Language of document : ECLI:EU:C:2005:163

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO TIZZANO

présentées le 10 mars 2005 (1)

Affaire C-89/04

Mediakabel BV

contre

Commissariaat voor de Media

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad van State  (Pays‑Bas)]

«Directive 89/552/CEE – Directive 98/34/CE – Radiodiffusion télévisuelle – Service de la société de l'information – Distinction – Service de quasi vidéo à la demande – Qualification»






1.     Par ordonnance du 18 février 2004, le Raad van State (Pays‑Bas) a saisi la Cour au titre de l’article 234 CE, de trois questions préjudicielles concernant l’interprétation de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (2) (ci‑après la «directive 89/552») et de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (3), telle que modifiée par la directive 98/48/CE (4) (ci‑après la «directive 98/34»).

2.     Pour l’essentiel, le juge national veut savoir si le fait, pour un émetteur, d’offrir des films qui sont diffusés sur un réseau à des horaires préétablis et sous une forme codée, et qui peuvent être regardés par des clients au moyen d’une clef de décodage particulière qui leur est envoyée après le versement du paiement prévu, constitue une «radiodiffusion télévisuelle» au sens de la directive 89/552, ou un «service de la société de l’information», au sens de la directive 98/34.

I –    Le cadre juridique

A –    Les règles communautaires

3.     En l’espèce, la disposition pertinente est d’abord l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, aux termes de laquelle on entend par «radiodiffusion télévisuelle»:

«l’émission primaire, avec ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non, de programmes télévisés, destinés au public. […] Ne sont pas visés les services de communications fournissant, sur appel individuel, des éléments d’information ou d’autres prestations, tels que les services de télécopie, les banques de données électroniques et autres services similaires».

4.     Est également pertinent l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, qui prévoit l’obligation pour les États membres de veiller, «chaque fois que cela est réalisable et par des moyens appropriés, à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent à des œuvres européennes […] une proportion majoritaire de leur temps de diffusion […]».

5.     Pour ce qui nous intéresse ici, il convient également de rappeler l’article 1er de la directive 98/34, tel que modifié par la directive 98/48, aux termes duquel:

«Au sens de la présente directive, on entend par:

[…]

2)      ‘service’: tout service de la société de l’information, c’est‑à‑dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par:

–      les termes ‘à distance’: un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes,

–      ‘par voie électronique’: un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques,

–      ‘à la demande individuelle d’un destinataire de services’: un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

Une liste indicative des services non visés par cette définition figure à l’annexe V.

La présente directive n’est pas applicable:

–      aux services de radiodiffusion sonore,

–      aux services de radiodiffusion télévisuelle visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE».

6.     Au point 3, l’annexe V énumère les services suivants:

«Services non fournis ‘à la demande individuelle d’un destinataire de services’

Services fournis par l’envoi de données sans appel individuel et destinés à la réception simultanée d’un nombre illimité de destinataires (transmission ‘point à multipoint’):

a)      services de radiodiffusion télévisuelle (y compris la quasi vidéo à la demande) visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE,

b)      services de radiodiffusion sonore,

c)      télétexte (télévisuel)».

B –    La réglementation nationale

7.     Aux Pays‑Bas, la fourniture de programmes radiophoniques et télévisuels est régie par la Mediawet (loi nationale sur les médias) (5).

8.     Aux termes de l’article 71a, paragraphe 1, de la Mediawet, un organisme commercial de radiodiffusion n’est autorisé à émettre ou à faire émettre un programme que s’il a obtenu une autorisation à cet égard du Commissariaat voor de Media (institut chargé de la surveillance du secteur de la radiotélévision; ci‑après le «Commissariaat»).

II – Faits et procédure

9.     Depuis la fin de l’année 1999, Mediakabel offre à ses abonnés la possibilité de recevoir, en complément des programmes d’autres émetteurs, une série d’émissions télévisuelles (service dit «Mr. Zap»). Dans le cadre de ce service, l’abonné peut en outre commander un ou plusieurs films à choisir parmi la liste affichée sur l’écran de télévision ou dans le guide des programmes (service dit «Filmtime»).

