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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

26 septembre 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération administrative dans le domaine fiscal – Directive 2011/16/UE – Échange d’informations sur demande – Injonction faite à un avocat de communiquer des informations – Secret professionnel de l’avocat – Article 7 et article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »

Dans l’affaire C‑432/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour administrative (Luxembourg), par décision du 11 juillet 2023, parvenue à la Cour le 12 juillet 2023, dans la procédure

F SCS,

Ordre des avocats du barreau de Luxembourg

contre

Administration des contributions directes,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl, J. Passer (rapporteur) et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, par Mes P. Mellina et A. Steichen, avocats,

–        pour le gouvernement luxembourgeois, par MM. A. Germeaux et T. Schell, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, J. Heitz et M. Hellmann, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch et Mme J. Schmoll, en qualité d’agents,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes K. Pavlaki, S. Santoro et A. Sikora-Kalėda, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. A. Ferrand et W. Roels, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 30 mai 2024,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphes 1 et 4, et de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), ainsi que de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), et sur la validité de la directive 2011/16 au regard de l’article 7 et de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant F SCS, cabinet d’avocats constitué en société en commandite simple au Luxembourg, et l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg (ci-après l’« OABL ») à l’administration des contributions directes (Luxembourg) au sujet d’une décision d’injonction adressée par cette dernière à F afin qu’elle fournisse des renseignements et documents, ainsi que d’une amende infligée à F pour ne pas avoir donné suite à cette décision d’injonction.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2011/16

3        La directive 2011/16 instaure un système de coopération entre les autorités fiscales des États membres et établit les règles ainsi que les procédures à appliquer lors de l’échange d’informations entre les États membres à des fins fiscales.

4        L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« La présente directive établit les règles et procédures selon lesquelles les États membres coopèrent entre eux aux fins d’échanger les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne des États membres relative aux taxes et impôts visés à l’article 2. »

5        L’article 3 de ladite directive, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

8)      “échange d’informations sur demande” : tout échange d’informations réalisé sur la base d’une demande introduite par l’État membre requérant auprès de l’État membre requis dans un cas particulier ;

[...] »

6        L’article 5 de la directive 2011/16, qui est la première disposition de la section I, intitulée « Échange d’informations sur demande », du chapitre II de cette directive, est libellé comme suit :

« À la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise communique à l’autorité requérante les informations visées à l’article 1er, paragraphe 1, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives. »

7        Aux termes de l’article 6 de ladite directive, intitulé « Enquêtes administratives » :

« 1.      L’autorité requise fait effectuer toute enquête administrative nécessaire à l’obtention des informations visées à l’article 5.

[...]

3.      Pour obtenir les informations demandées ou pour procéder à l’enquête administrative demandée, l’autorité requise suit les mêmes procédures que si elle agissait de sa propre initiative ou à la demande d’une autre autorité de son propre État membre.

[...] »

8        L’article 17, intitulé « Limites », figurant dans le chapitre IV, intitulé « Conditions régissant la coopération administrative », de la même directive, dispose :

« 1.      L’autorité requise d’un État membre fournit à l’autorité requérante d’un autre État membre les informations visées à l’article 5, à condition que l’autorité requérante ait déjà exploité les sources habituelles d’information auxquelles elle peut avoir recours pour obtenir les informations demandées sans risquer de nuire à la réalisation de ses objectifs.

2.      La présente directive n’impose pas à un État membre requis l’obligation de procéder à des enquêtes ou de transmettre des informations dès lors que la réalisation de telles enquêtes ou la collecte des informations en question aux propres fins de cet État membre serait contraire à sa législation.

[...]

4.      La transmission d’informations peut être refusée dans les cas où elle conduirait à divulguer un secret commercial, industriel ou professionnel ou un procédé commercial, ou une information dont la divulgation serait contraire à l’ordre public.

[...] »

9        L’article 18, intitulé « Obligations », figurant dans le même chapitre IV de la directive 2011/16, prévoit :

« 1.      Si des informations sont demandées par un État membre conformément à la présente directive, l’État membre requis met en œuvre son dispositif de collecte de renseignements afin d’obtenir les informations demandées, même si ces dernières ne lui sont pas nécessaires pour ses propres besoins fiscaux. Cette obligation s’applique sans préjudice de l’article 17, paragraphes 2 [...] et 4, dont les dispositions ne sauraient en aucun cas être interprétées comme autorisant un État membre requis à refuser de fournir des informations au seul motif que ces dernières ne présentent pour lui aucun intérêt.

2.      L’article 17, paragraphes 2 et 4, ne saurait en aucun cas être interprété comme autorisant une autorité requise d’un État membre à refuser de fournir des informations au seul motif que ces informations sont détenues par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu’agent ou fiduciaire, ou qu’elles se rapportent à une participation au capital d’une personne.

[...] »

 La directive 2018/822

10      La directive 2011/16 a été modifiée à plusieurs reprises et, notamment, par la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018, modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration (JO 2018, L 139, p. 1), qui a introduit une obligation de déclaration concernant les dispositifs fiscaux transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif auprès des autorités compétentes.

11      L’article 8 bis ter, intitulé « Champ d’application et conditions de l’échange automatique et obligatoire d’informations relatives aux dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration », de la directive 2011/16, telle que modifiée par la directive 2018/822, énonce, à ses paragraphes 1 et 5 :

« 1.      Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les intermédiaires soient tenus de transmettre aux autorités compétentes les informations dont ils ont connaissance, qu’ils possèdent ou qu’ils contrôlent concernant les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration dans un délai de trente jours [...]

