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ORDONNANCE DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

7 mai 2024 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Santé publique – Certificat COVID numérique de l’UE – Manœuvres dolosives – Absence d’informations – Préjudice moral – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑1174/23,

Philippe Pelletier, demeurant à Antony (France), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Me D. Protat, avocate,

parties requérantes,

contre

Commission européenne,

et

Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne (AESA),

parties défenderesses,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de M. L. Truchot (rapporteur), président, Mme R. Frendo et M. M. Sampol Pucurull, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur recours fondé sur l’article 268 TFUE, les requérants, M. Philippe Pelletier et les autres personnes physiques dont les noms figurent en annexe, demandent réparation du préjudice moral qu’ils auraient subis du fait de comportements imputables à la Commission européenne et à l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne (AESA).

 Antécédents du litige

2        Les requérants sont membres du personnel navigant technique et commercial de différentes compagnies aériennes ayant leur base d’exploitation en France. Certains ont été vaccinés contre la COVID-19, tandis que d’autres ne l’ont pas été.

3        Le 14 juin 2021, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le règlement (UE) 2021/953 relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l’acceptation de certificats COVID-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement (certificat COVID numérique de l’UE) afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de COVID-19 (JO 2021, L 211, p. 1). Ce règlement était initialement d’application du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022.

4        Le règlement 2021/953 a été modifié en dernier lieu par le règlement (UE) 2022/1034 du Parlement européen et du Conseil, du 29 juin 2022 (JO 2022, L 173, p. 37). Son application a ainsi été prolongée jusqu’au 30 juin 2023.

5        Le 18 octobre 2021, le 15 mars et le 22 décembre 2022, la Commission a remis au Parlement européen trois rapports sur l’application du règlement 2021/953.

6        Par lettre du 22 juillet 2022, les requérants ont interrogé l’AESA sur la compatibilité de la vaccination contre la COVID-19 avec le droit de l’Union européenne et notamment avec les recommandations de l’AESA regroupées dans le guide concernant le recours aux médicaments dans l’environnement aéronautique et lui ont demandé de lui communiquer certaines informations.

7        Par lettre du 2 septembre 2022, l’AESA a répondu aux requérants en rappelant que sa compétence était limitée à l’adoption de recommandations non-contraignantes et qu’il ne lui revenait pas de proposer des règles de droit concernant la vaccination des personnels navigants. Dans sa lettre, elle a également rappelé les preuves scientifiques liées à la vaccination et à ses effets secondaires qui constituaient le fondement de l’adoption des recommandations de l’AESA regroupées dans le guide concernant le recours aux médicaments dans l’environnement aéronautique. Enfin, elle a précisé qu’elle ne disposait pas de statistiques concernant les données médicales des personnels navigants.

8        Le 2 décembre 2022, un accord a été conclu entre la membre de la Commission chargée de la santé et de la sécurité alimentaire et le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en vue de renforcer la coopération stratégique sur les questions de santé mondiale.

9        Le 27 juin 2023, le Conseil a adopté la recommandation (UE) 2023/1339 relative à l’adhésion au réseau mondial de certification sanitaire numérique mis en place par l’OMS et à des dispositions temporaires visant à faciliter les voyages internationaux eu égard à l’expiration du règlement 2021/953 (JO 2023, L 166, p. 177).

 Conclusions des requérants

10      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        juger que la Commission et l’AESA ont recouru à des manœuvres dolosives aux fins de la mise en place du certificat COVID numérique de l’UE (ci-après le « certificat COVID-19 ») ;

–        juger que l’Union a engagé sa responsabilité extracontractuelle du fait de comportements reprochés à la Commission et à l’AESA ;

–        condamner l’Union à verser à chaque requérant la somme de 50 000 euros à titre de préjudice moral ;

–        condamner la Commission et l’AESA aux dépens.

 En droit

11      Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou que celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sur proposition du juge rapporteur, à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

12      En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide, en application de l’article 126 du règlement de procédure, de statuer sans poursuivre la procédure.

13      Au soutien de leur recours, d’abord, les requérants reprochent à la Commission d’avoir « imposé aux États membres par dol le certificat COVID-19 » en violation du principe d’égalité de traitement et du « droit à la transparence ». Ensuite, ils lui reprochent la conclusion de l’accord avec l’OMS du 2 décembre 2022, en violation manifeste et grave des limites qui s’imposent à la Commission dans l’exercice de ses pouvoirs et l’adoption par le Conseil de la recommandation 2023/1339 en violation du principe d’égalité de traitement. En outre, ils dénoncent la dissimulation par les institutions de l’Union d’informations, ce qui aurait constitué une atteinte au « droit à un consentement libre et éclairé » et au « droit à disposer de [son] corps ». Enfin, ils reprochent à l’AESA d’avoir « failli dans sa mission d’assurer la sécurité aérienne en laissant se mettre en œuvre le certificat COVID-19 ».

