Language of document : ECLI:EU:T:2003:54

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

5 mars 2003 (1)

«Marque communautaire - Procédure d'annulation - Vocable BSS - Article 51 du règlement (CE) n° 40/94 - Motif absolus de refus - Article 7, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 40/94 - Caractère distinctif acquis par l'usage - Articles 7, paragraphe 3, et 51, paragraphe 2, du règlement n° 40/94»

Dans l'affaire T-237/01,

Alcon Inc., anciennement Alcon Universal Ltd, établie à Hünenberg (Suisse), représentée par MM. H. Porter, solicitor, et C. Morcom, QC, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par Mme S. Laitinen, en qualité d'agent,

partie défenderesse,

l'intervenant devant le Tribunal étant

Dr. Robert Winzer Pharma GmbH, établie à Olching (Allemagne), représentée par Me S. N. Schneller, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 13 juillet 2001 (affaire R 273/2000-1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. R. M. Moura Ramos, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 20 novembre 2002,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Aux termes de l'article 51 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié:

«1.     La nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:

a)     lorsque la marque communautaire a été enregistrée contrairement aux dispositions de l'article 5 ou de l'article 7;

b)     lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque.

2.     Lorsque la marque communautaire a été enregistrée contrairement à l'article 7 paragraphe 1 point b), c) ou d) elle ne peut toutefois être déclarée nulle si, par l'usage qui en a été fait, elle a acquis après son enregistrement un caractère distinctif pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée.

3.     Si la cause de nullité n'existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, la nullité de la marque ne peut être déclarée que pour les produits ou les services concernés.»

2.
    Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 40/94, sont refusées à l'enregistrement les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce.

3.
    Conformément à l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94, le paragraphe 1, sous b), c) et d) n'est pas applicable si la marque a acquis pour les produits ou services pour lesquels est demandé l'enregistrement un caractère distinctif après l'usage qui en a été fait.

Antécédents du litige

4.
    Le 1er avril 1996, Alcon Pharmaceuticals Ltd a présenté une demande de marque communautaire à l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (ci-après l'«Office»), en vertu du règlement n° 40/94.

5.
    La marque dont l'enregistrement a été demandé est le vocable «BSS».

6.
    Les produits pour lesquels l'enregistrement a été demandé relèvent de la classe 5 au sens de l'arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié et correspondent à la description suivante:

«Préparations pharmaceutiques ophtalmiques; solutions stériles pour la chirurgie ophtalmique.»

7.
    La marque a été enregistrée le 7 août 1998 et publiée le 19 octobre 1998.

8.
    Par lettre du 27 septembre 1999, Alcon Universal Ltd (ci-après la «requérante») a demandé à l'Office l'inscription au registre du transfert à son profit de la marque communautaire en cause. Le 29 novembre 1999, le transfert de ladite marque au profit de la requérante a été inscrit au registre de l'Office.

9.
    Le 7 décembre 1998, la partie intervenante a formé une demande en nullité de la marque communautaire au titre de l'article 51, paragraphe 1, du règlement n° 40/94. Les motifs invoqués sont ceux visés par l'article 7 du règlement n° 40/94.

10.
    Par décision du 15 décembre 1999, la division d'annulation a déclaré la nullité de la marque communautaire BSS au titre de l'article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94, au motif que cette marque était composée d'un signe devenu usuel dans le langage courant au sens de l'article 7, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 40/94. En outre, la division d'annulation a estimé que la requérante n'avait pas démontré que le signe avait acquis un caractère distinctif par l'usage au sens des articles 7, paragraphe 3, et 51, paragraphe 2, du règlement n° 40/94.

11.
    Le 15 février 2000, un recours a été formé auprès de l'Office, au titre de l'article 59 du règlement n° 40/94, contre la décision de la division d'annulation.

12.
    Le recours a été rejeté par décision de la première chambre de recours du 13 juillet 2001 (ci-après la «décision attaquée») qui a été notifiée à la requérante le 18 juillet 2001.

13.
    La chambre de recours a considéré que la décision de la division d'annulation était fondée. Elle a observé que le vocable «BSS» est utilisé soit en allemand soit en anglais pour désigner, dans le langage courant, une préparation pharmaceutique ophtalmique. En outre, en ce qui concerne les articles 7, paragraphe 3, et 51, paragraphe 2, du règlement n° 40/94, la chambre de recours a considéré que les preuves produites par la requérante ne démontraient pas que ce signe avait acquis un caractère distinctif par l'usage.

