Language of document : ECLI:EU:C:2007:540

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 20 septembre 2007 (1)

Affaire C‑220/06

Asociación Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia

contre

Administración del Estado

[demande de décision préjudicielle formée par l’Audiencia Nacional (Espagne)]

«Directive 97/67/CE – Directive 92/50/CEE – Articles 43 CE, 49 CE et 86 CE – Réglementation nationale confiant la prestation de services postaux réservés et non réservés à un seul prestataire – Contrat ‘in house’ – Justification»





1.        Une société anonyme, dont le capital est entièrement détenu par l’administration publique, peut‑elle se voir confier directement la prestation de services postaux réservés et non réservés sans méconnaître les règles communautaires relatives à la passation de marchés publics et l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec les articles 43 CE et 49 CE? Telle est, en substance, la question posée à la Cour par l’Audiencia Nacional (Espagne).

2.        Dans les présentes conclusions, nous proposerons à la Cour de dire pour droit que les règles relatives à la passation de marchés publics, ainsi que l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec les articles 43 CE et 49 CE, s’opposent à une législation nationale qui confie directement au prestataire du service universel la prestation de services postaux réservés et non réservés.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

1.      Le droit primaire

3.        L’article 43 CE interdit les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre. Quant à l’article 49 CE, il prohibe les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.

4.        L’article 86, paragraphe 1, CE dispose que «[l]es États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues à l’article 12 et aux articles 81 à 89 inclus».

5.        L’article 86, paragraphe 2, CE prévoit une dérogation à l’interdiction d’édicter ou de maintenir des droits spéciaux ou exclusifs à certaines entreprises dans les cas où l’application des règles du traité fait échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui a été impartie à l’entreprise publique chargée d’une mission d’intérêt général.

2.      La directive 97/67/CE

6.        En vue de l’accomplissement du marché intérieur, au sein duquel, notamment, la libre circulation des services doit être assurée, et compte tenu de la nécessité de garantir la cohésion économique et sociale de la Communauté (2), celle‑ci a institué un cadre de fonctionnement d’un service postal minimal commun en adoptant la directive 97/67.

7.        Cette directive garantit l’existence d’un service postal universel minimal et en précise l’étendue, en offrant la possibilité aux États membres de réserver certains services à un seul prestataire, ces services pouvant, dès lors, rester sous monopole.

8.        Ladite directive vise donc à ouvrir graduellement, et de manière contrôlée, le secteur de la poste à la concurrence (3).

9.        Selon l’article 2, point 1, de la directive 97/67, les services postaux sont des services consistant en la levée, le tri, l’acheminement et la distribution des envois postaux.

10.      En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, on entend par «service universel» le droit à une «offre de services postaux de qualité déterminée fournis de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables pour tous les utilisateurs».

11.      L’article 3, paragraphe 4, de ladite directive dispose:

«Chaque État membre adopte les mesures nécessaires pour que le service universel comprenne au minimum les prestations suivantes:

–        la levée, le tri, le transport et la distribution des envois postaux jusqu’à 2 kilogrammes,

–        la levée, le tri, le transport et la distribution des colis postaux jusqu’à 10 kilogrammes,

–        les services relatifs aux envois recommandés et aux envois à valeur déclarée.»

12.      À cet égard, la directive 97/67 prévoit une liste de services susceptibles d’être réservés au(x) prestataire(s) du service universel de chaque État membre. Il s’agit de la levée, du tri, du transport et de la distribution des envois de correspondance intérieure et de correspondance transfrontière entrante, que ce soit par courrier accéléré ou non, dans les limites de prix et de poids définies par cette directive (4).

13.      En effet, cette dérogation à la libéralisation des services postaux est uniquement applicable au courrier qui pèse moins de 350 g et dont le prix est inférieur à cinq fois le tarif public applicable à un envoi de correspondance du premier échelon de poids de la catégorie normalisée la plus rapide (5).

14.      En vertu de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67, les États membres ont la possibilité, dans la mesure où cela est nécessaire au maintien du service universel, de continuer à réserver le courrier transfrontière entrant et le publipostage (6) dans les mêmes limites de prix et de poids que celles définies pour les services susceptibles d’être réservés.

15.      La directive 97/67 a été, par la suite, modifiée par la directive 2002/39/CE (7).

16.      Toutefois, la directive 2002/39 est entrée en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes, soit le 5 juillet 2002. Or, dans l’affaire en cause au principal, les faits pertinents sont antérieurs à cette date. La directive 2002/39 n’est donc pas applicable à l’espèce.

3.      La directive 92/50/CEE

17.      L’absence d’ouverture à la concurrence des marchés publics constituant un obstacle à l’achèvement du marché intérieur et freinant le développement d’entreprises européennes compétitives sur les marchés mondiaux, la Communauté a décidé de soumettre les marchés publics de services aux règles de concurrence.

18.      Les marchés publics de services sont définis à l’article 1er, sous a), de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (8), comme étant des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur.

19.      Selon l’article 6 de ladite directive, celle‑ci ne s’applique pas aux «marchés publics de services attribués à une entité qui est elle‑même un pouvoir adjudicateur […] sur la base d’un droit exclusif dont elle bénéficie en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives publiées, à condition que ces dispositions soient compatibles avec le traité».

