CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
Mme VERICA TRSTENJAK
présentées le 24 janvier 2008 (1)
Affaire C‑350/06
Gerhard Schultz-Hoff
contre
Deutsche Rentenversicherung Bund
[demande de décision préjudicielle formée par le Landesarbeitsgericht Düsseldorf (Allemagne)]
«Directive 2003/88/CE – Aménagement du temps de travail – Article 7 – Droit au congé annuel payé minimal– Droit à l’indemnité compensatrice du congé non pris – Droits sociaux fondamentaux en droit communautaire – Perte du droit au congé à l’expiration du délai prescrit par la loi»
Table des matières
I – Introduction
II – Cadre juridique
A – Droit communautaire
B – La réglementation nationale
1. La loi
2. Les conventions collectives en vigueur
III – Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles
IV – La procédure devant la Cour
V – Principaux arguments des parties
VI – Analyse juridique
A – Sur la première question
1. Remarques préliminaires
2. Le droit au congé annuel payé en tant que droit social fondamental
3. Le droit au congé annuel payé minimal en droit communautaire
a) Le pouvoir de transposition des États membres
b) Le niveau de protection garanti en droit communautaire
c) Rattachement du droit au congé avec la capacité de travail
i) Application par analogie des principes développés par la jurisprudence
ii) Incompatibilité avec la finalité de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88
– Risque d’une interprétation contraire à l’objectif poursuivi
– Interprétation à la lumière des intérêts des parties au contrat de travail
iii) Comparaison avec les règles prévues dans la convention n° 132 de l’OIT
B – Sur la deuxième question
C – Sur la troisième question
VII – Conclusion
I – Introduction
1. Par sa demande de décision à titre préjudiciel, le Landesarbeitsgericht Düsseldorf (Allemagne) demande à la Cour en vertu de l’article 234 CE d’interpréter l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (2).
2. Les questions préjudicielles ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant Gerhard Schultz-Hoff (le requérant) à son ancien employeur, le Deutscher Versicherungsbund (partie défenderesse au principal), dans lequel la juridiction de renvoi est tenue de décider si le requérant peut se prévaloir d’une indemnité compensatrice de congé auprès de la partie défenderesse après la cessation de la relation de travail.
3. La juridiction de renvoi aimerait savoir en substance s’il n’est pas contraire à l’article 7 de la directive 2003/88 que le droit d’un travailleur d’obtenir un congé payé minimal de quatre semaines s’éteigne à la fin de l’année de référence, mais au plus tard à la fin de la période de report, et que, en cas de cessation de la relation de travail, le congé ne puisse être remplacé par une indemnité financière lorsque le travailleur est ultérieurement en incapacité de travail pour maladie avant la fin de la période de report.
II – Cadre juridique
A – Droit communautaire
4. La directive 2003/88 est entrée en vigueur le 2 août 2004 en remplacement de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (3). Comme la directive 93/104, elle a pour objet de fixer certaines règles minimales de sécurité et de protection de la santé en cas d’aménagement du temps de travail. L’article 7 de la directive 2003/88, tel que repris de manière inchangée de la directive antérieure, est libellé comme suit:
«Congé annuel
1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité, sauf en cas de fin de relation de travail.»
5. L’article 17 de la directive 2003/88 prévoit que les États membres peuvent déroger à certaines dispositions de ladite directive. Aucune dérogation n’est admise à l’égard de l’article 7.
B – La réglementation nationale
1. La loi
6. La loi fédérale sur les congés («Bundesurlaubsgesetz», ci-après le «BUrlG»), du 8 janvier 1963, dans sa version du 7 mai 2002, dispose notamment ce qui suit:
«Article premier – Droit au congé
Chaque travailleur a droit aux congés payés pour chaque année civile.
[…]
Article 3 – Durée du congé
(1) Le congé est d’au moins 24 jours ouvrables par an.
[…]
Article 7 – Fixation, report et indemnisation du congé
(1) Lors de la détermination du congé, il y a lieu de tenir compte des souhaits du travailleur en la matière, à moins que cette prise en compte ne s’oppose aux intérêts vitaux de l’entreprise ou aux souhaits d’autres travailleurs qui en raison de facteurs sociaux méritent la priorité.
[…]
(3) Le congé doit être octroyé et pris dans l’année civile en cours. Un report du congé à l’année civile suivante est uniquement permis si des raisons urgentes tenant à l’entreprise ou à la personne du travailleur le justifient. En cas de report, le congé peut être octroyé et pris dans les trois premiers mois de l’année civile suivante.
(4) Si en raison de la cessation de la relation de travail, le congé ne peut plus être octroyé en tout ou en partie, alors il y a lieu de l’indemniser.»
7. L’article 13 du BUrlG prévoit que les conventions collectives peuvent déroger à certaines dispositions, dont l’article 7, paragraphe 3, du BUrlG, à condition que ces dérogations ne soient pas défavorables aux employés.
2. Les conventions collectives en vigueur
8. La convention collective générale pour les employés de l’agence fédérale des assurances pour les employés (Manteltarifvertrag für die Angestellten der Bundesversicherungsanstelt für Angestellte, ci-après la «convention collective») prévoit:
«Article 47 – Congés annuels
(1) Les employés reçoivent pour chaque année de référence des congés payés. L’année de référence est l’année civile.
[…]
(7) Il y a lieu de prendre ses congés avant la fin de l’année de référence. S’il n’est pas possible de prendre ses congés avant la fin de l’année de référence, alors il y a lieu de les prendre avant le 30 avril de l’année de référence suivante. Si les congés ne peuvent être pris avant le 30 avril pour des raisons professionnelles, d’incapacité de travail ou en raison de la période de protection suivant le congé de maternité, il y a lieu de les prendre avant le 30 juin. Si des congés fixés dans le cadre de l’année de référence pour cette année de référence ont été déplacés à l’initiative de la Bundesversicherungsanstalt für Angestellte à une période postérieure au 31 décembre de l’année de référence et qu’ils ne pouvaient être pris en raison de l’incapacité de travail avant le 30 juin selon le paragraphe 2, il y a lieu de les prendre avant le 30 septembre.
