Language of document : ECLI:EU:C:2024:228

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

14 mars 2024 (*)

« Pourvoi – Médicaments à usage humain – Demande d’autorisation de mise sur le marché – Indépendance des experts consultés par le comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l’Agence européenne des médicaments (EMA) – Article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à une bonne administration – Exigence d’impartialité objective – Critères pour vérifier l’absence de conflits d’intérêts – Politique de l’EMA sur les intérêts concurrents – Activités en tant que chercheur principal, consultant ou conseil stratégique pour l’industrie pharmaceutique – Produits rivaux – Procédure de réexamen – Règlement (CE) no 726/2004 – Articles 56, 62 et 63 – Lignes directrices de l’EMA – Consultation d’un groupe scientifique consultatif (GSC) ou d’un groupe d’experts ad hoc »

Dans l’affaire C‑291/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 mai 2022,

Debrégeas et associés Pharma SAS (D & A Pharma), établie à Paris (France), représentée par Mes V. Durget, E. Gouesse et N. Viguié, avocats,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. A. Sipos et G. Wils, en qualité d’agents,

Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par Mme C. Bortoluzzi, M. S. Drosos, Mme H. Kerr et M. S. Marino, en qualité d’agents,

parties défenderesses en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, Mme O. Spineanu-Matei, MM. J.-C. Bonichot, S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 mai 2023,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 7 septembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Debrégeas et associés Pharma SAS (D & A Pharma) (ci-après « D & A Pharma ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 2 mars 2022, D & A Pharma/Commission et EMA (T‑556/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:111), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant, notamment, à l’annulation de la décision d’exécution de la Commission du 6 juillet 2020 (ci-après la « décision litigieuse »), refusant la demande d’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM ») du médicament à usage humain Hopveus – oxybate de sodium (ci-après l’« Hopveus »), au titre du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures de l’Union pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2019/5 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018 (JO 2019, L 4, p. 24) (ci-après le « règlement no 726/2004 »).

 Le cadre juridique

 Le règlement no 726/2004

2        Les considérants 19 et 23 du règlement no 726/2004 énoncent :

(19)      L’[Agence européenne des médicaments (EMA)] devrait être principalement chargée de fournir un avis scientifique du meilleur niveau possible aux institutions de [l’Union européenne] ainsi qu’aux États membres pour leur permettre d’exercer les compétences que leur confère la législation [de l’Union], dans le secteur des médicaments, en matière d’autorisation et de surveillance des médicaments. [...]

[...]

(23)      La responsabilité exclusive de la préparation des avis de l’[EMA] sur toute question relative aux médicaments à usage humain devrait être confiée à un comité des médicaments à usage humain. [...] »

3        L’article 1er, premier alinéa, de ce règlement dispose :

« Le présent règlement a pour objet l’établissement de procédures de l’Union pour l’autorisation, la surveillance et la pharmacovigilance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et l’institution [de l’EMA] chargée des tâches relatives aux médicaments à usage humain et aux médicaments vétérinaires prévues dans le présent règlement et d’autres actes législatifs pertinents de l’Union. »

4        L’article 5 dudit règlement prévoit :

« 1.      Il est institué un comité des médicaments à usage humain [(ci-après le « CHMP »)]. Ce comité relève de l’[EMA].

2.      Sans préjudice de l’article 56 et d’autres attributions que pourrait lui conférer le droit de l’Union, le [CHMP] est chargé de formuler l’avis de l’[EMA] sur toute question concernant la recevabilité des dossiers présentés en suivant la procédure centralisée, l’octroi, la modification, la suspension ou le retrait d’une [AMM] d’un médicament à usage humain, conformément aux dispositions du présent titre, ainsi que la pharmacovigilance. [...]

[...] »

5        Aux termes de l’article 9 du même règlement :

« 1.      L’[EMA] informe immédiatement le demandeur si, de l’avis du [CHMP] :

a)      la demande ne satisfait pas aux critères d’autorisation fixés par le présent règlement ;

[...]

2.      Dans les quinze jours suivant la réception de l’avis visé au paragraphe 1, le demandeur peut notifier par écrit à l’[EMA] son intention de demander un réexamen de l’avis. Dans ce cas, il transmet les motifs détaillés de la demande à l’[EMA] dans un délai de soixante jours à compter de la réception de l’avis.

[...]

3.      L’[EMA] envoie l’avis définitif [du CHMP], dans les quinze jours suivant son adoption, à la Commission [européenne], aux États membres et au demandeur. L’avis est accompagné d’un rapport décrivant l’évaluation du médicament par le [CHMP] et exposant les raisons qui motivent ses conclusions.

[...] »

6        L’article 10, paragraphe 2, du règlement no 726/2004 dispose :

« La Commission adopte, par voie d’actes d’exécution, une décision définitive dans les quinze jours qui suivent la réception de l’avis du [CHMP]. [...] »

7        L’article 56 de ce règlement prévoit :

« 1.      L’[EMA] se compose :

a)      du [CHMP], chargé d’élaborer l’avis de l’[EMA] sur toute question relative à l’évaluation de médicaments à usage humain ;

[...]

2.      Les comités visés au paragraphe 1 [...] du présent article ont chacun la faculté d’instituer des groupes de travail permanents et temporaires. Le comité visé au paragraphe 1, point a), du présent article peut instituer des groupes scientifiques consultatifs [(ci-après des « GSC »)] dans le cadre de l’évaluation de types particuliers de médicaments ou de traitements, auxquels le comité concerné peut déléguer certaines tâches ayant trait à l’élaboration des avis scientifiques visés à l’article 5.

[...] »

8        Aux termes de l’article 57, paragraphe 1, dudit règlement :

« L’[EMA] donne aux États membres et aux institutions de l’Union les meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à usage humain [...]

À cette fin, l’[EMA] assure, notamment par ses comités, les fonctions suivantes :

a)      coordonner l’évaluation scientifique de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à usage humain et des médicaments vétérinaires qui font l’objet de procédures d’[AMM] au niveau de l’Union ;

[...] »

9        L’article 62 du même règlement dispose :

« 1.      [...]

En cas de demande de réexamen d’un de ses avis, lorsque la législation de l’Union prévoit cette possibilité, le comité concerné nomme un rapporteur et, le cas échéant, un corapporteur différents de ceux qui ont été désignés pour l’avis initial. La procédure de réexamen ne peut porter que sur des points de l’avis identifiés au préalable par le demandeur et ne peut être fondée que sur les données scientifiques qui étaient disponibles au moment où le comité a adopté l’avis initial. Le demandeur peut demander que le comité consulte un [GSC] dans le cadre du réexamen.

2.      Les États membres transmettent à l’[EMA] le nom d’experts nationaux possédant une expérience confirmée dans l’évaluation des médicaments à usage humain et des médicaments vétérinaires et qui, en tenant compte de l’article 63, paragraphe 2, seraient disponibles pour participer à des groupes de travail ou [GSC] des comités visés à l’article 56, paragraphe 1, en indiquant leurs qualifications et leurs domaines spécifiques de compétence.

L’[EMA] établit et tient une liste d’experts accrédités. Cette liste comprend les experts nationaux visés au premier alinéa ainsi que tout autre expert désigné par l’[EMA] ou la Commission [...]

[...] »

10      Aux termes de l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 726/2004 :

« Les membres du conseil d’administration, les membres des comités, les rapporteurs et les experts ne peuvent pas avoir d’intérêt financier ou autre dans l’industrie pharmaceutique qui serait de nature à compromettre leur impartialité. Ils s’engagent à agir au service de l’intérêt public et dans un esprit d’indépendance et font chaque année une déclaration d’intérêts financiers. Tout intérêt indirect susceptible d’avoir un lien avec l’industrie pharmaceutique est déclaré dans un registre détenu par l’[EMA] et accessible au public, sur demande, dans les locaux de l’[EMA].

Le code de conduite de l’[EMA] prévoit les mesures concrètes pour la mise en œuvre du présent article [...]

Les [...] membres des comités, rapporteurs et experts qui participent aux réunions ou groupes de travail de l’[EMA] déclarent à chaque réunion, eu égard aux points à l’ordre du jour, les intérêts particuliers qui pourraient être considérés comme préjudiciables à leur indépendance. Ces déclarations sont rendues accessibles au public. »

 Les règles de procédure du CHMP

11      L’article 11, paragraphe 2, du document intitulé « Comittee for Medicinal Products for Human Use – Rules of Procedure » (« [CHMP] – règles de procédure », ci-après les « règles de procédure du CHMP ») prévoit :

« Le réexamen d’avis prévu à l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 726/2004 ne peut porter que sur les points de l’avis initialement identifiés par le demandeur et est fondé sur les seules données scientifiques disponibles lorsque le [CHMP] a adopté l’avis initial. Le demandeur peut demander que le [CHMP] consulte un [GSC] (si et quand il est établi) en relation avec le réexamen. Dans ce cas, le [CHMP] demande l’avis d’experts supplémentaires disponibles. »

 Les règles de procédure des GSC

12      La section II, troisième alinéa, du document de l’EMA intitulé « Mandate, objectives and rules of procedure for the scientific advisory groups (SAGs) and ad-hoc experts groups » (« Mandat, objectifs et règles de procédure des GSC et des groupes d’experts ad hoc », ci-après les « règles de procédure des GSC »), énonce :

« Lorsque les problématiques se réfèrent à une aire thérapeutique pour laquelle aucun GSC spécifique n’a été constitué, un groupe d’experts ad hoc sera organisé et suivra le mandat d’un GSC. »

13      Aux termes de la section IV des règles de procédure des GSC :

« [...]

Le GSC comporte à la fois un groupe principal – qui assure la continuité et la cohérence au sein du groupe – et des experts additionnels qui peuvent être appelés à participer à une réunion ou une série de réunions portant sur un problème spécifique au sujet duquel ils disposent d’une éducation, d’une formation et d’une expérience professionnelles pertinentes, apportant ainsi une expertise supplémentaire dans des domaines spécifiques au cas par cas.