20.      En vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous a), second tiret, ii), de la directive 92/50, cette dernière s’applique aux marchés publics de services ayant pour objet, notamment, le transport de courrier par transport terrestre et par air, passés par les pouvoirs adjudicateurs et dont la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée est égale ou supérieure à 200 000 droits de tirage spéciaux (ci‑après les «DTS») (9).

B –    Le droit national

1.      Sur les services postaux

21.      La directive 97/67 a été transposée dans l’ordre juridique espagnol par la loi 24/1998 relative au service postal universel et à la libéralisation des services postaux (Ley 24/1998 del Servicio Postal Universal y de Liberalización de los Servicios Postales), du 13 juillet 1998 (10).

22.      En vertu des articles 1er et 2 de cette loi, les services postaux sont considérés comme des services d’intérêt général et le service postal universel est soumis aux obligations de service public.

23.      L’article 18 de ladite loi réserve certains services à l’opérateur auquel est confiée la prestation du service postal universel. Ces services réservés sont:

–        le service de mandat postal;

–        la levée, l’admission, le tri, la remise, le traitement, l’acheminement, le transport et la distribution des envois, recommandés ou non, entre villes, des lettres et des cartes postales, pour autant que leur poids soit égal ou inférieur à 100 g. À compter du 1er janvier 2006, la limite de poids est fixée à 50 g.

D’autres prestataires pourront exercer ce type d’activités en ce qui concerne les envois entre villes, à condition d’exiger des utilisateurs un prix au moins trois fois supérieur au montant du tarif public applicable aux envois ordinaires d’objets du premier échelon de poids de la catégorie normalisée la plus rapide, fixé pour le prestataire chargé de la prestation du service postal universel. À compter du 1er janvier 2006, le prix est au moins deux fois et demi supérieur.

Les envois nationaux ou transfrontières de publicité directe, de livres, de catalogues et de périodiques ne font pas partie des services réservés.

L’échange de document ne peut être réservé;

–        le service postal transfrontière d’entrée et de sortie de lettres et de cartes postales, dans les limites de poids et de prix fixées au deuxième tiret, et

–        la réception, en tant que service postal, des demandes, des lettres et des communications que les citoyens adressent aux organes des administrations publiques.

2.      Sur les marchés publics

24.      Selon l’article 11 de la loi sur les marchés publics (Ley de Contratos de las Administraciones Públicas), dont le texte codifié a été approuvé par le décret‑loi royal 2/2000 (Real Decreto Legislativo 2/2000) du 16 juin 2000 (11), les marchés publics passés par les administrations publiques sont soumis aux principes de publicité et de concurrence, sous réserve des exceptions prévues par cette loi, et aux principes d’égalité et de non‑discrimination.

25.      En vertu de l’article 206, paragraphe 4, de la loi sur les marchés publics, le transport du courrier par voies terrestre ou aérienne est considéré comme un marché public, au sens de l’article 11 de ladite loi, et est donc soumis aux règles de concurrence.

26.      L’article 3, paragraphe 1, sous d), de la loi sur les marchés publics exclut de son champ d’application les accords de collaboration conclus par l’administration avec des personnes physiques ou morales de droit privé, pour autant que l’objet de ces accords ne concerne pas les marchés publics réglementés par cette même loi ou par des dispositions administratives.

3.      La loi 14/2000

27.      L’article 58 de la loi 14/2000 sur les mesures fiscales, administratives et d’ordre social (Ley 14/2000 de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social), du 29 décembre 2000 (12), a créé la Sociedad Estatal Correos y Telégrafos, Sociedad Anónima (ci‑après «Correos»). Cette disposition précise que le capital de Correos est détenu par l’administration publique. En outre, en vertu de ladite disposition, tout acte de disposition du capital social ou d’acquisition, directe ou indirecte, de participations sociales dans cette société par des personnes ou des organismes étrangers à l’administration publique requiert une autorisation par un acte ayant rang de loi.

28.      De plus, selon ce même article 58, les administrations publiques peuvent conclure des accords de collaboration, visés à l’article 3 du décret‑loi royal 2/2000, avec Correos, en vue de la fourniture des activités relevant de son objet social, à savoir, notamment, les services postaux.

II – Les faits et la procédure au principal

29.      Par un accord de collaboration passé entre le ministère de l’Éducation, de la Culture et des Sports espagnol (ci‑après le «ministère») et Correos, signé le 6 juin 2002 (ci‑après l’«accord de collaboration»), cette dernière s’est vu confier la prestation de services postaux et de télégraphie.

30.      En vertu de l’article 1er de cet accord, Correos s’engage à fournir les services postaux suivants:

–        les lettres (ordinaires, recommandées et urgentes), urbaines, interurbaines et internationales, sans limite de poids ou de volume;

–        les paquets (postal, bleu et international), sans limite de poids ou de volume;

–        le courrier postal express national et le service de courrier rapide [«Express Mail Service» (EMS)] international, sans limite de poids ou de volume, et

–        la livraison de livres, de courriers bibliothécaires, de revues et du journal officiel du ministère à l’échelle nationale (urbaine et interurbaine) et internationale (par voies terrestre et aérienne), sans limite de poids ou de volume.

