Language of document : ECLI:EU:T:2004:219

Affaire C673/20

EP

contre

Préfet du Gers
et
Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE)

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal judiciaire d’Auch)

 Arrêt de la Cour (grande chambre) du 9 juin 2022

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Ressortissant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord résidant dans un État membre – Article 9 TUE – Articles 20 et 22 TFUE – Droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre de résidence – Article 50 TUE – Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique – Conséquences du retrait d’un État membre de l’Union – Radiation des listes électorales dans l’État membre de résidence – Articles 39 et 40 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Validité de la décision (UE) 2020/135 »

1.        Citoyenneté de l’Union – Dispositions du traité – Nationalité d’un État membre – Retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et d’Euratom – Conséquences – Perte du statut de citoyen de l’Union – Ressortissants du Royaume-Uni ayant exercé leur droit de résider dans un État membre avant la fin de la période de transition – Perte du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans leur État membre de résidence – Ressortissants privés de tout droit de vote au Royaume-Uni en vertu du droit de cet État – Absence d’incidence

[Art. 9 et 50, § 1 et 3, TUE ; art. 18, 1er al., 20, § 1 et 2, b), 21, 1er al., et 22 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 39 et 40 ; accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, art. 2, e), 3, § 1, 10, a) et b), 13 à 39, 126, 127, § 1, b), et 185, 4e al.]

(voir points 46-52, 55-61, 66-75, 80, 81, 83, disp. 1)

2.        États membres – Retrait de l’Union européenne – Décision d’un État membre d’engager la procédure de retrait – Caractère unilatéral – Procédure – Effets

(Art. 50, § 1, 2 et 3, TUE)

(voir points 53, 54)

3.        Questions préjudicielles – Compétence de la Cour – Actes pris par les institutions – Demande d’examen de la compatibilité avec les traités d’un accord international conclu par l’Union – Recevabilité

[Art. 19, § 3, b), TUE ; art. 267, 1er al., b), TFUE]

(voir points 84, 85)

4.        Citoyenneté de l’Union – Dispositions du traité – Nationalité d’un État membre – Retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et d’Euratom – Décision 2020/135 – Validité – Ressortissants du Royaume-Uni ayant exercé leur droit de résider dans un État membre avant la fin de la période de transition – Absence de droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans leur État membre de résidence – Violation du principe de proportionnalité – Absence – Ressortissants privés de tout droit de vote au Royaume-Uni en vertu du droit de cet État – Absence d’incidence

[Art. 9 et 50, § 1 et 3, TUE ; art. 18, 20, § 2, b), 21 et 22 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 40 ; décision du Conseil 2020/135]

(voir points 91-102, disp. 2)

Résumé

EP, une ressortissante du Royaume-Uni résidant en France depuis 1984, a été radiée des listes électorales françaises à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er février 2020, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (ci-après l’« accord de retrait ») (1).

EP a contesté cette radiation devant le tribunal judiciaire d’Auch (France) au motif qu’elle ne pouvait plus voter ni en France, en raison de la perte de son statut de citoyen de l’Union à la suite du retrait du Royaume-Uni de l’Union, ni au Royaume-Uni, du fait qu’elle ne jouissait plus du droit de vote et d’éligibilité dans cet État (2). Selon EP, cette perte viole les principes de sécurité juridique et de proportionnalité et constitue également une discrimination entre citoyens de l’Union ainsi qu’une atteinte à sa liberté de circulation.

La juridiction de renvoi considère que l’application des dispositions de l’accord de retrait à EP porte une atteinte disproportionnée au droit fondamental de vote de cette dernière. Elle s’interroge à cet égard sur la question de savoir si l’article 50 TUE (3) et l’accord de retrait doivent être interprétés comme abrogeant la citoyenneté européenne des ressortissants du Royaume-Uni qui, tout en demeurant soumis à la loi de cet État, se sont installés sur le territoire d’un autre État membre depuis plus de quinze ans et sont, de ce fait, privés de tout droit de vote. Dans l’affirmative, elle se demande dans quelle mesure les dispositions pertinentes de l’accord de retrait (4) et du TFUE (5) doivent être considérées comme permettant à ces ressortissants de conserver les droits à la citoyenneté européenne dont ils bénéficiaient avant le retrait du Royaume-Uni de l’Union. Elle s’interroge également sur la validité de l’accord de retrait et, dès lors, sur la validité de la décision 2020/135 du Conseil relative à la conclusion de cet accord (6).