[.... ]
Les congés qui ne sont pas pris dans le cadre des délais précités, sont perdus.
[.... ]
Article 51 – Indemnité compensatrice pour congé non pris
(1) Si, au moment de la cessation de la relation de travail, le droit au congé n’est pas encore exécuté, le congé doit, dans la mesure où cela est possible dans l’intérêt du service ou de l’entreprise, être octroyé et pris au cours du délai de préavis. Dans la mesure où le congé ne peut pas être accordé ou que le délai de préavis ne suffit pas, il y a lieu d’indemniser le congé. Il en va de même lorsque la relation de travail prend fin par une convention de dissolution (article 58) ou en raison d’une diminution de la capacité de travail (article 59) ou lorsque la relation de travail est suspendue en vertu de l’article 59, paragraphe 1, premier alinéa, cinquième phrase.
[...]»
III – Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles
9. À la suite de la cessation de la relation de travail au 30 septembre 2005, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la défenderesse est débitrice des indemnités de congé pour les années 2004 et 2005.
10. Le requérant était employé depuis le 1er avril 1971 auprès de la défenderesse ou du prédécesseur de celle-ci. La convention collective s’appliquait à la relation de travail entre les parties. Le requérant relevait à ce moment là de la catégorie d’indemnisation du groupe II. Depuis 1985, il exerçait ses activités comme collaborateur extérieur dans la filiale de Düsseldorf. Son travail consistait en la réalisation de contrôles d’entreprises et de contrôles des caisses de recouvrement. Il bénéficiait à cet égard d’un véhicule.
11. Le requérant, reconnu comme gravement handicapé (au grade 60 «G» (4)) a dû subir, en raison de graves problèmes aux disques intervertébraux, 16 opérations au total depuis 1995. Depuis lors, des périodes d’incapacité pour maladie succédaient aux périodes d’aptitude au travail. En 2004, le requérant était physiquement apte au travail jusqu’au début du mois de septembre. À partir du 8 septembre 2004, il a été déclaré malade par certificat médical sans interruption jusqu’au 30 septembre 2005. Depuis lors, l’absorption continue d’antidouleurs à base de morphine empêche le requérant de conduire son véhicule.
12. Par courrier du 13 mai 2005, le requérant a demandé à ce qu’on lui octroie à partir du 1er juin 2005 le congé 2004. La défenderesse a refusé cette demande le 25 mai 2005 en la motivant par le fait que le service médical de l’entreprise devait d’abord constater l’aptitude au travail au titre de l’article 7, paragraphe 2, de la convention collective. Par courrier du 10 août 2005, le requérant a demandé la possibilité d’effectuer son travail à domicile au moyen d’une mesure de réintégration (modèle de Hambourg). Dans sa réponse du 6 septembre 2005, la défenderesse l’a informé qu’elle voulait tout d’abord attendre l’issue de la procédure relative à la mise à la retraite après que le requérant a récemment introduit sa demande en ce sens.
13. En septembre 2005, la défenderesse, en tant qu’administration de l’assurance retraite, a constaté par une décision que le requérant était empêché dans son travail et a accordé avec effet rétroactif au 1er mars 2005 une rente à durée indéterminée en raison de sa totale incapacité de travail. C’est sur la base de ce constat que la relation de travail entre les parties a pris fin au 30 septembre 2005 en vertu de l’article 59 de la convention collective.
14. En novembre 2005, le requérant a introduit un recours auprès de l’Arbeitsgericht Düsseldorf pour obtenir le paiement des congés de 2004 et 2005. Par décision du 7 mars 2006, l’Arbeitsgericht a rejeté le recours. Par son recours en appel du 27 avril 2006 auprès du Landesarbeitsgericht Düsseldorf, le requérant conteste cette décision.
15. Le requérant évalue sa créance à un total de 14 094, 78 euros brut sur la base de 35 jours de congé par an et d’un revenu mensuel brut de 4362,67 euros. Il soutient que le congé demandé pour le 1er juin 2005 devait lui permettre de se reposer avant une mesure de réintégration ultérieure. Par ailleurs, il fait valoir qu’il est en état d’exercer un travail de bureau léger à temps partiel.
16. De son côté, la défenderesse soutient que les activités de bureau à temps partiel souhaitées par le requérant ne constituent pas une exécution des obligations découlant du contrat de travail. Par conséquent, l’incapacité du requérant se poursuivrait à ce jour et les droits au congé ne seraient pas applicables et seraient perdus jusqu’à la fin de la période de report. Dès lors, aucune indemnité compensatoire pour congé non pris ne lui serait pas non plus due.
17. Le Landesarbeitsgericht Düsseldorf considère que la solution de ce litige dépend de l’interprétation de la directive 2003/88. Il a dès lors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE doit-il être interprété en ce sens que les travailleurs doivent en tout cas bénéficier d’un congé annuel payé minimal de quatre semaines, et que les congés non pris au cours de l’année de référence en raison de la maladie doivent être octroyés ultérieurement, ou des législations et/ou des pratiques nationales peuvent‑elles prévoir que le droit au congé annuel payé s’éteint lorsque les travailleurs sont en incapacité pour maladie au cours de l’année de référence avant l’octroi du congé et qu’ils ne récupèrent pas leur capacité avant la fin de l’année de référence et/ou la période de report fixée par la loi, par une convention collective ou par un contrat individuel?
2) L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE doit-il être interprété en ce sens que les travailleurs, en cas de cessation de la relation de travail ont en tout cas droit à une indemnité financière de remplacement pour les congés dus mais non pris (indemnité compensatrice pour congé non pris), ou des législations et/ou pratiques nationales peuvent-elles prévoir que les travailleurs n’ont pas droit à l’indemnité compensatrice pour congé non pris s’ils sont en incapacité de travail pour maladie avant la fin de l’année de référence et/ou de la période de report ultérieure et/ou qu’ils bénéficient d’une rente après la cessation de la relation en raison de la diminution de leur capacité de travail ou de leur invalidité?
