Language of document : ECLI:EU:T:2003:44

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

26 février 2003(1)

«Fonctionnaires - Assurance accident et maladie professionnelle - Aggravation des lésions - Cumul du capital et de l'indemnité prévus respectivement par les articles 12 et 14 de la réglementation commune»

Dans l'affaire T-212/01,

Arnaldo Lucaccioni, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à St-Leonard-on-Sea (Royaume-Uni), représenté par Me J. R. Iturriagagoitia Bassas, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall, en qualité d'agent, assisté de Me J.-L. Fagnart, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 16 novembre 2000, portant interruption de la procédure d'examen d'une demande visant à la constatation de l'aggravation de la maladie professionnelle du requérant et refus de donner suite à cette demande, et une demande de dommages et intérêts,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, N. J. Forwood et H. Legal, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 16 octobre 2002,

rend le présent

Arrêt

    Cadre juridique

    

1.
    Le statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») dispose:

«Article 73

    1. Dans les conditions fixées par une réglementation établie d'un commun accord des     institutions des Communautés, après avis du comité du statut, le fonctionnaire est couvert, dès le jour de son entrée en service, contre les risques de maladie professionnelle et les risques d'accident. [...]

    2. Les prestations garanties sont les suivantes:

a) en cas de décès: [...]

b) en cas d'invalidité permanente totale:

paiement à l'intéressé d'un capital égal à huit fois son traitement de base annuel calculé sur la base des traitements mensuels alloués pour les douze mois précédant l'accident;

c) en cas d'invalidité permanente partielle: [...]

[...]»

    

2.
    La réglementation commune relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après la «réglementation commune») dispose:

«Article 12

1. En cas d'invalidité permanente totale du fonctionnaire résultant d'un accident ou d'une maladie professionnelle, le capital prévu à l'article 73, paragraphe 2, [sous] b), du statut lui est versé.

[...]

Article 14

Sur avis des médecins-conseils visés à l'article 19 ou de la commission médicale visée à l'article 23, une indemnité est accordée au fonctionnaire pour toute lésion ou défiguration permanente qui, tout en n'affectant pas sa capacité de travail, constitue une atteinte à l'intégrité physique de la personne et crée un préjudice réel à ses relations sociales.

Cette indemnité est déterminée par analogie avec les taux prévus aux barèmes d'invalidité visés à l'article 12. Lorsque les dommages esthétiques sont inhérents à une lésion anatomo-fonctionnelle, une augmentation appropriée de ces taux est accordée.

[...]

Article 29

L'application de la présente réglementation fait l'objet d'une concertation régulière au sein du comité du statut.»

    

3.
    Sur le fondement de l'article 29 de la réglementation commune, le comité du statut a émis, au cours de sa 82e réunion, tenue à Bruxelles le 28 septembre 1984, un avis favorable aux dispositions d'interprétation de ladite réglementation publiées aux Informations administratives du 7 janvier 1985. Celle de ces dispositions d'interprétation qui concerne, en particulier, l'article 14 de la réglementation commune (ci-après la «disposition d'interprétation de l'article 14»), est libellée ainsi:

«[L']indemnité [visée à l'article 14 de la réglementation commune], compensant des chefs de préjudices distincts de ceux couverts par l'indemnité visée à l'article 12 [de la réglementation commune], s'ajoute à cette dernière.

Toutefois, le cumul des indemnités prévues aux articles 12 et 14 ne peut dépasser le montant de l'indemnité garantie en cas d'invalidité permanente totale (100 %).»

    

4.
    L'annexe à la réglementation commune, intitulée «Barème des taux d'invalidité permanente partielle visés à l'article 12, paragraphe 2, de la [réglementation commune]», dispose, dans son dernier alinéa, ce qui suit:

«L'indemnité totale résultant de plusieurs invalidités provenant du même accident s'obtient par addition, sans pouvoir dépasser ni le capital intégral assuré pour l'invalidité permanente ou totale, ni la somme partielle assurée pour la perte totale ou la perte complète de l'usage du membre ou de l'organe lésé.»

