Language of document : ECLI:EU:T:2011:162

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

17 février 2011 (*)

« Référé – Aides d’État – Compensation des coûts supplémentaires de production de certaines centrales électriques résultant de l’obligation de service public de produire certains volumes d’électricité à partir de charbon indigène et mise en place d’un ‘mécanisme d’appel en priorité’ en leur faveur – Décision de ne pas soulever d’objections – Demande de sursis à exécution – Fumus boni juris – Défaut d’urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑490/10 R,

Endesa, SA, établie à Madrid (Espagne),

Endesa Generación, SA, établie à Séville (Espagne),

représentées par Me M. Merola, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d’Espagne, représenté par M. J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agent,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires visant, en substance, à ordonner le sursis à l’exécution de la décision C (2010) 4499 de la Commission, du 29 septembre 2010, relative à l’aide d’État N 178/2010 notifiée par le Royaume d’Espagne sous forme d’une compensation de service public associée à un mécanisme d’appel prioritaire en faveur des centrales de production d’énergie électrique qui utilisent du charbon indigène,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        La présente procédure de référé a pour objet la décision C (2010) 4499 de la Commission, du 29 septembre 2010, relative à l’aide d’État N 178/2010 notifiée par le Royaume d’Espagne sous forme d’une compensation de service public associée à un mécanisme d’appel prioritaire en faveur des centrales de production d’énergie électrique qui utilisent du charbon indigène (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission européenne a, en substance, autorisé le régime des aides financières prévues en faveur de la production d’énergie électrique à partir de charbon indigène par le Real Decreto 134/2010, de 12 de febrero, por el que se establece el procedimiento de resolución de restricciones por garantía de suministro y se modifica el Real Decreto 2019/1997, de 26 de diciembre, por el que se organiza y regula el mercado de producción de energía eléctrica (décret royal nº 134/2010, du 12 février 2010, établissant un mécanisme de restrictions visant à garantir l’approvisionnement et modifiant le décret royal nº 2019/1997, du 26 décembre 2010, qui organise et réglemente le marché de la production d’énergie électrique, BOE n° 51, du 27 février 2010, p. 19123, ci-après le « Real Decreto 134/2010 »), ainsi que le projet de modifications ayant conduit à l’adoption, postérieurement à la décision attaquée, du Real Decreto 1221/2010, de 1 de octubre, por el que se modifica el Real Decreto 134/2010 y se modifica el Real Decreto 2019/1997, de 26 de diciembre, por el que se organiza y regula el mercado de producción de energía eléctrica (décret royal nº 1221/2010, du 1er octobre 2010, portant modification du décret royal nº 134/2010 et modifiant le décret royal nº 2019/1997, du 26 décembre 2010, qui organise et réglemente le marché de la production d’énergie électrique, BOE n° 239, du 2 octobre 2010, p. 83983, ci-après le « Real Decreto 1221/2010 ») (ci-après le « régime litigieux »).

2        Par l’instauration du régime litigieux, le Royaume d’Espagne vise, en substance, à favoriser la production d’énergie électrique à partir de charbon indigène afin d’apporter un soutien tant aux centrales thermiques espagnoles utilisant ledit charbon qu’aux mines de charbon espagnoles, qui seraient toutes menacées de fermeture si un tel régime n’était pas mis en place. À cet effet, certaines centrales de production d’énergie électrique seront obligées de s’approvisionner en charbon indigène, dont le prix est plus élevé que celui d’autres combustibles, et de produire certains volumes d’électricité à partir dudit charbon, et ce moyennant une compensation des coûts supplémentaires de production engendrés par de tels achats.

3        La première requérante, Endesa, SA, est une société commerciale de droit espagnol cotée, notamment, à la bourse de Madrid. Elle est à la tête d’un groupe de sociétés (ci-après le « groupe Endesa »). Ce groupe est contrôlé par le groupe dont Ente Nazionale per l’Energia Elettrica SpA est la société mère (ci-après le « groupe Enel »), dont le chiffre d’affaires total s’élevait en 2009 à 64 milliards d’euros, ainsi qu’il ressort du site Internet du groupe Enel. Il occupe une position de force dans tous les domaines du commerce de l’électricité en Espagne ainsi qu’en Amérique latine et détient une part du marché espagnol du gaz naturel. La seconde requérante, Endesa Generación, SA, est une société commerciale de droit espagnol appartenant au groupe Endesa et opérant dans le domaine de la production d’énergie électrique et de l’exploitation minière en Espagne.

 Antécédents du litige

 Régime litigieux

4        Par le Real Decreto 134/2010, qui se compose de plusieurs dispositions et de trois annexes, le Royaume d’Espagne a instauré le régime litigieux.

5        Le régime litigieux a ensuite été modifié par le Real Decreto 1221/2010. La référence à l’annexe III du Real Decreto 134/2010 qui définissait les droits de créance des centrales thermiques se voyant réduire leurs programmes du fait de l’ajustement des restrictions imposées pour la garantie d’approvisionnement a été supprimée. Les propriétaires des dix centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010, qui sont obligés de s’approvisionner en charbon indigène et de produire certains volumes d’électricité à partir dudit charbon, sont également tenus de présenter des offres de vente sur le marché journalier de l’électricité, dès lors qu’elles sont incluses dans le plan de fonctionnement actualisé pour l’ajustement des restrictions imposées pour la garantie d’approvisionnement.

6        Le régime litigieux introduit un nouveau service dans le fonctionnement du système dénommé « Ajustement de restrictions pour garantie d’approvisionnement ».

7        En application de l’annexe I du Real Decreto 134/2010, telle que modifiée par le Real Decreto 1221/2010, l’autorité compétente espagnole doit approuver un « plan de fonctionnement hebdomadaire » pour les centrales qui utilisent du charbon indigène, à savoir les dix centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010.

8        Ce plan de fonctionnement hebdomadaire doit être conçu de façon à ce que la consommation annuelle de charbon indigène soit conforme à celle déterminée par le secrétariat d’État à l’Énergie espagnol en conformité avec le plan national de réserve stratégique du charbon pour la période allant de 2006 à 2012.

9        Après vérification que, sur le marché journalier de l’électricité, les offres d’achat correspondent aux offres de vente et que le « programme journalier de base de fonctionnement » est établi, l’autorité compétente « déplacera » de ce programme certaines centrales de production d’énergie électrique, afin de pouvoir inclure dans ledit programme la production des dix centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010 prévue dans le plan de fonctionnement hebdomadaire.

10      Ainsi, les dix centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010 qui sont obligées de s’approvisionner en charbon indigène ainsi que de produire certains volumes d’électricité à partir dudit charbon et qui n’auraient pas pu effectuer de ventes sur le marché journalier de l’électricité, compte tenu du prix élevé de ce charbon, verront leur production prévue dans le plan de fonctionnement hebdomadaire incluse dans le « programme journalier de base de fonctionnement » du lendemain. En outre, les propriétaires desdites centrales se verront octroyer une compensation égale à la différence entre les coûts supplémentaires de production qu’ils ont supportés et le prix de vente sur le marché journalier de l’électricité, telle que prévue à l’annexe II du Real Decreto 134/2010. À cet effet, ladite annexe II établit la méthode de calcul du prix de rétribution de ces centrales ainsi que le mode de fixation de leurs volumes d’électricité à produire annuellement. Le financement du mécanisme s’opère par le biais d’un fonds contrôlé par l’État. Les dépenses annuelles prévues à cette fin s’élèvent à 400 millions d’euros.

11      Les dix centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010 bénéficient d’un « mécanisme d’appel en priorité » (ci-après le « MAP »). Conformément au MAP, le résultat du placement des offres de vente sur le marché journalier de l’électricité est modifié autant que nécessaire pour assurer que les dix centrales susmentionnées puissent vendre sur le marché des volumes d’électricité préalablement fixés produits à partir de ce charbon.

