CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
Mme Juliane Kokott
présentées le 15 juillet 2010 (1)
Affaire C‑163/09
Repertoire Culinaire Ltd
contre
The Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs
[demande de décision préjudicielle formée par le First-Tier Tribunal (Tax) (Royaume-Uni)]
«Impôts indirects – Droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques – Alcool éthylique – Vin, porto et cognac de cuisine (alcools de cuisine) – Produits soumis à accise – Exonération du droit d’accise – Procédure de remboursement de l’accise – Directive 92/12/CEE – Directive 92/83/CEE – Nomenclature combinée – Positions NC 2103, 2204, 2207 et 2208»
I – Introduction
1. L’utilisation du vin à des fins culinaires s’inscrit dans une tradition millénaire en Europe. Le gourmet romain Marcus Gavius Apicius (2), auteur supposé d’un des plus anciens livres de cuisine (3), avait, dit-on, déjà coutume d’utiliser du vin pour confectionner ses sauces (4).
2. Ce n’est donc pas tant la question du bon usage du vin dans la cuisine qui est en l’espèce controversée. Toutes les parties au principal sont d’ailleurs d’accord pour reconnaître qu’un plat réalisé dans les règles de l’art avec du vin en suivant une recette traditionnelle – par exemple un bœuf bourguignon – ne contient pas plus de 5 % d’alcool.
3. L’objet de la présente procédure préjudicielle porte plutôt sur la question de savoir si un vin, un porto ou un cognac exclusivement destinés à un usage culinaire sont soumis à l’accise harmonisée, au niveau de l’Union, sur l’alcool et les boissons alcooliques et à quelles conditions ils doivent le cas échéant en être exonérés. Il ne semble pas y avoir de pratique uniforme en la matière parmi les États membres.
4. Le vin de cuisine, le porto de cuisine et le cognac de cuisine litigieux dans l’affaire au principal sont des alcools auxquels le producteur a ajouté du sel et du poivre si bien que – conformément à leur destination – ils ne peuvent être utilisés que dans la préparation des mets et sont inconsommables en tant que boissons. L’administration fiscale britannique (5) considère néanmoins que ces produits sont soumis aux droits d’accises sur l’alcool. Elle a par conséquent saisi, à l’occasion de son importation de France vers le Royaume-Uni, la cargaison non imposée d’un véhicule, comprenant du vin de cuisine, du porto de cuisine et du cognac de cuisine (ci-après: «alcools de cuisine»), qui était destinée au grossiste londonien en denrées alimentaires Repertoire Culinaire Ltd (ci-après «Repertoire Culinaire»). Repertoire Culinaire et les autorités britanniques s’opposent maintenant sur la question de la restitution de cette marchandise.
5. La solution de ce litige semble en principe être évidente, la Cour ayant en effet déjà eu l’occasion d’affirmer, dans l’arrêt Gourmet Classic (6), que le vin de cuisine était soumis aux droits d’accises. La Cour se voit toutefois en l’espèce expressément invitée à reconsidérer son appréciation juridique dans cette affaire et à la compléter sur quelques points.
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
6. Le cadre juridique de cette affaire est constitué, en droit de l’Union, par la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (7), et par la directive 92/83/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques (8). Par ailleurs, des passages de la nomenclature combinée (ci-après la «NC») présentent également un intérêt pour la solution du présent litige.
1. La directive 92/12
7. Les dispositions générales de la directive 92/12 déterminent notamment dans quel État membre et à quel moment les droits d’accises deviennent exigibles sur les produits qui y sont soumis. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 92/12 précise à ce propos:
«L’accise devient exigible lors de la mise à la consommation […]»
8. L’article 7 de la directive 92/12 est libellé de la manière suivante:
«1. Dans le cas où des produits soumis à accise ayant déjà été mis à la consommation dans un État membre sont détenus à des fins commerciales dans un autre État membre, les droits d’accises sont perçus dans l’État membre dans lequel ces produits sont détenus.
2. À cette fin, sans préjudice de l’article 6, lorsque les produits ayant déjà été mis à la consommation telle que définie à l’article 6 dans un État membre sont livrés, destinés à être livrés ou affectés à l’intérieur d’un autre État membre aux besoins d’un opérateur accomplissant de manière indépendante une activité économique ou aux besoins d’un organisme de droit public, l’accise devient exigible dans cet autre État membre.
[…]»
2. La directive 92/83
9. La section V de la directive 92/83 contient, dans ses articles 19 à 23, des dispositions relatives à l’imposition de l’alcool éthylique. L’article 19, paragraphe 1, de la directive énonce à ce propos:
«Les États membres appliquent une accise à l’alcool éthylique conformément à la présente directive.»
10. L’article 20 de la directive 92/83 est ainsi libellé:
«Aux fins de la présente directive, on entend par alcool éthylique:
– tous les produits qui ont un titre alcoométrique acquis excédant 1,2 % vol et qui relèvent des codes NC 2207 et 2208, même lorsque ces produits font partie d’un produit relevant d’un autre chapitre de la nomenclature combinée,
– les produits qui ont un titre alcoométrique acquis excédant 22 % vol et qui relèvent des codes NC 2204, 2205 et 2206,
– les eaux-de-vie contenant des produits en solution ou non.»
11. L’article 27 de la directive 92/83 figure à la section VII, consacrée aux exonérations, et est libellé de la manière suivante:
«1. Les États membres exonèrent les produits couverts par la présente directive de l’accise harmonisée dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et directe de ces exonérations et d’éviter toute fraude, évasion ou abus, lorsqu’ils sont:
[…]
e) utilisés pour la production d’arômes destinés à la préparation de denrées alimentaires et de boissons non alcooliques ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % vol;
f) utilisés directement ou en tant que composants de produits semi-finis pour la fabrication d’aliments, fourrés ou non, à condition que, dans chaque cas, la teneur en alcool n’excède pas 8,5 litres d’alcool pur par 100 kilogrammes de produit entrant dans la composition de chocolats et 5 litres d’alcool pur par 100 kilogrammes de produit entrant dans la composition d’autres produits.
[…]
6. Les États membres peuvent donner effet aux mesures d’exonération mentionnées ci-dessus par un remboursement de l’accise acquittée.»
