Language of document : ECLI:EU:T:2008:416

Affaire T-73/04

Le Carbone-Lorraine

contre

Commission des Communautés européennes

« Concurrence — Ententes — Marché des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes — Gravité et durée de l’infraction — Circonstances atténuantes — Coopération durant la procédure administrative — Principe de proportionnalité — Principe d’égalité de traitement »

Sommaire de l'arrêt

1.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Infraction complexe

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A)

2.      Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Amendes — Unité d'infractions

(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

3.      Concurrence — Règles communautaires — Application par la Commission — Autonomie par rapport aux appréciations opérées par les autorités d'États tiers

(Art. 3, § 1, g), CE, et 81 CE)

4.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Prise en compte des effets de l'ensemble de l'infraction

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

5.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Fixation des prix — Obligation de la Commission de se référer, pour apprécier l'impact d'une infraction, au jeu de la concurrence en l'absence de celle-ci

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A)

6.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Gravité de la participation de chaque entreprise

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)

7.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Chiffre d'affaires global de l'entreprise concernée — Chiffre d'affaires réalisé avec les marchandises faisant l'objet de l'infraction

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

8.      Concurrence — Amendes — Décision infligeant des amendes — Obligation de motivation

(Art. 253 CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)

9.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Caractère dissuasif — Exigence générale devant guider la Commission tout le long du calcul des amendes

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A)

10.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances atténuantes — Mise en place d'un programme d'alignement pour se conformer aux règles communautaires de concurrence

(Art. 81 CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03)

11.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances atténuantes — Rôle passif ou suiviste de l'entreprise

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3, 1er tiret)

12.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances atténuantes

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; règlement de la Commission nº 2842/98; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3)

13.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Circonstances atténuantes — Comportement divergent de celui convenu au sein de l'entente

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3, 2e tiret)

14.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Circonstances atténuantes — Cessation de l'infraction avant l'intervention de la Commission

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3, 3e tiret)

15.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances atténuantes — Réduction du montant de l'amende en contrepartie d'une collaboration permettant de déterminer le degré de participation d'une autre entreprise

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3, 6e tiret)

16.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Réduction du montant de l'amende en contrepartie d'une coopération de l'entreprise incriminée

(Règlement du Conseil nº 17; communication de la Commission 96/C 207/04, point D, § 2)

17.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Situation financière de l'entreprise concernée

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15)

1.      Dans le cadre de l’application de l’article 81 CE, c'est pour déterminer si un accord est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun qu'il faut, le cas échéant, définir le marché en cause. Par conséquent, l'obligation d'opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l'article 81 CE s'impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n'est pas possible de déterminer si l'accord, la décision d'association d'entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

La Commission n'est pas tenue de délimiter les marchés de produits en cause afin d'examiner la gravité d'une infraction pour chaque catégorie de produits concernés. En effet, tout d'abord, conformément aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, l'évaluation de la gravité d'une infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné. Or, il n’existe aucune obligation pour la Commission, aux termes des lignes directrices, d’analyser l’impact d’une entente, de manière spécifique, pour chaque catégorie de produits en cause. De plus, en présence d'une infraction complexe unique concernant plusieurs produits, la Commission n'est pas obligée d’effectuer une analyse séparée de chaque élément de l’infraction, ni de ventiler le montant de l'amende entre ces différents éléments, pas plus qu'elle n'est tenue d'examiner la gravité de chaque infraction lorsqu’elle impose une amende unique à une entreprise ayant commis plusieurs infractions, cette conclusion n’étant par ailleurs pas de nature à permettre une punition collective arbitraire des entreprises impliquées dans une entente.

Conformément au point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices précitées, une présence limitée sur un marché peut éventuellement conduire à un montant de départ moins important dans le cadre du « traitement différencié » des entreprises impliquées dans une entente. De surcroît, la gravité relative de la participation de chacune des entreprises en cause doit être examinée par la Commission lors de l’appréciation d'éventuelles circonstances atténuantes.

