s’est abstenue de former un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

32      Il s’ensuit que le premier moyen soulevé par la requérante dans le cadre de la procédure de référé n’est prima facie pas de nature à établir l’existence d’un fumus boni juris.

33      Deuxièmement, la requérante soutient que la Commission s’est abstenue d’appliquer, dans la décision attaquée, le critère du créancier privé exposé par la Cour aux points 68 à 90 de l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité. Au considérant 83 de la décision attaquée, la Commission présenterait l’affirmation nouvelle selon laquelle une mesure constitue une aide d’État si l’État membre a omis d’examiner la question de l’existence d’une telle aide d’État au moment de l’adoption de la mesure ou s’il a ensuite demandé que la mesure soit traitée comme une aide au sauvetage. Admettant que, à l’époque, les autorités fiscales slovaques n’avaient pas examiné la question de l’existence d’une aide d’État lorsqu’elles ont marqué leur accord à la procédure de concordat et ont effectivement demandé à la Commission de traiter la mesure en cause comme une aide au sauvetage, la requérante estime que rien dans l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité, n’appuie l’idée qu’un de ces éléments présente une quelconque pertinence.

34      La requérante précise que, aux points 78 à 80 de cet arrêt, la Cour indique clairement que, aux fins de conclure à l’existence d’une aide d’État, il convient, d’une part, d’examiner toute information susceptible d’influencer de manière non négligeable le processus décisionnel d’un créancier privé normalement prudent et diligent et, d’autre part, d’évaluer, sur la base de cette information, le choix qu’un tel créancier aurait fait. Or, ni le fait que l’État membre n’a pas considéré la question de l’aide d’État ni le fait que, par conséquent, cet État a pensé que la mesure pouvait être une aide au sauvetage ne constituerait un élément susceptible d’être pertinent au regard du processus décisionnel d’un créancier privé normalement prudent et diligent à l’époque.

35      À cet égard, il y a lieu de souligner que, par cet exposé d’arguments, tel que formulé dans la demande en référé, la requérante fait valoir, en substance, que le considérant 83 de la décision attaquée est incompatible avec le critère du créancier privé, exposé par la Cour dans l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité.

36      Or, force est de constater que cette argumentation ne saurait, elle non plus, être considérée comme révélant l’existence de questions juridiques complexes ou d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 23 ci-dessus.

37      En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 81 de la décision attaquée, la Commission a estimé que les conditions que doit remplir une mesure pour relever de la notion d’aide d’État ne sont pas satisfaites si l’entreprise bénéficiaire peut obtenir le même avantage que celui qui a été mis à sa disposition au moyen de ressources d’État dans des circonstances correspondant aux conditions normales du marché, ce qui doit être apprécié par application, en principe, du critère du créancier privé. Se référant à l’arrêt de la Cour le 5 juin 2012, Commission/EDF (C‑124/10 P, non encore publié au Recueil, point 79) et à l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité (points 71 et 72), la Commission a précisé que, lorsqu’un créancier public octroie des facilités de paiement pour une dette qui lui est due par une entreprise, de telles facilités de paiement constituent une aide d’État si, compte tenu de l’importance de l’avantage économique ainsi octroyé, l’entreprise bénéficiaire n’aurait manifestement pas obtenu des facilités comparables d’un créancier privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle du créancier public et cherchant à obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues par un débiteur connaissant des difficultés financières.