10.   Les films du service Filmtime sont diffusés simultanément, mais sous forme codée, à tous les abonnés selon les horaires établis par Mediakabel. L’abonné indique donc par communication à distance, y compris par téléphone, le film qu’il souhaite voir aux horaires disponibles et, après avoir versé le paiement prévu, il reçoit une clef électronique pour décoder les images télévisuelles.

11.   Par décision du 15 mars 2001, le Commissariaat a informé Mediakabel que le service «Filmtime» constituait un programme télévisuel qui devait être autorisé conformément à l’article 71a, paragraphe 1, de la Mediawet.

12.   Sa réclamation contre cette décision ayant été rejetée, Mediakabel, qui avait néanmoins obtenu l’autorisation requise dans l’intervalle, a saisi le Rechtbank te Rotterdam (tribunal de Rotterdam) d’un recours contestant la qualification faite de son service par le Commissariaat.

13.   Ce recours a été également rejeté. Mediakabel s’est donc pourvue en appel devant le Raad van State, auprès duquel elle a fait valoir que le service Filmtime ne pouvait pas être qualifié de «radiodiffusion télévisuelle» soumise à autorisation et liée par le respect des quotas de programmation d’œuvres européennes, mais plutôt comme un «service de la société de l’information» du type «quasi vidéo à la demande», qui n’était pas, en tant que tel, soumis aux obligations précitées.

14.   Le juge d’appel, ayant des doutes quant à la qualification correcte du service en question, a décidé de déférer à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1a)  La notion de ‘radiodiffusion télévisuelle’ au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552/CEE doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle couvre, non pas le ‘service de la société de l’information’ visé à l’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE, telle que modifiée par la directive 98/48/CE, mais au contraire les services décrits dans la liste indicative figurant à l’annexe V de la directive 98/34/CE et concernant les services non couverts par l’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE, et notamment ceux décrits au point 3 de ladite liste qui mentionne la quasi vidéo à la demande, qui ne sont donc pas des ‘services de la société de l’information’?

1b)      En cas de réponse négative à la question 1a, comment convient-il de distinguer la notion de ‘radiodiffusion télévisuelle’ au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552/CEE de la notion mentionnée au même article de ‘services de communication fournissant, sur appel individuel, des éléments d’information’?

2a)      Sur la base de quels critères peut-on répondre à la question de savoir si un service comme celui en cause, pour lequel des signaux de films sélectionnés par l’offreur du service, signaux qui sont codés et diffusés sur un réseau, peuvent être, après paiement séparé pour chaque film, décodés par les abonnés à l’aide d’une clef envoyée sur demande individuelle par l’offreur du service et regardés à des heures différentes fixées par l’offreur – service qui comprend donc des aspects spécifiques d’un service (individuel) de la société de l’information et en même temps des éléments caractéristiques d’un service de radiodiffusion télévisuelle – est un service de radiodiffusion télévisuelle ou un service de la société de l’information?

2b)      Convient-il de privilégier le point de vue de l’abonné ou celui de l’offreur du service? Les services concurrentiels du service en cause sont-ils importants en la matière?

3)      En l’espèce convient-il d’attacher de l’importance au fait que:

–      d’une part, si le service en cause est qualifié de ‘service de la société de l’information’ non couvert par la directive 89/552/CEE, cette qualification est susceptible de ruiner l’efficacité de cette directive, eu égard notamment à la finalité de l’obligation qu’elle impose de consacrer un certain pourcentage du temps d’antenne à des œuvres européennes, étant entendu que

–      d’autre part, si la directive 89/552/CEE est applicable, l’obligation qu’elle édicte de consacrer un certain pourcentage de temps d’antenne à des œuvres européennes a peu de sens puisque les abonnés payent par film et ne peuvent regarder que le film pour lequel ils ont payé?»