[...]

Nomination des membres du groupe principal :

Douze membres seront sélectionnés pour leur expertise clinique/technique et leur indépendance dans le domaine d’intérêt et seront nommés pour trois ans.

Le groupe principal doit refléter une composition équilibrée d’expertise scientifique et les membres doivent donc avoir des éducations, formations et expériences professionnelles diversifiées. La composition du groupe principal doit, autant que possible, refléter les différentes écoles de pensée ou les pratiques thérapeutiques européennes.

Un expert en méthodologie des essais cliniques et en biostatistique doit toujours être l’un des membres du groupe principal et peut être nommé à plus d’un GSC.

[...] »

14      La section VII, point 4, des règles de procédure des GSC dispose :

« Participation d’experts additionnels aux réunions des GSC

Des membres du CHMP, le président du GSC et l’EMA feront des propositions pour des experts additionnels sur la base de leur expertise dans l’aire thérapeutique ou le domaine à couvrir par le GSC durant sa réunion, selon la liste de questions du CHMP pour le GSC.

[...] »

 Les lignes directrices relatives à la procédure de réexamen

15      Aux termes du point 6.1 du document intitulé « Procedural advice on the Re-examination of CHMP Opinions » (« Lignes directrices relatives à la procédure de réexamen des avis du CHMP », ci-après les « lignes directrices relatives à la procédure de réexamen ») :

« La décision relative à la consultation d’un GSC pour une demande de réexamen dépendra entre autres du CHMP ou de la demande du demandeur de consultation du GSC par le CHMP.

Dans l’hypothèse où le demandeur demande [la consultation d’]un GSC, il est souhaitable que celui-ci en informe le CHMP le plus tôt possible. Une telle demande doit être dûment motivée. S’il n’y a aucune demande de la part du demandeur, le CHMP décide si une expertise supplémentaire est nécessaire. Dans l’hypothèse d’une demande de consultation du GSC provenant du demandeur, le CHMP consulte le GSC systématiquement.

Dans un domaine thérapeutique pour lequel aucun GSC n’est établi, l’avis d’experts supplémentaires disponibles sera sollicité sous la forme de consultation d’un groupe d’experts ad hoc.

Lors de la réunion du CHMP suivant la réception de la notification écrite du [demandeur] à l’[EMA] ou des motifs détaillés de la demande de réexamen de l’avis, le CHMP décide de la consultation du GSC et de sa composition (en ce qui concerne les experts autres que le groupe principal du GSC), et le CHMP adopte une liste de questions au GSC.

[...] »

 Le code de conduite de l’EMA

16      Aux termes du point 2.3.2 du code de conduite de l’EMA, visé à l’article 63, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 726/2004 :

« La définition de ce qui constitue un intérêt, est établie dans des politiques spécifiques de l’EMA. [...] »

17      Aux termes du point 2.3.3 du code de conduite de l’EMA :

« S’agissant des membres du conseil d’administration ou des comités scientifiques, des rapporteurs et des experts, ainsi que des membres du personnel de l’EMA, la participation aux travaux de l’EMA est subordonnée à la communication d’une déclaration d’intérêts signée et à une analyse des intérêts ainsi déclarés. Les restrictions applicables aux personnes concernées s’agissant des tâches susceptibles de leur être assignées dans le cadre de la mission et des responsabilités de l’EMA dépendront de leurs intérêts concurrents et des fonctions exercées. Les restrictions pertinentes sont détaillées dans les documents d’orientation politique de l’[EMA]. »

 La politique relative aux intérêts concurrents

18      Aux termes du point 3.2.1 du document, publié par l’EMA, portant l’intitulé « European Medicines Agency policy on the handling of competing interests of scientific committees’ members and experts » (« Politique de l’[EMA] relative au traitement des intérêts concurrents des membres et experts des comités scientifiques »), dans sa version du 6 octobre 2016, applicable à la demande de réexamen introduite par la requérante (ci-après la « politique relative aux intérêts concurrents ») :

« [...]

Les intérêts directs dans l’industrie pharmaceutique sont :

[...]

–        Consultance pour une entreprise

–        Rôle de conseil stratégique pour une entreprise

[...]

Les intérêts indirects dans l’industrie pharmaceutique sont :

–        Chercheur principal

[...] »

19      Le point 3.2.1.1 de la politique relative aux intérêts concurrents est libellé comme suit :

« Par “consultance pour une entreprise pharmaceutique”, on entend : toute activité dans laquelle l’expert concerné fournit des conseils (y compris une formation individuelle) à une entreprise pharmaceutique, indépendamment des accords contractuels ou de toute forme de rémunération.

[...]

Par “rôle de conseil stratégique pour une entreprise pharmaceutique”, on entend : toute activité où l’expert participe (avec un droit de vote/influence le résultat) à un comité consultatif/comité directeur (scientifique) avec pour rôle de proposer des avis/exprimer des opinions sur la stratégie (future), la direction et le développement des activités d’entreprises pharmaceutiques, soit en termes de stratégie générale ou de stratégie liée à un produit, indifféremment des arrangements contractuels ou de toute forme de rémunération.

[...] »

20      Aux termes du point 3.2.1.2 de cette politique :

« [...]

Par “chercheur principal”, on entend : un chercheur ayant la responsabilité de la coordination des chercheurs dans différents centres participant à un essai multicentrique incité/parrainé par l’industrie pharmaceutique ou le chercheur principal d’un essai monocentrique incité/parrainé par l’industrie pharmaceutique, ou le chercheur coordinateur (principal) signataire du rapport d’étude clinique.

[...] »

21      Le point 3.2.2 de ladite politique prévoit :

« [...]

Par “produit rival” on entend : un médicament qui vise une population de patients similaire avec le même objectif clinique (à savoir traiter, prévenir ou diagnostiquer une pathologie spécifique) et qui constitue une concurrence commerciale potentielle.

[...] »

22      Le point 4.1 de la même politique énonce :

« L’objectif principal de la politique est de garantir que les membres des comités scientifiques et les experts participant aux activités de l’[EMA] n’ont aucun intérêt dans l’industrie pharmaceutique susceptible de porter atteinte à leur impartialité, conformément aux exigences de la législation de l’[Union]. Cela doit être mis en balance avec la nécessité d’assurer la meilleure expertise scientifique (spécialisée) pour l’évaluation et la surveillance des médicaments [...]

[...] »

23      Aux termes du point 4.2.1.1 de la politique relative aux intérêts concurrents :

« En matière de déclarations d’intérêts, trois niveaux d’intérêt peuvent être identifiés :

“intérêts directs déclarés” (c’est-à-dire niveau d’intérêt 3) ;

“intérêts indirects déclarés” (c’est-à-dire niveau d’intérêt 2) ;

“aucun intérêt déclaré” (c’est-à-dire niveau d’intérêt 1).

L’accent est mis principalement sur les intérêts directs dans l’industrie pharmaceutique, ce qui conduit aux restrictions les plus prononcées en matière de participation aux activités de l’[EMA].

Les intérêts indirects dans l’industrie pharmaceutique seront pris en compte par des mesures d’atténuation afin d’atteindre le meilleur équilibre possible entre la limitation de l’implication dans les activités de l’[EMA] et la nécessité de disposer de la meilleure expertise scientifique (spécialisée).

[...] »

24      Le point 4.2.1.2 de cette politique dispose :

« [...]

Cas particulier des produits rivaux

Pour le cas spécifique des produits rivaux (anciennement appelés produits concurrents), une approche à deux niveaux est appliquée :

Le concept de produits rivaux concerne les situations dans lesquelles il n’y a qu’un très petit nombre (1 à 2) de produits rivaux. [...]

Pour les indications larges, étant donné que de nombreux produits sont autorisés pour la même indication, le volume de concurrence existant dilue de manière adéquate les intérêts potentiels.

Dans les situations caractérisées par seulement un très petit nombre de produits rivaux comme précisé ci-dessus, les conséquences concerneront les (vice)-présidents des comités scientifiques et des groupes de travail, ainsi que les rapporteurs ou autres membres jouant un rôle de direction/coordination, ou les pairs évaluateurs officiellement désignés. »

25      Le point 4.4 de ladite politique est libellé comme suit :

« Les conséquences de l’application des principes énoncés dans la présente politique en termes des intérêts admissibles sont résumées dans l’annexe I “Membres des comités scientifiques et experts autorisés à s’impliquer dans les questions liées aux médicaments”.

[...] »

26      L’annexe I de la politique relative aux intérêts concurrents comporte un tableau qui précise, pour chaque type de participation à l’évaluation de produits pharmaceutiques dans le cadre des procédures devant l’EMA, les restrictions qui s’appliquent en fonction de la nature des intérêts déclarés et de la période pendant laquelle ces intérêts ont existé.

27      S’agissant, notamment, des experts ayant déclaré un intérêt actuel en tant que « chercheur principal », au sens de cette politique, il ressort de ce tableau que ceux-ci peuvent être membre d’un GSC ou d’un groupe d’experts ad hoc pour autant que leur participation y soit limitée lorsqu’il s’agit d’un médicament concerné par un tel intérêt :

« Implication uniquement dans les discussions concernant les procédures impliquant le médicament concerné, c’est-à-dire aucune participation aux délibérations finales et au vote, le cas échéant, concernant le médicament. »

28      S’agissant des experts ayant déclaré un intérêt actuel en tant que consultant ou conseil stratégique pour une entreprise pharmaceutique, ledit tableau opère une distinction entre, d’une part, l’hypothèse où cet intérêt consiste à fournir des services de consultance qui sont généraux ou couvrent plusieurs médicaments et, d’autre part, l’hypothèse où ledit intérêt consiste à fournir des services de consultance à propos d’un médicament individuel. Dans la première hypothèse, toute participation à un GSC ou groupe d’experts ad hoc est interdite, tandis que, dans la seconde hypothèse, la possibilité d’être membre d’un GSC ou d’un groupe d’experts ad hoc est seulement restreinte, de la manière suivante :

« Aucune implication concernant les procédures impliquant le médicament concerné, c’est-à-dire aucune participation aux discussions, aux délibérations finales et au vote, le cas échéant, concernant le médicament. »

 Les antécédents du litige

29      Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 2 à 12 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.