(cf. points 36, 45-46, 48-52)

2.      Dans le cadre de l'application de l'article 81, CE, il est loisible à la Commission d'engager une procédure unique pour des pratiques concernant plusieurs produits distincts, une telle procédure pouvant conduire à l'adoption d'une décision unique constatant qu'une entreprise a commis plusieurs infractions distinctes et lui infligeant autant d'amendes distinctes, respectant chacune les limites fixées par l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. Lorsque la Commission estime que l'ensemble des produits couverts par la procédure fait l'objet d'une infraction complexe unique, au vu notamment du fonctionnement de l'entente en cause, elle peut choisir d'adopter une décision unique imposant une amende unique à chaque entreprise concernée, ce choix n'étant ni illogique, ni contraire au principe de bonne administration.

(cf. points 56, 63-66)

3.      La pratique suivie par les autorités des États tiers chargées de la protection de la libre concurrence n'est pas de nature à s'imposer à la Commission, qui est responsable de la mise en oeuvre et de l'orientation de la politique communautaire de la concurrence. En effet, l’exercice de leurs pouvoirs par les autorités des États tiers, dans le cadre de leur compétence territoriale, obéit à des exigences qui sont propres auxdits États. Les éléments qui sous-tendent les ordres juridiques d’autres États dans le domaine de la concurrence non seulement comportent des finalités et des objectifs spécifiques, mais aboutissent également à l’adoption de règles matérielles particulières, ainsi qu’à des conséquences juridiques très variées dans le domaine administratif, pénal ou civil, lorsque les autorités desdits États ont établi l'existence d'infractions aux règles applicables en matière de concurrence. En revanche, tout autre est la situation juridique dans laquelle une entreprise se trouve exclusivement visée, en matière de concurrence, par l'application du droit communautaire et du droit d'un ou de plusieurs États membres, c'est-à-dire dans laquelle une entente se cantonne exclusivement au sein du champ d'application territorial de l'ordre juridique de la Communauté européenne.

Il en découle que, lorsque la Commission sanctionne le comportement illicite d’une entreprise, même ayant son origine dans une entente à caractère international, elle vise à sauvegarder la libre concurrence à l’intérieur du marché commun qui constitue, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, un objectif fondamental de la Communauté. Par la spécificité du bien juridique protégé au niveau communautaire, les appréciations opérées par la Commission, en vertu de ses compétences en la matière, peuvent diverger considérablement de celles effectuées par des autorités d’États tiers.

(cf. points 57-60)

4.      Lorsque la Commission considère qu'un ensemble d'accords et/ou de pratiques concertées constitue une infraction complexe unique, elle n'est tenue, aux fins de l'évaluation du montant de départ des amendes, ni de procéder à un examen concret des pratiques illicites sur chacun des marchés concernés, ni de prendre en compte le comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise, seuls devant être pris en compte les effets résultant de l'infraction dans son ensemble.

(cf. points 80, 89-90, 95, 97, 102)

5.      Pour apprécier l’impact concret d'une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l'absence d'infraction.

S'agissant d'une entente sur les prix, il est légitime pour la Commission de déduire que l'infraction a eu des effets du fait que les membres de l'entente ont pris des mesures pour appliquer les prix convenus, par exemple, en les annonçant aux clients, en donnant à leurs employés l'instruction de les utiliser comme base de négociation et en surveillant leur application par leurs concurrents et leurs propres services de vente. En effet, pour conclure à un impact sur le marché, il suffit que les prix convenus aient servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels, limitant ainsi la marge de négociation des clients.

En revanche, il ne saurait être exigé de la Commission, lorsque la mise en œuvre d'une entente est établie, qu'elle démontre systématiquement que les accords ont effectivement permis aux entreprises concernées d'atteindre un niveau de prix de transaction supérieur à celui qui aurait prévalu en l'absence d'entente. À cet égard, la thèse selon laquelle seul le fait que le niveau des prix de transaction aurait été différent en l'absence de collusion peut être pris en considération afin de déterminer la gravité de l'infraction ne saurait être retenue. Par ailleurs, il serait disproportionné d'exiger une telle démonstration qui absorberait des ressources considérables étant donné qu'elle nécessiterait le recours à des calculs hypothétiques, basés sur des modèles économiques dont l'exactitude n'est que difficilement vérifiable par le juge et dont le caractère infaillible n'est nullement prouvé.

Pour apprécier la gravité de l'infraction, il est décisif de savoir que les membres de l'entente avaient fait tout ce qu'il était en leur pouvoir de faire pour donner un effet concret à leurs intentions. Ces membres ne sauraient porter à leur propre crédit, en en faisant des éléments justifiant une réduction de l'amende, des facteurs externes qui ont contrecarré leurs efforts.