Procédure et conclusions des parties

14.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 septembre 2001, la requérante a introduit le présent recours. L'Office a déposé son mémoire en réponse le 28 janvier 2002. La partie intervenante a déposé son mémoire en réponse le 1er février 2002. La requérante a déposé une réplique le 12 avril 2002. L'Office a déposé une duplique le 14 juin 2002. La partie intervenante a déposé une duplique le 1er juillet 2002.

15.
    Par communication du 19 novembre 2002, la requérante a informé le Tribunal de la modification de sa dénomination sociale qui a eu lieu le 21 décembre 2001.

16.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    ordonner à l'Office de rejeter la demande de nullité de la marque communautaire;

-    statuer sur les dépens.

17.
    L'Office conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

18.
    La partie intervenante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

19.
    Lors de l'audience, la requérante s'est désistée du deuxième chef de ses conclusions tendant à enjoindre à l'Office de rejeter la demande de nullité de la marque communautaire.

En droit

20.
    La requérante soulève en l'espèce un moyen unique, tiré de la violation de l'article 51, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement n° 40/94.

Arguments des parties

21.
    La requérante expose qu'elle a démontré devant la division d'annulation de l'Office qu'elle était la première à avoir adopté le vocable «BSS» comme marque en 1959 et qu'elle a pris des initiatives pour conserver le caractère distinctif de cette marque et continue d'en prendre.

22.
    À cet égard, la requérante considère que la chambre de recours n'a pas suffisamment pris en compte ses initiatives pour surveiller l'usage fait par des tiers du terme «BSS». La requérante soutient, en particulier, avoir pris part à des actions visant à limiter l'emploi des termes «IOCARE BSS» par la société Ciba Vision et des termes «PHARMACIA & UPJOHN BSS» par la société Pharmacia & Upjohn. En outre, la requérante estime que la chambre de recours a méconnu à tort la capacité du titulaire d'une marque d'utiliser celle-ci en combinaison avec une autre marque sans altérer son caractère distinctif.

23.
    Dans son mémoire en réplique, la requérante produit plusieurs documents, notamment des copies d'extraits de dictionnaires pharmaceutiques, une mise à jour de sa «liste de surveillance BSS» présentée devant la chambre de recours le 17 avril 2000, 18 déclarations de personnes du monde médical de France, de Finlande, de Grèce, de Belgique et des Pays-Bas attestant du caractère distinctif de la marque BSS, une liste des dates auxquelles les produits revêtus de la marque BSS ont été lancés pour la première fois dans les différents pays européens après leur lancement initial aux États-Unis et des renseignements sur les conditions d'enregistrement de sa marque verbale BSS au Royaume-Uni et en Allemagne.

24.
    L'Office considère que la chambre de recours a confirmé à juste titre la nullité de la marque communautaire BSS sur la base du constat de la division d'annulation selon lequel le terme «BSS» était un terme générique pour les produits visés par la marque en cause.

25.
    En effet, l'Office est d'avis que la chambre de recours a considéré à bon droit que, au moment de la demande d'enregistrement de la marque communautaire BSS par la requérante, le terme «BSS» était employé, au moins dans une partie de l'Union européenne, comme une indication désignant une «solution saline équilibrée» («Balanced Salt Solution») et qu'il était donc impossible de distinguer les produits d'une entreprise de ceux d'autres entreprises sur la base du vocable en question. Cela est confirmé, selon lui, par les sept extraits de dictionnaires techniques spécialisés et de publications scientifiques dans le domaine ophtalmique en langues allemande et anglaise ainsi que par de nombreux sites Internet qui ont été analysés par la chambre de recours dans la décision attaquée.

26.
    S'agissant de l'argument de la requérante selon lequel elle a créé les termes «Balanced Salt Solution» et «BSS», l'Office considère qu'il est dénué de pertinence dans le cas d'espèce.

27.
    Par ailleurs, l'Office estime dépourvu de fondement l'argument de la requérante selon lequel la chambre de recours n'a pas tenu suffisamment compte des enregistrements nationaux antérieurs du vocable «BSS» ou de ceux contenant ledit vocable, étant donné que, selon une jurisprudence constante du Tribunal, ils ne lient pas l'Office et, de surcroît, ils ne coïncident pas avec la marque visée en l'espèce.