15.   Dans la procédure ainsi engagée, des observations écrites ont été présentées par Mediakabel, le Commissariaat, les gouvernements néerlandais, belge, français et celui du Royaume-Uni, ainsi que la Commission.

16.   Mediakabel, le Commissariaat, le gouvernement néerlandais et la Commission ont ensuite plaidé devant la Cour à l’audience du 20 janvier 2005.

III – Analyse juridique

 Les prémisses

17.   On le sait, à la suite des changements technologiques rapides de ces dernières années, on a pu voir se multiplier les services fournis par la télévision.

18.   Les services de télévision traditionnels ont en effet été complétés par ceux de «pay‑TV», «pay‑per‑view», «video‑on‑demand» et «near video‑on‑demand» qui, par rapport aux premiers, garantissent au spectateur une flexibilité grandissante dans la façon dont il dispose du produit.

19.   Dans le cadre de la «pay‑TV», le produit est inséré dans une grille de programmes établie par l’émetteur qui peut être acquise par le spectateur dans son intégralité; il en est de même avec la «pay‑per‑view», avec la différence que le spectateur peut ne regarder et ne payer qu’un seul produit. Une plus grande flexibilité est garantie par le service de «near video‑on‑demand» (quasi vidéo à la demande), où le produit isolé est transmis à plusieurs reprises à des horaires très rapprochés, et encore plus avec la «video‑on‑demand» (vidéo à la demande), où le spectateur, choisissant à partir d’un catalogue électronique, peut décider lui‑même quel programme voir et à quel moment.

20.   Il convient d’ajouter à ces nouveaux services les prestations interactives «on‑line» transmises par le terminal de télévision (la télévision dite «interactive»), telles que les services bancaires à domicile («home banking»), les télé achats («home shopping»), les offres de voyages et de vacances, les téléchargements de jeux et l’enseignement en ligne.

21.   C’est dans ce contexte que se pose la question déférée par le juge néerlandais, qui concerne un service précis (celui de quasi vidéo à la demande) expressément envisagé dans la directive 98/34 et qui y trouve une place très précise. C’est principalement à cette directive que nous nous référerons donc dans l’analyse des questions préjudicielles, en la confrontant, si nécessaire, à la directive 89/552, plus ancienne.

A –    La qualification des services de quasi vidéo à la demande (question 1a)

22.   Par la question 1a, le juge néerlandais veut pour l’essentiel savoir si les services de quasi vidéo à la demande doivent être rattachés à la notion de «transmission télévisuelle» ou à celle de «service de la société de l’information».

23.   Or, il nous semble que, comme le pensent également les gouvernements qui sont intervenus et la Commission, la réponse à cette question découle directement et clairement d’une simple lecture de la directive 98/34.

24.   On l’a vu, en effet, après avoir défini à l’article 1er, point 2, premier alinéa, les «services de la société de l’information» comme ceux «presté[s] normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services», la directive prévoit expressément au quatrième alinéa de la même disposition qu’elle ne s’applique pas «aux services de radiodiffusion télévisuelle visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE».

25.   Ensuite, dans la même directive 98/34, à l’annexe V, point 3, sous a), après qu’il est répété que la définition précitée ne couvre pas les services de «transmission télévisuelle visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE», il est expressément prévu que les services de «quasi vidéo à la demande» sont «compris» dans cette dernière notion.

26.   Ainsi, sans qu’il soit nécessaire d’enquêter plus avant, la signification sans équivoque des dispositions citées nous permet de conclure que, conformément à l’annexe V, point 3, sous a), de la directive 98/34, les services de quasi vidéo à la demande sont compris dans la notion de «transmission télévisuelle» visée à l’article 1er, point a), de la directive 89/552. Pour leur part, les services de transmission télévisuelle ne rentrent pas dans la définition de «services de la société de l’information» donnée à l’article 1er, n° 2, de la directive 98/34.

