Language of document : ECLI:EU:T:2014:888

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

16 octobre 2014 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Marchés publics de services – Communication à des tiers par la Commission d’informations prétendument préjudiciables pour la réputation de la requérante – Préjudice moral – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers »

Dans l’affaire T‑297/12,

Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE, établie à Athènes (Grèce), représentée par Mes V. Christianos et S. Paliou, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes S. Lejeune et S. Delaude, en qualité d’agents, assistées de Me E. Petritsi, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en réparation du préjudice prétendument subi en raison de la communication par la Commission à des tiers, dans sa lettre du 3 juillet 2007, de certaines informations relatives, d’une part, à une enquête administrative de la Commission concernant la requérante, et, d’autre part, à la politique de cette dernière en matière de recrutement du personnel,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. A. Dittrich, président, J. Schwarcz (rapporteur) et Mme V. Tomljenović, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 mars 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE, est une société active dans le domaine des technologies de l’information et des communications. Depuis de nombreuses années elle compte parmi les plus importants prestataires de services informatiques de la Commission européenne, soit à titre individuel soit en tant que membre de consortiums.

2        Les faits de la présente affaire sont liés aux contrats-cadres, signés le 6 octobre 2006, relatifs à l’exécution du projet-cadre ESP DESIS (Fourniture externe de services pour le développement, les études et l’assistance des systèmes d’information) conclu, pour les lots 1A, 1B et 2, entre la direction générale (DG) « Informatique » de la Commission et un consortium composé, outre de la requérante, des sociétés Comarch SA (lot 2), Altran Technologies SA (lots 1A, 1B et 2) et ESRI Belux NV (lots 1B et 2).

3        Au début du mois de novembre 2006, la DG « Informatique » a été informée que la requérante semblait transmettre systématiquement un volume important de courriels à des agents, voire aux consultants externes de la Commission dans le domaine de l’informatique, aux fins de les informer de ses offres d’emploi.

4        Le 7 novembre 2006, la DG « Informatique » lui a envoyé une lettre dans laquelle, tout d’abord, elle lui reprochait d’avoir violé, en méconnaissance de ses obligations contractuelles, son système interne de correspondance électronique. Ensuite, elle lui faisait part de l’ouverture prochaine d’une enquête par la « direction Sécurité » de la Commission   en vue d’examiner les circonstances de cette prétendue violation. Enfin, la Commission lui demandait de mettre un terme à l’envoi de ces courriels.

5        Par lettre datée du même jour, mais envoyée par télécopie le lendemain, la requérante a répondu à ladite lettre de la Commission. Tout d’abord, elle affirmait que l’envoi de ces courriels ne constituait pas une violation d’une règle de droit communautaire ou d’une obligation contractuelle. Ensuite, elle fournissait des précisions à la Commission quant à l’utilisation desdits courriels dans le cadre de sa politique de recrutement de collaborateurs. À cet égard, elle a envoyé à la Commission le contenu standard desdits courriels. Enfin, elle a soutenu qu’une interdiction d’envoyer ces courriels constituerait une restriction à la liberté professionnelle de la requérante, dans la mesure où elle n’était pas juridiquement fondée.

6        Jusqu’à l’envoi de la lettre du 3 juillet 2007 (ci-après la « lettre litigieuse »), plusieurs lettres ont été échangées entre les parties au sujet de la question de l’envoi des courriels litigieux par la requérante.

7        En particulier, dans sa lettre du 24 novembre 2006 adressée à la requérante, la DG « Informatique » l’a informée qu’elle avait effectivement ouvert une enquête interne à son égard portant sur l’envoi des courriels litigieux et que, sans préjudice des résultats finaux, il résultait de ses résultats initiaux que la requérante avait violé, premièrement, l’article I.7.1, imposant le respect du droit national, l’article I.8.2, relatif à la protection des données à caractère personnel, l’article II.16, relatif au respect du principe de confidentialité, et l’article II.18 du contrat-cadre relatif aux bonnes utilisation, diffusion et publication d’informations découlant dudit contrat-cadre, deuxièmement, l’article 2.2 et les annexes II et III des conditions générales applicables aux contrats en matière d’informatique, ainsi que, troisièmement, les articles 21 à 23 du règlement (CE) n° 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1), de même que la note administrative de la Commission n° 45-2006.

8        Dans une lettre du 5 mai 2007, la requérante a reproché à la Commission de s’être servie de l’enquête menée à son égard afin de la discréditer aux yeux de ses collaborateurs actuels ou potentiels. Ainsi, ces personnes seraient amenées à éviter de collaborer avec la requérante et à privilégier un autre cocontractant de la Commission.

9        Par lettre du 19 juin 2007, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) a informé la DG « Informatique » qu’une plainte avait été déposée auprès de lui le 14 juin 2007 au sujet d’une prétendue violation du règlement n° 45/2001. Ladite lettre indiquait que la plainte concernait la transmission de courriels en masse par un consortium mené par la requérante et par la société Altran depuis octobre 2006 au moins. Sachant que la DG « Informatique » avait été informée de ce sujet, le CEPD a demandé à être informé à son tour de l’éventuelle adoption de la décision en la matière, voire de lui transmettre une telle décision dès qu’elle serait adoptée.