28.
    Quant au caractère distinctif acquis par l'usage de la marque BSS, l'Office estime que la requérante n'a pas démontré son existence, ni devant la division d'annulation ni devant la chambre de recours.

29.
    Enfin, dans son mémoire en duplique, l'Office fait valoir que les documents produits par la requérante dans son mémoire en réplique pour la première fois devant le Tribunal sont irrecevables en vertu de l'article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, car ils ont été produits tardivement et ce retard n'a pas été justifié.

30.
    La partie intervenante considère que les documents produits par la requérante devant l'Office ne sont pas suffisants pour maintenir l'enregistrement de la marque communautaire BSS. En effet, selon elle, le vocable «BSS» est utilisé par de nombreux fabricants comme un terme générique ou descriptif désignant une solution saline équilibrée et la partie requérante n'a pas démontré avoir pris des initiatives pour interdire l'emploi du vocable «BSS» par ses concurrents. À cet égard, la partie intervenante estime que la «liste de surveillance BSS» produite par la requérante est dénuée de pertinence, puisqu'elle ne mentionne qu'un litige portant sur cette marque et que, en revanche, elle ne fait pas référence à l'utilisation en Allemagne des termes «IOCARE BSS» par la société Ciba Vision et des termes «PHARMACIA & UPJOHN BSS» par la société Pharmacia & Upjohn.

31.
    La partie intervenante considère que l'utilisation par la requérante elle-même du vocable «BSS» conjointement avec d'autres termes pose la question de savoir si cet usage est capable de conférer un caractère distinctif à un seul des éléments qui composent le signe.

32.
    Dans son mémoire en duplique, la partie intervenante joint plusieurs documents supplémentaires en vue de démontrer le caractère générique et descriptif de la marque BSS.

Appréciation du Tribunal

33.
    Dans le présent recours, la requérante attaque une décision de la première chambre de recours de l'Office portant rejet de son recours contre la décision de la division d'annulation de l'Office qui a déclaré, sur demande de la partie intervenante, la nullité de la marque communautaire BSS enregistrée pour «préparations pharmaceutiques ophtalmiques; solutions stériles pour la chirurgie ophtalmique».

34.
    Dans ce contexte, il convient d'analyser, premièrement, si la chambre de recours a considéré à juste titre que la marque communautaire BSS n'aurait pas dû être enregistrée en vertu de l'article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94, en raison de l'existence, pour la marque en cause, d'un motif absolu de refus et, si tel est le cas, deuxièmement, si la chambre de recours a constaté à bon droit que la marque en cause n'avait pas acquis un caractère distinctif par l'usage au sens des articles 7, paragraphe 3, et 51, paragraphe 2, du règlement n° 40/94.

35.
    En premier lieu, il convient de constater que la décision de la division d'annulation est basée sur l'application au cas d'espèce de l'article 7, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 40/94 qui empêche l'enregistrement des marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce. Dès lors, le contrôle de la légalité de la décision attaquée, qui confirme la décision de la division d'annulation, doit être effectué par référence à cette même base juridique.

36.
    À titre liminaire, il y a lieu de constater qu'il n'existe pas de jurisprudence communautaire portant sur l'application de cette disposition. Néanmoins, la Cour a été appelée à interpréter l'article 3, paragraphe 1, sous d), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), dont le contenu est, en substance, identique à celui de l'article 7, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 40/94 (arrêt de la Cour du 4 octobre 2001, Merz & Krell, C-517/99, Rec. p. I-6959).

37.
    Selon la Cour, l'article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose à l'enregistrement d'une marque que lorsque les signes ou les indications dont cette marque est exclusivement composée sont devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce pour désigner les produits ou les services pour lesquels ladite marque est présentée à l'enregistrement (arrêt Merz & Krell, précité, point 31). Ainsi, il convient de relever que le caractère usuel d'une marque ne peut être apprécié que, d'une part, par rapport aux produits ou aux services visés par la marque, même si la disposition en cause ne fait pas une référence explicite à ceux-ci et, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public ciblé.

38.
    S'agissant du public ciblé, il convient de constater que le caractère usuel d'un signe s'apprécie en tenant compte de l'attente présumée d'un consommateur moyen du type de produit en cause qui est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé [voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, Rec. p. I-3819, point 26, et arrêt du Tribunal du 27 février 2002, Eurocool Logistik/OHMI (EUROCOOL), T-34/00, Rec. p. II-683, point 47].