[...]

5.      Chaque État membre peut prendre les mesures nécessaires pour accorder aux intermédiaires le droit d’être dispensés de l’obligation de fournir des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration lorsque l’obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national dudit État membre. En pareil cas, chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les intermédiaires soient tenus de notifier sans retard à tout autre intermédiaire, ou, en l’absence d’un tel intermédiaire, au contribuable concerné, les obligations de déclaration qui leur incombent en vertu du paragraphe 6.

Les intermédiaires ne peuvent avoir droit à une dispense en vertu du premier alinéa que dans la mesure où ils agissent dans les limites de la législation nationale pertinente qui définit leurs professions. »

 Le droit luxembourgeois

 La loi du 29 mars 2013

12      L’article 6 de la loi du 29 mars 2013 portant transposition de la directive 2011/16 et portant 1) modification de la loi générale des impôts, 2) abrogation de la loi modifiée du 15 mars 1979 concernant l’assistance administrative internationale en matière d’impôts directs (Mémorial A 2013, p. 756, ci-après la « loi du 29 mars 2013 »), dispose :

« À la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise luxembourgeoise lui communique les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne de l’État membre requérant relative aux taxes et impôts visés à l’article 1er, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives. »

13      L’article 7, paragraphes 1 et 3,  de la loi du 29 mars 2013 est libellé comme suit :

« (1)      L’autorité requise luxembourgeoise fait effectuer toute enquête administrative nécessaire à l’obtention des informations visées à l’article 6.

[...]

(3)      Pour obtenir les informations demandées ou pour procéder à l’enquête administrative demandée, l’autorité requise luxembourgeoise suit les mêmes procédures que si elle agissait de sa propre initiative ou à la demande d’une autre autorité luxembourgeoise. »

14      L’article 18, paragraphes 2 et 4,  de cette loi prévoit :

« (2)      L’autorité requise luxembourgeoise n’est pas obligée de procéder à des enquêtes ou de transmettre des informations dès lors que la réalisation de telles enquêtes ou la collecte des informations en question à ses propres fins est contraire à sa législation.

[...]

(4)      La transmission d’informations peut être refusée dans les cas où elle conduirait à divulguer un secret commercial, industriel ou professionnel ou un procédé commercial, ou une information dont la divulgation serait contraire à l’ordre public. »

 La loi du 25 novembre 2014

15      La loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale et modifiant la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande (Mémorial A 2014, p. 4170), telle que modifiée par la loi du 1er mars 2019 (Mémorial A 2019, no 112) (ci-après la « loi du 25 novembre 2014 »), a transposé la directive 2011/16 en droit luxembourgeois en ce qui concerne les aspects procéduraux de celle-ci.

16      L’article 1er, paragraphe 1, de cette loi dispose :

« La présente loi est applicable à partir de son entrée en vigueur aux demandes d’échange de renseignements formulées en matière fiscale et émanant de l’autorité compétente d’un État membre requérant en vertu :

[...]

4.      de la [loi du 29 mars 2013] ;

[...] »

17      L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la loi du 25 novembre 2014 prévoit :

« (1)      Les administrations fiscales sont autorisées à requérir les renseignements de toute nature qui sont demandés pour l’application de l’échange de renseignements tel que prévu par les Conventions et lois auprès du détenteur de ces renseignements.

(2)      Le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés, en totalité, de manière précise, sans altération, endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision portant injonction de fournir les renseignements demandés. Cette obligation comprend la transmission des pièces sans altération sur lesquelles les renseignements sont fondés. »

18      L’article 3, paragraphes 3 et 5, de cette loi est libellé comme suit :

« (3)      Si l’administration fiscale compétente ne détient pas les renseignements demandés, le directeur de l’administration fiscale compétente ou son délégué notifie par lettre recommandée adressée au détenteur des renseignements sa décision portant injonction de fournir les renseignements demandés.

[...]

(5)      Outre la procédure d’injonction prévue au paragraphe 3, l’administration fiscale compétente dispose des mêmes pouvoirs d’investigation que ceux mis en œuvre dans le cadre des procédures d’imposition tendant à la fixation ou au contrôle des impôts, droits et taxes, avec toutes les garanties y prévues. »

 L’AO

19      L’article 171 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, dite « Abgabenordnung » (Mémorial A 1931, no 900), telle que modifiée (ci-après l’« AO »), dispose, à son paragraphe 2 :

« [L’assujetti] doit, sur demande, présenter les notes, livres et registres commerciaux ainsi que les documents pertinents pour l’établissement de l’impôt (article 207), pour consultation et contrôle. »

20      L’article 175, paragraphes 1 et 2, de l’AO prévoit :

« (1)      Toute personne qui n’est pas assujettie, à l’exception des personnes désignées comme proches [...], doit également fournir à l’autorité de contrôle fiscal des informations sur des faits pertinents pour l’exercice du contrôle fiscal ou dans le cadre d’une procédure d’enquête fiscale aux fins de l’établissement de créances fiscales. [...]

(2)      Les renseignements doivent être demandés et fournis par écrit, pour autant que cela soit réalisable et que des dérogations ne s’imposent pas pour des raisons particulières ; le bureau de contrôle fiscal peut toutefois ordonner la comparution de la personne tenue de fournir les renseignements. »

21      L’article 177 de l’AO est libellé comme suit :

« (1)      Peuvent [...] refuser l’accès :

1.      Les défenseurs et les avocats, dans la mesure où ils ont agi en matière pénale,

[...]