10      Le 3 juillet 2007, la DG « Informatique » a adressé à la requérante la lettre litigieuse, avec les autres membres du consortium en copie. Celle-ci signalait, comme objet, des courriels en masse aux adresses se terminant par « @ext.ec.europa.eu ». Après une référence aux lettres des 7 et 8 novembre 2006 (voir points 4 et 5 ci-dessus) et à une correspondance subséquente échangée entre les parties, la lettre indiquait, tout d’abord, que l’enquête ouverte à ce sujet progressait et que la DG « Informatique » devrait, dans un futur proche, être en mesure d’informer la requérante de ses résultats. Ensuite, la Commission, reproduisant un extrait du contenu standard des courriels litigieux envoyés par la requérante et remarquant que lesdits courriels ne mentionnaient pas les autres cocontractants du consortium, lui a demandé de lui préciser si ces courriels étaient envoyés uniquement en son nom propre ou bien au nom de l’ensemble du consortium, dont elle était le chef de file. Enfin, la Commission lui a indiqué qu’elle ne souhaitait recevoir qu’une réponse courte et précise à cette question et que d’autres commentaires n’étaient, à ce moment-là, pas nécessaires et ne seraient pas pris en compte. Toutefois, dès que les résultats de l’enquête seraient notifiés, la requérante aurait, bien-sûr, la possibilité de les commenter avant toute prise de décision définitive.

11      La requérante a réagi par lettre du 5 juillet 2007. Tout en précisant que les courriels en question étaient envoyés uniquement en son nom propre et pour son compte, elle a soulevé diverses objections quant à la transmission de la lettre litigieuse aux autres membres du consortium. En particulier, elle protestait contre la communication, à ces derniers, des informations qui portaient tant sur l’enquête en question que sur sa politique en matière de recrutement. Elle a également demandé à la Commission de procéder au retrait immédiat, auprès des autres membres du consortium, de la lettre litigieuse, de présenter ses excuses pour cette démarche et de coopérer avec elle afin de réparer le prétendu préjudice ainsi causé.

12      N’ayant pas obtenu satisfaction de la part de la Commission, la requérante a, le 14 septembre 2007, déposé une plainte auprès du Médiateur européen. Dans le cadre de cette plainte, elle alléguait notamment que, en divulguant aux autres membres du consortium l’existence et l’objet de l’enquête à son égard et en ne leur adressant pas de lettre rectificative, la Commission avait porté atteinte à sa réputation professionnelle. Elle leur aurait également révélé des informations confidentielles et aurait violé les principes de bonne administration.

13      Par lettre du 19 octobre 2007, la DG « Informatique » a adressé à la requérante les résultats de l’enquête et l’a invitée à lui présenter ses observations dans un délai d’un mois.

14      La requérante a répondu par lettre du 7 novembre 2007. Avant de procéder aux commentaires sur le fond de l’enquête, elle a, en substance, indiqué qu’il apparaissait qu’elle était victime d’une attaque intensive de la part de la Commission, dont les actions auraient pour objectif de l’écarter des marchés publics. Elle exposait, en particulier, que, « depuis novembre 2006, tous les candidats proposant leurs services dans le cadre de l’ESP DESIS [savaient] que [la requérante] [faisait] l’objet d’une enquête concernant une prétendue violation du contrat ESP DESIS ».

15      Le 30 janvier 2008, la DG « Informatique » a informé la requérante de sa décision finale, qui conclut que les faits, tels que constatés par l’enquête de la « direction Sécurité », de même qu’une violation de l’article I.18.3 du contrat-cadre relatif à la diffusion de certaines informations concernant l’exécution du contrat-cadre ESP DESIS ont été confirmés. Cependant, la DG « Informatique » précise dans cette décision que l’enquête n’a pas conclu à une violation des dispositions du contrat-cadre relatives à la protection des données à caractère personnel, au respect du principe de confidentialité, ainsi qu’à l’utilisation d’informations. La DG « Informatique » ajoute que, compte tenu de la durée prolongée de l’enquête, elle a décidé de clore la procédure sans prendre d’autres mesures.

16      Le 7 février 2008, cette décision a été communiquée au CEPD. Le 12 novembre 2008, le CEDP a informé à son tour la Commission de sa décision finale quant à la plainte qu’il avait reçue. Il a signalé que sa décision finale était fondée sur l’hypothèse que les courriels en question avaient été transmis par le consortium dans son ensemble et non par la seule requérante.

17      Le 13 décembre 2011, le Médiateur a rendu sa décision au sujet de la plainte déposée par la requérante. Dans le troisième point de ses conclusions, il a indiqué que la Commission n’avait pas fourni de motif valable justifiant la nécessité de notifier la lettre litigieuse aux autres membres du consortium dont faisait partie la requérante. Partant, il a conclu que l’acte en question n’était pas conforme au principe de proportionnalité figurant à l’article 6 du code européen de bonne conduite administrative, ce qui relevait, en outre, d’un cas de mauvaise administration.

18      Au point 153 de ladite décision, le Médiateur a estimé que « le simple fait que la Commission ait informé les partenaires de la [requérante] dans le consortium que cette dernière faisait l’objet d’une enquête était susceptible de porter atteinte à [sa] réputation » et qu’« il ne [pouvait], par conséquent, être exclu que la [requérante] ait subi les conséquences négatives des actes de la Commission ».

