Language of document : ECLI:EU:C:2022:589

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 14 juillet 2022 (1)

Affaire C332/21

Quadrant Amroq Beverages SRL

contre

Agenția Națională de Administrare Fiscală – Direcția Generală de Administrare a Marilor Contribuabili

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Droits d’accise – Directive 92/83/CEE – Article 27, paragraphe 1, sous e) – Alcool éthylique – Exonérations – Production d’arômes destinés à la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume – Reconnaissance par l’État membre de destination d’une exonération accordée par l’État membre de production – Conditions imposées par l’État membre de destination »






I.      Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle formée par le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie) s’inscrit dans le cadre d’un recours introduit par Quadrant Amroq Beverages SRL (ci-après la « requérante »), tendant à l’annulation de décisions de l’Agenția Națională de Administrare Fiscală – Direcția Generală de Administrare a Marilor Contribuabili (Agence nationale de l’administration fiscale – Direction générale pour l’administration des grands contribuables, Roumanie) rejetant ses demandes de remboursement des droits d’accise payés en application de la législation nationale transposant l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83/CEE (2).

2.        La requérante a acheté des arômes destinés à la préparation de boissons rafraîchissantes en Roumanie auprès d’un producteur établi en Irlande. Elle savait que l’alcool éthylique utilisé pour la production des arômes avait été mis à la consommation en Irlande et qu’il avait été exonéré de droits d’accise en vertu de la législation irlandaise transposant l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83. Cette disposition du droit de l’Union exonère des droits d’accise l’alcool éthylique « [utilisé] pour la production d’arômes destinés à la préparation de [...] boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % vol. ». L’Irlande exonère l’alcool éthylique qui est destiné à être utilisé, ou qui a déjà été utilisé, pour la production de tels arômes. La Roumanie exonère uniquement l’alcool éthylique qui est destiné à être utilisé pour la production d’arômes.

3.        Les présentes conclusions examinent la portée de l’exonération accordée par l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83, les circonstances dans lesquelles un État membre de destination doit reconnaître une exonération qu’un autre État membre a accordée en vertu de cette disposition, et la mesure dans laquelle un État membre vers lequel les biens sont expédiés peut imposer des conditions procédurales aux opérateurs économiques qui ont obtenu le bénéfice de cette exonération.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 92/83

4.        La directive 92/83 contient des dispositions visant à harmoniser les structures des droits d’accise sur l’alcool et les boissons alcooliques.

5.        L’article 19, paragraphe 1, de la directive 92/83 prévoit que les États membres appliquent une accise à l’alcool éthylique conformément à cette directive.

6.        L’article 20, premier tiret, de la directive 92/83 définit l’alcool éthylique comme :

« tous les produits qui ont un titre alcoométrique acquis excédant 1,2 % vol. et qui relèvent des codes NC 2207 et 2208, même lorsque ces produits font partie d’un produit relevant d’un autre chapitre de la nomenclature combinée,

[...] »

7.        Aux termes de l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 :

« Les États membres exonèrent les produits couverts par la présente directive de l’accise harmonisée dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et directe de ces exonérations et d’éviter toute fraude, évasion ou abus, lorsqu’ils sont :

[...]

e)      utilisés pour la production d’arômes destinés à la préparation de denrées alimentaires et de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % vol. »

2.      La directive 2008/118

8.        L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2008/118/CE (3) dispose :

« Les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue. »

9.        L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/118 définit la « mise à la consommation » comme suit :

« a)      la sortie, y compris la sortie irrégulière, de produits soumis à accise, d’un régime de suspension de droits ;

b)      la détention de produits soumis à accise en dehors d’un régime de suspension de droits pour lesquels le droit d’accise n’a pas été prélevé conformément aux dispositions communautaires et à la législation nationale applicables ;

c)      la production, y compris la production irrégulière, de produits soumis à accise en dehors d’un régime de suspension de droits ;

d)      l’importation, y compris l’importation irrégulière, de produits soumis à accise, sauf si les produits soumis à accise sont placés, immédiatement après leur importation, sous un régime de suspension de droits ».

B.      Le droit roumain

10.      Les observations écrites de la Commission européenne énoncent les dispositions suivantes du droit roumain.

11.      L’article 20658 de la Legea nr. 571/2003 privind Codul fiscal (loi no 571/2003 portant code des impôts), du 22 décembre 2003 (4), en vigueur jusqu’au 31 décembre 2015, dont le libellé est repris à l’article 397, paragraphe 1 (5), de la Legea nr. 227/2015 privind codul fiscal (loi no 227/2015 portant code des impôts), du 8 septembre 2015, en vigueur à partir du 1er janvier 2016 (6) (ci-après le « code des impôts »), dispose :

« 1.      L’alcool éthylique et les autres produits alcooliques visés à l’article 2062, sous a), sont exonérés des droits d’accise lorsqu’ils sont :

[...]

e)      utilisés pour la production d’arômes alimentaires destinés à la préparation de denrées alimentaires ou de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume [...] »

12.      Les règles méthodologiques applicables à l’article 20658 du code des impôts disposent :

« [...]