30      Le 26 juin 2018, D & A Pharma a déposé une demande d’AMM conditionnelle auprès de l’EMA pour l’Hopveus au titre du règlement (CE) no 507/2006 de la Commission, du 29 mars 2006, relatif à l’autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil (JO 2006, L 92, p. 6).

31      L’Hopveus, qui contient comme substance active l’oxybate de sodium, vise à lutter contre la dépendance à l’alcool.

32      Le 17 octobre 2019, le CHMP a rendu un avis défavorable sur cette demande.

33      Le 29 octobre 2019, D & A Pharma a, en vertu de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 726/2004, introduit une demande de réexamen de l’avis du CHMP (ci-après la « demande de réexamen »).

34      Aux fins de ce réexamen, le CHMP a convoqué un groupe d’experts ad hoc.

35      À la suite d’un nouvel avis défavorable du CHMP en date du 30 avril 2020, la Commission a, par la décision litigieuse, opposé un refus à la demande d’AMM conditionnelle.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

36      D & A Pharma a introduit un recours contre la Commission et l’EMA, tendant à l’annulation de la décision litigieuse et à ce qu’il soit ordonné que le GSC psychiatrie soit, à la suite de cette annulation, convoqué dans la composition qui était la sienne à la date de la demande de réexamen.

37      Aux points 21 et 22 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que la décision litigieuse émanait de la Commission et que le recours était, par conséquent, irrecevable en ce qu’il était dirigé contre l’EMA. Le Tribunal a cependant examiné la légalité de la procédure devant l’EMA, dès lors que la Commission s’est fondée sur l’avis fourni par le CHMP, qui fait partie intégrante de l’EMA.

38      D & A Pharma a soulevé six moyens à l’appui de ce recours. Le premier moyen était tiré d’un vice de procédure, en ce que le CHMP avait convoqué, aux fins du réexamen de la demande d’AMM pour l’Hopveus, un groupe d’experts ad hoc et non le GSC psychiatrie. Le deuxième moyen était tiré d’un défaut d’impartialité de deux membres de ce groupe d’experts ad hoc (ci-après, respectivement, l’« expert A » et l’« expert B » ou, ensemble, les « experts A et B »). Le troisième moyen était tiré d’un vice de procédure en raison de manquement aux règles de fonctionnement dudit groupe d’experts ad hoc et d’une violation du principe d’examen contradictoire de la demande d’AMM. Les quatrième à sixième moyens étaient tirés d’une erreur de droit, d’erreurs manifestes d’appréciation et de violations du principe d’égalité de traitement.

39      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal, ayant considéré ces moyens comme étant non fondés, a rejeté le recours.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

40      Par acte déposé au greffe de la Cour le 2 mai 2022, D & A Pharma a introduit le présent pourvoi.

41      Par ce pourvoi, la requérante demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de statuer définitivement sur le recours introduit devant le Tribunal, tendant, en particulier, à l’annulation de la décision litigieuse, et

–        de condamner la Commission ainsi que l’EMA aux dépens.

42      La Commission et l’EMA demandent à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner la requérante aux dépens.

43      À la suite d’une demande introduite par la requérante le 9 août 2022, le président de la Cour l’a autorisée à déposer un mémoire en réplique.

44      Après le dépôt des mémoires en duplique de la Commission et de l’EMA, la phase écrite de la procédure dans la présente affaire a été clôturée le 25 novembre 2022.

45      Le 14 avril 2023, la requérante a demandé la réouverture de la phase écrite de la procédure. À l’appui de cette demande, elle a invoqué l’existence d’éléments complémentaires qu’elle estimait importants pour la bonne compréhension du dossier, à savoir, d’une part, une thèse de doctorat au sujet de l’efficacité de l’oxybate de sodium dans le traitement de la dépendance à l’alcool et, d’autre part, l’appréciation de cette thèse par le jury ayant évalué celle-ci.

46      Ladite demande a été rejetée par le président de la quatrième chambre de la Cour pour les motifs qui suivent.

47      L’article 128, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, qui figure dans la partie de ce règlement consacrée aux recours directs, prévoit que les parties au litige peuvent, à titre exceptionnel, encore produire des preuves ou faire des offres de preuve après la clôture de la phase écrite de la procédure, ce qui peut conduire à la fixation d’un délai pour l’autre partie afin que celle-ci puisse prendre position sur ces éléments de preuve. Une disposition similaire n’est toutefois pas prévue dans le règlement de procédure s’agissant des pourvois, dès lors que, dans ce cadre, la Cour n’est en principe pas compétente pour examiner de tels éléments, hormis le cas de leur dénaturation par le Tribunal, ce qui ne saurait être le cas, par définition, de nouveaux éléments de preuve, présentés pour la première fois devant la Cour.

48      Par ailleurs, dès lors que la requérante ne soutient pas, dans le cadre du présent pourvoi, que le Tribunal a dénaturé les faits et les éléments de preuve soumis à son appréciation, en ce qu’il aurait jugé, à l’encontre de ces faits et éléments, que l’oxybate de sodium n’était pas efficace dans le traitement de la dépendance à l’alcool, la Cour n’est pas compétente pour examiner cette question. Il s’ensuit que les éléments complémentaires invoqués par la requérante sont en tout état de cause dépourvus de pertinence.

49      Partant, le président de la quatrième chambre de la Cour a décidé qu’il y avait lieu de rejeter la demande de réouverture de la phase écrite de la procédure, sans devoir examiner la question, soulevée par la requérante dans sa demande visant une telle réouverture, de savoir si la non‑applicabilité de l’article 128, paragraphe 2, du règlement de procédure dans les procédures de pourvoi peut, dans certaines circonstances, se révéler contraire au droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

 Sur le pourvoi

50      La requérante invoque deux moyens à l’appui de son pourvoi. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal en jugeant que la décision du CHMP de ne pas convoquer le GSC psychiatrie n’était pas illégale et d’une erreur de qualification juridique des faits en jugeant que cette décision n’a pas pu influencer le sens de la décision litigieuse. Le second moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une erreur de qualification juridique des faits commises par le Tribunal en ce que celui-ci a jugé, dans le cadre de son examen relatif à l’exigence d’impartialité objective, que les experts A et B n’étaient pas en situation de conflit d’intérêts.

 Argumentation des parties

51      Dans une première branche du second moyen du pourvoi, qu’il convient d’examiner d’emblée, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en exigeant la preuve d’un parti pris ou d’un préjugé personnel de la part des experts A et B.

52      À cet égard, elle rappelle que le parti pris ou le préjugé personnel représente un manque d’impartialité subjective. Dès lors qu’elle avait invoqué un manque d’impartialité objective, le Tribunal aurait dû examiner s’il existait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à l’impartialité de ces experts.

53      Cette exigence d’impartialité objective s’appliquerait, contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé aux points 132 et 133 de l’arrêt attaqué, à toute personne intervenant dans une procédure administrative et non seulement aux personnes investies de responsabilités particulières.

54      Le Tribunal se serait erronément fondé sur l’influence éventuelle qu’auraient exercée – ce qui ne pourrait être déterminé, les délibérations des groupes d’experts étant confidentielles – les experts A et B, alors même qu’il aurait dû examiner si les liens existant entre ces experts et l’industrie pharmaceutique étaient de nature à susciter un doute objectivement justifié quant à leur impartialité.

55      Selon la seconde branche du second moyen, cette erreur de droit, qui constituerait une violation du droit à une bonne administration consacré à l’article 41 de la Charte, aurait été doublée d’une erreur de qualification juridique des faits, le Tribunal ayant à tort considéré que les experts A et B ne se trouvaient pas dans une situation de conflit d’intérêts.

56      Lors de son examen de la situation de ces experts, le Tribunal se serait, en particulier, livré à une interprétation erronée de la notion de « produit rival ».

57      Le Tribunal aurait, en outre, méconnu la teneur de l’annexe I de la politique relative aux intérêts concurrents. Selon la requérante, il ressort notamment de cette annexe I que les personnes fournissant des services de consultance pour plusieurs produits pharmaceutiques, telle que l’expert A, ne peuvent être membres d’un groupe d’experts consulté par le CHMP.

58      S’agissant de l’expert B, la requérante rappelle que celui-ci était chercheur principal pour le produit AD 04, développé par la société Adial Pharmaceuticals. Au moment de la participation de l’expert B au groupe d’experts ad hoc convoqué pour évaluer l’Hopveus, l’AD 04 faisait, selon la requérante, l’objet d’une procédure d’examen devant l’EMA. Or, l’AD 04 viserait le traitement de la dépendance à l’alcool et serait donc un produit rival de l’Hopveus, en raison de l’identité de l’objectif clinique et de la similarité des patients ciblés. Le point 103 de l’arrêt attaqué serait erroné en droit, en ce qu’il reviendrait à cloisonner artificiellement les médicaments destinés à traiter une même pathologie, privant la définition de la notion de « produit rival » de son effet utile.

59      Le point 104 de l’arrêt attaqué serait également erroné en droit, en ce qu’il reviendrait à dire que seuls les experts ayant travaillé sur le produit qui fait l’objet de la procédure de réexamen ne peuvent être membres du groupe d’experts consulté, tandis que les experts ayant travaillé sur des produits rivaux le peuvent.

60      Selon la requérante, si la politique relative aux intérêts concurrents devait, comme l’a jugé le Tribunal, être comprise en ce sens que le chercheur principal pour un produit peut participer au groupe d’experts qui évalue l’aptitude d’un produit rival à se voir délivrer une AMM, il faudrait en conclure que cette politique est contraire à l’exigence d’impartialité objective, telle qu’elle découle de l’article 41 de la Charte. L’interprétation de ladite politique retenue par le Tribunal ne saurait, dès lors, être entérinée.

