Language of document : ECLI:EU:T:2021:184

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

13 avril 2021 (*)

« Référé – Fonction publique – Mesures d’organisation du travail pendant la crise sanitaire – Interdiction du télétravail en dehors du pays d’affectation – Demande d’exception – Décision de refus – Demande de sursis à exécution – Demande de mesures provisoires – Urgence – Fumus boni juris – Balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑12/21 R,

PJ, représentée par Me N. de Montigny, avocate,

partie requérante,

contre

Institut européen d’innovation et de technologie (EIT), représenté par Mme P. Juanes Burgos, en qualité d’agent, assistée de Me A. Duron, avocate,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 TFUE et 279 TFUE et tendant à obtenir, d’une part, le sursis à l’exécution de la décision de l’EIT du 17 décembre 2020 de refuser la demande de la requérante de télétravailler à partir de son lieu d’origine et, d’autre part, enjoindre à l’EIT de l’autoriser à télétravailler à partir de son lieu d’origine jusqu’à la levée des restrictions liées à la crise sanitaire imposées par les autorités nationales allemandes et hongroises,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La requérante, PJ, est agent temporaire de l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT). Elle occupe le poste de chef d’unité et fait partie à ce titre de l’équipe d’encadrement (Management Team) de l’EIT.

2        Le lieu d’affectation et la résidence habituelle de la requérante sont à Budapest (Hongrie). Depuis son entrée en fonction, la requérante se rend de manière régulière les fins de semaine à Cologne (Allemagne), qui est son lieu d’origine et où résident de manière permanente ses enfants de six et quatorze ans ainsi que son conjoint.

3        Par courriel du 13 mars 2020, le directeur de l’EIT a informé le personnel des consignes de travail adoptées compte tenu de la pandémie de COVID-19, en conformité avec la politique de la Commission européenne. Les consignes comportaient notamment la mise en place du télétravail généralisé.

4        Le 24 août 2020, l’équipe d’encadrement a décidé de l’introduction de la phase 3 des mesures d’adaptation à la pandémie et d’un retour graduel dans les locaux de l’EIT, selon un système de tours de rôle à compter du 31 août 2020. Les supérieurs hiérarchiques devaient veiller à ce que le personnel soit présent au bureau au moins la moitié du mois. Si un agent demandait à bénéficier du télétravail à titre exceptionnel lorsqu’il devait normalement être présent dans le bureau, une demande de télétravail devait être présentée, étant entendu que, en principe, ces demandes étaient approuvées de manière très exceptionnelle, puisque chaque membre du personnel était en télétravail en tout état de cause pendant deux semaines par mois. Il était également précisé que l’équipe d’encadrement continuerait à surveiller la situation et le besoin éventuel du retour à une phase précédente. Cela a été communiqué au personnel par courriel du directeur de l’EIT du 25 août 2020.

5        Par courriel du 6 septembre 2020, le directeur de l’EIT a informé le personnel que, en raison d’un cas de contamination suspecté au sein de l’EIT, le télétravail généralisé continuerait pendant la semaine du 7 au 11 septembre 2020.

6        Par courriel du 16 septembre 2020, le directeur de l’EIT a informé le personnel que, lors de sa réunion du 15 septembre 2020, l’équipe d’encadrement avait décidé de réintroduire le système de tour de rôle hebdomadaire. Toutefois, la possibilité était accordée au personnel d’effectuer son tour de rôle en télétravail. Le télétravail devait s’effectuer sur le lieu d’affectation, à savoir Budapest. S’agissant de la possibilité de télétravail de l’étranger, le personnel était invité à s’adresser à son supérieur hiérarchique.

7        Le 16 septembre 2020, le directeur de l’EIT a envoyé pour commentaires aux membres de l’équipe d’encadrement, pour le besoin de l’exercice de leurs fonctions de supérieurs hiérarchiques, un résumé des règles s’appliquant au télétravail. Il est notamment indiqué que le télétravail depuis l’étranger demeure exceptionnel conformément aux règles applicables en matière de télétravail. Il est précisé que cette approche suit étroitement l’approche adoptée par la Commission. Le télétravail depuis l’étranger ne peut être autorisé que de manière exceptionnelle si certaines conditions sont remplies et en dehors des périodes des tours de rôle pendant lesquels le personnel doit en principe télétravailler depuis le lieu d’affectation. Le travail permanent à l’étranger ne peut pas être considéré comme justifié au regard de la situation en Hongrie. Parmi les exceptions permettant de justifier une demande de télétravail depuis l’étranger figure le cas d’une famille séparée. En application de cette exception, le membre du personnel dont le conjoint, le partenaire reconnu, l’enfant à charge ou l’enfant adulte à charge avec un handicap, résident de manière permanente dans un autre État membre, peut télétravailler depuis l’étranger pour être avec sa famille. Chaque supérieur hiérarchique doit approuver toute demande conformément aux règles et aux principes énoncés dans le courriel du 16 septembre 2020 en s’assurant de l’absence de conséquences négatives sur la performance du personnel.

8        Le même jour, la requérante a envoyé un courriel au directeur de l’EIT pour exprimer son désaccord avec les règles qui avaient été communiquées en indiquant qu’elle lui fournirait ultérieurement les motifs de son désaccord.

9        Le directeur a répondu le même jour en indiquant que les règles en cause offraient des solutions viables pour l’ensemble des situations identifiées comme préoccupantes.

10      Le 25 septembre 2020, une discussion par téléphone a eu lieu entre le directeur de l’EIT et la requérante concernant les modalités de télétravail depuis l’étranger dans son cas personnel.

