Language of document : ECLI:EU:C:2021:950

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

23 novembre 2021 (*)

« Pourvoi – Politique étrangère et de sécurité commune – Lutte contre le terrorisme – Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités – Gel des fonds – Position commune 2001/931/PESC – Règlement (CE) no 2580/2001 – Maintien de l’inscription d’une organisation sur la liste des personnes, des groupes et des entités impliqués dans des actes de terrorisme – Exposé des motifs individuels notifié à l’organisation et figurant sur un document distinct de l’acte comportant une motivation à caractère général – Authentification de l’exposé des motifs individuels – Article 297, paragraphe 2, TFUE »

Dans l’affaire C‑833/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 14 novembre 2019,

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. B. Driessen et Mme S. Van Overmeire, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Hamas, établi à Doha (Qatar), représenté par Me L. Glock, avocate,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme A. Prechal, MM. E. Regan, S. Rodin et I. Jarukaitis, présidents de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur), M. Safjan, F. Biltgen, P. G. Xuereb, N. Piçarra et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 juin 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, le Conseil de l’Union européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 4 septembre 2019, Hamas/Conseil (T‑308/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:557), par lequel celui-ci a annulé :

–        la décision (PESC) 2018/475 du Conseil, du 21 mars 2018, portant mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et abrogeant la décision (PESC) 2017/1426 (JO 2018, L 79, p. 26) ;

–        le règlement d’exécution (UE) 2018/468 du Conseil, du 21 mars 2018, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2017/1420 (JO 2018, L 79, p. 7) ;

–        la décision (PESC) 2018/1084 du Conseil, du 30 juillet 2018, portant mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et abrogeant la décision (PESC) 2018/475 (JO 2018, L 194, p. 144), et

–        le règlement d’exécution (UE) 2018/1071 du Conseil, du 30 juillet 2018, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2018/468 (JO 2018, L 194, p. 23),

(ci-après, ensemble, les « actes litigieux »), en tant que ces actes concernent le Hamas, y compris le Hamas-Izz al-Din al-Qassem.

 Le cadre juridique

 La résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations unies

2        Le 28 septembre 2001, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1373 (2001), arrêtant des stratégies pour lutter par tous les moyens contre le terrorisme et, en particulier, contre son financement. Le point 1, sous c), de cette résolution dispose, notamment, que tous les États doivent geler sans attendre les fonds et autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes qui commettent, ou tentent de commettre, des actes de terrorisme, les facilitent ou y participent, des entités appartenant à ces personnes ou contrôlées par elles, et des personnes et des entités agissant au nom, ou sur instruction, de ces personnes et entités.

3        Ladite résolution ne prévoit pas de liste de personnes auxquelles ces mesures restrictives doivent être appliquées.

 Le droit de l’Union

 La position commune 2001/931/PESC

4        Afin de mettre en œuvre la résolution 1373 (2001), le Conseil a adopté, le 27 décembre 2001, la position commune 2001/931/PESC, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 93).

5        L’article 1er de cette position commune prévoit, à ses paragraphes 1, 4 et 6 :

« 1.      La présente position commune s’applique, conformément aux dispositions des articles qui suivent, aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme et dont la liste figure à l’annexe.

[...]

4.      La liste à l’annexe est établie sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision a été prise par une autorité compétente à l’égard des personnes, groupes et entités visés, qu’il s’agisse de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, basées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse d’une condamnation pour de tels faits. Les personnes, groupes et entités identifiés par le Conseil de sécurité des Nations unies comme liées au terrorisme et à l’encontre desquelles il a ordonné des sanctions peuvent être incluses dans la liste.

Aux fins du présent paragraphe, on entend par “autorité compétente”, une autorité judiciaire, ou, si les autorités judiciaires n’ont aucune compétence dans le domaine couvert par le présent paragraphe, une autorité compétente équivalente dans ce domaine.

[...]

6.      Les noms des personnes et entités reprises sur la liste figurant à l’annexe feront l’objet d’un réexamen à intervalles réguliers, au moins une fois par semestre, afin de s’assurer que leur maintien sur la liste reste justifié. »

6        Le nom du « Hamas-Izz al-Din al-Qassem (branche terroriste du Hamas) » figurait sur la « [p]remière liste de personnes, groupes ou entités visés à l’article 1er » de la position commune 2001/931, annexée à cette dernière.

 Le règlement (CE) no 2580/2001

7        Afin de mettre en œuvre, au niveau communautaire, les mesures décrites dans la position commune 2001/931, le Conseil a adopté le règlement (CE) no 2580/2001, du 27 décembre 2001, concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 70, et rectificatif JO 2010, L 52, p. 58). En particulier, l’article 2, paragraphe 3, de ce règlement dispose que le Conseil, statuant à l’unanimité, établit, révise et modifie la liste de personnes, de groupes et d’entités auxquels ledit règlement s’applique, conformément aux dispositions de l’article 1er, paragraphes 4, 5 et 6, de la position commune 2001/931.

8        Le même jour, le Conseil a adopté la décision 2001/927/CE, établissant la liste prévue à l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 (JO 2001, L 344, p. 83), sur laquelle figurait, tout comme sur la liste annexée à la position commune 2001/931, le nom du « Hamas-Izz al-Din al-Qassem ».

9        Les listes de personnes, groupes et entités annexées à la position commune 2001/931 et à la décision 2001/927 ont été mises à jour régulièrement, en application de l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931 et de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001. Le nom du « Hamas-Izz al-Din al-Qassem », puis du « Hamas (y compris Hamas-Izz al-Din al-Qassem) » (ci-après le « Hamas »), est demeuré inscrit sur les listes annexées aux actes ultérieurs.