31.      Il est précisé dans ledit accord que la contrepartie financière de la prestation de services dépend du chiffre d’affaires réalisé. En tout état de cause, la juridiction de renvoi estime que le montant annuel de cette contrepartie est supérieur à 12 020, 42 euros.

32.      L’accord de collaboration a été passé sans appel d’offres public.

33.      C’est la raison pour laquelle l’Asociación Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia (Association professionnelle d’entreprises de distribution et de traitement du courrier, ci‑après «Asociación Profesional») a formé un recours en opposition devant le secrétaire général technique du ministère contre la décision administrative ayant confié le marché public à Correos.

34.      Par une décision datant du 20 mars 2003, le secrétaire général technique du ministère a rejeté ce recours. Asociación Profesional a alors fait appel de cette décision devant l’Audiencia Nacional.

III – La question préjudicielle

35.      L’Audiencia Nacional a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les articles 43 CE et 49 CE, en combinaison avec l’article 86 CE, lorsqu’ils sont appliqués dans le cadre du processus de libéralisation des services postaux instauré par les directives 97/67 et 2002/39 et dans le cadre des principes gouvernant les marchés publics, établis par les directives ad hoc, doivent‑ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un accord dont l’objet inclut la prestation de services postaux, tant réservés que non réservés, et, partant, libéralisés, conclu entre une société d’État dont le capital est intégralement détenu par les pouvoirs publics et qui, de surcroît, est l’opérateur désigné pour assurer la prestation du service postal universel et un organe de l’administration de l’État?»

IV – Analyse

A –    Sur la recevabilité

36.      Le gouvernement espagnol conteste la recevabilité de la question posée. Il estime, en effet, qu’elle vise, en réalité, à interpréter la légalité d’une convention qui relève du domaine national.

37.      Le gouvernement espagnol soutient dans ses observations que la question réellement posée à la Cour ressort clairement de la décision de renvoi. L’Audiencia Nacional aurait, en fait, demandé à la Cour, non pas d’interpréter les directives 97/67 et 92/50, mais de savoir si l’accord de collaboration est conforme à cette réglementation communautaire.

38.      Il est de jurisprudence constante que, même s’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de l’article 234 CE, sur la compatibilité de normes de droit interne avec les dispositions du droit communautaire, l’interprétation de ces normes appartenant aux juridictions nationales, la Cour demeure compétente pour fournir à ces dernières tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui leur permettent d’apprécier la compatibilité de telles normes avec la réglementation communautaire (13).

39.      Dans l’affaire au principal, la Cour ne peut pas se prononcer sur la compatibilité de la loi 14/2000 avec le droit communautaire, mais elle peut fournir les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui permettront à la juridiction de renvoi de statuer elle‑même sur cette compatibilité.

40.      Par conséquent, nous estimons que la question est recevable.

B –    Sur la question préjudicielle

41.      Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si les directives 97/67 et 92/50 ainsi que l’article 86 CE, lu en combinaison avec les articles 43 CE et 49 CE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui permet aux autorités publiques de confier la prestation de services postaux réservés et non réservés à une entité dont le capital est intégralement détenu par l’administration publique, sans soumettre une telle attribution aux règles gouvernant la passation de marchés publics de services.

42.      La question revient ici à déterminer si le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une loi qui prive des prestataires potentiels de faire une offre pour un marché de services postaux réservés et non réservés et, par là même, qui les prive de la possibilité de se voir confier ledit marché.

43.      Aux fins de notre analyse, nous commencerons par examiner si l’article 7 de la directive 97/67 doit être interprété en ce sens que les services fournis par Correos sont des services réservés.

44.      Ensuite, dans l’hypothèse où les services en cause au principal sont des services non réservés, et donc soumis aux règles de concurrence, nous déterminerons si la directive 92/50 s’applique au marché public de services confié à Correos. En effet, la Cour a dit pour droit que les dispositions du traité relatives à la libre circulation ont vocation à s’appliquer aux marchés publics échappant au champ d’application de cette directive (14). Nous devons donc d’abord vérifier si ladite directive s’applique à la situation en cause au principal. Si cela n’est pas le cas, c’est à la lumière du droit primaire que doit être examinée cette situation.

45.      Enfin, en cas de non‑application de la directive 92/50, nous examinerons la situation en cause au principal à la lumière du droit primaire et, plus particulièrement, des principes fondamentaux prévus par le traité.

1.      Sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 97/67

46.      Ce n’est pas la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 97/67. En effet, déjà dans son arrêt du 11 mars 2004, Asempre et Asociación Nacional de Empresas de Externalización y Gestión de Envíos y Pequeña Paquetería (15), la Cour a procédé à une interprétation stricte de cette disposition. Elle a considéré que, au regard de la finalité de cette directive, à savoir la libéralisation des services postaux, les États membres ne sont pas libres d’imposer des conditions additionnelles à la prestation de services postaux en élargissant la panoplie des services réservés aux prestataires du service universel (16).

47.      La liste des services réservés doit donc être regardée comme une liste exhaustive. Peuvent ainsi être considérés comme des services réservés la levée, le tri, le transport et la distribution des envois de correspondance intérieure ainsi que le publipostage et le courrier transfrontière sortant, dans la mesure où cela est nécessaire au maintien du service universel pour ces derniers.