3. La nomenclature combinée
12. Les positions 2204 à 2208 de la NC (9), auxquelles se réfère l’article 20 de la directive 92/83, figurent au chapitre 22 de la NC («boissons, liquides alcooliques et vinaigres») et portent sur les produits suivants:
2204 Vins de raisins frais […]
2204 10 − Vins mousseux
[…]
2204 21 − autres vins […] en récipients d’une contenance n’excédant pas 2 l
[…]
− − − − − ayant un titre alcoométrique volumique acquis n’excédant pas 15 % vol […]
[…]
− − − − − − − Vins blancs
[…]
− − − − − − − autres:
− − − − − ayant un titre alcoométrique volumique acquis excédant 15 % vol et n’excédant pas 22 % vol:
2204 21 89 − − − − − − − Vin de Porto
…
2205 Vermouths et autres vins de raisins frais préparés à l’aide de plantes ou de substances aromatiques […]
[…]
2206 Autres boissons fermentées (cidre, poiré, hydromel, par exemple); mélanges de boissons fermentées et mélanges de boissons fermentées et de boissons non alcooliques, non dénommés ni compris ailleurs […]
[…]
2207 Alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de 80 % vol ou plus; alcool éthylique et eaux-de-vie dénaturés de tous titres:
2207 10 00 − Alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de 80 % vol ou plus
2207 20 00 − Alcool éthylique et eaux-de-vie dénaturés de tous titres
2208 Alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de moins de 80 % vol; eaux-de-vie, liqueurs et autres boissons spiritueuses; préparations alcooliques composées des types utilisés pour la fabrication des boissons:
2208 20 − Eaux-de-vie de vin ou de marc de raisins:
− − présentées en récipients d’une contenance n’excédant pas 2 l:
2208 20 12 − − − Cognac
[…]
− − Alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de moins de 80 % vol, présenté en récipients d’une contenance:
2208 90 91 − − − n’excédant pas 2 l
2209 Vinaigres comestibles […]
[…]»
13. Il est entre autres précisé, à l’introduction du chapitre 22, sous l’intitulé «Notes»:
«1. Le présent chapitre ne comprend pas:
a) les produits de ce chapitre (autres que ceux du n° 2209) préparés à des fins culinaires, rendus ainsi impropres à la consommation en tant que boissons (n° 2103 généralement); […]»
14. À titre complémentaire, il convient de mentionner la position NC 2103, qui relève du chapitre 21 de la NC («préparations alimentaires diverses») et désigne les produits suivants:
«2103 Préparations pour sauces et sauces préparées; condiments et assaisonnements, composés; farine de moutarde et moutarde préparée:
[…]
2103 90 – autres
[…]
2103 90 90 – – autres
[…]»
B – Le droit national
15. La disposition pertinente du droit du Royaume-Uni est l’article 4 du chapitre 4 de la loi de finances de 1995 (ci-après la «FA 1995») (10). Cette disposition, qui, d’après les parties à la procédure, a été adoptée pour transposer la directive 92/83, instaure une procédure pour le remboursement des droits d’accises sur les alcools. Elle est libellée de la manière suivante:
«Exonération pour les ingrédients alcooliques
(1) Toute personne s’étant acquittée de l’accise sur des boissons alcooliques imposables et parvenant à démontrer à suffisance de droit aux Commissioners que celles-ci
a) ont été utilisées en tant qu’ingrédient dans le cadre de la production ou de la fabrication d’un produit au sens du paragraphe 2 […]
[…]
peut, conformément aux dispositions du présent article, exiger des Commissioners le remboursement de l’accise payée.
(2) Les produits relevant du présent paragraphe sont
[…]
c) […] les aliments alcoolisés destinés à la consommation humaine contenant jusqu’à 5 litres d’alcool pour 100 kg d’aliments.
(3) L’accise payée sur l’alcool ne peut, en vertu du présent article, être remboursée qu’à la personne
a) qui a utilisé l’alcool en tant qu’ingrédient dans un produit au sens du paragraphe 2, ou qui l’a transformé en vinaigre;
b) qui commercialise en gros les produits correspondant à la définition du paragraphe 2 ou le vinaigre;
c) qui a produit ou fabriqué le produit ou le vinaigre aux fins de cette activité;
d) qui introduit une demande de remboursement conformément aux dispositions ci-dessous du présent article et
e) qui prouve aux Commissioners que les conditions mentionnées ci-dessus sous a) à c) sont réunies et que le remboursement demandé ne concerne aucune accise qui a été remboursée ou restituée avant l’introduction de la demande.
(4) La demande de remboursement en vertu du présent article doit se conformer, tant dans sa forme, son mode d’introduction et son contenu, aux instructions qui auront été données par les Commissioners soit de manière générale, soit pour le cas particulier.
(5) Pour autant que les Commissioners n’en décident pas autrement, une demande de remboursement en vertu du présent article ne peut être introduite que si
a) elle concerne l’accise prélevée sur de l’alcool qui, au cours d’une période de trois mois s’étant achevée au plus tard un mois avant l’introduction de ladite demande, a été utilisé comme ingrédient ou a été transformé en vinaigre et
b) le montant du remboursement demandé est d’au moins 250 GBP.
(6) Les Commissioners peuvent, par voie d’arrêté, augmenter provisoirement le montant prévu à l’article 5, sous b) […]
[…]»
III – Les faits et la procédure au principal
16. Repertoire Culinaire est un grossiste faisant commerce de denrées alimentaires à Londres.
17. Le 10 juillet 2002, un véhicule avec remorque a été intercepté par des agents de l’administration des douanes du Royaume-Uni dans leur zone de contrôle douanier (11) à Coquelles (France). L’inspection du véhicule a permis de constater que celui-ci avait chargé plusieurs palettes de vin blanc, vin rouge, porto et cognac, qui étaient destinés à Repertoire Culinaire. Dans le détail, les produits suivants ont été trouvés:
– 5 palettes dont chacune contenait 70 caisses de vin blanc (11 % d’alcool par volume). Chaque caisse comprenait 8 litres de vin, formant ainsi un total de 2 800 litres de vin blanc,
– 5 palettes comportant la même quantité de vin rouge (11 % d’alcool par volume).
– une palette comprenant 20 caisses de porto (19 % d’alcool par volume), étant précisé que chaque caisse contenait 8 litres de porto, ce qui faisait au total 160 litres de porto, et
– 10 caisses contenant chacune 8 litres de cognac (40 % d’alcool par volume), soit 80 litres de cognac au total.
18. Des enquêtes plus poussées ont permis de constater les éléments suivants: l’emballage du cognac portait la mention «non buvable» et indiquait la présence de 1 % d’«additifs». Le vin contenait 2 % d’additifs. Le porto ne portait pas d’étiquette indiquant la présence d’additifs. Par ailleurs, sur la facture adressée à Repertoire Culinaire par le fournisseur français, chacun des produits était suivi de la mention «salé – poivré» (12) et du code NC 2103 90 90 89 (13).
19. Les parties au principal sont d’accord sur le fait que les produits concernés sont des vins, porto ou cognac dits de cuisine, c’est-à-dire des vins, du porto ou du cognac auxquels ont été ajoutés du sel et du poivre lors de la production. L’adjonction de sel et de poivre rend ces produits inconsommables en tant que boissons (14), mais n’empêche pas leur utilisation dans des préparations culinaires. Il est impossible, en tout cas à un coût raisonnable, d’inverser le processus de mixtion pour séparer la boisson alcoolique du poivre et du sel ou d’isoler la totalité de l’alcool présent dans le vin.
20. Le vin de cuisine est fait de vin, lequel résulte exclusivement d’un processus de fermentation. Les parties s’accordent à reconnaître que, lorsque le vin de cuisine est utilisé comme ingrédient en suivant une recette traditionnelle, le produit final contient toujours moins de 5 % d’alcool par volume.