Dans son arrêt, la Cour juge, d’une part, que les dispositions pertinentes du TUE (7) et du TFUE (8), lues en combinaison avec l’accord de retrait, doivent être interprétées en ce sens que, depuis le retrait du Royaume-Uni de l’Union, les ressortissants de cet État qui ont exercé leur droit de résider dans un État membre avant la fin de la période de transition prévue par cet accord ne bénéficient plus du statut de citoyen de l’Union. Plus particulièrement, ils ne jouissent plus du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans leur État membre de résidence, y compris lorsqu’ils sont également privés, en vertu du droit de l’État dont ils sont ressortissants, du droit de vote aux élections organisées par cet État. D’autre part, la Cour n’identifie aucun élément de nature à affecter la validité de la décision 2020/135.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour rappelle que la citoyenneté de l’Union requiert, conformément à l’article 9 TUE et à l’article 20, paragraphe 1, TFUE, la possession de la nationalité d’un État membre et qu’un lien indissociable et exclusif existe ainsi entre la possession de la nationalité d’un État membre et l’acquisition, ainsi que la conservation, du statut de citoyen de l’Union.

À la citoyenneté de l’Union sont attachés une série de droits (9), notamment le droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. En particulier, s’agissant des citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants, ces droits comprennent le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où ils résident, droit qui est également reconnu par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (10). Aucune de ces dispositions ne consacre, en revanche, ce droit en faveur des ressortissants d’États tiers. Par conséquent, la circonstance qu’un particulier ait, lorsque l’État dont il est ressortissant était un État membre, exercé son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire d’un autre État membre n’est pas de nature à lui permettre de conserver le statut de citoyen de l’Union et l’ensemble des droits qui y sont attachés par le TFUE si, à la suite du retrait de son État d’origine de l’Union, il ne possède plus la nationalité d’un État membre.

En deuxième lieu, la Cour rappelle que, en vertu de sa décision souveraine, prise au titre de l’article 50, paragraphe 1, TUE, de quitter l’Union, le Royaume-Uni n’est plus membre de celle-ci depuis le 1er février 2020, de sorte que ses ressortissants ont désormais la nationalité d’un État tiers et non plus celle d’un État membre. Or, la perte de la nationalité d’un État membre entraîne, pour toute personne ne possédant pas également la nationalité d’un autre État membre, la perte automatique de son statut de citoyen de l’Union. En conséquence, cette personne ne bénéficie plus du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans son État membre de résidence.

À cet égard, la Cour précise que, la perte du statut de citoyen de l’Union pour un ressortissant du Royaume-Uni étant une conséquence automatique de la décision prise souverainement par le Royaume-Uni de se retirer de l’Union, ni les autorités compétentes des États membres ni les juridictions de ceux‑ci ne sauraient être tenues de procéder à un examen individuel des conséquences de la perte du statut de citoyen de l’Union pour les personnes concernées, au regard du principe de proportionnalité.

En troisième lieu, la Cour relève que l’accord de retrait ne comporte aucune disposition qui maintient, au-delà du retrait du Royaume Uni de l’Union, en faveur des ressortissants du Royaume-Uni qui ont exercé leur droit de résider dans un État membre avant la fin de la période de transition, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans leur État membre de résidence.

Si cet accord prévoit le principe du maintien de l’applicabilité du droit de l’Union au Royaume-Uni pendant la période de transition, son article 127, paragraphe 1, sous b), exclut toutefois expressément, par dérogation à ce principe, l’application au Royaume Uni et sur son territoire des dispositions du TFUE et de la Charte (11) relatives au droit de vote et d’éligibilité des citoyens de l’Union au Parlement européen et aux élections municipales dans leur État membre de résidence pendant cette période. Certes, cette exclusion mentionne, littéralement, le Royaume-Uni et « le territoire de cet État » sans explicitement viser les ressortissants de ce dernier. Toutefois, eu égard à l’article 127, paragraphe 6, de l’accord de retrait, ladite exclusion doit être comprise comme s’appliquant également aux ressortissants du Royaume-Uni qui ont exercé leur droit de résider dans un État membre conformément au droit de l’Union avant la fin de la période de transition. Les États membres n’étaient, dès lors, plus tenus, à compter du 1er février 2020, d’assimiler les ressortissants du Royaume-Uni résidant sur leur territoire aux ressortissants d’un État membre en ce qui concerne l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux élections du Parlement européen ainsi qu’aux élections municipales.