11      Par courriel du 9 octobre 2020, le directeur de l’EIT a indiqué à la requérante que, en sa qualité de supérieur hiérarchique, il ne lui avait pas accordé l’autorisation de télétravailler depuis l’étranger au-delà d’une période de deux semaines en septembre et que les préoccupations concernant le déplacement et les risques devaient être mis en balance avec les besoins de l’EIT. Le directeur de l’EIT a indiqué que plusieurs tâches nécessitaient la présence physique de la requérante et que son absence pouvait porter préjudice à la gestion de son équipe, qui avait déjà constaté son absence au-delà de ce qui avait été permis à d’autres collègues. Il a demandé à la requérante de confirmer son projet de retour à Budapest, tout en soulignant la possibilité de discuter par la suite de nouvelles périodes de télétravail depuis l’étranger à titre exceptionnel.

12      Par courriel du 11 octobre 2020, la requérante a répondu qu’elle avait été transparente au sujet de sa situation et avait communiqué ses intentions de continuer à télétravailler à partir de son lieu d’origine lors des discussions avec le directeur de l’EIT qui avaient eu lieu les 10, 25 septembre et 9 octobre 2020. Selon la requérante, en l’absence d’arrangement final, il avait été estimé nécessaire de discuter à nouveau de la question le 15 octobre 2020, en tenant compte de la situation de la pandémie de COVID-19. S’agissant de la nécessité d’une présence physique au bureau, la requérante précisait que la réunion de reclassement, évoquée par le directeur de l’EIT, devait se tenir le 28 septembre 2020 sous une forme virtuelle et que, à la suite de son annulation, la nouvelle convocation à une réunion en mode présentiel le 5 octobre 2020 n’avait été reçue que le vendredi 2 octobre 2020. La requérante a affirmé qu’elle avait prévu de se rendre sur site, comme convenu, mais que ses billets d’avion avaient été annulés.

13      Par le même courriel, la requérante demandait formellement l’autorisation de télétravailler à partir de son lieu d’origine en se référant aux règles de télétravail de la Commission. La requérante invoquait notamment l’existence de restrictions de déplacements et d’obligations de quarantaine en Allemagne, qui ne lui permettaient pas d’être en contact avec sa famille à son retour, ainsi que les risques élevés occasionnés par les voyages. En cas de rejet de sa demande, la requérante avait fait part de son intention de demander un congé parental à partir du mois de novembre 2020.

14      Par courriel du 11 octobre 2020, la requérante a réagi au courriel du directeur de l’EIT du 16 septembre 2020 en attirant son attention sur les difficultés que les règles annoncées pouvaient occasionner. La requérante a notamment proposé des règles alternatives en ce qui concerne la possibilité d’accorder le bénéfice du télétravail en dehors du lieu d’affectation.

15      Par courriel du 13 octobre 2020, le directeur de l’EIT a répondu au courriel de la requérante en précisant que, contrairement à ce qu’elle affirmait, il n’avait pas donné son accord pour qu’elle puisse continuer à télétravailler en dehors de son lieu d’affectation et il n’avait pas eu connaissance du fait que la requérante avait continué à télétravailler depuis l’étranger au-delà d’une période de deux semaines en septembre. Il a demandé à la requérante d’adhérer aux règles de télétravail en divisant son temps entre le travail sur le lieu d’affectation et le télétravail effectué depuis l’étranger.

16      Du 18 octobre au 9 novembre 2020, la requérante était en congé de maladie.

17      Le 19 octobre 2020, le directeur de l’EIT a envoyé une nouvelle communication au personnel indiquant que les règles de travail existantes étaient prolongées jusqu’au 15 janvier 2021.

18      Selon la requérante, le 28 octobre 2020, lors d’une réunion virtuelle, le directeur de l’EIT a informé la requérante de son intention de ne pas lui accorder le bénéfice de l’exception de télétravail à partir du lieu d’origine.

19      Le 10 novembre 2020, la requérante a introduit une réclamation sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») contre la décision de ne pas lui accorder la possibilité de télétravailler depuis l’étranger, telle qu’exprimée dans le courriel du directeur de l’EIT du 13 octobre 2020 et lors de la réunion du 28 octobre 2020.

20      Le 17 novembre 2020, l’EIT a accusé réception de cette réclamation.

21      Par courriel du 19 novembre 2020 adressé à l’équipe d’encadrement, le directeur de l’EIT a fourni des indications sur l’approbation du report des congés et le télétravail depuis l’étranger pendant les vacances de Noël. À cette occasion, le directeur de l’EIT a rappelé que le télétravail en dehors du lieu d’affectation pouvait être autorisé de manière exceptionnelle, pendant la période d’octobre 2020 à janvier 2021, dans la limite de 50 % de la période concernée, et après approbation du supérieur hiérarchique.

22      Le 1er décembre 2020, au cours d’une réunion plénière de l’EIT, ces règles ont été communiquées au personnel. Le 5 janvier 2021, le directeur de l’EIT a informé l’ensemble du personnel de l’EIT que les mesures en cause seraient maintenues jusqu’au 2 avril 2021.

23      Par courriel du 12 décembre 2020, le directeur de l’EIT a contacté la requérante en lui indiquant que, selon les informations figurant dans le système Sysper, elle serait de retour au travail le 4 janvier 2021. Dans l’objectif d’une planification organisationnelle, le directeur de l’EIT a demandé à la requérante de confirmer son retour le 4 janvier 2021 ou d’indiquer si elle prévoyait de poser des congés additionnels.