21. Toutes les marchandises ont été retenues par l’administration des douanes au motif qu’il n’existait pour elles ni document administratif d’accompagnement (15) ni preuve du paiement des droits d’accises britanniques. Le 16 juillet 2002, elles ont été saisies en vue de leur confiscation. La restitution de la marchandise demandée par Repertoire Culinaire a été refusée. Après réexamen des faits sur réclamation de Repertoire Culinaire, ce refus a été maintenu par une décision du 17 octobre 2002. Cette décision énonçait à titre de motivation que les produits étaient, en tant qu’alcool, soumis à l’accise au Royaume-Uni (16).
22. Le 4 novembre 2002, Repertoire Culinaire a introduit un recours contre la décision du 17 octobre 2002 rendue sur sa réclamation. La procédure est actuellement pendante devant le First-Tier Tribunal (Tax) (17).
IV – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
23. Par décision du 24 avril 2009, parvenue à la Cour le 8 mai 2009, le First‑Tier Tribunal (Tax) a sursis à statuer et a posé à la Cour les quatre questions préjudicielles suivantes:
«1) Le vin de cuisine et le porto de cuisine sont-ils soumis, dans l’État membre d’importation, à l’accise en vertu de la directive 92/83/CEE, au motif qu’ils entrent dans la définition d’«alcool éthylique» au sens de l’article 20, premier tiret, de la directive?
2) Le fait de réserver l’exonération du vin de cuisine, du porto de cuisine et du cognac de cuisine à des cas où les boissons alcoolisées ont été employées comme des ingrédients et le fait de ne faire bénéficier de l’exonération que les personnes ayant utilisé les boissons alcoolisées comme des ingrédients dans des produits et/ou les personnes exerçant une activité de grossiste de tels produits et/ou ayant produit ces derniers aux fins d’une telle activité et le fait d’imposer en outre les conditions que la demande soit introduite dans les quatre mois à compter du versement de l’accise et que le montant du remboursement ne soit pas inférieur à 250 GBP sont-ils conformes à l’obligation d’un État membre de donner effet à l’exonération de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83, lu avec son article 27, paragraphe 6, et/ou à l’article 28 CE et/ou à l’effet direct de ces obligations et/ou aux principe d’égalité de traitement et de proportionnalité?
3) Le vin de cuisine et le porto de cuisine – dans l’hypothèse où ils sont soumis à l’accise en vertu de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83 – et/ou le cognac de cuisine, visés dans le présent recours, doivent-ils être considérés comme exonérés d’accise au stade de la production, au titre de l’article 27, paragraphe 1, sous f), et subsidiairement de l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83?
4) À la lumière des articles 10 CE et 28 CE, quel est l’effet sur les obligations des États membres découlant de l’article 20 et de l’article 27, paragraphe 1, sous f) ou subsidiairement sous e), de la directive 92/83, lorsque du vin de cuisine, du porto de cuisine et du cognac de cuisine ont été exonérés du système d’accise de la directive 92/12 par l’État membre du lieu de production et ont été mis en libre circulation dans l’Union européenne?»
24. Devant la Cour, Repertoire Culinaire et la Commission européenne ont présenté des observations écrites et orales. Les gouvernements polonais et portugais ont également participé à la procédure écrite; le gouvernement français a présenté des observations orales lors de l’audience du 10 juin 2006 (18).
V – Analyse
25. La directive 92/83, dans la ligne du régime général des produits soumis à accises, tel qu’il a été instauré par la directive 92/12, oblige les États membres à prélever sur l’alcool et les boissons alcooliques une accise harmonisée en vertu du droit de l’Union. Sont imposables la bière (section I de la directive 92/83), les vins (section II de la directive 92/83), les «boissons fermentées autres que le vin ou la bière» (section III de la directive 92/83), les «produits intermédiaires» (section IV de la directive 92/83) et l’«alcool éthylique» (section V de la directive 92/83).
26. Au premier abord, on peut être tenté de penser que le «vin de cuisine» est, comme n’importe quel autre vin, soumis à l’accise en vertu de la section II de la directive 92/83. C’est d’ailleurs le cas lorsque le produit en cause est un vin de qualité marchande qui n’a pas recueilli la faveur des consommateurs tout au plus en raison de ses propriétés gustatives et qui, pour cette raison, est appelé dans le langage courant «vin de cuisine». Un tel vin est et reste une boisson, c’est seulement la sensation subjective du consommateur qui conduit à considérer qu’il est de qualité inférieure et qu’il convient par conséquent de le destiner à un autre usage.
27. Tel n’est toutefois pas le cas en ce qui concerne les alcools de cuisine en cause au principal. D’après les indications de la juridiction de renvoi qui est seule compétente pour constater et apprécier les faits (19), l’adjonction de sel et de poivre les a rendus impropres à la consommation en tant que boissons. Il convient de partir de ce constat de fait dans le cadre de la réponse aux questions préjudicielles, même si le gouvernement polonais estime pour sa part que les produits en cause sont buvables. Les parties au principal sont d’ailleurs d’accord sur le fait que les alcools de cuisine en cause sont tout au plus susceptibles de relever du champ d’application de la section V de la directive 92/83 (alcool éthylique), à l’exclusion de toute autre section de cette même directive.
A – La première question préjudicielle: la notion d’«alcool éthylique» au sens de la directive 92/83
28. Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si le vin de cuisine et le porto de cuisine auxquels ont été ajoutés du sel et du poivre et qui sont par conséquent impropres à être consommés en tant que boissons peuvent entrer dans la définition d’«alcool éthylique» au sens de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83 et, partant, sont soumis à l’accise harmonisée sur l’alcool. Le cognac de cuisine n’est pas concerné par cette première question.
1. Remarque préliminaire
29. Dans le langage courant, les termes «esprit-de-vin», «spiritueux», ou tout simplement «alcool» sont utilisés comme des synonymes d’«alcool éthylique». La question de savoir s’il y a alcool éthylique au sens de la législation sur les accises ne dépend pas, toutefois, de la signification que cette expression peut revêtir dans le langage courant, mais uniquement de la définition fixée par le législateur de l’Union à l’article 20 de la directive 92/83, laquelle soumet exactement trois catégories de produits à l’accise harmonisée en tant qu’alcool éthylique. Cette disposition consacre un tiret à chacune de ces catégories.
30. Les préparations telles que le vin de cuisine et le porto de cuisine en cause au principal sont d’emblée exclues de la catégorie des eaux-de-vie («Trinkbranntwein»), variantes de l’alcool éthylique (article 20, troisième tiret, de la directive 92/83), parce qu’elles sont rendues impropres à la consommation en tant que boissons du fait de l’adjonction de sel et de poivre.
31. Le vin de cuisine ou le porto de cuisine ne peuvent pas davantage être rattachés aux produits relevant des codes NC 2204, 2205 et 2206 – c’est-à-dire, pour simplifier: vins de raisins frais, vermouths et autres boissons fermentées – (article 20, deuxième tiret, de la directive 92/83) parce que ces produits ont eux aussi comme caractéristique commune d’être des boissons. Indépendamment de cela, la teneur en alcool du vin de cuisine et du porto de cuisine, respectivement de 11 % vol et de 19 % vol, sont en deçà du titre alcoométrique minimal («excédant 22 % vol») requis, en vertu du deuxième tiret de l’article 20 de la directive 92/83, pour pouvoir retenir la présence d’alcool éthylique au sens de la législation sur les accises.