Faits à l'origine du recours et procédure

    

5.
    Le requérant est entré au service de la Commission en 1962. De 1967 à 1975, puis de 1979 à 1987, il a travaillé dans le bâtiment du Berlaymont, à Bruxelles.

    

6.
    En 1990, le requérant, faisant valoir qu'il avait été exposé à de la poussière d'amiante durant son affectation au bâtiment du Berlaymont, a demandé que les lésions pulmonaires dont il se plaignait soient reconnues comme une maladie professionnelle et qu'un taux d'invalidité permanente lui soit reconnu.

    

7.
    À l'issue de la procédure visée à l'article 78 du statut, le requérant a été mis en retraite et s'est vu accorder une pension d'invalidité égale à 70 % de son traitement de base.

    

8.
    Parallèlement, la procédure de l'article 73 du statut a abouti à la reconnaissance de la maladie professionnelle du requérant. Une invalidité permanente totale a été constatée et un taux d'invalidité de 100 % a donc été fixé. En outre et compte tenu «des signes permanents (cicatrices, déformation de la glande mammaire gauche, diminution de la force musculaire du membre supérieur gauche) et des troubles psychologiquessévères que présente le [requérant]» constatés par la Commission médicale visée à l'article 23 de la réglementation commune, la Commission a décidé d'accorder au requérant, en application de l'article 14 de cette réglementation, une indemnité fixée à 30 % du capital prévu pour l'invalidité permanente totale.

    

9.
    En application de l'article 73 du statut et des articles 12 et 14 de la réglementation commune, la Commission a versé au requérant la somme de 25 794 194 francs belges (BEF), correspondant à 130 % — soit l'addition des taux de 100 % et de 30 % — du capital prévu pour l'invalidité permanente totale.

    

10.
    Le 7 juin 2000, le requérant a introduit, en vertu de l'article 22 de la réglementation commune, une demande visant à la reconnaissance d'une aggravation de sa maladie professionnelle et au paiement par la Commission, sur la base de l'article 14 de cette réglementation, d'une indemnité égale à 70 % du capital prévu par l'article 73, paragraphe 2, sous b), du statut (ci-après la «demande d'aggravation»).

    

11.
    Le 29 juin 2000, la Commission a informé le requérant que le docteur Castro était chargé du dossier. Par lettre du 6 juillet 2000, le docteur Castro a invité le requérant à se présenter à sa consultation le 4 septembre 2000. Cette lettre a été suivie d'un échange de correspondances entre le requérant et le docteur Castro.

    

12.
    À la suite de l'examen du 4 septembre 2000, le docteur Castro a transmis à la Commission son rapport d'examen médical (ci-après le «rapport médical»), en date du 25 octobre 2000, contenant ses conclusions.

    

13.
    Par lettre du 16 novembre 2000, la Commission a notifié au requérant sa décision d'interrompre la procédure prévue à l'article 22 de la réglementation commune et donc de ne pas donner suite à la demande d'aggravation (ci-après la «décision attaquée»). La Commission a motivé sa décision par référence aux dispositions d'interprétation de la réglementation commune mentionnées au point 3, ci-dessus.

    

14.
    Le 14 février 2001, le requérant a introduit une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, à l'encontre de la décision attaquée. Cette réclamation a fait l'objet d'une décision implicite de rejet.

    

15.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 septembre 2001, le requérant a introduit le présent recours.

    

16.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans ordonner de mesures d'instruction ou d'organisation de la procédure, et notamment sans donner suite à aucunedes propositions de telles mesures exprimées par le requérant et reprises au point 20 ci-dessous. La demande de huis clos formée par le requérant a été rejetée.

    

17.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience du 16 octobre 2002.

Conclusions des parties

    

18.
    Le requérant conclut, à titre principal, à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision attaquée;

—    condamner la Commission à l'indemniser pour les préjudices subis chiffrés sous toute réserve à 125 000 euros;

—    condamner la Commission aux dépens.

    

19.
    Le requérant conclut, à titre subsidiaire, à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    constater l'illégalité de la disposition d'interprétation de l'article 14;

—    annuler ou retirer cette disposition d'interprétation.