61      La Commission et l’EMA font valoir que l’exigence d’impartialité, consacrée à l’article 41 de la Charte, est reflétée à l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 726/2004 et dans le code de conduite de l’EMA, adopté en vertu de cette dernière disposition. La décision du législateur de l’Union d’habiliter l’EMA à mettre en œuvre cet article 63, paragraphe 2, exprimerait le fait que cette agence est l’instance la mieux placée pour évaluer les intérêts qui entrent en jeu. L’EMA aurait opéré, de manière très détaillée, une mise en balance entre le besoin d’impartialité et celui d’une expertise de niveau élevé. L’annexe I de la politique relative aux intérêts concurrents exprimerait cette mise en balance.

62      L’argument de la requérante selon lequel le Tribunal aurait examiné le moyen relatif à la violation de l’impartialité objective au regard du critère applicable pour apprécier le respect de l’impartialité subjective reposerait sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

63      Ce serait, en particulier, à juste titre que le Tribunal aurait constaté, aux points 130 et 131 de l’arrêt attaqué, que les conclusions du groupe d’experts ad hoc ont été adoptées collectivement par l’ensemble de ses membres et que le principe de collégialité garantit une impartialité objective des avis formulés. Cette appréciation serait conforme à la jurisprudence de la Cour issue des arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a. (C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375), ainsi que du 19 février 2009, Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement (C‑308/07 P, EU:C:2009:103).

64      Il résulterait, certes, des points 34 et 38 de l’arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission (C‑680/16 P, EU:C:2019:257), que, lorsqu’un expert exerce un rôle prépondérant dans le groupe d’experts, les doutes quant à son impartialité ne pourraient être levés sur la seule base du principe de collégialité. Toutefois, en l’espèce, les experts A et B n’auraient pas exercé un tel rôle dans le groupe d’experts ad hoc.

65      Ce serait également à juste titre que le Tribunal aurait conclu qu’aucun des intérêts concurrents de l’expert A ou de l’expert B n’était susceptible de conduire à un conflit d’intérêts.

66      S’agissant de l’expert B, la Commission et l’EMA soutiennent que, au moment de la réunion du groupe d’experts ad hoc au sujet de l’Hopveus, l’AD 04 ne faisait pas encore l’objet d’une demande d’AMM. En tout état de cause, ce serait sans commettre d’erreur que le Tribunal a jugé que l’AD 04 et l’Hopveus n’étaient pas des produits rivaux, puisque les patients visés par l’AD 04 souhaitent seulement limiter leur consommation d’alcool.

67      La Commission et l’EMA ajoutent que, même si l’AD 04 devait être considéré comme un produit rival de l’Hopveus, la politique relative aux intérêts concurrents indique clairement qu’il n’est pas interdit à un expert qui a contribué au développement d’un produit pharmaceutique d’être membre des groupes d’experts convoqués par le CHMP pour l’examen d’un produit rival. Le Tribunal aurait à juste titre constaté, au point 104 de l’arrêt attaqué, que l’expert B aurait été empêché d’être membre d’un tel groupe dans la seule hypothèse où la procédure de réexamen aurait porté sur le produit pour lequel il est chercheur principal.

68      Pour ce qui concerne l’expert A, la Commission et l’EMA font valoir que les intérêts concurrents de cet expert, tels que ses activités en tant que consultant pour les entreprises pharmaceutiques Lundbeck et Janssen, ne conduisaient pas à un conflit d’intérêts.

69      À cet égard, l’EMA a souligné, lors de l’audience devant la Cour, que, dans sa déclaration d’intérêts concurrents, l’expert A avait clairement précisé quels étaient les médicaments individuels sur lesquels portaient ses activités de consultance exercées pour les entreprises Lundbeck et Janssen. Le rôle de cet expert consisterait à fournir des services de consultance non pas généraux ou couvrant plusieurs médicaments, au sens de l’annexe I de la politique relative aux intérêts concurrents, mais à propos d’un médicament individuel, au sens de cette annexe I. Il s’ensuivrait que l’expert A pouvait être membre de tout groupe d’experts convoqué par le CHMP, à la seule exception de ceux qui examinent les médicaments concernés par ses activités de consultance.

70      La requérante n’aurait d’ailleurs pas soulevé une exception d’illégalité à l’encontre de la politique relative aux intérêts concurrents. Le Tribunal se serait donc à juste titre limité à constater que cette politique n’interdisait pas la participation des experts A et B au groupe d’experts ad hoc et que ladite politique, qui comporterait un examen détaillé des intérêts en jeu, a été adoptée sur le fondement de l’habilitation prévue à l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 726/2004.

 Appréciation de la Cour

71      Par la première branche du second moyen du pourvoi, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en exigeant la preuve d’un parti pris ou d’un préjugé personnel de la part des experts A et B.

72      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le droit fondamental à une bonne administration, énoncé à l’article 41 de la Charte, inclut, aux termes du paragraphe 1 de cette disposition, le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions, les organes et les organismes de l’Union.

73      Cette exigence d’impartialité comporte une composante subjective et une composante objective. Conformément à cette dernière composante, dont se prévaut la requérante, chaque institution, organe et organisme de l’Union doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé (voir, en ce sens, arrêts du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 27, ainsi que du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 77).

74      La Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’impartialité objective du CHMP, et donc de l’EMA, est compromise lorsqu’un conflit d’intérêts dans le chef de l’un des membres du CHMP est susceptible de résulter d’un chevauchement de fonctions, et ce indépendamment de la conduite personnelle de ce membre. Un tel manquement est susceptible d’entacher d’illégalité la décision adoptée par la Commission au terme de la procédure (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, points 28 et 30).

75      L’impartialité objective du CHMP est également compromise lorsqu’un expert qui se trouve dans une situation de conflit d’intérêts fait partie du groupe d’experts qui est consulté par ce comité dans le cadre du réexamen conduisant à l’avis de l’EMA et à la décision de la Commission sur la demande d’AMM.

76      Il y a lieu d’observer, à cet égard, que l’opinion formulée par le groupe d’experts convoqué par le CHMP a une influence, potentiellement décisive, sur l’avis de l’EMA et, à travers cet avis, sur la décision de la Commission. Or, chaque membre de ce groupe peut, le cas échéant considérablement, influencer les discussions et les délibérations qui ont lieu, de manière confidentielle, au sein dudit groupe. Partant, la participation au groupe d’experts consulté par le CHMP d’une personne qui se trouve dans une situation de conflit d’intérêts fait naître une situation qui n’offre pas de garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé, au sens de la jurisprudence rappelée au point 73 du présent arrêt.

77      Dès lors, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 130 à 132 de l’arrêt attaqué, un conflit d’intérêts dans le chef d’un membre du groupe d’experts consulté par le CHMP vicie substantiellement la procédure. Le fait que, à l’issue de ses discussions et délibérations, ce groupe d’experts formule collégialement son opinion ne fait pas disparaître un tel vice. En effet, cette collégialité n’est de nature à neutraliser ni l’influence que le membre en situation de conflit d’intérêts est en mesure d’exercer au sein dudit groupe ni les doutes sur l’impartialité du même groupe qui sont légitimement fondés sur le fait que ce membre a pu contribuer aux débats.

78      Ces considérations ne sont pas infirmées par les principes dégagés par la Cour dans les arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a. (C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375), ainsi que du 19 février 2009, Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement (C‑308/07 P, EU:C:2009:103), invoqués par la Commission et l’EMA. À la différence de la présente affaire, les affaires ayant donné lieu à ces arrêts ne concernaient pas un conflit d’intérêts pouvant résulter d’activités de la personne concernée qui sont externes à celles qu’elle exerce dans le cadre de procédures devant une institution, un organe ou un organisme de l’Union.

79      Les considérations exposées aux points 75 à 77 du présent arrêt ne sont pas non plus infirmées par la circonstance que les membres du groupe d’experts dont la participation est contestée au regard de l’exigence d’impartialité objective n’exercent pas une fonction de direction ou de coordination dans ce groupe. Il ne saurait, en effet, être admis, contrairement à ce que le Tribunal a indiqué aux points 131 et 132 de l’arrêt attaqué, que seuls les membres exerçant une telle fonction peuvent avoir une influence significative sur le déroulement ou l’issue de la procédure.

80      Il ne saurait, par ailleurs, être exigé de la part des personnes dont les affaires sont traitées par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, qu’elles apportent, à l’appui de leur argumentation selon laquelle l’exigence d’impartialité objective n’a pas été respectée lors d’une procédure administrative de l’Union, la preuve d’indices concrets de partialité, tels que des déclarations ou des prises de positions de l’expert concerné au sein du groupe d’experts dont il fait partie. En effet, l’impartialité objective s’apprécie indépendamment du comportement spécifique de la personne concernée. En tout état de cause, les déclarations et les prises de positions dans le cadre des travaux de ce groupe sont confidentielles. Comme le Tribunal l’a reconnu au point 132 de l’arrêt attaqué, il est impossible de déterminer l’influence exercée par les experts concernés. Par conséquent, le fait que, en l’espèce, la requérante n’a pas pu rapporter des preuves d’une déclaration ou d’une prise de position concrète de l’expert A ou de l’expert B était dépourvu de pertinence en vue d’apprécier le bien-fondé du moyen tiré d’une violation de l’exigence d’impartialité objective, de telle sorte que c’est à tort que le Tribunal, au point 133 de l’arrêt attaqué, s’est notamment fondé sur un tel motif pour conclure au rejet du deuxième moyen de la requérante à l’appui de son recours en annulation.