14      L’ensemble de ces comportements seraient à l’origine d’un préjudice moral subi par chacun de ceux des requérants qui se sont fait vacciner contre la COVID-19, lequel consisterait en un préjudice d’anxiété et en un préjudice lié à la santé résultant du développement d’effets secondaires. Ces comportements seraient également à l’origine d’un préjudice moral subi par chacun de ceux des requérants qui ne sont pas vaccinés, lequel consisterait en une obligation de subir des tests de dépistage très fréquents et une « ostracisation » dont ils auraient été victimes dans leur profession et leur vie sociale.

15      En outre, ainsi qu’il ressort des points 55, 60 et 72 à 74 de la requête, les requérants soutiennent que la Commission et l’AESA ont recouru à des manœuvres dolosives aux fins de la mise en place du certificat COVID‑19, en tant qu’illégalité justifiant l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union et, par conséquent, qu’il soit fait droit à leurs conclusions indemnitaires. Ainsi, il convient d’interpréter conjointement les trois premiers chefs de conclusions des requérants rappelés au point 10 ci-dessus comme des conclusions indemnitaires.

16      Il y a lieu de rappeler que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution concernée, qui doit constituer une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 42).

17      Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (voir arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne, C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672, point 148 et jurisprudence citée). En outre, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, points 13 à 15).

18      En l’espèce, il convient d’examiner la condition relative à la réalité du dommage invoqué.

19      Il ressort de la jurisprudence qu’il est nécessaire que le préjudice allégué par la partie requérante soit réel et certain, ce qu’il lui appartient de prouver (voir arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, EU:C:2006:708, point 27 et jurisprudence citée) en apportant des preuves concluantes tant de son existence que de son étendue (voir arrêt du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, non publié, EU:C:2009:461, point 36 et jurisprudence citée).

20      En outre, la partie requérante doit établir que le préjudice qu’elle allègue l’atteint personnellement (voir ordonnance du 20 janvier 2021, Löning/Union européenne, T‑543/20, non publiée, EU:T:2021:31, point 11 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 9 novembre 1989, Briantex et Di Domenico/CEE et Commission, 353/88, EU:C:1989:415, point 6).

 Sur le préjudice subi par les requérants qui se sont fait vacciner

21      En premier lieu, les requérants soutiennent que ceux d’entre eux qui se sont fait vacciner ont subi un préjudice d’anxiété qui a consisté en une « situation d’inquiétude permanente face au risque de déclarer à tout moment une maladie » à la suite de l’administration du vaccin contre la COVID-19, en raison de l’absence de connaissance des effets secondaires à moyen et long terme de ce vaccin.

22      Il convient de relever que, selon la jurisprudence, la seule affirmation de l’existence de craintes pour sa santé est insuffisante pour établir qu’un requérant ressent réellement de telles craintes au point que cela affecte suffisamment ses conditions d’existence pour qu’un dommage puisse être reconnu à ce titre (voir ordonnance du 20 juillet 2023, Baldan/Commission, T‑276/23, non publiée, EU:T:2023:411, point 14 et jurisprudence citée).

23      En l’espèce, les requérants qui se sont fait vacciner s’étant bornés à invoquer l’existence d’une inquiétude permanente face au risque de déclarer à tout moment une maladie, un dommage ne saurait être reconnu à ce titre.

24      En second lieu, les requérants font valoir que ceux d’entre eux qui se sont fait vacciner ont développé des effets secondaires à la suite de cette vaccination. Ils soutiennent, en substance, que de tels effets ont affecté leur état de santé.

25      Au soutien de leur allégation, les requérants citent l’extrait du procès-verbal d’une audition des requérants devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques du Sénat français. Dans cet extrait, l’une des requérantes, Mme Véronique Monts de Savasse, aurait décrit les effets secondaires qu’elle aurait subis à la suite de sa vaccination contre la COVID-19.

26      Ainsi qu’il a été rappelé au point 19 ci-dessus, il appartient à la partie requérante de prouver que le préjudice allégué est réel et certain en apportant des preuves concluantes tant de son existence que de son étendue.

