Language of document : ECLI:EU:T:2011:420

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

6 septembre 2011 (*)

« Recours en annulation – Représentation par un avocat n’ayant pas la qualité de tiers – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑452/10,

ClientEarth, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par M. S. Hockman, QC, et Me P. Kirch, avocat,

partie requérante,

soutenue par

Royaume de Danemark, représenté par MM. C. Vang et S. Juul Jørgensen, en qualité d’agents,

par

République de Finlande, représentée par Mmes H. Leppo et M. Pere, en qualité d’agents,

et par

Royaume de Suède, représenté par Mmes K. Petkovska, A. Falk, S. Johannesson et C. Meyer-Seitz, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme C. Fekete et M. B. Driessen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision du Conseil du 26 juillet 2010 refusant d’accorder à la requérante l’accès intégral à un avis établi par le service juridique du Conseil (document n° 6865/09) sur le projet d’amendements du Parlement européen à la proposition de la Commission de règlement portant modification du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43),

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. E. Moavero Milanesi, président, N. Wahl (rapporteur) et S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits et procédure

1        Le présent recours a été introduit le 24 septembre 2010 par M. Stephan Hockman, QC, au nom de la requérante, ClientEarth. La requérante est une association caritative enregistrée auprès de la Charity Commission for England and Wales depuis le 26 mars 2006. Par télécopie du 3 février 2011, adressée au greffe du Tribunal et signée par M. Hockman, celui-ci a fait état de l’ajout du nom de Me Pierre Kirch, avocat, comme représentant de la requérante.

2        Il ressort de l’extrait du registre de la Charity Commission for England and Wales, joint à la requête conformément à l’article 44, paragraphe 5, sous a), du règlement de procédure du Tribunal, que M. Hockman est l’un des sept « trustees » (administrateurs) de ClientEarth.

3        Par lettre du 30 mars 2011, le Tribunal a invité M. Hockman à lui fournir, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, toutes informations utiles concernant sa position et ses fonctions au sein de ClientEarth lors du dépôt du recours. M. Hockman a répondu par lettre du 14 avril 2011.

4        Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 18, 20 et 24 janvier 2011, la République de Finlande, le Royaume de Suède et le Royaume de Danemark ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la requérante. Par deux ordonnances des 10 et 22 mars 2011, le président de la sixième chambre du Tribunal a admis ces interventions.

5        Le Royaume de Suède, la République de Finlande et le Royaume de Danemark ont déposé leur mémoire en intervention respectivement les 9 mai, 6 et 9 juin 2011.

 Conclusions des parties

6        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer que le Conseil de l’Union européenne a enfreint le règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43) ;

–        déclarer que le Conseil a enfreint l’article 294, paragraphe 6, TFUE ;

–        enjoindre au Conseil d’accorder l’accès intégral à un avis établi par le service juridique du Conseil (document n° 6865/09) sur le projet d’amendements du Parlement européen à la proposition de la Commission de règlement portant modification du règlement n° 1049/2001 ;

–        annuler la décision refusant l’accès à ce document ;

–        condamner le Conseil aux dépens, y compris ceux exposés par les intervenantes.

7        Le Royaume de Danemark, la République de Finlande et le Royaume de Suède concluent à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision de refus d’accès au document demandé.

8        Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable et partiellement non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

9        Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsqu’un recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cette disposition, de statuer sans poursuivre la procédure.

10      Aux termes de l’article 19, premier, troisième et quatrième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut :

« Les États membres ainsi que les institutions de l’Union sont représentés devant la Cour de justice par un agent nommé pour chaque affaire ; l’agent peut être assisté d’un conseil ou d’un avocat.

[…]

Les autres parties doivent être représentées par un avocat. 

Seul un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen peut représenter ou assister une partie devant la Cour. »

11      L’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour dispose en outre ce qui suit :

« La Cour de justice est saisie par une requête adressée au greffier. La requête doit contenir l’indication du nom et du domicile du requérant et de la qualité du signataire […] »

12      Selon l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure :

« L’original de tout acte de procédure doit être signé par l’agent ou l’avocat de la partie. »

13      Selon une jurisprudence constante, il ressort des dispositions précitées, en particulier de l’emploi du terme « représentées » à l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour, que, pour saisir le Tribunal d’un recours, une partie, au sens de cet article, n’est pas autorisée à agir elle-même, mais doit recourir aux services d’un tiers qui doit être habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (ordonnance de la Cour du 5 décembre 1996, Lopes/Cour de justice, C‑174/96 P, Rec. p. I‑6401, point 11 ; ordonnances du Tribunal du 29 novembre 1999, Shaw e.a./Commission, T‑131/99, non publiée au Recueil, point 11 ; du 8 décembre 1999, Euro-Lex/OHMI (EU-LEX), T‑79/99, Rec. p. II‑3555, point 27, et du 13 janvier 2005, Sulvida/Commission, T‑184/04, Rec. p. II‑85, point 8).

14      En effet, l’exigence d’avoir recours à un tiers correspond à la conception du rôle de l’avocat selon laquelle celui-ci est considéré comme collaborateur de la justice et est appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin (arrêt de la Cour du 18 mai 1982, AM & S/Commission, 155/79, Rec. p. 1575, point 24 ; ordonnances EU-LEX, précitée, point 28, et Sulvida/Commission, précitée, point 9).