48.      Cependant, ainsi que nous l’avons vu, les services réservés concernent uniquement les envois de correspondance dont le poids est inférieur à 350 g et le prix inférieur à cinq fois le tarif public.

49.      En l’espèce, selon la juridiction de renvoi, l’accord de collaboration a pour objet la prestation de services postaux qui vont au‑delà des services considérés comme réservés.

50.      En effet, il ressort du dossier que, en vertu de l’article 58, paragraphe 2, de la loi 14/2000, l’objet social de Correos s’étend à la gestion et à l’exploitation de tout service postal. Aucune distinction n’est donc faite entre les services réservés et les services non réservés. D’ailleurs, sur la base de cette loi, en vertu de l’article 1er de l’accord de collaboration, la prestation de services postaux réservée à Correos concerne toutes les lettres, tous les paquets et les colis, sans aucune limite de poids et de volume.

51.      Or, ainsi que nous l’avons vu précédemment, selon l’article 7 de la directive 97/67, seuls la levée, le tri, le transport et la distribution des envois de correspondance intérieure, dans les limites de poids et de prix définies par cette directive, peuvent être réservés à un seul prestataire. Seule la prestation de ces services peut être confiée directement, sans appel d’offres, à un seul prestataire. Les autres services postaux, au sens de l’article 2 de ladite directive, doivent donc être soumis aux règles de concurrence.

52.      L’article 7, paragraphe 1, de la directive 97/67 doit donc être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui réserve la prestation de services postaux à un seul prestataire, sans faire la distinction entre les services réservés et les services non réservés.

53.      La question est maintenant celle de savoir si le fait de confier la prestation de services postaux non réservés, tels que visés à l’article 58 de la loi 14/2000, sans appel d’offres préalable et sans mise en concurrence est contraire à la directive 92/50.

2.      Sur l’applicabilité de la directive 92/50

54.      S’agissant de la directive 92/50, il est constant que celle‑ci s’applique aux marchés publics de services dont la valeur hors taxe sur la valeur ajoutée est égale ou supérieure à 200 000 DTS (17).

55.      Selon la juridiction de renvoi, le montant de l’accord de collaboration est supérieur à 12 020,42 euros. Lors de l’audience, aucune partie n’a pu déterminer le montant exact de ce marché. Il appartiendra donc au juge national de déterminer ce montant afin de savoir si la directive 92/50 est applicable à la situation en cause au principal.

56.      Supposons, dans un premier temps, que le montant de l’accord de collaboration est égal ou supérieur à 200 000 DTS.

57.      Dans cette hypothèse, nous verrons que la directive 92/50 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale qui permet aux autorités publiques de confier la prestation de services postaux non réservés à une entité dont le capital est intégralement détenu par l’administration publique et ce, pour les motifs suivants.

58.      En vertu de l’article 1er, sous a), de la directive 92/50, les marchés publics de services sont des «contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur».

59.      Selon la jurisprudence de la Cour, la qualification du contrat n’est pas à rechercher dans le droit des États membres (18). La notion de marchés publics doit donc être regardée comme une notion communautaire. Il faut alors examiner si les critères définis audit article 1er, sous a), sont remplis, afin de savoir si nous sommes en présence d’un marché public.

60.      Deux conditions doivent être remplies aux fins de l’application de la directive 92/50. Il doit s’agir d’un contrat à titre onéreux et ce contrat doit être conclu entre deux entités distinctes, à savoir un pouvoir adjudicateur et un prestataire de services.

61.      S’agissant de la première condition, il nous semble qu’elle est remplie, puisque, en l’espèce, la loi 14/2000 prévoit que les administrations publiques peuvent conclure des accords de collaboration avec Correos en vue de la fourniture de services postaux. En outre, sur la base de cette loi, l’accord de collaboration a été conclu entre le ministère et Correos en échange d’une contrepartie financière dont le montant dépend du chiffre d’affaires. Il s’agit bien là d’un contrat à titre onéreux.

62.      En ce qui concerne la seconde condition, à savoir l’existence d’un pouvoir adjudicateur et d’un prestataire de services, la directive 92/50 en donne une définition. En effet, l’article 1er, sous b), de celle‑ci précise que sont considérés comme pouvoirs adjudicateurs «l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public». L’article 1er, sous c), de ladite directive définit le prestataire de services comme «toute personne physique ou morale, y inclus un organisme public, qui offre des services».

63.      Il semblerait, en l’espèce, que le ministère soit bien un pouvoir adjudicateur et Correos un prestataire de services.

64.      Toutefois, Correos étant entièrement détenue par l’administration publique, la question qui se pose ici est de savoir si l’exception prévue à l’article 6 de la directive 92/50 trouve à s’appliquer. En effet, en vertu de cette disposition, cette directive n’est pas applicable aux marchés publics de services confiés à une entité qui est elle‑même un pouvoir adjudicateur au sens de l’article 1er, sous b), de ladite directive, sur la base d’un droit exclusif dont elle bénéficie en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives.

65.      En l’espèce, il est constant que Correos bénéficie de droits exclusifs qui lui ont été conférés par la loi 14/2000.