32. Reste encore à examiner, toutefois, la question de savoir si le vin de cuisine et le porto de cuisine, tels que ceux qui ont en l’espèce été saisis, peuvent éventuellement relever du premier tiret de l’article 20 de la directive 92/83. Les développements ci-dessous sont consacrés à cette question.
2. L’alcool éthylique au sens de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83
33. Selon l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83, on entend par alcool éthylique «tous les produits qui ont un titre alcoométrique acquis excédant 1,2 % vol et qui relèvent des codes NC 2207 et 2208, même lorsque ces produits font partie d’un produit relevant d’un autre chapitre de la nomenclature combinée».
34. Dans l’arrêt Gourmet Classic, la Cour a considéré que cette disposition était applicable en ce qui concerne le vin de cuisine (20). La juridiction de renvoi invite toutefois la Cour à reconsidérer l’analyse à laquelle elle avait procédé dans cette affaire. Je me rallie à ce point de vue.
35. Il ne fait certes aucun doute que le vin de cuisine et le porto de cuisine, avec des titres alcoométriques respectifs de 11 % vol et de 19 % vol, atteignent la teneur en alcool minimale de plus de 1,2 % exigée à l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83. La question de savoir si ces deux alcools de cuisine peuvent être rangés dans les positions NC 2207 et 2208 auxquelles renvoie le législateur de l’Union exige toutefois, quant à elle, un examen plus approfondi.
– La position NC 2207
36. La position NC 2207 comprend, d’une part, l’alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de 80 % vol ou plus (sous-position NC 2207 10 00) et, d’autre part l’alcool éthylique et les eaux-de-vie dénaturés de tous titres (sous-position NC 2207 20 00). Les alcools de cuisine litigieux dans l’affaire au principal ne peuvent être rangés dans aucune de ces deux sous-positions.
37. Dans le cas présent, la sous-position NC 2207 10 00 est d’emblée à exclure parce que le titre alcoométrique des alcools de cuisine confisqués est très inférieur au titre alcoométrique de 80 % requis pour son application.
38. La sous-position NC 2207 20 00 doit également être écartée parce que les alcools de cuisine ne sont pas composés d’alcool ou d’eau-de-vie dénaturés. La dénaturation est une opération consistant à rendre l’alcool toxique afin qu’il soit impossible de l’absorber ou de le reconvertir pour un usage alimentaire (21). Dans le cas présent, les alcools de cuisine ont certes été rendus impropres à la consommation en tant que boissons, mais continuent de pouvoir être utilisés pour la production d’aliments. Par ailleurs, les ingrédients qui ont été ajoutés à cette fin, à savoir le sel et le poivre, ne font pas partie des dénaturants reconnus au sein de l’Union européenne (22).
– La position NC 2208
39. S’agissant, ensuite, de la position NC 2208, celle-ci comprenait à la date pertinente en l’espèce (23) trois sortes de boissons ou liquides alcooliques: «alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de moins de 80 % vol; eaux-de-vie, liqueurs et autres boissons spiritueuses; préparations alcooliques composées des types utilisés pour la fabrication des boissons» (24).
40. Les alcools de cuisine qui font l’objet de la première question préjudicielle (vin de cuisine et porto de cuisine) ne sont ni de l’eau-de-vie (sous-position NC 2208 20) ni des liqueurs (sous-position NC 2208 70). Le vin de cuisine et le porto de cuisine ne peuvent pas non plus être considérés comme d’«autres boissons spiritueuses», puisque l’addition de sel et de poivre les a rendus impropres à la boisson.
41. Le vin de cuisine et le porto de cuisine ne peuvent pas davantage relever de la catégorie des «préparations alcooliques composées des types utilisés pour la fabrication des boissons». En effet, conformément à l’usage auquel ils sont à l’évidence destinés, ces alcools de cuisine doivent précisément entrer non pas dans la production de boissons, mais uniquement dans des préparations culinaires.
42. Il serait tout au plus envisageable de ranger le vin de cuisine et le porto de cuisine dans la sous-position NC 2208 90 91 «Alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de moins de 80 % vol, présenté en récipients d’une contenance n’excédant pas 2 l».
43. Le libellé des différentes positions ne saurait toutefois constituer le seul critère de référence pour le classement des produits dans la NC. Les notes de sections ou de chapitres sont en effet également déterminantes (25).
44. Il ressort du point 1, sous a), des notes figurant en introduction du chapitre 22 de la NC que les produits préparés à des fins culinaires et ainsi rendus impropres à la consommation en tant que boissons ne sont pas inclus dans ce chapitre 22 (26), mais qu’ils doivent être rangés dans la position NC 2103, qui comprend les préparations alimentaires de manière générale (27).
45. La Cour reconnaît elle aussi expressément dans l’arrêt Gourmet Classic que le vin de cuisine est une préparation alimentaire qui, en tant que telle, relève du chapitre 21 et non du chapitre 22 de la NC (28).
46. Ainsi que Repertoire Culinaire le fait remarquer à juste titre, le vin de cuisine et le porto de cuisine ne peuvent par conséquent être considérés ni comme des produits au sens du code NC 2207 ni comme des produits au sens du code NC 2208.
– Le «produit dans le produit»
47. Dans l’arrêt Gourmet Classic, précité, la Cour a néanmoins considéré que la circonstance que le vin de cuisine est, en tant que tel, considéré comme une préparation alimentaire au sens du chapitre 21 de la NC, était «sans incidence» sur l’appréciation de l’obligation fiscale au titre de l’accise. Elle a souligné que l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83 s’appliquait même lorsque les produits entrant dans le champ d’application de cette disposition faisaient partie d’un produit relevant d’un autre chapitre de la nomenclature combinée.
48. Sur la base de cette considération, la Cour a énoncé que «l’alcool entrant dans la composition du vin de cuisine constitue, s’il a un titre alcoométrique acquis excédant 1,2 % vol, de l’alcool éthylique au sens de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83, qui est, sous réserve de l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous f), de cette directive, soumis à l’accise harmonisée» (29).
49. En d’autres termes, c’est simplement la part d’alcool que contient le vin de cuisine que la Cour traite comme un «produit dans le produit» soumis à l’accise au sens de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83.
50. La Commission a défendu la même analyse. Elle a fait valoir que l’article 20 de la directive 92/83 était une catégorie résiduelle générale, soumettant de manière très générale des produits alcooliques à l’accise harmonisée dans la mesure où ceux-ci ne relèvent pas d’une autre disposition de ladite directive.
51. Cette manière de voir ne me convainc pas. Elle n’est confortée ni par le libellé de l’article 20 ni par les objectifs ou l’économie d’ensemble de la directive 92/83.
52. Si le législateur de l’Union avait voulu que tous les produits dans lesquels certaines quantités d’alcool sont détectables soient considérés comme de l’alcool éthylique soumis à l’accise, il n’aurait pas eu besoin de recourir à un dispositif normatif aussi complexe que la directive 92/83. De toute évidence, l’objectif était de définir uniquement certaines boissons alcooliques et certains produits à teneur en alcool sur lesquels tous les États membres devraient prélever l’accise harmonisée (30). Aucun passage de la directive 92/83 ne contient d’élément indiquant que les produits qui ne relèvent d’aucune autre disposition de la directive relèvent en tout état de cause toujours de l’article 20. L’article 20 lui-même repose visiblement sur la prémisse selon laquelle il convient d’imposer en tant qu’alcool éthylique non pas tout alcool, quel qu’il soit, mais uniquement les trois groupes de produits contenant de l’alcool que lui-même définit plus précisément (31).