3.      Les avocats, sur ce qui leur est confié dans l’exercice de leur profession,

4.      les collaborateurs des personnes visées aux points 1 à 3 ci-dessus en ce qui concerne les faits dont ils ont eu connaissance en leur qualité.

(2)      Cette disposition ne s’applique pas aux personnes visées aux points 3 et 4 dans la mesure où il s’agit de faits dont elles ont eu connaissance lors des conseils ou de la représentation en matière fiscale, sauf s’il s’agit de questions dont la réponse affirmative ou négative exposerait leurs mandants au risque de poursuites pénales. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

22      Ayant été saisie d’une demande de renseignements fondée sur la directive 2011/16 émanant des autorités fiscales espagnoles, l’administration des contributions directes a, le 28 juin 2022, adressé à F une décision d’injonction afin qu’elle fournisse tous documents et renseignements disponibles concernant les services fournis par elle à K, une société de droit espagnol, dans le cadre de l’acquisition d’une entreprise et d’une prise de participation majoritaire dans une société, toutes deux également de droit espagnol.

23      Cette décision était libellée dans les termes suivants :

« [...]

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2019, les renseignements et documents suivants pour le 3 août 2022 au plus tard.

–        [...] toute la documentation disponible (lettre de mission, contrats avec le client, rapports, mémorandums, communications, factures, etc.) concernant les services fournis par (F) à la société espagnole (K) dans le cadre de :

o      L’acquisition en 2015, de 80 % des participations de (N) par le groupe d'investissement (O) (facture no… …. du 04/03/2016) ;

o      L’acquisition d’une autre entreprise espagnole par le groupe en 2018 (facture no… …. du 13/12/2018) ;

–        [...] une description détaillée du déroulement des opérations susmentionnées, depuis l’engagement des services de la société (F) jusqu’à leur achèvement, ainsi qu’une explication de son implication dans ces processus et l’identification de ses interlocuteurs (vendeurs, acheteurs et tiers) et les factures ;

–        [...] la copie de tous les documents pertinents relatifs aux tirets précédents.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l’article 2[, paragraphe 2,] de la [loi du 25 novembre 2014] [...], le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

[...] »

24      Par courriel du 8 juillet 2022, F a répondu avoir agi en tant qu’avocat conseil du groupe auquel K appartient et être, de ce fait et en raison du secret professionnel qui s’impose à elle, dans l’impossibilité de communiquer des informations concernant son client.

25      Par courriel du 11 juillet 2022, l’administration des contributions directes, se référant à l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la loi du 25 novembre 2014, a invité F à se plier à la décision d’injonction du 28 juin 2022.

26      Par courrier du 8 août 2022, F a répondu ne pas disposer d’informations non couvertes par le secret professionnel inscrit à l’article 177, paragraphe 1, de l’AO, tout en précisant que son mandat dans le cadre du dossier décrit dans cette décision d’injonction n’avait pas été de nature fiscale, mais avait uniquement concerné le droit des sociétés.

27      Par décision du 19 août 2022, ladite administration a, à nouveau, enjoint F, sous peine d’amende, de fournir les renseignements et les pièces demandés, en rappelant que la communication de ceux-ci en totalité, de manière précise et sans altération était obligatoire en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la loi du 25 novembre 2014.

28      Par décision du 16 septembre 2022, la même administration a infligé à F une amende fiscale pour ne pas avoir donné de suites à la décision d’injonction du 19 août 2022.

29      Le 18 octobre 2022, F a introduit, devant le Tribunal administratif (Luxembourg), un recours en réformation de la décision du 16 septembre 2022, ainsi que, le 25 novembre 2022, un recours en annulation de la décision d’injonction du 19 août 2022 (ci-après l’« injonction litigieuse »). L’OABL a demandé à intervenir au soutien de F dans le cadre de ce second recours.

30      Par jugement du 23 février 2023, cette juridiction a rejeté le recours en annulation et, partant, la requête en intervention déposée par l’OABL comme étant irrecevables ratione temporis.

31      F et l’OABL ont interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative (Luxembourg), qui est la juridiction de renvoi.

32      Par arrêt du 4 mai 2023, cette juridiction a jugé que le recours en annulation formé par F contre l’injonction litigieuse et la requête en intervention déposée par l’OABL étaient recevables, et a décidé d’évoquer l’affaire.

33      Quant au fond, la juridiction de renvoi relève que les parties requérante et intervenante devant elle articulent leur argumentation afférente à l’illégalité de l’injonction litigieuse autour de l’article 17, paragraphes 2 et 4, de la directive 2011/16 et de l’article 18, paragraphes 2 et 4, de la loi du 29 mars 2013, qui en assure la transposition en droit luxembourgeois, et qu’elles invoquent, dans ce contexte, l’arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a. (C‑694/20, ci-après l’« arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a. », EU:C:2022:963), ainsi que des dispositions de la Charte, en particulier son article 7.

34      À cet égard, cette juridiction considère que, afin de se prononcer sur cette argumentation et de trancher le litige dont elle se trouve saisie, il est nécessaire que la Cour apporte diverses clarifications destinées à lui permettre d’apprécier la conformité de l’injonction litigieuse au droit de l’Union, et ce indépendamment du point de savoir si, en l’occurrence, F pourrait, le cas échéant, également se trouver dispensée de l’obligation de fournir les renseignements et documents demandés ou certains d’entre eux en vertu de l’article 177 de l’AO dans la mesure où les conseils dispensés par celle-ci ne l’auraient pas été « en matière fiscale » au sens du paragraphe 2 de cet article.