66.      Selon nous, il faut donc rechercher si les deux entités concernées, à savoir le pouvoir adjudicateur et le prestataire de services, constituent, en réalité, une seule et même entité. En cas de réponse positive, il ne peut pas être question de contrat à titre onéreux conclu avec une entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur et les conditions énoncées à l’article 1er de la directive 92/50 ne seraient pas remplies. Dès lors, il n’y aurait pas lieu d’appliquer les règles communautaires en matière de marchés publics.

67.      À notre sens, la réponse peut être trouvée dans la jurisprudence de la Cour.

68.      En effet, dans l’arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau (19), la Cour a fait application, dans le cadre de la directive 92/50, des conditions dégagées dans l’arrêt du 18 novembre 1999, Teckal (20), relatif à la directive 93/36/CEE du Conseil (21). La directive 93/36 ne contenant pas d’exception comparable à celle prévue à l’article 6 de la directive 92/50, la Cour a jugé que, s’agissant de l’existence d’un contrat, le juge national doit vérifier si une convention a été passée entre deux personnes distinctes.

69.      Selon la Cour, tel n’est pas le cas lorsque le pouvoir adjudicateur exerce sur le prestataire de services un «contrôle analogue à celui qu’[il] exerce sur ses propres services» et que ce «[prestataire] réalise l’essentiel de son activité avec [le ou les pouvoirs adjudicateurs qui le détiennent]» (22).

70.      Ces deux conditions, que l’on trouve dans une relation dite «in house», constituent les conditions cumulatives en présence desquelles les autorités publiques peuvent attribuer un marché public à un seul prestataire, sans soumettre ce marché aux règles de concurrence. Cependant, lesdites conditions constituant une exception aux règles du droit communautaire, elles doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (23).

71.      S’agissant de la condition relative au contrôle analogue à celui que le pouvoir adjudicateur exerce sur ses propres services, la Cour a précisé son contenu dans l’arrêt du 13 octobre 2005, Parking Brixen (24). Afin de déterminer si le pouvoir adjudicateur exerce un tel contrôle sur le prestataire de services, il convient d’étudier s’il résulte de l’examen des dispositions législatives et des circonstances pertinentes que le prestataire de services en question est soumis à un contrôle permettant au pouvoir adjudicateur d’influencer les décisions de ce prestataire. La Cour ajoute qu’il doit s’agir d’une possibilité d’influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes (25).

72.      En outre, selon la Cour, la circonstance que le capital de l’entreprise prestataire est entièrement détenu par le pouvoir adjudicateur n’est pas décisive (26).

73.      En revanche, elle considère que le fait qu’une entreprise particulière se transforme en société anonyme tend à démontrer que cette société a acquis une vocation de marché qui rend précaire le contrôle de l’autorité publique (27).

74.      Par ailleurs, la Cour a également pris en compte le fait que le conseil d’administration de l’entreprise prestataire avait des pouvoirs considérables, sans que ne s’exerce un contrôle de l’autorité publique, et que l’objet social de cette entreprise pouvait être élargi (28). Ces deux éléments militaient dans le sens qu’il n’existait pas de contrôle analogue de l’autorité adjudicatrice sur la société prestataire.

75.      La condition du contrôle analogue devant faire l’objet d’une interprétation stricte, nous pensons que cette condition laisse entendre que la société prestataire n’a aucune marge de manœuvre et que l’autorité publique est finalement la seule à prendre des décisions concernant cette société. D’ailleurs, l’emploi de l’expression «in house» montre bien la volonté de distinguer les activités qu’une autorité fournit directement, au moyen d’une structure interne, «faisant partie de la maison», et celles qu’elle va confier à un opérateur tiers.

76.      En l’espèce, plusieurs éléments tendent à nous démontrer que Correos, dont le capital est certes détenu par l’administration publique, conserve une marge de manœuvre quant aux décisions qu’elle est amenée à prendre.

77.      En effet, s’il est vrai que, selon l’article 58, paragraphe 2, sous g), de la loi 14/2000, l’accord de collaboration doit être obligatoirement accepté par Correos qui est le prestataire du service universel, il ressort du dossier que cette dernière a la faculté de mettre un terme au contrat qui la lie à l’autorité adjudicatrice, moyennant un préavis écrit d’un mois.

78.      Par ailleurs, en vertu de cette même loi, Correos, qui était une entreprise publique, s’est transformée en une société anonyme, qui offre des services contre rémunération. Il est également constant que Correos peut être amenée à exercer toute autre activité ou tout service complémentaires à ceux mentionnés ou qui sont nécessaires à l’accomplissement de son objet social (29). C’est également ce qui semble ressortir de son rapport annuel de 2005, qui indique que la concurrence croissante dans ce secteur a rendu inévitable l’élargissement de l’offre de services et le positionnement sur d’autres marchés (30).

79.      En devenant une société anonyme, en ayant la possibilité d’élargir son objet social ainsi que celle de dénoncer le contrat qui la lie à l’administration publique, nous pensons que Correos a acquis une vocation de marché, rendant ainsi précaire le contrôle de cette administration publique.

80.      Au vu de ces éléments, nous pensons que l’autorité publique adjudicatrice n’exerce pas un contrôle analogue sur Correos, au sens de la jurisprudence susmentionnée. Il appartiendra cependant au juge national d’examiner si cette condition est bien remplie en l’espèce.