Une interprétation contraire de l’article 127, paragraphe 1, sous b), de l’accord de retrait, consistant à limiter l’application de ce dernier au seul territoire du Royaume-Uni et donc aux seuls citoyens de l’Union qui résidaient dans cet État pendant la période de transition, créerait, du reste, une asymétrie entre les droits conférés par cet accord aux ressortissants du Royaume-Uni et aux citoyens de l’Union. Cette asymétrie serait en effet contraire à l’objet de l’accord, qui est de garantir une protection réciproque aux citoyens de l’Union et aux ressortissants du Royaume-Uni qui ont exercé leurs droits respectifs à la libre circulation avant la fin de la période de transition.

En ce qui concerne la période qui a commencé à l’issue de la période de transition, la Cour précise que le droit de vote et d’éligibilité des ressortissants du Royaume-Uni aux élections municipales dans l’État membre de résidence n’entre pas dans le champ d’application de la deuxième partie de l’accord de retrait, qui prévoit des règles destinées à protéger, après le 1er janvier 2021, de manière réciproque et égale, les citoyens de l’Union et les ressortissants du Royaume-Uni (12) qui ont exercé leurs droits à la libre circulation avant la fin de la période de transition.

Enfin, l’article 18, premier alinéa, et l’article 21, premier alinéa, TFUE (13), que l’accord de retrait rend applicables pendant la période de transition et par la suite, ne sauraient être interprétés en ce sens qu’ils imposeraient aux États membres de continuer à accorder, après le 1er février 2020, aux ressortissants du Royaume-Uni qui résident sur leur territoire le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales organisées sur ce territoire qu’ils accordent aux citoyens de l’Union.

En quatrième et dernier lieu, s’agissant de la validité de la décision 2020/135, la Cour juge que cette décision n’est pas contraire au droit de l’Union (14). En particulier, aucun élément ne permet de considérer que l’Union, en tant que partie contractante de l’accord de retrait, aurait excédé les limites de son pouvoir d’appréciation dans la conduite des relations extérieures, en n’ayant pas exigé qu’un droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre de résidence soit prévu au bénéfice des ressortissants du Royaume-Uni ayant exercé leur droit de résider dans un État membre avant la fin de la période de transition.


1      Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7).


2      En vertu d’une règle du droit du Royaume-Uni selon laquelle un ressortissant de cet État qui réside depuis plus de 15 ans à l’étranger n’est plus en droit de participer aux élections au Royaume-Uni.


3      L’article 50 TUE est relatif au droit et aux modalités de retrait d’un État membre de l’Union européenne.


4      Articles 2, 3, 10, 12 et 127 de l’accord de retrait.


5      Articles 18, 20 et 21 TFUE.


6      Décision (UE) 2020/135 du Conseil, du 30 janvier 2020, relative à la conclusion de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 1).


7      Article 9 TUE, relatif à la citoyenneté de l’Union, et article 50 TUE, relatif au droit et aux modalités de retrait d’un État membre de l’Union européenne.


8      Article 20 TFUE, relatif à la citoyenneté de l’Union, article 21 TFUE, relatif à la liberté de circulation et à la liberté d’installation des citoyens de l’Union, et article 22 TFUE, relatif aux droits de vote et d’éligibilité des citoyens de l’Union.


9      En vertu de l’article 20, paragraphe 2, et des articles 21 et 22 TFUE.


10      Article 40 de la Charte.


11      Article 20, paragraphe 2, sous b), et 22 TFUE, et articles 39 et 40 de la Charte.


12      Article 10, points a) et b), de l’accord de retrait.


13      L’article 18 TFUE est relatif à l’interdiction de toute discrimination exercée en raison de la nationalité et l’article 21 TFUE concerne la liberté de circulation et la liberté d’installation des citoyens de l’Union.


14      En l’occurrence, à l’article 9 TUE, aux articles 18, 20, 21 et 22 TFUE ainsi qu’à l’article 40 de la Charte.