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Affaire T529/22

QT

contre

Banque européenne d’investissement

 Arrêt du Tribunal (cinquième chambre élargie) du 11 octobre 2023

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Rémunération – Allocation pour enfant à charge – Allocations scolaires – Répétition de l’indu – Incompétence de l’auteur de l’acte – Violation du délai de prescription »

1.      Recours des fonctionnaires – Agents de la Banque européenne d’investissement – Recours dirigé contre la décision de rejet d’un recours administratif – Effet – Saisine du juge de l’acte contesté – Exception – Décision n’ayant pas de caractère confirmatif – Prise en considération de la motivation y figurant

(Règlement du personnel de la Banque européenne d’investissement, art. 41)

(voir points 13-17)

2.      Institutions de l’Union européenne – Exercice des compétences – Délégations – Conditions – Banque européenne d’investissement – Rémunération – Allocations pour enfant à charge – Allocations scolaires – Décision de recouvrement des allocations indûment versées – Décision n’émanant pas de l’autorité habilitée ou d’une autorité ayant reçu délégation de pouvoir – Incompétence de l’auteur de la décision de recouvrement – Violation des règles d’une bonne administration en matière de gestion du personnel – Annulation de la décision


 

(voir points 21, 22, 24, 28-32)

3.      Fonctionnaires – Agents de la Banque européenne d’investissement – Rémunération – Allocations pour enfant à charge – Allocations scolaires – Décision de recouvrement des allocations indûment versées – Délai de prescription – Interruption ou suspension en cas d’ouverture d’une enquête de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) portant sur la régularité de tels versements – Absence


 

(voir points 42-48, 51, 53, 54)

Résumé

La requérante, QT, agent de la Banque européenne d’investissement (BEI), a perçu des allocations pour enfant à charge ainsi que des allocations scolaires de juillet 2014 à juin 2017.

À la suite d’une information reçue concernant de potentielles irrégularités dans l’octroi d’allocations scolaires et de droits dérivés au sein de la BEI, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a ouvert une enquête concernant notamment la requérante. À l’issue de cette enquête, la BEI a adopté la décision du 28 septembre 2021, portant recouvrement d’un montant de 61 186,61 euros indûment versé à la requérante au titre d’allocations scolaires, d’allocations pour enfant à charge et d’avantages connexes pendant la période de juillet 2014 à juin 2017 (ci-après la « décision de recouvrement »).

Saisi par la requérante, le Tribunal, statuant en chambre élargie, annule cette décision et se prononce, à cette occasion, notamment, sur la question de savoir si l’ouverture d’une enquête par l’OLAF est susceptible d’interrompre ou de suspendre le délai de prescription prévu pour le recouvrement d’allocations indûment versées.

Appréciation du Tribunal

Au soutien de son recours en annulation, la requérante contestait notamment la compétence de l’auteure de la décision de recouvrement, en faisant valoir l’absence de subdélégation de pouvoirs régulière donnée à la cheffe de l’unité « Droits individuels et paiement » par l’autorité compétente au sein de la BEI pour adopter des décisions de recouvrement de sommes indues, à savoir la directrice générale du personnel.

À cet égard, le Tribunal rappelle qu’une délégation de pouvoirs ne se présume pas et que l’autorité délégante, même habilitée à déléguer ses pouvoirs, doit prendre une décision explicite les transférant, la délégation ne pouvant porter que sur des pouvoirs d’exécution, exactement définis. Or, les éléments du dossier ne permettent pas d’étayer l’existence d’une telle subdélégation. La mention, dans la décision de recouvrement, d’un accord de la directrice générale du personnel avec cette décision ne peut pas non plus être considérée comme équivalente à une décision explicite de transférer à la cheffe d’unité le pouvoir d’exécuter la procédure de recouvrement. Il s’ensuit que la décision de recouvrement a été adoptée par une autorité incompétente.

Dans le cadre de son recours en annulation, la requérante invoquait également la violation du délai de prescription prévu à l’article 16.3 des dispositions administratives applicables au personnel de la BEI.

Selon le Tribunal, il ressort du libellé clair de cette disposition que la BEI doit procéder au recouvrement de sommes indûment versées à un de ses agents dans un délai de cinq ans à compter de leur versement, sauf à établir l’intention de l’agent en question de l’induire en erreur pour obtenir ce versement. La fixation d’un tel délai de prescription, en empêchant que soient remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’écoulement du temps, tend à conforter la sécurité juridique mais peut également permettre la consolidation de situations qui étaient, à l’origine au moins, contraires à la loi. La mesure dans laquelle il y est fait recours résulte par conséquent d’un arbitrage entre les exigences de la sécurité juridique et celles de la légalité en fonction des circonstances historiques et sociales qui prévalent dans la société à une époque donnée. Elle relève pour cette raison du choix du seul législateur, et, une fois un délai de prescription arrêté par celui-ci, le juge ne saurait y substituer un autre délai dans une affaire déterminée.

En ce qui concerne l’argument de la BEI selon lequel le délai de prescription aurait été interrompu pendant la durée de l’enquête de l’OLAF, le Tribunal relève que l’article 16.3 des dispositions administratives susmentionnées ne contient aucune référence relative à l’interruption ou à la suspension dudit délai en cas d’ouverture d’une enquête de l’OLAF. Par ailleurs, si les institutions, organes et organismes de l’Union doivent s’abstenir d’ouvrir une enquête parallèle tant que l’OLAF conduit une enquête interne sur les mêmes faits (1), l’adoption d’une décision de recouvrement de sommes indûment versées ne saurait s’apparenter à une enquête.

Dans ces circonstances, rien n’empêchait la BEI de procéder au recouvrement des sommes qu’elle estimait avoir indûment versées à la requérante avant la fin de l’enquête de l’OLAF la concernant, les principes de coopération loyale et de bonne administration qu’elle invoque n’étant pas susceptibles de justifier le recouvrement des allocations litigieuses au-delà du délai quinquennal de prescription, sauf à méconnaître le principe de la sécurité juridique.

Au regard de ce qui précède, le Tribunal annule la décision de recouvrement.


1      En vertu de l’article 5, paragraphe 3, du règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF et abrogeant le règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) no 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1).