81.      En ce qui concerne la seconde condition, à savoir que le prestataire doit réaliser l’essentiel de son activité avec le ou les pouvoirs adjudicateurs qui le détiennent, la Cour a eu l’occasion d’en préciser le contenu dans l’arrêt du 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei (31), ayant pour objet l’interprétation de la directive 93/36.

82.      Selon la Cour, cette seconde condition serait remplie seulement si l’activité réalisée par l’entreprise prestataire est consacrée principalement au pouvoir adjudicateur qui la détient, toute autre activité ne revêtant qu’un caractère marginal (32). En d’autres termes, l’activité de Correos doit être quasi exclusivement consacrée à l’administration publique qui la détient.

83.      Pour évaluer si tel est le cas, le juge national doit prendre en considération toutes les circonstances de l’espèce, tant qualitatives que quantitatives.

84.      En l’espèce, en vertu de la loi 14/2000, Correos a la faculté de conclure des accords de collaboration avec toutes les administrations publiques. L’Audiencia Nacional précise même dans sa décision de renvoi que Correos a effectivement conclu plusieurs accords de collaboration avec différentes entités publiques.

85.      Par ailleurs, le gouvernement espagnol, dans ses observations soumises à la Cour, reconnaît que Correos est le gestionnaire du service postal universel dont les principaux destinataires sont des tiers, sur l’ensemble du territoire espagnol.

86.      Les administrations publiques ne sont donc pas les principales ni les seules destinataires des services fournis par Correos.

87.      Dès lors, sous réserve de la vérification par le juge national, il nous semble que la seconde condition n’est pas non plus remplie.

88.       Par conséquent, dans l’hypothèse où la valeur du marché en cause au principal est égale ou supérieure à 200 000 DTS, nous sommes d’avis que la directive 92/50 trouve à s’appliquer en l’espèce.

89.      De ce fait, nous pensons que, en vertu de l’article 8 de cette directive, le marché public de services postaux confié à Correos aurait dû être passé conformément aux dispositions des titres III à VI de ladite directive et, en particulier, à celles de l’article 11, paragraphe 1, de cette même directive. Ainsi, nous considérons que ce marché aurait dû être soumis à un appel d’offres et faire l’objet d’une publicité adéquate.

90.      Dans ses observations, le gouvernement espagnol estime que s’il devait soumettre les services qui ne sont pas réservés aux règles de concurrence cela provoquerait un déséquilibre financier et Correos ne pourrait donc plus garantir le service universel minimal qui lui a été confié.

91.      En argumentant de la sorte, le gouvernement espagnol se prévaut, en fait, de la dérogation inscrite à l’article 86, paragraphe 2, CE.

92.      Toutefois, cet argument ne saurait prospérer en l’espèce pour les raisons suivantes.

93.      Selon l’article 86, paragraphe 2, CE, les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général sont soumises aux règles du traité, notamment à celles relatives à la concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement de la mission particulière qui leur a été confiée.

94.      En l’espèce, l’objet social de Correos consiste en la prestation de services postaux qui ne se limite pas au service universel, mais qui s’étend à la gestion et à l’exploitation de tout service postal.

95.      Nous pensons que la volonté du législateur communautaire de libéraliser le secteur postal, en faisant une distinction entre les services réservés et les services non réservés, démontre que l’accomplissement de la mission particulière confiée à des prestataires comme Correos n’est pas mis en échec par la mise en concurrence des services non réservés.

96.      En effet, la directive 97/67 a instauré un cadre réglementaire pour le secteur postal. Elle a, notamment, prévu de garantir un service universel dans ce secteur en donnant la possibilité aux États membres de réserver certains services postaux. La prestation de tous les autres services ne pouvant pas être réservés doit être ouverte à la concurrence.

97.      Si les États membres avaient la possibilité d’octroyer un marché public de services postaux non réservés à un seul prestataire, sans appel d’offres préalable, nous irions à l’encontre même de l’objectif de la directive 97/67 qui est de libéraliser le secteur postal.

98.      Par ailleurs, nous ajoutons que la Commission a précisé que les services réservés bénéficient d’une présomption selon laquelle ils sont justifiés en vertu de l’article 86, paragraphe 2, CE (33).

99.      À notre sens, en distinguant les services réservés des services non réservés et en offrant la possibilité à un État membre de confier les services réservés au seul prestataire du service universel, la directive 97/67 met en œuvre l’article 86, paragraphe 2, CE.

100. Au vu de l’ensemble de ces considérations, nous sommes d’avis que, dans le cas où la valeur du marché public de services est égale ou supérieure au seuil de 200 000 DTS, la directive 92/50 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale qui réserve la prestation de services postaux non réservés à une société anonyme dont le capital est entièrement détenu par l’administration publique, dans la mesure où, à la fois, le pouvoir adjudicateur n’exerce pas sur le prestataire un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et où le prestataire de services ne réalise pas l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui le détiennent.

101. Toutefois, dans l’hypothèse où le seuil des 200 000 DTS ne serait pas atteint, il n’en reste pas moins que l’attribution des marchés publics ne relevant pas des directives communautaires reste soumise aux principes fondamentaux du traité. Dès lors, il convient d’examiner également la situation en cause au principal à la lumière de ces principes.