24      Le 15 décembre 2020, la requérante a répondu au courriel du directeur de l’EIT en réitérant sa demande d’autorisation de télétravailler depuis son lieu d’origine en se référant aux motifs déjà invoqués dans sa réclamation du 10 novembre 2020, ainsi qu’à la situation épidémique en Allemagne et en Hongrie, et notamment au fait que les écoles en Allemagne demeuraient fermées et l’enseignement se faisait sous forme virtuelle. La requérante précisait que, en l’absence de solution, elle serait amenée à poursuivre son congé jusqu’à la fin du mois de février 2021.

25      Par courriel du 17 décembre 2020, le directeur de l’EIT a répondu à la requérante en rappelant les règles existantes et en indiquant que le télétravail depuis l’étranger permanent n’était pas possible et que l’EIT avait déjà fait preuve de souplesse additionnelle concernant le télétravail en dehors du lieu d’affectation pendant la période de Noël, sous condition d’un retour en janvier 2021. S’agissant du cas de la requérante, le directeur de l’EIT a précisé que, si elle pouvait télétravailler une partie du mois de janvier 2021 depuis son lieu d’origine, elle devait s’engager à retourner à Budapest. Il a enfin demandé à la requérante de l’informer si elle envisageait de retourner au travail (ci-après la « décision attaquée »).

26      Par courriel du 18 décembre 2020, la requérante a exprimé sa déception quant au fait que sa demande avait été rejetée pour la deuxième fois sans prise en compte des considérations qu’elle avait mises en avant et de celles figurant dans la décision de la Commission intitulée « Lignes directrices relatives au mode de fonctionnement pendant la crise sanitaire adoptées en vertu de l’article 4, paragraphe 5, de la décision C(2015) 9151 » (ci-après les « lignes directrices de la Commission »). La requérante a affirmé qu’elle n’avait jamais sollicité une autorisation de télétravail depuis l’étranger de manière permanente, mais uniquement pour la durée des restrictions imposées dans le cadre de la pandémie de COVID-19 conformément aux lignes directrices de la Commission.

27      Par courriel du 18 décembre 2020, le directeur de l’EIT a répondu à la requérante que l’EIT n’était pas soumis aux règles de la Commission et que, en tout état de cause, en vertu des règles de l’EIT, ainsi que de celles de la Commission, l’exception relative à la situation familiale devait être interprétée par les supérieurs hiérarchiques. Le directeur de l’EIT a rappelé que le statut de membre de l’équipe d’encadrement de l’EIT impliquait la présence sur site de la requérante pour certaines réunions. Le directeur a informé la requérante qu’elle recevrait une réponse formelle à sa réclamation introduite par son représentant légal dans les délais légaux prévus.

28      Par courriel du 4 janvier 2021, le directeur de l’EIT a informé l’ensemble du personnel de l’EIT que les mesures décidées avant la fin de l’année seraient maintenues jusqu’au 2 avril 2021.

29      Le 6 janvier 2021, une réunion virtuelle a eu lieu entre la requérante et le directeur de l’EIT. Le 8 janvier 2021, la requérante a envoyé au directeur de l’EIT, de sa propre initiative, un compte rendu de la réunion. Par courriel du même jour, le directeur de l’EIT a répondu que le compte rendu ne présentait pas de manière fidèle les discussions. Il a fourni ses observations, le 13 janvier 2021.

30      Le 14 janvier 2021, la requérante a introduit une seconde réclamation sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contestant la décision attaquée.

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 janvier 2021, la requérante a introduit un recours en annulation contre la décision attaquée, par laquelle le directeur de l’EIT a refusé sa demande du 15 décembre 2020 de télétravail depuis le lieu d’origine.

32      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal : 

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée ;

–        enjoindre à l’EIT de l’autoriser à télétravailler depuis son lieu d’origine jusqu’à la levée des restrictions imposées par les autorités nationales allemandes et hongroises.

33      Le 15 janvier 2021, en vertu de l’article 91, paragraphe 4, du statut, la procédure au principal a été suspendue jusqu’au moment de l’adoption d’une décision explicite ou implicite de rejet de la réclamation.

34      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 8 février 2021, l’EIT conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande de sursis à exécution ;

–        condamner la requérante aux entiers dépens.

 En droit

 Généralités

35      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

36      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

 Sur la recevabilité

37      L’EIT fait valoir que la demande de mesure provisoire viserait à obtenir l’autorisation de télétravailler à partir du lieu d’origine pour une période indéfinie, la date de la levée des restrictions imposées par les autorités nationales n’étant pas identifiable. L’EIT affirme que la demande de mesure provisoire préjugerait manifestement de la décision au fond, dans la mesure où elle équivaudrait à « renverser » durablement la décision attaquée en allant plus loin que le petitum initial figurant dans la réclamation introduite à l’encontre de cette décision. Selon l’EIT, la demande de mesure provisoire viserait à obtenir l’autorisation de télétravailler à partir du lieu d’origine jusqu’à la levée des restrictions imposées par les autorités nationales allemandes et hongroises, alors que la demande initiale visait l’autorisation de télétravailler depuis son lieu d’origine et à se rendre exclusivement sporadiquement et de manière très temporaire dans les bureaux de l’EIT, lorsque les besoins du service le justifient. L’EIT affirme que la demande ne saurait faire l’objet d’une mesure provisoire et devrait dès lors être considérée comme irrecevable.