38      Ensuite, au considérant 82 de la décision attaquée, la Commission a appliqué aux aides accordées les critères développés dans l’arrêt Commission/EDF, précité (points 81 à 85), dans les termes suivants :

« L’applicabilité du critère de l’investisseur privé dépend, en définitive, de ce que l’État membre concerné accorde en une qualité autre que sa qualité de puissance publique, un avantage économique à une entreprise. Il s’ensuit que, si un État membre invoque, au cours de la procédure administrative, ledit critère, il lui incombe, en cas de doute, d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’opérateur privé en économie de marché. Ces éléments doivent faire apparaître clairement que l’État membre concerné a pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage économique, la décision d’agir comme il l’a fait. Peuvent notamment être requis, à cet égard, des éléments faisant apparaître que cette décision était fondée sur des évaluations économiques comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un opérateur privé rationnel se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle dudit État membre aurait fait établir. En revanche, il ne suffit pas de s’appuyer sur des évaluations économiques établies après l’octroi dudit avantage, sur le constat rétrospectif du caractère effectivement avantageux du procédé choisi par l’État membre concerné ou sur des justifications ultérieures de ce procédé. »

39      C’est au considérant 83 de la décision attaquée que la Commission – rappelant que la République slovaque considérait, elle-même, la mesure litigieuse comme constituant une aide d’État et demandait de la traiter comme une aide au sauvetage, tout en reconnaissant que la question de l’existence d’une aide d’État n’avait pas été envisagée au moment du concordat (voir points 3 à 5 ci-dessus) – en a tiré la conclusion que les conditions posées par la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus n’étaient pas remplies en l’espèce, de sorte que la mesure litigieuse constituait une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

40      Il apparaît, dès lors, que la Commission, si elle a fondé la décision attaquée sur les mêmes éléments factuels et procéduraux que ceux sur lesquels reposait la décision 2007/254 (voir point 28 ci-dessus), n’en a pas moins tenu compte de l’évolution qu’avait connue, à la date d’adoption de la décision attaquée, la jurisprudence pertinente pour le domaine des aides d’État avec, notamment, l’arrêt Commission/EDF, précité, rendu par la grande chambre de la Cour. Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, ce dernier arrêt se prononce sur l’applicabilité du critère de l’investisseur privé, en la subordonnant au constat que l’État membre concerné a été conscient, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage financier, qu’il accordait ce dernier en sa qualité d’opérateur privé et non de puissance publique. Or, les autorités slovaques n’ayant pas examiné si elles agissaient en leur qualité d’opérateur privé ou de puissance publique lorsqu’elles ont accordé à la requérante l’avantage financier litigieux, il ne saurait prima facie être reproché à la Commission d’avoir méconnu l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité, en se fondant sur les critères établis aux points 81 à 85 de l’arrêt Commission/EDF, précité.

41      La requérante s’oppose à ces considérations en soulignant que celles-ci n’avaient pas fait l’objet de la procédure dans l’affaire C‑73/11 P qui a conduit à l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité. À cet égard, il suffit de constater que l’affaire C‑73/11 P portait sur un pourvoi introduit contre l’arrêt du 7 décembre 2010, Frucona Košice/Commission, précité, qui s’était, quant à lui, prononcé sur la légalité de la décision 2007/254. Or, l’arrêt Commission/EDF, précité, ayant été prononcé le 5 juin 2012, les critères d’applicabilité établis dans ses points 81 à 85 ne pouvaient avoir influencé ni cette décision de la Commission ni cet arrêt du Tribunal. Par voie de conséquence, si l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité, est certes postérieur à l’arrêt Commission/EDF, précité, l’affaire C‑73/11 P était limitée aux questions de droit soulevées par l’arrêt du 7 décembre 2010, Frucona Košice/Commission, précité, parmi lesquelles ne figuraient pas les critères établis dans l’arrêt Commission/EDF, précité, étant donné que le Tribunal ne les avait pas appliqués. De même, la décision 2007/254 ayant été silencieuse sur ces critères, la Cour s’est nécessairement abstenue de statuer à cet égard lorsque, après l’évocation de l’affaire, elle a examiné, aux points 94 à 104 de l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité, la légalité de cette décision.

42      Il s’ensuit que rien n’empêchait, à première vue, la Commission d’appuyer la décision attaquée sur les critères relatifs à l’applicabilité du critère de l’investisseur privé, tels qu’énoncés dans l’arrêt Commission/EDF, précité.

