Language of document : ECLI:EU:C:2022:690

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME LAILA MEDINA

présentées le 15 septembre 2022 (1)

Affaire C407/21

Union fédérale des consommateurs – Que choisir (UFC – Que choisir),

Consommation, logement et cadre de vie (CLCV)

contre

Premier ministre,

Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Directive (UE) 2015/2302 – Voyage à forfait et prestations de voyage liées – Résiliation du contrat de voyage à forfait – Circonstances exceptionnelles et inévitables – COVID-19 – Nature du remboursement des paiements effectués par le voyageur pour le voyage à forfait – Remboursement en argent ou remboursement en équivalence, sous la forme d’un bon à valoir – Dérogation temporaire à l’obligation de l’organisateur de rembourser le voyageur dans les quatorze jours au plus tard après la résiliation du contrat de voyage à forfait »






 Introduction

1.        Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié l’épidémie de COVID-19 de « pandémie ». Dans son discours d’ouverture lors de la conférence de presse sur la COVID-19 du même jour, le directeur général de l’OMS a reconnu que la pandémie de COVID-19 « n’est pas seulement une crise de santé publique, mais une crise qui touchera tous les secteurs ». En effet, la pandémie et les mesures d’urgence adoptées par les gouvernements du monde entier pour empêcher la propagation du virus ont provoqué des perturbations sans précédent. Le philosophe Edgar Morin a écrit que, même si cette pandémie n’est pas la première de l’histoire de l’humanité, sa « nouveauté radicale » tient à ce qu’elle est à l’origine d’une « mégacrise, faite de la combinaison de crises politiques, économiques, sociales, écologiques, nationales [et] planétaires » (2). La pandémie a également été un défi majeur pour le droit. Un commentateur a fait remarquer avec justesse qu’il s’agit d’un « test de résistance » (3) pour le droit des contrats dans la mesure où elle peut « mettre à rude épreuve l’aptitude du droit actuel à fournir un moyen de réponse approprié » à ses conséquences (4).

2.        Parmi les secteurs les plus gravement et immédiatement touchés par la pandémie de COVID-19 figure le tourisme. L’impact économique est « sans précédent » étant donné que le tourisme est la troisième catégorie d’exportation, représentant 7 % du commerce mondial en 2019 et que « tous les maillons de sa vaste chaîne de valeur ont été touchés » (5). Les confinements, les couvre-feux, les interdictions de voyager et la fermeture des frontières ont considérablement limité le principe même du voyage, à savoir la liberté de circulation. Les restrictions adoptées par les gouvernements afin de contenir la propagation du virus ont conduit à la cessation immédiate des activités des organisateurs de voyages à forfait, des transporteurs et des entreprises du secteur du voyage en général. En outre, ces derniers ont dû faire face à de nombreuses annulations et demandes de remboursement.

3.        La présente affaire concerne plus particulièrement la question de l’adoption de mesures nationales prévoyant des dérogations temporaires à la législation sur la protection des consommateurs en matière de contrats de voyage à forfait. Les mesures litigieuses permettaient notamment aux organisateurs de voyages à forfait de proposer aux voyageurs des bons à valoir comme alternative au remboursement afin de gérer leurs problèmes de trésorerie immédiats. Au vu du contexte de crise sanitaire, la présente affaire va au-delà de la détermination des droits dans le cadre de la législation de l’Union sur la protection des consommateurs. Elle soulève la question des limites éventuelles du cadre juridique existant en tant qu’outil approprié pour faire face à la pandémie de COVID-19. Elle concerne également la portée des pouvoirs d’urgence des États membres lors de l’« état d’urgence en cas de pandémie » (6).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive (UE) 2015/2302

4.        Les considérants 31 et 40 de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil (JO 2015, L 326, p. 1) sont libellés comme suit :

« (31)      Les voyageurs [...] devraient aussi avoir le droit de résilier le contrat de voyage à forfait sans payer de frais de résiliation si des circonstances exceptionnelles et inévitables ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait. Il peut s’agir par exemple d’une guerre, d’autres problèmes de sécurité graves, tels que le terrorisme, de risques graves pour la santé humaine, comme l’apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination, ou de catastrophes naturelles telles que des inondations, des tremblements de terre ou des conditions météorologiques rendant impossible un déplacement en toute sécurité vers le lieu de destination stipulé dans le contrat de voyage à forfait.

[...]

(40)      Pour être effective, la protection contre l’insolvabilité devrait couvrir les montants prévisibles de paiements sur lesquels se répercutent l’insolvabilité de l’organisateur et, s’il y a lieu, les coûts prévisibles de rapatriement. [...] Toutefois, une protection efficace contre l’insolvabilité ne devrait pas avoir à tenir compte de risques extrêmement ténus, par exemple l’insolvabilité simultanée de plusieurs des principaux organisateurs, lorsqu’une telle couverture aurait une incidence disproportionnée sur le coût de la protection, entravant ainsi son efficacité. En pareil cas, la garantie relative aux remboursements peut être limitée. »

5.        L’article 3, point 12, de cette directive définit la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » comme étant « une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ».

6.        L’article 4 de la directive 2015/2302, intitulé « Niveau d’harmonisation », dispose :

« Sauf si la présente directive en dispose autrement, les États membres s’abstiennent de maintenir ou d’introduire, dans leur droit national, des dispositions s’écartant de celles fixées par la présente directive, notamment des dispositions plus strictes ou plus souples visant à assurer un niveau différent de protection des voyageurs. »

7.        L’article 12 de la directive 2015/2302 énonce :

« 1.      Les États membres veillent à ce que le voyageur puisse résilier le contrat de voyage à forfait à tout moment avant le début du forfait. Lorsque le voyageur résilie le contrat de voyage à forfait en vertu du présent paragraphe, il peut lui être demandé de payer à l’organisateur des frais de résiliation appropriés et justifiables. [...]

2.      Nonobstant le paragraphe 1, le voyageur a le droit de résilier le contrat de voyage à forfait avant le début du forfait sans payer de frais de résiliation si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination. En cas de résiliation du contrat de voyage à forfait en vertu du présent paragraphe, le voyageur a droit au remboursement intégral des paiements effectués au titre du forfait mais pas à un dédommagement supplémentaire.

3.      L’organisateur peut résilier le contrat de voyage à forfait et rembourser intégralement le voyageur des paiements effectués pour le forfait, mais il n’est pas tenu à un dédommagement supplémentaire, si :

[...]

b)      l’organisateur est empêché d’exécuter le contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et notifie la résiliation du contrat au voyageur sans retard excessif avant le début du forfait.

4.      L’organisateur procède aux remboursements requis en vertu des paragraphes 2 et 3 ou, au titre du paragraphe 1, rembourse tous les paiements effectués par le voyageur ou en son nom pour le forfait moins les frais de résiliation appropriés. Ces remboursements au profit du voyageur sont effectués sans retard excessif et en tout état de cause dans les quatorze jours au plus tard après la résiliation du contrat de voyage à forfait.

[...] »

8.        L’article 17 de la directive 2015/2302, intitulé « Effectivité et champ d’application de la protection contre l’insolvabilité », est libellé comme suit :

« 1.      Les États membres veillent à ce que les organisateurs établis sur leur territoire fournissent une garantie pour le remboursement de tous les paiements effectués par les voyageurs ou en leur nom dans la mesure où les services concernés ne sont pas exécutés en raison de l’insolvabilité des organisateurs. [...]

2.      La garantie visée au paragraphe 1 est effective et couvre les coûts raisonnablement prévisibles. [...]

[...] »

9.        L’article 23 de la directive 2015/2302, intitulé « Caractère impératif de la directive », dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Les voyageurs ne peuvent pas renoncer aux droits qui leur sont conférés par les mesures nationales de transposition de la présente directive.

3.      Les dispositions contractuelles ou les déclarations faites par le voyageur qui, directement ou indirectement, constituent une renonciation aux droits conférés aux voyageurs par la présente directive, ou une restriction de ces droits, ou qui visent à éviter l’application de la présente directive ne sont pas opposables au voyageur. »

 Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

10.      Les requérantes, Union fédérale des consommateurs – Que choisir (UFC – Que choisir) et Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), sont des associations françaises de consommateurs. Elles contestent la légalité de différents actes, dont l’ordonnance no 2020‑315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure (ci‑après l’« ordonnance attaquée »).