81      Il résulte de ce qui précède que la première branche du second moyen du pourvoi est fondée.

82      Force est cependant de constater que les points 130 à 133, susvisés, de l’arrêt attaqué, qui sont entachés des erreurs de droit invoquées par la requérante dans le cadre de cette première branche du second moyen du pourvoi, ne constituent que l’un des deux fondements sur lesquels repose le raisonnement du Tribunal. En effet, celui-ci a jugé, aux points 99 à 129 de cet arrêt, que les experts A et B ne se trouvaient pas, conformément à la politique relative aux intérêts concurrents, dans une situation de conflit d’intérêt lorsqu’ils ont participé aux débats et aux délibérations du comité d’experts ad hoc consulté par le CHMP dans le cadre du réexamen de la demande d’AMM pour l’Hopveus, et que cette politique était suffisante pour garantir le respect de l’exigence d’impartialité objective, telle qu’elle découle de l’article 41 de la Charte.

83      Dès lors, il y a lieu d’examiner la seconde branche du second moyen du pourvoi, par laquelle la requérante soutient que le Tribunal a également commis des erreurs de droit en jugeant que les intérêts concurrents de ces experts ne plaçaient pas ceux-ci dans une situation de conflit d’intérêts.

84      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le législateur de l’Union a choisi, en ce qui concerne l’exigence d’impartialité des experts de l’EMA, de fixer des critères essentiels dans le règlement no 726/2004, puis de confier à cette agence le soin de les mettre en œuvre (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2023, Allemagne et Estonie/Pharma Mar et Commission, C‑6/21 P et C‑16/21 P, EU:C:2023:502, point 50).

85      À ce titre, il revient à l’EMA d’opérer un arbitrage entre, d’une part, la double exigence d’impartialité et d’indépendance de ses experts, telle qu’énoncée à l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 726/2004, et, d’autre part, l’intérêt public, mentionné à l’article 57, paragraphe 1, de ce règlement, tenant à la nécessité de disposer des meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à usage humain ou vétérinaire qui lui est soumise (arrêt du 22 juin 2023, Allemagne et Estonie/Pharma Mar et Commission, C‑6/21 P et C‑16/21 P, EU:C:2023:502, point 51).

86      Afin de permettre à l’EMA de poursuivre efficacement l’objectif qui lui est ainsi assigné, et en considération des évaluations techniques complexes qu’elle doit opérer, le large pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu se manifeste notamment dans la définition des critères devant présider à l’impartialité et à l’indépendance des personnes contribuant à l’élaboration de ses avis scientifiques (arrêt du 22 juin 2023, Allemagne et Estonie/Pharma Mar et Commission, C‑6/21 P et C‑16/21 P, EU:C:2023:502, point 52).

87      Toutefois, nonobstant l’existence de ce large pouvoir d’appréciation et l’importance de l’intérêt public susvisé, l’EMA est, dans l’exercice de ses compétences, tenue, en vertu de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, de respecter les droits et les principes mentionnés dans celle-ci.

88      Cette agence est, en particulier, liée par les exigences de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Cette disposition énonce que toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par la Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et libertés, et que, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

89      Il s’ensuit que, tout en veillant à se conformer à l’objectif d’intérêt général visé à l’article 57, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, qui peut justifier, comme cela ressort de la jurisprudence rappelée au point 85 du présent arrêt, un tempérament à l’exigence d’impartialité objective des personnes qui participent au traitement d’une demande d’AMM, exigence qui résulte du droit fondamental à la bonne administration, l’EMA doit respecter le contenu essentiel de ce droit fondamental, ainsi que le principe de proportionnalité. En particulier, il ne saurait être admis que cette agence, au prétexte de vouloir maximiser le nombre d’experts disponibles, prévoie des restrictions à l’exercice de leur mandat qui apparaissent insuffisantes pour garantir, dans le cadre de cet exercice, une procédure impartiale. Tel serait notamment le cas s’il était permis aux experts dont les activités révèlent un intérêt actuel relatif à un produit rival du produit faisant l’objet d’une demande d’AMM, d’être membres, sans restriction ou atténuation aucune, du groupe d’experts convoqué par le CHMP aux fins du réexamen de cette demande d’AMM.

90      Il importe, dès lors, que les critères formulés dans la politique relative aux intérêts concurrents et conduisant aux restrictions et aux atténuations énumérées dans le tableau figurant à l’annexe I de cette politique soient en adéquation, notamment, avec l’importance respective des intérêts concurrents visés (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2023, Allemagne et Estonie/Pharma Mar et Commission, C‑6/21 P et C‑16/21 P, EU:C:2023:502, point 53).

91      C’est à la lumière des motifs figurant aux points 84 à 90 du présent arrêt qu’il y a lieu d’examiner si, en l’espèce, le Tribunal a commis une erreur de droit dans son appréciation des griefs de la requérante au sujet de la participation des experts A et B au groupe d’experts ad hoc consulté par le CHMP dans le cadre du réexamen de la demande d’AMM pour l’Hopveus.

92      S’agissant de la participation de l’expert B, que le Tribunal a examinée en premier lieu, il ressort des points 99, 100, 103 et 105 de l’arrêt attaqué que cet expert était, au moment des travaux du groupe d’experts ad hoc au sujet de l’Hopveus, « chercheur principal », au sens de la politique relative aux intérêts concurrents, pour l’essai clinique européen de phase 3 de l’AD 04. Ce produit a été développé par l’entreprise Adial Pharmaceuticals et son indication thérapeutique consiste, à l’instar de celle de l’Hopveus, à lutter contre la dépendance à l’alcool.

93      Ainsi qu’il ressort du point 3.2.1.2 de la politique relative aux intérêts concurrents, un chercheur principal, au sens de cette politique, est une personne qui exerce une activité incitée et/ou parrainée par l’industrie pharmaceutique.

94      Afin de déterminer si l’expert B aurait dû être écarté du groupe d’experts ad hoc, le Tribunal a, tout d’abord, examiné si l’AD 04 devait être qualifié de « produit concurrent » de l’Hopveus.

95      Au regard de la précision apportée par le point 4.2.1.2 de la politique relative aux intérêts concurrents, selon laquelle les « produits concurrents » sont désormais appelés « produits rivaux », il y a lieu de considérer que la notion de « produit concurrent » employée par le Tribunal vise celle de « produit rival », au sens de cette politique. Le Tribunal s’est d’ailleurs expressément référé, aux points 101 et 102 de l’arrêt attaqué, aux points de ladite politique portant sur la notion de « produit rival ».

96      Au point 103 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que l’AD 04 et l’Hopveus n’étaient pas des produits rivaux, dès lors que l’AD 04 visait les « patients qui souhaitent contrôler leur consommation d’alcool, mais qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s’abstenir complètement de boire », tandis que l’Hopveus tendait à « accompagner les patients cherchant à s’abstenir d’alcool complètement ».

97      Or, le point 3.2.2 de la politique relative aux intérêts concurrents définit la notion de « produit rival » comme un « médicament qui vise une population de patients similaire avec le même objectif clinique (à savoir traiter, prévenir ou diagnostiquer une pathologie particulière) et qui constitue une concurrence commerciale potentielle ».

98      Bien que cette définition s’applique, en l’espèce, à une procédure de réexamen d’une demande d’AMM et ne concerne pas des produits qui sont déjà présents sur le marché, elle reflète néanmoins le critère retenu par la jurisprudence de la Cour pour apprécier si deux produits pharmaceutiques sont concurrents sur un marché donné. Selon cette jurisprudence, tel est le cas lorsque, pour la même indication thérapeutique, ces produits sont interchangeables ou substituables [voir notamment, en ce sens, arrêts du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, points 51 et 65, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 129].

99      C’est donc sur le fondement d’un examen visant à déterminer si, en cas de commercialisation de l’AD 04 et de l’Hopveus, ces produits, tous deux développés afin de traiter la dépendance à l’alcool, présenteraient un tel degré d’interchangeabilité ou de substituabilité qu’il faudrait en conclure l’existence ou l’absence d’une concurrence commerciale potentielle.

100    Cette appréciation de l’interchangeabilité ou de la substituabilité entre deux produits destinés à une population de patients traitée pour la même pathologie ne doit pas être effectuée au seul regard des caractéristiques objectives de ces produits [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 129 ainsi que jurisprudence citée]. Certes, avant toute mise sur le marché, les conditions de demande et d’offre ne peuvent pas être connues. Néanmoins, l’examen de la concurrence commerciale potentielle entre les produits en cause doit reposer sur une appréciation globale des éléments pouvant entrer en ligne de compte pour évaluer si les patients et leurs médecins prescripteurs pourront voir dans l’un produit une alternative valable à l’autre.

101    En excluant la possibilité d’une concurrence commerciale au motif que l’AD 04 et l’Hopveus ont des objectifs cliniques différents et visent des groupes de patients différents, à savoir, s’agissant du premier, ceux qui ont l’intention de limiter leur consommation d’alcool et, du second, ceux qui ont l’intention d’arrêter purement et simplement cette consommation, le Tribunal n’a pas effectué une telle appréciation globale.

102    À cet égard, il y a lieu de considérer que la simple différence d’intensité dans la portée de l’action thérapeutique entre deux produits visant à traiter la même pathologie est précisément susceptible d’inciter certains patients, souffrant de cette pathologie, de remplacer, dans le cadre de leur traitement, l’un de ces produits par l’autre en fonction de l’évolution de leurs symptômes ou des considérations d’opportunité thérapeutique et d’efficacité émanant de leurs médecins prescripteurs.

103    Il s’ensuit que le Tribunal a omis d’examiner si lesdits produits étaient susceptibles d’entrer en concurrence l’un avec l’autre au regard de l’ensemble des éléments pertinents à cet effet, notamment la circonstance que l’évolution du traitement d’un même patient peut amener son médecin à lui prescrire, durant ce traitement, alternativement ces deux produits, en fonction des symptômes et de considérations d’opportunité thérapeutique et d’efficacité.

104    Partant, en concluant à une absence de concurrence commerciale potentielle entre l’AD 04 et l’Hopveus sans procéder à une appréciation globale de l’ensemble des éléments pertinents, le Tribunal a commis une erreur de droit.