    

20.
    En outre, dans son mémoire en réplique, le requérant formule certaines demandes additionnelles:

—    à titre principal:

    —    ordonner, sur la base de l'article 64 du règlement de procédure du Tribunal, que le rapport médical soit traité comme étant un document confidentiel;

    —    ordonner que le rapport médical soit écarté du présent dossier ainsi que du dossier individuel du requérant;

    —    ordonner que la procédure orale soit tenue à huis clos conformément à l'article 57 du règlement de procédure;

    —    désigner un expert médical neutre et indépendant, conformément aux articles 65, sous d), et 66, paragraphe 1, du règlement de procédure, ayant pour mission la détermination de l'aggravation de la maladie professionnelle du requérant;

—    à titre subsidiaire:

    —    constituer une commission médicale conformément aux dispositions du statut et de la réglementation, le cas échéant, avec la suspension de la présente procédure conformément aux articles 77 et suivants du règlement de procédure;

—    à titre plus subsidiaire:

    —    citer le docteur Castro, conformément à l'article 65 du règlement de procédure, pour l'entendre au sujet de l'examen médical du 4 septembre 2000 et de son agrément dans les compagnies d'assurance de la Commission.

    

21.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    statuer comme de droit sur les dépens.

En droit

Sur la demande en annulation

    

22.
    Au soutien de sa demande en annulation, le requérant soulève, en substance, six moyens. Dans un premier moyen, le requérant se prévaut de l'illégalité de la disposition d'interprétation de l'article 14. Il se prévaut, dans un deuxième moyen, d'une violation des principes de bonne administration et de sollicitude, dans un troisième moyen, d'une violation du principe de confiance légitime, dans un quatrième moyen, d'une violation du principe de non-discrimination, dans un cinquième moyen, d'un détournement de pouvoir et, dans un sixième moyen, d'une violation de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1).

    

23.
    Il convient d'étudier tout d'abord le premier moyen d'annulation, tiré de l'illégalité de la disposition d'interprétation de l'article 14.

Arguments des parties

    

24.
    Sur ce premier moyen, le requérant fait valoir que, bien que les articles 12 et 14 de la réglementation commune ne contiennent aucune mention d'une limite quelconque des indemnités, la disposition d'interprétation de l'article 14 fixe une limite au cumul des indemnités, égale au montant de l'indemnité garantie en cas d'invalidité permanente totale (100 %).

    

25.
    Or, selon le requérant, si le comité du statut dispose des pouvoirs suffisants, en vertu de l'article 29 de la réglementation commune, pour se concerterquant à l'application de celle-ci, il ne peut nullement modifier le statut ou cette réglementation et, en particulier, limiter les droits des fonctionnaires reconnus inconditionnellement dans ces textes.

    

26.
    Le comité du statut aurait fait une interprétation contra legem des articles 12 et 14 de la réglementation commune, et les effets de cette interprétation justifieraient l'annulation de la décision attaquée.

    

27.
    La Commission fait tout d'abord valoir, dans sa défense, l'irrecevabilité de ce premier moyen, faute pour celui-ci d'avoir été présenté dans la réclamation administrative préalable. Dans sa duplique, elle ajoute que, le requérant n'ayant pas réagi dans sa réplique à cet argument d'irrecevabilité, il conviendrait d'y faire droit.

    

28.
    Quant au fond sur ce premier moyen, la Commission soutient que la disposition d'interprétation de l'article 14 consacre une interprétation correcte de la réglementation commune et, notamment, de ses articles 12 et 14. Au soutien de cette affirmation, la Commission se réfère à l'article 73 du statut et à l'article 12 de la réglementation commune.

    

29.
    Elle rappelle que l'objet de l'article 73 du statut n'est pas de compenser l'incapacité du fonctionnaire à exercer ses fonctions. Cet objet serait celui de l'article 78 du statut, qui prévoit une pension d'invalidité. L'article 73 compenserait l'atteinte à l'intégrité physique, selon un barème d'invalidité variant entre 0 %, correspondant à une intégrité physique totale, et 100 %, correspondant à une perte totale de l'intégrité physique. Il ne serait pas possible de concevoir un taux supérieur à 100 %. D'ailleurs, le barème annexé à la réglementation commune ne comporterait pas de taux supérieur à 100 %, même pour les lésions les plus graves. Or, selon la Commission, bien que cette déduction semble s'imposer d'elle-même, il a néanmoins été considéré approprié de l'exposer en toutes lettres, et c'est l'objet, en effet, de la disposition d'interprétation de l'article 14.