11.      L’ordonnance attaquée a été adoptée sur le fondement d’une habilitation conférée au gouvernement français par la loi no 2020‑290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19 « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de COVID-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi ».

12.      L’article 1er, paragraphe II, de l’ordonnance attaquée prévoit une dérogation à certaines dispositions de l’article L. 211‑14 du code du tourisme, qui transpose l’article 12, paragraphes 1 à 4, de la directive 2015/2302. Il énonce que, lorsqu’un contrat de vente de voyages et de séjours fait l’objet d’une résolution entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020, « l’organisateur ou le détaillant peut proposer, à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués, un avoir » d’un montant égal à celui de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu. Cette proposition doit être formulée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la résolution du contrat et reste valable pendant une durée de dix-huit mois. Ce n’est qu’à l’issue de cette période de dix-huit mois et si le client n’accepte pas une prestation identique ou équivalente à celle prévue par le contrat résolu et proposée au client que le professionnel sera tenu de rembourser au client l’intégralité des paiements effectués.

13.      La juridiction de renvoi précise que les dispositions de l’ordonnance attaquée ont été adoptées afin de sauvegarder la trésorerie et la solvabilité des prestataires visés par ces dispositions, dans un contexte où plus de 7 000 opérateurs de voyages et de séjour immatriculés en France se trouvaient en grande difficulté. En effet, en raison de la pandémie de COVID-19 affectant simultanément non seulement la France et la plupart des pays européens mais aussi la quasi‑totalité des continents, les opérateurs de voyages ont été confrontés à un volume d’annulations des prestations commandées d’une ampleur jamais égalée et à des prises de commandes quasi nulles. Dans ces conditions, un remboursement immédiat de l’ensemble des prestations annulées était de nature à mettre en péril les acteurs économiques concernés et, par voie de conséquence, la possibilité, pour les clients, de pouvoir obtenir un remboursement des paiements effectués.

14.      La juridiction de renvoi relève également que le montant des avoirs émis par les voyagistes français au 15 septembre 2020, fin d’application de l’ordonnance attaquée, est de l’ordre de 990 millions d’euros, ce qui représente 10 % du chiffre d’affaires du secteur d’une année normale.

15.      Selon les observations formulées par les requérantes devant la juridiction de renvoi, les dispositions de l’ordonnance attaquée méconnaissent l’article 12 de la directive 2015/2302. Cet article prévoit le droit pour le voyageur, en cas de résiliation d’un contrat de voyage à forfait, d’être remboursé de l’intégralité des paiements effectués au titre de ce contrat dans un délai de quatorze jours suivant sa résiliation. En outre, les requérantes font valoir que de telles dispositions portent atteinte à la libre concurrence au sein du marché unique et à l’objectif d’harmonisation de la directive.

16.      Dans ces conditions, le Conseil d’État (France) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 12 de la directive [2015/2302] doit-il être interprété comme imposant à l’organisateur d’un voyage à forfait, en cas de résiliation du contrat, de rembourser en argent l’intégralité des paiements effectués au titre du forfait, ou comme autorisant un remboursement en équivalence, en particulier sous la forme d’un avoir d’un montant égal au montant des paiements effectués ?

2)      Dans l’hypothèse où ces remboursements s’entendent d’un remboursement en argent, la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19 et ses conséquences sur les opérateurs de voyages, lesquels ont subi, du fait de cette crise, une baisse de leur chiffre d’affaires pouvant être évaluée entre 50 et 80 %, et représentent plus de 7 % du produit intérieur brut en France et, s’agissant des voyagistes à forfait, emploient 30 000 salariés en France pour un chiffre d’affaires de près de 11 milliards d’euros, sont-elles de nature à justifier, et le cas échéant dans quelles conditions et selon quelles limites, une dérogation temporaire à l’obligation, pour l’organisateur, de rembourser le voyageur de l’intégralité des paiements effectués pour le forfait dans un délai de quatorze jours suivant la résiliation du contrat, prévue au paragraphe 4 de l’article 12 de la directive [2015/2302] ?

3)      En cas de réponse négative à la question précédente, est-il possible, dans les circonstances qui viennent d’être rappelées, de moduler les effets dans le temps d’une décision annulant un texte de droit interne contraire au paragraphe 4 de l’article 12 de la directive [2015/2302] ? »

17.      Des observations écrites ont été déposées par l’UFC – Que choisir et CLCV, par les gouvernements français, belge, tchèque, danois, italien, slovaque et finlandais, ainsi que par la Commission européenne. À l’exception des gouvernements danois et finlandais, ces parties étaient également représentées à l’audience qui a eu lieu le 1er juin 2022.

 Analyse

 Sur la première question

18.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 doit être interprété comme imposant à l’organisateur d’un voyage à forfait, en cas de résiliation du contrat, de procéder au remboursement en argent de l’intégralité des paiements effectués ou comme autorisant une autre alternative, en particulier sous la forme d’un bon à valoir d’un montant égal à celui des paiements effectués.

19.      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 12 de la directive 2015/2302 fixe les droits et obligations des parties en ce qui concerne la résiliation d’un contrat de voyage à forfait. Plus précisément, en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables, les paragraphes 2 et 3 de cet article permettent tant au voyageur qu’à l’organisateur de résilier le contrat de voyage à forfait dans les conditions qui y sont énoncées. La résiliation du contrat de voyage à forfait fait naître l’obligation pour l’organisateur de procéder au remboursement intégral des paiements effectués pour le voyage à forfait par le voyageur. Conformément à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302, le remboursement est effectué « sans retard excessif et en tout état de cause dans les quatorze jours au plus tard après la résiliation du contrat de voyage à forfait ».

20.      La directive 2015/2302 ne définit pas la notion de « remboursement » et ne renvoie pas non plus expressément au droit des États membres à cet égard. Dans un tel cas, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité de traitement que les termes d’une disposition du droit de l’Union doivent normalement trouver une interprétation autonome et uniforme dans toute l’Union. À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (7).

21.      Tout d’abord, il convient de relever que, aux termes de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2015/2302, le « remboursement » concerne les « paiements effectués au titre du forfait ». Cela reflète le sens du terme « remboursement » en langage courant, qui fait référence à une somme d’argent restituée à une personne. En anglais, le terme « refund » est plus particulièrement utilisé lorsque le paiement est dû « en particulier à une personne qui a payé en trop ou qui n’est pas satisfaite d’un produit ou d’un service » (8). Cette lecture du terme « refund » correspond à différentes versions linguistiques de cette disposition (9).

22.      Dès lors, le « remboursement » des paiements effectués ne saurait être compris comme permettant à l’organisateur de procéder à un paiement différé, tel qu’un bon à valoir.

23.      Ensuite, cette acception est confirmée par le contexte dans lequel s’inscrit l’article 12 de la directive 2015/2302, qui fait partie du chapitre III de cette directive. Au même chapitre, l’article 11 régit la modification des autres clauses du contrat de voyage à forfait. Cet article prévoit, à son paragraphe 2, que, dans certaines circonstances, y compris dans l’hypothèse où l’organisateur se trouve contraint de modifier, de façon significative, une ou plusieurs des caractéristiques principales des services de voyage visées à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 2015/2302, le voyageur peut accepter les modifications proposées ou résilier le contrat sans payer de frais de résiliation. Si le voyageur résilie le contrat de voyage à forfait, il peut accepter un autre forfait dans le cas où cela est proposé par l’organisateur. L’article 11, paragraphe 5, de la directive 2015/2302 prévoit que, si le voyageur n’accepte pas d’autre forfait, l’organisateur rembourse tous les paiements effectués par le voyageur. Ainsi que l’a relevé le gouvernement français dans ses observations écrites, cette disposition serait privée de tout effet s’il était loisible à l’organisateur de délivrer au voyageur un bon à valoir au lieu de lui rembourser les paiements effectués. Il s’ensuit que, dans l’économie de la directive 2015/2302, le « remboursement » au voyageur couvre son droit de percevoir en argent les paiements effectués. Un voyage à forfait de substitution ou un bon à valoir ne devrait alors pas être considéré comme un « remboursement » en équivalence.

