Language of document : ECLI:EU:C:2021:686

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 2 septembre 2021 (1)

Affaire C262/20

VB

contre

Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » kam Ministerstvo na vatreshnite raboti

[demande de décision préjudicielle formée par le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Organisation des horaires de travail – Directive 2003/88/CE – Limitation de la durée du travail de nuit – Travailleurs des secteurs public et privé – Égalité de traitement »






1.        En vue d’assurer la pleine efficacité de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, qui sont les objectifs poursuivis par la directive 2003/88/CE (2), est-il nécessaire que les États membres prévoient que la durée normale du travail de nuit des pompiers soit inférieure à la durée normale prévue pour le travail de jour ? Une législation nationale qui fixe la durée maximale du travail de nuit à sept heures pour les seuls travailleurs du secteur privé est-elle compatible avec les dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») ? Enfin, est-il nécessaire que les États membres prévoient expressément la durée normale du travail nocturne également pour les agents du secteur public ?

2.        Telles sont en substance les questions soulevées dans la demande de décision préjudicielle introduite par le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit, Bulgarie), objet de la présente procédure, qui fournissent à la Cour l’occasion d’apporter des précisions sur la question des limites au travail de nuit, en référence à la directive 2003/88, mais également à certaines dispositions de la Charte (en particulier les articles 20 et 31), notamment au regard des règles en vigueur dans les États membres pour les secteurs privé et public.

3.        Dans les présentes conclusions, j’exposerai les raisons pour lesquelles j’estime que la directive 2003/88 laisse aux États membres un large pouvoir d’appréciation pour ce qui concerne la réglementation du travail de nuit, sans préjudice des exigences minimales imposées par la directive en question, qui a pour objectif d’assurer la pleine effectivité de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        L’article 6, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne dispose que la Charte « a la même valeur juridique que les traités ».

5.        L’article 20 de la Charte dispose :

« Toutes les personnes sont égales en droit. »

6.        L’article 31 de la Charte, intitulé « Conditions de travail justes et équitables », prévoit :

« 1.      Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.

2.      Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés. »

7.        Les considérants 7, 8 et 10 de la directive 2003/88 sont ainsi énoncés :

« (7)      Des études ont démontré que l’organisme humain est plus sensible pendant la nuit aux perturbations environnementales et à certaines formes pénibles d’organisation du travail et que de longues périodes de travail de nuit sont préjudiciables à la santé des travailleurs et peuvent compromettre leur sécurité au travail.

(8)      Il y a lieu de limiter la durée du travail de nuit, y compris les heures supplémentaires, et de prévoir que, en cas de recours régulier à des travailleurs de nuit, l’employeur informe de ce fait les autorités compétentes, sur leur demande.

[...]

(10)      La situation des travailleurs de nuit et des travailleurs postés exige que le niveau de leur protection en matière de sécurité et de santé soit adapté à la nature de leur travail et que les services et moyens de protection et de prévention soient organisés et fonctionnent d’une façon efficace. »

8.        L’article 8 de la directive 2003/88, intitulé « Durée du travail de nuit », dispose :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

а)      le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne dépasse pas huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures ;

b)      les travailleurs de nuit dont le travail comporte des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes ne travaillent pas plus de huit heures au cours d’une période de vingt-quatre heures durant laquelle ils effectuent un travail de nuit.

Aux fins du point b), le travail comportant des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes est défini par les législations et/ou pratiques nationales ou par des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux, compte tenu des effets et des risques inhérents au travail de nuit. »

9.        L’article 12 de la directive 2003/88, intitulé « Protection en matière de sécurité et de santé », dispose :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

а)      les travailleurs de nuit et les travailleurs postés bénéficient d’un niveau de protection en matière de sécurité et de santé, adapté à la nature de leur travail ;

b)      les services ou moyens appropriés de protection et de prévention en matière de sécurité et de santé des travailleurs de nuit et des travailleurs postés soient équivalents à ceux applicables aux autres travailleurs et soient disponibles à tout moment. »

B.      Le droit bulgare

10.      Selon l’article 140 du Kodeks na truda (code du travail) :

« 1.      La durée hebdomadaire normale du travail de nuit pour une semaine de cinq jours ouvrables n’excède pas 35 heures. La durée normale du travail de nuit pour une semaine de cinq jours ouvrables est de sept heures.

2.      Constitue du travail de nuit le travail fourni entre 22 heures et 6 heures, période qui s’étend, pour les travailleurs de moins de 16 ans, de 20 heures à 6 heures.

[...] »

11.      L’article 142 de la Zakon za Ministerstvo na vatreshnite raboti (loi sur le ministère de l’Intérieur, DV no 53, du 27 juin 2014, ci‑après la « ZMVR ») dispose :

« 1.      Les agents du ministère de l’Intérieur sont :

1)      des fonctionnaires de police et fonctionnaires de la sécurité incendie et protection civile ;

2)      des fonctionnaires ;

3)      des personnes employées dans une relation de travail.

[...]

5.      Le statut des personnes employées dans une relation de travail est régi par les modalités et conditions prescrites par le code du travail ainsi que par la présente loi. »

12.      L’article 187 de la ZMVR dispose :

« 1.      La durée normale du temps de travail des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur est de huit heures par jour et 40 heures par semaine pour une semaine de travail de cinq jours.

[...]

3.      Le temps de travail des fonctionnaires est calculé en jour ouvrés sur une base quotidienne et pour ceux effectuant du travail posté de huit, douze ou vingt‑quatre heures, il est comptabilisé sur une période de trois mois. [...] En cas de travail posté, il peut y avoir travail de nuit entre 22 heures et 6 heures, les heures de travail ne devant pas dépasser en moyenne les huit heures sur une période de vingt-quatre heures.

[...]

9.      Les modalités d’organisation et de répartition du temps de travail ainsi que de sa comptabilisation, de la rémunération du travail des fonctionnaires effectué en dehors des heures normales de travail, du régime du service, du temps de repos et des congés sont déterminés par ordonnance du ministre de l’Intérieur. »

13.      L’article 188, paragraphe 2, de la ZMVR dispose :

« Les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur qui travaillent entre 22 heures et 6 heures bénéficient de la protection spéciale prévue par le code du travail. »

14.      Les ordonnances émises par le ministre de l’Intérieur sur le fondement de l’article 187, paragraphe 9, de la ZMVR déterminent les modalités d’aménagement et de répartition du temps de travail, la rémunération du travail effectué en dehors des heures normales de travail, ainsi que les modalités de repos et de pause des agents publics du ministère de l’Intérieur.