12      Afin d’ajuster le résultat du placement des offres de ventes sur le marché journalier de l’électricité et d’introduire l’énergie produite par les dix centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010, le MAP repose essentiellement sur le retrait dudit marché journalier, premièrement, de l’énergie qui a été produite par les centrales utilisant du charbon importé et du fioul et, deuxièmement, de l’énergie produite par les centrales utilisant du gaz naturel et par celles opérant à cycles combinés.

13      Ainsi, les dix centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010 qui, en raison du prix plus élevé du combustible qu’elles utilisent, n’auraient pas pu vendre leur production sur le marché journalier de l’électricité, verront cette production incluse dans le « programme journalier de base de fonctionnement » du lendemain, alors que seront « déplacées » les centrales utilisant du charbon importé, du fioul ou du gaz naturel, y compris les centrales opérant à cycles combinés, qui, en raison de leur compétitivité supérieure, auraient vu leur production être vendue sur le marché journalier de l’électricité (ci-après les « centrales déplacées »).

14      Il est prévu que le régime litigieux, y compris la compensation, expirera au plus tard le 31 décembre 2014.

 Décision attaquée

15      À la suite de contacts préalables à la notification, entamés en janvier 2010, le Royaume d’Espagne a, sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, formellement notifié à la Commission, en date du 12 mai 2010, le régime litigieux et, notamment, les mesures destinées à compenser, en faveur des propriétaires des dix centrales obligées de produire certains volumes d’électricité à partir de charbon indigène, les coûts supplémentaires de production résultant de cette obligation (points 1, 7 et 11 de la décision attaquée).

16      Bien que la décision attaquée ait été adoptée à l’issue de la phase préliminaire d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a, dans cette décision, résumé et abordé les observations déposées spontanément par plusieurs entreprises, parmi lesquelles figurent les requérantes, par des associations et par des entités infra-étatiques espagnoles (points 66 à 76 de la décision attaquée).

17      Enfin, après avoir conclu que les obligations imposées par le régime litigieux aux propriétaires de centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010 correspondaient à la gestion d’un service d’intérêt économique général (ci-après le « SIEG ») et que l’aide d’État visant à compenser ce service public était compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 106, paragraphe 2, TFUE (points 103 et 163 de la décision attaquée), la Commission a décidé, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), de ne pas soulever d’objections à l’égard de cette aide d’État.

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 octobre 2010, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

19      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée, au titre de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, dans l’attente de l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé et, en tout état de cause, jusqu’à l’adoption de la décision mettant fin au litige principal ;

–        condamner la Commission aux dépens.

20      Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 29 octobre 2010, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        déclarer la demande en référé irrecevable, en totalité ou en partie ;

–        à titre subsidiaire, la rejeter comme dénuée de fondement ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

21      Par ordonnance du 28 octobre 2010, le président du Tribunal a admis le Royaume d’Espagne à intervenir dans la présente affaire de référé au soutien des conclusions de la Commission. Le Royaume d’Espagne a déposé son mémoire en intervention le 22 novembre 2010.

22      Le 3 novembre 2010, le président du Tribunal a ordonné, au titre de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure, le sursis à l’exécution de la décision attaquée, jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé, et ce eu égard notamment à l’adoption imminente d’une décision de l’autorité espagnole compétente qui, en vertu du Real Decreto 1221/2010, obligerait les requérantes à émettre, dans un délai de trois jours, une lettre d’engagement visant à acquérir des quantités déterminées de charbon indigène.

23      Par lettre du 5 novembre 2010, le Royaume d’Espagne a demandé au président du Tribunal de rapporter, conformément à l’article 108 du règlement de procédure, l’ordonnance du 3 novembre 2010, au motif que l’Audiencia Nacional (Audience nationale) avait, quant à elle, accordé une protection juridictionnelle suffisante en suspendant, par ordonnance du 5 novembre 2010, une mesure d’application du Real Decreto 1221/2010, à savoir l’obligation incombant aux centrales thermiques visées par le régime litigieux de présenter, dans un délai de trois jours, des lettres d’engagement d’acquisition de charbon indigène, jusqu’à ce que le Tribunal Supremo (Cour suprême) se soit prononcé sur la demande de sursis à l’exécution du Real Decreto 1221/2010.

24      En réponse à cette lettre, le greffe a informé le Royaume d’Espagne que le président du Tribunal n’envisageait pas, à ce stade, la révocation de son ordonnance du 3 novembre 2010, étant donné que l’action du juge de l’Union européenne, dans une situation concrète d’octroi d’une mesure provisoire, telle que celle de l’espèce, ne pouvait être tributaire de la décision du juge national d’accorder ou de retirer une mesure produisant des effets analogues au niveau national.

25      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 16 novembre, 26 novembre et 23 décembre 2010, la Federación Nacional de Empresarios de Minas de Carbón (ci-après « Carbunión »), représentée par Mes S. Cisnal de Ugarte, M. Peristeraki, avocats, et K. Desai, solicitor, E.ON Generación, SL (ci-après « E.ON »), représentée par Mes E. Sebastián de Erice Malo de Molina, S. Rodríguez Bajón et A. Font Galarza, avocats, et Hidroeléctrica del Cantábrico, SA (ci-après « Hidroeléctrica »), représentée par Me J. Álvarez de Toledo Saavedra, avocat, ont demandé à intervenir dans la présente procédure de référé au soutien des conclusions de la Commission.

26      Carbunión, E.ON et Hidroeléctrica (ci-après, pris ensemble, les « trois demandeurs en intervention ») ont été invités à assister à l’audition prévue pour le 10 janvier 2011 et à y présenter leurs arguments, sans préjudice de la décision finale sur l’admission de leurs demandes respectives.

27      Par télécopie du 24 décembre 2010, les requérantes ont présenté une demande fondée sur l’article 31 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et visant à ce que l’audition se déroule à huis clos, c’est-à-dire à l’exclusion notamment des trois demandeurs en intervention, au motif que les débats oraux risquaient de porter sur des éléments sensibles devant faire l’objet d’un traitement confidentiel. Cette demande a été rejetée par le président du Tribunal.

28      Le 10 janvier 2011, les requérantes, la Commission, le Royaume d’Espagne ainsi que les trois demandeurs en intervention ont présenté leurs arguments à l’audition et ont répondu à des questions posées par le président du Tribunal. S’agissant des trois demandeurs en intervention, s’ils ont tous été autorisés à présenter des arguments sur leur intérêt à intervenir ainsi que sur le bien-fondé de la présente demande en référé, le président a néanmoins réservé sa décision sur leur admission définitive, après avoir donné aux parties principales et au Royaume d’Espagne l’occasion de se prononcer à cet égard lors de l’audition. À cette même occasion, les requérantes n’ont pas réitéré leur demande de huis clos.

29      Par lettre du 11 janvier 2011, le Royaume d’Espagne a communiqué l’ordonnance de l’Audiencia Nacional, du 5 janvier 2011, abrogeant le sursis à exécution accordé par l’ordonnance de l’Audiencia Nacional du 5 novembre 2010 (voir point 23 ci-dessus), faisant suite à l’ordonnance du Tribunal Supremo du 22 décembre 2010, par laquelle la demande de la requérante visant à obtenir le sursis à l’exécution du Real Decreto 1221/2010 avait été rejetée.

30      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 4 février 2011, les requérantes ont fait part de leur intention de se désister de la demande en référé.