La Commission peut donc légitimement se fonder sur la mise en œuvre de l'entente pour conclure à l'existence d'un impact sur le marché, sans qu'il soit nécessaire de mesurer avec précision l'importance de cet impact.

À supposer même que l'impact concret de l'entente n'ait pas été établi à suffisance de droit par la Commission, la qualification d'une infraction de « très grave » peut demeurer appropriée. En effet, les trois aspects à prendre en considération dans l'évaluation de la gravité de l'infraction aux termes des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, que sont la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné, n'ont pas le même poids dans le cadre de l'examen global. La nature de l'infraction joue un rôle primordial, notamment, pour caractériser les infractions « très graves ». À cet égard, il résulte de la description des infractions très graves par lesdites lignes directrices que des accords ou des pratiques concertées visant notamment à la fixation des prix peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de « très grave », sans qu'il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions graves mentionne expressément l'impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d'impact concret sur le marché ni de production d'effets sur une zone géographique particulière.

(cf. points 83-87, 91)

6.      Dans le cadre de la détermination du montant d'une amende pour violation des règles de concurrence en vertu des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, il y a lieu de distinguer l'appréciation de la gravité de l'infraction, qui sert à déterminer le niveau de départ de l'amende, de celle de la gravité relative de la participation à l'infraction de chacune des entreprises concernées, cette dernière question devant être examinée dans le cadre de l'éventuelle application de circonstances aggravantes ou atténuantes.

(cf. point 100)

7.      La Commission n'est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, d'effectuer son calcul à partir de montants fondés sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées et plus particulièrement le chiffre d'affaires réalisé avec les produits en cause. S'il ne saurait être nié que ce dernier peut constituer une base appropriée pour évaluer les atteintes à la concurrence sur le marché des produits concernés, ainsi que l'importance relative des participants à une entente par rapport aux produits en cause, il n'en demeure pas moins que cet élément ne constitue pas, de loin, l'unique critère selon lequel la Commission doit apprécier la gravité de l'infraction. Ce serait attribuer à cet élément une importance excessive que de limiter l'appréciation du caractère proportionné du montant de départ de l'amende à la mise en relation entre ledit montant et le chiffre d'affaires des produits en question. La nature propre de l'infraction, l'impact concret de celle-ci, l'étendue géographique du marché affecté et la nécessaire portée dissuasive de l'amende sont autant d'éléments pouvant justifier le montant susmentionné.

(cf. points 114, 118-119)

8.      En ce qui concerne la fixation d'amendes au titre de la violation du droit de la concurrence, la Commission remplit son obligation de motivation lorsqu'elle indique, dans sa décision, les éléments d'appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l'infraction commise, sans être tenue d'y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l'amende. L'indication de données chiffrées relatives au mode de calcul des amendes, pour utiles que soient de telles données, n'est pas indispensable au respect de l'obligation de motivation.

Pour ce qui est de la motivation des montants de départ en termes absolus, les amendes constituent un instrument de la politique de la concurrence de la Commission qui doit pouvoir disposer d'une marge d'appréciation dans la fixation de leur montant afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. De plus, il importe d'éviter que les amendes soient facilement prévisibles par les opérateurs économiques. Dès lors, il ne saurait être exigé que la Commission fournisse à cet égard des éléments de motivation autres que ceux relatifs à la gravité de l'infraction.

(cf. points 129-130)

9.      La dissuasion constituant une finalité des amendes pour infraction aux règles de concurrence, l'exigence de l'assurer constitue une exigence générale devant guider la Commission tout au long du calcul des amendes et n'implique pas nécessairement que ce calcul soit caractérisé par une étape spécifique destinée à une évaluation globale de toutes circonstances pertinentes aux fins de la réalisation de cette finalité.

Aux fins de la prise en compte de l'objectif de dissuasion, la Commission n'a pas, dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, défini de méthodologie ou de critères individualisés dont l'exposition spécifique serait susceptible d'avoir force obligatoire. Le point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices, dans le contexte des indications concernant l'évaluation de la gravité d'une infraction, mentionne seulement la nécessité de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.