24.      En outre, l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 prévoit que le remboursement est effectué « sans retard excessif et en tout état de cause dans les quatorze jours au plus tard après la résiliation du contrat de voyage à forfait ». Ainsi que le souligne en substance la Commission dans ses observations écrites, il découle de cette disposition que le voyageur est en droit de percevoir les sommes rapidement afin de pouvoir en disposer immédiatement et selon son gré.

25.      Cette interprétation est également corroborée par la genèse de l’article 12 de la directive 2015/2302, qui s’inscrit dans le contexte de la modernisation des règles contenues dans la directive 90/314/CEE (10). L’article 4, paragraphe 6, de la directive 90/314 prévoyait que, lorsque le consommateur résilie le contrat en cas de modification importante des éléments du forfait ou que, pour quelque cause que ce soit, à l’exclusion d’une faute du consommateur, l’organisateur annule le forfait avant la date de départ convenue, le consommateur a droit soit à un autre forfait, soit au remboursement dans les meilleurs délais de toutes les sommes versées par lui en vertu du contrat. Toutefois, l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 ne prévoit qu’une seule option, à savoir celle d’un « remboursement » des paiements effectués. Rien n’indique que ce « remboursement » puisse être remplacé contre la volonté du voyageur par un bon à valoir ou par un paiement autre qu’en argent.

26.      D’autres instruments législatifs dans le domaine des droits des voyageurs et des consommateurs prévoient explicitement le bon à valoir en tant que mode de remboursement, mais uniquement comme une option pour le voyageur. Tel est le cas en ce qui concerne les droits des passagers aériens prévus par le règlement (CE) no 261/2004 (11). L’article 7, paragraphe 3, de ce règlement distingue deux possibilités d’indemnisation, soit en espèces (par virement bancaire électronique, par virement bancaire ou par chèque), soit, avec l’accord signé du passager, sous forme de bons de voyage et/ou d’autres services. Pour ce qui est des droits des voyageurs ferroviaires, l’article 17, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1371/2007 (12) prévoit que l’indemnisation peut être payée sous la forme de bons et/ou d’autres services si les conditions sont souples (notamment en ce qui concerne la période de validité et la destination). Elle est payée en espèces à la demande du voyageur. Le même droit est conféré aux passagers maritimes en vertu de l’article 19, paragraphe 5, du règlement (UE) no 1177/2010 (13). Enfin, dans le domaine des droits des consommateurs prévus par la directive 2011/83/UE (14), il ressort du considérant 46 de cette directive que le remboursement des paiements reçus de la part du consommateur ne doit pas se faire au moyen d’un bon d’achat, sauf si le consommateur a utilisé des bons d’achat pour la transaction initiale ou les a expressément acceptés.

27.      Enfin, l’interprétation selon laquelle un remboursement au moyen d’un bon à valoir obligatoire n’est pas compatible avec l’article 12 de la directive 2015/2302 est corroborée par l’objectif poursuivi par cette directive. Comme indiqué au considérant 7 de ladite directive, les voyageurs qui achètent des forfaits sont, dans leur majorité, des consommateurs au sens du droit de la consommation de l’Union. La directive 2015/2302 est une mesure qui vise à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs selon la lecture combinée de l’article 169, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), et de l’article 114, paragraphe 3, TFUE, lus à la lumière de l’article 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (15). Une interprétation large du terme « remboursement » pour y inclure les bons à valoir serait susceptible de porter atteinte à cet objectif.

28.      Le gouvernement slovaque adopte un point de vue différent de celui suggéré dans les présentes conclusions. Il fait valoir que certaines versions linguistiques, dont la version en langue anglaise, opèrent une distinction entre « refund » (restitution) et « reimbursement » (remboursement) des paiements effectués. Il estime que l’utilisation des deux termes différents donne à penser que les « reimbursements » se font en espèces, alors que le « refund » peut également inclure la proposition d’un bon à valoir (au choix de l’organisateur). L’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 se réfère à l’obligation de l’organisateur de procéder aux « remboursements » requis en vertu des paragraphes 2 et 3 ou, au titre du paragraphe 1, de « rembourser » (« reimburse ») tous les paiements effectués par le voyageur pour le forfait moins les frais de résiliation appropriés. L’obligation de procéder à un « refund » prendrait naissance au moment de la résiliation du contrat de voyage à forfait, notamment en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables, en vertu de l’article 12, paragraphes 2 et 3, de la directive 2015/2302. L’obligation de procéder à des « reimbursements » prendrait naissance au moment où le voyageur résilie le contrat de voyage à forfait moyennant, le cas échéant, le paiement de frais de résiliation appropriés et justifiables.

29.      Cependant, rien dans l’utilisation des termes « refund » et « reimbursement » n’indique que l’organisateur est en droit de procéder au remboursement sous la forme d’un bon à valoir obligatoire. Ainsi que je l’ai relevé au point 21 des présentes conclusions, le terme anglais « refund » signifie le remboursement de sommes d’argent, et il est plus particulièrement utilisé lorsque la personne qui demande le remboursement n’est pas satisfaite d’un produit ou d’un service.

30.      En tout état de cause, il est de jurisprudence constante que la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques (16). Dans les versions en langues espagnole, grecque et française, l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 emploie le même terme pour le remboursement des paiements reçus, indépendamment de la cause de résiliation du contrat. Dès lors, l’emploi de deux termes dans certaines versions linguistiques seulement ne saurait conduire à une conclusion différente de celle qui peut être clairement déduite du contexte et de la finalité de cette directive.

31.      Par conséquent, j’estime que l’obligation de l’organisateur de rembourser le voyageur en vertu de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 ne couvre qu’un remboursement en argent, à l’exclusion de toute autre solution imposée par l’organisateur, notamment sous la forme d’un bon à valoir.

32.      Le voyageur ne saurait renoncer à son droit au remboursement en argent. En effet, l’article 23 de la directive 2015/2302 prévoit que les voyageurs ne peuvent pas renoncer aux droits qui leur sont conférés par les mesures nationales de transposition de cette directive. Cela étant, le caractère impératif de la directive 2015/2302 n’empêche pas l’organisateur de proposer au voyageur un bon à valoir facultatif qu’il est libre d’accepter après la survenance du fait générateur du droit au remboursement. Ainsi que le précise la recommandation (UE) 2020/648 de la Commission (17), la possibilité pour l’organisateur de proposer un bon à valoir « ne prive pas les voyageurs de leur droit au remboursement en espèces ». Dès lors, un bon à valoir obligatoire n’est pas compatible avec le caractère impératif de la directive 2015/2302.

33.      Ces considérations m’amènent à conclure que l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 doit être interprété comme obligeant l’organisateur d’un voyage à forfait, en cas de résiliation du contrat, à procéder au remboursement en argent des paiements effectués et comme s’opposant à ce que cet organisateur impose une autre solution, en particulier sous la forme d’un bon à valoir d’un montant égal à celui des paiements effectués. Toutefois, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le voyageur choisisse de recevoir un tel bon après la survenance du fait générateur du droit au remboursement.

 Sur la deuxième question

34.      En cas de réponse affirmative à la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID‑19 et son incidence exceptionnelle sur le secteur du tourisme justifient, et le cas échéant dans quelles conditions et selon quelles limites, une dérogation à l’obligation, pour l’organisateur, de rembourser au voyageur l’intégralité des paiements effectués pour le voyage à forfait dans un délai de quatorze jours après la résiliation du contrat, telle que prévue à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302.