27.   Une telle conclusion, comme l’a relevé également le gouvernement du Royaume-Uni, nous paraît déjà suffisante en soi pour trancher le litige au principal, c’est‑à‑dire pour déterminer si le Commissariaat a légitimement soumis le service Filmtime à une procédure d’autorisation.

28.   En effet, le juge de renvoi lui‑même a rappelé dans son ordonnance que ce service rentre justement dans la catégorie de la quasi vidéo à la demande (6), c’est‑à‑dire dans une catégorie que, comme nous venons de le dire, la directive 98/34 rattache à la notion de «radiodiffusion télévisuelle». Et pour ce type de diffusion, la loi néerlandaise impose justement l’autorisation invoquée par le Commissariaat.

29.   Toutefois, Mediakabel a soulevé à l’audience une objection préliminaire en un certain sens, en ce qui concerne la qualification du service Filmtime. Elle a ainsi contesté que ce service pouvait être effectivement défini comme une quasi vidéo à la demande.

30.   Or, il convient de relever à cet égard que les directives en examen ne fixent aucune définition du service de quasi vidéo à la demande et, plus généralement, des différents services de radiodiffusion télévisuelle, et que, par ailleurs, la qualification de ce service est controversée également dans la doctrine. Pour donner ainsi à l’objection de Mediakabel une réponse moins incertaine et en même temps plus utile dans le présent contexte, il nous semble préférable de procéder directement à la détermination du critère distinguant la «transmission télévisuelle» des «services de la société de l’information», pour vérifier ensuite, à la lumière de ce critère, si un service tel que Filmtime entre dans l’une ou dans l’autre notion.

31.   Cette approche a d’ailleurs l’avantage de nous amener aux autres questions soulevées dans l’ordonnance de renvoi, à l’examen desquelles il convient donc de procéder. 

La distinction entre les services de «radiodiffusion télévisuelle» et les «services de la société de l’information» [deuxième question, sous a)]

32.   Par sa question 2a, qui pour l’essentiel se superpose à la question 1b et dispense de répondre spécifiquement à cette dernière, le juge de renvoi demande précisément à la Cour d’indiquer le critère de nature à déterminer si un service de transmission à contenu télévisuel, tel que celui envisagé en l’espèce, constitue une «radiodiffusion télévisuelle», au sens de la directive 89/552, ou un «service de la société de l’information», au sens de la directive 98/34.

33.   Selon Mediakabel, ce qui est déterminant, si l’on s’en tient à cette dernière directive, est la possibilité d’une «demande individuelle» du produit de la part du spectateur. En d’autres termes, si le spectateur peut demander au prestataire du service la vision d’un film particulier, il s’agit d’un  «service de la société de l’information», si au contraire cette possibilité est exclue, on est alors en présence de «radiodiffusion télévisuelle».

34.   Outre la possibilité d’une demande individuelle, d’autres indices utiles pour identifier un «service de la société de l’information» seraient ensuite constitués, toujours selon Mediakabel, par le fait que le prestataire du service prévoit des systèmes de décodage des images et des modalités de paiement de la rémunération de nature à permettre au spectateur de ne voir et de ne payer que le film demandé.

35.   Sur cette base, Mediakabel aboutit à qualifier Filmtime de «service de la société de l’information». À son avis, en effet, les films particuliers offerts par un tel service, même s’ils sont transmis à tous les abonnés, ne seraient visibles que pour ceux qui en ont fait la demande spécifique et auxquels une clef de décodage a été envoyée après le versement de la rémunération prévue.

36.   Nous estimons toutefois qu’il n’est pas possible de se rallier à une telle solution. À notre avis, en effet, elle part d’une surévaluation d’éléments tout à fait dénués de pertinence aux fins de la qualification en question (les formes de codage et les modalités de paiement) et repose en même temps sur une interprétation erronée de la notion de «demande individuelle» du service télévisuel inscrite dans la directive 98/34.