3) En cas de réponses positives aux première et deuxième questions:
L’article 7 de la directive 2003/88/CE doit-il être interprété en ce sens que le droit au congé ou à une indemnité de remplacement requiert que le travailleur ait travaillé effectivement au cours de la période de référence, ou ce droit naît-il également en cas d’absence excusée (pour maladie) ou en cas d’absence inexcusée au cours de la totalité de l’année de référence?»
IV – La procédure devant la Cour
18. La décision de renvoi datée du 2 août 2006 est parvenue au greffe de la Cour le 21 août 2006.
19. Des observations écrites ont été déposées dans le délai prévu à l’article 23 du statut de la Cour par le requérant au principal, les gouvernements allemand, du Royaume-Uni et italien ainsi que par la Commission des Communautés européennes.
20. À l’audience du 20 novembre 2007, les représentants des gouvernements allemand, du Royaume-Uni, néerlandais ainsi que de la Commission ont présenté des observations orales.
V – Principaux arguments des parties
21. La défenderesse avance qu’un report illimité des droits au congé des travailleurs aptes au travail serait tout à fait contraire à la finalité (promouvoir la santé et la sécurité des travailleurs en leur garantissant des périodes minimales de repos) de la directive 2003/88. S’agissant des travailleurs en incapacité, un report illimité pourrait même inciter les employeurs à congédier plus tôt des travailleurs en long arrêt de maladie afin d’éviter le risque d’être tenus d’indemniser des droits au congé élevés accumulés sur plusieurs années en cas de cessation de la relation de travail, ce qui pourrait affecter gravement les intérêts de l’entreprise.
22. Selon le gouvernement allemand, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 prévoit uniquement qu’un travailleur a droit à un congé annuel payé minimal de quatre semaines. Ladite directive n’aurait pour objet que de fixer la durée minimale du congé annuel. Elle laisserait à la compétence réglementaire des États membres et à l’interprétation du droit national par la jurisprudence les modalités de l’octroi du congé dont relève la perte du droit au congé.
23. S’agissant de la deuxième question, le gouvernement allemand est d’avis qu’il appartient aux États membres et à leurs institutions de décider si et dans quelles conditions il y a lieu de prévoir une indemnité financière en cas de cessation de la relation de travail.
24. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, le requérant ne travaillait pas tant qu’il était en congé de maladie et n’avait donc pas besoin d’un «repos effectif» pour se remettre du travail. La finalité de l’article 7 serait de promouvoir la santé et la sécurité de ceux qui travaillent effectivement en leur garantissant des périodes minimales de repos. Toutefois, dans le présent cas, l’octroi d’un congé n’aurait pas donné ce bénéfice en termes de santé et de sécurité du travailleur. Le congé n’aurait pas pu être pris avant la cessation de la relation de travail. Si le requérant avait droit au congé annuel dans le présent cas d’espèce, la question se poserait de savoir: un congé par rapport à quoi? Par conséquent, il est incompréhensible de faire référence au fait que le requérant prenne son «congé annuel» durant sa période de «congé de maladie».
25. Par ailleurs, le gouvernement du Royaume-Uni soutient que la réponse à la deuxième question découle de la réponse à la première question. Ainsi, un travailleur qui n’a pas droit au congé annuel payé en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne pourrait pas davantage prétendre au paiement d’une indemnité de remplacement au titre de l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive. De plus, s’il est vrai que, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, cette indemnité est légale à la cessation de la relation de travail, elle ne serait en tout cas pas obligatoire. Dès lors, un tel paiement ne pourrait être impératif dans 1’hypothèse où une personne a été absente du travail étant en long congé de maladie.
26. Le gouvernement italien fait référence aux conventions n° 52 et 132 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88. Compte tenu des principes développés par la Cour, il n’est pas possible, selon le gouvernement italien, de conclure à la perte du droit au congé du requérant sans remettre en cause les finalités distinctes des congés de repos et des congés de maladie.
27. Compte tenu de ce qui précède, le gouvernement italien considère que les travailleurs, en cas de cessation de la relation de travail, ont en tout cas droit à une indemnité financière de remplacement pour les congés dus mais non pris. Par conséquent, toute disposition nationale ne donnant pas droit à une indemnité compensatrice du congé non pris lors d’une incapacité pour maladie durant l’année de référence et la période de report apparaîtrait comme non conforme aux principes communautaires.
28. La Commission est d’avis que l’argument selon lequel le travailleur qui a été absent pour cause de maladie n’aurait pas travaillé et n’aurait donc pas besoin de repos ne serait pas conforme aux principes exprimés par la jurisprudence de la Cour. Dans le cas où un travailleur est déclaré malade par certificat médical, le droit au congé annuel ne pourrait pas davantage être considéré comme rempli, car l’arrêt de travail serait la conséquence de l’incapacité du travailleur à travailler et aurait pour but non pas de lui permettre de se reposer, de prendre de la distance et de reprendre des forces, mais de guérir et de recouvrer sa santé et sa capacité de travail. Selon la Commission, les autorités nationales doivent respecter les limites qui leur sont imposées par la directive 2003/88. Par conséquent, les États membres ne pourraient aller jusqu’à obliger le travailleur à prendre ses congés annuels au cours d’une période de report limitée dans l’année qui suit, et de sanctionner le non-respect de ces conditions par l’extinction automatique du droit au congé.
29. S’agissant de la deuxième question, la Commission soutient que l’argumentation sur laquelle repose la jurisprudence de la Cour, à savoir que la possibilité de remplacer le droit au congé annuel par une indemnité financière est par principe incompatible avec la directive 2003/88, s’applique a fortiori aussi à une réglementation nationale qui établit que, si le congé annuel n’est pas pris, il est automatiquement perdu.
30. Dans ses observations orales, le gouvernement néerlandais met en cause l’applicabilité de la directive 2003/88 aux cas d’absence pour maladie des travailleurs en se fondant sur le fait que ceux-ci ne faisaient pas l’objet de cette norme. Le domaine d’application de cette directive se limiterait exclusivement aux travailleurs actifs, avec la conséquence que dans le cas d’espèce, seul le droit interne s’appliquerait. Toutefois, la variété des réglementations nationales ne permettrait pas de tirer des conclusions générales en ce qui concerne les droits des travailleurs malades.