19      Il résulte de la lettre de la Commission, du 19 juin 2012, adressée à la requérante, que le Médiateur demandait à la Commission, par lettre du 13 décembre 2011, de l’informer des suites qu’elle entendait donner à sa décision.

20      Par ladite lettre du 19 juin 2012, la Commission a informé la requérante de ses commentaires sur les conclusions du Médiateur. Elle lui a également annoncé l’envoi prochain aux autres membres du consortium de lettres les informant du fait que l’enquête en question avait été close sans suite et que la requérante était et demeurait son fournisseur respecté dans le domaine des technologies de l’information. Ces lettres ont été envoyées par courrier recommandé le 20 juin 2012.

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juillet 2012, la requérante a introduit le présent recours.

22      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal (cinquième chambre) a invité les parties à produire certains documents et à répondre à certaines questions. Les parties ont répondu à cette demande dans le délai imparti.

23      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale.

24      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 27 mars 2014.

25      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        ordonner à la Commission de lui verser la somme de 50 000 euros, à titre d’indemnité pour l’atteinte portée à sa réputation professionnelle, assortie d’intérêts compensatoires à compter du 3 juillet 2007 jusqu’au prononcé de l’arrêt dans la présente affaire et d’intérêts moratoires à compter du prononcé dudit arrêt jusqu’au paiement intégral ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

27      En vertu de l’article 288, deuxième alinéa, CE, en matière de responsabilité non contractuelle, la Communauté européenne doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

28      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de la disposition susmentionnée, pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et du Tribunal du 14 décembre 2005, Beamglow/Parlement e.a., T‑383/00, Rec. p. II‑5459, point 95).

29      Tout d’abord, s’agissant de la condition relative au comportement illégal reproché à l’institution ou à l’organe concerné, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42). Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution ou l’organe communautaire concerné, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ou cet organe ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts de la Cour du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 54, et du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134).

30      Ensuite, s’agissant de la condition relative à la réalité du dommage, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée que si le requérant a effectivement subi un préjudice « réel et certain » (arrêts de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 9, et De Franceschi/Conseil et Commission, 51/81, Rec. p. 117, point 9 ; arrêt du Tribunal du 16 janvier 1996, Candiotte/Conseil, T‑108/94, Rec. p. II‑87, point 54). Il incombe au requérant d’apporter des éléments de preuve au juge communautaire afin d’établir l’existence et l’ampleur d’un tel préjudice (arrêts de la Cour du 21 mai 1976, Roquette frères/Commission, 26/74, Rec. p. 677, points 22 à 24, et du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T‑575/93, Rec. p. II‑1, point 97).

31      En ce qui concerne plus particulièrement le préjudice immatériel, si la présentation d’une offre de preuve n’est pas nécessairement considérée comme une condition de la reconnaissance d’un tel préjudice, il incombe tout au moins à la partie requérante d’établir que le comportement reproché à l’institution concernée était de nature à lui causer un tel préjudice (arrêt de la Cour du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, non publié au Recueil, point 38).

32      Enfin, s’agissant de la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué, ledit préjudice doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché, ce dernier devant constituer la cause déterminante du préjudice, alors qu’il n’y a pas d’obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d’une situation illégale (voir arrêts de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, et du Tribunal du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, Rec. p. II‑1291, point 130, et la jurisprudence citée). Il appartient au requérant d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice invoqué (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T‑149/96, Rec. p. II‑3841, point 101, et la jurisprudence citée).

33      Dès lors que l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté n’est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions sont réunies (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81, et arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde‑Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37). Par ailleurs, le juge communautaire n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 13).

34      Le Tribunal estime opportun d’examiner, dans un premier temps, l’existence de la responsabilité non contractuelle de la Commission en raison de la communication aux autres membres du consortium des informations relatives à l’enquête et, dans un second temps, l’existence de ladite responsabilité en raison de la communication aux autres membres du consortium des informations relatives à la politique de recrutement de la requérante

 Sur la responsabilité non contractuelle de la Commission en raison de la communication aux autres membres du consortium des informations relatives à l’enquête

35      La requérante soutient que, en communiquant aux autres membres du consortium, dans la lettre litigieuse, l’existence ainsi que le contenu de l’enquête menée à son égard, la Commission lui aurait causé un dommage matériel consistant en une atteinte à son image et à sa réputation professionnelle.

36      Concrètement, la requérante estime que la Commission a divulgué aux membres du consortium qu’une enquête était ouverte à son égard, que celle-ci portait sur l’envoi par elle de courriels qui, de l’avis de la Commission, était contraire à ses obligations, que cette enquête était suffisamment grave, dans la mesure où, au moment où la lettre a été envoyée, elle durait déjà depuis plus de huit mois, et qu’elle pouvait donner lieu à des sanctions contre la requérante.

37      En ce qui concerne les entreprises auxquelles la lettre litigieuse avait été communiquée, il y aurait lieu, de les considérer comme des tiers, dans la mesure où il s’agit d’entités juridiques différentes poursuivant des intérêts différents de ceux de la requérante. Bien qu’elles soient des cocontractantes de la requérante dans l’exécution du projet-cadre ESP DESIS, elles pourraient devenir ses concurrentes à d’autres occasions.