35.      Afin d’apporter une réponse utile à la question posée par la juridiction de renvoi, j’examinerai successivement différents aspects de l’incidence de l’urgence de santé publique sur la portée et l’exercice des droits prévus par la directive 2015/2302. Le premier consiste à savoir si des restrictions éventuelles à la liberté de circulation adoptées par les États membres en raison de la pandémie de COVID-19 sont de nature à justifier une dérogation à l’obligation de remboursement de l’organisateur. Le deuxième porte sur la question de savoir si la pandémie correspond à une situation qui ne relève pas des circonstances « exceptionnelles et inévitables » prévues par la directive 2015/2302. Le troisième se rapporte à l’applicabilité de la directive 2015/2302 dans le contexte d’une pandémie. Le quatrième concerne la question de savoir si une situation d’urgence de santé publique est de nature à justifier une dérogation à une disposition spécifique du droit dérivé de l’Union pour cause de force majeure.

 a)      Sur les restrictions à la liberté de circulation et l’incidence sur les droits et obligations découlant du droit dérivé de l’Union

36.      Une question liminaire à aborder à propos d’une éventuelle dérogation au droit de l’Union en raison de la pandémie concerne l’incidence de toute restriction sur la liberté de circulation des citoyens de l’Union européenne. La protection de la santé publique, de l’ordre public et de la sécurité publique est susceptible de justifier la restriction des droits et libertés prévus par le droit de l’Union en matière de libre circulation des personnes (18). Une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure peut justifier la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures selon le code frontières Schengen (19). En outre, « [d]ans une situation extrêmement critique, un État membre peut identifier la nécessité de réintroduire les contrôles aux frontières en réaction au risque présenté par une maladie contagieuse » (20). La protection de la santé publique, qui relève de la compétence des États membres en vertu de l’article 168, paragraphe 7, TFUE, peut justifier l’adoption de nouvelles restrictions à la libre circulation. De telles restrictions devraient toutefois « respecter les principes du droit de l’UE, en particulier ceux de proportionnalité et de non‑discrimination » (21). Au cours de la pandémie, l’Union a cherché à éviter l’impact des mesures unilatérales des États membres, sources de perturbations non négligeables pour les entreprises et les citoyens, et à assurer la coordination entre les États membres (22).

37.      La question particulière que soulève la présente affaire est celle de savoir si une dérogation justifiée à la libre circulation dans l’Union peut, elle aussi, justifier d’autres dérogations à une disposition spécifique du droit dérivé de l’Union qui implique l’exercice du droit à la libre circulation. À cet égard, il convient de rappeler que la directive 2015/2302 harmonise les droits et devoirs qui découlent des contrats relatifs à des voyages à forfait pour faciliter la création d’un véritable marché intérieur des consommateurs (23).

38.      La pandémie de COVID-19 a conduit les États membres à réintroduire le contrôle aux frontières et à adopter d’autres mesures en matière de santé publique qui ont eu une incidence non négligeable sur la libre circulation des personnes et des services. Dans ces conditions, il pourrait être soutenu que, si les États membres sont en mesure de justifier exceptionnellement la restriction à la liberté de circulation, ils devraient pouvoir adopter d’autres mesures dans le domaine du droit dérivé harmonisé de l’Union, qui implique la libre circulation, pour faire face aux effets « d’entraînement » des restrictions à cette liberté.

39.      Toutefois, si une exception aussi large, non prévue par les traités, était reconnue, elle porterait gravement atteinte à la primauté du droit de l’Union, à son caractère contraignant et à son application uniforme. Poussée jusqu’à sa conclusion logique, une telle exception pourrait laisser supposer que le droit de l’Union n’est pas applicable lors d’une urgence de santé publique (24).

40.      Au lieu de cela, depuis le début de la pandémie, les institutions de l’Union se sont efforcées de promouvoir la coordination. Les actions unilatérales auxquelles certains États membres ont eu recours au début de la pandémie ont progressivement cédé la place à des mesures coordonnées (25). En effet, comme le souligne la Commission dans l’une de ses communications relatives à la stratégie vaccinale de l’Union, « [l]’unité et la préservation du fonctionnement du marché unique sont au cœur de la réponse européenne forte à la pandémie de COVID‑19 » (26). Il convient également de relever que les mesures de relance en réponse à la crise de la COVID-19 ont donné lieu au plus grand plan de relance jamais réalisé, à savoir le NextGenerationEU.

41.      Eu égard à ce qui précède, j’estime que d’éventuelles dérogations au droit de l’Union en matière de libre circulation ne sauraient justifier des dérogations à une disposition spécifique du droit dérivé de l’Union et, plus particulièrement, au droit du voyageur de bénéficier d’un remboursement tel que prévu à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302.

42.      Après l’examen de cette question liminaire, je m’interrogerai sur la manière dont l’urgence de santé publique causée par la pandémie de COVID-19 s’inscrit dans le système de la directive 2015/2302.

 b)      Sur les « circonstances exceptionnelles et inévitables » et le « cas de force majeure »

43.      La directive 2015/2302 prévoit, à son article 12, paragraphe 2, le droit pour le voyageur de résilier le contrat sans payer de frais de résiliation si « des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination ». L’organisateur peut également résilier le contrat de voyage à forfait, conformément à l’article 12, paragraphe 3, sous b), de cette directive, lorsque, notamment, il est empêché d’exécuter le contrat en raison de « circonstances exceptionnelles et inévitables ». En tout état de cause, le voyageur a le droit d’obtenir un remboursement intégral des paiements effectués. Afin de déterminer le droit du voyageur de bénéficier d’un remboursement conformément à ladite directive dans le cadre de la pandémie de COVID-19, il convient donc de spécifier, au préalable, si cette pandémie doit être considérée comme relevant, en général, de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » (27).

44.      La notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » est définie à l’article 3, point 12, de la directive 2015/2302 comme une « situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ». Le considérant 31 de cette directive donne quelques illustrations d’événements qui relèvent de cette notion, au nombre desquels figurent des « risques graves pour la santé humaine, comme l’apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination ». L’apparition de la pandémie de COVID-19 a présenté des risques importants pour la santé humaine, non seulement sur le lieu de destination de voyage en cause, mais dans le monde entier. Une pandémie répond, de manière générale, aux éléments constitutifs de la définition des « circonstances exceptionnelles et inévitables ». En effet, il s’agit d’une situation qui échappe à tout contrôle et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

45.      Toutefois, le gouvernement français fait valoir que la pandémie constitue un cas de force majeure qui ne saurait être assimilé aux « circonstances exceptionnelles et inévitables » visées par ladite directive. Ce gouvernement affirme, en substance, que l’ampleur extraordinaire de la pandémie de COVID‑19 en fait une situation qui va au-delà des « circonstances exceptionnelles et inévitables ». Les gouvernements tchèque, italien et slovaque soutiennent que la directive 2015/2302 n’a pas vocation à s’appliquer à la pandémie de COVID-19. Ainsi, les États membres demeurent compétents pour prévoir des obligations contractuelles différentes de celles énoncées à l’article 12, paragraphe 4, de cette directive.

46.      À l’appui de sa position, le gouvernement français rappelle les éléments constitutifs de la notion de « force majeure », qui, conformément à la jurisprudence, recouvre des « circonstances étrangères à celui qui l’invoque, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées » (28). Il soutient que la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » ne « se substitue [pas] intégralement » à la notion de « force majeure », qui demeure en dehors du champ d’application de la directive 2015/2302.

47.      À ce sujet, le gouvernement français relève que la notion de « force majeure » est absente de l’article 12 de la directive 2015/2302. En outre, il souligne que la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » telle que définie à l’article 3, point 12, de la directive 2015/2302 n’est pas identique à celle de « force majeure », car elle n’exige pas que de telles circonstances soient « anormales et imprévisibles ». Selon lui, une lecture combinée de l’article 12, paragraphe 4, et du considérant 31 de la directive 2015/2302 permet de considérer que cette directive englobe des événements extraordinaires qui sont isolés et d’une portée limitée dans l’espace et dans le temps. Il estime que ladite directive n’envisage pas d’événements extraordinaires ayant un impact et une ampleur sur le plan mondial. Une telle interprétation serait compatible avec l’effet utile de l’article 12 de la directive 2015/2302, qui repose sur l’hypothèse selon laquelle l’organisateur peut supporter les conséquences financières de la résiliation du contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables. Si cette disposition s’appliquait même dans le cadre d’une pandémie qui paralyse l’activité commerciale des organisateurs de voyages à forfait, cela irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par cette directive, qui est de préserver la compétitivité des entreprises tout en assurant un niveau élevé de protection des consommateurs.