15      Partant, une personne morale ne peut pas être valablement représentée devant les juridictions de l’Union par un avocat qui détient, au sein de l’entité qu’il représente, des compétences administratives et financières importantes (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 29 septembre 2010, EREF/Commission, C‑74/10 P et C‑75/10 P, non publiée au Recueil, points 50 et 51).

16      En outre, selon la jurisprudence, les dispositions concernant la représentation des parties non privilégiées devant le Tribunal doivent être interprétées, dans la mesure du possible, de manière autonome, sans référence au droit national (voir, en ce sens, ordonnance EU-LEX, précitée, point 26).

17      Dans sa lettre du 14 avril 2011, M. Hockman fait valoir qu’il est à même de représenter valablement la requérante, dès lors qu’il n’est ni employé par ClientEarth ni un directeur chargé de la gestion quotidienne de cette dernière. Il soutient, notamment, que ses fonctions en qualité de « trustee » se limitent à sa participation semestrielle aux réunions du conseil d’administration de ClientEarth, qu’il ne bénéfice d’aucun avantage financier de la part de ClientEarth et que, en l’espèce, il représente ClientEarth devant le Tribunal à titre bénévole. Il souligne par ailleurs que la gestion courante de ClientEarth est assurée par son directeur général et d’autres employés de celle-ci.

18      À cet égard, il y a lieu de relever que l’exigence imposée par le droit de l’Union d’être représenté devant le Tribunal par un tiers indépendant ne saurait être perçue comme étant une exigence visant uniquement à exclure une représentation par des salariés du mandant ou par ceux qui sont économiquement dépendants de ce dernier.

19      En effet, l’essence de cette exigence est, ainsi qu’il ressort des points 13 et 14 ci-dessus, d’empêcher que les parties privées agissent elles-mêmes en justice sans avoir recours à un intermédiaire. En ce qui concerne les personnes morales, l’exigence de représentation par un tiers vise donc à assurer qu’elles soient défendues par un représentant qui est suffisamment détaché de la personne morale qu’il représente.

20      À cette fin, les rapports économiques ou structurels que le représentant entretient avec son client ne peuvent pas être de nature à créer une confusion entre les intérêts propres du client et les intérêts personnels de son représentant. Au contraire, le représentant doit être objectivement perçu comme un véritable intermédiaire entre son client et la juridiction concernée lorsqu’il est chargé de faire aboutir, conformément aux formes et aux limites définies par le régime procédural applicable, les prétentions de son client.

21      En l’occurrence, il ressort des faits de l’espèce que M. Hockman ne peut être considéré comme suffisamment détaché de ClientEarth. En effet, bien que celui-ci ne soit ni chargé de l’administration courante de ClientEarth, ni le seul à décider de la politique de ClientEarth, il y détient néanmoins une position qui l’amène à assumer la responsabilité des actes de ClientEarth. À cet égard, il importe de souligner que M. Hockman n’est pas un simple membre de ClientEarth, mais qu’il fait partie d’un groupe bien défini (les « charity trustees », administrateurs caritatifs) et qui détient tous les pouvoirs dans ClientEarth, dont la nomination des nouveaux « trustees » ainsi que leur renouvellement.

22      Certes, les « charity trustees » ont délégué, conformément aux statuts de ClientEarth, la gestion quotidienne de celle-ci à un directeur général élu qui n’est pas lui-même un « charity trustee ». Toutefois, il ressort desdits statuts que le directeur général est tenu d’exécuter ses fonctions en conformité avec le cadre politique et budgétaire adopté par M. Hockman et les autres « charity trustees ». Le directeur général est notamment tenu de rapporter régulièrement auxdits « trustees » les mesures qu’il met en œuvre.

23      Par ailleurs, il n’est pas possible de considérer M. Hockman comme étant suffisamment détaché de son client dès lors que celui-ci est impliqué, en tant que « charity trustee », dans la décision de nommer ou de démettre le directeur général de ClientEarth qui est lui-même compétent en matière d’octroi ou de retrait, au nom de ClientEarth, des mandats des avocats qui représentent cette dernière. En l’occurrence, le mandat de M. Hockman de représenter ClientEarth devant le Tribunal aux fins du présent litige a été octroyé en septembre 2010 par M. James Thorton, en qualité de directeur général de ClientEarth. En novembre 2010, M. Hockman, en qualité de « charity trustee », a été l’un des signataires de la décision renouvelant M. Thorton comme directeur général de ClientEarth.

24      Il résulte de tout ce qui précède que le rôle de M. Hockman au sein de ClientEarth n’est pas compatible avec l’exigence d’être représenté par un tiers devant les juridictions de l’Union.

25      Il s’ensuit que, la requête introductive d’instance ayant été signée par M. Hockman, le présent recours n’a pas été introduit conformément aux dispositions citées aux points 10 à 12 ci-dessus. Par conséquent, le recours doit être rejeté comme étant manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

26      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil. Enfin, conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, le Royaume de Danemark, la République de Finlande et le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.

2)      ClientEarth est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      Le Royaume de Danemark, la République de Finlande et le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 6 septembre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       E. Moavero Milanesi


* Langue de procédure : l’anglais.