 Le règlement intérieur du Conseil

10      Le préambule de la décision 2009/937/UE du Conseil, du 1er décembre 2009, portant adoption de son règlement intérieur (JO 2009, L 325, p. 35), énonce :

« (1) Le traité de Lisbonne apporte plusieurs modifications au fonctionnement du Conseil et de sa présidence, à la structure du Conseil, ainsi qu’à la typologie des actes juridiques de l’Union et au déroulement de la procédure d’adoption des actes, en distinguant notamment entre les actes législatifs et les actes non législatifs.

(2)      Il y a donc lieu de remplacer le règlement intérieur adopté le 15 septembre 2006 par un règlement intérieur comportant les modifications nécessaires à la mise en œuvre du traité de Lisbonne ».

11      Sous l’intitulé « Procédure écrite normale et procédure de silence », l’article 12 du règlement intérieur du Conseil, annexé à cette décision, prévoit, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.      Les actes du Conseil relatifs à une affaire urgente peuvent être adoptés au moyen d’un vote par écrit lorsque le Conseil ou le [Comité des représentants permanents (Coreper)] décide à l’unanimité d’avoir recours à cette procédure. Le président peut également, dans des circonstances particulières, proposer de recourir à cette procédure ; dans ce cas, le vote par écrit peut avoir lieu lorsque tous les membres du Conseil acceptent cette procédure.

[...]

3.      Le secrétariat général constate l’achèvement des procédures écrites. »

12      Aux termes de l’article 15 du règlement intérieur du Conseil, intitulé « Signature des actes » :

« Le texte des actes adoptés par le Parlement européen et le Conseil conformément à la procédure législative ordinaire, ainsi que celui des actes adoptés par le Conseil, est revêtu de la signature du président en exercice lors de leur adoption et de celle du secrétaire général. Le secrétaire général peut déléguer sa signature à des directeurs généraux du secrétariat général. »

 Les actes litigieux

 La décision 2018/475 et le règlement d’exécution 2018/468

13      Le 21 mars 2018, le Conseil a adopté la décision 2018/475 et le règlement d’exécution 2018/468. Le nom du Hamas était maintenu sur les listes annexées à ces actes.

14      Les considérants 2 à 6 de la décision 2018/475 étaient libellés comme suit :

« (2) Le 4 août 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/1426 portant mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune [2001/931] (ci-après dénommée “liste”).

(3)      Conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune [2001/931], il est nécessaire de procéder, à intervalles réguliers, à un réexamen des noms des personnes, groupes et entités figurant sur la liste afin de s’assurer que leur maintien sur celle-ci est justifié.

(4)       La présente décision expose le résultat du réexamen auquel le Conseil a procédé en ce qui concerne les personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune [2001/931].

(5)       Le Conseil s’est assuré que les autorités compétentes, visées à l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune [2001/931], ont pris des décisions à l’égard de toutes les personnes, de tous les groupes et de toutes les entités figurant sur la liste en raison de leur implication dans des actes de terrorisme au sens de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la position commune [2001/931]. Le Conseil a également conclu que les personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune [2001/931] devraient continuer à faire l’objet des mesures restrictives spécifiques qui y sont prévues.

(6)       Il convient de mettre à jour la liste en conséquence et d’abroger la décision (PESC) 2017/1426. »

15      Quant aux considérants 1 à 6 du règlement d’exécution 2018/468, ils exposaient ce qui suit :

« (1) Le 4 août 2017, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2017/1420 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement [no 2580/2001], qui établit une liste actualisée de personnes, de groupes et d’entités auxquels s’applique le règlement [no 2580/2001] (ci-après dénommée “liste”).

(2)       Le Conseil a fourni, lorsque cela a été possible en pratique, à l’ensemble des personnes, groupes et entités un exposé des motifs justifiant leur inscription sur la liste.

(3)      Par un avis publié au Journal officiel de l’Union européenne, le Conseil a informé les personnes, groupes et entités figurant sur la liste qu’il avait décidé de les y maintenir. Le Conseil a également informé les personnes, groupes et entités concernés qu’il était possible de lui adresser une demande en vue d’obtenir l’exposé des motifs du Conseil justifiant leur inscription sur la liste, si un tel exposé ne leur avait pas déjà été communiqué.

(4)       Le Conseil a procédé à une révision de la liste, comme l’exige l’article 2, paragraphe 3, du règlement [no 2580/2001]. Lors de cette révision, le Conseil a tenu compte des observations qui lui ont été présentées par les intéressés ainsi que des informations actualisées qui lui ont été communiquées par les autorités nationales compétentes concernant la situation des personnes et des entités inscrites sur une liste au niveau national.

(5)       Le Conseil s’est assuré que les autorités compétentes, visées à l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune [2001/931], ont pris des décisions à l’égard de toutes les personnes, de tous les groupes et de toutes les entités en raison de leur implication dans des actes de terrorisme au sens de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la position commune [2001/931]. Le Conseil a également conclu que les personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune [2001/931] devraient continuer à faire l’objet des mesures restrictives spécifiques qui sont prévues dans le règlement [no 2580/2001].

(6)       Il convient de mettre à jour la liste en conséquence et d’abroger le règlement d’exécution (UE) 2017/1420. »

16      La décision 2018/475, le règlement d’exécution 2018/468 ainsi que l’exposé des motifs relatif à ces actes ont été adoptés par le Conseil dans le cadre d’une procédure écrite, au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement intérieur de cette institution.