48.      À cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que la notion de « force majeure », n’ayant pas un contenu identique dans les divers domaines d’application du droit de l’Union, doit être déterminée en fonction du cadre légal dans lequel elle est destinée à produire ses effets (29). J’estime que, dans le contexte juridique de la directive 2015/2302, la notion de « force majeure » est englobée par celle de « circonstances exceptionnelles et inévitables ».

49.      Tout d’abord, ainsi que je l’ai précédemment mentionné, la pandémie répond, de manière générale, aux éléments constitutifs de la définition des « circonstances exceptionnelles et inévitables ». Rien dans la directive 2015/2302 n’indique qu’un événement qui relève de cette notion doit néanmoins être exclu s’il s’agit d’un événement de grande ampleur ou s’il est particulièrement extraordinaire. Je ne suis pas convaincue qu’une conclusion différente puisse être tirée de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2015/2302, qui énonce le droit du voyageur de résilier le contrat de voyage à forfait en cas de « circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci ». En effet, cette partie de la phrase met l’accent sur la nécessité d’examiner la situation au lieu d’exécution du voyage à forfait, à savoir le lieu de destination, pour apprécier la survenance des circonstances exceptionnelles et inévitables. Il ne s’agit toutefois pas d’exclure les événements qui se produisent non seulement au lieu de destination mais aussi ailleurs.

50.      Ensuite, il me semble important de souligner que la Cour traite avec prudence les tentatives des transporteurs d’invoquer une catégorie distincte d’événements particulièrement extraordinaires qui leur permettraient d’échapper à leurs obligations. J’évoquerais, à cet égard, un exemple du domaine des droits des passagers aériens. Dans le célèbre arrêt McDonagh (30), relatif à l’éruption du volcan Eyjafjallajökull, la Cour a jugé que « [l]e règlement no 261/2004 ne contient aucune indication permettant de conclure qu’il reconnaît, au-delà des “circonstances extraordinaires” mentionnées à l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, [une catégorie distincte d’événements] “particulièrement extraordinaires” qui aurait pour conséquence d’exonérer le transporteur aérien de toutes ses obligations » (31).

51.      L’application par analogie du raisonnement développé dans l’arrêt McDonagh (32) à la directive 2015/2302 conduirait à considérer que rien dans cette directive ne permet de conclure qu’elle reconnaît une catégorie distincte d’événements au-delà des « circonstances exceptionnelles et inévitables » visées à l’article 3, point 12, de celle-ci. Cela est d’autant plus vrai que ladite directive, en vertu de son article 4, procède à une harmonisation complète des droits et obligations des parties au contrat de voyage à forfait.

52.      L’interprétation de la directive 2015/2302 comme reconnaissant une catégorie distincte de circonstances particulièrement extraordinaires, telles que la pandémie de COVID-19, qui sont exclues de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » pourrait donner lieu à des résultats contradictoires compromettant à terme la cohérence du système mis en place par cette directive. En effet, les parties auraient le droit de résilier le contrat si le risque pour la santé humaine survenait sur le lieu de destination et avait des conséquences sur l’exécution du contrat de voyage à forfait, mais resteraient liées par le contrat en cas de risque important pour la santé humaine causé par la pandémie, alors même que la réalisation du voyage à forfait serait gravement compromise. En outre, l’organisateur serait en droit de refuser d’indemniser le préjudice s’il est établi que le défaut d’exécution du contrat de voyage à forfait était dû à des « circonstances exceptionnelles et inévitables » survenues sur le lieu de destination, conformément à l’article 14, paragraphe 3, sous c), de la directive 2015/2302, mais ne serait pas en droit de le faire en cas de pandémie.

53.      Cela m’amène à constater que l’interprétation proposée par le gouvernement français aurait pour effet de remettre en cause l’économie et la finalité essentielle de la directive 2015/2302, qui est de permettre aux voyageurs et aux professionnels de tirer pleinement profit du marché intérieur, tout en assurant un niveau élevé de protection des consommateurs (33). Elle créerait également une insécurité juridique majeure en ce qu’elle vise à distinguer les cas de force majeure, d’une part, et les « circonstances exceptionnelles et inévitables », d’autre part, sans aucune frontière claire entre les deux.

54.      Cette interprétation est également corroborée par la genèse de la directive 2015/2302. L’article 4, paragraphe 6, de la directive 90/314 prévoyait la possibilité pour l’organisateur de résilier le contrat avant la date de départ convenue. Dans ce cas, le voyageur avait droit à un dédommagement versé par l’organisateur, sauf lorsque « l’annulation, à l’exclusion d’une surréservation, [était] imputable à un cas de force majeure, à savoir à des circonstances étrangères à celui qui l’invoque, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées ». Aucune possibilité d’annulation comparable n’était reconnue au voyageur. La directive 2015/2302 a comblé cette lacune et a conféré ce même droit aux voyageurs. Le législateur a donc entendu accorder des droits équivalents aux parties au contrat de voyage à forfait en cas de « circonstances exceptionnelles et inévitables ». Aucun élément ne permet de considérer que l’intention était de limiter le droit de résiliation des deux parties au contrat en excluant la force majeure du champ des « circonstances exceptionnelles et inévitables ».

55.      À cet égard, il importe de souligner que, alors que la proposition législative de la Commission (34) employait les termes « circonstances exceptionnelles et inévitables », le document de travail des services de la Commission accompagnant cette proposition (35) utilise, dans certains cas, la notion de « force majeure » (36). En outre, le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive 2015/2302 précise que « [l]a notion de “circonstances exceptionnelles et inévitables” remplace la notion de “force majeure” utilisées dans la directive de 1990 » (37). Partant, le rappel de la genèse de la directive 2015/2302 corrobore la thèse selon laquelle, dans le cadre de la directive 2015/2302, la « force majeure » est une notion équivalente à celle de « circonstances exceptionnelles et inévitables ».

56.      Au vu des considérations qui précèdent, je constate que, dans le contexte spécifique de la directive 2015/2302, la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » n’exclut pas la pandémie en tant que cas de force majeure.

 c)      Sur l’applicabilité de la directive 2015/2302 dans le contexte d’une pandémie

57.      Les gouvernements belge, tchèque, italien et slovaque ne distinguent pas entre « circonstances exceptionnelles et inévitables » et « cas de force majeure ». Toutefois, ils contestent, de manière plus générale, l’applicabilité de la directive 2015/2302 dans le contexte d’une pandémie. Ils font valoir, en substance, que cette directive vise les circonstances exceptionnelles et inévitables à l’échelle locale et d’une ampleur limitée, à l’exclusion d’une pandémie. À l’appui de cet argument, ils invoquent le considérant 31 de la directive 2015/2302, qui mentionne, parmi les exemples de circonstances exceptionnelles et inévitables ouvrant droit à la résiliation anticipée du contrat de voyage, l’existence de « risques graves pour la santé humaine, comme l’apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination » (38).

58.      À mon sens, il ne saurait être déduit du considérant 31 que le législateur a entendu limiter l’applicabilité de la directive 2015/2302 aux événements survenant au niveau local. Ce considérant ne donne qu’une liste indicative de cas de circonstances exceptionnelles et inévitables. Il semble plutôt conduire à une conclusion opposée à celle défendue par les gouvernements susmentionnés. Si la propagation d’une maladie grave sur le lieu de destination constitue une illustration de « circonstances exceptionnelles et inévitables », il devrait en être d’autant plus ainsi s’agissant de la propagation d’une maladie grave à l’échelle mondiale. Le même raisonnement peut s’appliquer à l’égard de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2015/2302, qui énonce le droit du voyageur de résilier le contrat de voyage à forfait si des circonstances exceptionnelles et inévitables, « survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui‑ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait ». Si le voyageur a le droit de résilier le contrat dans l’hypothèse où des circonstances exceptionnelles et inévitables survenant au niveau local ont des conséquences importantes sur la réalisation du voyage à forfait, il devrait a fortiori disposer du même droit lorsqu’un tel événement, qui se produit à l’échelle mondiale, a des conséquences importantes sur la réalisation du voyage à forfait.

