Language of document : ECLI:EU:T:2015:519

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

22 juin 2015 (*)

« Recours en carence – Refus de l’OLAF d’ouvrir une enquête externe – Prise de position – Demande d’injonction – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑690/13,

In vivo OOO, établie à Abinsk (Russie), représentée par Me T. Huopalainen, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J.-P. Keppenne et J. Baquero Cruz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours tendant à ce que le Tribunal constate la carence de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) constituée par le refus d’ouvrir une enquête externe et lui enjoigne d’y mettre fin,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. D. Gratsias, président, Mme M. Kancheva et M. C. Wetter (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Par contrat du 1er janvier 2009, intitulé « Accord de développement », Åbo Akademi University, une université finlandaise (ci-après l’« université d’Åbo »), s’est engagée à recourir aux services de la requérante, In vivo OOO, société à responsabilité limitée de droit russe, afin de procéder à des tâches de développement d’une technique de production viable de polymères d’acide lactique. La rémunération de la requérante était fixée par contrat à 1 217 600 euros. Par acte du 18 février 2011, les parties au contrat en ont confirmé les termes et précisé, d’une part, que la requérante avait dûment exécuté les prestations qui lui avaient été confiées et, d’autre part, que l’université d’Åbo attendait le règlement par Nordbiochem OÜ, une société par actions estonienne, qualifiée de « contractant principal », de la dernière facture qui lui avait été adressée, pour pouvoir verser à la requérante le solde restant dû de 90 450 euros.

2        La requérante a saisi l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) le 2 juillet 2013 en faisant état du fait que Nordbiochem avait reçu des fonds publics de la part de l’organisme public estonien Enterprise Estonia. Selon la requérante, cet organisme avait lui-même reçu des fonds d’origine communautaire, à savoir 1 167 878,64 euros du Fonds européen de développement régional (FEDER) pour un projet relatif au développement des technologies de polymères d’acide lactique et 564 117 euros du même fonds pour un projet relatif à l’acide lactique. La requérante a fait part à l’OLAF de ses soupçons concernant le détournement d’une partie de ces subventions, à hauteur de 570 650 euros, et estime que cette somme lui revenait de droit en tant que prestataire final de l’université d’Åbo.

3        Le 26 septembre 2013, après examen du rapport transmis par la requérante, l’OLAF l’a informée de la clôture de la procédure, motif pris, en particulier, de son incompétence, en l’absence d’une « quelconque utilisation directe des ressources » de l’Union européenne.

4        Le 16 octobre 2013, la requérante a exprimé son désaccord avec cette analyse et a enjoint à l’OLAF d’agir au sens de l’article 265 TFUE.

5        Le 25 octobre 2013, l’OLAF a pris position en réitérant, en substance, la teneur de sa réponse du 26 septembre 2013.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 31 décembre 2013, la requérante demande que le Tribunal :

–        constate la carence de l’OLAF ;

–        lui enjoigne d’y mettre fin ;

–        condamne l’OLAF aux dépens.

7        Le 24 avril 2014, le greffe du Tribunal a interrogé les parties au litige sur le point de savoir si l’OLAF pouvait agir en qualité de partie défenderesse.

8        Le 8 mai 2014, la Commission européenne a répondu par la négative à cette question, l’OLAF ne constituant que l’un de ses services.

9        Le 30 juin 2014, la Commission a présenté, par acte séparé, une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

10      Par lettre du 2 septembre 2014, le greffe du Tribunal a informé les parties de la modification de l’intitulé du litige, celui-ci, initialement dénommé « In vivo/OLAF », devenant « In vivo/Commission » et a souhaité recueillir leur opinion à ce sujet. La requérante a marqué son accord sur cette modification le 11 septembre 2014, tandis que la Commission, renvoyant à la première fin de non-recevoir de son exception d’irrecevabilité, a exprimé, à l’inverse, par courrier du 16 septembre 2014, son désaccord avec ce changement.

11      La Commission conclut à ce que le Tribunal :

–        rejette le recours comme étant irrecevable ;

–        condamne la requérante aux dépens.