35      Ainsi, la juridiction de renvoi relève, tout d’abord, que la Cour a considéré, dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a., que l’obligation instaurée par l’article 8 bis ter de la directive 2011/16, telle que modifiée par la directive 2018/822, à l’égard de l’avocat qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière de révéler à un tiers son identité, son appréciation quant au contenu du dispositif transfrontière et le fait qu’il a été consulté, ainsi que la divulgation à l’administration fiscale de ces informations entraînent une ingérence dans le droit au respect des communications entre l’avocat et son client, garanti à l’article 7 de la Charte.  Or, en l’occurrence, l’injonction litigieuse imposerait à F de fournir à l’administration des contributions directes l’ensemble de la documentation relative à ses relations avec son client, afférentes à la mise en place de certaines structures sociétaires d’investissement. Il semblerait dès lors logique d’en déduire que cette injonction entraîne elle aussi une ingérence dans ce droit. Cependant, eu égard à la différence entre les régimes d’échange d’informations et les actes correspondants, respectivement en cause dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a. et dans l’affaire dont elle est saisie, la juridiction de renvoi considère qu’une confirmation de cette analyse est nécessaire.

36      Ensuite, cette juridiction observe, pour le cas où la protection de l’article 7 de la Charte s’appliquerait et où l’existence d’une ingérence serait retenue, que la Cour a rappelé, au point 34 de l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a., que les droits consacrés à cet article 7 n’apparaissent pas comme étant des prérogatives absolues, mais qu’ils doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société et que, ainsi qu’il ressort de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, celle-ci admet des limitations à l’exercice de ces droits, pour autant, notamment, que ces limitations soient prévues par la loi. Elle relève, cependant, que, au-delà de son article 17, paragraphe 4, la directive 2011/16 ne contient, en matière d’échange d’informations sur demande, aucune disposition qui prévoirait un régime particulier comportant des limitations spécifiques à l’obligation pour un avocat de fournir des informations en tant que tiers détenteur de celles-ci. Par conséquent, en l’absence de dispositions prévoyant un tel régime particulier, la question de la conformité de la directive 2011/16 à l’article 7 et à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte se poserait.

37      La juridiction de renvoi considère, par ailleurs, que, si la Cour devait conclure à la conformité de la directive 2011/16 à la Charte sous l’angle évoqué au point précédent, la question se poserait de savoir si l’étendue du devoir de collaboration pesant sur les avocats dans le cadre de l’échange d’informations sur demande régi par cette directive, tout en tenant compte de l’incidence du secret professionnel auquel ils sont soumis, peut être déterminée par les dispositions du droit de chaque État membre, conformément au renvoi opéré par l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive. Elle précise que, dans cette hypothèse, l’article 177 de l’AO devrait être appliqué, en l’occurrence, en tant que disposition nationale réglementant ce devoir de collaboration des avocats en tant que tiers.

38      Dans cette mesure, la juridiction de renvoi observe encore que, au point 39 de l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a., la Cour a indiqué que, pour assurer le respect du contenu essentiel de la confidentialité des communications entre un avocat et son client, seule la levée limitée de cette confidentialité serait admissible. En l’espèce, l’injonction litigieuse impose à F de fournir l’ensemble de la documentation relative à ses relations avec son client, afférentes à la mise en place de certaines structures sociétaires d’investissement. Dans ces conditions, il ne saurait être exclu que cette injonction touche au contenu essentiel du droit au respect des communications entre un avocat et son client. Ladite injonction étant cependant conforme à l’article 177 de l’AO, se poserait ainsi également la question de savoir si tant ladite disposition nationale que cette injonction sont conformes à l’article 7 de la Charte.

39      Enfin, la juridiction de renvoi relève que, en cas de non-conformité à cette dernière disposition, une telle conclusion n’entraînerait néanmoins pas automatiquement l’annulation intégrale de ladite injonction puisque celle-ci constitue une décision divisible selon les renseignements demandés. Le juge luxembourgeois pourrait donc laisser subsister l’obligation faite à l’avocat de fournir les informations qui ne seraient pas considérées comme affectant le contenu essentiel du droit au respect de ses communications avec son client.

40      Par conséquent, l’examen de la juridiction de renvoi ne devrait pas se limiter au constat d’une ingérence éventuelle dans le contenu essentiel de la confidentialité des communications entre un avocat et son client, mais devrait se poursuivre par la vérification du point de savoir si d’autres considérations énoncées par la Cour dans l’arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a., en particulier à propos du principe de proportionnalité, sont, le cas échéant, de nature à délimiter les informations qui peuvent être valablement requises d’un avocat dans le cadre d’un échange d’informations sur demande fondé sur la directive 2011/16.

41      C’est dans ces conditions que la Cour administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une consultation juridique d’un avocat en matière de droit des sociétés – en l’espèce en vue de la mise en place d’une structure sociétaire d’investissement – rentre-t-elle dans le champ de la protection renforcée des échanges entre les avocats et leurs clients accordée par l’article 7 de la [Charte] ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, une décision de l’autorité compétente d’un État membre requis, émise afin de donner suite à une demande d’échange [d’informations] sur demande émanant d’un autre État membre sur base de la directive [2011/16], portant injonction à un avocat de lui fournir grosso modo l’ensemble de la documentation disponible relative à ses relations avec son client, une description détaillée des opérations ayant fait l’objet de son conseil, une explication de son implication dans ces processus et l’identification de ses interlocuteurs, constitue-t-elle une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client, garanti à l’article 7 de la [Charte] ?