17      Par courrier du 22 mars 2018, le Conseil a communiqué à l’avocat du Hamas l’exposé des motifs justifiant le maintien du Hamas sur les listes annexées à la décision 2018/475 et au règlement d’exécution 2018/468.

18      Il résulte de cet exposé des motifs que, pour maintenir le Hamas sur ces listes, le Conseil s’est fondé, d’une part, sur une décision du Secretary of State for the Home Department (ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni), du 29 mars 2001 (ci-après la « décision du ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni de 2001 ») et, d’autre part, sur trois décisions adoptées par les autorités des États-Unis d’Amérique les 23 janvier 1995, 8 octobre 1997 et 31 octobre 2001 (ci-après les « décisions des autorités des États-Unis »). Dans la partie principale de l’exposé des motifs, le Conseil a indiqué, après avoir examiné séparément les informations figurant dans ces décisions nationales, que chacune d’entre elles fournissait des motifs suffisants pour justifier l’inscription du Hamas sur lesdites listes. À cet égard, il a précisé que ces mêmes décisions nationales constituaient des décisions d’autorités compétentes au sens de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 et qu’elles étaient toujours en vigueur. Il a ensuite souligné que les raisons ayant justifié l’inscription du Hamas sur ces mêmes listes restaient valables et qu’il convenait donc de maintenir son nom sur celles-ci.

19      L’exposé des motifs comporte par ailleurs une annexe A, concernant la décision du ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni de 2001, et une annexe B, concernant les décisions des autorités des États-Unis. Chacune de ces annexes contient une description des législations nationales en vertu desquelles les décisions des autorités nationales ont été adoptées, une présentation des définitions des notions de « terrorisme » figurant dans ces législations, une description des procédures de réexamen desdites décisions, une description des faits sur lesquels lesdites autorités se sont fondées et la constatation que ces faits constituaient des actes de terrorisme au sens de l’article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931.

 La décision 2018/1084 et le règlement d’exécution 2018/1071

20      Le 30 juillet 2018, le Conseil a adopté la décision 2018/1084 et le règlement d’exécution 2018/1071. Le Hamas était maintenu sur les listes annexées à ces actes.

21      La motivation contenue aux considérants 2 à 6 de la décision 2018/1084 et aux considérants 1 à 6 du règlement d’exécution 2018/1071 correspond, en substance, à celle contenue, respectivement, aux considérants 2 à 6 de la décision 2018/475 et aux considérants 1 à 6 du règlement d’exécution 2018/468, reproduits aux points 14 et 15 du présent arrêt. De même, la décision 2018/1084 et le règlement d’exécution 2018/1071 ainsi que l’exposé des motifs relatif à ces actes ont été adoptés par le Conseil dans le cadre d’une procédure écrite, au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement intérieur de cette institution.

22      Par courrier du 31 juillet 2018, le Conseil a communiqué à l’avocat du Hamas l’exposé des motifs justifiant le maintien de cette organisation sur les listes annexées à la décision 2018/1084 et au règlement d’exécution 2018/1071. Cet exposé des motifs était, pour l’essentiel, identique à celui communiqué au Hamas afin de justifier son maintien sur les listes annexées à la décision 2018/475 et au règlement d’exécution 2018/468, visé aux points 17 à 19 du présent arrêt.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 mai 2018, le Hamas a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision 2018/475 et du règlement d’exécution 2018/468. Ces actes ayant été abrogés et remplacés, respectivement, par la décision 2018/1084 et le règlement d’exécution 2018/1071, le Hamas a adapté ses conclusions initiales de façon à ce que son recours vise également à l’annulation de ces derniers actes, en tant qu’ils le concernent.

24      À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation des actes litigieux, le Hamas a invoqué sept moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, le deuxième, d’erreurs sur la matérialité des faits, le troisième, d’une erreur d’appréciation quant au caractère terroriste de cette organisation, le quatrième, d’une violation du principe de non-ingérence, le cinquième, d’une insuffisante prise en considération de l’évolution de la situation en raison de l’écoulement du temps, le sixième, d’une violation de l’obligation de motivation et, le septième, d’une violation du principe du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Dans une réponse à une question posée par le Tribunal dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, le Hamas a soulevé un huitième moyen, tiré du défaut d’authentification des exposés des motifs.

25      Le Tribunal a, tout d’abord, aux points 42 à 261 de l’arrêt attaqué, examiné les premier à septième moyens. Au point 76 de l’arrêt attaqué, il a considéré que, en l’espèce, la motivation relative aux décisions des autorités des États-Unis était insuffisante, de sorte que ces dernières ne pouvaient servir de fondement aux actes litigieux. Le Tribunal en a déduit, au point 77 de cet arrêt, qu’il convenait de poursuivre l’examen du recours en limitant cet examen aux actes litigieux pour autant qu’ils sont fondés sur la décision du ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni de 2001. À l’issue dudit examen, le Tribunal a rejeté ces premier à septième moyens comme étant non fondés.

26      Le Tribunal a ensuite examiné le huitième moyen qu’il a considéré, au point 269 de l’arrêt attaqué, comme étant d’ordre public. Après s’être référé, aux points 270 et 271 de l’arrêt attaqué, à l’article 297, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE et à l’article 15 du règlement intérieur du Conseil, le Tribunal a estimé, aux points 272 à 277 de cet arrêt, que les règles énoncées à propos d’actes de la Commission dans l’arrêt du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, EU:C:1994:247 (ci-après l’« arrêt Commission/BASF »), selon lequel l’authentification des actes d’une institution au moyen de leur signature a pour but d’assurer la sécurité juridique et constitue une forme substantielle, devaient être transposées aux actes du Conseil. Le Tribunal a encore relevé, aux points 278 à 280 de l’arrêt attaqué, que, d’un côté, les exposés des motifs relatifs aux actes litigieux transmis au Hamas ne comportaient pas de signature et que, de l’autre côté, ces actes, signés par le président et le secrétaire général du Conseil, ne contenaient pas les exposés des motifs justifiant leur adoption.