38      La requérante fait valoir qu’elle évolue dans le secteur des technologies de l’information et des communications. Or, dans ce domaine, les projets faisant l’objet d’appels d’offres exigeraient souvent la participation de plusieurs sociétés pour leur attribution. Les chances pour une société de participer à des consortiums afin de prétendre à l’attribution de projets visés seraient sensiblement réduites lorsque cette société est prise pour cible par la Commission, comme tel aurait été le cas de la requérante après l’envoi de la lettre litigieuse, car cela lui donnerait l’image d’une entreprise non fiable.

39      L’information sur l’existence, le contenu, voire la durée prolongée d’une enquête, telle que celle en question, aurait le même impact sur les collaborateurs potentiels d’une société qui serait ainsi visée. Il serait incontestable que personne ne souhaiterait conclure d’accords commerciaux et coopérer avec des sociétés accusées d’avoir un comportement contraire aux obligations contractuelles, de violer la législation, notamment celle relative à la protection des données personnelles et au respect de la confidentialité, ainsi que d’accéder illégalement aux systèmes d’information de la Commission et d’en tirer illégalement des informations confidentielles. Tel serait a fortiori le cas de la requérante, qui proposerait régulièrement ses services à des administrations publiques et à des organisations internationales telles qu’Eurocorps, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), l’Office européen de police (Europol), l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol), les ministères des Finances ou les services douaniers.

40      Ainsi, le fait pour la Commission d’avoir porté à la connaissance de tiers l’existence de l’enquête à l’encontre de la requérante aurait eu à lui seul pour effet de porter atteinte à sa réputation professionnelle en la stigmatisant et en la reléguant au rang d’entreprise employant des pratiques déloyales et illégales.

41      En outre, la requérante soutient, en substance, que le fait qu’elle ait été obligée de fournir à ses cocontractants des explications quant à la lettre litigieuse n’aurait pas été, en tant que fait postérieur à ladite lettre, de nature à éliminer le préjudice en question.

42      Afin d’évaluer l’ampleur du préjudice, la requérante estime qu’il y aurait lieu de tenir compte de la place qu’elle occupe sur le marché concerné. La requérante serait une société de premier rang dans le secteur des technologies de l’information et des communications. Or, plus la réputation est grande, plus le préjudice subi du fait de l’acte reproché serait important.

43      La requérante soutient également que la lettre litigieuse n’aurait contenu aucune exigence de confidentialité de nature à inviter ses destinataires autres que la requérante à ne pas diffuser son contenu. Dès lors, le préjudice subi par la requérante ne se limiterait pas seulement à la diffamation dont elle a fait l’objet à l’égard des trois sociétés qui étaient les destinataires directs de la lettre. La diffamation de la requérante aurait été susceptible d’avoir un effet « boule de neige » impliquant des conséquences négatives supplémentaires pour son statut professionnel.

44      En tout état de cause, bien que les lettres de la Commission, du 20 juin 2012, puissent être propres à mettre fin aux actes de mauvaise administration commis par celle-ci et constatés par le Médiateur, elles ne sont pas, selon la requérante, de nature à éliminer le préjudice qu’elle a subi. L’atteinte portée à la réputation professionnelle de la requérante à compter du 3 juillet 2007 jusqu’à ce jour ne saurait être réparée en nature, dans la mesure où la Commission n’aurait rien fait pendant plus de quatre ans à la suite de la clôture de l’enquête pour remédier à ladite atteinte.

45      La Commission conteste les arguments de la requérante. Elle estime, en substance, d’une part, que cette dernière est restée en défaut de démontrer le préjudice réel et certain qu’elle aurait subi et, d’autre part, que le contenu de la lettre litigieuse n’était même pas susceptible de lui causer un préjudice quelconque.

46      À cet égard, il y a lieu de relever que, dans la mesure où la requérante allègue que la communication de la lettre litigieuse a porté atteinte à son image et à sa réputation professionnelle, elle n’invoque pas un préjudice matériel (voir point 35 ci-dessus), mais plutôt un préjudice moral (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 9 juillet 1999, New Europe Consulting et Brown/Commission, T‑231/97, Rec. p. II‑2403, points 54 à 56, et ordonnance du Tribunal du 4 septembre 2009, Inalca et Cremonini/Commission, T‑174/06, non publiée au Recueil, points 77). Ainsi, il convient d’examiner, conformément à la jurisprudence rappelée au point 31 ci-dessus, si elle a établi que les informations contenues dans cette lettre étaient de nature à lui causer un tel préjudice.

47      À titre liminaire, il importe d’identifier les informations relatives à l’enquête qui découlent de cette lettre.

48      Premièrement, la Commission mène une enquête au sujet de l’envoi par la requérante de courriels en masse avec des offres d’emploi aux adresses se terminant par « @ext.ec.europa.eu ».

49      Deuxièmement, il y a eu un échange de lettres à ce sujet entre les parties.

50      Troisièmement, l’enquête en question avance, ses résultats devraient être disponibles dans un délai assez court et la requérante aura la possibilité de présenter ses commentaires à ce sujet.