VI – Analyse juridique
A – Sur la première question
1. Remarques préliminaires
31. Par sa première question, le Landesarbeitsgericht Düsseldorf soulève un problème relatif à l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, et en particulier des termes «conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales». Du point de vue juridique, ce problème d’interprétation porte sur la question de savoir si et dans quelle mesure les États membres ont le pouvoir de définir les conditions légales de perte du droit au congé annuel payé minimal.
32. S’agissant de la question de la répartition des compétences législatives entre la Communauté et les États membres dans le cadre du droit au congé annuel payé, il convient tout d’abord de préciser que par l’adoption de la directive 2003/88, le législateur communautaire a utilisé un instrument juridique qui, en vertu de l’article 249, paragraphe 3, CE, donne aux autorités nationales un certain pouvoir d’appréciation quant aux formes et aux moyens de la transposition, tout en leur imposant toutefois également des critères dans la mesure où la directive est contraignante quant à l’objectif à atteindre (5). Dès lors, les ordres juridiques nationaux se voient reconnaître en matière de transposition du droit au congé annuel payé de larges pouvoirs d’appréciation même s’ils ne sont pas illimités (6). Par conséquent, les États membres doivent toujours tenir compte des objectifs de la directive 2003/88 dans le cadre du pouvoir de transposition qui leur est reconnu en vertu de l’article 7 de celle-ci.
2. Le droit au congé annuel payé en tant que droit social fondamental
33. Je suis d’avis que, pour répondre de façon appropriée au juge national, il convient de partir de plus loin et d’examiner le droit au congé annuel payé à la fois en tant qu’expression du droit secondaire dans le cadre de l’ordre juridique communautaire et à la lumière du contexte plus général des droits sociaux fondamentaux.
34. S’agissant de l’objectif de la directive 2003/88, il résulte tant de l’article 137 CE, qui constitue la base juridique de ladite directive, que des premier, quatrième, septième et huitième considérants de celle-ci, ainsi que du libellé même de son article 1er, paragraphe 1, qu’elle a pour objectif de fixer les prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des dispositions nationales concernant notamment la durée du temps de travail (7). Cette harmonisation au niveau communautaire en matière d’aménagement du temps de travail vise à garantir une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, en faisant bénéficier ceux-ci de périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire ainsi que de périodes de pause adéquates et en prévoyant un plafond pour la durée de la semaine de travail (8).
35. Lors de l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88, il convient de tenir compte du fait que le droit au congé annuel payé minimal n’a pas été créé en premier lieu par la directive relative au temps de travail, mais que, en fait, il fait partie depuis longtemps des droits sociaux fondamentaux reconnus en droit international public (9), indépendamment de la durée de la période de congé prévue. Au niveau international, ce droit fondamental est mentionné à l’article 24 de la déclaration universelle des droits de l’homme (10) qui reconnaît à chacun «le droit au repos et au temps libre et notamment à des limites raisonnables aux horaires de travail ainsi qu’un congé périodique rétribué». Par ailleurs, ce droit fondamental est également reconnu à l’article 2, paragraphe 3, de la charte sociale européenne (11) ainsi qu’à l’article 7, sous d), du pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (12) en tant qu’expression du droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables.
36. Dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT) en tant qu’institution spécialisée des Nations unies, le droit au congé annuel payé minimal faisait jusqu’ici l’objet de deux conventions multilatérales, à savoir la convention n° 132 (13) qui porte révision de la convention n° 52 en vigueur à l’époque (14). Elles contiennent des dispositions contraignantes pour les États contractants en vue de la mise en œuvre de ces droits sociaux fondamentaux dans le cadre de leurs ordres juridiques nationaux.
37. Toutefois, ces divers instruments internationaux se distinguent entre eux tant par leur contenu que par leur portée normative, car il s’agit dans certains cas de traités de droit international public et dans d’autres cas de simples déclarations solennelles sans effet contraignant (15). Par ailleurs, le champ d’application personnel de ces instruments prévoit des modalités variées en sorte que le cercle de leurs destinataires n’est jamais identique. De plus, un pouvoir d’appréciation supplémentaire est en règle générale reconnu aux États signataires en tant que destinataires de ces instruments en sorte que les individus bénéficiaires ne peuvent se prévaloir directement de ce droit. Toutefois, il convient de noter que le droit au congé annuel est considéré clairement par l’ensemble de ces instruments internationaux comme faisant partie des droits fondamentaux des travailleurs.
38. Il me semble encore plus significatif que, par son adoption dans la charte des droits sociaux fondamentaux de l’Union européenne (16), ce droit trouve la confirmation la plus qualifiée et la plus définitive de sa nature de droit fondamental (17). À l’article 31, paragraphe 2, ladite charte déclare que «tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congé payé». S’agissant de l’historique de son adoption, cette disposition s’est inspirée de l’article 2, paragraphe 3, de la charte sociale européenne ainsi que du point 8 de la charte communautaire des droits sociaux des travailleurs (18), et à ce sujet, il a été largement tenu compte de la directive 93/104 en tant que directive antérieure de la directive actuelle 2003/88 conformément aux explications du secrétariat de la présidence de la convention (19).
39. Par conséquent, l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits sociaux fondamentaux érige le droit à une période annuelle de congé payé en droit de l’homme reconnu à toute personne (20). Certes, tout comme certains des instruments internationaux précédemment cités, la charte des droits sociaux fondamentaux de l’Union européenne ne s’est pas non plus vu reconnaître une portée normative authentique, en sorte qu’elle constitue avant tout une déclaration politique. Toutefois, je considère que ce serait une erreur de lui dénier toute importance dans le cadre de l’interprétation du droit communautaire (21). Indépendamment de la question du statut juridique définitif de la charte des droits fondamentaux au sein de l’ordre juridique de l’Union européenne qu’il conviendra de régler à l’avenir, elle constitue déjà aujourd’hui une concrétisation des valeurs fondamentales européennes communes (22).