15.      Ainsi, l’ordonnance no 8121z-407, du 11 août 2014 (DV no 69, du 19 août 2014, ci‑après l’« ordonnance de 2014 »), prévoyait à son article 31, paragraphe 2, la conversion des heures de travail de nuit en heures de travail de jour par application d’un coefficient multiplicateur ; les heures effectuées entre 22 heures et 6 heures étaient ainsi multipliées par 0,143 et le résultat était ensuite additionné au nombre total d’heures de travail effectuées sur ladite période.

16.      Cette ordonnance a été abrogée par l’ordonnance no 8121h-592, du 25 mai 2015 (DV no 40, du 2 juin 2015), puis par l’ordonnance no 8121h-776, du 29 juillet 2016 (DV no 60, du 2 août 2016), qui ne prévoit plus le système de calcul des heures de travail de nuit défini à l’article 31, paragraphe 2, de l’ordonnance de 2014.

17.      En ce qui concerne les travailleurs autres que ceux du ministère de l’Intérieur, l’article 9, paragraphe 2, de l’ordonnance sur la structure et l’organisation du salaire (DV no 9, du 26 janvier 2007) dispose :

« Lors du calcul du temps de travail accumulé, les heures de nuit sont converties en heures de jour avec un coefficient égal au rapport entre la durée normale du travail de jour et celle du temps de travail de nuit, fixé en vue de tenir la comptabilité quotidienne du temps de travail pour un poste déterminé. »

II.    Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

18.      VB est agent du service local pour la ville de Lukovit (Bulgarie) au sein de la direction générale « Sécurité incendie et protection civile » du ministère de l’Intérieur (ci‑après la « Direction ») et occupe la fonction de « chef d’équipe de garde ».

19.      Durant la période en cause, à savoir du 3 octobre 2016 au 3 octobre 2019, VB a été en service de garde permanente pendant des durées de vingt-quatre heures, lesquelles ont été comptabilisées en les additionnant par période de trois mois. Pour chaque trimestre, toutes les heures supplémentaires effectuées par VB au-delà du temps de travail normal pour chaque période ont été comptabilisées et rémunérées.

20.      Jusqu’au 25 mai 2015, en raison des dispositions nationales alors en vigueur (ordonnance de 2014), le temps de travail de nuit accompli par VB était multiplié par 0,143 et le résultat de ce calcul ajouté au nombre total d’heures travaillées lors de la période considérée ; ainsi, sept heures de travail de nuit étaient comptées comme huit heures de travail effectué.

21.      L’ordonnance no 8121h-592, du 25 mai 2015, qui s’y est substituée ne contient plus de dispositions en ce sens. Par conséquent, à partir du 25 mai 2015, et donc au cours de la période litigieuse, la Direction a décidé de ne plus faire application du mécanisme de conversion des heures de travail de nuit en heures de travail de jour lors de la comptabilisation du temps de travail accompli.

22.      VB a formé un recours devant le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit), juge de premier degré dans l’ordre juridique national et juridiction de renvoi dans la présente affaire, en demandant que la Direction soit condamnée à lui verser, à titre de rémunération des heures supplémentaires travaillées mais non payées, la somme de1 683,74 leva bulgares (BGN), majorée des intérêts de retard légaux.

23.      VB fait valoir que, au cours de la période du 3 octobre 2016 au 3 octobre 2019, il a accompli du travail de nuit pour une durée totale de 1 784 heures, que la Direction était tenue de convertir en heures de service de jour en appliquant un coefficient de 1,143.

24.      Il estime que, à cette fin, la Direction aurait dû appliquer l’article 9, paragraphe 2, de l’ordonnance sur la structure et l’organisation du salaire (3), en vertu de laquelle, en cas de comptabilisation totale du temps de travail, les heures de travail de nuit sont converties en heures de travail de jour au moyen d’un coefficient correspondant au rapport entre la durée normale du travail de jour et la durée du travail de nuit pour le poste de travail concerné.

25.      Dans ces circonstances, le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La protection effective au titre de l’article 12, sous a), de la directive 2003/88 exige-t-elle que la durée normale du travail de nuit des agents de police et des pompiers soit inférieure à la durée normale prévue pour le travail de jour ?

2)      Le principe d’égalité consacré aux articles 20 et 31 de la [Charte] exige-t-il que la durée normale du travail de nuit fixée par le droit national à sept heures pour les travailleurs du secteur privé s’applique également aux travailleurs du secteur public, y compris aux policiers et aux pompiers ?

3)      La réalisation effective de l’objectif énoncé au considérant 8 de la directive 2003/88, consistant à limiter la durée du travail de nuit, suppose‑t‑elle que la législation nationale fixe expressément la durée normale du travail de nuit, y compris pour les agents du secteur public ? »

III. Analyse juridique

A.      Recours à la procédure préjudicielle d’urgence

26.      L’application de la procédure préjudicielle d’urgence a été sollicitée par la juridiction de renvoi en raison du grand nombre d’affaires pendantes devant les tribunaux bulgares semblables à celle en cause au principal et des solutions divergentes retenues par ces tribunaux.

27.      Toutefois, dans la mesure où la présente affaire ne concerne pas l’un des domaines visés au titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, l’article 107, paragraphe 1, du règlement de procédure ne saurait trouver à s’appliquer dans ce cas.

B.      Recevabilité de la demande de décision préjudicielle

28.      La directive 2003/88, fondée sur l’article 153, paragraphe 2, TFUE, se borne à réglementer certains aspects de l’aménagement de l’horaire de travail, afin d’assurer la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et ne s’applique pas, en vertu du paragraphe 5 de cet article, à des aspects relatifs à la rémunération des travailleurs, exception faite de l’hypothèse particulière relative au congé annuel payé, visée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive ; par conséquent, ladite directive, en principe, ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs (4).

29.      Dans l’affaire au principal, la question concerne la détermination du nombre d’heures supplémentaires effectuées de nuit par le requérant, afin d’établir sa rémunération et d’obtenir le paiement des heures impayées.