53. En soi, la circonstance qu’un produit tel que le vin de cuisine ou le porto de cuisine contienne de l’alcool est, selon l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83, une condition nécessaire («titre alcoométrique acquis excédant 1,2 % vol») mais non suffisante pour la perception de l’accise. Cette disposition exige en plus que l’alcool en cause revête la forme d’un produit ou d’une partie de produit relevant des codes NC 2207 et 2208.
54. Or, prise en tant que telle, la part d’alcool contenue dans le vin de cuisine ou le porto de cuisine n’est pas, justement, un produit (partiel) autonome. D’après toutes les informations dont nous disposons, le vin de cuisine et le porto de cuisine ne sont pas fabriqués de manière synthétique suivant la formule «alcool (pur) plus eau plus ingrédients aromatiques». Il s’agit en réalité de vin ou de porto normal, issu d’un processus de fermentation et auquel ont seulement été ajoutés du sel et du poivre. Cela a d’ailleurs été confirmé par toutes les parties lorsqu’elles ont été interrogées sur ce point lors de l’audience.
55. S’il existe, le «produit dans le produit» est donc non de l’alcool tout court mais du vin ou du porto. Le vin ou le porto constituent les bases respectives de la fabrication du vin de cuisine ou du porto de cuisine. Par conséquent, seuls le vin ou le porto peuvent être considérés comme des produits (partiels) qui, au sens de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83, «font partie d’un produit relevant d’un autre chapitre de la nomenclature combinée», à savoir le vin de cuisine ou le porto de cuisine.
56. Le vin et le porto, quant à eux, ne sont pas des produits qui relèvent des positions NC 2207 ou 2208, mais doivent plutôt être rangés dans la position NC 2204 (32). Par conséquent, même si le vin, ou le porto, devait être considéré comme un «produit dans le produit», l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83 ne serait pas applicable parce que ce «produit dans le produit» ne peut être rattaché à aucun des produits limitativement énumérés sous les codes NC 2207 ou 2208 (33).
57. Le point de savoir si et dans quelles conditions des produits relevant de la position NC 2204 (vin et porto) sont soumis à l’accise en tant qu’alcool éthylique résulte exclusivement du deuxième tiret, et non en revanche du premier tiret de l’article 20 de la directive 92/83.
58. Il est contraire au principe de sécurité juridique d’étendre l’application de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83, en dépit de son libellé, à des produits du code NC 2204 tels que le vin et le porto. Le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes fondamentaux du droit de l’Union (34), exige que les règles de droit soient claires et précises et que leur application soit prévisible pour les justiciables. Cet impératif s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation entraînant des conséquences défavorables à l’égard de particuliers, notamment lorsqu’elle est susceptible de comporter des charges financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (35).
59. Tout cela m’amène à conclure que la Cour s’est trompée lorsque, dans l’arrêt Gourmet Classic, elle a considéré que l’«alcool entrant dans la composition du vin de cuisine» constituait de l’«alcool éthylique au sens de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83» (36). Elle ne devrait pas maintenir cette jurisprudence.
60. La portée de l’arrêt Gourmet Classic doit de toute façon être relativisée étant donné que, à l’époque, l’intérêt s’était essentiellement focalisé sur la recevabilité de la question préjudicielle; dans ses conclusions, l’avocat général avait même exclusivement traité de cette question de la recevabilité (37). Un grand nombre d’arguments de fond qui, dans la présente procédure, ont fait l’objet de développements importants de la part tant de la juridiction nationale que des parties, en particulier Repertoire Culinaire, n’avaient pas été discutés devant la Cour dans cette affaire. Cela devrait déjà constituer une raison suffisante pour ne pas surestimer la portée de l’arrêt Gourmet Classic (38).
61. D’ailleurs, dans le droit de l’Union, les arrêts de la Cour ne constituent pas des «binding precedents» (39). Même si la Cour est par nature hésitante à déroger à des arrêts existants (40), il est arrivé, dans plusieurs affaires importantes, qu’elle réexamine sa jurisprudence antérieure et, si nécessaire, la modifie ou la précise expressément (41). C’est cette voie que je conseille d’emprunter dans la présente affaire également.
62. Si la Cour devait, dans la présente affaire, choisir, comme je le suggère, de revenir sur la jurisprudence Gourmet Classic, précitée, je pense qu’il ne serait pas nécessaire qu’elle précise que son nouvel arrêt ne produit d’effet que pour l’avenir. En vertu d’une jurisprudence constante, une telle limitation des effets d’un arrêt revêt un caractère tout à fait exceptionnel; elle n’est justifiée que lorsqu’elle semble impérativement requise pour des raisons de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime (42). Cela n’est pas le cas en l’espèce. Les éventuels droits à remboursement concernant des accises payées par le passé sur le vin de cuisine ou le porto de cuisine ne devraient normalement pas dépasser des proportions assez raisonnables. En outre, même après l’arrêt Gourmet Classic, précité, il existait déjà la possibilité de demander une exonération ou un remboursement de l’accise dans le cadre de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83. Jusqu’à maintenant, les administrations fiscales des États membres devaient donc déjà s’attendre soit à ne pas pouvoir en définitive percevoir l’accise sur le vin de cuisine et le porto de cuisine, soit à devoir la rembourser.
3. Conclusion intermédiaire
63. En résumé, je propose de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que le vin et le porto auxquels a été ajoutée, aux fins de leur utilisation en tant que vin de cuisine ou porto de cuisine, une quantité de sel et de poivre telle qu’ils sont impropres à la consommation en tant que boissons ne relèvent pas de la définition d’alcool éthylique au sens de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83.
B – Les deuxième à quatrième questions préjudicielles: les exonérations fiscales envisageables pour les alcools de cuisine et leurs modalités
64. Les deuxième à quatrième questions préjudicielles concernent les exonérations fiscales envisageables pour les alcools de cuisine et leurs modalités.
65. Dans la solution que j’ai proposée pour la première question préjudicielle (43), le vin de cuisine et le porto de cuisine saisis ne sont pas soumis à l’accise, si bien que la question d’une éventuelle exonération fiscale ne se pose pas. Les deuxième à quatrième questions préjudicielles restent toutefois pertinentes en tout cas en ce qui concerne le cognac de cuisine saisi, parce que celui-ci est soumis à l’accise en application de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83 (44).
1. Les exonérations fiscales envisageables (troisième question préjudicielle)
66. La juridiction de renvoi se demande tout d’abord, dans le cadre de la troisième question préjudicielle, quelle est la base juridique appropriée pour exonérer les alcools de cuisine de l’accise harmonisée au sens de la directive 92/83 (45).