3)      En cas de réponse affirmative à la deuxième question, la directive 2011/16 est-elle conforme aux articles 7 et 52, paragraphe 1, de la Charte en ce qu’elle ne comporte, au-delà de son article 17, [paragraphe] 4, aucune disposition permettant formellement l’ingérence dans la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients dans le cadre du régime de l’échange [d’informations] sur demande et définissant elle-même la portée de la limitation de l’exercice du droit concerné ?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question, le régime du devoir de collaboration des avocats (ou d’un cabinet d’avocats) en tant que tiers détenteurs dans le cadre de l’application du mécanisme de l’échange [d’informations] sur demande instauré par la directive 2011/16, en particulier les limitations spécifiques visant à tenir compte de l’incidence de leur secret professionnel, peut-il être régi par les dispositions du droit interne de chaque État membre régissant le devoir de collaboration des avocats, en tant que tiers, à l’enquête fiscale dans le cadre de l’application de la loi fiscale interne, conformément au renvoi opéré par l’article 18, [paragraphe] 1, de ladite directive ?

5)      En cas de réponse affirmative à la quatrième question, pour être conforme à l’article 7 de la [Charte], une disposition légale nationale établissant le régime du devoir de collaboration des avocats en tant que tiers détenteurs, telle celle applicable en l’espèce, doit-elle comporter des dispositions particulières qui :

–        assurent le respect du contenu essentiel de la confidentialité des communications entre l’avocat et son client ; et

–        instaurent des conditions particulières afin d’assurer que l’obligation de collaboration des avocats soit réduite à ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif de la directive 2011/16 ?

6)      En cas de réponse affirmative à la cinquième question, les conditions particulières visant à assurer que la collaboration des avocats à l’enquête fiscale est réduite à ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif de la directive 2011/16, doivent-elles inclure l’obligation, pour l’autorité compétente de l’État membre requis :

–        d’effectuer un contrôle renforcé quant au point de savoir si l’État membre requérant a effectivement exploité préalablement les sources habituelles d’information auxquelles il peut avoir recours pour obtenir les informations demandées sans risquer de nuire à la réalisation de ces objectifs, conformément à l’article 17, [paragraphe] 1, de la directive 2011/16 ; et/ou

–        de s’être adressée au préalable, et en vain, à d’autres détenteurs potentiels de renseignements afin de pouvoir s’adresser, en dernier ressort, à un avocat en sa qualité de détenteur potentiel [d’informations] ; et/ou

–        de procéder, dans chaque cas individuel, à une pondération entre, d’une part, l’objectif d’intérêt général et, d’autre part, les droits en cause, d’une manière telle qu’une décision d’injonction ne pourrait valablement être émise à l’encontre d’un avocat que si des conditions supplémentaires, telles que l’exigence que l’enjeu financier du contrôle en cours dans l’État membre requérant atteigne ou soit susceptible d’atteindre une certaine importance ou soit susceptible de relever du droit pénal, sont remplies ? »

 Sur la compétence de la Cour

42      Le gouvernement autrichien a exprimé des doutes à propos de la compétence de la Cour en faisant valoir, en substance, que, dès lors que la directive 2011/16 n’indique pas les conditions dans lesquelles des enquêtes ou des communications peuvent se dérouler licitement et, notamment, sous quelles conditions un justiciable peut refuser de fournir des renseignements en invoquant un secret professionnel, de telles questions dépendent exclusivement du droit national, de telle sorte que le litige au principal ne relèverait pas du champ d’application de cette directive ni, partant, de celui du droit de l’Union.

43      Il convient de rappeler que la directive 2011/16 organise l’échange d’informations sur demande entre États membres et, dans ce cadre, dispose, à son article 18, paragraphe 1, que l’État membre requis met en œuvre son dispositif de collecte de renseignements afin d’obtenir les informations demandées par l’État membre requérant. Ainsi, lorsque l’État membre requis, à la suite d’une demande d’échange d’informations formulée en vertu de la section I du chapitre II de la directive 2011/16, mène une enquête selon ses procédures nationales et adresse au détenteur d’informations une injonction de communiquer celles-ci, il met en œuvre cette directive et, partant, le droit de l’Union.

44      À cet égard, la Cour a jugé que constitue une telle mise en œuvre, emportant, ainsi qu’il ressort de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, l’applicabilité de cette dernière, l’adoption, par un État membre, d’une législation précisant les modalités de la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16, notamment en prévoyant la possibilité, pour l’autorité compétente, de prendre une décision obligeant une personne détentrice d’informations à lui fournir ces dernières [arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée].

45      Dans ces conditions, il convient de conclure que la Cour est compétente pour examiner si et dans quelle mesure les dispositions de la Charte s’opposent à l’application, par un État membre, de dispositions nationales telles que celles en cause au principal dans le cadre et aux fins de l’exécution d’une demande d’échange d’informations au titre de la section I du chapitre II de la directive 2011/16.

 Sur les deux premières questions préjudicielles

46      Par les deux premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une consultation juridique d’avocat en matière de droit des sociétés entre dans le champ de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, garantie par cet article, si bien qu’une décision enjoignant à un avocat de fournir à l’administration de l’État membre requis, aux fins d’un échange d’informations sur demande prévu par la directive 2011/16, l’ensemble de la documentation et des informations relatives à ses relations avec son client, afférentes à une telle consultation, constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client, garanti par ledit article.

47      Il y a lieu de rappeler que l’article 7 de la Charte, qui reconnaît à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications, correspond à l’article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») (arrêt Orde van de Vlaamse Balies e.a., point 25).