13.      Dans tous les cas visés à l’article 20658, paragraphe 1, du code des impôts, l’exonération des droits d’accise n’est accordée qu’à l’utilisateur, à condition que l’approvisionnement soit fait directement auprès d’un entrepôt fiscal.

14.      Lorsque l’utilisateur effectue des acquisitions intracommunautaires d’alcool éthylique en vue d’une utilisation aux fins visées à l’article 20658, paragraphe 1, sous b) à i), du code des impôts, il doit avoir aussi la qualité de destinataire enregistré.

[...]

16.      L’exonération est accordée directement :

a)      dans les cas visés à l’article 20659, paragraphe 1, sous d), f), g) et h), du code des impôts ;

b)      dans les cas visés à l’article 20658, paragraphe 1, sous a), b), c) et e), du code des impôts, pour les entrepositaires agréés opérant au sein d’un système intégré. On entend par “système intégré” l’utilisation, par l’entrepositaire, d’alcool éthylique et d’autres produits alcooliques dans la fabrication de produits finis destinés à être consommés en l’état, sans autre modification [...]

17.      Dans tous les cas d’exonération directe, l’exonération est accordée sur la base de l’agrément d’utilisateur final. Cet agrément est délivré à tous les utilisateurs qui achètent des produits au titre du régime d’exonération des droits d’accise.

[...]

34.      Dans tous les cas d’exonération directe, les produits sont livrés à des prix hors droits d’accise et doivent obligatoirement être accompagnés, dans leurs mouvements, de la version imprimée du document administratif électronique visé au point 91.

[...]

37.      Dans les cas visés à l’article 20658, paragraphe 1, sous a), b), c), e) et i), du code des impôts, l’exonération est accordée indirectement. Les produits sont livrés à des prix soumis à accise, et les opérateurs économiques qui les utilisent demandent ensuite la compensation ou le remboursement de l’accise, conformément aux dispositions du Codul de procedură fiscală (code de procédure fiscale).

38.      Aux fins du remboursement de l’accise, les utilisateurs présentent chaque mois à l’autorité fiscale territoriale, au plus tard le 25 du mois suivant celui pour lequel le remboursement est demandé, la demande de remboursement de l’accise accompagnée :

a)      d’une copie de la facture d’achat de l’alcool éthylique et/ou du produit alcoolique, dans laquelle l’accise doit être mentionnée séparément ;

b)      de la preuve du paiement des droits d’accise au fournisseur, à savoir l’ordre de paiement confirmé par la banque où l’utilisateur a son compte ;

c)      de la preuve de la quantité utilisée aux fins pour lesquelles l’exonération est accordée, à savoir un récapitulatif des quantités effectivement utilisées et des documents y afférents. »

13.      Les règles méthodologiques applicables à l’article 397 du code des impôts disposent :

« 81.      1.      Dans les cas d’exonération directe, pour les produits visés à l’article 397, paragraphe 1, du code des impôts, l’exonération de l’accise n’est accordée qu’à l’utilisateur, à condition que l’approvisionnement soit fait directement auprès d’un entrepôt fiscal ou par voie d’acquisitions intracommunautaires propres ou d’opérations d’importation propres.

2.      Dans les cas d’exonération indirecte, pour les produits visés à l’article 397, paragraphe 1, du code des impôts, l’exonération de l’accise n’est accordée qu’à l’utilisateur, à condition que l’approvisionnement soit fait directement auprès d’un entrepôt fiscal ou destinataire enregistré ou par voie d’opérations d’importation propres. Les destinataires enregistrés qui livrent des produits devant être utilisés à des fins exonérées de l’accise indiquent sur leur facture le montant de l’accise versée au budget de l’État.

3.      Lorsque l’utilisateur effectue des acquisitions intracommunautaires d’alcool éthylique en vue de l’utiliser aux fins visées à l’article 397, paragraphe 1, sous b) à i), du code des impôts, il doit avoir aussi la qualité de destinataire enregistré.

4.      Si l’alcool éthylique est importé d’un pays tiers en vue d’être utilisé aux fins visées à l’article 397, paragraphe 1, sous b) à i), du code des impôts, l’importateur doit également être l’utilisateur de la matière première.

82.      1.      L’exonération de l’accise est accordée directement :

a)      dans les cas visés à l’article 397, paragraphe 1, sous d) et f), du code des impôts ;

b)      dans le cas visé à l’article 397, paragraphe 1, sous b), du code des impôts, uniquement pour la production d’alcool sanitaire ;

c)      dans les cas visés à l’article 397, paragraphe 1, sous a), c) et e), du code des impôts.

2.      Seuls les entrepositaires agréés opérant au sein d’un système intégré bénéficient de l’exonération directe prévue au paragraphe 1, sous b) et c). On entend par “système intégré” l’utilisation d’alcool éthylique et d’autres produits alcooliques, dans l’entrepôt fiscal où ceux-ci ont été produits, pour la fabrication de produits finis qui sont consommés en l’état, sans autre modification.