51      Quatrièmement, le fait que la requérante soit visée par cette enquête ne ressort qu’implicitement de certaines expressions employées dans cette lettre comme « aucun autre commentaire n’est nécessaire et ne sera pris en compte » et « bien sûr, dès que les résultats de l’enquête seront notifiés, vous aurez la possibilité de présenter vos observations sur le fond de l’affaire préalablement à toute prise de décision », en connexion avec la mention des courriels en masse, des courriels de la requérante, ainsi que de sa liste de distribution. Cependant, le libellé de la lettre litigieuse ne créé pas de certitude à cet égard.

52      En revanche, contrairement à ce que fait valoir la requérante (point 36 ci-dessus), il ne découle pas de la lettre litigieuse que la Commission aurait considéré que la requérante aurait commis une violation quelconque de ses obligations. Elle y indique uniquement que les résultats de l’enquête seront connus sous peu.

53      De surcroît, la lettre litigieuse est silencieuse quant aux charges soulevées à l’égard de la requérante dans le cadre de l’enquête, voire aux règles concrètes dont la violation lui serait reprochée.

54      Il n’en ressort pas non plus que l’enquête serait grave en raison de sa durée. En effet, la lettre litigieuse ne mentionne pas la durée de l’enquête. La requérante estime pourtant, que les lecteurs de cette lettre peuvent déduire la durée de l’enquête par référence aux lettres des 7 et 8 novembres 2006 visées dans la lettre litigieuse. Cependant, cette lettre ne contient aucun élément qui permettrait d’identifier les deux lettres en cause comme constituant le point de départ de l’enquête. En tout état de cause, la durée d’une enquête donnée n’est pas une preuve de sa gravité. Il suffit de constater qu’une enquête quelconque peut se prolonger pour des raisons étrangères à son objet ou à la personne concernée, comme par exemple la surcharge de l’administration ou des difficultés techniques.

55      De même, la lettre litigieuse ne contient aucune mention quant aux sanctions éventuelles qui pourraient être prises à l’encontre de la requérante.

56      Au demeurant, ces informations ne pourraient ressortir que de la correspondance antérieure échangée entre la Commission et la requérante. Or, il importe de rappeler que c’est uniquement la lettre litigieuse qui est désignée par la requérante comme étant à l’origine de son prétendu préjudice. L’allégation de la requérante selon laquelle elle devait, à la suite de la réception de la lettre litigieuse, expliquer tous les faits de l’affaire à ses partenaires du consortium ne saurait avoir de conséquence pour la solution du présent litige. Il suffit de constater que la requérante n’a apporté aucune preuve quant aux explications et aux informations qu’elle leur a effectivement transmises.

57      Partant, ce n’est qu’au regard des informations identifiées aux points 48 à 51 ci-dessus qu’il faut apprécier si la transmission de la lettre litigieuse aux autres entreprises du consortium était susceptible de causer une atteinte à l’image et à la réputation professionnelle de la requérante.

58      À cet égard, cette lettre est, contrairement à ce qui était le cas des faits litigieux dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du Tribunal du 12 septembre 2007, Nikolaou/Commission (T‑259/03, non publié au Recueil, point 150), et du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission (T‑48/05, Rec. p. II‑1585, points 302, 327 et 328), silencieuse quant à l’identification des charges soulevées à l’égard de la requérante, voire aux règles dont la violation lui serait reprochée.

59      Elle est également complètement neutre quant au bien-fondé desdites charges. Elle ne préjuge pas de l’issue de l’enquête et elle ne contient aucune appréciation négative à l’égard de la requérante.

60      Le simple fait que les courriels en masse avec des offres d’emploi d’une entreprise spécialisée en matière informatique, telle que la requérante, font l’objet d’une enquête administrative ne saurait, dans l’esprit des tiers, tels que les dirigeants des trois autres entreprises du consortium, impliquer quoi que ce soit quant au caractère légal de son comportement, ainsi que sur sa probité en général.

61      Le libellé de cette lettre ne saurait donc, contrairement à ce qu’a estimé le Médiateur, conduire ses lecteurs à en tirer une conclusion négative quant à la requérante, voire à acquérir une opinion défavorable à son égard.

62      Cela est d’autant plus vrai que le libellé de la lettre litigieuse ne crée pas de certitude quant à la question de savoir si l’enquête concerne un comportement qui serait reproché à la requérante. L’absence de cette certitude découle notamment de la non-révélation des charges soulevées, voire des règles dont la violation faisait l’objet de l’enquête, ainsi que de la circonstance qu’il n’est pas exclu que le droit de s’exprimer à la fin d’une enquête administrative n’appartienne pas uniquement à la personne mise en cause.

63      Les informations contenues dans la lettre litigieuse n’étaient donc pas de nature à causer une atteinte à l’image et à la réputation de la requérante.

64      En tout état de cause, même si les arguments de la requérante devaient être compris en ce sens qu’elle demande la réparation d’un préjudice matériel, il importe de constater qu’elle n’a pas présenté de preuves de l’existence d’un tel préjudice et encore moins les données sur lesquelles se fonde son évaluation. Or, contrairement à ce que demande la requérante, cette évaluation ne saurait être effectuée simplement en équité (arrêt SELEX Sistemi Integrati/Commission, point 31 supra, point 37).