40. De plus, elle reflète également pour une part considérable les traditions constitutionnelles communes des États membres. Pour autant que je l’ai constaté, il est possible de tirer cette conclusion en matière de droit au congé annuel payé minimal parce que l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux a des modèles dans les constitutions de nombreux États membres (23). On peut dès lors affirmer que, dans un litige relatif à la nature et à la portée d’un droit fondamental tel que celui en l’espèce, il convient de se fonder sur les principes de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux lors de l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88 (24).
3. Le droit au congé annuel payé minimal en droit communautaire
a) Le pouvoir de transposition des États membres
41. La Cour a défini la portée du droit au congé annuel payé et a jugé que «le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 93/104» (25). Les dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88 consacrent la règle selon laquelle le travailleur doit normalement pouvoir bénéficier d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé (26).
42. Pour pouvoir atteindre les objectifs de la directive, il y a lieu de considérer avec la jurisprudence que le champ d’application de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 est largement étendu dans le temps, en sorte que les considérations suivantes s’appliquent également au congé pris non pas dans l’année en cours, mais à un moment ultérieur. En effet, la Cour a jugé que l’effet positif du congé annuel pour la sécurité et la santé du travailleur se déploie pleinement si ce congé est pris dans l’année prévue à cet effet, à savoir l’année en cours. Toutefois, ce temps de repos ne perd pas son intérêt à cet égard s’il est pris au cours d’une période ultérieure. Étant donné que le congé au sens de la directive peut, lorsqu’il est pris au cours d’une année ultérieure, contribuer quand même à la sécurité et à la santé du travailleur, force est de constater qu’il reste régi par la directive 2003/88 (27).
43. Selon la jurisprudence, un rôle majeur est reconnu aux États membres dans la mise en œuvre de ce droit, car, pour exercer leur pouvoir de transposition prévu à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, ils sont tenus d’adopter les modalités d’application nationales nécessaires (28). Cela comprend l’adoption des conditions d’exercice et de mise en œuvre du congé annuel payé, mais les États membres sont libres de préciser les circonstances concrètes dans lesquelles les travailleurs peuvent faire usage dudit droit dont ils bénéficient au titre de l’intégralité des périodes de travail accomplies (29).
44. Le renvoi que fait l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 aux législations nationales vise à permettre aux États membres de définir un cadre normatif qui régisse les aspects organisationnels et procéduraux de jouissance des congés, tels que la planification des périodes de congé, l’obligation éventuelle du travailleur de notifier au préalable à l’employeur la période de congé qu’il entend prendre, l’imposition d’une période minimale de travail avant de pouvoir bénéficier du congé, les critères pour le calcul proportionnel du droit au congé annuel lorsque la durée de la relation de travail est inférieure à un an, etc. (30). Mais il s’agit toujours de mesures destinées à fixer les conditions d’obtention et d’octroi du droit au congé, et comme telles autorisées par la directive 2003/88.
45. En revanche, il découle du principe de loyauté communautaire en vertu de l’article 10 CE que les États membres sont tenus de s’abstenir de toute mesure susceptible de faire obstacle à cet objectif (31). Cela concerne notamment l’adoption de mesures qui menacent l’existence même du droit au congé annuel payé minimal (32). C’est donc à juste titre que la Cour a jugé dans l’arrêt BECTU (33) qu’une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une condition d’ouverture du droit au congé annuel payé de nature à empêcher la constitution même de celui-ci pour certains travailleurs, non seulement vide de sa substance un droit individuel expressément accordé par la directive 93/104, mais est également en contradiction avec l’objectif de cette dernière.
46. Je considère que, par cet arrêt, la Cour a appliqué le principe de l’effet utile du droit communautaire et a reconnu à juste titre à cet égard qu’un État membre qui peut décider de la naissance d’un droit peut également contourner, voire anéantir, celui-ci par le fait de soumettre le recours à celui-ci à des conditions difficiles à réunir. Je suis d’avis que ce droit peut de la même façon être contourné lorsqu’un État membre peut fixer lui-même les conditions de la perte de ce droit, dans la mesure où, dans les deux cas, il en va de l’existence même de ce droit.
47. En effet, le même risque pour la mise en œuvre de ce droit au congé annuel payé existe lorsqu’un État membre se voit reconnaître le pouvoir de déterminer les circonstances dans lesquelles un travailleur perd ce droit à l’expiration d’un délai donné. À cet égard, il s’agit non plus de la décision relative à la manière de mettre en œuvre le congé annuel payé (34), à savoir la transposition effective de ce droit, mais bien de la définition de la portée d’une règle de droit communautaire, à savoir l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88.
48. Une interprétation de cette disposition selon laquelle le congé annuel se perd à l’expiration d’un délai donné, bien que les travailleurs n’aient pu s’en prévaloir en raison d’une incapacité de travail pour cause de maladie, irait en effet au-delà du fait d’exclure certains travailleurs du bénéfice de ce droit par la limitation du champ d’application personnel (35).
49. Toutefois, à la suite de l’harmonisation de cette partie du droit social à la protection du travail qui est poursuivie en vertu de l’article 137, paragraphe 2, sous b), CE, cité comme fondement juridique de la directive 2003/88, la compétence de définir la portée de ce droit appartient dorénavant à la Communauté (36). En effet, si cette compétence était à la disposition des États membres, il serait pratiquement impossible de garantir au niveau communautaire un niveau de protection comparable et ainsi de respecter la finalité de l’harmonisation. Pour ce motif, il y a lieu de rejeter la thèse des gouvernements belge et tchèque selon laquelle le droit au congé d’un travailleur en incapacité pour maladie relèverait des modalités de l’octroi du congé et serait soumis à la compétence réglementaire des États membres.
b) Le niveau de protection garanti en droit communautaire
50. Par ailleurs, il me semble qu’il est important de rappeler que la liberté des États membres lors de la détermination des mesures de transposition est limitée par la circonstance que l’article 13, paragraphe 2, sous b), CE vise à assurer, par des prescriptions minimales, un certain niveau de protection en dessous duquel les États membres ne peuvent se situer. Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Royaume-Uni/Conseil (37) en ce qui concerne la notion de «prescriptions minimales» au sens de la base juridique antérieure de l’article 118 A du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE), cette disposition ne limite pas l’intervention communautaire au plus petit dénominateur commun, voire au niveau de protection le plus bas établi par les différents États membres. Au contraire, il convient d’interpréter cette notion en ce sens que les États membres sont libres d’accorder une protection renforcée par rapport à celle, éventuellement élevée, qui résulte du droit communautaire.