39.
    En outre, la Cour a estimé que, bien qu'il existe un chevauchement évident des champs d'application respectifs de l'article 3, paragraphe 1, sous c), et de l'article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 89/104, l'exclusion de l'enregistrement des marques visées par cette dernière disposition n'est pas fondée sur la nature descriptive de ces marques, mais sur l'usage en vigueur dans les milieux dont relève le commerce des produits et des services pour lesquels lesdites marques ont été présentées à l'enregistrement (arrêt Merz & Krell, précité, point 35).

40.
    Enfin, la Cour a souligné que des signes ou des indications composant une marque qui sont devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce pour désigner les produits ou les services visés par cette marque ne sont pas propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises et ne remplissent donc pas la fonction essentielle de ladite marque - sauf si l'usage qui a été fait de ces signes ou de ces indications leur a permis d'acquérir un caractère distinctif susceptible d'être reconnu en application de l'article 3, paragraphe 3, de la directive 89/104 (arrêt Merz & Krell, précité, point 37).

41.
    En l'espèce, il y a lieu d'observer que la marque en cause avait été enregistrée pour «préparations pharmaceutiques ophtalmiques; solutions stériles pour la chirurgie ophtalmique» et que, dès lors, le caractère usuel du vocable «BSS» doit être analysé par rapport à ces produits.

42.
    Étant donné la destination des produits visés par la marque en cause, le public ciblé est un public spécialisé en matière médicale, notamment des ophtalmologues et chirurgiens ophtalmiques. Par ailleurs, étant donné la connaissance par les médecins et les pharmaciens dans l'Union européenne des termes scientifiques en anglais, qui est la langue technique dans ce domaine, il convient de considérer comme public pertinent les ophtalmologues et chirurgiens ophtalmiques de l'ensemble de l'Union européenne.

43.
    Les preuves présentées par la partie intervenante devant l'Office concernant le caractère usuel du vocable «BSS» par rapport à un public spécialisé en ophtalmologie démontrent que ce vocable est devenu la dénomination générique courante pour une solution saline équilibrée (Balanced Salt Solution). En effet, il y a lieu d'observer que les dictionnaires de chimie, de médecine et de pharmacie ainsi que les articles scientifiques produits par la partie intervenante prouvent que le vocable «BSS» est considéré, par la communauté scientifique en la matière, comme un terme générique.

44.
    Ainsi, il convient de constater que, comme il a été relevé par la chambre de recours au point 17 de la décision attaquée, les dictionnaires présentés par la partie intervenante devant la division d'annulation (Dictionary of Chemistry and Chemical Technology par Helmut Gross, Elsevier 1989; Lexicon medizinisch-wissenschaftlicher Abkürzungen par Dr. Rolf Heister, F. K. Schattauer Verlag 1985; Medical and Pharmaceutical Dictionary par Werner. E. Bunjes, Georg Thieme Verlag 1981; MASA Medical Acronyms, Symbols & Abbreviations par Betty Hamilton et Barbara Guidos, Neal Schuman Publishers, Inc. 1984 et Abbreviations par Ralph De Sola, Elsevier 1986) ainsi que les articles produits devant la chambre de recours parmi lesquels elle cite ceux publiés par le Winterlude (édition 1995) et par le New England Eye Center (édition 1996), font mention du vocable «BSS» en tant que dénomination générique du produit Balanced Salt Solution ou Buffered Saline Solution.

45.
    De plus, il y a lieu d'observer que les éditions des années 1997, 1998 et 1999 de la Rote Liste (vade-mecum médical allemand) présentées par la partie intervenante devant la division d'annulation et celle de l'année 2000 présentée devant la chambre de recours montrent que des sociétés autres que la requérante commercialisent des produits ophtalmiques sous des dénominations contenant le vocable «BSS». Ainsi, à titre d'exemple, l'édition de l'année 1999 mentionne l'utilisation de la dénomination «IOCARE BSS» par la société Ciba Vision, de la dénomination «PHARMACIA & UPJOHN BSS» par la société Pharmacia & Upjohn, et de la dénomination «Serag Ophtal BSS» par la société Serag-Wiessner.