105    Cette conclusion n’est pas infirmée par la référence, au point 102 de l’arrêt attaqué, au point 4.2.1.2 de la politique relative aux intérêts concurrents, aux termes duquel « [l]e concept de produits rivaux concerne les situations dans lesquelles il n’y a qu’un très petit nombre (1 à 2) de produits rivaux », les conséquences d’une telle situation concernant, au demeurant, uniquement « les (vice)-présidents des comités scientifiques et des groupes de travail, ainsi que les rapporteurs ou autres membres jouant un rôle de direction/coordination, ou les pairs évaluateurs officiellement désignés ».

106    À cet égard, il y a lieu de constater, sans que la Cour ait besoin de se prononcer sur la question de savoir si le point 4.2.1.2 de cette politique restreint éventuellement de manière excessive le champ d’application des principes en matière de produits rivaux et de l’exigence d’impartialité objective, que, dans son appréciation effectuée au point 103 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est fondé non pas sur ce point 4.2.1.2, mais sur les éléments mentionnés au point 96 du présent arrêt.

107    L’erreur de droit commise, indépendamment du point 102 de l’arrêt attaqué, au point 103 de cet arrêt, entache le raisonnement suivi par le Tribunal, nonobstant la considération exposée au point 104 dudit arrêt selon laquelle, même à supposer que l’AD 04 et l’Hopveus constituent des produits rivaux, la participation de l’expert B à la réunion du groupe d’experts ad hoc au sujet de l’Hopveus ne serait pas interdite dès lors que la politique relative aux intérêts concurrents interdit la participation d’un chercheur principal au groupe d’experts consulté par le CHMP uniquement au moment des délibérations finales et du vote lors d’une procédure de réexamen qui porte sur le même produit que celui pour lequel cet expert agit en tant que chercheur principal.

108    Le point 104 de l’arrêt attaqué est, en effet, lui-même entaché d’une erreur de droit, de telle sorte qu’il ne serait pas, à lui seul, suffisant pour considérer que le dispositif de l’arrêt attaqué est légalement justifié, nonobstant l’erreur de droit dont est entaché le point 103 de cet arrêt.

109    Audit point 104, le Tribunal a interprété la politique relative aux intérêts concurrents en ce sens qu’un expert qui est chercheur principal pour un produit dont le développement est incité et/ou parrainé par l’industrie pharmaceutique et qui est rival du produit faisant l’objet d’une procédure de réexamen d’une demande d’AMM devant l’EMA peut être membre du groupe d’experts consulté par le CHMP dans cette procédure de réexamen.

110    Au même point 104, le Tribunal a également interprété cette politique en ce sens qu’un chercheur principal peut, par ailleurs, être membre du groupe d’experts qui serait consulté par le CHMP en cas de réexamen d’une demande d’AMM introduite pour le produit pour le développement duquel il intervient en qualité de chercheur principal, pourvu seulement qu’il se retire des travaux de ce groupe lors des délibérations finales et du vote.

111    Ces considérations du Tribunal doivent être lues conjointement avec les points 127 à 129 de l’arrêt attaqué, selon lesquels la conformité de la politique relative aux intérêts concurrents au principe d’impartialité objective, tel qu’il découle de l’article 41 de la Charte, ne devait pas être remise en cause dès lors que l’EMA a procédé à un examen détaillé de l’ensemble des situations de conflits d’intérêts susceptibles de se présenter, la requérante n’ayant d’ailleurs pas soulevé d’exception d’illégalité de cette politique au titre de l’article 277 TFUE.

112    Si le Tribunal a pu, à bon droit, juger que, dès lors que la requérante n’excipait pas d’une telle illégalité, il n’y avait pas lieu d’examiner la légalité de la politique relative aux intérêts concurrents, il ne pouvait en revanche ignorer que l’EMA est liée, lors de l’exercice de ses compétences, par la Charte et doit donc, en tout état de cause, interpréter et appliquer sa politique de manière conforme à celle-ci.

113    En l’espèce, indépendamment du point de savoir quelle portée doit être conférée à la notion, non définie, de « médicament concerné », qui figure dans la mesure d’atténuation – au sens du point 4.2.1.1, troisième alinéa, de la politique relative aux intérêts concurrents – que l’annexe 1 de cette politique impose aux experts ayant un intérêt concurrent actuel en tant que chercheur principal, cette mesure d’atténuation, aux termes de laquelle ces experts peuvent, dans les procédures relatives au « médicament concerné », être impliqués « uniquement dans les discussions », ce qui implique qu’il leur est seulement interdit de participer aux « délibérations finales et au vote », ne saurait, sous peine de limiter, de manière disproportionnée, la protection de l’impartialité objective, être interprétée ou appliquée en ce sens qu’un tel expert peut participer aux travaux d’un groupe d’experts qui est consulté par le CHMP dans la procédure portant réexamen d’une demande d’AMM qui a été introduite pour un produit rival du produit pour lequel cet expert est concomitamment, sur l’incitation et/ou sous le parrainage de l’industrie pharmaceutique, le chercheur principal.

114    Une telle participation, de par sa nature, serait inapte à garantir que la procédure de réexamen en question se déroule de manière impartiale. Il suffit d’observer, à cet égard, qu’un refus d’AMM pour le produit rival faisant l’objet du réexamen est susceptible de présenter un intérêt commercial considérable pour l’entreprise sur l’incitation et/ou sous le parrainage de laquelle un tel expert exerce son activité de chercheur principal. La participation de celui-ci au groupe d’experts consulté par le CHMP dans le cadre de ce réexamen ferait naître un doute légitime quant à l’existence d’un éventuel préjugé.

115    Il en résulte que le point 104 de l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit, en ce que l’interprétation de la politique relative aux intérêts concurrents opérée par le Tribunal est incompatible avec le principe d’impartialité objective, tel qu’il découle de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte.

116    De la même manière, les restrictions – au sens du point 4.2.1.1, deuxième alinéa, de la politique relative aux intérêts concurrents – imposées par l’annexe I de cette politique aux experts ayant déclaré un intérêt actuel en tant que consultant ou conseil stratégique pour des médicaments individuels d’une ou de plusieurs entreprises pharmaceutiques ne sauraient, contrairement à ce que le Tribunal a considéré au point 119 de l’arrêt attaqué, être interprétées et appliquées en ce sens qu’un tel expert puisse, à moins qu’il s’agisse du président, du vice-président, du rapporteur ou d’un autre membre ayant un rôle de direction ou de coordination au sein dudit groupe d’experts, être membre du groupe d’experts ad hoc convoqué par le CHMP aux fins du réexamen de la demande d’AMM introduite pour un produit rival d’un de ces médicaments individuels. Une telle interprétation, à laquelle le Tribunal s’est livré dans le cadre de son analyse de la participation de l’expert A aux travaux du groupe d’experts ad hoc consulté au sujet de l’Hopveus, est en effet également incompatible avec le principe d’impartialité objective.

117    Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que la seconde branche du second moyen du pourvoi est également fondée.

118    Partant, il y a lieu, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le premier moyen du pourvoi, d’annuler l’arrêt attaqué, sauf, cependant, pour autant que cet arrêt déclare irrecevable le recours dirigé contre l’EMA. En effet, le Tribunal ayant déclaré le recours irrecevable en ce qu’il était dirigé contre l’EMA et cette appréciation, qui est couverte par le dispositif de celui-ci, n’ayant pas été contestée dans le cadre du pourvoi, cette partie de l’arrêt attaqué est revêtue de l’autorité de la chose jugée (voir, par analogie, arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, points 109 et 110).

 Sur le recours devant le Tribunal

119    Lorsque le litige est en état d’être jugé, la Cour peut, en vertu de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, statuer elle-même définitivement sur ce litige.

120    En l’espèce, la Cour estime qu’il convient de statuer définitivement sur le présent litige. Celui-ci est en état d’être jugé, dès lors que le recours en annulation de la requérante devant le Tribunal est fondé sur des moyens ayant fait l’objet d’un débat contradictoire devant ce dernier et dont l’examen ne nécessite d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction du dossier (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 130).

121    Ainsi qu’il a été relevé au point 38 du présent arrêt, D & A Pharma a soulevé six moyens à l’appui de son recours devant le Tribunal.

122    Préalablement à l’examen au fond de ces moyens, il convient de rappeler les constatations effectuées au point 118 du présent arrêt, dont il résulte que le recours doit être considéré comme étant irrecevable en ce qu’il est dirigé contre l’EMA.

123    Dans ces circonstances, il y a lieu de statuer définitivement sur le recours en annulation de la requérante dans la limite du litige dont la Cour reste saisie.

 Argumentation des parties

124    Par le premier moyen de son recours, D & A Pharma fait valoir que la décision litigieuse a été rendue au terme d’une procédure irrégulière, au motif que le CHMP ne pouvait pas refuser de consulter le GSC psychiatrie lors de la procédure de réexamen.

125    Il découlerait de l’article 62, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement no 726/2004, ainsi que des termes de l’article 11 des règles de procédure du CHMP, de même que du point 6.1 des lignes directrices relatives à la procédure de réexamen, que le CHMP doit, lorsque le demandeur du réexamen le sollicite, consulter un GSC, pourvu que le produit en cause relève du domaine thérapeutique de compétence d’un tel groupe d’experts. Par conséquent, s’agissant, en l’espèce, d’un produit destiné à traiter une pathologie psychiatrique, ce serait le GSC psychiatrie qui aurait dû être convoqué.

126    Cette obligation s’appliquerait également lorsque les membres du groupe principal du GSC dans le domaine thérapeutique concerné ne sont pas, à eux seuls, en mesure d’offrir une expertise exhaustive. En effet, lorsqu’un avis éclairé portant sur des problèmes spécifiques est nécessaire, des experts supplémentaires pourraient être ajoutés au groupe principal.

127    Ces règles permettraient de préserver la continuité et la cohérence des avis rendus sur les médicaments qui relèvent du même domaine thérapeutique. Elles garantiraient ainsi les meilleurs avis scientifiques possibles, conformément à la mission dévolue à l’EMA visée à l’article 57, paragraphe 1, du règlement no 726/2004.