38      En l’espèce, les conclusions de la requérante, telles qu’elles sont libellées dans la demande en référé, ont pour objet, d’une part, le sursis à exécution de la décision attaquée, et, d’autre part, l’autorisation de télétravailler à partir du lieu d’origine jusqu’à la levée des restrictions liées à la crise sanitaire imposées par les autorités nationales allemandes et hongroises.

39      S’agissant, en premier lieu, du sursis à l’exécution de la décision attaquée, il y a lieu de relever que cette dernière constitue une décision administrative négative contre laquelle une demande de sursis à exécution, en principe, ne se conçoit pas, l’octroi d’un sursis ne pouvant avoir pour effet de modifier la situation de la requérante [voir, en ce sens, ordonnances du 31 juillet 1989, S./Commission, 206/89 R, EU:C:1989:333, point 14 ; du 30 avril 1997, Moccia Irme/Commission, C‑89/97 P(R), EU:C:1997:226, point 45, et du 21 février 2002, Front national et Martinez/Parlement, C‑486/01 P‑R et C‑488/01 P‑R, EU:C:2002:116, point 73]. En l’espèce, le sursis à l’exécution de la décision de rejet ne saurait avoir comme conséquence l’autorisation demandée par la requérante. À lui seul, l’octroi du sursis ne saurait donc être envisagé.

40      En deuxième lieu, la requérante a également introduit une demande de mesure provisoire visant à ce que le juge des référés enjoigne à l’EIT de l’autoriser à télétravailler depuis son lieu d’origine jusqu’à la levée des restrictions imposées par les autorités nationales allemandes et hongroises. Il convient de rappeler que la procédure de référé a un caractère accessoire par rapport à la procédure au principal sur laquelle elle se greffe, de sorte que le juge des référés ne saurait adopter des mesures provisoires qui se situeraient hors du cadre de la décision finale susceptible d’être prise par le Tribunal sur le recours au principal (ordonnance du 29 mars 2001, Goldstein/Commission, T‑18/01 R, EU:T:2001:110, point 14). Dans l’hypothèse où il serait fait droit au recours au principal, il appartiendrait à l’EIT de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal sur le fond, conformément à l’article 266 TFUE.

41      Toutefois, pour assurer une protection juridictionnelle effective, le juge des référés peut, en présence de circonstances exceptionnelles, prescrire des mesures provisoires qui anticipent les conséquences éventuelles que l’administration serait amenée à tirer d’un arrêt d’annulation (voir, en ce sens, ordonnance du 8 janvier 2014, Stichting Sona et Nao/Commission, T‑505/13 R, non publiée, EU:T:2014:1, point 44). En effet, en matière de mesures provisoires, le juge des référés dispose de compétences dont l’impact à l’égard des institutions de l’Union concernées va au-delà des effets qui s’attachent à un arrêt d’annulation, à condition que ces mesures provisoires ne s’appliquent que pour la durée de la procédure principale, ne préjugent pas la décision au fond et n’entravent pas l’effet utile de celle-ci (ordonnance du 15 mai 2013, Allemagne/Commission, T‑198/12 R, EU:T:2013:245, point 33).

42      En l’espèce, l’octroi de la mesure provisoire sollicitée ne préjugerait pas la décision au fond, étant donné qu’elle serait accordée que pour un laps de temps limité, dès lors que, conformément à l’article 158, paragraphe 3, du règlement de procédure, cette mesure cesserait de produire ses effets à la date fixée dans l’ordonnance ou, en tout état de cause, au plus tard dès le prononcé de la décision mettant fin à l’instance principale. Si le Tribunal devait annuler la décision attaquée, l’EIT serait tenu, conformément à l’article 266 TFUE, de prendre les mesures qu’implique cette annulation, en respectant les motifs de l’arrêt.

43      S’agissant de la durée de la mesure provisoire sollicitée, l’EIT fait valoir que la demande de mesure provisoire viserait à obtenir l’autorisation de télétravailler à partir du lieu d’origine pour une période indéfinie, la date de la levée des restrictions imposées par les autorités nationales n’étant pas identifiable. Or, ainsi que relevé au point 42 ci-dessus, l’ordonnance sollicitée cesserait de produire ses effets au plus tard dès le prononcé de l’arrêt mettant fin à l’instance principale.

44      S’agissant de l’étendue de la demande de mesures provisoires, l’EIT fait valoir que celle-ci, qui vise à obtenir l’autorisation de télétravailler à partir du lieu d’origine jusqu’à la levée des restrictions imposées par les autorités nationales allemandes et hongroises, préjugerait manifestement de la décision au fond, dans la mesure où elle irait plus loin que la demande figurant dans la réclamation de la requérante, qui visait l’autorisation de télétravailler depuis son lieu d’origine et de se rendre exclusivement sporadiquement et de manière très temporaire dans les bureaux de l’EIT, lorsque les besoins du service le justifient.

45      Il convient de relever que pour qu’une demande visant à ce que soit prononcée l’une des mesures provisoires visées à l’article 279 TFUE soit recevable, il faut qu’il existe un lien suffisamment étroit entre la mesure provisoire sollicitée et l’objet du recours au principal (ordonnance du 2 juillet 2004, Sumitomo Chemical/Commission, T‑78/04 R, EU:T:2004:204, point 43).

46      Or, force est de constater que, dans le cas d’espèce, le recours principal vise à l’annulation de la décision attaquée, par laquelle le directeur de l’EIT a refusé d’accorder à la requérante l’autorisation de télétravailler à partir de son lieu d’origine pendant les périodes pendant lesquelles elle devrait travailler sur site selon le système de tour de rôle établi. La demande de mesure provisoire sollicitée vise à enjoindre à l’EIT de lui accorder une telle possibilité. Il ne saurait donc être considéré que cette demande dépasse l’objet de la procédure principale.