3.      Dans tous les cas d’exonération directe, l’exonération est accordée sur la base de l’agrément d’utilisateur final. »

C.      Le droit irlandais

14.      L’article 77, sous a), iii), de la Finance Act 2003 (loi de finances de 2003) transpose en droit irlandais l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83. Il dispose ce qui suit :

« Sans préjudice de toute autre exonération de droits d’accise susceptible de s’appliquer et sous réserve des conditions que les Commissioners [autorités fiscales irlandaises] peuvent prévoir ou, d’une quelconque autre manière, imposer, une exonération de la taxe sur les produits alcooliques est accordée sur tout produit alcoolique pour lequel il est assuré aux [autorités fiscales irlandaises] que :

a)      il est destiné à l’utilisation ou a été utilisé dans la fabrication :

[...]

iii)      d’arômes pour la préparation de denrées alimentaires ou de boissons n’excédant pas 1,2 % en volume

[...] »

III. Le litige au principal et les questions préjudicielles

15.      Sur le fondement de la décision de renvoi, de l’avis sur le droit irlandais que la requérante a été admise à déposer, ainsi que des observations écrites de la requérante au principal, les faits et le contexte du litige au principal s’entendent comme suit.

16.      Concentrate Manufacturing Company of Ireland (ci-après « CMCI ») est une filiale irlandaise de PepsiCo, Inc., une société multinationale qui produit des aliments et des boissons. Elle utilise 100 % d’alcool éthylique non dénaturé pour fabriquer des arômes (7). Ceux-ci ont une teneur en alcool comprise entre 15 % et 62 % en volume et sont destinés à la préparation de boissons non alcooliques. CMCI produit les arômes en Irlande et les vend à une autre filiale irlandaise de PepsiCo, PepsiCo Irlande. Cette dernière société a vendu des arômes à la requérante, qui les utilise pour fabriquer des boissons rafraîchissantes en Roumanie. CMCI expédie les arômes directement d’Irlande vers la requérante, en Roumanie.

17.      Selon l’avis sur le droit irlandais, CMCI est un entrepositaire agréé. CMCI est également un destinataire agréé, habilité à recevoir annuellement, en franchise de droits, jusqu’à 1 500 000 litres en vrac d’alcool éthylique non dénaturé destiné à être utilisé dans la fabrication de concentré de boissons rafraîchissantes. Elle reçoit cet alcool dans son entrepôt fiscal en suspension de droits. La sortie de ce produit de l’entrepôt fiscal pour produire les arômes constitue une mise à la consommation (8). Cette mise à la consommation nécessiterait le paiement des droits d’accise si elle ne devait pas bénéficier de l’exonération prévue à l’article 77, sous a), iii), de la loi de finances de 2003, qui transpose l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83.

18.      La requérante explique que, lorsqu’elle a acquis les arômes auprès de PepsiCo Irlande, elle avait compris que l’alcool éthylique qui y était contenu avait déjà été mis à la consommation en Irlande, qu’il était exonéré d’accise en vertu de la législation irlandaise transposant l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83, et qu’il n’était plus soumis à un régime de suspension de droits ni à aucune autre formalité administrative en rapport avec l’accise. La requérante a dû néanmoins payer des droits d’accise sur les arômes lors de leur entrée en Roumanie. Elle a demandé le remboursement de ces droits en vertu de la législation nationale transposant l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83. Ce remboursement a été refusé pour des raisons de fond et de procédure. D’une part, la requérante n’avait pas acheté de l’alcool éthylique pour la production d’arômes, mais avait acheté des arômes, contenant de l’alcool éthylique, destinés à la préparation de boissons non alcooliques. D’autre part, les arômes n’avaient pas été transférés d’un entrepôt fiscal et la requérante n’avait pas la qualité de destinataire enregistré (ci-après les « conditions procédurales »).

19.      La requérante a demandé l’annulation des décisions de l’Agence nationale de l’administration fiscale rejetant sa réclamation et refusant le remboursement des droits d’accise.

20.      Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi a décidé, aux fins de la résolution du litige, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive [92/83] doit-il être interprété en ce sens que relèvent de l’exonération des droits d’accise les seuls produits de type “alcool éthylique” utilisés pour la production d’arômes employés à leur tour pour la production de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume ou en ce sens que bénéficient également de ladite exonération les produits de type “alcool éthylique” qui ont déjà été utilisés pour la production de tels arômes qui ont été ou seront utilisés pour la production de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume ?

2)      L’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 doit-il, à la lumière des objectifs et de l’économie générale de ladite directive, être interprété en ce sens que, lorsque les produits de type “alcool éthylique” destinés à être commercialisés dans un autre État membre ont déjà été mis à la consommation dans un premier État membre, étant considérés comme exonérés de droits d’accise parce qu’ils sont employés pour la fabrication d’arômes qui seront utilisés pour la production de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume, l’État membre de destination doit leur réserver un traitement identique sur son territoire ?

3)      L’article 27, paragraphe 1, sous e), et paragraphe 2, sous d), de la directive 92/83 ainsi que [les] principes d’effectivité et de [proportionnalité] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils permettraient à un État membre d’imposer des conditions procédurales visant à subordonner l’application de l’exonération à la qualité de destinataire enregistré de l’utilisateur et [à] la qualité d’entrepositaire agréé du vendeur des produits soumis à accise, même si l’État membre dans lequel ces produits sont achetés n’impose pas à l’agent économique qui les commercialise l’obligation d’avoir la qualité d’entrepôt fiscal ?