67. Deux bases juridiques entrent en ligne de compte: d’une part, l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83 exonère l’alcool et des boissons alcooliques utilisés pour la production d’arômes destinés à la préparation, entre autres, de denrées alimentaires ayant un titre alcoométrique n’excédant pas 1,2 % vol. D’autre part, l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83 prévoit une exonération notamment dans le cas où l’alcool ou des produits alcooliques sont utilisés pour la fabrication d’aliments, à condition que la teneur en alcool n’excède pas 5 litres d’alcool pur par 100 kilogrammes de produit.
68. S’agissant tout d’abord de l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83, on conviendra qu’il n’est pas d’emblée exclu que les alcools de cuisine soient utilisés pour la production d’arômes destinés à la préparation de denrées alimentaires. Toutefois, il ressort de l’ensemble des informations dont dispose la Cour que ce n’est pas la destination des alcools de cuisine en l’espèce ou, à tout le moins, que ce n’est pas leur destination première.
69. Les alcools de cuisine litigieux ont en effet vocation à être utilisés directement lors de la production d’aliments, non à être transformés en arômes dans le cadre d’un processus situé en amont. De même, les sauces qui sont préparées à l’aide d’alcools de cuisine ne sont pas non plus des arômes au sens de l’article 27, paragraphe 1, sous e), de la directive 92/83, mais sont plutôt des aliments qui sont consommés avec le plat dont ils forment une composante ou qu’ils accompagnent.
70. Par conséquent, la disposition pertinente pour l’exonération d’alcools de cuisson tels que ceux qui sont litigieux en l’espèce est non pas l’article 27, paragraphe 1, sous e), mais l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83. Milite en ce sens, également, le fait que le vin, le porto et le cognac ne sont pas utilisés en cuisine uniquement pour le goût, mais, comme la Commission l’a d’ailleurs très justement fait remarquer, qu’ils remplissent également d’autres fonctions, par exemple dans la cuisson de la viande ou le flambage de plats (46).
71. Dans son arrêt Gourmet Classic, la Cour a elle aussi reconnu qu’une exonération de l’accise était envisageable pour les alcools de cuisine sur le fondement de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83 (47). Cette exonération dépend de trois conditions.
72. Premièrement, il doit s’agir d’alcool ou d’un produit alcoolique au sens de la directive 92/83. Le cognac de cuisine litigieux en l’espèce répond en tout cas à cette condition parce que, comme cela a été dit précédemment, il doit être considéré comme de l’alcool éthylique soumis à l’accise en application de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83 (48).
73. Deuxièmement, les alcools de cuisine doivent être utilisés pour la fabrication d’aliments. Cette condition est elle aussi incontestablement remplie. La fabrication d’aliments est même la seule destination des alcools de cuisine saisis, puisque ceux-ci sont impropres à la consommation en tant que boissons.
74. Troisièmement, la teneur en alcool ne doit pas excéder «5 litres d’alcool pur par 100 kilogrammes de produit».
75. À cet égard, le libellé de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83 peut être source de malentendus parce qu’il ne fait pas clairement apparaître si cette limite maximale concerne la teneur en alcool des alcools de cuisine utilisés ou celle des aliments fabriqués. C’est cette dernière hypothèse qui mérite d’être privilégiée.
76. L’objectif de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83 n’est pas, en effet, de privilégier certaines méthodes de fabrication d’aliments en prévoyant que seuls les ingrédients ayant une teneur en alcool relativement faible conduisent à une exonération de l’accise. L’objectif est au contraire de neutraliser l’incidence des accises lorsque l’alcool est utilisé en tant que produit intermédiaire entrant dans la composition d’autres produits commerciaux ou industriels (49).
77. L’objectif est en outre de garantir que les droits d’accise sont prélevés sur la consommation effective d’alcool, indépendamment de la forme sous laquelle celui-ci est présenté. Une exonération fiscale ne doit être accordée que lorsque l’alcool résiduel contenu dans les aliments qu’absorbe le consommateur final se situe en deçà d’un seuil de minimis fixé par le législateur de l’Union, à savoir 5 litres d’alcool pur par 100 kilogrammes de produit final.
78. C’est donc la teneur en alcool de l’aliment fabriqué en utilisant un alcool de cuisine qui est déterminante aux fins de l’exonération fiscale, et non celle de l’alcool de cuisine lui-même (50).
79. Dans le cas présent, les parties au principal sont d’accord sur le fait que le produit final obtenu en réalisant une recette classique utilisant en ingrédient du vin de cuisine a toujours une teneur en alcool inférieure à 5 % vol, ce qui permet l’application de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83.
80. Ainsi convient-il de retenir la conclusion intermédiaire suivante:
Les alcools de cuisine qui sont soumis à l’accise harmonisée sur l’alcool et les boissons alcooliques doivent être exonérés de cet impôt en application de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83.
2. Les conséquences de la mise en libre circulation, dans l’État de production, d’une marchandise exonérée d’accise (quatrième question préjudicielle)
81. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir quelles sont les obligations qu’implique, pour l’État membre d’importation, le fait que les alcools de cuisine aient déjà été mis en libre circulation dans l’État membre du lieu de production. Ce problème transparaît d’ailleurs déjà au travers de la troisième question préjudicielle (51).
82. Pour traiter cette question, il est indispensable de différencier suivant la raison pour laquelle un produit a été mis en libre circulation dans l’État membre du lieu de production.
83. Normalement, la mise en libre circulation d’un produit a lieu lors du paiement de l’accise exigible dans l’État membre du lieu de production (article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 92/12). Si le produit en cause est ensuite transféré à des fins commerciales dans un autre État membre, l’accise devient de nouveau exigible dans cet autre État membre (article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/12), moyennant remboursement de l’accise déjà acquittée dans l’État membre de provenance (52). Cette méthode garantit qu’un produit qui est soumis à l’accise harmonisée est toujours imposé dans l’État membre dans lequel il est effectivement consommé, au taux applicable dans cet État (53).
84. Les alcools de cuisine litigieux en l’espèce sont, en revanche, des produits dont les autorités fiscales de l’État membre du lieu de production (France) ne pensent absolument pas qu’ils soient soumis à accise. Cela a d’ailleurs été confirmé tant par Repertoire Culinaire que par le gouvernement français, interrogés sur ce point lors de l’audience devant la Cour. Dans l’État de leur lieu de production, les alcools de cuisine étaient donc en libre circulation depuis le début parce qu’ils ne devaient, selon les autorités de ce même pays, donner lieu au paiement d’aucune accise.
85. Dans un tel cas de figure, il n’y a, ainsi que le souligne la Commission, aucun intérêt à garantir que les produits soient imposés dans l’État membre du lieu de consommation (Royaume-Uni en l’occurrence). Ceux-ci ne doivent, en réalité, pas du tout être imposés.
86. En revanche, l’Union a un intérêt juridique spécifique à ce que l’obligation fiscale en matière d’accise de même que l’exonération d’accise de l’alcool et des boissons alcooliques fassent l’objet d’un traitement uniforme dans tous les États membres, et, partant, dans l’ensemble du marché intérieur (54), afin de garantir le bon fonctionnement de ce dernier (55).