 En droit

12      L’exception d’irrecevabilité présentée par la Commission comporte trois fins de non-recevoir : la première est tirée de l’absence de partie défenderesse valable en l’espèce, la requérante ayant désigné l’OLAF et non la Commission ; la deuxième est fondée sur l’absence de carence, tandis que la troisième repose sur le fait que l’acte que la requérante a demandé à l’OLAF d’adopter, à savoir l’ouverture d’une enquête externe, n’est pas un acte produisant des effets juridiques, susceptible comme tel de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE.

13      Il convient d’examiner chacune de ces fins de non-recevoir.

 Sur la première fin de non-recevoir soulevée par la Commission

14      Il importe de rappeler que l’OLAF, institué par la décision 1999/352/CE, CECA, Euratom de la Commission, du 28 avril 1999 (JO L 136, p. 20), est un service interne de la Commission, dont l’indépendance est purement fonctionnelle et confinée à ses activités d’enquête. À ce titre, et en l’absence de toute disposition contraire, l’OLAF ne jouit pas de la personnalité juridique et sa représentation en justice est assurée par la Commission. Dès lors, un recours visant à établir la carence de l’OLAF, pour ne pas avoir exercé les fonctions d’enquêtes externes définies par l’article 3 du règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l’[OLAF] (JO L 136, p. 1), tel que modifié et applicable au présent litige, doit être considéré comme étant dirigé contre la seule Commission (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 6 avril 2006, Camós Grau/Commission, T‑309/03, Rec, EU:T:2006:110, point 66).

15      Aux termes de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure, la partie requérante doit désigner la partie contre laquelle la requête est formée. Cependant, le juge de l’Union peut, le cas échéant, clarifier à cet égard la formulation de la requête (voir, en ce sens, arrêts du 2 mars 1977, Milch-, Fett- und Eier-Kontor/Conseil et Commission, 44/76, Rec, EU:C:1977:37, point 1 ; du 3 mars 1988, Commission/BEI, 85/86, Rec, EU:C:1988:110, points 10 et 11, et ordonnance du 16 octobre 2006, Aisne et Nature/Commission, T‑173/06, EU:T:2006:320, point 17). Or, s’il est exact que la requête vise à ce que le Tribunal constate la carence de l’OLAF, il convient d’interpréter ladite requête comme étant dirigée, en réalité, contre l’institution dont dépend ce service, c’est-à-dire la Commission.

16      Il y a donc lieu d’écarter la première fin de non-recevoir soulevée par la Commission et, au vu des considérations rappelées au point 14 ci-dessus, de regarder la Commission comme seule partie défenderesse.

 Sur la deuxième fin de non-recevoir soulevée par la Commission

17      Il ressort de la jurisprudence que l’article 265 TFUE vise l’omission de statuer ou de prendre position et non l’adoption d’un acte différent de celui que l’intéressé aurait souhaité ou estimé nécessaire (arrêts du 13 juillet 1971, Deutscher Komponistenverband/Commission, 8/71, Rec, EU:C:1971:82, point 2 ; du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C‑15/91 et C‑108/91, Rec, EU:C:1992:454, point 17, et ordonnance du 17 décembre 2010, Verein Deutsche Sprache/Conseil, T‑245/10, EU:T:2010:555, point 15). Ainsi, il y a lieu de considérer que l’institution n’est pas en situation de carence non seulement lorsqu’elle adopte un acte donnant satisfaction à la partie requérante, mais également lorsqu’elle refuse d’adopter cet acte et répond à la demande qui lui est faite en indiquant les raisons pour lesquelles elle estime qu’il ne convient pas d’adopter ledit acte ou qu’elle n’a pas compétence pour le faire (ordonnance Verein Deutsche Sprache/Conseil, précitée, EU:T:2010:555, point 15 ; voir, également, en ce sens, ordonnance du 11 mars 2002, Schlüsselverlag J. S. Moser e.a./Commission, T‑3/02, Rec, EU:T:2002:64, points 19 à 24).