27      Or, aux points 281 et 282 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, en application de l’article 296 TFUE et eu égard aux enseignements issus de l’arrêt Commission/BASF, les actes adoptés par le Conseil doivent être motivés et que le dispositif et la motivation constituent un tout indivisible, de sorte que l’acte et l’exposé des motifs doivent être authentifiés lorsque, comme en l’espèce, l’un et l’autre figurent dans des documents distincts, sans que la présence d’une signature sur l’un puisse donner lieu à la présomption que le second a, lui aussi, été authentifié.

28      Enfin, le Tribunal a écarté les arguments avancés par le Conseil en précisant, aux points 297 et 299 de l’arrêt attaqué, que la formalité substantielle que constitue cette signature ne peut être remplacée par la description de la procédure suivie au sein du Conseil pour adopter les actes concernés et que la violation d’une forme substantielle est constituée par le seul défaut d’authentification d’un acte.

29      En conséquence, le Tribunal, au point 305 de l’arrêt attaqué, a accueilli le huitième moyen et annulé les actes litigieux, en tant qu’ils concernent le Hamas. Par ailleurs, cette juridiction a jugé que le Conseil supporterait ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Hamas.

 Les conclusions des parties

30      Le Conseil demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de se prononcer à titre définitif sur les questions faisant l’objet du pourvoi, et

–        de condamner le Hamas aux dépens exposés par le Conseil en première instance et dans le cadre du pourvoi.

31      Le Hamas demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner le Conseil aux dépens exposés par le Hamas en première instance et dans le cadre du pourvoi.

 Sur le pourvoi

32      Le Conseil soulève deux moyens au soutien de son pourvoi. Par son premier moyen, il soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’appréciation du huitième moyen du recours, tiré du défaut d’authentification des exposés des motifs des actes litigieux. Par son second moyen, le Conseil reproche au Tribunal d’avoir erronément conclu que les décisions des autorités des États-Unis ne constituaient pas une base suffisante pour l’inscription du Hamas sur les listes annexées aux actes litigieux (ci-après les « listes litigieuses »).

 Sur le second moyen

 Argumentation des parties

33      Par le second moyen du pourvoi, qu’il convient d’examiner en premier lieu, le Conseil fait valoir que le raisonnement du Tribunal par lequel ce dernier a conclu, aux points 65 à 76 de l’arrêt attaqué, que les décisions des autorités des États-Unis ne pouvaient servir de fondement aux actes litigieux est erroné. 

34      Le Conseil expose à ce titre que ces décisions ont été publiées et que les exposés des motifs des actes litigieux expliquent à suffisance les procédures par lesquelles elles ont été adoptées, les procédures de réexamen ainsi que les voies de recours juridictionnelles dont le Hamas dispose en vertu du droit américain. La jurisprudence de la Cour n’imposerait pas que la décision nationale servant de fondement à une inscription sur la liste concernée ait été prise sous une forme juridique particulière ou qu’elle ait été publiée ou notifiée. Enfin, un certain nombre des incidents sur lesquels ces autorités se sont fondées seraient mentionnés dans les exposés des motifs des actes litigieux.

35      Le Hamas considère que le second moyen est irrecevable, en faisant valoir, notamment sur la base de l’ordonnance du 8 avril 2008, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission (C‑503/07 P, EU:C:2008:207, point 48), que l’existence d’un intérêt à agir suppose que le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. En l’espèce, le Tribunal aurait, certes, estimé que le Conseil n’avait pas suffisamment motivé le recours aux décisions des autorités des États-Unis comme fondement des actes litigieux. Toutefois, le Tribunal aurait poursuivi son examen pour autant que ces actes étaient fondés sur la décision du ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni de 2001 et jugé que le Conseil n’avait pas violé les dispositions de la position commune 2001/931, de sorte que cette institution ne pourrait tirer aucun bénéfice de cette contestation de l’arrêt attaqué. Au surplus, ce moyen serait infondé.

 Appréciation de la Cour

36      Aux termes de l’article 169, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, les conclusions d’un pourvoi tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal telle qu’elle figure au dispositif de cette décision.

37      Cette disposition met en œuvre le principe fondamental en matière de pourvoi selon lequel celui-ci doit être dirigé contre le dispositif de la décision du Tribunal et ne peut se borner à viser la modification de certains motifs de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C‑122/16 P, EU:C:2017:861, point 51 et jurisprudence citée).

38      Or, en l’espèce, il convient de constater, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 81 de ses conclusions, que, par le second moyen de son pourvoi, le Conseil, étant donné qu’il a eu gain de cause pour les sept premiers moyens soulevés par le Hamas devant le Tribunal, entend obtenir non pas l’annulation, fût-elle partielle, du dispositif de l’arrêt attaqué, mais seulement la modification de certains de ses motifs concernant ces premier à septième moyens.