 En droit

31      Il convient de rappeler que, par ordonnance du 3 novembre 2010, le président du Tribunal a ordonné, au titre de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure, le sursis à l’exécution de la décision attaquée (voir point 22 ci-dessus). En outre, il importe de constater, d’une part, que le Royaume d’Espagne a, dès le 5 novembre 2010, demandé le retrait de cette décision (voir point 23 ci-dessus) et, d’autre part, que les requérantes ont manifesté, le 4 février 2011, leur intention de renoncer à l’instance à un stade particulièrement tardif de la présente procédure de référé et qu’elles ne se sont pas désistées du recours principal. Par conséquent, dans l’attente d’une ordonnance de radiation finale, il y a lieu d’examiner, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, si le sursis à exécution ordonné doit être maintenu ou si l’ordonnance du 3 novembre 2010 doit, au contraire, être privée d’effet le plus vite possible, compte tenu du caractère urgent de toute procédure de référé (ordonnance du président du Tribunal du 30 avril 2010, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, T‑18/10 R, non publiée au Recueil, point 39).

 Sur les demandes en intervention présentées par Carbunión, E.ON et Hidroeléctrica

32      Selon l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, une personne peut intervenir dans un litige soumis au Tribunal à condition de prouver un intérêt à la solution du litige.

33      Sur ce point, il est de jurisprudence constante que la notion d’intérêt à la solution du litige doit s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions. Il est nécessaire de vérifier, notamment, que le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain, étant précisé que les associations peuvent être admises à intervenir pour protéger les intérêts de leurs membres dans des affaires soulevant des questions de principe susceptibles d’affecter ces intérêts (voir ordonnance du président du Tribunal du 7 juillet 2004, Região autónoma dos Açores/Conseil, T‑37/04 R, Rec. p. II‑2153, point 59, et la jurisprudence citée ; voir, également, ordonnance du président du Tribunal du 26 juillet 2004, Microsoft/Commission, T‑20l/04 R, Rec. p. II‑2977, point 32).

34      Lorsque la demande en intervention est présentée dans le cadre d’une procédure en référé, l’intérêt à la solution du litige doit être compris comme un intérêt à la solution de l’affaire en référé. En effet, tout comme la solution de l’affaire principale, la solution de l’affaire en référé peut léser les intérêts des tiers ou leur être favorable. Il en résulte que, dans le cadre d’une procédure de référé, l’intérêt du demandeur en intervention doit s’apprécier par rapport aux conséquences de l’octroi de la mesure provisoire sollicitée ou du rejet de la demande de celle-ci sur leur situation économique ou juridique (ordonnance Microsoft/Commission, précitée, point 33).

35      Il y a lieu de préciser que le caractère direct et actuel de l’intérêt à la solution d’une affaire en référé doit être apprécié en tenant compte de la spécificité de la procédure de référé. En effet, dans le cadre d’une telle affaire, l’intérêt invoqué par l’intervenant est pris en compte, le cas échéant, dans le cadre de la mise en balance des intérêts (ordonnance Microsoft/Commission, précitée, point 34).

36      En tout état de cause, l’appréciation faite par le juge des référés de l’intérêt à la solution de l’affaire portée devant lui demeure sans préjudice de celle que le Tribunal effectue lorsqu’il est saisi d’une demande en intervention dans l’affaire principale (ordonnance Microsoft/Commission, précitée, point 35).

37      C’est à la lumière des conditions et considérations ainsi énoncées qu’il convient d’analyser si les trois demandeurs en intervention ont un intérêt à la solution du litige.

38      S’agissant de E.ON et de Hidroeléctrica, force est de constater que ces deux sociétés sont propriétaires de centrales thermiques espagnoles qui figurent, ainsi qu’il ressort du point 11 de la décision attaquée, parmi les centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010 qui sont obligées de s’approvisionner en charbon indigène ainsi que de produire certains volumes d’électricité à partir dudit charbon. Dans la mesure où elles font valoir que tout retard dans la mise en œuvre du régime litigieux et de la compensation prévue à cet effet est susceptible de provoquer des pertes pour leurs centrales concernées, il est évident qu’un sursis à l’exécution de la décision attaquée aurait une incidence directe pour l’activité économique de ces sociétés. Il faut donc considérer que E.ON et Hidroeléctrica ont un intérêt direct et certain à la solution de la présente affaire en référé.

39      En ce qui concerne Carbunión, il importe de constater que cette association a pour objet social, ainsi qu’il ressort de ses statuts, de représenter et de promouvoir les intérêts économiques et sociaux des entreprises espagnoles exploitant des mines de charbon indigène. Lesdites entreprises sont concernées par le régime litigieux, en ce que ledit régime vise à favoriser la production d’énergie électrique à partir du charbon indigène. Aux points 112, 113 et 121 de la décision attaquée, la Commission reconnaît, par ailleurs, expressément que ce régime confère un avantage économique non seulement aux propriétaires des centrales utilisant ledit charbon, mais également aux producteurs de ce charbon, en transférant des ressources d’État aux entreprises minières de charbon par l’intermédiaire desdites centrales.

40      Il s’ensuit que tout retard dans la mise en œuvre du régime litigieux est susceptible de provoquer un manque à gagner pour les mines de charbon espagnoles, de sorte qu’un sursis à l’exécution de la décision attaquée aurait une incidence directe pour l’activité économique desdites mines. En outre, pour autant que Carbunión soutient qu’une suspension de la décision attaquée menace de fermeture plusieurs entreprises minières de charbon, de petite taille en comparaison avec la requérante, et provoquera le licenciement de plusieurs milliers de mineurs de fond, il convient de rappeler que, eu égard à la spécificité de la procédure de référé, ces intérêts de personnes tierces, invoqués par Carbunión, sont susceptibles d’être pris en compte dans le cadre de la mise en balance des différents intérêts en présence (voir point 35 ci-dessus).

41      Il convient donc de conclure que Carbunión a un intérêt direct et certain à la solution de la présente affaire en référé.

42      Par conséquent, toutes les demandes en intervention ayant été présentées conformément aux dispositions de l’article 24, paragraphe 6, et de l’article 115, paragraphe l, du règlement de procédure, il y a lieu d’admettre Carbunión, E.ON et Hidroeléctrica à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

 Sur la demande en référé

43      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

44      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

45      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

46      Par ailleurs, il importe de souligner que l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

47      Enfin, s’agissant de l’acte dont la suspension est sollicitée, il convient de relever que, en l’espèce, les requérantes avaient introduit la demande en référé sans avoir connaissance du texte de la décision attaquée, celle-ci n’ayant pas encore été publiée à la date à laquelle elles ont introduit la demande en référé pour des motifs de confidentialité susceptibles d’être invoqués par le Royaume d’Espagne. Or, même si, le 16 novembre 2010, sur demande du président du Tribunal, la Commission a communiqué la décision attaquée afin que celle-ci soit versée au dossier de la présente affaire en référé, en précisant que le Royaume d’Espagne n’en demandait aucun traitement confidentiel, force est de constater que les requérantes, auxquelles cette décision a été transmise, n’ont pas saisi l’occasion de cette transmission pour procéder à une adaptation de la demande en référé, après avoir pris connaissance de ladite décision.

 Sur le fumus boni juris

48      Afin de déterminer si la condition relative au fumus boni juris est remplie, il y a lieu de procéder à un examen prima facie du bien-fondé des griefs invoqués par la requérante à l’appui du recours principal et donc de vérifier si au moins l’un d’entre eux présente un tel caractère sérieux qu’il ne saurait être écarté dans le cadre de la présente procédure de référé (voir ordonnance du président du Tribunal du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée au Recueil, point 21, et la jurisprudence citée).