3.      Sur l’interprétation des articles 43 CE, 49 CE et 86 CE

102. Comme nous l’avons vu au point 44 des présentes conclusions, la Cour a jugé que, lorsque la valeur d’un marché public de services n’atteint pas le seuil fixé par la directive 92/50, les pouvoirs adjudicateurs sont néanmoins tenus de respecter les principes fondamentaux du traité.

103. La juridiction de renvoi nous demande donc si l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec les articles 43 CE et 49 CE, s’oppose à une législation nationale qui permet de confier directement la prestation de services postaux non réservés à une société anonyme dont le capital est détenu par l’administration publique.

104. En vertu de l’article 86, paragraphe 1, CE, les États membres ne doivent ni édicter ni maintenir aucune mesure contraire aux règles du traité en ce qui concerne les entreprises publiques auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs.

105. En l’espèce, l’article 86, paragraphe 1, CE est bien applicable à la situation en cause au principal, puisque Correos est une entreprise publique au sens de cette disposition, son capital étant détenu par l’administration publique. Par ailleurs, il ressort du dossier que Correos s’est vu attribuer le droit exclusif d’assurer la prestation de services postaux qui, nous l’avons vu, vont au‑delà des services considérés comme réservés.

106. L’article 86, paragraphe 1, CE n’ayant pas de portée autonome et devant être lu en combinaison avec les règles pertinentes du traité (34), nous pensons que les règles pertinentes en l’espèce sont les articles 43 CE et 49 CE.

107. En effet, dans la mesure où le marché public de services postaux en question est susceptible d’intéresser les entreprises établies dans un autre État membre, son attribution directe, sans appel d’offres, prive ces dernières de toute possibilité de soumissionner. De plus, les entreprises offrant des services analogues à ceux de Correos se trouvent découragées de venir s’établir dans l’État membre concerné, puisqu’elles n’auront pas la possibilité de soumissionner.

108. Or, l’article 43, premier alinéa, CE énonce que les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Quant à l’article 49, premier alinéa, CE, il prohibe les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.

109. Les articles 43 CE et 49 CE sont une expression spécifique du principe d’égalité de traitement, qui implique lui‑même le principe de non‑discrimination en raison de la nationalité, tel qu’énoncé à l’article 12 CE (35).

110. Dans sa jurisprudence relative aux marchés publics, la Cour a déjà jugé que le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires vise à ce que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres, et ceci indépendamment de leur nationalité (36).

111. Partant, la Cour a estimé que le respect des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination suppose, en matière de marchés publics, que le pouvoir adjudicateur respecte le principe de transparence en soumettant le marché public à un certain degré de publicité. De cette manière, tous les soumissionnaires potentiels peuvent prendre connaissance de l’existence d’un tel marché et peuvent ainsi répondre à l’appel d’offres (37).

112. En d’autres termes, la discrimination, en matière de marchés publics, consiste à ne pas soumettre le marché aux règles de publicité et de priver ainsi les entreprises établies dans un autre État membre de la possibilité de soumissionner.

113. Nous l’avons vu, le marché public confié à Correos a pour objet, d’une part, la prestation de services réservés, qui peuvent donc être directement confiés à un seul prestataire, et, d’autre part, la prestation de services non réservés, devant être soumis aux règles de concurrence.

114. Or, il a été admis par la juridiction de renvoi que le marché public de services postaux n’a pas fait l’objet de publicité ni d’appel à la participation d’autres prestataires sur le marché national et les marchés étrangers, mais a directement été confié à Correos.

115. En agissant de la sorte, le pouvoir adjudicateur a non seulement privé des entreprises établies dans un autre État membre du droit de soumissionner et de fournir leurs services dans l’État membre concerné, mais a également décourager d’autres entreprises ayant le même objet social que Correos de venir s’établir dans cet État membre, ce qui constitue une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, contraire aux articles 43 CE et 49 CE.

116. Deux objections peuvent cependant être soulevées.

117. En premier lieu, s’il est vrai que, en vertu de l’article 86, paragraphe 1, CE, les entreprises publiques ne peuvent être mieux traitées que les entreprises privées, il en va différemment si le pouvoir adjudicateur confie le marché public de services à une entreprise qu’il contrôle (38).

118. Cependant, nous avons vu aux points 69 à 88 des présentes conclusions que, en l’espèce, la relation existant entre le pouvoir adjudicateur et Correos ne peut pas être qualifiée de «in house». Cette objection doit donc être rejetée.

119. En second lieu, en vertu de l’article 86, paragraphe 2, CE, il existe une dérogation à l’interdiction inscrite au paragraphe 1 de ce même article.

120. Cependant, ainsi que nous l’avons vu précédemment, le gouvernement espagnol ne peut pas se prévaloir de l’article 86, paragraphe 2, CE dans le cadre de la directive 97/67.

121. Cette seconde objection doit donc également être rejetée.

122. Par conséquent, nous sommes d’avis que l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec les articles 43 CE et 49 CE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui permet aux autorités publiques de confier la prestation de services postaux non réservés à une entité dont le capital est intégralement détenu par l’administration publique, sans soumettre une telle attribution aux principes fondamentaux gouvernant la passation de marchés publics de services.