39      En effet, ainsi qu’il ressort du point 77 de l’arrêt attaqué, non critiqué par le Conseil dans le cadre de son pourvoi, l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, selon lequel une décision doit avoir été prise par une autorité compétente à l’égard des personnes, groupes et entités visés, n’exige pas que les actes du Conseil se fondent sur une pluralité de décisions d’autorités compétentes. Dès lors, estimant que les actes litigieux pouvaient, en ce qui concerne l’inscription du Hamas sur les listes litigieuses se référer à la seule décision du ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni de 2001, le Tribunal a poursuivi l’examen du recours en limitant cet examen aux actes litigieux en tant que ceux-ci étaient fondés sur cette décision et, accueillant les arguments du Conseil, a rejeté les premier à septième moyens de celui-ci.

40      Il s’ensuit que le second moyen du pourvoi doit être écarté comme étant irrecevable.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

41      Par le premier moyen du pourvoi, le Conseil fait valoir que les actes litigieux ont été dûment authentifiés et que l’analyse du Tribunal effectuée aux points 270 à 305 de l’arrêt attaqué comporte plusieurs erreurs de droit.

42      À cet égard, le Conseil expose, tout d’abord, que ni l’article 297 TFUE ni l’article 15 du règlement intérieur du Conseil n’indiquent que le document contenant l’exposé des motifs d’un acte doit être signé. Ensuite, le Conseil fait observer qu’il a pour pratique, dans la mise en œuvre de la position commune 2001/931, de séparer les actes concernés des exposés des motifs y afférents, conformément à la jurisprudence du Tribunal issue de l’arrêt du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil (T‑228/02, EU:T:2006:384, point 147).

43      Le Conseil considère également que le Tribunal a transposé à tort la jurisprudence issue de l’arrêt Commission/BASF à la présente affaire. En effet, alors que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, diverses modifications avaient été constatées dans l’exposé des motifs de la décision en cause par rapport au texte soumis au collège des commissaires et débattu et adopté par celui-ci, il serait constant que, dans la présente affaire, les actes litigieux, y compris leur exposé des motifs, ont été adoptés par le Conseil au même moment et selon la même procédure décisionnelle, cet exposé des motifs étant indissociable de ces actes, et correspondent à la volonté de celui-ci. Par ailleurs, contrairement à la situation qui était à l’origine de l’arrêt Commission/BASF, le texte de l’exposé des motifs qui a été notifié au Hamas serait identique à l’exposé des motifs adopté par le Conseil.

44      Du reste, les systèmes de traitement des documents utilisés, comportant une signature, un cachet et un horodatage électroniques, auraient rendu impossible leur modification après leur adoption, et la signature apposée par le président du Conseil et son secrétaire général au bas des actes litigieux aurait pour effet d’authentifier ces exposés des motifs. En vertu de ces systèmes, les actes litigieux, y compris les exposés des motifs notifiés au Hamas, seraient stables et inaltérables, en particulier s’agissant de leur auteur et de leur contenu dans toutes les langues concernées, le Hamas n’ayant d’ailleurs aucunement soutenu que le texte des exposés des motifs qui lui avaient été adressés différait de celui adopté par le Conseil. Le Conseil ajoute à cet égard que les lettres de notification adressées au Hamas, accompagnant ces exposés des motifs, ont été estampillées par le secrétariat général de cette institution.

45      Le Hamas estime que le premier moyen doit être rejeté comme étant irrecevable et, en tout état de cause, non fondé.

46      À cet égard, le Hamas soutient que l’argumentation du Conseil selon laquelle la jurisprudence issue de l’arrêt Commission/BASF n’est pas transposable en l’espèce, en raison de sa pratique de mise en œuvre de la position commune 2001/931, des différences existant avec l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt et de l’utilisation de systèmes de gestion intégrés des documents est irrecevable. En effet, le Conseil n’identifierait pas, de façon précise, les éléments critiqués de l’arrêt attaqué et n’exposerait pas en quoi son argumentaire contredit les motifs de cet arrêt.

47      Sur le fond, le Hamas fait valoir que le Tribunal a considéré à bon droit que, la motivation d’un acte étant indissociable de son dispositif, l’authentification doit porter non seulement sur le dispositif mais aussi sur les motifs de celui-ci. Le Conseil non seulement méconnaîtrait la jurisprudence issue de l’arrêt Commission/BASF mais se contredirait dans la mesure où il admettrait lui-même ce caractère indissociable. Le Hamas ajoute que, l’article 297 TFUE et l’article 15 du règlement intérieur du Conseil ne prévoyant pas de dérogation aux règles d’authentification, il incombe au Conseil de mettre en place des procédures permettant de satisfaire à ces règles dans le cadre de la position commune 2001/931.

48      En outre, le Tribunal aurait rappelé à juste titre, d’une part, que la signature prévue par lesdites dispositions vise notamment à permettre aux tiers de s’assurer que les actes qui leur ont été notifiés ont bien été adoptés par l’institution concernée et, d’autre part, que la violation d’une forme substantielle est constituée par le seul défaut d’authentification d’un acte. Du point de vue des tiers, le déroulement de la procédure au sein du Conseil serait indifférent, le seul élément important étant que l’acte les concernant soit authentifié, tant dans ses motifs que dans son dispositif. Or, en l’espèce, les exposés des motifs relatifs aux actes litigieux qui ont été communiqués au Hamas ne comporteraient pas de signature ni même de date qui permettraient de les identifier comme étant des actes émanant du Conseil et de déterminer le moment auquel ils ont été adoptés. Par ailleurs, le Conseil n’aurait pas fait valoir qu’il lui était impossible de procéder à l’authentification des exposés des motifs en cause. Ses arguments relatifs au déroulement de cette procédure seraient donc inopérants et infondés, comme serait inopérant le fait que les exposés des motifs communiqués au Hamas sont conformes à ceux adoptés par le Conseil.