48      Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, qui vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans celle-ci et les droits correspondants garantis par la CEDH sans porter atteinte à l’autonomie du droit de l’Union, la Cour doit tenir compte, dans l’interprétation des droits garantis par l’article 7 de la Charte, des droits correspondants garantis par l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, en tant que seuil de protection minimale (arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a., point 26).

49      Ainsi que l’a déjà relevé la Cour, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH protège la confidentialité de toute correspondance entre individus et accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients. À l’instar de cette disposition, dont la protection recouvre non seulement l’activité de défense, mais également la consultation juridique, l’article 7 de la Charte garantit nécessairement le secret de cette consultation juridique, et ce tant à l’égard de son contenu que de son existence. En effet, les personnes qui consultent un avocat peuvent raisonnablement s’attendre à ce que leurs communications demeurent privées et confidentielles. Partant, hormis des situations exceptionnelles, ces personnes doivent pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que leur avocat ne divulguera à personne, sans leur accord, qu’elles le consultent (arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a., point 27 ainsi que jurisprudence citée).

50      La protection spécifique que l’article 7 de la Charte et l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH accordent au secret professionnel des avocats, qui se traduit avant tout par des obligations à leur charge, se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables. Cette mission fondamentale comporte, d’une part, l’exigence, dont l’importance est reconnue dans tous les États membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin et, d’autre part, celle, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client (arrêt Orde van Vlaamse Balies e.a., point 28 ainsi que jurisprudence citée).

51      Il résulte des considérations qui précèdent qu’une consultation juridique d’avocat bénéficie, quel que soit le domaine du droit sur lequel elle porte, de la protection renforcée garantie par l’article 7 de la Charte aux communications entre un avocat et son client. Il en découle qu’une décision d’injonction telle que celle en cause au principal constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client garanti à cet article.

52      Il convient donc de répondre aux deux premières questions que l’article 7 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une consultation juridique d’avocat en matière de droit des sociétés entre dans le champ de la protection renforcée des échanges entre un avocat et son client, garantie par cet article, si bien qu’une décision enjoignant à un avocat de fournir à l’administration de l’État membre requis, aux fins d’un échange d’informations sur demande prévu par la directive 2011/16, l’ensemble de la documentation et des informations relatives à ses relations avec son client, afférentes à une telle consultation, constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client, garanti par ledit article.

 Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles

53      Par les troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2011/16 est invalide au regard de l’article 7 et de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte en ce que, au-delà de l’article 17, paragraphe 4, cette directive ne comporte aucune disposition qui, d’une part, permette expressément une ingérence dans les communications entre un avocat et son client dans le cadre du régime de l’échange d’informations sur demande et, d’autre part, définisse elle-même la portée de la limitation de l’exercice du droit garanti par l’article 7 de la Charte, tout en prévoyant, ainsi qu’il découle de l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive, que le droit des États membres est appelé à déterminer dans quelle mesure le secret professionnel de l’avocat peut faire obstacle à une demande d’informations formulée par l’État membre requis.

54      À cet égard, il ressort, notamment, de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant au respect, par la directive 2011/16, de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, en particulier en ce que cette disposition prévoit que toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi.

55      La directive 2011/16 concerne la coopération administrative et l’échange d’informations entre États membres dans le domaine fiscal. Son article 1er, paragraphe 1, dispose ainsi qu’elle « établit les règles et procédures selon lesquelles les États membres coopèrent entre eux aux fins d’échanger les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne des États membres relative aux taxes et impôts visés à l’article 2 ».

56      Dans le cadre de l’échange d’informations sur demande, prévu à la section I du chapitre II de cette directive, qui est en cause en l’occurrence, ladite directive organise les relations entre l’État membre requérant et l’État membre requis ainsi que leurs obligations réciproques. L’article 6, paragraphes 1 et 3, de la même directive dispose ainsi que l’autorité requise fait effectuer toute enquête administrative nécessaire à l’obtention des informations demandées et que, dans ce cadre, cette autorité suit les mêmes procédures que si elle agissait de sa propre initiative ou à la demande d’une autre autorité de son propre État membre. Dans le chapitre IV de la directive 2011/16, concernant les conditions régissant la coopération administrative, l’article 18, paragraphe 1, de cette directive prévoit que l’État membre requis met en œuvre son dispositif de collecte de renseignements afin d’obtenir les informations demandées.

57      En revanche, la directive 2011/16 ne détermine, au titre de l’échange d’informations sur demande et à la différence d’autres types d’échanges d’informations qu’elle organise, tels que l’échange automatique et obligatoire d’informations prévu à la section II du chapitre II de cette directive, telle que modifiée par la directive 2018/822, aucune obligation déclarative à la charge des personnes ou opérateurs détenteurs d’informations.

58      Quant à l’article 17, paragraphe 4, de la directive 2011/16, s’il concerne les relations entre l’État membre requis et l’État membre requérant et prévoit le droit du premier de refuser de transmettre au second certaines informations, il ne détermine pas ce qu’il convient d’entreprendre dans le cadre des procédures nationales de collecte d’informations. De même, l’article 17, paragraphe 2, de cette directive dispose que celle-ci n’impose pas à l’État membre requis de procéder à des enquêtes ou de transmettre des informations dès lors que ces enquêtes ou la collecte de ces informations, si elles étaient menées aux propres fins de cet État membre, seraient contraires à sa législation. Toutefois, il ne détermine pas les exigences à respecter dans le cadre des procédures nationales de collecte d’informations.