30.      La solution du litige en cause au principal dépend, selon la juridiction de renvoi, de l’interprétation par la Cour de la notion de « durée du travail de nuit » visée aux articles 8 et 12 de la directive 2003/88, dans le cadre de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.

31.      Comme l’observe à raison la Commission européenne, l’objectif principal des questions préjudicielles posées à la Cour est de déterminer si la réglementation applicable au personnel du ministère de l’Intérieur relative à la durée normale du travail de nuit doit être interprétée au regard des dispositions du code du travail prévues pour les travailleurs du secteur privé et qui fixent la durée normale du travail de nuit à sept heures (ce qui impliquerait la conversion du travail de nuit en travail de jour et aurait une incidence sur la rémunération du requérant). Il existe donc un lien entre les questions préjudicielles et l’objet du litige.

32.      Le fait que le litige au principal porte donc sur une question de rémunération est sans pertinence, étant donné qu’il incombe à la juridiction nationale et non à la Cour de trancher cette question dans le cadre du litige au principal (5).

33.      Compte tenu de la présomption de pertinence des questions préjudicielles, j’estime, par conséquent, que les questions posées à la Cour dans la présente demande de décision préjudicielle appellent une réponse au fond.

C.      Finalité de la directive 2003/88 et marge d’appréciation des États membres

34.      La directive 2003/88 a pour objet de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail sur le lieu de travail, notamment par un rapprochement des réglementations nationales concernant la durée du temps de travail (6).

35.      Pour atteindre ces objectifs, les dispositions de la directive 2003/88 prévoient des périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire, un plafond de quarante-huit heures pour la durée moyenne de la semaine de travail (y compris les heures supplémentaires) et la durée maximale du temps de travail de nuit.

36.      Par ces dispositions, c’est l’article 31 de la Charte qui est mis en œuvre, lequel dispose, à son paragraphe 1, que « [t]out travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité » et, à son paragraphe 2, que « [t]out travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés ». Ce droit se rattache directement au respect de la dignité humaine, qui est protégée plus largement sous le titre 1 de la Charte (7).

37.      Tel est le cadre systématique dans lequel la Cour a jugé que les prescriptions énoncées dans la directive 2003/88 constituent des règles du droit social de l’Union revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé (8).

38.      Parmi ces protections, la fixation d’une limite maximale pour la durée du travail de nuit (9) ne relève pas uniquement de l’intérêt individuel du travailleur, mais également de celui de son employeur, ainsi que de l’intérêt général (10). En particulier, les considérants 7 et 10 de la directive 2003/88 mettent en évidence les conséquences potentiellement préjudiciables du travail de nuit et la nécessité d’en limiter la durée, afin d’assurer un niveau de protection accru en matière de sécurité et de santé des travailleurs.

39.      La Cour a précisé qu’il importait que l’effet utile des droits conférés aux travailleurs par la directive 2003/88 soit intégralement assuré, ce qui implique nécessairement l’obligation pour les États membres de garantir le respect de chacune des prescriptions minimales édictées par cette directive. Cette interprétation est en effet la seule qui soit conforme à l’objectif de la directive 2003/88, qui est de garantir une protection efficace de la sécurité et de la santé des travailleurs, en les faisant bénéficier effectivement des droits que ladite directive leur confère (11).

40.      Les prescriptions énoncées par la directive 2003/88, telles qu’elles viennent d’être décrites, imposent aux États membres des obligations de résultat afin de garantir l’effet utile des droits conférés par celle‑ci aux travailleurs.

41.      Toutefois, il ressort de ladite directive, notamment de son considérant 15, qu’elle accorde également une certaine souplesse dans la mise en œuvre de ses dispositions (12).

42.      Il s’ensuit donc que les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation quant aux modalités de mise en œuvre desdites prescriptions minimales, tout en étant obligés, ainsi qu’il ressort explicitement du même considérant de la directive 2003/88, d’assurer le respect des principes de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs (13).

D.      Les questions préjudicielles

1.      Observations générales

43.      Il ressort de la lecture de la demande de décision préjudicielle que, dans l’État membre dont elle émane, est en cours un débat impliquant différents degrés de juridiction s’agissant du régime applicable au travail de nuit des agents publics du ministère de l’Intérieur et, en particulier, des pompiers, catégorie dont relève le requérant au principal.

44.      Les éléments de fait utiles à l’analyse juridique qui me semblent pouvoir être déduits du dossier sont les suivants.

45.      Le requérant au principal est un membre du corps des pompiers, catégorie qui me semble appartenir à celle des agents du secteur public de la police et du service de sécurité incendie et de protection civile du ministère de l’Intérieur, en vertu de l’article 142 de la ZMVR.

46.      En Bulgarie, il existe une réglementation générale en matière de travail de nuit énoncée dans le code du travail et une réglementation spéciale pour les agents publics du ministère de l’Intérieur (la ZMVR).

47.      La ZMVR régit la relation de travail des employés du ministère de l’Intérieur, à savoir des agents de police et fonctionnaires de la sécurité incendie et de la protection civile, des fonctionnaires et des agents contractuels. Le statut des employés contractuels est régi par les dispositions du code du travail et de la ZMVR (article 142).

48.      La réglementation du temps de travail (y compris de nuit) des agents du secteur public (dont j’estime également qu’ils comprennent la catégorie des pompiers dont relève le requérant au principal) est expressément énoncée à l’article 187 de la ZMVR, lequel renvoie, pour les dispositions, en précisant les modalités d’application, à des ordonnances spécifiques du ministère de l’Intérieur.

49.      La juridiction de renvoi souligne que, en vertu de l’article 187, paragraphe 1, de la ZMVR, la durée normale du temps de travail des employés du ministère est de huit heures par jour. Cette loi spéciale, qui s’applique aux agents publics du ministère de l’Intérieur, ne contient aucune disposition expresse déterminant la durée normale du service de nuit, mais prévoit uniquement la période qu’il convient de considérer comme du travail de nuit, à savoir de 22 heures à 6 heures, de manière analogue à ce que prévoit le code du travail.

50.      Toutefois, la juridiction de renvoi observe en outre que l’article 188, paragraphe 2, de la ZMVR renvoie expressément à la protection prévue par le code du travail, lequel établit un temps de travail de nuit plus court, à savoir n’excédant pas sept heures.