59.      Cela étant, le législateur de l’Union peut prévoir différents droits et obligations pour les parties en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables en fonction de l’ampleur des perturbations. À cet égard, je rappelle que la directive 2015/2302 a été adoptée à la suite de la crise provoquée en 2010 par le nuage de cendres volcaniques qui a eu une incidence significative sur le secteur des voyages. Même si cette incidence n’est pas comparable à celle de la pandémie de COVID-19, elle aura été l’occasion pour le législateur de modifier la réglementation en conséquence. Tel a été le cas, notamment, en ce qui concerne la limitation de l’obligation de l’organisateur de supporter les coûts de l’hébergement nécessaire pour une durée maximale de trois nuitées par voyageur lorsqu’il est impossible, en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables, d’assurer le retour du voyageur comme prévu dans le contrat de voyage à forfait (article 13, paragraphe 7, de la directive 2015/2302). Dès lors, il me semble raisonnable de supposer que, si l’intention du législateur était de limiter, d’exclure ou de prévoir des dispositions différentes pour le droit du voyageur de bénéficier d’un remboursement dans les quatorze jours suivant la résiliation du contrat en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables entraînant un certain nombre de perturbations, il l’aurait fait de manière explicite.

60.      Les gouvernements tchèque et slovaque ont également soutenu que l’obligation de l’organisateur de rembourser le voyageur en vertu de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 n’est pas applicable compte tenu du champ d’application limité de la protection contre l’insolvabilité. L’article 17 de la directive 2015/2302 prévoit l’obligation pour les États membres de veiller à ce que les organisateurs établis sur leur territoire fournissent une garantie pour le remboursement de tous les paiements effectués par les voyageurs ou en leur nom dans la mesure où les services concernés ne sont pas exécutés en raison de l’insolvabilité des organisateurs. Cette garantie « est effective et couvre les coûts raisonnablement prévisibles » (39). Le considérant 40 de la directive 2015/2302 énonce qu’une protection efficace contre l’insolvabilité « ne devrait pas avoir à tenir compte de risques extrêmement ténus, par exemple l’insolvabilité simultanée de plusieurs des principaux organisateurs, lorsqu’une telle couverture aurait une incidence disproportionnée sur le coût de la protection, entravant ainsi son efficacité ». Dans de tels cas, ce considérant indique que « la garantie relative aux remboursements peut être limitée ». Ces deux gouvernements font valoir que, en cas de faillite massive des organisateurs, les voyageurs ne bénéficieraient d’aucun remboursement dans la mesure où leurs créances ne sont pas protégées.

61.      À cet égard, il ressort de l’article 17 de la directive 2015/2302 que l’obligation de l’organisateur de fournir une garantie pour le remboursement des paiements effectués vise la situation dans laquelle les services concernés ne sont pas exécutés en raison de l’insolvabilité des organisateurs. Cela signifie que la créance de remboursement est protégée lorsque le problème de liquidités est dû à l’insolvabilité de l’organisateur. Toutefois, dans le cas de la pandémie, les problèmes de liquidités découlent de demandes d’annulation généralisées, qui peuvent alors conduire à l’insolvabilité. C’est la raison pour laquelle la recommandation de la Commission sur les bons à valoir reconnaît que, si les organisateurs deviennent insolvables, « le risque existe que de nombreux voyageurs [...] ne bénéficient d’aucun remboursement, étant donné que leurs créances à l’égard des organisateurs [...] ne sont pas protégées » (40).

62.      Toutefois, le fait que la directive 2015/2302 n’opère pas une harmonisation en matière de protection contre l’insolvabilité à l’égard de créances de remboursement dans de telles situations ne permet pas de constater que l’article 12, paragraphe 4, de cette directive n’est pas applicable. Plus généralement, la directive 2015/2302 ne procède pas à une harmonisation des mesures de restructuration ou de protection contre la faillite des organisateurs de voyages. Certes, le droit matériel de l’insolvabilité, faute d’avoir fait l’objet d’une harmonisation au niveau du droit de l’Union, demeure à ce jour largement de la compétence des États membres. Ces derniers sont néanmoins tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union, y compris des libertés fondamentales garanties par le traité FUE (41). Dès lors, les mesures adoptées par les États membres afin d’atténuer les problèmes de liquidités des organisateurs de voyages devraient respecter l’essence du droit du voyageur de bénéficier d’un remboursement, conformément à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302. En outre, ces mesures devraient respecter le droit des aides d’État.

63.      En ce qui concerne le droit des aides d’État, la recommandation de la Commission sur les bons à valoir rappelle la possibilité pour les États membres de fournir aux opérateurs du secteur des voyages et des transports une aide de trésorerie pour s’assurer que les créances de remboursement liées à la pandémie de COVID-19 puissent être satisfaites. Cette recommandation fait référence à l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État (42) en tant que base de la compatibilité d’une telle aide avec les règles de l’Union en matière d’aides d’État.

64.      Au vu des considérations qui précèdent, j’estime que la directive 2015/2302 est applicable dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

 d)      Sur l’urgence de santé publique comme motif permettant aux particuliers de déroger à une disposition spécifique du droit dérivé de l’Union

65.      Il convient ensuite de se demander si, en cas d’urgence grave de santé publique, les organisateurs de voyages peuvent invoquer un cas de force majeure pour déroger à une disposition du droit dérivé de l’Union. Plus précisément, le gouvernement français fait valoir que l’article 12 de la directive 2015/2302 n’exclut pas la possibilité d’appliquer le principe de force majeure, tel que développé dans la jurisprudence de la Cour. À cet égard, il se réfère à l’arrêt rendu dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka (43), ainsi qu’à l’ordonnance rendue dans l’affaire Luxaviation (44).

66.      L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Billerud concernait des sociétés sanctionnées pour n’avoir pas restitué en temps utile leurs émissions de dioxyde de carbone. Ces sociétés faisaient valoir que le défaut de restitution qui leur était reproché avait été imputable à un dysfonctionnement administratif interne. Dans cet arrêt, la Cour, se référant à sa jurisprudence antérieure dans l’affaire Valsabbia/Commission (45), a dit pour droit que, « même en l’absence de disposition spécifique, la reconnaissance d’un cas de force majeure est possible lorsqu’une cause extérieure invoquée par des sujets de droit a des conséquences irrésistibles et inévitables au point de rendre objectivement impossible pour les personnes concernées le respect de leurs obligations » (46). La Cour a également précisé, à ce point 31, qu’il appartenait au juge national d’apprécier si l’exploitant concerné, malgré toutes les diligences qu’il aurait pu déployer afin de respecter les délais prescrits, a été confronté à des circonstances étrangères à lui, anormales et imprévisibles, allant au-delà d’un simple dysfonctionnement interne (47).

67.      Il ressort du contexte dans lequel s’inscrit l’arrêt Billerud que la cause d’exonération tirée de la force majeure, telle que reconnue dans cet arrêt, porte sur une possibilité limitée de déroger aux conséquences juridiques résultant du manquement à une obligation découlant du droit de l’Union.  Par la suite, je vais examiner si le raisonnement exposé dans cet arrêt est pertinent dans le cadre de la présente affaire, qui concerne la question d’une dérogation à une obligation découlant d’une disposition spécifique du droit de l’Union pour cause de force majeure.

68.      Aux points b) et c) de mon analyse des présentes conclusions, j’ai considéré qu’un cas de force majeure entrait dans le champ d’application de la directive 2015/2302 et qu’il relevait, de manière générale, de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables ». La directive 2015/2302 contient des dispositions spécifiques régissant la relation contractuelle en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables. Parmi ces dispositions figure l’article 12, paragraphes 2 et 3, de cette directive, qui prévoit le droit du voyageur ou de l’organisateur de résilier le contrat en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables. La résiliation du contrat, en vertu de l’article 12, paragraphe 4, a pour effet de faire naître l’obligation, pour l’organisateur, de rembourser au voyageur l’intégralité des paiements effectués au titre du voyage à forfait, sans retard excessif et en tout état de cause dans les quatorze jours au plus tard après la résiliation du contrat.