49      En l’espèce, les requérantes soutiennent, notamment, que la Commission ne pouvait se contenter d’un examen préliminaire, mais aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, puisqu’elle était objectivement confrontée à des difficultés sérieuses pour apprécier la compatibilité du régime litigieux avec le marché intérieur. Des indices clairs de l’existence de telles difficultés seraient, d’une part, le délai d’examen du régime litigieux, de dix mois si on tient compte de la longue phase de prénotification, et, d’autre part, la teneur des débats qui se seraient tenus entre le Royaume d’Espagne et la Commission ainsi que les doutes exprimés par cette dernière et certains de ses membres sur la compatibilité de ce régime, dont la presse se serait fait l’écho. En outre, l’examen opéré par la Commission aurait été insuffisant, s’agissant de la compatibilité du régime litigieux avec d’autres dispositions du droit de l’Union.

50      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE revêt un caractère indispensable dès lors que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide est compatible avec le marché intérieur. La Commission ne peut donc s’en tenir à la phase préliminaire d’examen visée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE pour prendre une décision favorable à une aide que si elle est en mesure d’acquérir la conviction, au terme d’un premier examen, que cette aide est compatible avec le marché intérieur. En revanche, si ce premier examen a conduit la Commission à acquérir la conviction contraire, ou même n’a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la Commission a le devoir de s’entourer de tous les avis nécessaires et d’ouvrir, à cet effet, la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir arrêt du Tribunal du 9 septembre 2010, British Aggregates e.a./Commission, T‑359/04, non encore publié au Recueil, point 55, et la jurisprudence citée).

51      Il est également de jurisprudence constante que la notion de difficultés sérieuses revêt un caractère objectif. L’existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché intérieur. Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de difficultés sérieuses, par nature, dépasse la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation (voir arrêt British Aggregates e.a./Commission, précité, point 56, et la jurisprudence citée).

52      Par conséquent, la Commission ne peut légalement adopter une décision sans ouverture de la phase formelle d’examen que si l’examen préliminaire n’a révélé aucune difficulté sérieuse. En effet, si une telle difficulté existait, la décision pourrait être annulée pour ce seul motif, en raison de l’omission de l’examen contradictoire et approfondi prévu par le traité, même s’il n’était pas établi que les appréciations portées sur le fond par la Commission étaient erronées en droit ou en fait (voir, en ce sens, arrêt British Aggregates e.a./Commission, précité, point 58).

53      Compte tenu des considérations qui précèdent, il incombe donc au juge des référés d’examiner les griefs dirigés par les requérantes à l’encontre de la décision attaquée, afin d’apprécier, prima facie, le point de savoir s’ils permettent d’identifier des difficultés sérieuses en présence desquelles la Commission aurait été tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Dans ce contexte, il convient de vérifier, notamment, si l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire apparaît suffisant et complet, le caractère insuffisant ou incomplet de cet examen constituant un indice de l’existence de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêt British Aggregates e.a./Commission, précité, point 57, et la jurisprudence citée).

54      Aux fins de cette vérification, il y a lieu, conformément à la jurisprudence précitée, de mettre en rapport les motifs de la décision attaquée avec les éléments dont la Commission disposait lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité du régime litigieux avec le marché intérieur.

55      À cet égard, il importe de relever que le titre de la décision attaquée fait état d’une compensation de service public « associée à un MAP », et il ressort de son point 7 que le Royaume d’Espagne a « notifié » non seulement la compensation financière en question, mais également le Real Decreto 134/2010 et « un projet de décret royal tendant à modifier le [Real Decreto 134/2010] », c’est-à-dire le régime litigieux dans son ensemble, y compris le MAP, ce qui est encore confirmé par la référence, au point 154, au « MAP notifié ». Par ailleurs, au point 11 de ladite décision, il est précisé que l’obligation de production sera « mise en œuvre par le biais d’un MAP » et, au point 34 de cette décision, la Commission prend note de l’engagement des autorités espagnoles qu’« aucune prolongation du MAP au-delà du 31 décembre 2014 ne sera possible ». En outre, au point 81 de la même décision, la Commission rappelle que la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (JO L 176, p. 37) peut servir de fondement à des obligations de service public pour des raisons de sécurité d’approvisionnement « sous la forme d’un MAP au bénéfice de centrales à énergie indigène ».

56      Il convient également d’ajouter que la Commission, après avoir conclu que la compensation notifiée constituait une aide aux propriétaires des centrales utilisant du charbon indigène (point 112 de la décision attaquée), poursuit en indiquant que le « MAP augmentera les revenus perçus par les producteurs de charbon indigène [et] confère aussi un avantage économique aux producteurs de charbon indigène » (point 113 de ladite décision). Enfin, la Commission considère que « le MAP et la compensation de service public associée organisent un transfert de ressources d’État aux entreprises minières de charbon par l’intermédiaire des centrales » (point 121 de cette même décision).

57      Ces passages de la décision attaquée font douter, prima facie, de ce que la Commission se soit réellement bornée à examiner si la seule compensation financière du SIEG était compatible avec le marché intérieur. Ils donnent plutôt prima facie l’impression que la Commission considère cette compatibilité comme étant liée à celle du MAP, du fait que le MAP tend apparemment à garantir l’effectivité du SIEG, en tant que moyen technique visant à atteindre l’objectif poursuivi, à savoir favoriser la production d’énergie électrique à partir du charbon indigène. L’argumentation de la Commission selon laquelle c’est la compensation financière, et non le MAP, qui constitue l’objet tant de l’aide d’État notifiée par le Royaume d’Espagne que de la décision attaquée et selon laquelle la présente demande en référé cherche à instrumentaliser le juge de l’Union pour obtenir des mesures visant à suspendre, non l’autorisation de l’aide d’État en cause, mais le MAP, à l’encontre duquel la requérante a déjà saisi les juridictions espagnoles ne saurait donc prospérer.

58      Il convient toutefois de se poser la question de savoir si la Commission a effectivement examiné si le MAP constituait une modalité de l’aide d’État en cause et, à défaut, si elle n’aurait pas dû le faire.

59      En effet, selon la jurisprudence, une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole des dispositions du traité autres que les articles 107 TFUE et 108 TFUE ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 78, et du 3 mai 2001, Portugal/Commission, C‑204/97, Rec. p. I‑3175, point 41), étant précisé toutefois que cette jurisprudence est limitée aux cas où les modalités d’aide en question sont à ce point indissolublement liées à l’objet de l’aide qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément (arrêts de la Cour du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74/76, Rec. p. 557, point 14, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C‑225/91, Rec. p. I‑3203, point 41).

60      À cet égard, il ressort des points 74, 158 et 161 de la décision attaquée que la Commission a considéré, d’une part, que les mines de charbon en cause seraient exploitées dans une zone Natura 2000 et, d’autre part, que la méthode par laquelle les centrales déplacées seraient sélectionnées selon des critères environnementaux, mais qu’il s’agissait là de mesures détachables de l’aide d’État en cause. En revanche, s’agissant d’autres critiques adressées au régime litigieux, et notamment au MAP, il convient de relever que la Commission a expressément abordé la problématique du MAP sous l’angle de la libre circulation des marchandises et du droit de propriété (voir points 154, 155 et 159 de la décision attaquée), pour conclure qu’aucune disposition ou principe général ne s’oppose au MAP (voir point 160 de la décision attaquée).

61      Il résulte de tout ce qui précède qu’une lecture de la décision attaquée ne permet pas, prima facie, de déterminer si la Commission a considéré que les modalités de l’aide d’État en cause, notamment le MAP, étaient à ce point indissolublement liées à l’objet de l’aide que l’autorisation de celle-ci valait nécessairement autorisation du MAP. Ces considérations entraînent des doutes sur la portée exacte de la décision attaquée et, par voie de conséquence, sur le caractère suffisant et complet de l’examen que la Commission a mené lors de la procédure d’examen préliminaire, doutes qui constituent autant d’indices tendant à démontrer, prima facie, qu’il ne saurait être exclu que la Commission ait été confrontée à des difficultés sérieuses lorsqu’elle a apprécié la compatibilité de l’aide en cause avec le marché intérieur.