(cf. points 131-132)

10.    S'il est important qu'une entreprise prenne des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l'avenir par des membres de son personnel, par exemple en mettant en place un programme de conformité aux règles de concurrence, la prise de telles mesures ne change rien à la réalité de l'infraction constatée. Dans le cadre de la détermination du montant d'une amende infligée pour infraction aux règles de concurrence, la Commission n'est donc tenue de retenir un tel élément ni comme circonstance atténuante, ni dans le cadre de la prise en compte de l'effet dissuasif de l'amende, a fortiori lorsque l'infraction en cause constitue une violation manifeste de l'article 81 CE. À cet égard, est dépourvue de pertinence la circonstance que de telles mesures ont été mises en place par l'entreprise avant l'intervention de la Commission. En outre, il est impossible de déterminer le degré d'efficacité des mesures internes prises par une entreprise pour prévenir la réitération d'infractions au droit de la concurrence.

(cf. points 143-144, 231)

11.    Le « rôle exclusivement passif ou suiviste » d'une entreprise dans la réalisation d'une infraction constitue, s'il est établi, une circonstance atténuante, conformément au point 3, premier tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, étant précisé que ce rôle passif implique l'adoption par l'entreprise concernée d'un « profil bas », c’est-à-dire une absence de participation active à l'élaboration du ou des accords anticoncurrentiels.

Parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d'une entreprise au sein d'une entente, peuvent être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l'entente, de même que son entrée tardive sur le marché ayant fait l'objet de l'infraction, indépendamment de la durée de sa participation à celle-ci, ou encore l'existence de déclarations expresses en ce sens émanant de représentants d'entreprises tierces ayant participé à l'infraction. Il ne suffit donc pas que, pendant certaines périodes de l'entente, ou à l'égard de certains accords de l'entente, l'entreprise concernée ait adopté un « profil bas ». En outre, l'approche consistant à dissocier l'appréciation de l'attitude d'une entreprise selon l'objet des accords ou des pratiques concertées en cause apparaît pour le moins théorique lorsque ces derniers s’inscrivent dans une stratégie générale, qui détermine les lignes d’action des membres de l’entente sur le marché et limite leur liberté commerciale, visant à poursuivre un objectif anticoncurrentiel identique et un but économique unique, à savoir fausser l’évolution normale des prix et restreindre la concurrence sur le marché en cause.

Par ailleurs, le fait qu'une entreprise a mis fin à sa participation à l'entente quelques mois seulement avant les autres membres du cartel ne justifie pas une réduction du montant de l'amende au titre de la circonstance atténuante tenant au « rôle exclusivement passif ou suiviste dans la réalisation de l'infraction ».

(cf. points 163-164, 179-180, 184)

12.    Lorsque la Commission fait application, dans une décision, de la méthode exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA et conclut à l'absence de circonstances atténuantes pour l'entreprise concernée, cette dernière est recevable à demander au juge communautaire le bénéfice d’une circonstance atténuante et la réduction du montant de l'amende corrélative, même si elle ne l'a pas revendiqué dans sa réponse à la communication des griefs.

En effet, l'article 4 du règlement nº 2842/98, relatif à l'audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81 CE] et [82 CE], qui prévoit que les parties souhaitant faire connaître leur point de vue sur les griefs retenus contre elles le font par écrit et peuvent exposer tous les moyens et faits utiles à leur défense dans leurs observations écrites, n'exige pas des entreprises destinataires d’une communication des griefs qu'elles formalisent spécifiquement des demandes de reconnaissance de circonstances atténuantes.

En outre, la communication des griefs est un acte préparatoire par rapport à la décision qui constitue le terme ultime de la procédure et dans laquelle la Commission se prononce sur les responsabilités des entreprises et, le cas échéant, sur les sanctions devant leur être infligées.

Pour déterminer le montant de l’amende, la Commission doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, et en particulier de la gravité et de la durée de l'infraction, qui sont les deux critères explicitement visés à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. Lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, la Commission doit examiner la gravité relative de la participation à l'infraction de chacune d’entre elles, afin de déterminer s'il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes. Les points 2 et 3 des lignes directrices précitées, dont la Commission ne saurait se départir, prévoient une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances aggravantes et atténuantes, qui sont propres à chaque entreprise concernée.

(cf. points 188-194)

13.    Pour déterminer si une entreprise doit bénéficier d'une circonstance atténuante au titre d'une non-application effective d'accords infractionnels, en vertu du point 3, deuxième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, il importe de vérifier si, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré auxdits accords, elle s'est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ou, à tout le moins, si elle a clairement et de manière considérable enfreint les obligations visant à mettre en oeuvre l'entente, au point d'avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci.