    

30.
    La Commission relève ensuite que le requérant se serait déjà vu reconnaître en 1994 un taux d'invalidité de 130 %, alors que cela aurait dû être exclu selon la disposition d'interprétation de l'article 14. Ce taux résulterait de la combinaison d'un taux d'invalidité «simple» de 100 % et d'un supplément de 30 % pour préjudice esthétique et pour préjudice à ses relations sociales. Le requérant viserait actuellement à obtenir une «aggravation» de ce supplément au titre de l'article 14 de la réglementation commune. Or, selon la Commission, dans la demande d'aggravation, ce ne sont que les trois dernières causes supposées d'aggravation qui sont présentées comme de nature psychique, donc relevant plus particulièrement de l'article 14 de la réglementation commune, tandis que la première cause supposée d'aggravation serait physique (dyspnée, altérations du rythme cardiaque), même si le requérantestime que celle-ci a été la cause d'une altération de ses relations sociales et maritales.

    

31.
    La Commission fait enfin valoir que le requérant ne saurait se prévaloir de l'octroi en 1994 d'un taux d'invalidité de 130 % pour exiger que l'erreur que cet octroi pourrait constituer soit aujourd'hui répétée ou aggravée. Le fait que la disposition d'interprétation de l'article 14 n'a pas été respectée à l'époque serait sans incidence sur le bien-fondé de cette disposition d'interprétation.

    

32.
    Dans sa duplique, la Commission ajoute que, faute pour le requérant d'avoir réagi dans sa réplique aux arguments de fond susvisés, il conviendrait d'y faire droit.

Appréciation du Tribunal

— Sur la recevabilité

    

33.
    Selon une jurisprudence constante, la règle de la concordance entre la réclamation et le recours exige, sous peine d'irrecevabilité, qu'un moyen soulevé devant le juge communautaire l'ait déjà été dans le cadre de la procédure précontentieuse, afin que l'administration ait été en mesure de connaître d'une façon suffisamment précise les critiques que l'intéressé formule à l'encontre de la décision contestée. Il ressort également de la jurisprudence que, si les conclusions présentées devant le juge communautaire ne peuvent contenir que des «chefs de contestation» reposant sur la même cause que celle des chefs de contestation invoqués dans la réclamation, ces chefs de contestation peuvent cependant, devant le juge communautaire, être développés par la présentation de moyens et arguments ne figurant pas nécessairement dans la réclamation, mais s'y rattachant étroitement (arrêts du Tribunal du 3 mars 1993, Booss et Fischer/Commission, T-58/91, Rec. p. II-147, point 83, et du 8 juin 1995, Allo/Commission, T-496/93, RecFP p. I-A-127 et II-405, point 26).

    

34.
    Le Tribunal considère que le premier moyen invoqué par le requérant, tiré de l'illégalité de la disposition d'interprétation de l'article 14, se rattache étroitement aux chefs de contestation soulevés dans la réclamation introduite par celui-ci. En effet, il ressort de cette réclamation, et notamment de ses points 3, 4, 6 à 8, 17, 20 à 22, que le requérant s'y prévaut de l'illégalité de la disposition d'interprétation de l'article 14 pour fonder sa demande d'annulation de la décision attaquée. Enfin, la circonstance, relevée par la Commission dans sa duplique, selon laquelle la requérante n'a pas expressément répondu à l'argument d'irrecevabilité soulevé par la Commission dans sa défense ne saurait être interprétée comme un acquiescement de la requérante à cet argument.

    

35.
    Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de déclarer recevable le moyen tiré de l'illégalité de la disposition d'interprétation de l'article 14.