62      Au regard de ces doutes, les questions liées au caractère suffisant et complet de l’examen que la Commission a mené lors de la procédure d’examen préliminaire méritent un examen approfondi qui ne saurait être effectué dans le cadre de la présente procédure, mais doit faire l’objet de la procédure principale. Sans préjuger de la position du Tribunal sur le recours principal, le juge des référés ne saurait donc, à ce stade, considérer le grief invoqué par les requérantes et pris d’une violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE comme étant, à première vue, manifestement dépourvu de tout fondement.

63      Par conséquent, ce grief apparaît, prima facie, suffisamment pertinent et sérieux pour constituer un fumus boni juris (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 16 juillet 1993, France/Commission, C‑296/93 R, Rec. p. I‑4181, point 17, ainsi que du président du Tribunal du 10 mars 1995, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑395/94 R, Rec. p. II‑595, point 49, et du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, points 185 et 186), sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres griefs avancés par les requérantes dans le cadre de leur argumentation relative au fumus.

 Sur l’urgence

64      Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature. Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure, en tout état de cause, tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable (voir ordonnances du président du Tribunal du 4 décembre 2007, Cheminova e.a./Commission, T‑326/07 R, Rec. p. II‑4877, point 50, et du 12 mai 2010, Reagens/Commission, T‑30/10 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

65      Ainsi, pour pouvoir apprécier si le préjudice appréhendé présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent la situation financière de la partie qui sollicite les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (voir ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, point 32, et la jurisprudence citée).

66      Il est également de jurisprudence bien établie que, d’une part, un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 26 mars 2010, SNF/ECHA, T‑1/10 R, non publiée au Recueil, point 48, et la jurisprudence citée) et, d’autre part, un préjudice d’ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut, en règle générale, faire l’objet d’une compensation financière ultérieure (voir ordonnance Reagens/Commission, précitée, point 32, et la jurisprudence citée), de telles circonstances exceptionnelles étant établies si, en l’absence de la mesure provisoire demandée, la partie qui sollicite les mesures provisoires se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant la fin de la procédure principale (voir ordonnance du président du Tribunal du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 84, et la jurisprudence citée).

67      En l’espèce, s’agissant des préjudices purement financiers que les requérantes craignent de subir en cas d’exécution immédiate du régime litigieux et de la décision attaquée – notamment ceux causés par la suppression des compensations initialement prévues à l’annexe III du Real Decreto 134/2010 (voir point 5 ci-dessus), suppression qui ne fait cependant pas l’objet de la décision attaquée, ainsi que ceux causés par l’obligation d’acheter, à des conditions économiquement désavantageuses, du charbon indigène jusqu’en 2012 –, il suffit de constater que les requérantes ne se prévalent pas de ce que la survenance de ces préjudices puisse être de nature à mettre en péril leur existence avant la clôture de la procédure principale. Les requérantes n’ont pas davantage établi qu’elles seraient empêchées d’en obtenir une réparation ultérieure par la voie d’un recours en indemnité.

68      Par conséquent, les préjudices financiers invoqués, à les supposer démontrés, devraient être considérés comme réparables et ne sauraient justifier la suspension, à titre exceptionnel, de l’exécution de la décision attaquée.

69      En effet, il a été jugé que la seule possibilité de former un recours en indemnité en vertu des articles 268 TFUE et 340 TFUE suffit à attester du caractère en principe réparable d’un préjudice pécuniaire, l’incertitude liée à la réparation d’un tel préjudice dans le cadre d’un recours en indemnité ne pouvant être considérée, en elle-même, comme une circonstance de nature à établir le caractère irréparable dudit préjudice, étant donné que, au stade du référé, la possibilité d’en obtenir ultérieurement réparation est nécessairement incertaine et que la procédure de référé n’a pas pour objet de se substituer au recours en indemnité pour éliminer cette incertitude [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a., C‑404/01 P(R), Rec. p. I‑10367, points 70 à 75, et du président du Tribunal du 24 avril 2009, Nycomed Danmark/EMEA, T‑52/09 R, non publiée au Recueil, point 72].

70      S’agissant des préjudices de nature non financière en ce qu’il serait difficile, voire impossible de les chiffrer, les requérantes craignent, premièrement, que la mise en œuvre du MAP ait des effets irréversibles sur le marché. Selon elles, la seconde requérante serait obligée de présenter sur le marché journalier de l’électricité des offres de vente de l’énergie produite à partir du charbon indigène à un prix maximum ne pouvant dépasser le coût variable de la centrale de production d’énergie électrique fixé par le secrétariat d’État à l’énergie, et il serait impossible, juridiquement et matériellement, de remédier aux conséquences des ventes qui seraient conclues. À cet égard, il faudrait tenir compte du fait que l’énergie déjà vendue, et fournie, sur ledit marché journalier ne pourrait pas être vendue à nouveau, du fait que les offres de vente déjà présentées sur ce marché journalier ne pourraient pas être modifiées et du fait que le préjudice causé ne pourrait pas être évalué, puisqu’il serait impossible de savoir quel aurait dû être le prix à obtenir pour l’énergie vendue, qui pourrait éventuellement avoir été produite à partir du charbon importé ou d’un autre combustible si le système complexe mis en place par le régime litigieux ne devait pas être appliqué. Toutes ces conséquences se produiraient au cours des innombrables « sessions » du marché journalier de l’électricité qui pourraient avoir lieu jusqu’à ce que le Tribunal statue dans le litige principal. Enfin, il serait impossible d’estimer avec précision les préjudices causés dans le cadre des nombreuses relations contractuelles portant sur ledit marché journalier en raison de l’application du régime litigieux autorisé par la Commission.

71      Les requérantes dénoncent, deuxièmement, les effets irréversibles concernant les centrales de production d’énergie électrique appartenant à la seconde requérante qui peuvent utiliser du charbon importé, mais qui ne figurent pas parmi celles identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010. En effet, lesdites centrales seraient les premières à être « déplacées » en cas d’application du régime litigieux, ce qui pourrait entraîner leur arrêt complet, sauf lorsque leur programmation serait nécessaire pour maintenir les niveaux de sécurité. Selon les requérantes, les effets du MAP entraîneraient d’évidents préjudices irréversibles pour la seconde requérante qui pourrait même être amenée à fermer prématurément ses centrales utilisant du charbon importé ou, en tout cas, à les démanteler progressivement, puisque celle-ci devrait notamment supporter les frais résultant de l’impossibilité d’amortir les investissements considérables consentis dans lesdites centrales, les frais afférents aux procédures de régulation de l’emploi des travailleurs actuellement occupés dans ces centrales à fort taux de main-d’œuvre et les coûts résultant de l’inexécution des engagements contractuels à l’égard des opérateurs économiques des zones où se trouvent les centrales en cause ainsi que des fournisseurs et des transporteurs du charbon importé.

72      Les requérantes soutiennent, troisièmement, que l’arrêt et le démantèlement progressif des centrales de production d’énergie électrique affectées par le régime litigieux, soit essentiellement les centrales utilisant du charbon importé, causeraient un dommage irréparable au groupe Endesa dans son ensemble. Cette atteinte manifeste à la position concurrentielle dudit groupe sur le marché de l’électricité ne serait pas susceptible de réparation et le préjudice en résultant serait manifestement irréversible si l’on tient compte du fait que la disparition d’opérateurs se fait toujours au détriment de la concurrence sur le marché, parce qu’elle renforce les entreprises qui parviennent à s’y maintenir.