46.
    Par conséquent, la chambre de recours a considéré à juste titre, au point 19 de la décision attaquée, que les preuves produites par la partie intervenante devant l'Office sont suffisantes pour démontrer que, pour les milieux spécialisés, «BSS» est un terme qui est devenu usuel, à la date du dépôt de la demande d'enregistrement de la marque BSS par la requérante, en tant que dénomination générique pour des «solutions stériles pour la chirurgie ophtalmique». Par ailleurs, il convient de constater que la requérante n'a pas produit devant l'Office des preuves de nature à démontrer que la marque BSS ne tombe pas dans le champ d'application du motif absolu de refus visé par l'article 7, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 40/94.

47.
    Concernant l'allégation de la requérante selon laquelle elle a démontré qu'elle était la première société à avoir adopté en 1959 le vocable «BSS» en tant que marque, il y a lieu de considérer que ce fait ne démontre pas que la marque en cause n'était pas devenue usuelle 37 années plus tard en raison de son utilisation entre-temps en tant que dénomination générique dans le domaine ophtalmologique.

48.
    En effet, un signe qui, à une certaine époque, était capable de constituer une marque est susceptible, en raison de son utilisation par des tiers en tant que dénomination usuelle d'un produit, de perdre la capacité d'exercer les fonctions d'une marque et, notamment, celle d'identifier l'origine commerciale du produit afin de permettre ainsi au consommateur qui acquiert le produit que la marque désigne de faire, lors d'une acquisition ultérieure, le même choix, si l'expérience s'avère positive ou de faire un autre choix si elle s'avère négative [arrêt du Tribunal du 27 février 2002, Rewe-Zentral/OHMI (LITE), T-79/00, Rec. p. II-705, point 26].

49.
    En deuxième lieu, il convient de vérifier si la requérante a apportée devant l'Office la preuve que la marque BSS avait acquis un caractère distinctif par l'usage pour les produits pour lesquels elle était enregistrée.

50.
    Selon la jurisprudence de la Cour, pour l'appréciation du caractère distinctif de la marque, y compris celui acquis par l'usage, peuvent être prises en considération, notamment, la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de l'usage de cette marque, l'importance des investissements faits par l'entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d'une entreprise déterminée grâce à la marque ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d'industrie ou d'autres associations professionnelles. Si, sur la base de tels éléments, les milieux intéressés ou, à tout le moins, une fraction significative de ceux-ci identifient grâce à la marque le produit comme provenant d'une entreprise déterminée, on doit en conclure que la condition exigée par l'article 3, paragraphe 3, de la directive 89/104 - et par analogie celle exigée par l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94 - pour l'enregistrement de la marque est remplie (arrêts de la Cour du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97, Rec. p. I-2779, points 51 et 52, et du 18 juin 2002, Philips, C-299/99, Rec. p. I-5475, points 60 et 61).

51.
    Le caractère distinctif d'une marque, y compris celui acquis par l'usage, doit, également, être apprécié par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l'enregistrement de la marque est demandé et en tenant compte de la perception présumée d'un consommateur moyen de la catégorie des produits ou des services en cause normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, en ce sens, arrêt Philips, précité, points 59 et 63).

52.
    En ce qui concerne l'étendue de l'usage nécessaire pour faire accepter l'enregistrement d'une marque en vertu de l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94, le Tribunal a considéré que le caractère distinctif acquis par l'usage d'une marque doit être démontré dans la partie substantielle de l'Union européenne où elle en était dépourvue au regard de l'article 7, paragraphe 1, sous b), c), et d), dudit règlement [arrêt du Tribunal du 30 mars 2000, Ford Motor/OHMI (OPTIONS), T-91/99, Rec. p. II-1925, point 27].

53.
    En l'espèce, la requérante devait démontrer devant l'Office que sa marque avait acquis un caractère distinctif, soit avant la date de dépôt de la demande de marque le 1er avril 1996, soit entre la date d'enregistrement, le 7 août 1998, et celle de la demande de nullité, le 7 décembre 1998, dans l'ensemble ou dans une partie substantielle de l'Union européenne.

54.
    La requérante considère que la chambre de recours n'a pas apprécié suffisamment les initiatives qu'elle a prises et qu'elle continue de prendre pour conserver le caractère distinctif de la marque BSS. L'Office et la partie intervenante considèrent que les preuves produites par la requérante devant l'Office sont insuffisantes pour maintenir l'enregistrement de cette marque.