65      Il s’ensuit que la condition relative à la réalité du dommage n’est pas satisfaite. Partant, le recours doit être rejeté pour ce volet sans qu’il soit indispensable d’examiner les conditions relatives au comportement illicite de l’institution concernée et au lien de causalité.

 Sur la responsabilité non contractuelle de la Commission en raison de la communication aux autres membres du consortium des informations relatives à la politique de recrutement de la requérante

66      La requérante soutient, en substance, que, en communiquant aux autres membres du consortium, dans la lettre litigieuse, des informations relatives à sa politique de recrutement, la Commission a violé son obligation de respect du secret professionnel, ainsi que les principes de bonne administration et de proportionnalité.

67      Elle souligne que le principal atout des sociétés actives dans son secteur est leur personnel, qui doit disposer de compétences spécialisées. Ces sociétés se trouveraient dans un processus constant de recrutement des personnes les mieux qualifiées sur le marché. C’est pourquoi, les modalités de leur recrutement feraient l’objet de recherches à long terme et traduiraient les choix de politique commerciale de ces entreprises. Il s’agirait donc de données commerciales sensibles couvertes par le secret professionnel, dont la divulgation à des tiers serait préjudiciable à la requérante, puisqu’elle conférerait auxdits tiers un avantage concurrentiel sur elle et puisqu’elle porterait atteinte à son image ainsi qu’à sa réputation professionnelle.

68      En premier lieu, la requérante soutient que les informations relatives à sa politique de recrutement, ainsi qu’à la mise en œuvre de celle-ci, étaient protégées par le secret professionnel, si bien qu’elles n’auraient pas dû être divulguées par la Commission. La notion de secret professionnel engloberait non seulement des informations confidentielles, mais également des secrets d’affaires (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Postbank/Commission, T‑353/94, Rec. p. II‑921, point 86).

69      En particulier, il ressortirait de l’article 287 CE et de l’article 17 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne que ces derniers s’abstiennent, même après la cessation de leurs fonctions, de toute divulgation non autorisée d’informations portées à leur connaissance dans l’exercice de leurs fonctions, et notamment celles qui sont couvertes par le secret professionnel, à moins que ces informations n’aient déjà été rendues publiques ou ne soient accessibles au public.

70      Quant aux secrets d’affaires et aux informations couvertes par le secret professionnel, il ressortirait de l’arrêt du Tribunal du 8 novembre 2011, Idromacchine e.a./Commission (T‑88/09, Rec. p. II‑7833, point 45, et la jurisprudence citée), qu’il est d’abord nécessaire qu’ils ne soient connus que d’un nombre restreint de personnes. Ensuite, il devrait s’agir d’informations dont la divulgation est susceptible de causer un préjudice sérieux à la personne qui les a fournies ou à des tiers. Enfin, il faudrait que les intérêts susceptibles d’être lésés par la divulgation d’une information soient objectivement dignes de protection. L’appréciation du caractère confidentiel d’une information nécessiterait, à cet égard, une mise en balance des intérêts individuels légitimes qui s’opposent à sa divulgation et de l’intérêt général.

71      En ce qui concerne les principes de bonne administration et de proportionnalité, ils constitueraient des normes juridiques de rang supérieur et conféreraient aux particuliers des droits qui sont de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté (en ce qui concerne le principe de bonne administration, arrêt du Tribunal du 17 février 1998, Pharos/Commission, T‑105/96, Rec. p. I‑I285, points 73 à 78 ; s’agissant du principe de proportionnalité, arrêt de la Cour du 7 septembre 2006, Espagne/Conseil, C‑310/04, Rec. p. I‑7285, et arrêt du Tribunal du 20 janvier 2010, Sungro e.a./Conseil et Commission, T‑252/07, T‑271/07 et T‑272/07, Rec. p. II‑55, point 51). Plus particulièrement, le principe de bonne administration conférerait des droits aux particuliers lorsqu’il constitue une expression de droits spécifiques (arrêt du Tribunal du 4 octobre 2006, Tillack/Commission, T‑193/04, Rec. p. II‑3995, point 127), comme le principe de proportionnalité. Or, il résulterait de ce dernier principe que les actes des institutions communautaires ne doivent pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il conviendrait de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du Tribunal du 10 décembre 2009, Antwerpse Bouwwerken/Commission, T‑195/08, Rec. p. II‑4439, point 57).

72      Concrètement, la requérante estime que la Commission a divulgué, sans son autorisation, une partie du message standard qu’elle envoyait à ses collaborateurs potentiels, figurant dans sa lettre du 8 novembre 2006 envoyée à la Commission. La lettre litigieuse aurait par ailleurs comporté d’autres informations relatives à la politique commerciale de la requérante, telles que le fait que la requérante s’adressait par courrier électronique aux collaborateurs potentiels répertoriés dans une liste spécifique de destinataires.