73      En ce qui concerne les préjudices prétendument non financiers qui seraient causés par la fermeture ou par le démantèlement progressif des centrales utilisant du charbon importé, il convient de constater que l’impossibilité de quantifier ces préjudices semble être la conséquence de leur caractère hypothétique, les requérantes se bornant à avancer de simples suppositions, sous forme de scénarios les moins favorables qui surviendraient en cas de rejet de la demande en référé, au lieu de fournir des indications concrètes établissant au moins une forte probabilité de la survenance des préjudices invoqués et des preuves sérieuses établissant la gravité de ces préjudices (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 10 juillet 2009, TerreStar Europe/Commission, T‑196/09 R, non publiée au Recueil, point 55).

74      En tout état de cause, plusieurs éléments du dossier tendent clairement à exclure la gravité des préjudices que les requérantes prétendent subir, en cas de fermeture ou de démantèlement progressif des centrales de production d’énergie électrique de la seconde requérante.

75      Ainsi, la Commission a indiqué, sans être contredite par les requérantes lors de l’audition, que la quantité d’énergie primaire concernée par le régime litigieux n’excédait pas 9 % de la quantité totale d’énergie primaire nécessaire pour produire l’électricité consommée annuellement en Espagne. De plus, ainsi qu’il ressort des données disponibles sur le site Internet de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), seulement 40 % du gaz importé en Espagne en 2008 étaient destinés à la production d’électricité. En outre, le Royaume d’Espagne a souligné, lors de l’audition, sans être contredit par les requérantes, que la prestation du SIEG n’impliquait pas que les centrales utilisant du charbon indigène fonctionneraient durant toutes les 8 760 heures de l’année, mais que le SIEG ne serait fourni que pendant une moyenne de 44 % de ces heures, c’est-à-dire en moyenne moins de la moitié de l’année, ce qui laisserait le champ libre à la production des centrales utilisant du charbon importé.

76      Dans son mémoire en intervention, le Royaume d’Espagne s’est encore référé au fait que tant les centrales utilisant du charbon indigène, bénéficiaires du régime litigieux, que les centrales déplacées appartiennent majoritairement aux mêmes entreprises, parmi lesquelles figurent les requérantes, pour en conclure, à juste titre, que la mise en œuvre du MAP ne devrait pas entraîner une réduction substantielle des parts de marché du groupe Endesa. De plus, il convient de prendre en considération que les requérantes font partie d’un groupe qui appartient au groupe Enel, dont le chiffre d’affaires total s’élevait en 2009 à 64 milliards d’euros, et qu’elles sont actives non seulement en Espagne, mais également en Amérique latine.

77      Enfin, il est constant que le régime litigieux ne sera applicable que jusqu’au 31 décembre 2014, la décision attaquée en faisant une « condition » de l’autorisation accordée. Les préjudices subis, à les supposer avérés, seraient donc limités dans le temps.

78      Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas établi la gravité des préjudices qui résulteraient de la fermeture ou du démantèlement progressif des centrales de production d’énergie électrique de la seconde requérante, ni celle des autres préjudices qui résulteraient de l’application du MAP, notamment pour la situation concurrentielle du groupe Endesa sur le marché de l’électricité.

79      S’agissant plus particulièrement de la centrale de production d’énergie électrique située à As Pontes de Garcia Rodriguez (Espagne), il y a lieu de constater que, ainsi qu’il ressort d’un communiqué de presse du ministère de l’Industrie, du Tourisme et du Commerce espagnol du 21 octobre 2010, dont la teneur n’a pas été contestée par les requérantes lors de l’audition, ces dernières ont officiellement annoncé faire tout leur possible pour maintenir ladite centrale en activité, pour y conserver les emplois, ainsi que pour examiner les formules permettant de garantir un minimum d’activité, y compris le transport, tandis que le ministère a indiqué que cette centrale était une infrastructure essentielle pour le système espagnol de production et de distribution d’électricité. La contradiction entre ces déclarations publiques et les allégations faites dans le cadre de la présente procédure ne permettent pas au juge des référés de considérer la survenance des préjudices invoqués par les requérantes en relation avec la centrale en question comme étant suffisamment probable.

80      En ce qui concerne l’atteinte qui serait portée aux relations contractuelles des requérantes avec, notamment, leurs fournisseurs, leurs clients et leurs transporteurs, il suffit de relever qu’une modification par le législateur des règles juridiques applicables à un secteur donné peut, le cas échéant, nécessiter une adaptation des conventions conclues avec des tiers par les opérateurs économiques actifs dans ce secteur, sans que les relations contractuelles qu’ils entretiennent ne s’en trouvent affectées.

81      En outre, dans l’hypothèse où les requérantes auraient omis de pourvoir leurs contrats d’une clause permettant de tenir compte de mesures adoptées par les autorités publiques, telles que le régime litigieux, elles auraient manqué à leur devoir de diligence en tant qu’opérateurs économiques prudents et avertis. Or, il est de jurisprudence constante que l’urgence à ordonner une mesure provisoire doit résulter des effets produits par l’acte litigieux et non d’un manque de diligence du demandeur de ladite mesure. En effet, il incombe à ce dernier, au risque de devoir supporter lui-même le préjudice comme faisant partie des risques de l’entreprise, de faire preuve d’une diligence raisonnable pour en limiter l’étendue (voir ordonnances du président du Tribunal du 1er février 2001, Free Trade Foods/Commission, T‑350/00 R, Rec. p. II‑493, point 59, et la jurisprudence citée, et Nycomed Danmark/EMEA, précitée, points 82 et suivants).

82      En tout état de cause, si une reconquête par les requérantes de leur position concurrentielle sur le marché du charbon, prétendument perdue en raison du régime litigieux et de la décision attaquée, peut être économiquement et financièrement assez onéreuse, un tel retour n’apparaît pas impossible (voir, en ce sens, ordonnance Cheminova e.a./Commission, précitée, point 130, et la jurisprudence citée), eu égard notamment à ce que le régime litigieux leur faisant grief prendra fin le 31 décembre 2014. Le préjudice allégué ne saurait donc être qualifié d’irréparable.

83      Par ailleurs, au lieu de démontrer que la reconquête de leur position concurrentielle sur le marché du charbon serait impossible en raison d’obstacles de nature structurelle ou juridique (ordonnance Cheminova e.a./Commission, précitée, point 100, et la jurisprudence citée), les requérantes se sont bornées à prétendre que l’« atteinte manifeste à la position concurrentielle d’Endesa sur le marché de l’électricité […] était difficile, sinon impossible à réparer, tout comme il ser[ait] difficile, voire impossible, de faire marche arrière en cas d’arrêt favorable ».

84      Il convient d’ajouter, s’agissant de l’argumentation selon laquelle la seconde requérante serait obligée d’acheter, jusqu’en 2012, les quantités de charbon indigène stipulées dans les contrats privés passés avec les fournisseurs du fait que ces derniers refuseraient toute condition résolutoire qui pourrait leur être proposée, les requérantes se limitent à avancer de pures affirmations, au lieu d’apporter des éléments de preuve, tels que des manifestations de refus de la part de leurs cocontractants. Cette argumentation ne saurait donc prospérer.

85      Il ressort de tout ce qui précède que les requérantes n’ont pas démontré l’existence de circonstances créant une urgence de nature à justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées.

86      Par ailleurs, l’argument avancé par les requérantes à l’audition, selon lequel le fumus boni juris très fort caractérisant la présente demande en référé devrait être pris en considération dans le cadre de l’urgence, ne saurait prospérer. En effet, s’il a été jugé que l’urgence doit d’autant plus être prise en considération que le fumus boni juris paraît sérieux, la violation éventuelle d’une norme supérieure de droit par un acte ne saurait toutefois suffire à établir, par elle-même, la gravité et le caractère irréparable d’un éventuel préjudice causé par cette violation (voir ordonnance du président du Tribunal du 8 avril 2008, Chypre/Commission, T‑54/08 R, T‑87/08 R, T‑88/08 R et T‑91/08 R à T‑93/08 R, non publiée au Recueil, point 58, et la jurisprudence citée). Il s’ensuit qu’un fumus boni juris, aussi fort soit-il, ne peut pallier l’absence d’urgence (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 31 janvier 2011, Commission/Éditions Jacob, C‑404/10 P-R, non publiée au Recueil, point 27).