128    D & A Pharma souligne qu’elle a itérativement insisté, auprès du CHMP, pour que celui-ci consulte le GSC psychiatrie, et cela en particulier après la dissolution, à la suite des irrégularités qu’elle avait dénoncées, du groupe d’experts ad hoc initialement convoqué par le CHMP. Or, dans un courriel de l’EMA du 6 mars 2020, cette agence aurait indiqué que le CHMP avait décidé de convoquer un second groupe d’experts ad hoc, persistant ainsi dans son refus de donner suite à la demande de consultation du GSC psychiatrie.

129    La Commission fait valoir que la réglementation applicable n’habilite pas les demandeurs d’AMM à exiger que le CHMP consulte le groupe scientifique de leur choix. L’absence d’un tel droit serait conforme à la finalité de cette réglementation, qui consiste en la protection de la santé publique. Pour que le CHMP puisse, conformément à l’article 57, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, lu à la lumière du considérant 19 de celui-ci, fournir les meilleurs avis scientifiques possibles, il serait impératif qu’il convoque, en fonction des particularités du produit en cause, le groupe d’experts le plus apte.

130    S’agissant du point 6.1 des lignes directrices relatives à la procédure de réexamen, la Commission fait valoir que nonobstant ce que prévoit ce point, un GSC ne saurait être consulté de manière systématique lorsqu’aucun GSC n’est établi dans le domaine thérapeutique en cause. Or, tout en pouvant être caractérisée de trouble psychiatrique, la dépendance à l’alcool serait une pathologie touchant à plusieurs disciplines médicales.

131    La Commission précise que l’Hopveus vise à lutter contre la dépendance à l’alcool. L’évaluation des produits destinés à traiter cette pathologie nécessiterait une contribution spécialisée d’experts dans le domaine de l’addictologie.

132    Par ailleurs, les comorbidités dont la dépendance à l’alcool peut être accompagnée, telles que les maladies du foie et des complications neurologiques, ne relèveraient pas du domaine de la psychiatrie.

133    Ce serait également à tort que la requérante allègue que la consultation de groupes d’experts ad hoc nuit à la cohérence des avis. À cet égard, la Commission observe que le GSC psychiatrie n’a été consulté qu’une seule fois pour un médicament destiné à traiter la dépendance à l’alcool. En tout état de cause, la nécessité de rendre un avis cohérent ne saurait porter atteinte au pouvoir, voire à l’obligation, du CHMP de consulter le groupe d’experts le plus apte à fournir le meilleur avis scientifique possible. Par ailleurs, les membres du GSC psychiatrie ayant en l’espèce été invités à participer à la réunion du groupe d’experts ad hoc et trois membres de ce GSC ayant accepté cette invitation, il ne saurait exister un problème de cohérence.

 Appréciation de la Cour

134    Ainsi qu’il ressort de l’article 56 du règlement no 726/2004, le CHMP, qui relève de l’EMA, peut, dans le cadre de l’évaluation de types particuliers de médicaments ou de traitements, instituer des GSC et leur déléguer certaines tâches ayant trait à l’élaboration des avis visés à l’article 5 de ce règlement.

135    Il découle d’une lecture conjointe de ces deux articles que le CHMP, qui formule notamment les avis de l’EMA sur les demandes d’AMM de médicaments à usage humain, peut consulter, aux fins de l’élaboration d’un tel avis, le GSC qu’il a établi dans le domaine thérapeutique dont relève le produit pour lequel une AMM est demandée.

136    L’article 62, paragraphe 1, dernière phrase, dudit règlement précise que, en cas de demande de réexamen d’un avis, le demandeur peut solliciter la consultation, par le CHMP, d’un GSC. Ainsi que le confirme l’article 11, paragraphe 2, des règles de procédure du CHMP, cette possibilité existe notamment en cas de demande de réexamen d’un avis négatif sur une demande d’AMM.

137    Le règlement no 726/2004 et les règles de procédure du CHMP ne font pas mention d’une obligation, pour le CHMP, d’accueillir une telle demande de consultation d’un GSC. Partant, il ne saurait être exclu d’emblée que ce comité dispose d’un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de consulter ou non le GSC établi dans le domaine dont relève, le cas échéant, le produit pour lequel l’AMM est demandée.

138    Cela étant, il ressort expressément du point 6.1 des lignes directrices relatives à procédure de réexamen, telles que publiées par l’EMA, que cette dernière a elle-même limité ce pouvoir d’appréciation.

139    Certes, le premier alinéa de ce point 6.1, en indiquant que la « décision relative à la consultation d’un GSC pour une demande de réexamen dépendra entre autres du CHMP ou de la demande du demandeur de consultation du GSC par le CHMP », ne permet pas, à lui seul, de conclure qu’il incombe au CHMP de consulter un GSC en cas de demande en ce sens.

140    Les termes de cet alinéa sont, toutefois, précisés au deuxième alinéa dudit point 6.1. Celui-ci énonce qu’il est souhaitable que le CHMP soit informé le plus tôt possible de la demande de consultation d’un GSC, que cette demande doit être dûment motivée et que, dans les cas où une telle demande est formulée, « le CHMP consulte le GSC systématiquement ».

141    Le troisième alinéa du même point 6.1 ajoute que, dans un domaine thérapeutique pour lequel aucun GSC n’est établi, l’avis d’experts supplémentaires disponibles « sera sollicité sous la forme de consultation d’un groupe d’experts ad hoc ».

142    Il résulte ainsi du point 6.1 des lignes directrices relatives à la procédure de réexamen, qui ont été publiées par l’EMA, que celle-ci s’engage à ce que le CHMP consulte systématiquement un GSC lorsque le demandeur du réexamen sollicite en temps utile et de manière dûment motivée une telle consultation. Il en ressort également que le GSC saisi à cette fin doit être celui qui a été établi dans le domaine thérapeutique dont relève le produit en cause et qu’un groupe d’experts ad hoc sera convoqué si aucun GSC n’est établi dans ce domaine.

143    Au risque de porter atteinte aux droits que le demandeur du réexamen tire du droit de l’Union, le CHMP doit, en sa qualité de comité compétent de l’EMA, appliquer les règles de conduite énoncées par cette agence, dont relève notamment le point 6.1 des lignes directrices relatives à la procédure de réexamen. Il ressort, en effet, d’une jurisprudence constante que, en adoptant des règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera aux cas visés par celles-ci, une institution, un organe ou un organisme de l’Union s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait, en principe, se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (voir notamment, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2008, Allemagne e.a./Kronofrance, C‑75/05 P et C‑80/05 P, EU:C:2008:482, point 60, ainsi que du 10 novembre 2022, Commission/Valencia Club de Fútbol, C‑211/20 P, EU:C:2022:862, point 35).

144    Dès lors, conformément au point 6.1 des lignes directrices relatives à la procédure de réexamen, toute demande, dûment motivée et formulée en temps utile, de consultation d’un GSC oblige le CHMP à saisir le GSC établi dans le domaine thérapeutique dont relève le produit en cause ou, dans la seule hypothèse où aucun GSC n’est établi dans ce domaine, à consulter un groupe d’experts ad hoc.

145    Partant, dans le cas d’une telle demande, il incombe au CHMP d’évaluer si l’indication thérapeutique du produit en cause relève, à tout le moins de manière prépondérante, d’un domaine thérapeutique pour lequel un GSC est établi.

146    Cette évaluation étant d’ordre scientifique, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à vérifier si ladite évaluation a effectivement été faite et n’est pas entachée d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si les limites du pouvoir d’appréciation n’ont pas manifestement été dépassées (voir, par analogie, arrêt du 9 mars 2023, PlasticsEurope/ECHA, C‑119/21 P, EU:C:2023:180, point 46 et jurisprudence citée).

147    En raison de la limitation du pouvoir d’appréciation de l’EMA, que cette agence s’est elle-même imposée, dont les contours ont été précisés aux points 140 à 145 du présent arrêt et qui s’impose de la même manière au CHMP, il y a lieu de considérer que ce dernier outrepasse manifestement les limites de ce pouvoir d’appréciation, notamment, lorsqu’il décide de convoquer un groupe d’experts ad hoc, alors même qu’il a constaté que l’indication thérapeutique du produit en cause relève, à tout le moins de manière prépondérante, d’un domaine thérapeutique pour lequel un GSC est établi, ou lorsqu’il décide de convoquer un groupe d’experts ad hoc en se fondant non pas sur le fait qu’aucun GSC n’est établi dans le domaine thérapeutique dont relève ce produit, mais sur des éléments qui concernent déjà le traitement au fond, par le CHMP, de la demande de réexamen, tels que les questions qu’il envisage de poser aux experts, ou sur des considérations d’ordre hypothétique, telles que la circonstance qu’un groupe d’experts ad hoc serait prétendument plus apte à répondre à ces questions que le GSC établi.

148    Il y a lieu de relever, à cet égard, qu’il découle de l’article 56, paragraphe 2, du règlement no 726/2004, lu en combinaison avec les sections IV et VII des règles de procédure des GSC, que la consultation du GSC établi dans le domaine thérapeutique dont relève le produit en cause permet au CHMP de recevoir une opinion élaborée par les experts permanents de ce GSC, qui représentent différentes écoles de pensée et pratiques thérapeutiques européennes dans ce domaine et fournissent notamment une expertise en méthodologie des essais cliniques et en biostatistique. Par ailleurs, ce groupe dit « principal » du GSC peut être complété par des experts additionnels qui sont spécialisés dans le traitement de problèmes spécifiques soulevés par les questions que le CHMP envisage de poser.

149    La consultation d’un tel ensemble d’experts comportant, d’une part, un groupe qui assure, par son caractère permanent et sa composition équilibrée, la continuité et la cohérence dans le traitement des dossiers relevant du domaine thérapeutique pour lequel le GSC est établi et, d’autre part, des experts additionnels spécialisés dans le traitement de problèmes spécifiques soulevés dans le cadre du réexamen garantit, dans tout dossier relevant de ce domaine, l’élaboration des « meilleurs avis scientifiques possibles » et permet ainsi à l’EMA de se conformer à la mission qui lui est confiée, conformément à l’article 57, paragraphe 1, du règlement no 726/2004.