69.      Toutefois, le fait que la directive 2015/2302 contienne des dispositions spécifiques relatives à l’incidence des circonstances exceptionnelles et inévitables sur la relation contractuelle ne signifie pas nécessairement qu’il est impossible d’appliquer l’arrêt Billerud. Il en est ainsi dans la mesure où, dans le cas de la pandémie, les circonstances exceptionnelles et inévitables ont non seulement empêché les organisateurs d’exécuter le contrat, mais ont également eu des conséquences importantes sur leur capacité administrative à traiter les demandes de résiliation et sur leur capacité financière à procéder aux remboursements. De ce point de vue, il reste envisageable d’appliquer le principe établi dans l’arrêt Billerud.  Ce principe peut être compris comme permettant un certain degré de tolérance quant à l’application stricte de la loi (48). Des chercheurs qui étudient l’incidence de la COVID‑19 sur le droit et la politique de la consommation (49) ont développé la notion de « force majeure sociétale » afin de refléter l’« incidence collective de la pandémie sur tous les intérêts en présence ». Cette notion vise essentiellement à reconnaître que la pandémie a eu une incidence grave et inattendue tant sur les consommateurs que sur les entreprises et qu’elle est devenue préoccupante pour l’ensemble de la société.

70.      Dans de telles circonstances, le principe de force majeure tenant à l’impossibilité objective de se conformer au droit de l’Union, établi dans l’arrêt Billerud, pourrait être applicable de manière à offrir une possibilité très limitée de dispense temporaire du respect d’une obligation spécifique prévue dans un domaine harmonisé du droit dérivé de l’Union. Les organisateurs pourraient alors se prévaloir de la force majeure lorsque, malgré toutes les diligences qu’ils auraient pu déployer afin de respecter les délais prescrits à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302, la pandémie a des conséquences irrésistibles et inévitables entraînant des difficultés momentanément insurmontables au point de rendre objectivement impossible pour les personnes concernées le respect de leurs obligations découlant de cette disposition (50). À cet égard, un risque réel de faillite menaçant l’existence de l’organisateur invoquant la cause d’exonération tirée de la force majeure pourrait être pris en compte (51). Les organisateurs ne peuvent invoquer une situation de force majeure que pour la période nécessaire pour remédier à ces difficultés (52). En effet, dans le respect de telles limitations, l’application du principe général de force majeure tenant à l’impossibilité objective de se conformer au droit de l’Union dans le cadre du contrat de voyage ne constitue pas une clause générale d’exonération (ou une carte blanche). Elle ne peut permettre qu’une dérogation temporaire aux délais stricts et seulement pour la période nécessaire à la bonne organisation des remboursements.

71.      La question suivante est celle de savoir si le principe de force majeure tenant à l’impossibilité objective de se conformer au droit dérivé de l’Union pourrait permettre aux organisateurs de différer le remboursement sous la forme d’un bon à valoir. D’un point de vue contractuel, la proposition de délivrer un bon est une forme d’adaptation du contrat. La proposition du bon a pour effet de préserver la relation contractuelle. Le bon a effectivement pour effet de reporter l’exécution à un stade ultérieur, lorsque les circonstances permettront de reprendre le voyage. La compatibilité d’une telle adaptation contractuelle avec la directive 2015/2302 dépendra des caractéristiques spécifiques du bon à valoir.

72.      Dans la présente affaire, le bon à valoir présentant les caractéristiques prévues dans l’ordonnance attaquée n’apparaît pas compatible avec la directive 2015/2302. Plus particulièrement, la proposition d’un tel bon ne semble pas rétablir l’équilibre entre les parties au regard de la situation de force majeure. Il s’agit plutôt de désavantager une partie au contrat, à savoir le voyageur. Comme l’écrit un commentateur, « il est excessif d’obliger le client à payer la contrepartie contractuelle alors qu’il ne le souhaite pas » (53). Tel est particulièrement le cas compte tenu de la durée de validité du bon, qui est de 18 mois. Ce n’est qu’à l’issue de cette période que le voyageur dispose de la possibilité d’exercer son droit au remboursement sans qu’il existe de garantie contre l’insolvabilité de l’organisateur. En outre, il incombe au voyageur de faire les démarches nécessaires pour recevoir son argent à l’issue de cette période. Toute renégociation du contrat devrait profiter aux deux parties. La doctrine souligne à juste titre que les organisateurs de voyages et les consommateurs devraient « bénéficier mutuellement d’un système de bons à valoir », ce qui serait le cas « si les organisateurs de voyages offr[aient] au consommateur quelque chose en plus de ce à quoi il a droit légalement » (54).

73.      En définitive, l’adaptation du contrat en présence d’une situation de force majeure dépendra des circonstances de chaque espèce au regard du principe de bonne foi (55). Dans le contexte de la pandémie, et plus précisément au tout début, l’incidence de la résiliation du contrat sur l’autre partie ne saurait être totalement ignorée. Étant donné l’ampleur de ces annulations, même les organisateurs qui avaient la capacité financière de rembourser tous les voyageurs auraient dû disposer d’au moins un certain temps pour traiter le remboursement des paiements effectués (56). Lors de l’audience, la Commission a admis que, aux premiers stades de la pandémie, la majorité des voyageurs ont réagi à la situation avec pragmatisme et ne s’attendaient pas à être remboursés dans le délai serré de quatorze jours applicable dans des circonstances normales. Pour autant qu’ils aient reçu des informations suffisantes sur les conditions de leur remboursement, ils seraient disposés à attendre pendant une période raisonnable. Les deux parties au contrat de voyage à forfait devraient donc s’efforcer d’agir « de manière responsable et équitable » (57).

74.      Au vu de ce qui précède, je suis d’avis qu’un organisateur particulier peut se prévaloir de la force majeure dans des circonstances dans lesquelles, malgré toutes les diligences déployées pour respecter les délais, la pandémie de COVID‑19 a eu des conséquences irrésistibles et inévitables entraînant des difficultés momentanément insurmontables au point de rendre objectivement impossible pour l’organisateur de procéder au remboursement au titre de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302. L’organisateur ne peut invoquer une situation de force majeure que pour la période nécessaire pour remédier à ces difficultés. Toutefois, le moyen tiré de la force majeure tenant à l’impossibilité objective de se conformer au droit de l’Union ne permet pas aux organisateurs de délivrer un bon à valoir aux caractéristiques prévues dans l’ordonnance attaquée.

 e)      L’urgence de santé publique comme motif permettant aux États membres de déroger à une disposition spécifique du droit dérivé de l’Union

75.      S’il était admis que le raisonnement suivi dans l’arrêt Billerud peut s’appliquer lorsqu’il est objectivement impossible pour un organisateur particulier de se conformer à l’obligation de rembourser les paiements effectués par les voyageurs dans un délai de quatorze jours en raison de la pandémie de COVID‑19, une telle thèse n’apporterait pas pour autant une réponse appropriée dans le cas présent. En effet, la présente affaire ne concerne pas un litige entre particuliers. Elle porte sur la légalité d’une disposition législative en vertu de laquelle un État membre décide d’adopter une mesure dérogeant au droit dérivé de l’Union en réaction à la pandémie de COVID-19. Dès lors, je considère que les énonciations contenues dans l’arrêt Billerud ne sauraient automatiquement s’appliquer aux États membres.

76.      S’agissant du non‑respect par un État membre du droit de l’Union, il convient de rappeler que, dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour a exceptionnellement admis un cas de force majeure en tant que motif justifiant un tel manquement. La jurisprudence pertinente portait principalement sur l’absence de transposition d’un acte du droit de l’Union (58) ou sur la méconnaissance d’une obligation spécifique prévue par le droit dérivé de l’Union (59). Selon cette jurisprudence, « un État membre qui se heurte à des difficultés momentanément insurmontables l’empêchant de se conformer aux obligations résultant du droit de l’Union ne peut invoquer une situation de force majeure que pour la période nécessaire pour remédier à ces difficultés » (60).

77.      Dans la présente affaire, étant donné que ce n’est pas l’État membre mais l’organisateur de voyages qui supporte l’obligation à laquelle il est demandé de déroger, il pourrait être soutenu qu’il n’y a pas lieu de suivre la jurisprudence applicable aux recours en manquement. Or, si l’applicabilité de l’arrêt Billerud concernait un nombre élevé d’organisateurs et avait des conséquences sur un nombre très important de contrats, elle pourrait révéler un problème systémique et le besoin de disposer du temps nécessaire pour trouver une solution « systémique » pour faire face aux effets de la pandémie (61). Dans ces conditions, si un État membre rencontre des difficultés momentanément insurmontables pour appliquer, dans son ordre juridique, une disposition transposant le droit dérivé de l’Union, il devrait également pouvoir invoquer, à titre exceptionnel, une situation de force majeure.