51. Cette interprétation est confirmée par le libellé de l’article 136 CE qui prescrit comme objectif de la politique sociale une «amélioration des conditions de vie et de travail». Cet objectif doit expressément être atteint par un rapprochement «dans le progrès» (38). Pour atteindre cette finalité de droit primaire, l’article 15 de la directive 2003/88 permet aux États membres d’appliquer ou de promouvoir des mesures plus favorables à la sécurité et à la protection de la santé des travailleurs. En ce sens, l’article 23 de la directive 2003/88 précise, s’agissant du niveau de protection, que, sans préjudice du droit des États membres de développer différentes mesures pour autant que les exigences minimales prévues dans la présente directive soient respectées, la mise en œuvre de ladite directive ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général des travailleurs (39).
52. Le niveau de protection minimale que le législateur communautaire a adopté en matière de droit des congés est déterminé par la directive 2003/88. À cet égard, il convient de noter que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne contient aucune limitation du cercle des ayants droit. La condition selon laquelle le travailleur est tenu de demander ses congés dans des délais prescrits et de les prendre effectivement avant une date donnée, à savoir avant la fin de l’année de référence et/ou l’année de report n’est pas davantage prévue dans la directive 2003/88 que ne l’est la perte du droit au congé. L’article 7, paragraphe 1, ne relève pas des dispositions auxquelles l’article 17 de cette même directive permet expressément de déroger (40).
53. Le législateur vise ainsi intentionnellement un niveau de protection minimal plus élevé que la convention n° 132 de l’OIT (41). Tandis que l’article 9 de la convention n° 132 de l’OIT prévoit une limitation dans le temps en ce sens que le congé devra être accordé et pris dans un délai d’une année et/ou dans un délai de 18 mois à compter de la fin de l’année ouvrant droit au congé (42), il n’existe vraiment aucune règle analogue dans l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88. On peut en conclure que la protection que vise à octroyer le droit communautaire aux travailleurs a une portée plus large que les normes prévues par le droit international public en droit du travail (43).
54. Dès lors, une interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 selon laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint à l’expiration d’un délai donné s’il n’est pas pris à temps n’est, d’une part, pas compatible avec l’objectif du législateur communautaire de garantir un niveau de protection plus élevé que celui de la convention n° 132 de l’OIT et, d’autre part, ne trouve aucun fondement dans le libellé de cette disposition.
c) Rattachement du droit au congé avec la capacité de travail
i) Application par analogie des principes développés par la jurisprudence
55. Contrairement aux arguments des gouvernements du Royaume-Uni et néerlandais, il n’existe pas non plus d’éléments selon lesquels l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 lie le droit au congé annuel payé minimal à la capacité de travail du travailleur au cours de l’année de référence ou de la période de report. On pourrait argumenter qu’un travailleur qui était absent pour maladie et qui n’a pas travaillé n’a pas besoin d’un temps de repos correspondant. Toutefois, ainsi que l’affirme à juste titre la Commission, cette thèse n’est pas compatible avec la jurisprudence de la Cour telle qu’exprimée dans les arrêts Merino Gómez (44) et Federatie Nederlandse Vakbeweging (45).
56. Dans l’affaire Merino Gómez, la Cour a été saisie de la question du rapport en droit communautaire existant entre le congé annuel et le congé de maternité. Concrètement, il s’agissait de la question de savoir si, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, de l’article 11, point 2, sous a), de la directive 92/85/CEE (46) et de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207/CEE (47), une travailleuse a le droit de bénéficier de son congé annuel lors d’une période distincte de celle convenue et ne coïncidant pas avec celle de son congé de maternité, lorsque les accords collectifs conclus entre l’entreprise et les représentants des travailleurs fixent les dates de congé pour l’ensemble du personnel et que ces dates coïncident avec le congé de maternité de cette travailleuse. La Cour a jugé à cet égard que la finalité du droit au congé annuel est différente de celle du droit au congé de maternité. Ce dernier vise, d’une part, à la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci et, d’autre part, à la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l’accouchement (48). Par conséquent, la Cour a jugé qu’une travailleuse doit pouvoir bénéficier de son congé annuel lors d’une période distincte de celle de son congé de maternité (49).
57. Dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, la Cour a confirmé ce principe et l’a précisé en ce sens que, en cas de cumul de périodes de plusieurs congés garantis par le droit communautaire à la fin d’une année, le report du congé annuel ou d’une partie de celui-ci sur l’année ultérieure peut être inévitable (50) parce qu’un congé garanti par le droit communautaire ne peut pas affecter le droit de prendre un autre congé garanti par ce droit (51).
58. Bien qu’une grossesse ne puisse certainement pas être assimilée à une maladie, il existe plusieurs raisons pour appliquer cette jurisprudence par analogie au rapport existant entre le congé annuel et le congé de maladie. En effet, tout comme le congé de maternité, le congé de maladie vise à préserver l’intégrité physique et psychique du travailleur, en ce sens que la dispense de l’obligation de travail et l’octroi d’un temps de repos lui donnent la possibilité de se rétablir physiquement et ensuite de réintégrer son poste de travail. Contrairement au congé annuel dont la fonction est le repos, la prise de distance et la détente, le congé de maladie vise exclusivement au rétablissement et à la guérison, à savoir le dépassement d’un état pathologique dont les causes se situent par ailleurs en dehors du domaine d’influence du travailleur concerné (52).