150    Dans ces conditions, la convocation, dans un domaine thérapeutique pour lequel un GSC est établi, d’un groupe d’experts ad hoc ne saurait, sous peine de porter atteinte à l’effet utile de l’établissement de GSC, aux engagements pris par l’EMA au point 6.1 des lignes directrices relatives à la procédure de réexamen et à la cohérence dans le traitement des demandes d’AMM, être admise sur le fondement de la considération du CHMP qu’un groupe d’experts ad hoc serait plus apte à répondre à ses questions que le GSC établi, le cas échéant renforcé d’experts additionnels.

151    Cette conclusion est corroborée par le point 6.1, quatrième alinéa, des lignes directrices relatives à la procédure de réexamen. Ainsi que l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale au point 68 de ses conclusions, il ressort de cette disposition que le moment auquel le CHMP décide quel type de groupe d’experts, permanent ou ad hoc, sera consulté, précède en principe le moment auquel il détermine les questions qui seront posées aux experts. Pour cette raison également, le contenu de ces questions ne saurait constituer un critère pour évaluer s’il y a lieu de convoquer un GSC établi plutôt qu’un groupe d’experts ad hoc. L’identification du type de groupe d’experts à consulter doit dépendre du seul point de savoir si l’indication thérapeutique du produit en cause relève d’un domaine thérapeutique pour lequel un GSC est établi. Cela étant, le contenu des questions formulées par le CHMP peut, comme cela découle de la section VII, point 4, des règles de procédure des GSC, déterminer s’il convient, en cas de convocation d’un GSC, de compléter celui-ci par des experts additionnels.

152    En l’espèce, il résulte des pièces jointes au recours que, à la suite de la demande de réexamen introduite par D & A Pharma, qui comportait une demande de consultation d’un groupe d’experts, le CHMP a convoqué un groupe d’experts ad hoc, dont les travaux ont toutefois été arrêtés avant que ce groupe ne parvienne à formuler une opinion. Le CHMP a, par la suite, décidé de convoquer un autre groupe d’experts ad hoc. À cet égard, l’EMA a souhaité clarifier, dans un courriel du 6 mars 2020 adressé à D & A Pharma, les raisons pour lesquelles le CHMP avait décidé, contrairement à ce que D & A Pharma demandait, de convoquer cet autre groupe d’experts ad hoc et non le GSC psychiatrie.

153    Il ressortait de ce courriel, tout d’abord, que l’EMA estimait qu’il existait, en l’espèce, des « questions scientifiques ou cliniques spécifiques en discussion ». Ensuite, cette agence précisait que les membres du groupe d’experts ad hoc seraient sélectionnés en fonction de leur compétence pour répondre aux questions posées par le CHMP et que ce dernier était d’avis qu’il était plus approprié, au regard de la spécificité de ces questions, de consulter un tel groupe et non le GSC psychiatrie. Enfin, l’EMA indiquait que les membres de ce GSC seraient néanmoins contactés afin qu’ils participent, sous réserve de leur disponibilité, à la réunion du groupe d’experts ad hoc, programmée pour la date du 6 avril 2020.

154    Or, ainsi qu’il a été exposé aux points 142 à 145 du présent arrêt, il découle du propre code de conduite de l’EMA, et plus précisément du point 6.1 des lignes directrices relatives à la procédure de réexamen, que, lorsque l’indication thérapeutique du produit en cause relève, de manière prépondérante, du domaine thérapeutique pour lequel un GSC est établi, il incombe au CHMP, en cas de demande en ce sens, dûment motivée et formulée en temps utile, de consulter celui-ci, en y adjoignant le cas échéant des experts spécialisés dans le traitement des problèmes spécifiques soulevés par les questions que le CHMP envisage de poser au GSC.

155    Ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, au point 59 de ses conclusions, ni la Commission ni l’EMA ne contestent le fait, conforme au demeurant à la classification internationale des maladies établie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), que la lutte contre la dépendance à l’alcool relève du domaine thérapeutique de la psychiatrie. Il en résulte que le CHMP ne pouvait pas refuser à la requérante la consultation du GSC psychiatrie pour les motifs avancés par l’EMA dans son courriel du 6 mars 2020.

156    Dès lors qu’il n’est pas non plus contesté que la décision du CHMP de convoquer un groupe d’experts ad hoc est postérieure à la demande de la requérante, clairement exprimée et suffisamment motivée, visant à ce que ce soit le GSC psychiatrie qui soit consulté, force est de constater que ce comité n’aurait été fondé à prendre une telle décision – et, partant, à refuser d’accéder à la demande formulée par la requérante – qu’après avoir constaté, au terme d’un examen circonstancié et dénué d’erreur manifeste, que l’indication thérapeutique de l’Hopveus, à savoir la lutte contre la dépendance à l’alcool, ne relevait pas de manière prépondérante du domaine thérapeutique de la psychiatrie. Or, il ressort des pièces du dossier, en particulier du courriel de l’EMA du 6 mars 2020, que le CHMP n’a procédé ni à un tel examen ni à une telle constatation.

157    Il en résulte que la décision de convocation d’un groupe d’experts ad hoc en lieu et place du GSC psychiatrie constitue un vice ayant entaché la procédure d’adoption de l’avis de l’EMA visé à l’article 5, paragraphe 2, et à l’article 9 du règlement no 726/2004. Par conséquent, la procédure d’adoption de la décision litigieuse est elle-même entachée d’un vice formel.

158    Il est, à cet égard, de jurisprudence bien établie que le non-respect des règles de procédure relatives à l’adoption d’un acte faisant grief constitue une violation des formes substantielles, au sens de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, de sorte que, si le juge de l’Union constate que l’acte attaqué n’a pas été régulièrement adopté, il lui appartient de tirer les conséquences de la violation d’une forme substantielle et, partant, d’annuler cet acte (voir notamment, en ce sens, arrêts du 24 juin 2015, Espagne/Commission, C‑263/13 P, EU:C:2015:415, point 56, et du 20 septembre 2017, TillySabco/Commission, C‑183/16 P, EU:C:2017:704, point 115). En l’espèce, la décision litigieuse ayant été adoptée sur le fondement d’un avis de l’EMA qui aurait dû être considéré comme nul, cette décision est elle-même frappée de nullité.

159    En conséquence, il y a lieu de déclarer le premier moyen du recours fondé et d’annuler la décision litigieuse, conformément aux conclusions en ce sens présentées devant le Tribunal par D & A Pharma, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du recours.

160    En revanche, dans la mesure où D & A Pharma a conclu, dans sa requête devant le Tribunal, à ce qu’il soit ordonné, en cas d’annulation de la décision litigieuse, que le GSC psychiatrie soit convoqué dans sa composition à la date de la demande de réexamen, ce recours doit être rejeté. Il est, en effet, de jurisprudence constante que, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le juge de l’Union n’est pas compétent pour prononcer des injonctions à l’encontre des institutions, des organes et des organismes de l’Union (voir notamment, en ce sens, arrêt du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, C‑21/94, EU:C:1995:220, point 33, et ordonnance du 22 septembre 2016, Gaki/Commission, C‑130/16 P, EU:C:2016:731, point 14).

 Sur les dépens

161    Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

162    Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 138, paragraphe 3, dudit règlement, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit, en outre, que, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supportera une fraction des dépens de l’autre partie.

163    En l’espèce, le pourvoi est accueilli. La décision litigieuse est annulée, de même que l’arrêt attaqué, ce dernier dans la limite du litige dans laquelle la Cour a été saisie. À cet égard, ainsi qu’il ressort des points 118 et 122 du présent arrêt, l’arrêt attaqué est définitif en ce qu’il a déclaré le recours irrecevable en tant que celui-ci était dirigé contre l’EMA.

164    Dans ces conditions, l’EMA, tout en ayant participé à la procédure de pourvoi sur le fondement d’un intérêt au rejet de ce dernier, au sens de l’article 172 du règlement de procédure, ne saurait être considérée comme ayant succombé en ses moyens et supportera seulement ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi.

165    La Commission succombant, nonobstant ce qui est exposé au point 160 du présent arrêt, pour l’essentiel de ses moyens tant dans la procédure devant le Tribunal que dans la procédure de pourvoi, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante, afférents à ces procédures.

166    La requérante ayant succombé dans son recours devant le Tribunal pour autant que celui-ci a été dirigé contre l’EMA, il y a lieu de la condamner à supporter les dépens de cette dernière afférents à la procédure devant le Tribunal.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 2 mars 2022, D & A Pharma/Commission et EMA (T556/20, EU:T:2022:111), est annulé, sauf en ce qu’il a déclaré le recours irrecevable en tant qu’il était dirigé contre l’Agence européenne des médicaments (EMA).

2)      La décision d’exécution de la Commission du 6 juillet 2020, refusant la demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain Hopveus – oxybate de sodium, au titre du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures de l’Union pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et instituant une Agence européenne des médicaments, tel que modifié par le règlement (UE) 2019/5 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, est annulée.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Debrégeas et associés Pharma SAS (D & A Pharma) est condamnée aux dépens exposés par l’Agence européenne des médicaments (EMA) afférents à la procédure devant le Tribunal de l’Union européenne.

5)      La Commission européenne supporte, outre ses propres dépens afférents tant à la procédure devant le Tribunal de l’Union européenne qu’à la procédure de pourvoi, ceux exposés par Debrégeas et associés Pharma SAS (D & A Pharma) dans le cadre de ces deux procédures.

6)      L’Agence européenne des médicaments (EMA) supporte ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi.

Lycourgos

Spineanu-Matei

Bonichot

Rodin

 

Rossi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mars 2024.

Le greffier

 

Le président de chambre

A. Calot Escobar

 

C. Lycourgos


*      Langue de procédure : le français.