43      Enfin, au point 22 de la demande en référé, la requérante se prononce dans les termes suivants :

« La ‘nouvelle appréciation’ effectuée par la Commission après l’arrêt de la Cour et comprise dans les considérants 103 à 119 de la décision [attaquée] n’applique pas le critère établi par la Cour. La Commission néglige des informations qu’un créancier privé normalement prudent et diligent aurait prises en compte (telles que les évaluations des experts concernant les coefficients de liquidation), y substitue ses propres opinions sur ce que ces coefficients pourraient être (ce qu’un créancier privé normalement prudent et diligent ne ferait pas), se contredit (voir, par exemple, le considérant 85 et le tableau 3 comparés avec la note en bas de page nº 31) et reconnaît l’existence d’incertitudes dans les informations à la disposition d’un créancier privé normalement prudent et diligent (voir, par exemple, les considérants 115 à 117), mais omet d’examiner ce qu’un créancier privé normalement prudent et diligent devrait faire de ces incertitudes. »

44      Dans la mesure où la requérante reproche ainsi à la Commission d’avoir méconnu l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité, en omettant d’appliquer le critère du créancier privé normalement prudent et diligent, il convient de rappeler que, dans cet arrêt, la Cour, après avoir évoqué l’affaire, a jugé ce qui suit :

« 100       Il résulte notamment des points 78 à 81 du présent arrêt que, dans un cas tel que celui de l’espèce, la durée de la procédure de liquidation judiciaire est un élément susceptible d’influencer, de manière non négligeable, le processus décisionnel d’un créancier privé normalement prudent et diligent se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’autorité fiscale locale et que, dès lors, la Commission était tenue de prendre en compte, dans le cadre de son appréciation du critère du créancier privé, les informations disponibles relatives, notamment, à la durée d’une telle procédure.

101      Or, force est de constater que […] la décision [2007/254] […] ne comporte […] aucune référence à la durée d’une telle procédure.

102      Pour autant que la Commission fait valoir […] que la durée d’une procédure de liquidation judiciaire n’était pas susceptible d’influencer le processus décisionnel d’un créancier privé, […] [elle] était tenue d’exposer dans la décision [2007/254], à tout le moins de manière sommaire, les considérations l’ayant amenée à cette conclusion.

103      Il résulte de ce qui précède que, en ayant omis de prendre en compte, dans le cadre de son appréciation du critère du créancier privé, la durée de la procédure de liquidation judiciaire, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation. Pour autant que cet élément ait été pris en considération par la Commission, elle n’a pas motivé sa décision à suffisance de droit. »

45      C’est afin de tenir compte des motifs de censure exprimés au point 103 de l’arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, précité, que la Commission a exposé, aux considérants 109 à 112 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle estimait que la durée d’une procédure de liquidation judiciaire en Slovaquie n’aurait eu aucune influence significative sur la décision d’un hypothétique créancier privé. Il s’ensuit que la requérante ne saurait, à l’évidence, lui reprocher de ne pas avoir appliqué le critère relatif à un tel créancier.

46      Pour le reste, les affirmations avancées au point 22 de la demande en référé ne peuvent pas être considérées comme suffisamment claires et précises pour permettre, à elles seules, au juge des référés de statuer sur la demande sans autres informations à l’appui (voir point 22 ci-dessus). En effet, compte tenu du caractère confus et incohérent des éléments invoqués, il serait nécessaire de les compléter par d’autres écrits de la requérante afin de leur donner un sens susceptible d’établir le fumus boni juris invoqué. Or, il n’incombe, en principe, pas au juge des référés de rechercher, en lieu et place de la partie concernée, les éléments contenus dans les annexes ou dans la requête principale qui seraient de nature à corroborer la demande en référé.

47      Il résulte de tout ce qui précède que la condition relative au fumus boni juris n’est pas remplie. Par conséquent, les conditions relatives à l’urgence et à la mise en balance des intérêts ne seront examinées qu’à titre surabondant.