55.
    Il convient de considérer que la question de savoir si un vocable, qui est usuel dans le langage courant ou dans les habitudes loyales du commerce, a acquis un caractère distinctif par l'usage dépend, notamment, de la perception de celui-ci par le public ciblé, soit comme le nom générique du produit en cause, soit comme le signe distinctif d'une entreprise déterminée. Dès lors, les efforts du titulaire sont pris en considération dans la mesure où ils ont des résultats objectifs dans la perception du terme en cause par le public pertinent.

56.
    En ce qui concerne les documents produits par la requérante devant la division d'annulation et, ensuite, devant la chambre de recours, pour démontrer que la marque BSS avait acquis un caractère distinctif par l'usage, la requérante a produit une «liste de surveillance BSS» et des accords qu'elle a conclus avec des tiers qui montreraient l'existence d'un programme de contrôle de l'usage par des tiers de cette marque notamment aux États-Unis, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni. Néanmoins, l'incidence de ce programme ainsi que ses résultats dans la sensibilisation du public ciblé ne sont pas connus.

57.
    En effet, le fait que la requérante a pris des initiatives pour garantir le maintien du caractère distinctif de la marque en cause n'est pas suffisant pour prouver que ladite marque a acquis un caractère distinctif par l'usage à l'égard des produits visés par l'enregistrement, sauf si ces mesures ont donné lieu à une prise de conscience par le public ciblé du fait que le vocable «BSS» est une marque. À cet égard, il convient de constater que la «liste de surveillance BSS» n'est qu'un indice de l'intention de la requérante d'éviter l'usage par des concurrents de la marque BSS, mais elle ne démontre pas que le public ciblé perçoit le vocable «BSS» comme étant une marque et, donc, elle ne prouve pas que le vocable «BSS» n'était plus une dénomination usuelle dans le domaine ophtalmologique.

58.
    Enfin, il y a lieu de constater que les arguments tirés par la requérante des données sur les chiffres d'affaires et sur les investissements en publicité ainsi que les documents qu'elle a produits devant l'Office, notamment les certificats des enregistrements nationaux de marques comprenant le vocable «BSS» et les prospectus visant les produits «ALCON BSS» et «BSS PLUS», ne sont pas davantage de nature à déterminer le caractère distinctif de la marque BSS que ceux précédemment analysés. De plus, la requérante n'a avancé aucun argument dans la requête sur la valeur probatoire de ces documents.

59.
    S'agissant de l'argument de la requérante concernant la capacité du titulaire d'une marque à utiliser celle-ci en combinaison avec d'autres signes sans altérer son caractère distinctif, il y a lieu de relever qu'il est dénué de pertinence pour l'analyse de l'acquisition du caractère distinctif de la marque BSS. Le caractère complexe de la formule d'identification des produits qu'elle commercialise («ALCON BSS», «BSS PLUS» ou «ALCON BSS PLUS») pourrait tout au plus constituer un indice qu'elle-même considère que la marque BSS n'a pas acquis un caractère distinctif suffisant pour être utilisé sans aucun autre élément additionnel d'identification du produit.

60.
    Dès lors, il y a lieu de relever que la chambre de recours a considéré à juste titre que la requérante n'a pas démontré que sa marque avait acquis un caractère distinctif par l'usage au sens des articles 7, paragraphe 3, et 51, paragraphe 2, du règlement n° 40/94.

61.
    Quant aux documents annexés à la requête et à la réplique de la partie requérante ainsi qu'à la duplique de la partie intervenante qui n'avaient pas été analysés par la chambre de recours, ceux-ci, produits pour la première fois devant le Tribunal, ne peuvent être pris en considération étant donné que le recours devant le Tribunal vise le contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l'Office au sens de l'article 63 du règlement n° 40/94.

62.
    Dans ces circonstances, la fonction du Tribunal n'étant pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des documents présentés pour la première fois devant lui, il convient d'écarter les documents produits par la requérante et par la partie intervenante pour la première fois devant le Tribunal sans qu'il soit nécessaire d'examiner leur force probatoire.

63.
    Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que c'est à juste titre que la chambre de recours a considéré que la marque BSS était devenue usuelle dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce et que la requérante n'avait pas démontré devant l'Office que la marque en cause avait acquis pour les produits pour lesquels elle était enregistrée un caractère distinctif après l'usage qui en a été fait.

64.
    Partant, le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

65.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par l'Office et par la partie intervenante, conformément aux conclusions de ceux-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante est condamnée aux dépens.

Moura Ramos
Pirrung

Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mars 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: l'anglais.