27      Il convient de relever que, à l’exception de ceux qu’aurait subis Mme Monts de Savasse, la nature des effets secondaires que les requérants vaccinés auraient subis n’est pas décrite, même brièvement, dans la requête.

28      Ainsi, s’agissant des effets secondaires subis par cette catégorie de requérants, les requérants se bornant à formuler une argumentation générale sans apporter aucune précision sur les caractéristiques des effets secondaires allégués, ni produire une quelconque preuve de nature à démontrer l’existence d’une atteinte à leur santé qui résulterait d’effets secondaires provoqués par la vaccination contre la COVID-19, le Tribunal n’est pas en mesure de constater la réalité, ni l’étendue, du préjudice dont se prévalent ceux des requérants, à l’exception de Mme Monts de Savasse, qui se sont fait vacciner.

29      S’agissant des effets secondaires allégués par Mme Monts de Savasse, il convient de relever que, certes, il ressort des pages Internet auxquelles renvoient les hyperliens cités par le procès-verbal de constat joint en annexe de la requête que celle-ci figure parmi les témoins entendus par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques du Sénat français. Néanmoins, le compte-rendu des propos tenus lors de son audition ne figure ni dans ledit procès-verbal ni sur lesdites pages Internet.

30      En outre, indépendamment de l’absence de production de ce compte-rendu dans son intégralité, il ressort de la requête que l’extrait de ce document cité par les requérants se borne à reprendre le témoignage de Mme Monts de Savasse elle-même.

31      Or, il convient de rappeler que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre appréciation des preuves dont il découle, que, dès lors qu’un élément de preuve a été obtenu régulièrement, le seul critère pertinent pour apprécier la force probante des preuves régulièrement produites réside dans leur crédibilité (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 65 et jurisprudence citée).

32      En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il convient de vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et de tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et de se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 16 mai 2019, GMPO/Commission, T‑733/17, EU:T:2019:334, point 60 et jurisprudence citée).

33      À ce titre, il convient de relever que le témoignage de la partie requérante invoqué par elle-même au soutien de son propre recours ne dispose que d’une faible valeur probante (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 259, et du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 116).

34      Ainsi, étant donné sa faible valeur probante, il ne saurait être considéré, en l’absence de tout autre élément de preuve, que le simple témoignage de cette requérante constitue une preuve concluante de l’existence et des caractéristiques des effets secondaires allégués et, par conséquent, de l’existence et de l’étendue du préjudice allégué.

35      Dès lors, la condition tenant à l’existence d’un préjudice réel et certain subi par les requérants qui se sont fait vacciner n’est pas remplie.

 Sur le préjudice subi par les requérants qui ne sont pas vaccinés

36      Les requérants soutiennent que ceux d’entre eux qui ne sont pas vaccinés ont subi un préjudice moral. Les comportements litigieux auraient contraint ceux d’entre eux qui ne sont pas vaccinés à subir des tests de dépistage très fréquents. Ils auraient également subi une « ostracisation » tant dans leur profession que dans leur vie sociale.

37      D’une part, s’agissant de l’obligation de subir des tests de dépistage très fréquents à laquelle cette catégorie de requérants a été soumis, il convient de relever que les requérants n’ont pas exposé les raisons pour lesquelles une telle obligation serait constitutive d’un préjudice moral, ni décrit le préjudice moral qui résulterait d’une telle obligation. Ainsi, ils n’ont pas démontré l’existence d’un préjudice réel, personnel et certain à ce titre.

38      D’autre part, s’agissant de l’« ostracisation » prétendument subie par cette catégorie de requérants dans leur vie professionnelle et sociale, il convient de relever que les requérants ne démontrent pas l’existence de cette ostracisation, ni ne précisent la forme que cette mise à l’écart, à supposer son existence établie, a pu prendre.

39      Ainsi, l’argumentation des requérants à ce titre n’est pas assortie des éléments de preuve permettant au Tribunal de constater l’existence d’un préjudice moral résultant des comportements reprochés à l’institution et à l’agence concernées.

40      Il ressort de ce qui précède que la condition d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union relative à la réalité du dommage allégué n’est pas remplie.

41      Il y a donc lieu de rejeter le recours dans son ensemble comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions.

 Sur les dépens

42      La présente ordonnance étant adoptée avant la signification de la requête à la Commission et à l’AESA et avant que celles-ci n’aient pu exposer des dépens, il suffit de décider que les requérants supporteront leurs propres dépens, conformément à l’article 133 du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

2)      M. Philippe Pelletier et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnés aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 7 mai 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

L. Truchot


*      Langue de procédure : le français.


1       La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.