 Sur l’urgence et sur la mise en balance des intérêts

48      Affirmant qu’elle a saisi le juge national pour contester l’exécution de la décision attaquée, la requérante fait valoir que, en vertu de la procédure slovaque applicable, ses objections peuvent être rejetées à tout moment et que l’exécution peut ensuite intervenir immédiatement. Dans ce cas, l’exécution serait effectuée au plus tard dans la première quinzaine du mois d’avril 2014, ce qui lui causerait un préjudice grave et irréparable. En effet, dans une telle hypothèse, elle devrait arrêter ses activités commerciales et vendre tous les avoirs qu’elle possède afin de rembourser une partie de l’aide alléguée. Même si ses biens n’étaient pas déjà mis en gage, leur valeur totale serait clairement insuffisante pour rembourser la dette. Ainsi, elle n’aurait aucun autre choix que de se déclarer en faillite, une procédure de concordat n’étant pas concevable dans la mesure où elle serait surendettée si l’aide alléguée était récupérée. Par conséquent, la procédure de faillite mettrait en péril l’existence de la requérante avant que le Tribunal ait définitivement statué sur la décision attaquée. Dans l’hypothèse où cette décision serait annulée dans la procédure principale, la requérante ne disposerait d’aucun moyen de réparation du préjudice subi.

49      Dans ce contexte, la requérante précise que, à la date du 12 décembre 2013, le montant de l’aide alléguée que la République slovaque doit récupérer auprès d’elle s’élevait à 20 585 118,75 euros. Renvoyant au rapport d’expertise préparé par la société Guropea Trading, elle précise que la valeur totale de ses actifs s’élevait à 5 381 600 euros le 29 janvier 2014, ce qui représenterait à peine un quart du montant qu’elle devrait rembourser. Tout remboursement serait, partant, bien au-delà des ressources disponibles de la requérante, dont les bénéfices après imposition s’élevaient à 28 745 euros en 2013. La requérante ajoute qu’elle serait dans l’impossibilité de garantir des ressources alternatives afin de rembourser l’aide alléguée. À ce jour, ses actifs immobiliers auraient tous été mis en gage. De plus, elle aurait déjà échoué dans ses tentatives d’obtenir un emprunt de la part de deux banques.

50      La Commission répond, notamment, que la demande ne contient aucune référence à la législation nationale en vertu de laquelle l’exécution est ordonnée, ni de description ou de mention de l’action par laquelle l’ouverture de la procédure d’exécution peut être contestée, alors que ces éléments revêtent de l’importance, puisque, pour établir l’urgence, la requérante devrait démontrer que les voies de recours internes prévues par le droit national ne la protègent pas de la survenance d’un préjudice grave et irréparable. Or, la requérante ayant affirmé être actuellement en attente d’une décision du juge des référés national, la Commission met en doute l’utilité, en termes d’économie de procédure, d’un examen de la même question par le juge de l’Union. La Commission ajoute que la demande reste silencieuse sur l’identité et la capacité financière des actionnaires de la requérante. Il serait pourtant de jurisprudence constante que la situation financière des personnes qui contrôlent la requérante doit être prise en considération pour apprécier l’imminence du préjudice grave et irréparable requis. En effet, lors de l’examen de la viabilité financière d’une société, sa situation financière pourrait être appréciée en prenant notamment en considération les caractéristiques du groupe auquel appartiennent ses actionnaires.

51      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. L’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue. Il suffit qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant. Toutefois, la partie qui s’en prévaut demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Pilkington Group, précitée, points 36 et 37, et la jurisprudence citée).

52      En l’espèce, le préjudice allégué par la requérante présente un caractère financier. Or, selon une jurisprudence bien établie, lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient, en principe, s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie qui les demande se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient [voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour du 7 mars 2013, EDF/Commission, C‑551/12 P(R), non encore publiée au Recueil, point 54, et la jurisprudence citée].