— Sur le fond

    

36.
    À titre liminaire, il convient d'écarter l'argument de la Commission selon lequel, faute pour le requérant d'avoir répondu dans sa réplique aux arguments de fond opposés par la Commission au premier moyen d'annulation, il conviendrait de faire droit à ces arguments. En effet, il apparaît, au contraire, que les arguments de la Commission ne sont qu'une réponse à ceux exprimés par le requérant dans sa requête.

    

37.
    La question centrale posée par le présent recours, et faisant l'objet du premier moyen d'annulation, est celle de savoir si la décision attaquée, qui est motivée par référence à la disposition d'interprétation de l'article 14, est fondée sur une interprétation correcte du statut.

    

38.
    Il est constant que la disposition d'interprétation de l'article 14 exprime une règle qui ne figure expressément ni dans le statut ni dans la réglementation commune. Ces textes ne disposent en effet pas que le montant cumulé du capital et de l'indemnité versés en application, respectivement, des articles 12 et 14 de la réglementation commune ne peut dépasser le montant correspondant à 100 % du capital prévu pour l'invalidité permanente totale.

    

39.
    La Commission soutient cependant que la disposition d'interprétation de l'article 14 ne fait qu'exprimer une règle qui se déduit de façon évidente de ces textes.

    

40.
    La position de la Commission part de l'affirmation qu'un fonctionnaire qui se voit octroyer un taux d'invalidité permanente totale (100 %) dans le cadre de la procédure de l'article 73 du statut est réputé avoir totalement perdu son intégrité physique, ou, pour reprendre l'expression utilisée par la Commission à l'audience, sa «validité». La Commission en déduit qu'il serait dès lors illogique d'octroyer à ce fonctionnaire une indemnité supplémentaire sur le fondement de l'article 14 de la réglementation commune. En effet, cela reviendrait, selon la Commission, à considérer que l'intéressé a une «validité inférieure à 0 %», ou encore une invalidité permanente supérieure à 100 %, ce qui n'est pas concevable.

    

41.
    Le Tribunal considère que cette déduction n'est ni évidente ni correcte.

    

42.
    En effet, le capital versé en application des articles 73 du statut et 12 de la réglementation commune et l'indemnité versée en application de l'article 14 de cette même réglementation concernent des préjudices distincts. Ainsi, à la différence des articles 73 et 12 susvisés, qui indemnisent l'atteinte àl'intégrité physique ou psychique en tant que telle, c'est-à-dire pour l'invalidité qu'elle entraîne chez l'intéressé, l'article 14 de la réglementation commune indemnise le fonctionnaire «pour toute lésion ou défiguration permanente qui, tout en n'affectant pas sa capacité de travail, constitue une atteinte à l'intégrité physique de la personne et crée un préjudice réel à ses relations sociales». L'article 14 de la réglementation commune vise donc à compenser, lorsqu'il est établi, le préjudice réel que l'atteinte à l'intégrité physique crée dans les relations sociales de l'intéressé, indépendamment de l'invalidité que cette lésion ou cette défiguration peuvent entraîner par ailleurs.

    

43.
    Le caractère distinct des préjudices visés par les articles 73 du statut et 12 de la réglementation commune, d'une part, et par l'article 14 de la réglementation commune, d'autre part, est d'ailleurs reconnu tant dans la disposition d'interprétation de l'article 14 elle-même que dans la jurisprudence de la Cour et du Tribunal (arrêts de la Cour du 18 mars 1982, Chaumont-Barthel/Parlement, 103/81, Rec. p. 1003, points 2 à 14, et du 24 octobre 1996, Commission/Royale belge, C-76/95, Rec. p. I-5501, point 90; arrêt du Tribunal du 15 décembre 1999, Latino/Commission, T-300/97, RecFP p. I-A-259 et II-1263, point 72).