47      Il résulte de tout ce qui précède que la demande de mesures provisoires doit être déclarée recevable. S’agissant de la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée, ainsi qu’il ressort des points 38 et 39 ci-dessus, son octroi ne saurait être considéré comme nécessaire que si le juge des référés jugeait que la demande de mesure provisoire de la requérante était fondée.

 Sur la condition relative au fumus boni juris

48      S’agissant de la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris, il convient de rappeler que cette condition est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparait, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].

49      En l’espèce, dans le cadre de sa démonstration de la satisfaction de cette condition, la requérante fait valoir, à titre liminaire, que le cadre juridique applicable à sa demande du 15 décembre 2020 serait constitué des lignes directrices de la Commission, telles qu’applicables au 30 octobre 2020. Selon la requérante, il ressortirait de ce cadre juridique qu’une autorisation permettant de télétravailler depuis l’étranger pourrait être octroyée par exception sans restriction de durée pour autant que les enfants mineurs de la personne concernée résident dans un autre État membre et que le supérieur hiérarchique donne son accord à la suite d’une analyse de l’intérêt du service. Selon la requérante, l’exception s’appliquerait aussi longtemps que les restrictions de voyages liées à la pandémie de COVID-19 entre le lieu d’affectation et le lieu de résidence des enfants mineurs existent. Selon la requérante les restrictions de voyages devraient s’analyser sur la base des règles édictées au niveau national et il conviendrait de considérer que les obligations d’effectuer des tests et de quarantaine constitueraient de telles restrictions.

50      Aux fins de démontrer que la décision attaquée est, à première vue, entachée d’illégalité, la requérante invoque deux moyens.

51      Par les première et deuxième branches de son premier moyen, la requérante allègue, en substance, une violation des lignes directrices de la Commission et notamment une interprétation arbitraire de la notion de « restrictions de voyages ».

52      Par la troisième branche de son premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, le non-respect de l’obligation de mise en balance de l’intérêt du service et de son intérêt conformément au devoir de sollicitude. Selon la requérante, la décision attaquée serait muette quant aux raisons de service qui imposeraient la présence de la requérante sur le lieu d’affectation. La requérante affirme que le directeur de l’EIT n’a pas pris en compte les circonstances qu’elle avait invoquées, ne lui aurait jamais expliqué les raisons réelles, concrètes et légitimes qui l’empêcheraient de télétravailler depuis l’étranger, sauf à indiquer qu’elle devait se tenir disponible, au moins quinze jours par mois, pour venir travailler depuis les bureaux de l’EIT. Selon la requérante, cette position serait contraire aux règles qui décrivent strictement les situations dans lesquelles l’exercice d’activités critiques ou essentielles permettrait de déroger à la norme du télétravail généralisé. La requérante affirme qu’elle était disposée à voyager et à travailler dans les locaux de l’EIT si elle était informée à l’avance d’une réunion importante justifiant sa présence sur place.

53      Dans le cadre du second moyen, la requérante allègue, en substance, que la décision attaquée constituerait une atteinte à son droit à la vie privée et familiale prévu à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), qui devrait être interprété en tenant compte des droits de l’enfant protégés par l’article 24 de la Charte, ainsi qu’à son droit à des conditions de travail équitables au sens de l’article 31 de la Charte. Selon la requérante, il s’agirait d’une atteinte disproportionnée à ces droits, en violation de l’article 52 de la Charte.

54      Afin de démontrer le caractère disproportionné de la décision attaquée, la requérante fait valoir que l’EIT applique de manière très restrictive, en tout temps et en toute circonstance, l’obligation de résidence sur le lieu d’affectation prévue à l’article 20 du statut et les règles applicables au télétravail. La décision attaquée contraindrait et forcerait la requérante à voyager dans des conditions très difficiles, qui affecteraient non seulement son temps de repos et sa vie familiale, mais également son bien-être et la protection de sa personne et de sa santé. La requérante fait valoir qu’elle devrait subir de nombreux tests coûteux pour voir sa famille et aider son mari dans la scolarité à distance de ces enfants, prendre des risques de contamination plus élevés en voyageant pour respecter la règle de présence sur le lieu d’affectation de quinze jours par mois. Si la requérante faisait le choix de ne pas subir toutes ces contraintes, elle serait obligée de se priver de toute relation avec ses enfants mineurs et d’abandonner son époux dans la gestion de la scolarité à la maison et du bien-être de ses enfants.

55      Selon la requérante, le bien-être de sa famille en est également sérieusement impacté, notamment en ce qu’elle est privée de sa rémunération et des allocations dont elle bénéficiait jusque-là. Les trajets réguliers imposés seraient complexifiés par la fermeture de certains aéroports, plus longs, plus coûteux, plus lourds et réduiraient considérablement le temps de repos de la requérante, qui serait alors contrainte de passer la majeure partie de son temps de repos quotidien et hebdomadaire dans les trajets de manière à assurer un certain maintien de sa vie privée et familiale.