53      En effet, il est de jurisprudence constante que, pour apprécier la situation matérielle d’une société, notamment sa viabilité financière, il convient de tenir compte des caractéristiques du groupe de sociétés auquel elle se rattache, directement ou indirectement, par son actionnariat et, en particulier, des ressources dont dispose globalement ce groupe (voir ordonnance du président du Tribunal du 26 septembre 2013, Tilly-Sabco/Commission, T‑397/13 R, non publiée au Recueil, point 40, et la jurisprudence citée), ce qui peut amener le juge des référés à estimer que la condition de l’urgence n’est pas remplie malgré l’état d’insolvabilité prévisible de la requérante, prise individuellement [voir ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2002, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑232/02 P(R), Rec. p. I‑8977, point 56, et la jurisprudence citée]. Il s’agit donc d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave et d’irréparable compte tenu des caractéristiques du groupe auquel appartient la requérante [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C‑43/98 P(R), Rec. p. I‑1815, point 36, et la jurisprudence citée].

54      Cette prise en considération de la puissance financière du groupe auquel appartient la requérante repose sur l’idée que les intérêts objectifs de cette société ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes qui la contrôlent ou qui sont membres du même groupe. Le caractère grave et irréparable du préjudice allégué doit donc être apprécié au niveau du groupe que ces personnes composent. Cette coïncidence des intérêts justifie que l’intérêt de la requérante à poursuivre son activité ne soit pas apprécié indépendamment de l’intérêt que portent à sa pérennité ceux qui la contrôlent ou sont membres du même groupe (voir, en ce sens, ordonnance Ziegler/Commission, précitée, point 46, et la jurisprudence citée, et ordonnance du président du Tribunal du 18 juin 2008, Dow AgroSciences/Commission, T‑475/07 R, non publiée au Recueil, point 79), étant précisé que cette approche s’applique non seulement à des personnes morales, mais aussi à des personnes physiques [ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 64, DSR-Senator Lines/Commission, C‑364/99 P(R), Rec. p. I‑8733, point 50, et ordonnance Ziegler/Commission, précitée, point 46].

55      Il s’ensuit que la requérante, afin de démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice allégué, aurait dû soit fournir tous les éléments permettant au juge des référés d’apprécier les caractéristiques financières du groupe qu’elle compose, en tant que société anonyme, avec ses actionnaires, soit démontrer l’autonomie de ses intérêts objectifs par rapport à ceux de ses actionnaires. Toutefois, la requérante n’a fourni aucun élément de cette nature, qui aurait permis au juge des référés d’examiner la pertinence du concept de groupe dans le cas d’espèce ou d’apprécier le caractère grave et irréparable du préjudice allégué, en le mettant en rapport avec le chiffre d’affaires total du groupe auquel elle appartient.

56      La requérante se borne à affirmer, dans son mémoire du 17 mars 2014, que la Commission n’a considéré ni dans la décision 2007/254 ni dans la décision attaquée que les autorités slovaques avaient octroyé une aide d’État au motif que la requérante avait accès aux fonds nécessaires pour payer ses dettes fiscales, puisque ces fonds étaient disponibles auprès de ses actionnaires ou d’autres personnes. La Commission n’aurait pas considéré non plus que l’incapacité de la requérante à payer ses dettes fiscales et ses autres dettes était due au fait que des bénéfices importants avaient été sortis de l’entreprise par les actionnaires. Selon la requérante, ces deux décisions sont, en réalité, fondées sur le raisonnement selon lequel elle était effectivement en difficulté financière et n’avait accès à aucune forme alternative de financement. Ce serait la raison pour laquelle les créanciers de la requérante, y compris les autorités fiscales slovaques, ont dû recourir à des procédures de concordat ou de faillite, lesdites autorités ayant, en outre, la possibilité de recourir à la procédure d’exécution fiscale.