37.   À l’appui de ce qui précède, nous commencerons par rappeler avant tout les définitions en cause ici:

–       aux termes de l’article 1er, point a), de la directive 89/552, on entend par «radiodiffusion télévisuelle», «l’émission primaire, avec ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non, de programmes télévisés, destinés au public»;

–       aux termes de l’article 1er, n° 2, premier alinéa, de la directive 98/34, on entend en revanche par «service de la société de l’information» «tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services» (7).

38.   La notion de «demande individuelle» est à son tour mieux précisée à l’article 1er, n° 2, deuxième alinéa, et à l’annexe V, point 3.

39.   Conformément à la première de ces dispositions, cette notion vise les «service[s] fourni[s] par transmission de données sur demande individuelle». La deuxième exclut en revanche de la notion en cause les services, tels que la radiodiffusion télévisuelle (qui comprend la quasi vidéo à la demande), «fournis par l’envoi de données sans appel individuel et destinés à la réception simultanée d’un nombre illimité de destinataires (transmission ‘point à multipoint’)» (8).

40.   Or, comme l’ont observé les gouvernements intervenants, il ressort avant tout de l’analyse de ces dispositions que, pour distinguer entre la «radiodiffusion télévisuelle» et les «services de la société de l’information», on ne saurait se fonder sur la forme codée ou non des images transmises, car, conformément à la directive 89/552, cette forme est dénuée de toute pertinence aux fins de la distinction. On ne peut pas non plus se fonder sur les modalités de paiement des services offerts puisque, dans le silence des dispositions citées, un tel paiement peut être effectué selon les formes les plus variées, et que, même pour les services de la société de l’information, il peut également ne pas exister, même si c’est tout à fait exceptionnel.

41.   Ces deux premiers éléments ne sont donc pas pertinents ici. Ce qui nous paraît en revanche décisif est de déterminer quand la transmission d’un contenu télévisuel peut être qualifiée de «destinée au public» ou de correspondant à une «demande individuelle».

42.   Or, comme l’a rappelé la Commission elle aussi, il ressort de l’examen parallèle des dispositions citées au point 37 qu’on est en présence d’un service de «radiodiffusion télévisuelle» et non d’un service «de la société de l’information» lorsque les contenus télévisuels transmis sont précisément «destinés au public», c’est‑à‑dire quand – pour reprendre la terminologie plus précise de la directive 98/34 – les données en cause ne sont pas envoyées à un seul spectateur qui les a demandées (transmission de point à point), mais sont destinées à être reçues simultanément par un ensemble indéterminé de destinataires (transmission de point à multipoint).

43.   À la lumière de ce critère de distinction, un service tel que celui en cause ici qui, selon ce qu’indique le juge de renvoi et ce qu’admet Mediakabel elle‑même, suppose la transmission simultanée, même sous forme codée, des films à tous les abonnés, doit donc être qualifié en principe de «radiodiffusion télévisuelle».

44.   Cela dit, il appartiendra ensuite au juge national qui connaît mieux tous les éléments de fait de procéder à la qualification dans le cas d’espèce.

45.   Pour conclure donc sur ce point, nous proposons de répondre que constitue une «radiodiffusion télévisuelle», au sens de l’article 1er, point a), de la directive 89/552, et non un «service de la société de l’information» au sens de l’article 1er, n° 2, de la directive 98/34, un service dans lequel les données audiovisuelles transmises sont «destinées au public», c’est‑à‑dire ne sont pas envoyées au seul spectateur qui les a demandées (transmission de point à point), mais sont destinées à être reçues simultanément par un ensemble indéterminé de destinataires (transmission de point à multipoint).

 Les éléments à prendre en considération pour qualifier un service de transmission de contenu télévisuel (questions 2b et 3)

46.   Par les questions 2b et 3, qu’il convient de traiter de manière simultanée, le juge néerlandais demande à la Cour si, pour qualifier un service de transmission à contenu télévisuel, il convient de privilégier le point de vue du bénéficiaire ou du prestataire du service, de considérer les services avec lesquels il est en concurrence et de tenir compte du fait que l’obligation de transmission d’un certain quota d’œuvres européennes prévue à la directive 89/552 serait en fait inapplicable à un service dans lequel c’est le spectateur qui choisit et qui paie le film à voir.