4)      Les principes de proportionnalité et d’effectivité s’opposent-ils, au regard de l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83, à la lumière des objectifs et de l’économie générale de ladite directive, au refus d’accorder l’exonération prévue par cette disposition à un contribuable d’un État membre de destination qui a reçu des produits de type “alcool éthylique” et qui s’est fondé sur le fait que ces produits avaient été considérés comme exonérés conformément à une interprétation officielle de ces dispositions par les autorités fiscales de l’État membre d’origine, [interprétation qui a été] constante pendant une longue période, transposée en droit national et appliquée dans la pratique, mais qui s’est [révélée] erronée par la suite, lorsque l’existence d’une fraude ou d’une évasion aux droits d’accise est exclue eu égard aux circonstances de l’espèce ? »

21.      La requérante, les gouvernements roumain, irlandais et polonais ainsi que la Commission ont déposé des observations écrites.

IV.    Sur la recevabilité

22.      Le gouvernement roumain conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle dès lors qu’elle considère que la juridiction de renvoi n’a pas fourni à la Cour les informations requises par l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour de justice (9).

23.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée par l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (10).

24.      Il résulte également d’une jurisprudence constante que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La décision de renvoi doit en outre indiquer les raisons précises qui ont conduit le juge national à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser une ou plusieurs questions préjudicielles à la Cour (11).

25.      Il est vrai que l’ordonnance de renvoi est loin d’être parfaite et que la présentation des faits compte un certain nombre de lacunes et de discordances. Par exemple, il n’est fait référence à aucune des dispositions pertinentes du droit roumain, alors qu’elles figurent dans les observations écrites de la Commission.

26.      Néanmoins, selon moi, la juridiction de renvoi a exposé de manière suffisamment claire les raisons qui l’ont conduite à interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union. En outre, la décision de renvoi contient suffisamment d’informations pour permettre à la Cour, ainsi qu’aux intéressés en droit, de déposer des observations, d’avoir une compréhension suffisamment claire du cadre factuel et réglementaire de l’affaire au principal, comme l’atteste le nombre de participants à la procédure écrite. Le manque de clarté quant à la nature des conditions procédurales imposées par les autorités roumaines ne semble pas non plus empêcher la Cour de fournir une réponse utile à la troisième question préjudicielle. Je propose donc à la Cour d’accepter la présente demande de décision préjudicielle et d’y répondre.

V.      Analyse juridique

A.      Sur la première question préjudicielle

27.      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 s’applique uniquement à l’alcool éthylique destiné à être utilisé pour la production d’arômes employés à leur tour pour la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume ou s’il s’applique également à l’alcool éthylique qui a déjà été utilisé pour la production de ces arômes (12).

28.      L’Agence nationale de l’administration fiscale roumaine considère que cette exonération s’applique uniquement à l’alcool éthylique destiné à être utilisé pour la production d’arômes employés à leur tour pour la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume. Pour cette raison, elle a refusé de rembourser les droits d’accise que la requérante avait payés lors de l’entrée des arômes en Roumanie. Le gouvernement roumain soutient cette position. La requérante, les gouvernements irlandais et polonais ainsi que la Commission considèrent tous que l’exonération instituée par l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 s’applique également à l’alcool éthylique qui a été utilisé pour produire les arômes.

29.      Aux termes de l’article 20 de la directive 92/83, on entend par « alcool éthylique » « tous les produits qui ont un titre alcoométrique acquis excédant 1,2 % vol. et qui relèvent des codes NC 2207 et 2208, même lorsque ces produits font partie d’un produit relevant d’un autre chapitre de la nomenclature combinée ». L’avis sur le droit irlandais porte mention du fait que, à l’époque de l’adoption de la directive 92/83, l’alcool éthylique incorporé dans les arômes en question relevait du code NC 2207, tandis que les arômes eux-mêmes relevaient du code NC 2208 (13). Les arômes rentrent dans la définition de l’alcool éthylique figurant au premier tiret de l’article 20 de la directive 92/83 et sont soumis aux droits d’accise (14).

30.      Aux termes de l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83, les produits relevant de cette directive sont exonérés de l’accise harmonisée « lorsqu’ils sont [...] utilisés pour la production d’arômes » (15). C’est donc l’utilisation de l’alcool éthylique qui détermine l’application de l’exonération (16). Toutefois, le texte de cette disposition n’est pas dépourvu d’ambiguïté : elle peut être interprétée comme signifiant « lorsqu’ils sont destinés à être utilisés pour la production d’arômes » ou « lorsqu’ils ont été utilisés pour la production d’arômes » (17).

31.      Il convient dès lors de recourir aux autres critères d’interprétation que la Cour emploie habituellement, c’est-à-dire la finalité et le contexte de la disposition en cause (18).

32.      Le gouvernement polonais et la Commission soulignent que l’objectif des exonérations prévues à l’article 27 de la directive 92/83 est de neutraliser l’incidence des accises sur l’alcool éthylique en tant que produit intermédiaire entrant dans la composition d’autres produits commerciaux ou industriels (19). Ce produit est un « arôme pour la préparation de boissons non alcooliques d’un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume ».