57      Par cette argumentation qui ne vise que les motifs ayant amené la Commission à adopter la décision 2007/254 et la décision attaquée, la requérante méconnaît le fait qu’il convient de faire une distinction entre, d’une part, l’obligation juridique de paiement imposée par un acte administratif à une personne physique ou morale et, d’autre part, la puissance financière dont dispose cette personne afin d’accomplir son devoir de paiement. Par conséquent, si les autres membres du groupe auquel appartient la requérante ne sont pas juridiquement obligés, au titre de la décision attaquée, de rembourser solidairement le montant qualifié par la Commission d’aide octroyée à la requérante, le juge des référés est appelé à vérifier, en application du concept de groupe, si ces membres ont tant les moyens financiers nécessaires pour soutenir la requérante que l’intérêt objectif à accorder un tel soutien. En effet, ledit concept vise à pallier, notamment, le risque qu’un groupe préfère organiser l’insolvabilité de la société destinataire d’une décision lui imposant de rembourser une somme d’argent, ce qui la mettrait dans l’impossibilité de procéder à ce remboursement une fois que le Tribunal aurait statué dans l’affaire principale. Partant, il ne saurait être tenu compte de l’intérêt personnel des actionnaires de cette société de laisser celle-ci entamer une procédure de faillite plutôt que de la soutenir financièrement (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 21 juin 2001, MB System/Commission, T‑209/11 R, non publiée au Recueil, point 33, et la jurisprudence citée).

58      Par conséquent, la requérante n’a pas établi l’urgence au regard de la jurisprudence relative à la prise en considération des caractéristiques du groupe auquel elle appartient.

59      Il convient d’ajouter que, selon une jurisprudence bien établie, lorsqu’une entreprise bénéficiaire d’une aide d’État est confrontée à une décision de la Commission adressée à un État membre et ordonnant la récupération de cette aide, la circonstance qu’il existe des voies de recours internes permettant à ladite entreprise de se défendre contre les mesures de recouvrement au niveau national est susceptible de permettre à ladite entreprise d’éviter un préjudice grave et irréparable résultant du remboursement de ladite aide [ordonnance du président de la Cour 14 décembre 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C‑446/10 P(R), non publiée au Recueil, point 46 ; voir également, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 6 février 1986, Deufil/Commission, 310/85 R, Rec. p. 537, point 22, et du 15 juin 1987, Belgique/Commission, 142/87 R, Rec. p. 2589, point 26]. Il s’ensuit que, dans le cadre d’une procédure de référé ayant pour objet une telle décision, il appartient à cette entreprise de démontrer que les voies de recours internes que lui offre le droit national applicable pour s’opposer au recouvrement immédiat de cette aide ne lui permettent pas, en invoquant notamment sa situation financière ou l’illégalité de la mesure de recouvrement nationale, d’éviter de subir un préjudice grave et irréparable, à défaut de quoi le juge des référés conclut à l’absence d’urgence dans la procédure devant lui (voir ordonnance du président du Tribunal du 11 mars 2013, Elan/Commission, T‑27/13 R, non publiée au Recueil, point 23, et la jurisprudence citée).

60      Cette jurisprudence – qui confère ainsi à la procédure de référé devant le juge de l’Union un caractère subsidiaire par rapport à la procédure susceptible d’être engagée devant le juge des référés national, qui est certainement mieux placé pour apprécier la légalité d’actes nationaux et la situation de l’entreprise concernée au regard du régime national en matière d’insolvabilité et de liquidation – repose sur le raisonnement selon lequel, dans le cadre d’une procédure nationale de récupération d’une aide d’État, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que le juge national ordonne le sursis à l’exécution d’une demande de recouvrement adoptée par les autorités nationales, en attendant que l’affaire au fond soit réglée devant le Tribunal ou que la Cour se prononce sur la question préjudicielle dont elle est saisie au titre de l’article 267 TFUE. En effet, dans la mesure où la partie requérante a contesté la légalité de la décision litigieuse de l’Union au titre de l’article 263 TFUE, le juge national n’est pas lié par le caractère définitif de cette décision. En outre, le fait qu’une demande de sursis à exécution n’a pas abouti devant le juge de l’Union n’empêche pas qu’un sursis soit ordonné par le juge national (voir ordonnances du président du Tribunal du 29 août 2013, France/Commission, T‑366/13 R, non publiée au Recueil, point 45, et Elan/Commission, précitée, point 24, et la jurisprudence citée).