87      Bien que les conditions d’octroi d’une mesure provisoire soient cumulatives de sorte que la présente demande en référé pourrait être rejetée pour la seule raison que l’urgence fait défaut (voir point 44 ci-dessus), il apparaît opportun, en l’espèce, de procéder également à la mise en balance des différents intérêts en présence.

 Sur la balance des intérêts

88      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des intérêts consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie requérante à obtenir les mesures provisoires demandées prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 64, et la jurisprudence citée).

89      Les requérantes font valoir, en substance, qu’une suspension de l’exécution de la décision attaquée n’entraînerait aucun préjudice grave pour l’intérêt public, non seulement parce que le régime litigieux est inadéquat pour assurer cet intérêt, mais également parce que son application pourrait compromettre de manière irréversible la garantie d’approvisionnement et causer ainsi un préjudice irréversible à l’intérêt public. Selon elles, le régime litigieux compromettrait la garantie d’approvisionnement et serait susceptible de décourager de nouveaux investissements sur le marché espagnol de l’électricité, d’induire des comportements stratégiques sur ledit marché, d’affecter la formation des prix sur le marché de gros en Espagne au détriment des consommateurs et d’occasionner une régression du processus de libéralisation.

90      À supposer même que le juge des référés doive tenir compte du fait que les centrales utilisant du charbon indigène peuvent contribuer à la garantie d’approvisionnement, il conviendrait d’observer cette garantie existerait pour une période largement supérieure au temps nécessaire à la solution du litige principal. Selon les requérantes, les entreprises qui gèrent les centrales utilisant du charbon indigène ont constitué d’importants stocks pour couvrir leurs besoins pour plusieurs années. L’approvisionnement stable desdites centrales pour une période relativement longue permettrait de conclure que la garantie d’approvisionnement ne peut pas constituer un élément pertinent dans la mise en balance des intérêts. À plus forte raison, si les intérêts des entreprises minières de charbon devaient être pris en considération, il conviendrait de rappeler que les autorités espagnoles ont déjà pris des mesures destinées à protéger les intérêts desdites entreprises en leur faisant constituer des stocks stratégiques de charbon indigène. Il s’agirait de mesures de soutien de l’activité minière qui pourraient se poursuivre pendant toute la durée de la présente procédure.

91      À cet égard, il convient de rappeler que les requérantes ne sont pas parvenues à établir qu’elles subiraient personnellement un préjudice grave et irréparable en l’absence de suspension de la décision attaquée. Par conséquent, s’il paraît indéniable que l’exécution de ladite décision leur serait préjudiciable sous certains aspects, le juge des référés ne saurait reconnaître à ce préjudice un poids prépondérant dans la balance des intérêts.

92      Il en va de même pour la prétendue perturbation tant du marché de l’électricité que d’autres secteurs économiques. En effet, il est évident que le régime litigieux, en particulier le SIEG, touche de multiples intérêts opposés, de sorte que la suspension de la décision attaquée serait susceptible de porter atteinte non seulement aux intérêts invoqués par les requérantes, mais aussi à des intérêts particuliers diamétralement opposés à ces derniers. À cet égard, il suffit de rappeler que Hidroeléctrica et E.ON, deux producteurs d’énergie électrique autres que les requérantes, dont les centrales sont également visées par le régime litigieux, ont pertinemment exposé, notamment lors de l’audition, que tout retard dans la mise en œuvre dudit régime leur causerait des préjudices non négligeables. De même, Carbunión et le Royaume d’Espagne ont souligné le caractère préjudiciable d’un tel retard pour garantir l’approvisionnement, objet du SIEG, ainsi que pour le fonctionnement effectif desdites centrales produisant de l’électricité à partir du charbon indigène et des mines de charbon espagnoles, ce qui pourrait entraîner la fermeture de ces centrales et de ces mines ainsi que des pertes d’emplois.

93      Or, aucune raison impérative ne justifie que les intérêts des centrales utilisant du charbon indigène, des entreprises minières et des salariés concernés ainsi que les intérêts économiques des régions et des communes dans lesquelles sont implantées ces mines et ces centrales, doivent céder le pas aux intérêts invoqués par les requérantes.

94      S’agissant du SIEG imposé par le Royaume d’Espagne et autorisé dans la décision attaquée (voir point 17 ci-dessus), il est vrai que les requérantes contestent sa raison d’être en affirmant qu’il n’existe aucun risque pour la sécurité de l’approvisionnement énergétique en Espagne, que la mise en œuvre du SIEG bouleverserait le marché de l’électricité espagnol, notamment au détriment financier du consommateur final, et que le Royaume d’Espagne dispose, en tout état de cause, d’options moins préjudiciables que le SIEG, qu’il aurait dû choisir en vertu du principe de proportionnalité.

95      À cet égard, il y a toutefois lieu de rappeler, premièrement, que le règlement (CE) nº 1407/2002 du Conseil, du 23 juillet 2002, concernant les aides d’État à l’industrie houillère (JO L 205, p. 1), applicable à la date d’adoption de la décision attaquée, reconnaît l’importance de la production houillère, en matière de sécurité énergétique, pour la production d’électricité. En effet, après avoir relevé que l’Union est devenue de plus en plus dépendante de ses approvisionnements externes en sources d’énergie primaire, le Conseil conclut qu’une diversification des sources énergétiques aussi bien par zones géographiques que par produits permettra de créer des conditions d’approvisionnement plus sûres, en ajoutant qu’une telle stratégie inclut le développement de sources indigènes d’énergie primaire (considérant 3 du règlement nº 1407/2002). Selon le Conseil, la situation politique mondiale donne une dimension entièrement nouvelle à l’évaluation des risques géopolitiques et des risques de sécurité en matière énergétique, et un sens plus large au concept de sécurité d’approvisionnement (considérant 4 du règlement nº 1407/2002), de sorte que le renforcement de la sécurité énergétique de l’Union, que sous-tend le principe général de précaution, justifie le maintien de capacités de production houillère soutenues par des aides d’État (considérant 7 du règlement nº 1407/2002).

96      Ces considérations tenant à la sécurité d’approvisionnement en matière énergétique ne sont pas infirmées par la décision 2010/787/UE du Conseil, du 10 décembre 2010, relative aux aides d’État destinées à faciliter la fermeture des mines de charbon qui ne sont pas compétitives (JO L 336, p. 24), qui a succédé au règlement nº 1407/2002 à la date d’expiration de celui-ci. En effet, s’il estime que les catégories d’aide autorisées par ce règlement ne devraient pas être maintenues indéfiniment (considérant 3 de la décision 2010/787), le Conseil n’en a pas moins prolongé, jusqu’en 2018, la possibilité pour les États membres d’accorder des aides couvrant, notamment, les coûts liés au charbon destiné à la production d’électricité (articles 2 et 3 de la décision 2010/787).

97      Deuxièmement, l’article 3, paragraphe 2, et l’article 11, paragraphe 4, de la directive 2003/54 permettent expressément aux autorités nationales d’imposer aux entreprises du secteur de l’électricité, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public et d’ordonner, pour des raisons de sécurité d’approvisionnement, que les installations de production utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire soient appelées en priorité pour produire une certaine quantité de l’électricité consommée dans l’État membre concerné.