49      Le Hamas avance également que la signature, le cachet et l’horodatage électroniques ne sont prévus ni à l’article 297 TFUE ni à l’article 15 du règlement intérieur du Conseil et que, dès lors que ce dernier communique les exposés des motifs par courrier postal, en plus de l’envoi électronique, il ne peut pas se prévaloir d’une signature électronique. Enfin, le Hamas expose qu’il n’a aucune certitude que les exposés des motifs qui lui ont été communiqués étaient authentiques.

 Appréciation de la Cour

50      À titre liminaire, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les points critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2020, Hamas/Conseil, C‑122/19 P, non publié, EU:C:2020:690, point 26 et jurisprudence citée).

51      En l’occurrence, contrairement à ce que soutient le Hamas, le pourvoi indique de façon précise les points critiqués de l’arrêt attaqué dans le cadre du premier moyen, et expose les motifs pour lesquels ces points seraient, selon le Conseil, entachés d’une erreur de droit, permettant à la Cour d’exercer son contrôle de légalité.

52      En outre, pour autant que le Hamas reproche au Conseil de se borner à répéter les arguments qu’il a exposés devant le Tribunal et de demander, ainsi, un simple réexamen de ces arguments, il y a lieu de relever que, par son premier moyen de pourvoi, le Conseil conteste l’interprétation et l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, ayant conduit celui-ci à constater, nonobstant l’argumentation du Conseil avancée devant lui, la violation d’une forme substantielle lors de l’adoption des actes litigieux.

53      Or, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 31 janvier 2019, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, C‑225/17 P, EU:C:2019:82, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

54      Il s’ensuit que le premier moyen du pourvoi est recevable.

55      Quant au bien-fondé de ce moyen, il y a lieu de relever, en premier lieu, que le principe de sécurité juridique exige que tout acte de l’administration produisant des effets juridiques soit certain notamment quant à son auteur et à son contenu. Le contrôle du respect de la formalité de l’authentification et, ainsi, du caractère certain de l’acte est un préalable à tout autre contrôle tel que celui de la compétence de l’auteur de l’acte, du respect du principe de la collégialité ou encore celui du respect de l’obligation de motiver les actes (arrêt du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, points 45 et 46).

56      L’authentification constituant une formalité substantielle, sa violation peut entraîner l’annulation de l’acte concerné et être soulevée d’office par le juge (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 152 et jurisprudence citée).

57      En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la signature manuscrite d’un acte, notamment par le président de l’institution qui l’a adopté, constitue un moyen d’authentification de celui-ci, ayant pour but d’assurer la sécurité juridique en figeant, dans les langues faisant foi, le texte adopté par cette institution. Une telle authentification permet ainsi de vérifier, en cas de contestation, la correspondance parfaite des textes notifiés ou publiés avec ce dernier et, par là même, avec la volonté de leur auteur (voir, en ce sens, arrêt Commission/BASF, points 74 et 75).

58      La Cour a néanmoins jugé, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU (C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, points 66 et 163), que l’authentification des actes d’un organisme de l’Union pouvait dépendre de l’application de procédures internes spécifiques mises en place à cette fin par cet organisme et que, dans cette affaire, la signature manuscrite apposée par la présidente du Conseil de résolution unique (CRU) sur une fiche d’acheminement renvoyant notamment à une annexe de la décision de cet organisme en cause dans ladite affaire était suffisante, au regard de l’ensemble des éléments portés à la connaissance de la Cour, pour garantir l’authentification de ladite annexe.

59      En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’arrêt Commission/BASF, la Cour a, certes, rappelé, au point 67 de cet arrêt, que le dispositif et la motivation d’une décision constituent un tout indivisible et constaté, au point 77 dudit arrêt, que la décision en cause, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE, n’avait pas fait l’objet d’une authentification dans les conditions prévues à l’article 12, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, alors en vigueur, selon lequel « [l]es actes adoptés par la Commission [...] sont authentifiés, dans la ou les langues où ils font foi, par les signatures du président et du secrétaire exécutif », en raison de l’absence de correspondance entre, d’une part, le texte adopté par le collège des commissaires et, d’autre part, le texte de la même décision telle que publiée et notifiée à ses destinataires, ainsi que de l’existence de différences entre les versions linguistiques du texte adopté par ce collège.

60      Toutefois, d’une part, il est constant que, ainsi que le Tribunal l’a constaté en substance au point 279 de l’arrêt attaqué, les actes litigieux sont, à la différence de la décision en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/BASF, revêtus de la signature du président de l’institution qui les a adoptés, à savoir le Conseil, et de son secrétaire général. Or, lesdits actes, tels qu’ils ont été publiés, comportent une motivation générale justifiant leur adoption, selon laquelle, ainsi qu’il ressort des points 14, 15 et 21 du présent arrêt, le Conseil, après réexamen, a conclu que les personnes, groupes et entités figurant sur les listes litigieuses devaient continuer à faire l’objet de mesures restrictives.

61      D’autre part, dans l’arrêt Commission/BASF, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, la question soulevée n’était pas celle de savoir si l’intégralité de la motivation d’un acte doit être authentifiée au moyen d’une signature manuscrite lorsqu’une partie de cette motivation figure dans un document distinct, auquel se rattache ledit acte, mais celle de l’absence de correspondance entre, d’une part, le texte d’une décision adoptée par le collège des commissaires et, d’autre part, le texte de la même décision telle que publiée et notifiée à certains destinataires, ainsi que de l’existence de différences entre les versions linguistiques du texte adopté par ce collège.