61      En l’espèce, force est de constater que les indications fournies par la requérante à cet égard sont ambiguës.

62      En effet, si la requérante a affirmé qu’elle avait saisi le juge national pour contester l’exécution de la décision attaquée, mais que, en vertu de la procédure slovaque applicable, ses objections pouvaient être rejetées à tout moment, l’exécution pouvant ensuite intervenir immédiatement, soit au plus tard dans la première quinzaine du mois d’avril 2014 (voir point 48 ci-dessus), elle a fait valoir, en réponse aux objections de la Commission (voir point 50 ci-dessus), qu’il serait contradictoire de l’obliger à former un recours en annulation devant le Tribunal, tout en lui interdisant de demander des mesures provisoires dans cette action et en la renvoyant, à cet effet, devant le juge national, avec pour conséquence que ce juge devrait porter la question de la validité de la décision attaquée devant la Cour, créant ainsi une situation coûteuse pour la requérante et extrêmement complexe avec des procédures multiples devant trois juridictions différentes. Confrontée à cette situation, le juge national devrait normalement estimer que, dans la mesure où la légalité de la décision attaquée est contestée directement devant le Tribunal, la question des mesures provisoires serait tranchée par celui-ci afin d’éviter que le juge de l’Union et le juge national adoptent des solutions divergentes quant à la question de savoir à qui incombe la responsabilité de statuer en référé. Selon la requérante, la responsabilité du président du Tribunal est de prendre les mesures provisoires appropriées pour assurer l’efficacité de la décision future au fond, sans que cette responsabilité puisse être déléguée à une autre juridiction.

63      Face à cette argumentation, force est de constater que la requérante n’a fourni aucune précision concernant la procédure pendante devant le juge national. En particulier, elle a omis d’indiquer quel était l’état de cette procédure et si sa demande visant à obtenir une protection provisoire avait déjà été accueillie ou rejetée. En toute hypothèse, la requérante n’a pas établi, ni même prétendu, que les voies de recours internes que lui offre le droit slovaque pour s’opposer aux mesures contraignantes d’exécution de la décision attaquée (voir point 11 ci-dessus) ne lui permettraient pas, en invoquant sa situation financière individuelle et, le cas échéant, l’illégalité de ces mesures, d’éviter de subir un préjudice grave et irréparable. Le juge des référés ne peut donc que constater l’absence de démonstration de l’imperfection des voies de recours slovaques en la matière.

64      Enfin, s’agissant de la critique dirigée contre le principe du caractère subsidiaire de la procédure de référé devant le juge de l’Union par rapport à celle devant le juge des référés national, il suffit de relever que, contrairement à ce que semble admettre la requérante, ladite subsidiarité ne consiste nullement à transférer au juge national la compétence en matière de référé dont jouit le juge de l’Union. Il s’agit plutôt pour ce dernier juge d’examiner, dans le cadre de la condition relative à l’urgence, si cette dernière doit être considérée comme exclue parce que l’entreprise a la possibilité d’éviter la survenance d’un préjudice grave et irréparable en saisissant le juge national.

65      Au demeurant, il existe des décisions juridictionnelles qui, dans des situations comparables à celle objet du cas d’espèce, ont fait droit aux demandes de suspension introduites devant le juge national. À titre d’exemple, d’une part, il peut être renvoyé à l’ordonnance du président du Tribunal du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission (T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 108), dont il ressort que le juge national allemand avait suspendu une procédure nationale de recouvrement d’aides d’État après que le président de la Cour eut rejeté la demande en référé introduite par la République fédérale d’Allemagne devant la Cour et concernant le même recouvrement. D’autre part, dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du président du Tribunal du 1er juillet 2013, SEA Handling/Commission (T‑152/13 R, non publiée au Recueil), relative à une décision de la Commission enjoignant à l’État italien de récupérer des aides d’État à hauteur de 360 millions d’euros versées à la société SEA Handling, la demande de sursis à exécution a fait l’objet d’un désistement, après que le juge administratif italien avait suspendu l’injonction de recouvrement nationale (voir Il Giorno Milano du 23 mai 2013).