47.   Mediakabel observe que son service et ceux de vidéo à la demande, qui sont transmis selon les modalités de point à point et sont donc d’emblée des «services de la société de l’information», auraient des caractéristiques similaires et pourraient en quelque sorte se substituer entre eux. En effet, l’un et l’autre permettraient au consommateur de choisir le film à voir. Il conviendrait donc de leur reconnaître la même qualification et de leur imposer les mêmes obligations. À cet égard, Mediakabel précise qu’elle aurait tout aussi bien pu organiser la transmission des films du catalogue Filmtime selon les modalités de point à point, mais qu’elle y a renoncé en raison des coûts excessifs que comporte cette technique.

48.   Mediakabel ajoute que la qualification de son service comme «radiodiffusion télévisuelle» et l’obligation qui en découle de respecter des quotas de transmission d’œuvres européennes seraient privées de sens dans la mesure où, dans ce service, c’est le spectateur qui choisit le programme et qui décide donc s’il veut voir ou non une œuvre européenne.

49.   À notre avis, ce point de vue ne saurait être accepté.

50.   En effet, comme on l’a vu plus haut (point 42), pour déterminer si un service précis est un «service de la société de l’information» ou une «radiodiffusion télévisuelle», il convient de vérifier si les contenus télévisuels sont envoyés au seul spectateur qui en a fait la demande (transmission de point à point) ou s’ils sont destinés à être reçus simultanément par un ensemble indéterminé de destinataires (transmission de point à multipoint).

51.   À cette fin, comme l’ont souligné les gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission, il convient donc de procéder à une évaluation objective fondée sur un critère essentiellement technique, inhérent aux modalités de transmission du contenu télévisuel.

52.   Cela conduit donc à exclure que la qualification du service puisse varier en fonction de l’optique personnelle dans laquelle se place l’interprète, qu’il s’agisse de celle du prestataire du service ou de celle du bénéficiaire. La qualification peut encore moins être conditionnée, ensuite, par les éventuels désavantages concurrentiels que peut comporter l’adoption de la transmission de point à multipoint (par ailleurs moins coûteuse et donc plus commode sous d’autres aspects).

53.   En particulier, il ne nous semblent pas possible d’échapper à cette appréciation objective en faisant valoir un dommage potentiel résultant de l’application de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/552, qui oblige les États membres à veiller «chaque fois que cela est réalisable et par des moyens appropriés» à ce que les émetteurs de télévision réservent aux œuvres européennes la plus grande partie de leur temps de diffusion.

54.   En fait, contrairement à ce que semblent penser le juge de renvoi et Mediakabel, cette obligation est applicable également à des services tels que Filmtime dans lesquels c’est le spectateur qui choisit et paie le film à voir.

55.   Comme l’ont en effet souligné le gouvernement français, celui du Royaume-Uni et la Commission, l’article 4, paragraphe 1, impose aux émetteurs de télévision de transmettre des œuvres européennes pour la plus grande partie de leur temps; cela n’oblige en revanche pas les téléspectateurs à choisir ces œuvres. Les émetteurs tels que Mediakabel peuvent donc très bien être tenus de programmer et de transmettre, même sous forme codée, les œuvres européennes, les abonnés étant évidemment libres de choisir celles qu’ils veulent voir et payer.

56.   Comme nous venons de le dire, en outre, les États membres ne doivent garantir le respect de l’obligation en question que dans la mesure où «cela est réalisable» et en utilisant uniquement des «moyens appropriés».