59. Dans cette mesure, suivant à cet égard les arguments des gouvernements italien et polonais, il convient de préciser que, compte tenu des principes développés par la Cour, il n’est pas possible de conclure que les congés de maladie et les congés annuels puissent tomber dans la même période sans remettre en question les objectifs distincts du congé de repos et du congé de maladie. Selon l’idée maîtresse de la jurisprudence citée ci-dessus, il devrait être interdit d’accorder le congé de maladie au préjudice du congé annuel payé car, dans le cas inverse, on pourrait vider ce droit fondamental de tout contenu.
ii) Incompatibilité avec la finalité de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88
– Risque d’une interprétation contraire à l’objectif poursuivi
60. Au-delà des doutes exprimés quant à l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 selon laquelle le travailleur aurait la possibilité de prendre son congé annuel au cours de son absence pour maladie, il est permis d’avancer comme argument supplémentaire l’incompatibilité d’une telle interprétation avec la finalité de la directive 2003/88 qui est d’assurer l’amélioration de la sécurité et la protection de la santé du travailleur.
61. L’objectif initial de l’interdiction en droit du travail d’accumuler les congés non pris, ainsi que cela était prévu dans certains ordres juridiques nationaux, comme en Allemagne, réside apparemment dans le fait de garantir le recours effectif à des congés durant l’année en cours, en sorte que le travailleur se voit reconnaître la responsabilité de la mise en œuvre de son droit au congé. Si l’on se rallie à cette idée, il semble manifestement logique de faire supporter par le travailleur la conséquence de sa passivité ou de la tardiveté de sa décision de demande de congé que constitue la perte du droit (53).
62. À cet égard, il convient de noter que l’objectif initial de la protection sociale des travailleurs, sur lequel repose cette réglementation et qui, en tant que tel, est identique avec celui de la directive 2003/88, est précisément renversé lorsque le travailleur ne peut exercer son droit au congé pour des raisons indépendantes de sa volonté. Parmi ces raisons figurent, d’une part, la possibilité d’une inexécution intentionnelle des obligations de l’employeur, lequel est de surcroît récompensé par une telle réglementation, et, d’autre part, des éléments de force majeure qui sont naturels et échappent au pouvoir d’influence de l’intéressé.
63. Dans les deux cas, la perte du droit au congé a pour effet que non seulement l’objectif poursuivi n’est pas atteint, mais encore que cette perte équivaut en fin de compte à une sanction du travailleur objectivement injustifiable. Une telle conséquence est manifestement contraire à la finalité de la directive 2003/88. Par conséquent, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne peut être interprété en ce sens que l’incapacité de travail pour maladie du travailleur conduise à une perte du droit au congé annuel minimal garanti par les droits fondamentaux.
– Interprétation à la lumière des intérêts des parties au contrat de travail
64. Contrairement aux affirmations de la défenderesse, il est tout à fait possible de procéder à une interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 qui tienne compte des intérêts de l’employeur et qui en même temps limite moins le droit fondamental au congé annuel payé que ne le fait la réglementation allemande litigieuse. Ainsi que la Commission l’a exposé à juste titre, il semble justifié qu’un État membre fixe des conditions pour que, dans l’intérêt de la santé et de la sécurité des travailleurs, les droits aux congés soient par exemple reportés uniquement en cas de nécessité. Il est également possible d’adopter des mesures incitant les travailleurs à prendre leur congé annuel au cours d’une période raisonnable dans l’année qui suit.
65. La transposition concrète de ces mesures au niveau des entreprises relève une nouvelle fois des employeurs qui, de par leurs pouvoirs d’organisation et de coordination (54), sont en mesure de conjuguer les droits au congé des travailleurs avec les besoins des entreprises.
iii) Comparaison avec les règles prévues dans la convention n° 132 de l’OIT
66. Par ailleurs, ce qui plaide également contre le rattachement du droit au congé à la capacité de travail du travailleur est le libellé explicite de l’article 5, paragraphe 4, de la convention n° 132 de l’OIT, selon lequel «les absences du travail pour des motifs indépendants de la volonté de la personne employée intéressée, telles que les absences dues à une maladie, à un accident ou à un congé de maternité, seront comptées dans la période de service» (55). De plus, l’article 6, paragraphe 2, de cette même convention énonce clairement que «les périodes d’incapacité de travail résultant de maladies ou d’accidents ne peuvent pas être comptées dans le congé payé annuel minimum prescrit».
67. Dès lors, ces dispositions doivent, conformément à leur finalité, être interprétées en ce sens qu’un congé de maladie précédemment demandé ne peut porter atteinte au congé annuel payé minimal (56). S’il est vrai que les États signataires – et la plupart des États membres de l’Union européenne le sont (57) – doivent l’assurer «dans des conditions à déterminer par l’autorité compétente ou par l’organisme approprié dans chaque pays», toutefois, la compétence des États membres est également limitée ici à l’adoption de mesures d’application, en sorte qu’il devrait leur être interdit ne de pas considérer ces absences comme des heures de services.
68. Ainsi, les règles de la convention n°132 de l’OIT et celles de la directive 2003/88 coïncident pour l’essentiel dans leurs principes juridiques (58). Par conséquent, les États membres sont tenus d’interpréter ces règles et d’aménager leur ordre juridique de telle manière que les absences au travail pour maladie laissent intact le droit au congé annuel payé minimal.
B – Sur la deuxième question
69. La deuxième question a pour objet la portée normative du droit à l’indemnité compensatrice prévu à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88. Le droit à l’indemnité compensatrice de congé, à savoir l’indemnité pour le congé non pris, intervient à la place de l’octroi de temps libre lorsque, à la suite de la cessation du contrat, le congé ne peut plus être pris. Ce droit constitue la seule exception à l’interdiction de principe de l’indemnisation prévue par la directive 2003/88 qui interdit normalement de manière catégorique aux parties à un contrat de travail de remplacer le congé annuel par une indemnité financière, indépendamment de la question de savoir s’il devait être pris dans l’année en cours ou dans l’année de report.
70. Selon la jurisprudence de la Cour, cette interdiction vise à assurer que le travailleur puisse bénéficier d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé (59). On vise ainsi à éviter qu’il y ait un «rachat» abusif du droit au congé par l’employeur et/ou de renoncement du travailleur au congé pour de simples considérations financières (60).