(cf. point 196)

14.    Une entreprise ayant pris part à une infraction au droit communautaire de la concurrence ne peut bénéficier d'une circonstance atténuante au titre du point 3, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA lorsqu'elle a mis fin aux pratiques anticoncurrentielles à la suite de l'intervention d'autorités de la concurrence d'États tiers.

(cf. point 230)

15.    Lors de la détermination du montant de l'amende pour infraction au droit communautaire de la concurrence, une réduction de l'amende au titre d'une coopération au cours de la procédure administrative n'est justifiée que si le comportement de l'entreprise en cause a permis à la Commission de constater l'existence d'une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin.

La fourniture d'informations ayant mis en mesure la Commission d'évaluer plus rigoureusement le degré de coopération d'une des entreprises impliquées dans un cartel lors de la procédure aux fins de la détermination du montant de son amende, et qui ont donc facilité la tâche de la Commission lors de son enquête, peut être constitutive d'une « collaboration effective en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération » au sens du point 3, sixième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA.

Toutefois, lesdites informations devant porter sur les pratiques anticoncurrentielles faisant l'objet de l'enquête, des informations ayant trait à un territoire autre que celui faisant l'objet de l'enquête ne peuvent pas être retenues.

(cf. points 238-239, 253)

16.    La Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes pour infraction au droit communautaire de la concurrence et elle peut, à cet égard, tenir compte de multiples éléments, au nombre desquels figure la coopération des entreprises concernées lors de l’enquête conduite par les services de cette institution. Elle jouit également d’une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par une entreprise, notamment par rapport aux contributions d’autres entreprises. Compte tenu de ce pouvoir d'appréciation, qui s’exprime, notamment, par l’indication, dans la communication concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, d’une fourchette de 10 à 50 % pour l’importance de la réduction, la réduction maximale de 50 % ne découle pas automatiquement du constat de la réunion des conditions prévues au point D, paragraphe 2, premier et second tirets, de ladite communication.

La Commission peut fonder son appréciation du montant de la réduction sur le fait, d'une part, que les éléments de preuve fournis par l'entreprise concernée n'ont qu'une faible valeur ajoutée compte tenu des éléments déjà en sa possession, et, d'autre part, que la coopération de ladite entreprise a commencé après réception par celle-ci d'une demande de renseignements au titre de l'article 11 du règlement nº 17.

En effet, d'une part, la réduction des amendes en cas de coopération des entreprises participant à des infractions au droit communautaire de la concurrence trouve son fondement dans la considération selon laquelle une telle coopération facilite la tâche de la Commission visant à constater l’existence d’une infraction et, le cas échéant, à y mettre fin. La Commission ne peut donc pas faire abstraction de l’utilité de l’information fournie, laquelle est nécessairement fonction des éléments de preuve déjà en sa possession. À cet égard, si la différence fondamentale à la base des points B, C et D de la communication sur la coopération est l’utilité de l’information apportée, la Commission peut utiliser le critère de l’utilité pour décider du montant de la réduction pour chaque catégorie de réduction d’amende prévue par lesdits points.

D'autre part, dans le cadre d'une appréciation d’ensemble, la Commission peut prendre en considération le fait qu'une entreprise ne lui a communiqué des documents qu'après la réception d'une demande de renseignements, sans, toutefois, pouvoir considérer ce fait comme déterminant pour minimiser la coopération fournie par une entreprise en vertu du point D, paragraphe 2, premier tiret, de la communication concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes.

(cf. points 271-274, 276-277, 279, 283)

17.    Si la Commission n'est pas obligée, lors de la détermination du montant de l'amende pour infraction au droit communautaire de la concurrence, de tenir compte de la situation financière déficitaire de l'entreprise concernée, étant donné que la reconnaissance d'une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché, la Commission peut néanmoins décider de réduire le montant de l'amende en raison de graves difficultés financières, combinées à plusieurs condamnations récentes au paiement d’amendes pour des infractions au droit de la concurrence commises simultanément, estimant ainsi qu'il n'est pas nécessaire d'infliger à ladite entreprise le montant total de l'amende pour garantir une dissuasion effective.

(cf. points 308, 314-315)