57.   Cela signifie à notre avis que cette obligation ne s’impose pas en toute hypothèse; il est certain que tel n’est pas le cas quand cela aboutirait à rendre économiquement impossibles des services déterminés. En outre, elle doit être adaptée et modulée en fonction des modalités particulières de prestation et de bénéfice de la transmission télévisuelle en utilisant, si nécessaire, des exemptions partielles ou temporaires (9).

58.   En définitive, comme l’a souligné le gouvernement du Royaume‑Uni, cette obligation s’impose à tous les services de radiodiffusion télévisuelle, y compris ceux où c’est le spectateur qui sélectionne les films à voir, mais elle doit être appliquée concrètement seulement si et dans la mesure où elle ne comporte pas des difficultés insurmontables pour les émetteurs.

59.   Dans ces conditions, nous estimons donc qu’il est possible de conclure sur ce point que la qualification d’un service comme «radiodiffusion télévisuelle» au sens de la directive 89/552, ou comme «service de la société de l’information», au sens de la directive 98/34, ne dépend pas du point de vue subjectif du prestataire ou du bénéficiaire du service lui‑même, pas plus que des désavantages concurrentiels que la technique de transmission des images choisie peut comporter.

60.   L’obligation, prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/552, de réserver aux œuvres européennes la majeure partie du temps de transmission s’impose, chaque fois que cela est réalisable et en utilisant des moyens appropriés, également aux services de transmission télévisuelle dans lesquels c’est le spectateur qui choisit et qui paie le film à voir.

IV – Conclusions

61.   À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de répondre aux questions préjudicielles déférées par le Raad van State dans le sens suivant:

«1)      Au sens de l’annexe V, point 3, sous a), de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998, les services de quasi vidéo à la demande sont compris dans la notion de ‘radiodiffusion télévisuelle’, visée à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle.

         Les services de ‘radiodiffusion télévisuelle’, visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552, ne relèvent pas de la définition des ‘services de la société de l’information’ inscrite à l’article 1er, point 2, de la directive 98/34, telle que modifiée par la directive 98/48.

2a)      Constitue une ‘radiodiffusion télévisuelle’, au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, et non un ‘service de la société de l’information’, au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34, telle que modifiée par la directive 98/48, un service dans lequel les données audiovisuelles transmises sont destinées au public, c’est‑à‑dire ne sont pas envoyées au seul spectateur qui les a demandées (transmission de point à point), mais sont destinées à être reçues simultanément par un ensemble indéterminé de destinataires (transmission de point à multipoint).

2b)      La qualification d’un service comme ‘radiodiffusion télévisuelle’, au sens de la directive 89/552, ou comme ‘service de la société de l’information’, au sens de la directive 98/34, telle que modifiée par la directive 98/48, ne dépend pas du point de vue subjectif du prestataire ou du bénéficiaire du service lui‑même, ni des avantages concurrentiels que la technique de transmission des images choisie peut comporter.

3)      L’obligation, prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/552, de réserver aux œuvres européennes une proportion majoritaire du temps de diffusion, s’impose, chaque fois que cela est réalisable et en utilisant les moyens appropriés, également aux services de transmission télévisuelle dans lesquels c’est le spectateur qui choisit et paie le film à voir.»


1 – Langue originale: l'italien.


2  – JO L 298, p. 23.


3  – JO L 204, p. 37.


4  – Directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 juillet 1998 portant modification de la directive 98/34/CE prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 217, p. 18).


5  – Loi néerlandaise du 21 avril 1987, réglementant la fourniture de programmes radiophoniques et télévisuels, les taxes radiotélévisuelles, ainsi que les aides aux organes de presse (Staatsblad du 4 juin 1987, n° 249).


6  – Voir ordonnance de renvoi, point 2.2.


7  – Italique ajouté par nos soins.


8  – Italique ajouté par nos soins.


9  – À l’audience, le Commissariaat a déclaré que la loi néerlandaise prévoit la possibilité de graduer l’application de l’obligation prévue à l’article 4 de la directive 89/552 en octroyant dans certains cas des exemptions partielles ou temporaires.