51.      La juridiction de renvoi relève par ailleurs que le libellé de l’article 187, paragraphe 3, de la ZMVR ne prévoit pas une durée normale de travail de nuit de huit heures, mais se borne à préciser que, en cas de travail posté, comme en l’espèce, le travail de nuit entre 22 heures et 6 heures est également licite, à condition que le temps de travail ne soit pas, en moyenne, supérieur à huit heures sur une période de vingt-quatre heures.

52.      Ainsi, la juridiction de renvoi estime que la durée normale du travail de nuit pour les agents publics du ministère de l’Intérieur devrait être de sept heures, afin que ces derniers ne fassent pas l’objet d’un traitement moins favorable que les employés du secteur privé.

53.      La juridiction de renvoi indique que l’interprétation du droit national décrite ci‑dessus a été rejetée par la juridiction d’appel, l’Okrazhen sad Lovech (tribunal régional de Lovech, Bulgarie), qui, semble-t-il, dans une affaire comme celle en cause au principal, représente le dernier degré de juridiction dans le système national.

54.      La position de fond de la juridiction d’appel, exprimée dans les arrêts qu’elle a rendus dans le cadre de demandes identiques du personnel de police et des pompiers, repose sur deux arguments principaux.

55.      La première considération est que l’absence, dans les dispositions juridiques de rang inférieur adoptées à la suite de l’abrogation de l’ordonnance de 2014, d’une réglementation prévoyant la conversion des heures de travail de nuit en heures de travail de jour selon un rapport de 7 à 8, procède d’une décision du législateur et ne constitue pas un vide juridique. Il est également précisé que le caractère incertain d’une telle solution juridique pourrait conduire le législateur à s’en écarter ou à la modifier à l’avenir, mais que cette incertitude ne saurait constituer un argument en faveur d’une application d’une telle règle par analogie.

56.      Le second argument est que l’article 188, paragraphe 2, de la ZMVR ne s’applique pas directement, dans la mesure où il renvoie à la protection spéciale prévue dans le code du travail.

57.      La jurisprudence bulgare en la matière est par conséquent contradictoire, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, de sorte que, à la demande du ministre de la Justice, le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) a été saisi d’une procédure interprétative, mais ne s’est pas encore prononcé.

58.      Bien qu’ayant passé l’examen de recevabilité, la demande de décision préjudicielle ne permet pas une connaissance complète de l’état du débat susmentionné qui permettrait de vérifier la pleine compatibilité du droit interne en vigueur, tel qu’interprété par les juridictions nationales, avec le droit de l’Union.

59.      J’ajoute, par ailleurs, que l’analyse du dossier me conduit à considérer qu’il s’agit en l’espèce principalement d’une question juridique ayant trait au droit interne dès lors que, dans la mesure que je préciserai, le droit de l’Union n’impose pas de manière nette l’une ou l’autre des différentes solutions envisagées par les différentes juridictions de l’État membre.

60.      Dans les considérations qui suivent, je me bornerai à proposer une réponse aux questions préjudicielles sur la base de ce que je peux déduire du dossier, en tenant compte du fait que l’exposé de la juridiction de renvoi apparaît à plusieurs égards lacunaires.

2.      Sur la première question préjudicielle

61.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’article 12, sous a), de la directive 2003/88 exige que la durée normale du travail de nuit des agents de police et des pompiers soit inférieure à la durée normale du travail de jour.

62.      L’objet de la directive 2003/88 est défini, ainsi que cela a été indiqué, à son article 1er, paragraphe 1, lequel fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail.

63.      S’agissant du travail de nuit en particulier, le considérant 7 de cette directive tient compte des risques inhérents à cette période d’activité et indique à cet égard que « [d]es études ont démontré que l’organisme humain est plus sensible pendant la nuit aux perturbations environnementales et à certaines formes pénibles d’organisation du travail et que de longues périodes de travail de nuit sont préjudiciables à la santé des travailleurs et peuvent compromettre leur sécurité au travail ».

64.      Ainsi, l’article 12, sous a), de ladite directive impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les travailleurs de nuit et les travailleurs postés bénéficient d’un niveau de protection en matière de sécurité et de santé adapté à la nature de leur travail.

65.      Les exigences minimales relatives à la durée du travail de nuit sont énoncées à l’article 8 de la directive 2003/88, qui impose aux États membres de veiller à ce que le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne dépasse pas huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures.

66.      Toutefois, la directive 2003/88 ne contient aucune indication sur le rapport entre la durée du travail de nuit et le travail de jour. Par conséquent, l’article 8 de cette directive ne ferait pas obstacle à une disposition nationale déterminant la même durée pour le travail de jour et le travail de nuit, à condition que la limite de huit heures par période de vingt-quatre heures [sous a)] ne soit pas dépassée.

67.      S’agissant, en particulier, des agents de police et des pompiers, à supposer que ces catégories de travailleurs puissent être assimilées, comme il est raisonnable de le considérer (14), à des « travailleurs de nuit dont le travail comporte des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes », l’article 8, sous b), de la directive 2003/88, précisant les dispositions sous a), énonce qu’ils ne doivent pas travailler « plus de huit heures au cours d’une période de vingt‑quatre heures durant laquelle ils effectuent un travail de nuit ». Même pour ces travailleurs particuliers, cette directive n’établit donc aucune relation entre la durée maximale du travail de nuit et celle du travail de jour.

68.      S’agissant, ensuite, de l’obligation prévue à l’article 12, sous a), de la directive 2003/88, dès lors que cette disposition ne fournit aucune précision, il y a lieu de considérer que cette directive laisse une large marge d’appréciation aux États membres en ce qui concerne les mesures appropriées à mettre en œuvre (15).

69.      Une telle latitude doit, bien entendu, être exercée de sorte à garantir l’effet utile de la directive 2003/88 et à atteindre les objectifs de protection fixés par cette directive elle‑même. Eu égard à la pénibilité accrue du travail de nuit par rapport au travail de jour, la réduction de la durée moyenne ou maximale du travail de nuit par rapport à celle du travail de jour pourrait assurément constituer, pour les États membres, une solution propre à assurer la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.