71. L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 insiste sur la fonction du maintien du paiement de la rémunération au cours de la période de congé qui consiste à placer le travailleur, lors desdits congés, dans une situation qui, en termes de salaire, est comparable aux périodes de travail (61). En d’autres mots, l’exigence du paiement de cette indemnité de congé vise à assurer que le travailleur soit placé sur le plan économique dans une situation lui permettant d’exercer effectivement son droit au congé (62). L’indemnité compensatrice de congé n’a pas d’autre finalité. En effet, cette indemnité de remplacement vise en principe à permettre au travailleur de prendre une période de repos également après la cessation du contrat de travail et avant de conclure un nouveau contrat (63). Par conséquent, la perte de cette indemnité aurait pour conséquence que l’objectif de la directive 2003/88 qui est le repos du travailleur ne puisse être atteint.
72. Dans l’arrêt Robinson-Steel (64), la Cour a jugé que la directive 2003/88 considère que le droit au congé annuel et le droit au paiement du congé annuel constituent les deux volets d’un droit unique. Je considère que cette identité de fonction entre le droit au salaire et le droit à l’indemnité compensatrice de congé plaide pour que ce dernier soit également considéré comme une partie inséparable du droit au congé annuel payé minimal.
73. Dans cette mesure, la réponse à la deuxième question découle déjà des observations faites dans la première partie de la première question. En effet, si la perte automatique du droit au congé annuel payé à l’expiration d’un délai donné est contraire à l’objectif de la directive 2003/88, ainsi que cela a déjà été expliqué, alors, cela doit s’appliquer de la même manière au droit à l’indemnité compensatrice de congé qui se rattache au droit au congé en tant que droit compensatoire.
74. En revanche, on ne peut suivre l’argument de la défenderesse selon lequel la perspective de devoir compenser les nombreux jours de congé éventuellement accumulés au cours des années, en cas de cessation de la relation de travail, pourrait inciter les employeurs à se séparer par licenciement des travailleurs en maladie de longue durée. En effet, on peut opposer à cela que c’est précisément l’absence d’obligation de l’employeur de compenser le congé non pris qui pourrait l’encourager à licencier des travailleurs avant l’octroi du congé, au motif que, autrement, il serait tenu de respecter le droit du travailleur au congé annuel payé minimal en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88. Si l’on veut éviter qu’un recours abusif soit fait au droit de licenciement pour contourner ce droit fondamental garanti par le droit communautaire, alors, le travailleur doit en tout cas, à la cessation de la relation de travail, se voir reconnaître un droit à une indemnité de remplacement pour le congé dû et non pris.
75. De même, un examen juridique comparatif des dispositions pertinentes de la convention n° 132 ne permet pas d’aboutir à une autre conclusion. L’article 11 de la convention prévoit le droit du travailleur à une indemnité compensatoire proportionnelle à la durée de la période de service pour laquelle il n’a pas encore obtenu un tel congé. Dans la mesure ou le droit à l’indemnité compensatoire de congé se rattache ici aussi au droit au congé annuel minimal en tant que droit primaire, il y a lieu de se fonder sur l’article 5, paragraphe 4, de ladite convention, selon lequel les absences du travail pour des motifs indépendants de la volonté de la personne employée, telles que les absences dues à une maladie, à un accident ou à un congé de maternité, seront comptées dans la période de service (65). Par conséquent, une incapacité de travail pour cause de maladie ne peut avoir d’effets négatifs sur le droit à l’indemnité compensatoire de congé.
76. Compte tenu de ces considérations, il convient d’interpréter l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 en ce sens que, en cas de cessation de la relation de travail, le travailleur a en tout cas droit à une indemnité financière en remplacement pour les congés dus et non pris.
C – Sur la troisième question
77. Comme cela a déjà été établi, il résulte d’une interprétation téléologique de l’article 7 de la directive 2003/88 (66) ainsi que de l’idée juridique exposée à l’article 5, paragraphe 4, de la convention n° 132 de l’OIT (67) que la période de maladie équivaut à la période de service car il s’agit d’une absence fondée sur des motifs qui sont indépendants de la volonté du travailleur et qui, par conséquent, est justifiée.
78. C’est la raison pour laquelle, dans une même période donnée, naissent l’ensemble des droits du travailleur, en ce compris le droit au congé annuel payé, qui peut être pris lorsque la capacité de travail est rétablie, ou qui, à la cessation de la relation de travail, peut être compensé par le paiement d’une indemnité, même en cas d’une incapacité de travail totale.
79. La naissance du droit au congé annuel et du droit à l’indemnité compensatrice n’est en soi pas liée à la condition d’une prestation effective de travail préalable en sorte que ces droits sont reconnus au travailleur même si celui‑ci a été absent tout au long de l’année de référence pour maladie.
80. En ce qui concerne la sous-question additionnelle de savoir si ces droits naissent également en cas d’absence inexcusée au cours de la totalité de l’année de référence, il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que la procédure de renvoi préjudiciel instituée par l’article 234 CE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit communautaire qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (68).
81. Dans le cadre de cette coopération, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (69).
82. Toutefois, la Cour a également jugé que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence. Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (70).
83. En effet, l’esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (71).
84. Il découle de la décision de renvoi que le requérant a été déclaré malade par certificat médical du 8 septembre 2004, sans interruption jusqu’au 30 septembre 2005, et donc jusqu’au moment de la cessation de la relation de travail. Dès lors, son absence était ainsi clairement excusée en sorte que, à la sous-question additionnelle de savoir si le droit au congé annuel ou à l’indemnité de remplacement naît également en cas d’absence inexcusée, la Cour n’a pas besoin de répondre faute de pertinence pour la solution du litige au principal.
VII – Conclusion
85. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Landesarbeitsgericht Düsseldorf:
1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens que les travailleurs doivent en tout cas bénéficier d’un congé annuel payé minimal de quatre semaines. Les congés non pris au cours de l’année de référence en raison de la maladie doivent être octroyés ultérieurement.
2) L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens que les travailleurs, en cas de cessation de la relation de travail, ont en tout cas droit à une indemnité financière de remplacement pour les congés dus mais non pris (indemnité compensatrice pour congé non pris).
3) L’article 7 de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens que le droit au congé ou à une indemnité de remplacement naît également en cas d’absence excusée (pour maladie) au cours de la totalité de l’année de référence.