59      Il découle des considérations qui précèdent que, aux fins de l’échange d’informations sur demande prévu par la directive 2011/16, le législateur de l’Union a seulement déterminé les obligations que les États membres ont les uns envers les autres, tout en les autorisant à ne pas donner suite à une demande d’informations si la réalisation des enquêtes demandées ou la collecte des informations en cause sont contraires à leur législation. Ainsi, le législateur de l’Union a notamment laissé aux États membres la tâche de veiller à ce que leurs procédures nationales, mises en œuvre pour la collecte d’informations aux fins de cet échange, respectent la Charte, en particulier son article 7.

60      Il s’ensuit que le fait que le régime de l’échange d’informations sur demande prévu à la section I du chapitre II de la directive 2011/16 ne comporte pas de dispositions relatives à la protection de la confidentialité des communications entre un avocat et son client, dans le cadre de la collecte d’informations qui incombe à l’État membre requis, n’implique pas que cette directive méconnaisse l’article 7 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. En effet, il découle de ladite directive que, en cohérence avec l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, c’est à chaque État membre qu’il incombe de garantir, dans le cadre des procédures nationales mises en œuvre aux fins de cette collecte, la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, garantie par l’article 7 de cette Charte. Ainsi, chaque État membre doit, notamment, veiller à ce que toute éventuelle limitation de l’exercice des droits garantis par cet article 7, découlant de ces procédures nationales, soit « prévue par la loi », au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

61      Dans ces conditions, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que l’examen des aspects sur lesquels portent ces questions n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 2011/16 au regard de l’article 7 et de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

 Sur les cinquième et sixième questions préjudicielles

62      Ainsi qu’il ressort des énonciations de la décision de renvoi, l’injonction litigieuse fait obligation à F de produire l’ensemble de la documentation relative à ses relations avec son client, afférentes à la mise en place de certaines structures sociétaires d’investissement, une description détaillée des opérations ayant ainsi fait l’objet de son conseil, une explication de son implication dans ces processus et l’identification de ses interlocuteurs. Cette injonction, qui constitue la réitération d’une injonction antérieure ayant le même objet, a été décidée par l’administration fiscale après que F se fut opposée à la transmission des informations et documents ainsi précédemment exigés, en faisant valoir qu’une telle communication eut enfreint le secret professionnel de l’avocat auquel F était astreinte et que, en l’occurrence, les consultations concernées n’avaient, en outre, pas été de nature fiscale. Dans l’injonction litigieuse, l’administration fiscale a notamment indiqué à F qu’il lui incombait, sous peine d’amende, de transmettre en totalité, de manière précise et sans altération, les informations précédemment demandées sans pouvoir invoquer le secret professionnel. Enfin, F n’ayant toujours pas obtempéré à ladite injonction, l’administration fiscale lui a imposé l’amende ainsi annoncée.

63      À cet égard, la juridiction de renvoi indique que, compte tenu de l’ampleur des informations demandées, lesquelles portent, en substance, sur le contenu de l’ensemble du dossier de F, dont notamment les détails quant à la teneur de toutes les communications entre F et son client, la question se poserait, avant tout, de savoir si une telle injonction, laquelle serait par ailleurs conforme au droit national, et notamment à l’article 177 de l’AO, ne porte pas atteinte au contenu essentiel du droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients bénéficiant de la protection renforcée au titre de l’article 7 de la Charte.

64      S’agissant de l’ampleur des informations demandées et de l’état du droit national sur la base duquel ont ainsi été adoptées l’injonction litigieuse et l’amende subséquente imposée à F, la juridiction de renvoi a, dans le même temps, souligné que l’article 177 de l’AO a pour conséquence que, destinataire d’une telle injonction, un avocat peut en principe refuser de fournir tout renseignement, mais que, lorsqu’il agit en tant que conseil ou représentant exclusivement en matière fiscale, il doit fournir tous les renseignements demandés, sauf lorsque la communication de ces renseignements risque d’exposer son client à des poursuites pénales.

65      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par les cinquième et sixième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une injonction telle que celle décrite au point 52 du présent arrêt, fondée sur une réglementation nationale en vertu de laquelle le conseil et la représentation par un avocat dans le domaine fiscal ne bénéficient pas, sauf en cas de risque de poursuites pénales pour le client, de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, garantie par l’article 7 de la Charte.

66      À cet égard, il convient de rappeler, d’emblée, que cette protection renforcée des communications entre un avocat et son client est applicable, ainsi qu’il ressort du point 51 du présent arrêt, indépendamment du domaine du droit dans lequel le conseil ou la représentation sont procurés au client.

67      Cela étant, il importe de rappeler que les droits consacrés à l’article 7 de la Charte n’apparaissent pas comme étant des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, celle-ci admet des limitations à l’exercice de ces droits, pour autant que ces limitations soient prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2024, Belgian Association of Tax Lawyers e.a., C‑623/22, EU:C:2024:639, point 134 ainsi que jurisprudence citée).

68      En l’occurrence, l’article 177, paragraphe 2, de l’AO interdit à l’avocat, visé par une demande de communication d’informations à l’administration, de refuser l’accès à ce qui lui a été confié dans l’exercice de sa profession dans la mesure où il s’agit de faits dont il a eu connaissance lors des conseils ou de la représentation qu’il a fournis en matière fiscale et sauf s’il s’agit de questions dont la réponse exposerait son mandant au risque de poursuites pénales. Une telle interdiction a ainsi pour conséquence que rien du contenu des échanges entre un avocat et son client en matière fiscale, qu’ils soient intervenus en consultation ou dans le cadre d’une représentation en justice, autre que le contenu qui exposerait ce client à un risque de poursuites pénales, ne peut être gardé secret à l’égard de l’administration.