70.      J’estime néanmoins que, ainsi que l’a fait valoir la Commission, la réduction de la durée du travail de nuit par rapport à la durée du travail de jour ne constitue que l’une des solutions possibles pour satisfaire aux exigences de l’article 12, sous a), de la directive 2003/88. L’octroi de périodes de repos supplémentaires ou de temps libre, par exemple, pourrait également contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

71.      Je suis donc d’avis que, en l’absence d’une obligation spécifique énoncée dans la directive 2003/88, et en raison de son caractère d’instrument d’harmonisation minimale, de ses objectifs et de la marge d’appréciation accordée aux États membres, il ne saurait être déduit de l’obligation générale prévue à l’article 12, sous a), de cette directive une prescription spécifique en vertu de laquelle il incomberait aux États membres de fixer une limite à la durée normale du travail de nuit inférieure à celle du travail de jour.

3.      Sur la deuxième question préjudicielle

72.      Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction nationale interroge la Cour sur le point de savoir si le principe d’égalité, consacré aux articles 20 et 31 de la Charte, exige que la durée normale du travail de nuit de sept heures fixée par le droit national pour les travailleurs du secteur privé s’applique de la même manière aux fonctionnaires, y compris le personnel de police et de pompier.

73.      Ainsi que le relève à juste titre la Commission, l’article 31 de la Charte n’a pas trait au principe d’égalité, mais consacre le droit à des « conditions de travail justes et équitables ».

74.      Par conséquent, je partage la proposition de la Commission de reformuler la deuxième question préjudicielle ainsi : « L’article 20 de la Charte, qui consacre le principe d’égalité, ainsi que son article 31 exigent-ils que la durée normale du travail de nuit fixée par le droit national à sept heures pour les travailleurs du secteur privé s’applique également aux travailleurs du secteur public, y compris aux policiers et aux pompiers ? »

75.      La question à trancher porte donc sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation nationale qui, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, régit la durée normale du travail de nuit de manière différenciée pour le secteur privé et pour une catégorie particulière de travailleurs du secteur public (les agents publics du ministère de l’Intérieur, en l’occurrence les pompiers).

76.      Il convient de rappeler d’emblée que, selon la jurisprudence de la Cour, les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union (16).

77.      Il convient donc d’examiner au préalable si les dispositions nationales en vigueur dans l’État membre procèdent d’une mise en œuvre du droit de l’Union (au sens de l’article 51 de la Charte).

78.      La directive 2003/88 ne prévoit pas de mesures pour harmoniser la durée du travail de nuit, se bornant à indiquer, en son article 8, les exigences minimales limitant la durée de ce travail : le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne doit pas dépasser huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures. Le législateur de l’Union fixe donc une limite « moyenne » au temps de travail « normal » des travailleurs de nuit.

79.      Ce n’est que si le travail comporte des « risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes » que la limite prévue à l’article 8, sous b), de la directive 2003/88 devient une limite « maximale » : les travailleurs ne doivent pas travailler « plus de huit heures au cours d’une période de vingt‑quatre heures ».

80.      En revanche, l’article 140, paragraphe 1, du code du travail bulgare énonce que « la durée normale du travail de nuit pour une semaine de cinq jours ouvrables est de sept heures ». Cette disposition, ainsi que le rappelle la juridiction de renvoi, s’applique aux travailleurs du secteur privé.

81.      Peut-on considérer que, par cette disposition, la législation nationale instaure un régime plus favorable que celui prévu par la directive 2003/88 ?

82.      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, notamment celle dégagée dans l’arrêt TSN et AKT (17), les prescriptions minimales prévues par la directive 2003/88 ne sauraient empêcher un État membre d’adopter des normes de protection plus rigoureuses que celles qui font l’objet de l’intervention du législateur de l’Union, pour autant qu’elles ne remettent pas en cause la cohérence de cette intervention.

83.      En fixant la durée normale du travail de nuit à sept heures, le code du travail met en œuvre l’obligation prévue à l’article 8 de la directive 2003/88, compte tenu de la marge d’appréciation accordée sur la base des prescriptions minimales prévues par cette disposition. La Charte est donc appliquée conformément à son article 51(18).

84.      Comme la Commission l’a soutenu, à mon sens, à raison, le cas d’espèce diffère de celui de l’arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT (C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981) (19) en ce que, dans cette affaire, il a été possible de distinguer entre les droits au congé annuel découlant de l’application de l’article 7 de la directive 2003/88 (tel que transposé par la législation nationale pertinente) et les droits supplémentaires conférés par la convention collective de l’entreprise, de sorte à pouvoir établir clairement quelle règle découle de l’application du droit de l’Union et laquelle relève du droit national. Cela n’est pas possible dans le cas d’espèce dès lors que, tout en prévoyant un régime plus favorable que la durée maximale visée à l’article 8 de cette directive, l’article 140, paragraphe 1, du code du travail introduit l’exigence minimale prévue par ladite directive, sans qu’il soit possible de déterminer ce qui découle précisément des exigences minimales de la même directive et ce qui va au-delà.

85.      Cela n’exclut pas, néanmoins, comme nous le verrons, qu’il soit dérogé à la mise en œuvre de l’obligation prévue à l’article 8 de la directive 2003/88 pour le secteur privé, en ce qui concerne d’autres catégories particulières de travailleurs. Le fait que l’article 140 du code du travail met en œuvre l’exigence minimale prévue par cette directive n’implique pas que l’État membre ne soit pas compétent pour exercer sa marge d’appréciation en fixant, pour d’autres travailleurs, eu égard aux caractéristiques objectives de la fonction en cause, une limite différente à la durée du travail de nuit, sous réserve qu’il soit satisfait aux prescriptions minimales prévues dans ladite directive.

86.      Les principes énoncés aux articles 20 et 31 de la Charte doivent être lus en combinaison et servent de paramètres aux fins de vérifier que l’intervention législative nationale assure des conditions de travail justes et équitables à tous les travailleurs.

87.      Le principe d’égalité de traitement, consacré à l’article 20 de la Charte, constitue un principe général du droit de l’Union et le principe de non‑discrimination énoncé à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte en est une expression particulière. Ce principe exige du législateur de l’Union que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale (20).

88.      Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est‑à‑dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (21).

89.      Ensuite, le caractère comparable des situations doit être apprécié non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent, à la lumière, notamment, de l’objet et du but de la réglementation nationale qui institue la distinction en cause ainsi que, le cas échéant, des principes et des objectifs du domaine dont relève cette réglementation nationale (22).