33.      Si l’interprétation défendue par le gouvernement roumain devait prévaloir, cela signifierait que l’alcool éthylique destiné à la production de tels arômes serait exonéré des droits d’accise, tandis que l’alcool éthylique déjà incorporé dans ces arômes ne le serait pas. Cette interprétation donnerait lieu au résultat absurde selon lequel l’alcool éthylique, qui était exonéré d’accise au stade où il était destiné à la production d’arômes, serait de nouveau soumis à celle-ci après avoir été utilisé pour produire lesdits arômes. Un tel résultat ne remplirait certainement pas l’objectif de neutraliser l’incidence des droits d’accise sur l’alcool utilisé pour la production d’arômes destinés à la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume.

34.      Une interprétation téléologique et contextuelle de l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 conforte donc la position défendue par la requérante, les gouvernements irlandais et polonais ainsi que par la Commission. Elle est également corroborée par les orientations non contraignantes adoptées par le comité de l’accise de la Commission (20), qui a examiné à plusieurs reprises l’application de l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de cette directive.

35.      Le comité de l’accise a d’abord proposé que les États membres accordent l’exonération lorsque les arômes ont été utilisés pour préparer des boissons non alcooliques soumises aux mécanismes de contrôle mis en place par les États membres (21). La circulation intracommunautaire des arômes serait soumise aux dispositions de la directive 92/12/CEE (22).

36.      Toutefois, après plus de réflexion, le comité de l’accise a tenu compte du fait que les arômes sont principalement utilisés comme concentrés pour la préparation de boissons rafraîchissantes. Étant donné que ces concentrés ne peuvent pas être consommés sans dilution, l’alcool peut être considéré comme étant dénaturé. Les arômes sont relativement onéreux, coûtant plus que l’alcool le moins cher du marché dans la plupart des États membres. Enfin, il est coûteux de distiller des arômes afin d’en extraire de l’alcool éthylique. Au vu de ces caractéristiques, il était raisonnable pour le comité de conclure que l’octroi de l’exonération au moment de la fabrication des arômes ne serait pas de nature à engendrer un risque de fraude fiscale. Il a donc proposé que l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 s’applique à compter de ce moment (23).

37.      Dans les orientations adoptées lors de la réunion des 12, 13 et 14 novembre 2003, le comité de l’accise a relevé qu’il avait été convenu presque à l’unanimité que l’exonération visée à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 s’applique dès la production ou l’importation des arômes qui relèvent des codes NC 1302 1930, 2106 9020 et 3302 (24), aux fins de leur circulation intracommunautaire (25).

38.      Les délibérations du comité de l’accise permettent par ailleurs de conclure que, contrairement à la position défendue par le gouvernement roumain, l’exonération s’applique à l’alcool éthylique qui a été utilisé pour la production d’arômes.

39.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la première question préjudicielle :

L’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 doit être interprété en ce sens que relèvent de l’exonération des droits d’accise tant l’alcool éthylique destiné à être utilisé pour la production d’arômes employés à leur tour pour la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume que l’alcool éthylique qui a déjà été utilisé pour la production de tels arômes.

B.      Sur la deuxième question préjudicielle

40.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 doit être interprété en ce sens que, lorsque l’alcool éthylique est mis à la consommation dans un État membre et est considéré comme exonéré de droits d’accise dans la mesure où il a été employé pour la production d’arômes destinés à la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume, d’autres États membres doivent réserver un traitement identique à l’alcool éthylique contenu dans ces arômes. La requérante, le gouvernement irlandais et la Commission sont d’avis qu’une exonération accordée par un État membre dans lequel un produit est fabriqué doit être reconnue par tout État membre vers lequel ce produit est expédié. Le gouvernement roumain observe que tel ne saurait être le cas en toutes circonstances. Le gouvernement polonais n’a pas déposé d’observations sur cette question.

41.      Eu égard à ma proposition de réponse à la première question préjudicielle, les États membres sont tenus d’exonérer des droits d’accise l’alcool éthylique qui a déjà été employé pour la production d’arômes destinés à la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume.

42.      En outre, dans sa jurisprudence relative à l’interprétation de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83, applicable par analogie à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de cette directive, la Cour souligne que, en principe, tous les États membres doivent reconnaître la décision d’un État membre de soumettre un produit à accise ou de l’exonérer de celle‑ci. Une interprétation contraire compromettrait la réalisation de l’objectif poursuivi par ladite directive et serait susceptible d’entraver la libre circulation des marchandises (26). Selon moi, cela serait également contraire au principe de coopération loyale entre les États membres, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE (27).

43.      Par conséquent, lorsque des arômes ont été mis à la consommation dans l’État membre de production en vertu de la législation nationale transposant l’article 7 de la directive 2008/118 et que cet État membre a appliqué l’exonération à ces arômes en vertu de sa législation transposant l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 (28), l’État membre de destination de ces produits doit leur réserver un traitement identique dès leur arrivée sur son territoire, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que l’exonération a été accordée illégalement (29). Eu égard à la réponse que je propose à la Cour d’apporter à la première question préjudicielle, il n’a pas été démontré, dans le cadre de la présente procédure, que l’État membre dans lequel les arômes ont été produits et mis à la consommation a appliqué de manière erronée l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83.