56      L’EIT conteste cette argumentation.

57      En premier lieu, l’EIT fait valoir que l’argumentaire de la requérante repose sur un cadre juridique erroné. L’EIT fait valoir que si, conformément à l’article premier de la décision 24/2016 du conseil de gestion de l’EIT relative à la mise en œuvre du télétravail au sein de l’EIT, la décision C(2015) 9151 de la Commission, du 17 décembre 2015, sur la mise en place du télétravail au sein de la Commission, s’applique par analogie à l’EIT, les lignes directrices de la Commission ne s’appliqueraient qu’aux services de la Commission et n’auraient vocation à s’appliquer au personnel de l’EIT. L’EIT fait valoir que l’équipe d’encadrement de l’EIT a adopté des règles relatives au télétravail pendant la crise sanitaire conformément à l’article 4, paragraphe 5, de la décision C(2015) 9151, appliquée par analogie. Il s’ensuivrait que la base même du raisonnement de la requérante serait erronée et que l’ensemble des considérations développées sur ce fondement, relatives notamment à une limitation des droits et des libertés fondamentales, à une violation de l’article 52 de la Charte ainsi que du droit effectif à l’emploi et à des conditions de travail équitables pour tous, seraient dépourvues de pertinence.

58      En second lieu, l’EIT relève que la requérante n’a pas respecté les mesures en cause, telles que décidées au cours des réunions de l’équipe d’encadrement, et a continué à télétravailler à temps complet en dehors de son lieu d’affectation en octobre 2020, sans avoir demandé l’approbation de son supérieur hiérarchique, ni l’en avoir prévenu. L’EIT rappelle que, conformément à l’article 20 du statut, qui s’applique par analogie aux agents temporaires en vertu de l’article 11 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, « le fonctionnaire est tenu de résider au lieu de son affectation ou à une distance telle de celui-ci qu’il ne soit pas gêné dans l’exercice de ses fonctions » et « [i]l informe l’autorité investie du pouvoir de nomination de son adresse et l’avise immédiatement de tout changement de celle-ci ».

59      En l’espèce, en premier lieu, il convient de relever, s’agissant du désaccord en ce qui concerne le cadre juridique applicable, qu’il est constant que la décision 24/2016 prévoit l’application par analogie, au titre de l’article 110 du statut, de la décision C(2015) 9151. Les lignes directrices de la Commission adoptées pour organiser le mode de fonctionnement pendant la crise sanitaire sont fondées sur l’article 4, paragraphe 5, de la décision C(2015) 9151, dans lequel est prévue la possibilité pour la direction des ressources humaines de la Commission de demander au personnel de télétravailler en cas de force majeure. Il ressort de l’analyse du dossier que les lignes directrices de la Commission ont été modifiées à plusieurs reprises en fonction de l’évolution de la situation épidémique et des mesures prises par les États membres. Dans l’ensemble des versions, il est précisé que les lignes directrices de la Commission ne s’appliquent pas au personnel affecté dans les délégations de l’Union, les représentations de la Commission et les centres de recherche de l’Union. À titre de comparaison, il convient de préciser que dans la décision C(2015) 9151, appliquée par analogie par l’EIT, il est prévu que celle-ci est applicable au personnel des représentations de la Commission dans les États membres.

60      Il résulte à première vue de ces éléments, sans préjuger de la future décision qu’adopterait le juge dans l’affaire principale, que les lignes directrices de la Commission n’ont pas vocation à s’appliquer de manière automatique par analogie au sein de l’EIT. Cette interprétation est corroborée par le besoin d’adapter les règles de fonctionnement et d’organisation du travail pendant la pandémie de COVID-19 à la situation épidémiologique et aux mesures adoptées pour y répondre par l’État membre où se trouve le siège de l’EIT.

61      Toutefois, l’argumentation de l’EIT selon laquelle l’ensemble des considérations développées par la requérante sur la base d’un fondement erroné manqueraient de pertinence ne saurait convaincre. En effet, les arguments de la requérante, développés dans le cadre de la troisième branche du premier moyen et du second moyen, tirés de la méconnaissance du devoir de sollicitude, d’une erreur d’appréciation dans le cadre de la mise en balance de l’intérêt du service et de son intérêt, du caractère disproportionné des atteintes à ses droits, ainsi que de l’interprétation erronée de l’article 20 du statut demeurent pertinents, même si le cadre juridique applicable est constitué par les règles adoptées par l’équipe d’encadrement de l’EIT.

62      En deuxième lieu, il convient de relever que le litige principal soulève une question inédite et délicate relative à l’interprétation de l’obligation de résidence sur le lieu d’affectation découlant de l’article 20 du statut dans les circonstances particulières imposées par la pandémie de COVID-19. À cet égard, la requérante fait valoir que l’EIT procéderait à une application trop restrictive de cette l’obligation au regard des circonstances, qui porterait une atteinte excessive à ses droits en la forçant à voyager dans des conditions très difficiles affectant de manière disproportionnée sa vie familiale, son bien-être et la protection de sa santé.

63      Il convient de relever à cet égard que, jusqu’à présent, le juge de l’Union n’a pas encore procédé à une interprétation de l’article 20 du statut et des possibles aménagements de l’obligation découlant de cette disposition dans le cadre des circonstances exceptionnelles telles que celles découlant de la pandémie de COVID-19. En outre, la jurisprudence existante ne permet pas de répondre aisément à cette question, qui requiert au contraire un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale.

64      Il résulte de ce qui précède que le recours principal soulève une question inédite importante et délicate méritant un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés dans le cadre d’un examen du bien-fondé, à première vue, du recours au principal, mais doit faire l’objet de la procédure principale.