90.      Dans le cas d’espèce, il apparaît difficile d’analyser le caractère comparable des situations dans la mesure où la juridiction de renvoi propose une comparaison entre des catégories abstraites, telles que les agents du secteur public et les travailleurs du secteur privé, sans fournir aucune information sur les conditions de travail applicables aux travailleurs de nuit dans le cadre des deux régimes qui permettrait une analyse précise.

91.      La lecture des dispositions du droit national, ainsi qu’il ressort de l’étude du dossier, ne permet pas d’écarter des interprétations différentes mais compatibles avec le droit de l’Union.

92.      En effet, il s’agit en l’espèce, selon ma compréhension, de dispositions de rang primaire (le code du travail et la loi sur le ministère de l’Intérieur) qui régissent de manière partiellement divergente l’organisation du travail dans les secteurs privé et public. La loi sur le ministère de l’Intérieur délègue ensuite à des normes de rang secondaire (des ordonnances) les aspects de détail de la réglementation.

93.      Le renvoi d’une disposition à l’autre, qui semble avoir un caractère décisif selon ce qu’indique la juridiction de renvoi, est très large et ne permet pas une interprétation univoque : l’article 188, paragraphe 2, de la ZMVR énonce que les agents publics effectuant du travail de nuit « bénéficient de la protection spéciale prévue par le code du travail ». Toutefois, à mon sens, cette disposition ne permet pas, à elle seule, de considérer que ce qui est prévu par le code du travail pour les travailleurs du secteur privé est applicable à l’ensemble des travailleurs du secteur public, quelle que soit la fonction exercée, pour différentes raisons.

94.      Il en est ainsi en raison, premièrement, du caractère générique du renvoi et, deuxièmement, de son insertion dans une mesure contenant des dispositions susceptibles de conduire à plusieurs interprétations : l’article 187, paragraphe 1, de la ZMVR qui fixe le temps de travail normal pour les agents publics du ministère à huit heures par jour, sans faire de distinction entre le travail de jour et le travail de nuit, et le paragraphe 3 de cet article, qui précise que, en cas de travail de nuit, « les heures de travail ne [doivent] pas dépasser en moyenne les huit heures sur une période de vingt-quatre heures ».

95.      Ensuite, il apparaît que l’article 187, paragraphe 9, de la ZMVR renvoie à des ordonnances du ministre de l’Intérieur, s’agissant de déterminer les modalités de l’aménagement et de la répartition du temps de travail, la rémunération du travail effectué en dehors des heures normales de travail, ainsi que les modalités de repos et de pause des agents publics du ministère de l’Intérieur.

96.      Cette dernière disposition semble confirmer la volonté du législateur de l’État membre d’exercer sa marge d’appréciation en matière de temps de travail, dans la mesure autorisée par la directive 2003/88, concernant une catégorie particulière de travailleurs, à savoir les agents publics du ministère de l’Intérieur, dont font également partie les pompiers, en renvoyant à des actes normatifs secondaires pour ce qui est du régime détaillé tenant compte des fonctions particulières exercées et des modalités particulières d’accomplissement de la prestation de travail.

97.      Il en résulte un cadre fragmentaire et non univoque, qui semble donc se rapporter à des questions de droit interne qui doivent être tranchées exclusivement par le juge national.

98.      En effet, il ne me semble pas pouvoir exclure que l’une ou l’autre des thèses d’interprétation envisagées puisse en principe être incompatible avec le droit de l’Union : si la question concerne uniquement l’aspect de la rémunération (la conversion des sept heures de travail de nuit en un nombre supérieur d’heures de travail de jour par application d’un coefficient multiplicateur), elle échappe au champ d’application de la directive 2003/88 et, en général, aux dispositions de droit de l’Union en vigueur en matière de temps de travail.

99.      Si la question est, en revanche, relative à la protection du travailleur pour éviter qu’un excès d’heures de travail de nuit puisse être préjudiciable à sa santé, toutes les interprétations sont compatibles avec le droit de l’Union qui, comme exposé précédemment, se borne à fixer un maximum de huit heures de travail sur une période de vingt-quatre heures si ce travail est effectué entre 22 heures et 6 heures.

100. Si la question porte, en revanche, sur l’égalité de traitement et le principe d’égalité entre travailleurs, comme indiqué, la comparaison doit être effectuée de manière spécifique et précise en prenant en considération non pas un statut général (travailleur du secteur public ou privé), mais les modalités concrètes d’accomplissement de la prestation, les objectifs des dispositions instaurant des traitements distincts, en tenant compte des intérêts publics en présence qu’il convient de mettre en balance avec les exigences de protection du travailleur.

101. Cette comparaison, comme exposé dans la réponse à la première question préjudicielle, devra tenir compte de l’ensemble de la réglementation de l’organisation du travail, la durée du travail de nuit n’étant que l’une des composantes permettant d’évaluer l’efficacité de la protection de la santé des travailleurs (23). En effet, sans préjudice du plafond fixé à l’article 8 de la directive 2003/88, l’octroi de périodes de repos supplémentaires ou de temps libre, par exemple, pourrait contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

102. D’autre part, la directive 2003/88 a pour base juridique l’article 153 TFUE et pour objectif, ainsi que l’indique le considérant 2 de cette directive, de soutenir et de compléter l’action des États membres en vue d’améliorer le milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Par conséquent, d’autres paramètres, tels que la durée du repos ou le nombre de jours de congé annuel, peuvent également contribuer à assurer un certain niveau de protection, ce qui démontre que la comparaison du temps de travail ne saurait constituer le seul élément pertinent pour garantir la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive 2003/88.

103. En outre, en ce qui concerne la comparabilité des situations, la juridiction de renvoi n’indique pas si, parmi les membres du personnel travaillant en tant que pompiers ou agents de police en Bulgarie, il y a des agents contractuels engagés sur la base du code du travail qui accomplissent les mêmes tâches que les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur.

104. Au demeurant, la souplesse reconnue aux États membres par la directive 2003/88 permet à ceux‑ci de tenir compte, dans les dispositions nationales de transposition de cette directive, d’exigences liées, notamment, à la protection d’intérêts à caractère général, telle que la protection de l’ordre public, ou de spécificités d’activités particulières, nécessitant d’un certain degré de flexibilité dans l’aménagement de l’horaire de travail (24).