44.      Je propose donc à la Cour de répondre comme suit à la deuxième question préjudicielle :

L’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 doit être interprété en ce sens que, dès lors que l’alcool éthylique a été mis à la consommation dans un État membre et que cet État membre a fait une juste application de l’exonération d’accise prévue à cette disposition, l’État membre de destination doit lui réserver un traitement identique sur son territoire.

C.      Sur la troisième question préjudicielle

45.      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 27, paragraphe 1, sous e), et paragraphe 2, sous d), de la directive 92/83 ainsi que les principes d’effectivité et de proportionnalité permettent à un État membre d’imposer des conditions procédurales à un opérateur économique commercialisant des produits soumis à accise ayant obtenu le bénéfice d’une exonération de droits d’accise dans l’État membre où ces produits avaient été fabriqués et mis à la consommation.

46.      La requérante explique que, pour les acquisitions intracommunautaires, le droit roumain exige, afin de bénéficier d’une exonération au titre de l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83, que les arômes soient transférés d’un entrepositaire agréé vers un opérateur enregistré ou un destinataire enregistré. Étant donné qu’elle a acquis ces arômes auprès d’une société irlandaise, qui les a revendus après leur mise à la consommation conformément au droit irlandais, la requérante affirme qu’elle n’est pas en mesure de satisfaire à ces conditions. Il ne ressortait pas des factures pertinentes que des droits d’accise auraient été payés sur les produits, ni qu’un régime de suspension de droits s’appliquait à ces derniers. Il est indiqué dans l’avis sur le droit irlandais que la société irlandaise auprès de laquelle la requérante a acquis lesdits arômes n’était soumise à aucune obligation, en vertu du droit irlandais ou du droit de l’Union, d’être un entrepositaire agréé, dans la mesure où elle ne détenait, ne transformait, ne fabriquait ou n’expédiait aucun produit soumis à accise.

47.      Le gouvernement irlandais estime qu’aucune condition procédurale ne peut être imposée aux opérateurs économiques dans les circonstances qui ressortent de la décision de renvoi. Selon la Commission, des conditions procédurales ne peuvent être imposées que dans les circonstances où cela est autorisé par la jurisprudence de la Cour. Les gouvernements roumain et polonais estiment que les conditions procédurales en cause sont autorisées et justifiées dès lors qu’elles ont pour objectif d’assurer l’application correcte et directe de l’exonération et d’éviter toute fraude, évasion ou abus. En particulier, le gouvernement roumain estime que, si les arômes étaient autorisés à circuler en dehors d’un régime de suspension de droits (30), il existerait un risque qu’ils soient transformés en boissons alcooliques à consommer sur lesquelles les droits d’accise ne seraient pas payés.

48.      Les deux premières questions préjudicielles tendent uniquement à l’interprétation de l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83. Étant donné que l’ordonnance de renvoi ne fait plus référence ni à l’article 27, paragraphe 2, sous d), de cette directive, ni à la législation nationale qui met en œuvre cette disposition, ni aux circonstances dans lesquelles cette disposition pourrait s’appliquer au litige au principal, j’estime qu’une réponse au regard du seul article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 peut être réservée à la troisième question préjudicielle.

49.      L’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83, lu en combinaison avec le vingt‑deuxième considérant de cette directive, prévoit que les États membres peuvent fixer des conditions en vue d’assurer l’application correcte et directe des exonérations prévues à cette disposition et d’éviter toute fraude, évasion ou abus. Les conditions fixées par les États membres au titre de ce pouvoir ne sauraient aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif énoncé dans ladite disposition (31). Dans les circonstances de l’affaire au principal, il apparaît que l’exercice de ce pouvoir se limite à vérifier que les arômes sont effectivement utilisés pour préparer des boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume.

50.      En outre, dans l’exercice du pouvoir dont ils disposent de fixer les conditions auxquelles est soumise l’exonération des droits d’accise prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83, les États membres doivent respecter les principes généraux du droit qui font partie de l’ordre juridique de l’Union. Parmi ceux-ci figurent, notamment, les principes de proportionnalité et d’effectivité (32).

51.      Le principe de proportionnalité exige qu’il soit vérifié que les conditions procédurales n’excèdent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83. Lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (33).

52.      Le principe d’effectivité exige que les modalités procédurales nationales ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (34).

53.      Il appartient à la juridiction nationale, qui est saisie du litige au principal et qui doit assumer la responsabilité de sa décision juridictionnelle définitive, d’établir si la réglementation que les autorités fiscales roumaines entendent appliquer répond aux exigences décrites aux points 500 à 522 des présentes conclusions. Les considérations suivantes peuvent aider la juridiction de renvoi dans l’accomplissement de cette mission.

54.      S’agissant de l’objectif consistant à assurer l’application correcte et directe de l’exonération et à éviter toute fraude, évasion ou abus, il convient de tenir compte des éléments suivants : premièrement, les arômes ont été mis à la consommation dans l’État membre où ils ont été produits ; deuxièmement, ce même État membre avait correctement appliqué l’exonération aux arômes ; troisièmement, le comité de l’accise a considéré que l’octroi de l’exonération au moment de la production des arômes n’entraînait pas de risque de fraude fiscale (35), et, quatrièmement, rien n’indique que la requérante aurait cherché à obtenir frauduleusement le bénéfice de l’exonération.