18      En l’espèce, il ressort du dossier que l’OLAF a, par lettre du 25 octobre 2013, répondu à la requérante qu’il n’était « pas compétent pour agir dans cette matière ».

19      Dès lors, force est de constater que l’OLAF, en tant que service de la Commission, a pris position sur l’invitation à agir de la requérante du 16 octobre 2013, présentée en application de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE et visant, en substance, à ce qu’il reconsidère sa position exprimée par lettre du 26 septembre 2013 et ouvre l’enquête externe souhaitée par la requérante. Le fait que, par cette réponse, l’OLAF a estimé ne pas être compétent pour effectuer ladite enquête et, par conséquent, n’a pas donné à la requérante la réponse que celle-ci souhaitait n’empêche pas qu’il a, d’une part, examiné la question soulevée par la requérante et, d’autre part, pris position sur cette question. La deuxième fin de non-recevoir soulevée par la Commission est donc fondée et le recours en carence est donc, pour ce motif, irrecevable.

 Sur la troisième fin de non-recevoir soulevée par la Commission

20      S’il est vrai que l’article 265, troisième alinéa, TFUE ouvre aux personnes physiques et morales la possibilité de former un recours en carence lorsqu’une institution, un organe ou un organisme de l’Union a manqué de lui adresser un acte autre qu’une recommandation ou un avis, il n’en demeure pas moins que les articles 263 TFUE et 265 TFUE ne forment que l’expression d’une seule et même voie de droit (voir, en ce sens, arrêts du 18 novembre 1970, Chevalley/Commission, 15/70, Rec, EU:C:1970:95, point 6, et du 26 novembre 1996, T. Port, C‑68/95, Rec, EU:C:1996:452, point 59).

21      Il en résulte que, de même que l’article 263, quatrième alinéa, TFUE permet aux particuliers de former un recours en annulation contre un acte d’une institution dont ils ne sont pas les destinataires dès lors que cet acte les concerne directement et individuellement, de même l’article 265, troisième alinéa, TFUE doit être interprété comme leur ouvrant également la faculté de former un recours en carence contre une institution qui aurait manqué d’adopter un acte qui les aurait concernés de la même manière (voir, en ce sens, arrêts T. Port, point 20 supra, EU:C:1996:452, point 59, et du 15 septembre 1998, Gestevision Telecinco/Commission, T‑95/96, Rec, EU:T:1998:206, point 58).

22      Il convient, en outre, de préciser que l’article 263, cinquième alinéa, TFUE dispose que les actes créant les organes et organismes de l’Union peuvent prévoir des conditions et modalités particulières concernant les recours formés par des personnes physiques ou morales contre des actes de ces organes ou organismes destinés à produire des effets juridiques à leur égard.

23      Cette dernière disposition ne trouvant pas à s’appliquer s’agissant des actes faisant grief ayant trait aux enquêtes externes de l’OLAF, dont le contrôle de légalité n’est pas mentionné par le règlement n° 1073/1999, qui ne traite que de celui des enquêtes internes, à son article 14, ni par la décision 1999/352, il convient, en application des considérations rappelées au point 14 ci-dessus, d’examiner dans quelle mesure la requérante peut être considérée comme directement et individuellement concernée par l’acte à propos duquel une carence de la Commission est alléguée.

24      Cela présuppose que l’acte en cause soit susceptible de faire grief et constitue donc un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE. Or, comme le fait valoir à bon droit la Commission, l’ouverture par l’OLAF d’une enquête ne constitue pas, en tant que telle, un acte faisant grief au sens de cette disposition. En effet, même le rapport qu’établit l’OLAF au terme de ses enquêtes externes et internes ne modifie pas de façon caractérisée la situation juridique des personnes qui y sont nommées (arrêt Camós Grau/Commission, point 14 supra, EU:T:2006:110, points 48 et 49), pas plus que la transmission d’informations aux autorités judiciaires (arrêt du 20 mai 2010, Commission/Violetti e.a., T‑261/09 P, RecFP, EU:T:2010:215, points 47 et 48).