87. Le fonctionnement du marché intérieur implique la libre circulation des marchandises (article 26, paragraphe 2, TFUE, et articles 28 TFUE à 37 TFUE (56)), y compris celles soumises aux droits d’accises (57). Cela suppose, conformément au principe de reconnaissance mutuelle (58), que l’administration fiscale de l’État de destination reconnaisse le classement effectué par les autorités compétentes de l’État de provenance d’un produit comme étant soumis à l’accise, non soumis à l’accise ou exonéré d’accise (59). Car même si les taux d’accise nationaux sur l’alcool et les boissons alcooliques peuvent varier dans des proportions importantes, l’exigibilité des accises proprement dite est harmonisée et soumise dans tous les États membres aux mêmes conditions (60).
88. Dans le présent cas de figure, un système dans lequel les autorités du Royaume-Uni, dans le cadre du régime de remboursement qu’elles pratiquent [voir article 4, paragraphe 1, sous a), de la FA 1995] (61), tiendraient d’abord à prélever l’accise sur les alcools de cuisine importés de France pour ensuite aussitôt la rembourser gênerait inutilement la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur.
89. Certes, personne ne conteste le droit des États membres d’adopter des mesures permettant d’éviter la fraude, l’évasion ou les abus éventuels dans le domaine des exonérations (62). De telles mesures supposent toutefois la présence d’éléments concrets et objectivement vérifiables étayant l’existence d’un risque sérieux de fraude, d’évasion ou d’abus (63), d’autant plus que, dans le champ d’application de l’article 27 de la directive 92/83, l’exonération constitue le principe et son refus l’exception (64).
90. Des allégations générales quant à l’existence d’un risque de fraude fiscale, d’évasion fiscale ou d’abus concernant un produit déterminé n’autorisent pas l’État membre d’importation à refuser d’emblée de reconnaître une exonération fiscale octroyée dans l’État membre du lieu de production (65). Cela contredirait la libre circulation des marchandises, ainsi que, d’ailleurs, le principe de la coopération loyale entre les États membres.
91. Dans le cas présent, il est établi, d’après les constatations de fait de la juridiction de renvoi, que les alcools de cuisine saisis sont imbuvables en raison de l’addition de sel et de poivre. Il est impossible, à un coût raisonnable en tout cas, d’inverser le processus de mixtion pour séparer la boisson alcoolique du poivre et du sel ou d’isoler la totalité de l’alcool présent dans le vin. En outre, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, il n’y a aucun élément suggérant l’existence d’abus en lien avec des alcools de cuisine tels que ceux litigieux en l’espèce. Il est donc possible d’affirmer avec une quasi-certitude que les alcools de cuisine saisis sont réellement utilisés pour la fabrication d’aliments au sens de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83.
92. Ainsi, dans un cas tel que celui de l’espèce, il n’y a pas d’éléments concrets et objectivement vérifiables indiquant que c’est à tort que les produits en cause ont été considérés, dans l’État de production, comme n’étant pas soumis à l’accise ou comme en étant exonérés, ou que le produit en cause pourrait faire l’objet d’une utilisation contraire au sens et à la finalité d’une exonération fiscale. Dans de telles conditions, l’insistance de l’administration fiscale britannique à percevoir l’accise sur les alcools de cuisine litigieux s’avère relever d’un pur formalisme qui n’est pas objectivement justifiable.
93. En résumé, il convient de répondre à la quatrième question préjudicielle en ce sens que les produits qui, dans l’État membre du lieu de production, sont mis en libre circulation en étant libres d’accise ou en étant exonérés de l’accise, ne peuvent pas non plus être soumis aux dispositions relatives à l’accise harmonisée dans un autre État membre dans lequel ils ont été transférés à des fins commerciales, à moins qu’il existe des éléments concrets et objectivement vérifiables indiquant
– que c’est à tort que les produits en cause ont été considérés, dans l’État membre du lieu de production, comme n’étant pas soumis à l’accise ou comme en étant exonérés
ou
– que les produits qui, dans l’État membre du lieu de production, étaient exonérés d’accise au titre de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83 pourraient être utilisés à d’autres fins que celles qui sont citées dans cette disposition.
3. Les exigences auxquelles le droit de l’Union soumet l’exonération de l’accise par voie de remboursement (deuxième question préjudicielle)
94. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir quelles sont les exigences qu’impose le droit de l’Union quant aux modalités que doit revêtir, en droit interne, l’exonération de l’accise en application de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83 lorsque l’État membre concerné opte pour le système de remboursement au sens de l’article 27, paragraphe 6, de la directive 92/83.
95. Si cette question a été posée, c’est parce que le droit du Royaume-Uni n’accorde le remboursement de l’accise perçue sur les alcools de cuisine qu’à des conditions extrêmement restrictives, prévues à l’article 4 de la FA 1995, dont les suivantes sont plus particulièrement évoquées par la juridiction de renvoi dans le cadre de sa deuxième question préjudicielle:
– les alcools de cuisine doivent effectivement avoir été utilisés en tant qu’ingrédients dans le cadre de la fabrication d’aliments [dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, sous c), de la FA 1995];
– la demande de remboursement ne peut être présentée que par des personnes qui ont elles-mêmes utilisé l’alcool en tant qu’ingrédient dans des aliments, ou qui commercialisent en gros de tels aliments [article 4, paragraphe 3, sous a) et b), de la FA 1995];
– ces personnes ne peuvent faire valoir leur droit à remboursement que pendant un délai d’une durée maximale de quatre mois à partir de la transformation des alcools de cuisine [article 4, paragraphe 5, sous a), de la FA 1995];
– le montant du remboursement doit être d’au moins 250 GBP [article 4, paragraphe 5, sous b), de la FA 1995].
96. Dans un premier temps, il convient de rappeler que les États membres ont la possibilité, conformément à l’article 27, paragraphe 6, de la directive 92/83, d’appliquer les exonérations de l’accise harmonisée par voie de remboursement de l’accise (66).
97. C’est aux États membres qu’il incombe de fixer les modalités applicables au remboursement de l’accise. Cela découle, d’une part, du principe de l’autonomie procédurale et, d’autre part, de la formule introductive de l’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83 («[l]es États membres exonèrent […] dans les conditions qu’ils fixent»). Comme toujours, ceux-ci doivent toutefois, à cette occasion, respecter les principes d’équivalence et d’effectivité (67).
98. Aucun élément n’indique, dans le cas présent, que le remboursement de l’accise ferait l’objet d’un traitement moins favorable dans les cas relevant de l’harmonisation au niveau du droit de l’Union que dans les situations exclusivement régies par le droit national. Aucun problème ne se pose par conséquent au regard du principe d’équivalence.
99. En revanche, le point de savoir si les conditions prévues à l’article 4 de la FA 1995 pour le remboursement sont compatibles avec le principe d’effectivité nécessite un examen plus approfondi. Ce principe exige en effet que le remboursement de l’accise ne soit pas rendu pratiquement impossible ou excessivement difficile (68). En vertu de l’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83, les conditions du remboursement doivent en outre servir à «assurer l’application correcte et directe de ces exonérations» et à «éviter toute fraude, évasion ou abus».
100. Ce n’est pas le fait que l’article 4 de la FA 1995 exige que les alcools de cuisine aient effectivement été utilisés pour la fabrication d’aliments qui, en soi, méconnaît les exigences du droit de l’Union. Il est même dans la nature d’un système de remboursement tel que celui prévu à l’article 27, paragraphe 6, de la directive 92/83 que l’accise à rembourser concerne de l’alcool ayant déjà été utilisé en tant qu’ingrédient en cuisine.