73      Le caractère disproportionné de l’agissement de la Commission serait mis en évidence par le fait que, si, par la lettre litigieuse, la Commission souhaitait, en réaction à la lettre du CEPD du 19 juin 2007, uniquement obtenir une réponse à la question de savoir si les courriels en masse avaient été envoyés par la requérante à titre individuel ou en sa qualité de représentant du consortium, elle aurait alors pu poser cette question directement à tous les membres du consortium, sans mentionner les informations sur sa politique en matière de recrutement. En outre, il découlerait déjà d’une manière claire, tant de la correspondance antérieure entre les parties que de la rédaction du message standard, que la requérante envoyait lesdits courriels à ses collaborateurs potentiels en son nom propre et pour son compte.

74      En second lieu, il résulterait de l’arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, point 29 supra (point 44 et la jurisprudence citée) que, lorsqu’une institution communautaire ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée. Or, ceci aurait été précisément le cas en l’espèce, étant donné que la Commission ne disposait en vertu des règles susmentionnées d’aucune marge d’appréciation concernant la divulgation des informations en question à des tiers. Par conséquent, la Commission aurait violé lesdites règles de manière suffisamment caractérisée.

75      La Commission conteste les arguments de la requérante. Elle soutient, en substance, que les informations en question étaient déjà connues sur le marché concerné au moment de l’envoi de la lettre litigieuse, si bien que leur communication aux autres membres du consortium ne saurait être constitutive d’une illégalité quelconque.

76      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, une règle de droit a pour objet de conférer des droits aux particuliers lorsque la violation concerne une disposition qui engendre des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder, de sorte qu’elle a un effet direct (arrêt de la Cour du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I‑1029, point 54), qui engendre un avantage susceptible d’être qualifié de droit acquis (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, Rec. p. II‑125, points 63 à 65), qui a pour fonction de protéger les intérêts des particuliers (arrêt de la Cour du 25 mai 1978, Bayerische HNL Vermehrungsbetriebe e.a./Conseil et Commission, 83/76, 94/76, 4/77, 15/77 et 40/77, Rec. p. 1209, point 5) ou qui procède à l’attribution de droits au profit des particuliers dont le contenu peut être suffisamment identifié (arrêt de la Cour du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a., C‑178/94, C‑179/94, C‑188/94 à C‑190/94, Rec. p. I‑4845, point 22, et arrêt du Tribunal du 19 octobre 2005, Cofradía de pescadores « San Pedro de Bermeo » e.a./Conseil, T‑415/03, Rec. p. II‑4355, point 86).

77      Il en est à l’évidence ainsi du principe du respect du secret professionnel, qui crée pour les particuliers des droits précis à la protection des informations confidentielles, qu’ils peuvent faire valoir devant le juge communautaire à l’encontre des institutions communautaires (arrêt Franchet et Byk/Commission, point 58 supra, point 218).

78      Quant aux principes de bonne administration et de la proportionnalité, il convient de rappeler que le premier d’entre eux ne constitue pas, en lui-même, une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Area Cova e.a./Commission et Conseil, T‑196/99, Rec. p. II‑3597, point 43), sauf lorsqu’il constitue l’expression de droits spécifiques, tel que le droit de voir traiter ses affaires de manière confidentielle (arrêt Franchet et Byk/Commission, point 58 supra, point 218) ou le principe de proportionnalité. Ce dernier exige, quant à lui, que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché (voir arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Conserve Italia/Commission, T‑305/00, Rec. p. II‑5659, point 111, et la jurisprudence citée). Or, en excipant de la violation de ces deux principes, la requérante conteste, en effet, la divulgation aux tiers d’informations qui seraient, en raison de leur caractère confidentiel, couvertes par le secret professionnel.

79      Il convient donc d’apprécier le bien-fondé de ces arguments sous l’angle de la prétendue violation du secret professionnel par la Commission. Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence, qu’un examen de la proportionnalité fait, en tout état de cause, partie de l’appréciation de la mise en balance des intérêts individuels légitimes qui s’opposent à la divulgation d’une information donnée et de l’intérêt général qui veut que les activités des institutions se déroulent dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture (arrêt Idromacchine e.a./Commission, point 70 supra, points 45 et 50).

80      En ce qui concerne la prétendue violation du secret professionnel, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 287 CE, les membres des institutions de la Communauté, les membres des comités ainsi que les fonctionnaires et agents de la Communauté sont tenus, même après la cessation de leurs fonctions, de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, et notamment les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient.

81      Si l’article 287 CE n’indique pas explicitement quelles informations, en dehors des secrets d’affaires, sont couvertes par le secret professionnel, il ressort de la jurisprudence que cette notion couvre également des informations qui doivent être considérées comme confidentielles (arrêt Postbank/Commission, point 68 supra, point 86).

82      À cet égard, s’agissant, d’une manière générale, de la nature des secrets d’affaires ou des autres informations couvertes par le secret professionnel, il est nécessaire, d’abord, que ces secrets d’affaires ou ces informations confidentielles ne soient connus que d’un nombre restreint de personnes. Ensuite, il doit s’agir d’informations dont la divulgation est susceptible de causer un préjudice sérieux à la personne qui les a fournies ou à des tiers. Enfin, il faut que les intérêts susceptibles d’être lésés par la divulgation de l’information soient objectivement dignes de protection. L’appréciation du caractère confidentiel d’une information nécessite, à cet égard, une mise en balance des intérêts individuels légitimes qui s’opposent à sa divulgation et des intérêts généraux poursuivis par sa divulgation (voir arrêt Idromacchine e.a./Commission, point 70 supra, point 45, et la jurisprudence citée).