65      En troisième lieu, il convient de relever que, si les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services et l’aménagement des conditions de travail du personnel en fonction des contraintes liées à la situation sanitaire, l’exercice de ce pouvoir doit toutefois se faire dans le respect du devoir de sollicitude. Celui-ci reflète l’équilibre des droits et des obligations réciproques que le statut, et, par analogie, le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne a créé dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public. Cet équilibre implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un agent, l’autorité prenne en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi, notamment, de celui de l’agent concerné (voir arrêt du 7 mai 2019, WP/EUIPO, T‑407/18, non publié, EU:T:2019:290, point 58 et jurisprudence citée). Cela est d’autant plus vrai dans le contexte de la pandémie de COVID-19 actuelle, qui appelle l’adoption de mesures de sollicitude et d’accompagnement plus importantes pour répondre aux situations personnelles rendant l’exercice des fonctions particulièrement difficile.

66      En l’espèce, la requérante affirme que le directeur de l’EIT n’a pas pris en compte les circonstances qu’elle avait invoquées et ne lui aurait jamais expliqué les raisons qui l’empêcheraient de télétravailler depuis l’étranger au-delà de quinze jours par mois.

67      Il convient de relever qu’il ressort du dossier que la demande de la requérante a été rejetée principalement au motif qu’un retour à Budapest était obligatoire en janvier et que la requérante devait fournir une date à laquelle elle serait de retour. Sur la base ces éléments, et en l’absence d’une motivation indiquant les raisons liées à l’intérêt du service ayant conduit l’EIT à adopter la décision attaquée, il convient de constater que la requérante a établi que la troisième branche du premier moyen invoqué dans le litige au fond soulevait des doutes quant à la légalité de la décision attaquée, qui n’ont pu, dans la cadre de la procédure de référé, être levés par les observations de l’autre partie.

68      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger la position du Tribunal sur le recours principal, il y a lieu de conclure que les arguments développés dans le cadre de la troisième branche du premier moyen et du second moyen invoqués par la requérante apparaissent, à première vue, non dépourvus de fondement sérieux, en révélant un différend juridique important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond.

69      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris.

 Sur la condition relative à l’urgence

70      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

71      Afin de démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice, la requérante allègue en substance cinq catégories de préjudices.

72      En premier lieu, la requérante fait valoir qu’elle serait privée de son droit au travail et serait contrainte de prendre des congés. En outre, la requérante affirme qu’elle serait privée de ses fonctions managériales et qu’elle perdrait toute relation constructive et de confiance avec les agents dont elle est la supérieure hiérarchique. À cet égard, la requérante affirme qu’elle n’est plus incluse dans les échanges adressés aux membres de l’encadrement dont elle faisait préalablement partie. La requérante indique qu’elle a été remplacée dans sa fonction de chef d’unité. La requérante fait également valoir qu’elle ne saurait rétroactivement exercer ses fonctions.

73      En deuxième lieu, la requérante fait valoir qu’elle serait contrainte d’épuiser son quota de congés parentaux et de souffrir des conséquences de la prise de ces congés, dont notamment l’absence d’accumulation de droits à congé pour l’année suivante.

74      En troisième lieu, la requérante fait valoir qu’elle subirait des conséquences financières en raison de la prise des congés liées non seulement à la perte de son salaire net complet, mais également aux différentes allocations qui ne sont pas versées durant son congé parental.

75      En quatrième lieu, la requérante allègue que, si elle faisait le choix de travailler depuis son lieu d’affectation, elle devrait subir des risques de contamination plus élevés en voyageant de manière hebdomadaire ou bimensuelle afin de respecter la règle des quinze jours, ainsi que de nombreux tests coûteux et une quarantaine conformément aux mesures nationales en vigueur du fait d’avoir été contrainte de voyager.

76      En cinquième lieu, la requérante allègue que, si elle faisait le choix de ne pas subir toutes ces contraintes, elle serait obligée de se priver de toute relation avec ses enfants mineurs et d’abandonner son époux dans la gestion de la scolarité à la maison et du bien-être de ses enfants, qui subissent, comme tous les autres enfants en cette période de pandémie, une atteinte à leur moral qui est déjà importante. La requérante fait valoir que l’atteinte à ces droits et libertés ne saurait être réparée, ni adéquatement ni intégralement, par une éventuelle indemnisation.

77      L’EIT conteste cette argumentation. Il fait notamment valoir que la requérante n’a pas démontré un préjudice imputable à l’application de la décision attaquée. Selon l’EIT le travail à temps partiel à partir du lieu d’affectation, ainsi que cela serait le cas pour d’autres membres du personnel, ne constituerait pas un préjudice dans la mesure où la requérante a signé un contrat de travail par lequel elle a accepté que son lieu d’affectation soit fixé à Budapest et bénéficie à cet égard notamment d’une indemnité de dépaysement. Les contraintes concernant les possibles voyages de la requérante seraient notamment intimement liées à son choix personnel de travailler à Budapest sans sa famille, dont les conséquences sont exacerbées momentanément par la pandémie actuelle, et ce malgré la flexibilité offerte par l’EIT.

78      En l’espèce, en premier lieu, il découle de la décision attaquée que la requérante est obligée de revenir sur son lieu d’affectation et que, sous condition d’une autorisation éventuelle ultérieure, elle pourrait télétravailler de nouveau depuis l’étranger pour une nouvelle période de quinze jours. Force est de constater que, dans la situation particulière de la requérante, la décision attaquée risque d’entraîner l’impossibilité pour celle-ci de voir ses deux enfants mineurs de manière régulière pour une période a priori indéterminée.