101. C’est uniquement en présence d’alcools de cuisine importés que les autorités de l’État membre d’importation doivent, comme cela a été évoqué (69), reconnaître une exonération qui a déjà été accordée dans l’État membre du lieu de fabrication. Dans ce cas, elles ne peuvent pas exiger d’abord le paiement de l’accise puis ensuite – une fois que l’alcool a été cuisiné – la présentation d’une demande de remboursement.
102. Le dispositif de l’article 4 de la FA 1995 pose toutefois problème dans la mesure où il exclut les remboursements de l’accise lorsque la somme remboursable est inférieure à 250 GBP, d’autant plus que ce seuil peut même être encore majoré par l’administration fiscale [article 4, paragraphe 5, sous b), et paragraphe 6, de la FA 1995].
103. Certes, le droit de l’Union n’exclut pas par principe qu’un État membre ne rembourse pas les sommes minimes. Toutefois, si une telle possibilité est prévue en matière de taxe sur la valeur ajoutée (70), elle ne l’est pas par la directive 92/83. Même en admettant que le législateur national puisse prévoir des seuils de minimis qui n’auraient pas été expressément autorisés par cette directive, la somme de 250 GBP ne saurait en aucun cas être considérée comme étant appropriée (71). Il s’agit au contraire d’un montant qui est nettement supérieur à tout seuil de minimis concevable.
104. À cela s’ajoute le fait que le seuil de minimis, dans le dispositif de l’article 4 de la FA 1995, s’assortit d’une limitation du cercle des personnes autorisées à demander le remboursement, ainsi que d’un délai relativement court d’introduction de la demande. Ces composantes du dispositif – montant minimal, délai d’introduction de la demande et cercle limité de personnes autorisées à introduire la demande – se renforcent mutuellement dans leurs effets.
105. Au cours de la procédure devant la Cour, Repertoire Culinaire a démontré de manière parlante que, sur la base du taux d’accise applicable en 2002 au Royaume-Uni (72), il aurait été nécessaire de consommer au moins 215 bouteilles de vin de cuisine sur une période de trois mois pour atteindre le seuil de 250 GBP exigé pour un remboursement de l’accise en application de l’article 4 de la FA 1995. Aucune des parties à la procédure n’a contesté ces chiffres.
106. Il est également assez facile de deviner, au travers de ces chiffres et sous réserve de vérification de leur exactitude par la juridiction de renvoi, que seuls les gros consommateurs d’alcools de cuisine, tout au plus, peuvent espérer bénéficier de l’exonération applicable en vertu de l’article 27, paragraphe 1, sous f). La rigueur du dispositif de remboursement britannique fait que de nombreux restaurants et autres entreprises qui n’utilisent les alcools de cuisine qu’occasionnellement et en tout état de cause en petites quantités lors de la préparation des plats sont en pratique exclus de la possibilité de bénéficier de l’exonération fiscale.
107. À cela s’ajoute le fait que l’article 4, paragraphe 3, de la FA 1995 réserve le droit d’introduire une demande de remboursement de l’accise aux personnes qui ont elles-mêmes utilisé l’alcool en tant qu’ingrédient dans des aliments, ou qui commercialisent en gros de tels aliments. Un grossiste tel que Repertoire Culinaire, qui distribue uniquement les alcools de cuisine en tant que tels, mais non les aliments produits à partir de ces alcools, n’a donc absolument aucun droit d’introduire une demande.
108. En somme, une disposition telle que l’article 4 de la FA 1995 aboutit en définitive à rendre largement inopérante l’exonération de l’accise prévue – de manière contraignante – à l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83. Un tel résultat est contraire à la prescription du droit de l’Union selon laquelle les conditions fixées par les États membres doivent permettre d’assurer l’application correcte et directe des exonérations (article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83). Le principe selon lequel, dans le champ d’application de l’article 27 de la directive 92/83, l’exonération constitue le principe et son refus l’exception (73) se trouve lui aussi, de cette manière, tourné en son contraire.
109. Il est vrai, certes, que les États membres peuvent fixer les modalités de leurs dispositions nationales relatives à l’exonération ou au remboursement de l’accise en tenant également compte de l’exigence d’éviter toute fraude, évasion ou abus (74). Toutefois, comme cela a déjà été noté, un refus d’exonération ou de remboursement de l’accise doit être justifié par la présence d’éléments concrets et objectivement vérifiables étayant l’existence d’un abus. Or, d’après les informations dont dispose la Cour, tel n’est pas le cas en ce qui concerne les alcools litigieux en l’espèce. Une réglementation qui prévoit un délai de forclusion relativement court pour l’introduction de demandes de remboursement et qui exclut les montants inférieurs à 250 GBP de tout remboursement et, de surcroît, refuse en général aux grossistes en alcools de cuisine le droit d’introduire une demande en remboursement de l’accise va manifestement au-delà de l’objectif légitime de la lutte contre les abus.
110. En résumé, je propose donc de répondre à la deuxième question préjudicielle en ce sens qu’une réglementation nationale qui, pour le remboursement de l’accise sur les alcools de cuisine, prévoit un délai de forclusion de quatre mois et un montant remboursable minimal de 250 GBP, et qui exclut les grossistes en alcools de cuisine du cercle des personnes autorisées à introduire une demande, enfreint l’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83 et le principe d’effectivité.
VI – Conclusion
111. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le First-Tier Tribunal (Tax):
«1) Le vin et le porto auxquels a été ajoutée, aux fins de leur utilisation en tant que vin de cuisine ou porto de cuisine, une quantité de sel et de poivre telle qu’ils sont impropres à la consommation en tant que boissons ne relèvent pas de la définition d’alcool éthylique au sens de l’article 20, premier tiret, de la directive 92/83.
2) Les alcools de cuisine qui sont soumis à l’accise harmonisée sur l’alcool et les boissons alcooliques doivent être exonérés de cet impôt en application de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83.
3) Les produits qui, dans l’État membre du lieu de production, sont mis en libre circulation en étant libres d’accise ou en étant exonérés de l’accise ne peuvent pas non plus être soumis aux dispositions relatives à l’accise harmonisée dans un autre État membre dans lequel ils ont été transférés à des fins commerciales, à moins qu’il existe des éléments concrets et objectivement vérifiables indiquant
– que c’est à tort que les produits en cause ont été considérés, dans l’État membre du lieu de production, comme n’étant pas soumis à l’accise ou comme en étant exonérés
ou
– que les produits qui, dans l’État membre du lieu de production, étaient exonérés d’accise au titre de l’article 27, paragraphe 1, sous f), de la directive 92/83, pourraient être utilisés à d’autres fins que celles qui sont citées dans cette disposition.
4) Une réglementation nationale qui, pour le remboursement de l’accise sur les alcools de cuisine, prévoit un délai de forclusion de quatre mois et un montant remboursable minimal de 250 GBP, et qui exclut les grossistes en alcools de cuisine du cercle des personnes autorisées à introduire une demande, enfreint l’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83 et le principe d’effectivité.»