98      C’est en conformité apparente avec ces textes que, dans la décision attaquée, la Commission a autorisé, au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, le SIEG que le Royaume d’Espagne entend instaurer jusqu’en 2014, en tenant compte des considérations de nature géostratégique invoquées par cet État qui, ne disposant pas de sources d’énergie primaire indigènes hormis le charbon, dépend à plus de 80 % de combustibles importés de pays tiers, ainsi que des données fournies par lui qui, d’une part, indiquent une forte baisse des prix de gros de l’électricité et un fléchissement net de la production des centrales à charbon indigène, se répercutant sur leur rentabilité économique et les exposant au risque de fermeture entre 2010 et 2014, et, d’autre part, démontrent que les interconnexions du marché de l’électricité espagnol avec les marchés français et portugais demeureraient limitées jusqu’en 2014. La Commission a également pris en considération le fait que les centrales utilisant du charbon jouent un rôle considérable au soutien de la production d’énergie électrique à partir de sources d’énergie renouvelables (énergies éolienne, hydraulique et solaire), dont la production, très importante en Espagne, est intermittente et nécessite des capacités de production auxiliaires, et qu’il s’agit pour les autorités espagnoles d’atténuer, dans cette perspective, le risque de la fermeture, à défaut d’activité, des centrales utilisant du charbon indigène et des mines de charbon espagnoles.

99      Dans la mesure où les requérantes tendent à remettre en question cette autorisation du SIEG notifié par le Royaume d’Espagne, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, les États membres ont un large pouvoir d’appréciation quant à la définition de ce qu’ils considèrent comme des SIEG et que cette définition ne peut être remise en question par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste commise par l’État membre concerné, étant précisé que cet État doit seulement, d’une part, fournir la preuve de la présence d’un acte de puissance publique investissant les opérateurs visés d’une mission de SIEG ainsi que du caractère universel et obligatoire de cette mission et, d’autre part indiquer les raisons pour lesquelles il estime que le service en cause mérite, de par son caractère spécifique, d’être qualifié de SIEG (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T‑289/03, Rec. p. II‑81, points 166, 169 et 172, et la jurisprudence citée).

100    Ainsi, le contrôle que la Commission est appelée à exercer au regard d’un SIEG se limite nécessairement à la vérification de la question de savoir si ce SIEG repose sur des prémisses économiques et factuelles manifestement erronées et s’il est manifestement inapproprié pour atteindre les objectifs poursuivis. C’est dans ce contexte que le juge de l’Union doit, quant à lui, notamment examiner si l’appréciation de la Commission à cet égard est suffisamment plausible pour étayer la nécessité du SIEG en cause (voir, en ce sens, arrêt BUPA e.a./Commission, précité, point 266).

101    En aucun cas, la Commission ne saurait se substituer à l’État membre dans l’exercice du large pouvoir d’appréciation qui lui est propre en la matière. Ainsi, elle n’est pas habilitée à vérifier, sur la base des données disponibles, si, d’une part, le marché est susceptible d’évoluer effectivement d’une certaine façon et si, d’autre part, l’application des instruments de régulation prévus par le système notifié deviendra de ce fait, à un moment précis, indispensable pour garantir l’accomplissement de la mission de SIEG en cause. En effet, le contrôle de nécessité n’exige pas que la Commission gagne la conviction que l’État membre ne peut renoncer, au regard des conditions actuelles ou futures du marché, aux mesures notifiées, mais est limité à la recherche d’une erreur manifeste dans l’exercice du large pouvoir d’appréciation de l’État membre quant à la manière d’assurer que la mission de SIEG puisse être accomplie dans des conditions économiquement acceptables (voir arrêt BUPA e.a./Commission, précité, point 268, et la jurisprudence citée).

102    Eu égard à ces considérations dégagées par la jurisprudence, le juge des référés ne peut que constater, dans le cadre du contrôle sommaire qu’il exerce en la matière, que l’examen effectué par la Commission et aboutissant à l’autorisation du SIEG en cause (points 77 à 103 de la décision attaquée) n’apparaît, prima facie, entaché d’aucune erreur manifeste d’appréciation. Contrairement à la thèse défendue par les requérantes, il semble ressortir de cette jurisprudence que la Commission n’était notamment pas tenue de vérifier si le Royaume d’Espagne, au lieu d’instaurer ledit SIEG, aurait éventuellement pu envisager des mesures alternatives moins graves ou s’il aurait dû choisir des centrales autres que les dix centrales identifiées à l’annexe II du Real Decreto 134/2010. Elle n’était pas davantage obligée de censurer le choix du Royaume d’Espagne, qui aurait consisté à répercuter sur le consommateur final les coûts causés par la compensation associée au SIEG. En effet, un tel choix semble faire partie des prérogatives de la puissance publique.

103    Enfin, dans le cadre de son contrôle sommaire, le juge des référés ne saurait négliger le fait que, dans l’ordonnance du Tribunal Supremo du 22 décembre 2010 refusant de surseoir à l’exécution du Real Decreto 134/2010 et du Real Decreto 1221/2010 (voir point 29 ci-dessus), il a été admis par le juge national que le régime litigieux répondait, prima facie, à un besoin réel de sécurité d’approvisionnement énergétique. Dans ce contexte, ce même juge a considéré que le régime litigieux visait à protéger la production de charbon indigène en raison de son importance stratégique, ce qui semblait justifié dans le cadre du pouvoir d’appréciation dont jouit le gouvernement espagnol dans l’exercice de son pouvoir réglementaire. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des points 95 et 97 ci-dessus, la sécurité de l’approvisionnement énergétique est un objectif poursuivi non seulement par le Royaume d’Espagne, mais aussi par l’Union européenne tout entière.

104    Il s’ensuit que, dans le cadre de la balance des intérêts, le juge des référés ne peut que reconnaître prima facie l’absence d’illégalité manifeste de la décision attaquée, pour autant qu’elle autorise le SIEG instauré par le Royaume d’Espagne, en ce qu’il impose à certains opérateurs économiques, moyennant une compensation financière, des obligations d’approvisionnement en charbon indigène et des obligations de produire certains volumes d’électricité à partir de ce charbon.

105    Compte tenu du protocole nº 26 sur les services d’intérêt général, annexé au TUE et au TFUE (JO 2010, C 83, p. 308), qui mentionne l’importance des SIEG et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales pour les fournir, les faire exécuter et les organiser, les intérêts invoqués par le Royaume d’Espagne, E.ON, Hidroeléctrica et Carbunión à voir mis en œuvre le plus rapidement possible le SIEG et la compensation associée, autorisés par la décision attaquée, doivent primer sur les intérêts opposées invoqués par les requérantes.

106    Par conséquent, la balance des différents intérêts en présence ne penche pas en faveur des requérantes.

107    Il résulte de tout ce qui précède que l’ordonnance du 3 novembre 2010 (voir point 22 ci-dessus) doit être rapportée d’office, conformément à l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la recevabilité de la demande en référé.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

Ordonne :

1)      E.ON Generación, S.L., Hidroeléctrica del Cantábrico, SA, et la Federación Nacional de Empresarios de Minas de Carbón sont admises à intervenir au soutien des conclusions de la Commission européenne.

2)      L’ordonnance du président du Tribunal du 3 novembre 2010, Endesa et Endesa Generación/Commission (T-490/10 R, non publiée au Recueil), est rapportée.

3)      Un délai sera fixé à Endesa, SA, et à Endesa Generación, SA, à la Commission et au Royaume d’Espagne pour demander que certains éléments confidentiels du dossier ainsi que de la présente ordonnance soient exclus de la communication aux parties mentionnées au point 1 de ce dispositif et pour produire, aux fins de cette communication, une version non confidentielle des pièces du dossier et de la présente ordonnance.

4)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 17 février 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’espagnol.