69      Pour sa part, et dans la ligne de ce que prévoit ainsi l’article 177 de l’AO, l’injonction litigieuse, en ayant réitéré l’exigence, sous peine d’amende, de produire, en totalité, de manière précise et sans altération, les informations visées au point 62 du présent arrêt, après que F avait indiqué considérer que le secret professionnel auquel elle est astreinte empêchait une telle production a, elle aussi, pour conséquence que rien du contenu des échanges intervenus entre F et son client afférents à la mise en place des structures sociétaires d’investissement concernées ne peut être gardé secret vis-à-vis de l’administration auteure de cette injonction.

70      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 7 de la Charte garantit le secret de la consultation juridique émanant de l’avocat, quant à son existence et à son contenu. Ainsi, les personnes qui consultent un avocat peuvent raisonnablement s’attendre à ce que leurs communications demeurent privées et confidentielles et, hormis des situations exceptionnelles, avoir confiance dans le fait que leur avocat ne divulguera à personne, sans leur accord, qu’elles le consultent.

71      Certes, la Cour a notamment jugé, à ce propos, qu’il ne saurait être considéré que l’obligation de notification, prévue à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16, telle que modifiée par la directive 2018/822, porte atteinte au contenu essentiel du droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, consacré à l’article 7 de la Charte. Toutefois, elle est parvenue à cette conclusion après avoir relevé que cette obligation n’induisait que de manière limitée la levée, à l’égard d’un tiers intermédiaire et de l’administration fiscale, de la confidentialité des communications entre l’avocat intermédiaire et son client et, en particulier, que cette disposition ne prévoyait pas l’obligation, ni même l’autorisation, pour l’avocat intermédiaire de partager, sans le consentement de son client, des informations relatives à la teneur de ces communications (arrêt Orde van de Vlaamse Balies e.a., points 39 et 40).

72      Or, en l’occurrence, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 50 de ses conclusions, l’article 177 de l’AO, en soustrayant quasi intégralement à la protection renforcée dont le secret professionnel de l’avocat doit bénéficier, en vertu de l’article 7 de la Charte, le contenu des consultations des avocats prodiguées en matière fiscale, à savoir la totalité d’une branche du droit dans laquelle les avocats sont susceptibles de conseiller leurs clients, conduit à vider cette protection de sa substance même dans cette branche du droit. Pour sa part, l’injonction litigieuse, en ce qu’elle semble partir du présupposé que l’inopposabilité du secret professionnel de l’avocat découlant de l’article 177 de l’AO autorise l’administration fiscale à exiger l’ensemble du dossier détenu par F, dont notamment les détails quant à la teneur de toutes les communications entre F et son client, alors même que la consultation prodiguée par F, afférente à la mise en place de certaines structures sociétaires d’investissement, n’a, selon celle-ci, pas trait au domaine fiscal, élargit encore la portée de l’atteinte à la substance du droit protégé par l’article 7 de la Charte.

73      Dans ces conditions, force est de constater qu’une disposition nationale telle que l’article 177 de l’AO tout comme l’application ayant été faite de celle-ci en l’occurrence au moyen de l’injonction litigieuse, loin de se limiter à des situations exceptionnelles, portent, par l’ampleur même de la soustraction au secret professionnel de l’avocat qu’elles autorisent à l’égard des communications entre ce dernier et son client, une atteinte au contenu essentiel du droit garanti à l’article 7 de la Charte.

74      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’une injonction telle que l’injonction litigieuse fondée sur une réglementation nationale telle que l’article 177, paragraphe 2, de l’AO emporte une atteinte au contenu essentiel du droit au respect des communications entre l’avocat et son client, et donc une ingérence qui ne saurait être justifiée.

75      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux cinquième et sixième questions que l’article 7 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une injonction telle que celle décrite au point 52 du présent arrêt, fondée sur une réglementation nationale en vertu de laquelle le conseil et la représentation par un avocat dans le domaine fiscal ne bénéficient pas, sauf en cas de risque de poursuites pénales pour le client, de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, garantie par cet article 7.

 Sur les dépens

76      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

doit être interprété en ce sens que :

une consultation juridique d’avocat en matière de droit des sociétés entre dans le champ de la protection renforcée des échanges entre un avocat et son client, garantie par cet article, si bien qu’une décision enjoignant à un avocat de fournir à l’administration de l’État membre requis, aux fins d’un échange d’informations sur demande prévu par la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE, l’ensemble de la documentation et des informations relatives à ses relations avec son client, afférentes à une telle consultation, constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client, garanti par ledit article.

2)      L’examen des aspects sur lesquels portent les troisième et quatrième questions n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 2011/16 au regard de l’article 7 et de l’article 52 de la charte des droits fondamentaux.

3)      L’article 7 et l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une injonction telle que celle décrite au point 1 du présent dispositif, fondée sur une réglementation nationale en vertu de laquelle le conseil et la représentation par un avocat dans le domaine fiscal ne bénéficient pas, sauf en cas de risque de poursuites pénales pour le client, de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, garantie par cet article 7.

Prechal

Biltgen

Wahl

Passer

 

Arastey Sahún

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 septembre 2024.

Le greffier

 

La présidente de chambre

A. Calot Escobar

 

A. Prechal


*      Langue de procédure : le français.