79      En effet, premièrement, il est constant que le mari et les enfants mineurs de la requérante résident de manière permanente en Allemagne, ce qui oblige en pratique la requérante à effectuer un vol pour les voir. Or, en raison de la pandémie de COVID-19, les possibilités de la requérante de voyager de manière régulière pour voir sa famille risquent d’être compromises compte tenu des restrictions de déplacement, des éventuelles limitations du nombre de vols opérés ainsi que du taux d’annulation plus élevé. Deuxièmement, les mesures de quarantaine existantes risquent de réduire le temps que la requérante pourra passer avec sa famille et ses enfants alors que la distanciation sociale prolongée et la scolarité à distance ont accentué le rôle et l’importance du suivi et de l’accompagnement que les parents doivent assurer pour leurs enfants.

80      En deuxième lieu, il convient de relever que, avant la pandémie de COVID-19, la requérante avait adopté conformément à ses obligations statutaires un mode de fonctionnement pour maintenir un contact hebdomadaire régulier avec ses enfants. La requérante affirme à cet égard, sans que l’EIT le conteste, qu’elle se rendait à Cologne chaque vendredi soir et retournait à Budapest chaque dimanche soir en employant les mêmes vols hebdomadaires. Or, la pandémie de COVID‑19 a rendu cet aménagement de la situation familiale particulière de la requérante impossible. En outre, il ressort de l’analyse du dossier que les règles relatives aux possibilités de télétravail depuis l’étranger dans le cas d’une famille séparée adoptées par l’EIT dans le cadre de la gestion de la pandémie de COVID‑19 avaient notamment pour objectif d’aménager les situations particulières sur la base d’un examen au cas par cas. La décision attaquée faisant application de ces règles à la situation particulière de la requérante risque de compromettre sa possibilité de maintenir le contact régulier avec ses enfants qu’elle avait réussi à maintenir avant la pandémie en dépit de la distance entre son lieu d’affectation et de résidence habituelle et le lieu de résidence de sa famille. Il s’ensuit que l’argument selon lequel le préjudice allégué par la requérante serait lié à ses choix personnels ne saurait convaincre.

81      Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu de la situation particulière dans laquelle se trouve la requérante et de l’impact particulier que la pandémie de COVID-19 a eu sur sa situation, la décision attaquée lui porte un préjudice de nature grave et irréparable.

82      Il convient donc de conclure que la condition relative à l’urgence est remplie pour autant que la décision attaquée et les mesures mises en place par l’EIT demeurent toujours en vigueur après le 2 avril 2021, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres préjudices invoqués par la requérante.

 Sur la balance des intérêts

83      Selon la jurisprudence, les risques liés à chacune des solutions possibles doivent être mis en balance dans le cadre de la procédure de référé. Concrètement, cela implique notamment d’examiner si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte attaqué prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de celui‑ci. Lors de cet examen, il convient de déterminer si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui serait provoquée par son exécution immédiate et, inversement, dans quelle mesure le sursis serait de nature à faire obstacle aux objectifs poursuivis par l’acte attaqué au cas où le recours dans l’affaire principale serait rejeté [ordonnance du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 127].

84      En l’espèce, il s’agit de mettre en balance, d’une part, l’intérêt d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable soit causé à la requérante en raison de l’impossibilité pour elle de garder un contact régulier avec ses enfants mineurs tout en exerçant son activité professionnelle dans le contexte éprouvant causé par la pandémie de COVID-19 et, d’autre part, l’intérêt de l’EIT à ce que la requérante travaille sur son lieu d’affectation (au sein des locaux de l’EIT ou en télétravail) au moins la moitié du mois.

85      Il convient de constater que, dans ses observations sur la demande de mesure provisoire, l’EIT n’a invoqué aucun argument d’ordre administratif ou pécuniaire tiré notamment de l’indemnité de dépaysement ou d’autre nature, visant à démontrer l’impact négatif que l’octroi d’une éventuelle mesure provisoire pourrait avoir sur le bon fonctionnement et l’organisation du service.

86      Il convient toutefois de relever que, dans son courriel du 18 décembre 2020, le directeur de l’EIT a indiqué que le statut de membre de l’équipe d’encadrement de l’EIT impliquait la présence sur site de la requérante pour certaines réunions. Il ne saurait donc être exclu que la présence de la requérante sur son lieu d’affectation puisse s’avérer nécessaire et justifiée au regard de l’intérêt du service. À cet égard, il convient de préciser que, ainsi qu’il ressort du point 51 ci‑dessus, la requérante a elle-même affirmé qu’elle était disposée à voyager et à travailler dans les locaux de l’EIT si elle était informée à l’avance d’une réunion importante justifiant sa présence sur place.

87      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que la balance des intérêts penche en faveur de la requérante, qui devra être autorisée à télétravailler à partir du lieu de résidence de ses enfants pour autant que la situation relative à la pandémie de COVID-19 le justifie et sans préjudice de l’obligation de la requérante de se rendre de manière ponctuelle sur le lieu d’affectation pour des raisons liées à l’intérêt du service, à la demande de l’EIT.

88      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être accueillie dans cette mesure.

89      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision du directeur de l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT) du 17 décembre 2020 de refuser la demande de PJ de télétravailler à partir de son lieu d’origine.

2)      L’EIT autorisera PJ à télétravailler à partir du lieu de résidence de ses enfants pour autant que la situation relative à la pandémie de COVID-19 le justifie et sans préjudice de l’obligation pour PJ de se rendre de manière ponctuelle sur le lieu d’affectation pour des raisons liées à l’intérêt du service.

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 13 avril 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.