105. Il s’agit de mettre en balance, d’une part, la continuité du service dans certaines professions, telles que les agents de police et les pompiers, et, d’autre part, l’efficacité de leur travail au cours de la nuit, précisément en raison du risque élevé qui caractérise ces professions.

106. Une telle mise en balance des intérêts est exprimée à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 89/391/CEE (25), qui exclut certaines activités du champ d’application de cette directive et, indirectement, de celui de la directive 2003/88. Le critère utilisé est fondé non pas sur l’appartenance des travailleurs à l’un des secteurs de la fonction publique visés dans cette disposition, mais exclusivement sur la nature spécifique de certaines missions particulières exercées par les salariés dans le domaine de la santé, de la sécurité et de l’ordre public. Cette nature justifie une dérogation aux règles en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, en raison de la nécessité absolue de garantir une protection efficace de la collectivité (26).

107. Dans l’hypothèse où une comparaison de ces situations serait possible, il appartiendrait néanmoins à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer si l’objectif pertinent peut justifier la différence de traitement et si la mesure qui donne lieu à la différence de traitement ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (27). Une différence de traitement, ainsi que cela a été exposé, est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est‑à‑dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (28).

108. L’absence de justification objective pour le choix du législateur d’instaurer une différence de traitement en matière de travail de nuit entre différentes catégories de travailleurs comparables pourrait donner lieu à une incompatibilité avec le droit de l’Union et, le cas échéant, à l’obligation pour le juge national de laisser inappliquée la disposition législative nationale sur laquelle repose la différence de traitement.

109. En d’autres termes, le principe d’interprétation conforme permettrait à la juridiction nationale de prendre en considération l’ensemble du droit interne et de faire application des méthodes d’interprétation reconnues par celui‑ci, afin de garantir la pleine effectivité du droit de l’Union et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celui‑ci (29).

110. Dès lors, je suis d’avis que l’article 20 de la Charte, qui consacre le principe d’égalité, et l’article 31 de celle-ci, qui consacre le droit à des conditions de travail justes et équitables n’exigent pas que la durée normale du travail de nuit fixée dans un État membre à sept heures pour les travailleurs du secteur privé s’applique également indistinctement aux travailleurs du secteur public, y compris aux policiers et aux pompiers. L’État membre a la latitude de fixer une durée différente, toujours dans les limites maximales prévues à l’article 8 de la directive 2003/88, à condition qu’il existe une justification objective au choix du législateur de prévoir un traitement différencié en matière de travail de nuit entre différentes catégories de travailleurs qui sont comparables de manière spécifique et concrète.

4.      Sur la troisième question préjudicielle

111. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si la réalisation de l’objectif énoncé au considérant 8 de la directive 2003/88, consistant à limiter la durée du travail de nuit, suppose que la législation nationale fixe expressément la durée normale du travail de nuit, y compris pour les agents du secteur public.

112. Il importe de souligner, comme l’a relevé la Commission, que les considérants n’ont pas en soi de force obligatoire. En l’espèce, ce considérant vise à clarifier le contenu de l’article 8 de la directive 2003/88, qui fixe la durée maximale du travail de nuit à huit heures par période de vingt-quatre heures.

113. Dès lors, je suis d’accord avec la proposition de la Commission de reformuler la troisième question préjudicielle ainsi : « L’article 8 de la directive [2003/88], lu en combinaison avec son considérant 8, exige-t-il que la législation nationale fixe expressément la durée normale du travail de nuit, y compris pour les agents du secteur public ? »

114. L’article 8 de la directive 2003/88 impose aux États membres de ne pas dépasser une durée déterminée de travail de nuit, à savoir huit heures par période de vingt-quatre heures. Toutefois, il n’exige pas des États membres qu’ils déterminent la durée normale du travail de nuit. À cet égard, la formule « Il y a lieu de limiter la durée du travail de nuit » figurant au considérant 8 de cette directive doit être interprétée en ce sens que ladite directive doit indiquer la durée maximale du travail de nuit.

115. Par conséquent, la directive 2003/88 reconnaît aux États membres la faculté de décider de fixer ou non la durée normale du travail de nuit et s’il convient de l’appliquer à certains travailleurs ou à tous les travailleurs, en fonction de la nature de l’activité en cause. Les États membres ont la faculté de décider de cette durée sur la base d’une étude préalable de son incidence sur la santé et la sécurité, conformément aux prescriptions minimales du droit de l’Union. De ce dernier point de vue, cette directive exige uniquement qu’il soit satisfait aux prescriptions minimales énoncées à son article 8 en matière de durée du travail de nuit.

116. Du reste, comme exposé ci‑dessus, la directive 2003/88 laisse une large marge de manœuvre aux États membres précisément pour tenir compte des exigences spécifiques des différents secteurs. Il existe, en effet, d’importantes différences entre les secteurs qui nécessitent un fonctionnement 24 heures sur 24, c’est‑à‑dire sans interruption, ou au moins pendant la nuit ou une partie de celle‑ci, et les secteurs qui n’exigent pas une telle continuité de service.

117. À cet égard, l’article 187 de la ZMVR semble donc être conforme aux prescriptions minimales de la directive 2003/88.

118. Par conséquent, je suis d’avis que l’article 8 de la directive 2003/88, lu en combinaison avec le considérant 8 de celle-ci, n’exige pas que la législation nationale fixe expressément la durée normale du travail de nuit, y compris pour les agents du secteur public.

IV.    Conclusion

119. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la demande de décision préjudicielle introduite par le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit, Bulgarie) de la manière suivante :

1)      La directive 2003/88 du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail se borne à indiquer la durée maximale des heures de travail de nuit, et, notamment, son article 12, sous a), n’exige pas des États membres qu’ils fixent un temps de travail de nuit plus court que le temps de travail de jour. Les États membres sont libres de prendre les mesures qu’ils estiment les plus à même d’assurer l’effet utile de ladite directive.

2)      L’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui consacre le principe d’égalité, et l’article 31 de celle‑ci, qui consacre le droit à des conditions de travail justes et équitables n’exigent pas que la durée normale du travail de nuit fixée dans un État membre à sept heures pour les travailleurs du secteur privé s’applique également indistinctement aux travailleurs du secteur public, y compris aux policiers et aux pompiers. L’État membre a la latitude de fixer une durée différente, toujours dans les limites maximales prévues à l’article 8 de la directive 2003/88, à condition qu’il existe une justification objective au choix du législateur de prévoir un traitement différencié en matière de travail de nuit entre différentes catégories de travailleurs qui sont comparables de manière spécifique et concrète.