    

44.
    La référence effectuée dans l'article 14 de la réglementation commune aux taux du barème d'invalidité ne vise pas à la fixation d'un taux d'invalidité supplémentaire, qui viendrait s'ajouter au taux d'invalidité reconnu en application de l'article 73 du statut. Il s'agit d'une référence opérée par analogie et qui détermine seulement la méthode de calcul de l'indemnité de l'article 14 (voir, en ce sens, arrêt Commission/Royale belge, précité, point 90). C'est donc à tort que la Commission additionne le taux d'invalidité permanente de 100 % reconnu en 1994 au requérant, le taux de 30 % déterminé en 1994 pour le calcul d'une première indemnité au titre de l'article 14 et, enfin, le taux de 70 % dont se prévaut aujourd'hui le requérant, et qu'elle en conclut que le requérant se serait déjà vu reconnaître par erreur dans le passé une invalidité permanente de 130 % et tenterait aujourd'hui d'accroître indûment ses droits à 200 %. C'est, pour les mêmes raisons, de façon inexacte que, dans la lettre du 15 avril 1994, citée dans l'arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Lucaccioni/Commission (T-165/95, RecFP p. I-A203 et II-627, point 33), et produite par la Commission en annexe à son mémoire en défense, le directeur général de la direction générale «Personnel et administration» de la Commission informait le requérant qu'il était en mesure de lui reconnaître le «taux d'invalidité permanente totale de 130 %».

    

45.
    Il convient, par ailleurs, de relever que la limitation, prônée par la Commission, du montant cumulé des sommes payables en application des articles 12 et 14 de la réglementation commune au montant maximal payable au titre de cet article 12 aurait pour conséquence d'empêcher oude limiter, dans certains cas, l'indemnisation des préjudices visés à l'article 14, et ce malgré leur caractère clairement distinct. En effet, tout fonctionnaire s'étant vu octroyer, pour une maladie professionnelle ou un accident donné, un taux d'invalidité permanente totale se verrait, de ce fait, privé de la réparation des préjudices relevant de l'article 14 de la réglementation commune, tel le préjudice réel qu'une défiguration, tout en ne limitant pas la capacité de travail de l'intéressé, créerait néanmoins à ses relations sociales. Une telle limitation entraînerait donc une violation du principe d'égalité de traitement (voir, en ce sens, conclusions de l'avocat général M. La Pergola sous l'arrêt Commission/Royale Belge, précité, Rec. p. I-5505, point 30).

    

46.
    Dans ces conditions, autant la limitation, expressément prévue au dernier alinéa de l'annexe à la réglementation commune (voir, ci-dessus, point 4) et selon laquelle le taux d'invalidité permanente reconnu pour un même accident ne peut excéder 100 %, se justifie dans le système de couverture des maladies et accidents professionnels institué par le statut, autant la limitation prônée dans la présente affaire par la Commission, selon laquelle le cumul du taux d'invalidité permanente et du taux utilisé pour le calcul de l'indemnité de l'article 14 de la réglementation commune ne peut dépasser 100 %, n'apparaît nullement comme une règle implicite se déduisant à l'évidence de cette réglementation, mais au contraire comme une règle nouvelle, et de surcroît illégale, car induisant une violation du principe d'égalité de traitement.

    

47.
    C'est donc à tort que le comité du statut, qui n'était, de toute manière, pas compétent pour modifier la réglementation commune mais l'était seulement pour mener une concertation sur son application (voir article 29 de la réglementation commune), a rendu un avis favorable à l'égard de la disposition d'interprétation de l'article 14, et c'est également à tort que la Commission a fondé la décision attaquée sur une telle disposition illégale.

    

48.
    La Commission fait cependant valoir un argument subsidiaire, selon lequel, en tout état de cause, une décision négative de la Commission en réponse à la demande d'aggravation était intrinsèquement correcte. La Commission se fonde sur le rapport médical, produit à cette fin au stade du mémoire en défense.

    

49.
    Il convient de constater que cet argument subsidiaire est inopérant. En effet, l'objet du recours est l'appréciation de la légalité d'une décision d'interrompre la procédure d'examen de la demande d'aggravation fondée sur la disposition d'interprétation de l'article 14, et non l'appréciation de la légalité d'une décision finale par laquelle, à l'issue de la procédure d'examen de la demande d'aggravation et sur la base des conclusions du ou des médecins désignés par l'institution ou, le cas échéant, de l'avis dela commission médicale, la Commission se serait prononcée sur cette demande.