25      L’acte que la requérante a demandé à la Commission d’adopter ne constitue donc pas un acte attaquable, ce qui fait également obstacle à la recevabilité du recours en carence.

26      En outre, à supposer même qu’il s’agisse là d’un acte attaquable, ce qui n’est pas le cas, ainsi qu’il vient d’être jugé, la requérante ne serait pas directement concernée par ledit acte.

27      En effet, selon les termes mêmes de la requête, rappelés au point 2 ci-dessus, le FEDER aurait procédé au versement des fonds litigieux à un organisme public estonien, Enterprise Estonia. La requérante soutient que c’est l’utilisation par cet organisme desdits fonds qui a permis à Nordbiochem de passer contrat avec l’université d’Åbo. Toutefois, cette assertion n’est pas établie, notamment en raison du fait qu’Enterprise Estonia pouvait vraisemblablement compter, dans son budget, sur d’autres sources de financement, en particulier nationales, pour pouvoir octroyer des subventions, dont celle versée à Nordbiochem. Par ailleurs, les pièces contractuelles produites, à savoir le contrat du 1er janvier 2009 et l’acte du 18 février 2011, ne mentionnent pas l’origine communautaire, même indirecte, des flux financiers dont a bénéficié Nordbiochem, simplement identifiée comme le « contractant principal ». Si l’université d’Åbo précise, par ledit acte, vouloir attendre le paiement, par cette société, de sa dernière facture avant de régler le solde restant dû à la requérante, rien n’était de nature à faire obstacle, sur les plans juridique et comptable, à ce que l’université d’Åbo payât la requérante indépendamment de ce versement. Ce ne sont donc pas moins de trois échelons qui s’interposent entre l’action alléguée du FEDER et les sommes versées par contrat à la requérante.

28      Bien plus, à supposer que l’enquête souhaitée par la requérante ait permis d’établir qu’une partie des fonds versés par le FEDER ait été détournée, la raison pour laquelle la requérante estime que la totalité de cet argent lui revenait de droit est difficilement perceptible. En effet, dès lors que sa rémunération avait été définie par contrat, celle-ci n’aurait pu être majorée par l’université d’Åbo, et cela indépendamment du point de savoir si l’intégralité des sommes en cause avait bien été affectée aux buts initialement prévus.

29      Il résulte de ce qui précède que, l’acte que la requérante a demandé à l’OLAF d’adopter, à savoir l’ouverture d’une enquête externe, n’étant pas un acte attaquable et, en toute hypothèse, la requérante n’étant pas directement concernée par ledit acte, la troisième fin de non-recevoir soulevée par la Commission doit également être déclarée fondée.

30      Le recours en carence est donc également irrecevable pour ces motifs.

31      Il échet de préciser que les conclusions présentées à titre subsidiaire par la requérante, tendant à ce que le Tribunal enjoigne à l’OLAF de mettre fin à sa carence alléguée, sont elles-mêmes irrecevables du fait de l’irrecevabilité des conclusions présentées à titre principal. Elles le sont aussi intrinsèquement, puisque, conformément à la jurisprudence, il n’appartient pas, en principe, au juge de l’Union d’adresser des injonctions aux institutions. Il en est ainsi tout particulièrement dans le cadre du contrôle de légalité, lequel implique qu’il incombe à l’administration concernée de prendre les mesures que comporte l’exécution d’un arrêt rendu, aussi bien dans le cadre d’un recours en annulation que dans celui d’un recours en carence (arrêt du 24 janvier 1995, Ladbroke Racing/Commission, T‑74/92, Rec, EU:T:1995:10, point 75, et ordonnance Verein Deutsche Sprache/Conseil, point 17 supra, EU:T:2010:555, point 18).

32      Dans ces circonstances, il convient de juger que le recours est irrecevable tant en ce qui concerne le chef de conclusions présenté à titre principal qu’en ce qui concerne le chef de conclusions présenté à titre subsidiaire.

 Sur les dépens

33      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

34      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      In vivo OOO est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 22 juin 2015.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      D. Gratsias


* Langue de procédure : l’anglais.