V –    Conclusion

123. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par l’Audiencia Nacional:

«Pour autant que la valeur du marché public de services est égale ou supérieure à 200 000 droits de tirage spéciaux, la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, telle que modifiée par la directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale qui permet aux autorités publiques de confier la prestation de services postaux non réservés à une entité dont le capital est intégralement détenu par l’administration publique, sans soumettre une telle attribution aux règles gouvernant la passation de marchés publics de services, dans la mesure où, à la fois, le pouvoir adjudicateur n’exerce pas sur le prestataire un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et où le prestataire de services ne réalise pas l’essentiel de son activité avec le ou les pouvoirs adjudicateurs qui le détiennent.

Dans le cas où la valeur du marché de services est inférieure à 200 000 droits de tirage spéciaux, l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec les articles 43 CE et 49 CE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui permet aux autorités publiques de confier la prestation de services postaux non réservés à une entité dont le capital est intégralement détenu par l’administration publique, sans soumettre une telle attribution aux principes fondamentaux gouvernant la passation de marchés publics, dans la mesure où, à la fois, le pouvoir adjudicateur n’exerce pas sur le prestataire un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et où le prestataire de services ne réalise pas l’essentiel de son activité avec le ou les pouvoirs adjudicateurs qui le détiennent.»


1 – Langue originale: le français.


2 – Voir premier et deuxième considérants de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service (JO 1998, L 15, p. 14).


3 – Le 11 juillet 2007, les députés européens ont adopté en première lecture un rapport qui soutient la proposition de la Commission des Communautés européennes concernant la directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67 en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté [COM(2006) 594 final] (voir rapport du Parlement européen A6‑0246/2007). Toutefois, un compromis doit être trouvé concernant la date à laquelle la libéralisation totale du marché des services postaux doit être réalisée. Le Parlement européen propose que ce secteur soit totalement libéralisé à compter du 31 décembre 2010, alors que la Commission propose de retenir la date du 31 décembre 2008.


4 – Article 7, paragraphe 1.


5 – Idem.


6 – Voir, pour la définition du publipostage, article 2, point 8, de la directive 97/67.


7 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 10 juin 2002 (JO L 176, p. 21).


8 – JO L 209, p. 1. Directive telle que modifiée par la directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997 (JO L 328, p. 1, ci‑après la «directive 92/50»).


9 – Selon la définition donnée par le Fonds monétaire international (FMI), le DTS est un instrument de réserve international créé pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres. Sa valeur, exprimée en dollars des États‑Unis, est déterminée chaque jour par le FMI en fonction d’un panier de monnaies qui comprend l’euro, le dollar des États‑Unis, le yen japonais et la livre sterling.


10 – BOE n° 167, du 14 juillet 1998, p. 23473, ci‑après la «loi postale».


11 – BOE n° 148, du 21 juin 2000, p. 21775.


12 – BOE n° 313, du 30 décembre 2000, p. 46631, ci‑après la «loi 14/2000».


13 – Arrêt du 19 avril 2007, Asociación Nacional de Empresas Forestales (C‑295/05, non encore publié au Recueil, point 29 et jurisprudence citée).


14 – Arrêts du 21 juillet 2005, Coname (C‑231/03, Rec. p. I‑7287, point 16), et du 20 octobre 2005, Commission/France (C‑264/03, Rec. p. I‑8831, point 32 et jurisprudence citée).


15 – C‑240/02, Rec. p. I‑2461.


16 – Points 21 à 26.


17 – Voir article 7, paragraphe 1, sous a), second tiret, ii), de la directive 92/50. Dans une communication datant du 30 août 2000 et portant sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, de services et de travaux [COM(2000) 275 final/2], la Commission a précisé que la valeur de 200 000 DTS équivalait 214 326 euros (p. 14).


18 – Arrêt Commission/France, précité (point 36).


19 – C‑26/03, Rec. p. I‑1, points 49 à 52.


20 – C‑107/98, Rec. p. I‑8121, points 49 à 51.


21 – Directive du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1).


22 – Arrêt Teckal, précité (point 50).


23 – Voir arrêt du 6 avril 2006, ANAV (C‑410/04, Rec. p. I‑3303, point 26).


24 – C‑458/03, Rec. p. I‑8585.


25 – Point 65.


26 – Voir arrêts précités Teckal et Parking Brixen.


27 – Arrêt Parking Brixen, précité (point 67).


28 – Idem.


29 – Voir décision de renvoi (p. 11).


30 – Rapport disponible sur le site Internet www.correos.es.


31 – C‑340/04, Rec. p. I‑4137.


32 – Ibidem (points 61 à 63).


33 – Communication de la Commission sur l’application des règles de concurrence au secteur postal et sur l’évaluation de certaines mesures d’État relatives aux services postaux (JO 1998, C 39, p. 2).


34 – Arrêt Asociación Nacional de Empresas Forestales, précité (point 40).


35 – Voir arrêts du 8 octobre 1980, Überschär (810/79, Rec. p. 2747, point 16), et du 5 décembre 1989, Commission/Italie (C‑3/88, Rec. p. 4035, point 8).


36 – Arrêt Parking Brixen, précité (point 48).


37 – Ibidem (point 49).


38 – Voir arrêt Stadt Halle et RPL Lochau, précité (point 48).