    

50.
    La prise en compte de cet argument subsidiaire par le Tribunal serait en tout état de cause incompatible avec le déroulement de la procédure d'examen d'une demande d'aggravation, dans le cadre de laquelle le demandeur peut, si les conclusions du médecin désigné par l'institution lui sont défavorables, demander, en vertu de l'article 21, paragraphe 2, de la réglementation commune, que la commission médicale donne son avis.

    

51.
    Il ressort de ce qui précède que le premier moyen d'annulation, tiré de l'illégalité de la disposition d'interprétation de l'article 14, est fondé et, partant, que la décision attaquée doit être annulée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens d'annulation invoqués par le requérant.

Sur les demandes additionnelles formées au stade de la réplique par le requérant

    

52.
    À la suite de la production du rapport médical par la Commission, le requérant a formé des demandes additionnelles, reprises au point 20 ci-dessus, demandes dont la plupart constituent des propositions de mesures d'instruction et d'organisation de la procédure auxquelles le Tribunal n'a pas donné suite (voir, ci-dessus, point 16). Certaines des demandes additionnelles sont cependant assimilables à des demandes au fond. Il s'agit des demandes visant à ce que le Tribunal ordonne que le rapport médical soit écarté du dossier personnel du requérant et à ce que le Tribunal constitue une commission médicale conformément aux dispositions du statut.

    

53.
    Il convient, sans même examiner ces demandes, de les rejeter pour cause d'incompétence manifeste. En effet, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l'article 236 CE, la juridiction communautaire n'a pas compétence pour adresser des injonctions aux institutions communautaires ou pour se substituer à ces dernières (arrêt de la Cour du 9 juin 1983, Verzyck/Commission, 225/82, Rec. p. 1991, point 19; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1991, Von Hoessle/Cour des comptes, T-19/90, Rec. p. II-615, point 30, et du 11 juin 1996, Ouzounof Popoff/Commission, T-111/94, RecFP p. I-A-277 et II-819, point 40).

Sur la demande en indemnité

    

54.
    Le requérant demande la condamnation de la Commission, pour les préjudices de toute nature subis, au paiement d'une somme chiffrée, sous toute réserve, à 125 000 euros.

    

55.
    Les préjudices allégués sont les démarches supplémentaires du requérant, le stress que provoque chez lui sa confrontation à une pathologie encore aggravée, les désagréments de toute nature subis et les frais supplémentairesencourus. Le requérant invoque également le dépassement par la Commission des délais raisonnables dans le traitement de sa demande d'aggravation.

    

56.
    Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, l'annulation d'un acte de l'administration attaqué par un fonctionnaire constitue, en elle-même, une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que celui-ci peut avoir subi dans le cas d'espèce (arrêt de la Cour du 7 février 1990, Culin/Commission, C-343/87, Rec. p. I-225, point 26; arrêt du Tribunal du 16 décembre 1993, Moat/Commission, T-58/92, Rec. p. II-1443, point 71).

    

57.
    À supposer que le requérant ait subi un préjudice moral, il y a lieu de considérer, au regard de toutes les circonstances de l'affaire, que l'annulation de la décision attaquée constituerait, en tout état de cause, une réparation intégrale dudit préjudice. Quant au préjudice matériel prétendument subi, que le requérant évoque en termes vagues, force est de constater que ce dernier n'en rapporte pas la preuve.

    

58.
    La demande en paiement de dommages et intérêts est donc rejetée.

Sur les dépens

    

59.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

    

60.
    En l'espèce, la Commission a succombé pour l'essentiel. En conséquence, il y a lieu, au vu des conclusions du requérant, de la condamner aux dépens.

    Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission, notifiée au requérant par lettre du 16 novembre 2000, d'interrompre la procédure prévue à l'article 22 de la réglementation commune et de ne pas donner suite à la demande du requérant visant à la constatation d'une aggravation de sa maladie professionnelle, est annulée.

2)     Le recours est rejeté pour le surplus.

3)     La Commission est condamnée aux dépens.

Vesterdorf
Forwood

Legal

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 février 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français