62      Au regard de ces divers éléments, les considérations de la Cour dans l’arrêt Commission/BASF ne sauraient être transposées à la présente affaire. Par conséquent, c’est à tort que le Tribunal a écarté l’argument tiré de la différence de contexte factuel avec cet arrêt invoqué par le Conseil, visé au point 298 de l’arrêt attaqué.

63      Il importe ainsi de déterminer, en troisième lieu, si l’article 297, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE et l’article 15 du règlement intérieur du Conseil imposent, s’agissant d’actes tels que les actes litigieux, la signature non seulement de l’acte lui-même assorti d’une motivation générale, qui a fait l’objet d’une publication, mais également de l’exposé des motifs spécifiant les raisons individuelles de la mesure de gel de fonds adoptée à l’égard de la personne ou de l’entité concernée, qui a été notifié à cette dernière dans un document distinct.

64      Aux termes de l’article 297, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE, les actes non législatifs adoptés sous la forme de règlements, de directives et de décisions, lorsque ces dernières n’indiquent pas de destinataire, sont signés par le président de l’institution qui les a adoptés. Quant à l’article 297, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, il dispose, entre autres, que les règlements et les décisions, lorsque ces dernières n’indiquent pas de destinataire, sont publiés au Journal officiel de l’Union européenne. Enfin, conformément à l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, les décisions qui désignent un destinataire sont pour leur part uniquement soumises à une obligation de notification.

65      S’agissant du cas particulier des actes prévoyant des mesures restrictives tels que les actes litigieux, la Cour a déjà jugé que de tels actes présentent une nature particulière en ce qu’ils s’apparentent, à la fois, à des actes de portée générale, dans la mesure où ils interdisent à une catégorie de destinataires déterminés de manière générale et abstraite, notamment, de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition des personnes et des entités dont les noms figurent sur les listes contenues dans leurs annexes, et à un faisceau de décisions individuelles à l’égard de ces personnes et entités (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, points 241 à 244, ainsi que du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C‑478/11 P à C‑482/11 P, EU:C:2013:258, point 56).

66      Ainsi, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 55 de ses conclusions, il découle de la règle énoncée à l’article 297, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE que des actes tels que les actes litigieux, qui constituent des actes non législatifs adoptés sous la forme soit de règlements, soit de décisions n’indiquant pas de destinataire, doivent être signés par le président du Conseil, dans la mesure où ils s’apparentent à des actes de portée générale, au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent.

67      En l’occurrence, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 60 du présent arrêt, les actes litigieux, tels qu’ils ont été publiés au Journal officiel de l’Union européenne, ont bien été signés par le président du Conseil, de même que, ainsi que l’exige l’article 15 du règlement intérieur de cette institution, par son secrétaire général.

68      En revanche, pour autant que les actes litigieux s’apparentent à un faisceau de décisions individuelles, ils ne sont pas soumis à l’obligation de signature par le président du Conseil, découlant de l’article 297, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE, mais uniquement à l’obligation de notification découlant de l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, qui vise, ainsi qu’il a été rappelé au point 64 du présent arrêt, les décisions qui désignent un destinataire et présentent ainsi un caractère individuel.

69      Or, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 56 de ses conclusions, les exposés des motifs accompagnant l’inscription d’une personne, d’un groupe ou d’une entité sur les listes de personnes, groupes et entités visés par des mesures restrictives concernent les motifs individuels justifiant une telle inscription. Partant, ces exposés des motifs, tels que ceux accompagnant les actes litigieux et notifiés au Hamas, relèvent non pas de la nature générale de ces actes mais de l’aspect de ceux-ci les apparentant à un faisceau de décisions individuelles.

70      Il découle de l’analyse qui précède que, s’agissant d’actes instituant ou maintenant des mesures restrictives, tels que les actes litigieux, contrairement aux considérations exposées par le Tribunal au point 288 de l’arrêt attaqué, l’article 297, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE ne fait pas obligation au président du Conseil de signer, en plus de l’acte comportant une motivation à caractère général de ces mesures restrictives, l’exposé des motifs individuels justifiant l’inscription d’une personne, d’un groupe ou d’une entité sur les listes de personnes, groupes et entités visés par celles-ci. Il suffit que cet exposé des motifs soit dûment authentifié par d’autres moyens.

71      Il en est de même de l’article 15 du règlement intérieur du Conseil.

72      À cet égard, en se bornant à préciser que le « texte » des actes adoptés par le Conseil doit être revêtu de la signature du président et du secrétaire général de cette institution, cet article ne précise pas ce que recouvre ce terme.

73      Or, il découle du préambule de la décision 2009/937, en substance, que le règlement intérieur du Conseil a été adopté en vue de tenir compte des adaptations apportées par le traité de Lisbonne aux dispositions du droit primaire de l’Union relatives au fonctionnement du Conseil et de sa présidence ainsi qu’au déroulement de la procédure d’adoption d’actes par ceux-ci. Il s’ensuit que l’article 15 dudit règlement, portant notamment sur la signature des actes du Conseil, doit être interprété à la lumière des dispositions pertinentes des traités concernant ce fonctionnement et cette procédure, au rang desquelles figure l’article 297 TFUE. Ledit article 15 ne saurait par conséquent être interprété en ce sens qu’il impose au président et au secrétaire général de cette institution une exigence de signature plus stricte que celle découlant de l’article 297, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE.