66      Au vu de ce qui précède, le juge des référés ne peut que constater que la requérante n’a pas établi que, à défaut d’octroi d’un sursis à l’exécution de la décision attaquée, elle risquait de subir un préjudice grave et irréparable. La condition relative à l’urgence n’est donc pas satisfaite.

67      Cette solution est cohérente avec la mise en balance des différents intérêts en présence, dans le cadre de laquelle le juge des référés doit déterminer, notamment, si l’intérêt de la requérante à obtenir le sursis à exécution demandé prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de la décision attaquée (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, Rec. p. I‑6887, point 142).

68      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 108, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE prévoit que, si la Commission constate qu’une aide d’État n’est pas compatible avec le marché intérieur, elle décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine. Il s’ensuit que l’intérêt général au nom duquel la Commission exerce les fonctions qui lui sont confiées par l’article 108, paragraphe 2, TFUE et par l’article 7 du règlement n° 659/1999, afin de garantir que le fonctionnement du marché intérieur ne soit pas faussé par des aides d’État nuisibles à la concurrence, est d’une importance particulière. En effet, l’obligation pour l’État membre concerné de supprimer une aide incompatible avec le marché intérieur vise au rétablissement de la situation antérieure (voir, en ce sens, ordonnance Elan/Commission, précitée, point 28, et la jurisprudence citée).

69      Par conséquent, il a été jugé que, dans le cadre d’une demande de sursis à l’exécution de l’obligation imposée par la Commission de rembourser une aide illégalement versée déclarée incompatible avec le marché intérieur, l’intérêt de l’Union doit normalement primer celui du bénéficiaire de l’aide d’éviter l’exécution de l’obligation de la rembourser avant le prononcé de l’arrêt devant intervenir dans l’affaire principale. Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et dans l’hypothèse où, notamment, la condition relative à l’urgence est remplie que le bénéficiaire d’une telle aide peut obtenir l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnance Elan/Commission, précitée, point 29, et la jurisprudence citée).

70      Or, ainsi qu’il vient d’être jugé, la requérante ne remplit pas la condition relative à l’urgence en l’espèce.

71      En ce qui concerne d’éventuelles circonstances exceptionnelles, la requérante estime que l’octroi du sursis à exécution sollicité ne porterait de préjudice ni à la Commission, ni à l’intérêt général, ni à celui de tiers. En effet, la décision 2007/254 n’aurait fait l’objet d’aucune procédure d’exécution depuis son adoption en 2006 jusqu’à son abrogation en 2013. Aucune raison ne justifierait de modifier à présent ce statu quo. De plus, il n’existerait pas d’intérêt public à l’exécution illégale des décisions en matière d’aide d’État. Dès lors, la Commission ne devrait s’opposer ni à la présente demande en référé ni au recours visant à l’annulation de la décision attaquée, cette décision étant manifestement illégale.

72      À cet égard, il suffit de constater que la requérante n’invoque, à l’évidence, aucune circonstance exceptionnelle qui pourrait justifier une pondération des intérêts en sa faveur et légitimer un sursis à l’exécution de la décision attaquée, celle-ci bénéficiant d’une présomption de légalité, sans qu’il soit nécessaire d’examiner davantage les obstacles auxquels s’est heurtée l’exécution de la décision 2007/254.

73      Il résulte de tout ce qui précède qu’aucune des conditions d’octroi d’un sursis à exécution n’est remplie et que, partant, la demande en référé doit être rejetée.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 6 mai 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.