55.      Quant à l’application des principes de proportionnalité et d’effectivité, la juridiction de renvoi devrait examiner l’allégation de la requérante selon laquelle elle n’est pas en mesure de respecter les conditions procédurales dès lors que les arômes ont été à la fois fabriqués et mis en libre circulation dans l’État membre ayant accordé l’exonération.

56.      Dans les circonstances de l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi, il semblerait que l’application des conditions procédurales sur lesquelles les autorités roumaines insistent aboutisse très probablement à priver illégalement la requérante de son droit de bénéficier d’une exonération d’accise correctement accordée par un autre État membre. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi devrait tenir compte de la jurisprudence de la Cour selon laquelle le non‑respect d’exigences purement formelles, non nécessaires pour assurer le respect des conditions de fond relatives à l’utilisation effective des produits concernés, ne saurait remettre en cause le droit de la requérante de bénéficier de l’exonération obligatoire prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83(36).

57.      Je propose donc à la Cour de répondre comme suit à la troisième question préjudicielle :

L’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 ainsi que les principes d’effectivité et de proportionnalité ne permettent à un État membre d’imposer des conditions procédurales à un opérateur économique commercialisant des produits soumis à accise ayant obtenu le bénéfice d’une exonération de droits d’accise dans l’État membre où ces produits avaient été fabriqués et mis à la consommation que lorsque ces conditions procédurales sont strictement nécessaires pour assurer l’application correcte et directe de l’exonération en cause et pour éviter toute fraude, évasion ou abus. Lorsqu’ils imposent de telles conditions procédurales, les États membres doivent respecter les principes généraux du droit de l’Union, y compris les principes de proportionnalité et d’effectivité.

D.      Sur la quatrième question préjudicielle

58.      La quatrième question préjudicielle semble être fondée sur la supposition selon laquelle l’État membre de production des arômes a appliqué de manière incorrecte l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83. Si la Cour devait suivre ma proposition de réponse à la première question de la juridiction de renvoi, la quatrième question préjudicielle reposerait sur une hypothèse erronée, si bien qu’elle n’appelle pas de réponse.

VI.    Conclusion

59.      Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie) en ces termes :

1)      L’article 27, paragraphe 1, point e), de la directive 92/83/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques doit être interprété en ce sens que relèvent de l’exonération des droits d’accise tant l’alcool éthylique destiné à être utilisé pour la production d’arômes employés à leur tour pour la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume que l’alcool éthylique qui a déjà été utilisé pour la production de tels arômes.

2)      L’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 doit être interprété en ce sens que, dès lors que l’alcool éthylique a été mis à la consommation dans un État membre et que cet État membre a fait une juste application de l’exonération d’accise prévue à cette disposition, l’État membre de destination doit lui réserver un traitement identique sur son territoire.

3)      L’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 ainsi que les principes d’effectivité et de proportionnalité ne permettent à un État membre d’imposer des conditions procédurales à un opérateur économique commercialisant des produits soumis à accise ayant obtenu le bénéfice d’une exonération de droits d’accise dans l’État membre où ces produits avaient été fabriqués et mis à la consommation que lorsque ces conditions procédurales sont strictement nécessaires pour assurer l’application correcte et directe de l’exonération en cause et pour éviter toute fraude, évasion ou abus. Lorsqu’ils imposent de telles conditions procédurales, les États membres doivent respecter les principes généraux du droit de l’Union, y compris les principes de proportionnalité et d’effectivité.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Directive du Conseil du 19 octobre 1992 concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques (JO 1992, L 316, p. 21).


3      Directive du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12).


4      Monitorul Oficial al României, partie I, no 927 du 23 décembre 2003.


5      Ces dispositions figurent dans le dossier de l’affaire au principal.


6      Monitorul Oficial al României, partie I, no 688 du 10 septembre 2015.


7      Les arômes sont fabriqués à partir d’extraits de fruits ou de plantes. Ces extraits étant insolubles dans l’eau, ils sont dissous dans de l’alcool pour la fabrication d’un concentré liquide. Ce concentré est ensuite dilué dans l’eau dans une proportion de 1:1000 pour produire des boissons rafraîchissantes.


8      Voir article 7 de la directive 2008/118, cité aux points 8 et 9 des présentes conclusions. La Cour a interprété cette disposition dans son arrêt du 2 juin 2016, Polihim-SS (C‑355/14, EU:C:2016:403, points 46 à 55).


9      Telles que reflétées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2012, C 338, p. 1).


10      Voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2012, Geistbeck (C‑509/10, EU:C:2012:416, point 47 et jurisprudence citée), ainsi que du 20 juin 2013, Impacto Azul (C‑186/12, EU:C:2013:412, point 26 et jurisprudence citée).


11      Arrêt du 18 avril 2013, Mulders (C‑548/11, EU:C:2013:249, point 28 et jurisprudence citée).


12      La première question préjudicielle vise les « arômes qui ont été utilisés pour la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume ». Toutefois, la juridiction de renvoi ne mentionne aucun commerce ou déplacement de boissons sans alcool d’Irlande vers la Roumanie.