83      À titre liminaire, il importe d’identifier les informations relatives à la politique de la requérante en matière de recrutement contenues dans la lettre litigieuse.

84      Il s’agit d’un court extrait du message standard que la requérante envoyait à ses collaborateurs potentiels, et qui figurait dans la lettre qu’elle a envoyée à la Commission le 8 novembre 2006. Il ressort également de cette lettre que la requérante s’adresse par courriels aux collaborateurs potentiels répertoriés dans une liste spécifique de destinataires.

85      Il convient donc d’examiner, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 82 ci-dessus, si ces informations peuvent être considérées comme confidentielles. En effet, en l’absence de caractère confidentiel desdites informations, aucune violation du secret professionnel ne saurait être reprochée à la Commission en raison de leur communication aux autres entreprises du consortium.

86      Premièrement, la question de savoir si ces informations peuvent être considérées comme connues uniquement par un nombre restreint de personnes au moment de l’envoi de la lettre litigieuse doit recevoir une réponse négative.

87      Tout d’abord, la Commission soutient à juste titre que la requérante a admis elle-même que sa politique en matière de recrutement, qui fait l’objet de la présente affaire, est largement partagée par le secteur dans lequel elle évolue. Or, ainsi qu’elle l’a elle-même admis dans sa lettre du 5 décembre 2006, qui fait suite au courrier de la Commission du 24 novembre 2006 (point 7 ci-dessus), le marché des ressources humaines, pour le secteur de l’informatique, dans lequel elle opère, est restreint et transparent, étant donné que les experts se connaissent au niveau individuel puisqu’ils travaillent ensemble sur divers projets. C’est pourquoi, il est très improbable que les autres sociétés évoluant dans le même domaine n’étaient pas au courant du fait que la requérante envoyait ses offres d’emploi, au moyen de courriels en masse à des destinataires qu’elle fichait dans une liste de diffusion.

88      Ensuite, d’une part, la requérante n’a nié ni l’envoi en masse de ses courriels avec les offres d’emplois ni le fait qu’ils contenaient la phrase « vous avez été inclus dans la liste de diffusion d’offres d’emploi de European Dynamics ». D’autre part, le message standard envoyé par la requérante à la Commission, le 8 novembre 2006, contient plusieurs mentions d’une telle liste de diffusion d’offres d’emploi. Par conséquent, à la suite de l’envoi desdits courriels, un très grand nombre de personnes devait être parfaitement au courant de la circonstance que la requérante adressait ses offres d’emploi par courriels aux personnes qu’elle fichait dans une liste de diffusion.

89      Enfin, le caractère public de ces informations est confirmé par l’existence de la plainte du 14 juin 2007 auprès du CEPD, dont le sujet était justement lesdits courriels.

90      Deuxièmement, la divulgation des informations relatives à la politique de recrutement de la requérante est susceptible de la désavantager par rapport à des entreprises tierces qui ont reçu de telles informations et de lui causer un préjudice économique. En revanche, la requérante n’a pas expliqué en quoi la divulgation de ces informations pourrait porter préjudice à son image ou à sa réputation professionnelle, c’est-à-dire, lui causer un préjudice moral. Il ressort plutôt des points 4 à 6 de son mémoire introductif d’instance que la requérante défend le caractère légitime de sa politique de recrutement et la considère indispensable pour pouvoir accomplir les tâches qui lui sont confiées dans le cadre des marchés publics.

91      Troisièmement, il n’est pas exclu que les intérêts lésés par la divulgation des informations en question, à savoir des intérêts économiques, soient dignes de protection.

92      Quatrièmement, en ce qui concerne la mise en balance des intérêts individuels légitimes qui s’opposent à sa divulgation et des intérêts généraux poursuivis par sa divulgation, le passage reproduit du courriel standard de la requérante et les informations sur les offres d’emplois envoyées en masse aux destinataires répertoriés dans une liste de diffusion étaient nécessaires pour pouvoir identifier avec certitude, dans le cadre de l’enquête menée par la Commission, les courriels faisant l’objet de l’enquête.

93      Partant, il suffit de constater que dans la mesure où les informations en question n’étaient pas connues uniquement par un nombre restreint de personnes et que les intérêts généraux poursuivis par leur communication aux autres membres du consortium primaient les intérêts individuels de la requérante qui s’y opposaient, ces informations ne sauraient être considérées comme confidentielles au sens de la jurisprudence rappelée au point 82 ci-dessus. Cette conclusion est encore corroborée par la circonstance que la requérante est restée en défaut de démontrer que leur communication aux autres membres du consortium était susceptible de causer une atteinte à son image et à sa réputation.

94      La Commission n’a donc pas violé son obligation de secret professionnel en raison de cette communication, si bien que la condition tenant à la violation caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers n’est pas satisfaite.

95      Il s’ensuit que le recours doit être rejeté pour ce volet sans qu’il soit indispensable d’examiner les conditions relatives à l’existence du préjudice et au lien de causalité.

96      Par conséquent, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

97      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE est condamnée aux dépens.

Dittrich

Schwarcz

Tomljenović

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 octobre 2014.

Signatures


* Langue de procédure : le grec.