3)      L’article 8 de la directive 2003/88, lu en combinaison avec le considérant 8, n’exige pas que la législation nationale fixe expressément la durée normale du travail de nuit, y compris pour les agents du secteur public. Les États membres sont libres de prendre les mesures les plus à même d’assurer l’effet utile des dispositions de ladite directive.


1      Langue originale : l’italien.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).


3      Dont le champ d’application ne s’étend pas aux agents publics du ministère de l’Intérieur.


4      Voir arrêt du 30 avril 2020, Készenléti Rendőrség (C‑211/19, EU:C:2020:344, point 23).


5      Voir arrêt du 21 février 2018, Matzak (C‑518/15, EU:C:2018:82, points 25 et 26).


6      Voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2017, Maio Marques da Rosa (C‑306/16, EU:C:2017:844, point 45), et du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C‑266/14, EU:C:2015:578, point 23).


7      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Tanchev dans l’affaire King (C‑214/16, EU:C:2017:439, point 36).


8      Voir arrêts du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C‑266/14, EU:C:2015:578, point 24) ; du 1er décembre 2005, Dellas e.a. (C‑14/04, EU:C:2005:728, point 49 et jurisprudence citée), ainsi que ordonnance du 4 mars 2011, Grigore (C‑258/10, non publiée, EU:C:2011:122, point 41).


9      Voir arrêt du 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main (Période d’astreinte d’un pompier) (C‑580/19, EU:C:2021:183, points 24 et 25).


10      Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften (C‑684/16, EU:C:2018:338, point 52).


11      Voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2006, Commission/Royaume‑Uni (C‑484/04, EU:C:2006:526, point 40 et jurisprudence citée).


12      Voir arrêt du 9 novembre 2017, Maio Marques da Rosa (C‑306/16, EU:C:2017:844, point 46).


13      Voir arrêts du 17 mars 2021, Academia de Studii Economice din Bucureşti (C‑585/19, EU:C:2021:210, point 49) ; du 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main (Période d’astreinte d’un pompier) (C‑580/19, EU:C:2021:183, point 26) ; du 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija (Période d’astreinte dans un lieu reculé) (C‑344/19, EU:C:2021:182, point 25), et du 14 mai 2019, CCOO (C‑55/18, EU:C:2019:402, points 36 et 37, ainsi que jurisprudence citée). Pour confirmer la large marge d’appréciation dont disposent les États membres en l’absence d’indication ressortant des termes et du contexte des dispositions de la directive 2003/88, sous réserve que les objectifs poursuivis par cette directive soient respectés, voir arrêt du 11 avril 2019, Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (C‑254/18, EU:C:2019:318, point 31). Il était question, dans cette dernière affaire, de la période de référence utilisée pour calculer la durée moyenne hebdomadaire de travail.


14      Même s’il convient de rappeler que l’article 8, deuxième alinéa, de la directive 2003/88 prévoit que ces travailleurs sont définis « par les législations et/ou pratiques nationales ou par des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux, compte tenu des effets et des risques inhérents au travail de nuit ».


15      La jurisprudence constante de la Cour démontre que la directive 2003/88 laisse aux États membres une large marge d’appréciation pour la mise en œuvre de ses dispositions. Voir, en ce sens, arrêts du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 35) ; du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, points 39 et 48), ainsi que du 11 avril 2019, Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (C‑254/18, EU:C:2019:318, points 23 et 35).


16      Voir arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth (C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:871, points 52 et 53).


17      Voir arrêt du 19 novembre 2019 (C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, points 48 et 49).


18      Point 50 des observations de la Commission.


19      Cette affaire, on le sait, concerne une convention collective allant au-delà des exigences minimales prévues par la directive 2003/88 en matière de congés payés (quatre semaines) en interdisant le report du congé lorsque l’intéressé a obtenu un congé de maladie. À cette occasion, la Cour a conclu que « lorsque les États membres accordent ou permettent aux partenaires sociaux d’accorder des droits à congé annuel payé excédant la durée minimale de quatre semaines prévue à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, de tels droits ou, encore, les conditions d’un report éventuel de ceux‑ci en cas de maladie survenue durant le congé relèvent de l’exercice de la compétence retenue des États membres, sans être réglementés par ladite directive ni relever du champ d’application de cette dernière ».


20      Voir arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a. (C‑550/07 P, EU:C:2010:512, points 54 et 55).


21      Voir arrêts du 29 octobre 2020, Veselības ministrija (C‑243/19, EU:C:2020:872, point 37) et du 17 octobre 2013, Schaible (C‑101/12, EU:C:2013:661, point 77).


22      Voir arrêt du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite) (C‑451/16, EU:C:2018:492, point 42 et jurisprudence citée). Voir également, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2021, Szpital Kliniczny im. dra J. Babińskiego Samodzielny Publiczny Zakład Opieki Zdrowotnej w Krakowie (C‑16/19, EU:C:2021:64, point 43).


23      Sur la nécessité de prendre en considération l’ensemble des circonstances pertinentes, telles que la nature du travail et les conditions de celui‑ci pour apprécier l’incidence d’une disposition particulière de la directive 2003/88 sur la sécurité et la santé des travailleurs, voir arrêt du 11 avril 2019, Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (C‑254/18, EU:C:2019:318, point 39). Il y est question de la période de référence utilisée pour calculer la durée hebdomadaire de travail.


24      Voir arrêt du 11 avril 2019, Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (C‑254/18, EU:C:2019:318, point 39).


25      Directive du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO 1989, L 183, p. 1).


26      Voir arrêt du 12 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑132/04, non publié, EU:C:2006:18, point 24).


27      Voir arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos (C‑677/16, EU:C:2018:393, point 52).


28      Voir arrêts du 29 octobre 2020, Veselības ministrija (C‑243/19, EU:C:2020:872, point 37), et du 9 mars 2017, Milkova (C‑406/15, EU:C:2017:198, point 55).


29      Voir arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 117), et du 8 mai 2019, Praxair MRC (C‑486/18, EU:C:2019:379, point 37 et jurisprudence citée).