74      Il convient d’ajouter que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal aux points 281 à 283 de l’arrêt attaqué, une telle obligation formelle de signature de l’exposé des motifs individuels ne saurait non plus être déduite de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE. En effet, cette disposition impose que la motivation fasse apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle, cette motivation devant être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté (arrêt du 31 janvier 2019, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, C‑225/17 P, EU:C:2019:82, points 68 et 69 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée au point 55 du présent arrêt, ces exigences ne sauraient être confondues avec celles tenant à l’authentification d’un acte de l’Union, le contrôle du respect de cette dernière formalité étant un préalable à tout autre contrôle de cet acte.

75      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 283 et 305 de l’arrêt attaqué, que, les exposés des motifs se rapportant au maintien du Hamas sur les listes annexées aux actes litigieux n’ayant pas été signés par le président et le secrétaire général du Conseil, il convenait d’accueillir le huitième moyen soulevé devant lui et d’annuler les actes litigieux, en tant qu’ils concernaient cette organisation.

76      Il s’ensuit que le premier moyen du pourvoi est fondé et que l’arrêt attaqué doit être annulé en tant qu’il accueille le huitième moyen invoqué en première instance, annule les actes litigieux en conséquence et statue sur les dépens.

 Sur le recours devant le Tribunal

77      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

78      En l’espèce, le recours tendant à l’annulation des actes litigieux, introduit par le Hamas en première instance, est en état d’être jugé et il convient, dès lors, de statuer définitivement sur celui-ci, dans la limite du litige dont la Cour reste saisie (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 108).

79      Dans ce recours, le Hamas a invoqué huit moyens, tels que mentionnés au point 24 du présent arrêt.

80      S’agissant des sept premiers moyens, le Tribunal les a écartés et, ainsi qu’il ressort des points 36 à 40 du présent arrêt, le second moyen du présent pourvoi, visant à obtenir la modification de certains des motifs de l’arrêt attaqué concernant lesdits moyens, est irrecevable.

81      En outre, il est constant que le Hamas n’a pas contesté, dans le cadre d’un pourvoi incident, le bien-fondé de cette partie de l’arrêt attaqué, de sorte que l’annulation de cet arrêt, prononcée par la Cour, ne remet pas en cause ce dernier en tant que le Tribunal a rejeté ces moyens (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 109).

82      En effet, il y a lieu de rappeler que le Hamas aurait pu introduire un pourvoi incident remettant en cause le rejet, par le Tribunal, de ces sept premiers moyens avancés en première instance, puisque l’article 178, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que les conclusions du pourvoi incident tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal, sans limiter la portée de ces conclusions à la décision du Tribunal telle qu’elle figure au dispositif de cette décision, à la différence de l’article 169, paragraphe 1, de ce règlement, relatif aux conclusions du pourvoi. En l’absence d’un tel pourvoi incident, l’arrêt attaqué est dès lors revêtu de l’autorité de la chose jugée dans la mesure où le Tribunal a rejeté les sept premiers moyens (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 110).

83      Quant au huitième moyen, tiré du défaut d’authentification des exposés des motifs des actes litigieux, il y a lieu de relever que le Conseil a produit les copies des différents documents transmis conjointement par voie électronique aux délégations des États membres appelées à voter ainsi que les captures d’écran comportant la signature et le cachet électroniques du secrétariat général du Conseil, outre un horodatage confirmant la date et l’heure de cette signature, démontrant que ces exposés des motifs avaient été adoptés, dans le cadre de la procédure écrite prévue à l’article 12, paragraphe 1, du règlement intérieur du Conseil, simultanément aux actes litigieux signés par le président et le secrétaire général du Conseil, auxquels ils étaient joints, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 63 de ses conclusions, de manière indissociable.

84      En outre, le Hamas n’invoque aucun indice ni élément précis de nature à mettre en cause la correspondance parfaite entre le texte des exposés des motifs qui lui ont été notifiés et celui adopté par le Conseil. Dans ces conditions et au regard également des considérations figurant aux points 63 à 74 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que l’authenticité de ces exposés des motifs n’a pas été valablement mise en cause et, partant, de rejeter le huitième moyen comme étant non fondé.

85      Il s’ensuit qu’il convient de rejeter, dans son ensemble, le recours formé par le Hamas.

 Sur les dépens

86      Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. L’article 138 de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose, à son paragraphe 1, que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

87      Le Conseil ayant conclu à la condamnation du Hamas et ce dernier ayant succombé, il convient de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil à l’occasion du présent pourvoi ainsi que ceux exposés en première instance.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 4 septembre 2019, Hamas/Conseil (T308/18, EU:T:2019:557), est annulé en tant qu’il accueille le huitième moyen invoqué en première instance et annule la décision (PESC) 2018/475 du Conseil, du 21 mars 2018, portant mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et abrogeant la décision (PESC) 2017/1426, le règlement d’exécution (UE) 2018/468 du Conseil, du 21 mars 2018, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2017/1420, la décision (PESC) 2018/1084 du Conseil, du 30 juillet 2018, portant mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et abrogeant la décision (PESC) 2018/475, et le règlement d’exécution (UE) 2018/1071 du Conseil, du 30 juillet 2018, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2018/468, en tant que lesdits actes concernent le Hamas, y compris le Hamas-Izz al-Din al-Qassem.

2)      Le recours introduit dans l’affaire T308/18 par le Hamas est rejeté. 

3)      Le Hamas est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne à l’occasion du présent pourvoi ainsi que ceux exposés en première instance.

Lenaerts

Prechal

Regan

Rodin

Jarukaitis

von Danwitz

Safjan

Biltgen

Xuereb

Piçarra

 

      Rossi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 novembre 2021.

Le greffier

 

Le président

A. Calot Escobar

 

K. Lenaerts


*      Langue de procédure : le français.