13      Les produits relevant du code NC 2207 sont : « alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de 80 % vol. ou plus ; alcool éthylique et eaux-de-vie dénaturés de tous titres » ; les produits relevant du code NC 2208 sont : « alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de moins de 80 % vol. ; eaux-de-vie, liqueurs et autres boissons spiritueuses ; préparations alcooliques composées des types utilisés pour la fabrication des boissons » [règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1)].


      La Cour a interprété l’article 20 de la directive 92/83 dans son arrêt du 12 juin 2008, Gourmet Classic (C‑458/06, EU:C:2008:338, points 34 à 40).


14      Voir point 6 des présentes conclusions.


15      Il ne ressort pas de l’ordonnance de renvoi que la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la nature du produit acheté par la requérante. Aucune des observations écrites ne conteste que le produit acquis par la requérante est un arôme (lui-même un produit ayant un titre alcoométrique excédant 1,2 % en volume) destiné à la préparation de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % en volume.


16      Voir, par analogie, arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire (C‑163/09, EU:C:2010:752, point 49 et jurisprudence citée).


17      Tel est également le cas pour d’autres versions linguistiques de cette directive, par exemple : « cuando se utilicen » en langue espagnole ; « zur Herstellung [...] verwendet werden » en langue allemande ; « utilisés pour la production » en langue française ; « impiegati per la produzione » en langue italienne ; « Wanneer zij gebruikt worden » en langue néerlandaise ; « sejam utilizados » en langue portugaise.


18      « Conformément à une jurisprudence constante, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie » [arrêt du 3 septembre 2020, NIKI Luftfahrt (C‑530/19, EU:C:2020:635, point 23 et jurisprudence citée)].


19      Arrêts du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire (C‑163/09, EU:C:2010:752, point 48 et jurisprudence citée), ainsi que du 15 octobre 2015, Biovet (C‑306/14, EU:C:2015:689, point 21 et jurisprudence citée).


20      L’article 43, paragraphe 1, de la directive 2008/118 prévoit que la Commission est assistée par un comité, dénommé « comité de l’accise ».


21      Voir document CED no 364 rev 1 du 22 janvier 2003, p. 3.


22      Directive du Conseil du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1), telle que modifiée par le règlement (CE) no 807/2003 du Conseil, du 14 avril 2003, portant adaptation à la décision 1999/468/CE des dispositions relatives aux comités assistant la Commission dans l’exercice de ses compétences d’exécution prévues dans des actes du Conseil adoptés selon la procédure de consultation (unanimité) (JO 2003, L 122, p. 36).


23      Voir document CED no 364 rev 1 du 22 janvier 2003, p. 4 et 5.


24      Les codes NC font référence à la nomenclature combinée à la date de l’adoption des orientations, à savoir du 12 au 14 novembre 2003. La référence à ces codes est justifiée par le fait que les arômes mentionnés à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 ne sont pas correctement identifiés par les codes NC. Cette imprécision a été considérée comme étant la seule source d’un risque de fraude fiscale (voir document CED no 364 rev 1 du 22 janvier 2003, p. 4).


25      Voir document CED no 458 du 19 novembre 2003, p. 1.


26      Arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire (C‑163/09, EU:C:2010:752, points 41 et 42).


27      Voir, par exemple, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire A-Rosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:12, point 60).


28      Voir également point 36 des présentes conclusions, faisant référence à la proposition du comité de l’accise selon laquelle l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 s’applique à compter du moment où les arômes en question sont produits.


29      Voir, par analogie, arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire (C‑163/09, EU:C:2010:752, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée).


30      Le gouvernement roumain se réfère aux articles 17 à 20 du chapitre IV de la directive 2008/118, qui ont pour objet la circulation sous un régime de suspension de droits des produits soumis à accise.


31      Voir arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire (C‑163/09, EU:C:2010:752, point 51).


32      Voir, par analogie, arrêts du 13 juillet 2017, Vakarų Baltijos laivų statykla (C‑151/16, EU:C:2017:537, point 45 et jurisprudence citée), ainsi que du 7 novembre 2019, Petrotel-Lukoil (C‑68/18, EU:C:2019:933, point 56 et jurisprudence citée).


33      Voir arrêt du 9 mars 2010, ERG e.a. (C‑379/08 et C‑380/08, EU:C:2010:127, point 86 et jurisprudence citée).


34      Voir arrêt du 18 octobre 2012, Pelati (C‑603/10, EU:C:2012:639, points 23 et 25 ainsi que jurisprudence citée).


35      Voir considérations mentionnées au point 36 des présentes conclusions.


36      Voir, par analogie, arrêts du 27 septembre 2007, Collée (C‑146/05, EU:C:2007:549, point 31) ; du 13 juillet 2017, Vakarų Baltijos laivų statykla (C‑151/16, EU:C:2017:537, point 46 et jurisprudence citée), ainsi que du 7 novembre 2019, Petrotel-Lukoil (C‑68/18, EU:C:2019:933, point 59 et jurisprudence citée).