78.      L’application par analogie de la cause d’exonération tirée de la force majeure à une situation dérogeant à une disposition spécifique du droit dérivé de l’Union devrait être soumise à des garanties particulièrement strictes. Elle ne devrait pas être comprise comme une clause générale d’exonération ou une carte blanche pour déroger au droit de l’Union. Il s’agit d’une dérogation très exceptionnelle, temporaire et limitée dans son champ d’application, lorsqu’il est objectivement impossible de se conformer au droit dérivé de l’Union. Par conséquent, je considère que, dans le contexte d’une « urgence sanitaire sans précédent » (62), telle que la pandémie de COVID-19, un État membre peut invoquer une situation de force majeure justifiant l’adoption d’une mesure dérogatoire en réaction à la pandémie s’il rencontre des difficultés momentanément insurmontables l’empêchant de respecter son obligation d’appliquer, dans son ordre juridique, une disposition spécifique du droit dérivé de l’Union. Toutefois, l’État membre ne peut se prévaloir de la force majeure que pour la période nécessaire pour remédier à ces difficultés. Les moyens choisis pour résoudre les difficultés insurmontables doivent respecter le principe général de proportionnalité. Il incombe à l’État membre qui se prévaut de la force majeure de démontrer qu’il est nécessaire de recourir à une dérogation pour résoudre les difficultés insurmontables rencontrées du fait de cette situation. À cet égard, l’État membre ne devrait avoir d’autre choix que de déroger temporairement au droit de l’Union.

79.      En l’occurrence, le gouvernement français fait valoir qu’il a été contraint de mettre en place une dérogation au droit de l’Union et, plus précisément, de permettre aux organisateurs de voyages de délivrer un bon au lieu d’un remboursement immédiat afin d’éviter des faillites en nombre de ces opérateurs. À cet égard, je formulerai les observations suivantes. Au cours des premières phases de la pandémie, les États membres se sont trouvés confrontés à des problèmes majeurs tenant à la santé de leurs populations et à l’économie. Compte tenu des circonstances, les gouvernements ont dû fixer un certain nombre de priorités, protéger les personnes vulnérables, soutenir les travailleurs en situation de chômage tout en veillant à ce que les entreprises les plus durement touchées par la pandémie ne s’effondrent pas. Lors de l’audience, le gouvernement tchèque a insisté sur le fait que l’urgence sanitaire obligeait les États membres à intervenir dans un grand nombre de domaines et à rééquilibrer les intérêts en présence au vu des circonstances. Il pourrait alors apparaître justifié pour un État membre d’imposer une suspension, limitée dans sa portée et dans le temps, de l’exercice de certains droits contractuels pendant la période strictement nécessaire pour permettre aux parties de s’adapter à une situation nouvelle et imprévue ou au gouvernement de trouver des solutions appropriées. De telles solutions seraient de nature à favoriser la continuité des contrats afin d’éviter des crises de liquidités dans l’économie sans faire peser une charge excessive sur les voyageurs qui ont droit au remboursement (63).

80.      Le gouvernement français affirme que la mesure dérogatoire litigieuse était applicable uniquement en ce qui concerne les contrats de voyage à forfait résiliés entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020. Elle n’a pas été prolongée après cette période, car il a été considéré que le secteur des voyages avait bénéficié du temps nécessaire pour s’adapter à la nouvelle situation. Certes, la dérogation était temporaire, dans la mesure où elle ne visait que les contrats résiliés dans le délai précité de six mois. Toutefois, ainsi que la Commission l’a longuement souligné dans ses observations orales, l’ordonnance attaquée empiétait rétroactivement sur le droit acquis et impératif des voyageurs de percevoir les sommes qu’ils avaient déjà versées. Compte tenu d’une telle incidence significative sur le contrat de consommation, il ne suffit pas d’invoquer le fait que la mesure n’est restée en vigueur que pendant une certaine période. Elle doit faire l’objet d’un contrôle particulier. À cet égard, je voudrais souligner deux caractéristiques du régime des bons à valoir prévu par l’ordonnance attaquée qui, combinées à l’effet rétroactif, peuvent signifier que ce régime est allé au-delà de ce qui était nécessaire pour faire face aux répercussions de la pandémie sur la résiliation des contrats de voyage. La première caractéristique concerne la durée de la suspension du droit au remboursement. L’ordonnance attaquée prévoit que l’organisateur peut proposer un bon au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la résiliation du contrat, dont la durée de validité est de dix-huit mois. Le consommateur ne peut exercer son droit au remboursement des paiements effectués en espèces qu’après l’expiration de ce délai de dix‑huit mois. Concrètement, l’ordonnance attaquée suspend le droit du voyageur de récupérer les sommes qu’il avait déjà versées, pour une période comprise entre dix-huit et vingt-et-un mois après la résiliation du contrat. Le gouvernement français n’a pas expliqué pourquoi il était nécessaire de priver les voyageurs de leur droit découlant de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 pendant une période minimale de dix-huit mois après l’émission du bon.

81.      La seconde caractéristique porte sur l’absence de tout avantage proposé aux voyageurs pour compenser l’atteinte grave à leur droit au remboursement. En effet, le régime des bons à valoir établi par l’ordonnance attaquée obligeait les voyageurs à supporter le risque des répercussions de la pandémie sur le contrat de voyage sans aucune mesure visant à compenser ce risque. À cet égard, je trouve particulièrement pertinent l’un des principes élaborés par l’European Law Institute (Institut de droit européen) pour la crise de la COVID-19 concernant la « force majeure et [le] hardship » et libellé comme suit : « Conformément au principe de solidarité, les États devraient veiller à ce que les conséquences de la rupture des relations contractuelles, telles que les annulations de voyages planifiés, ne soient pas à la charge exclusive d’une seule partie, en particulier d’un consommateur ou d’une PME » (64). En d’autres termes, l’argument « trop grand pour faire faillite » ne devrait pas être retenu lorsqu’il entraîne un désavantage pour le consommateur-citoyen.

82.      S’agissant d’autres solutions appropriées, il convient de se référer à la recommandation de la Commission sur les bons à valoir, qui comporte un volet spécifique sur les mesures de soutien et sur les aides d’État (65). Elle souligne la possibilité pour les États membres de fournir une aide aux opérateurs des secteurs du voyage et du transport afin de garantir que les demandes de remboursement résultant de la pandémie de COVID-19 soient satisfaites. Dans la mesure où les opérateurs du secteur du voyage nécessitent un soutien de trésorerie général, cette recommandation prévoit que les États membres peuvent également décider de mettre en place des régimes de soutien de trésorerie. À cet égard, il est fait référence à l’encadrement temporaire qui sert de base à la compatibilité de tout soutien de trésorerie avec les exigences de l’Union en matière d’aides d’État.

83.      L’encadrement temporaire, modifié six fois de suite, prévoit plusieurs types d’aides qui peuvent être évaluées au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b) (66), ou de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (67). S’agissant en particulier des indemnisations accordées aux entreprises du secteur du tourisme, il ressort de l’encadrement temporaire que les États membres peuvent notifier de telles mesures d’indemnisation de dommages et que la Commission les appréciera directement au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b) (68). Je tiens à souligner que la Commission s’est engagée à assurer un processus d’approbation « rapide » (69). Plusieurs États membres ont eu recours à l’encadrement temporaire et ont notifié des aides d’État destinées à soutenir les organisateurs de voyages à forfait, que la Commission a approuvées conformément à l’encadrement temporaire ou en vertu du traité (70).

84.      Il semblerait donc que le droit de l’Union ait offert aux États membres d’autres moyens pour résoudre les problèmes de liquidités des organisateurs. À l’appui de ce point, le gouvernement danois a pris, dans ses observations, l’exemple de la mise en place d’un système de crédit de soutien au secteur du voyage [« le Rejsegarantifonden » (fonds de garantie pour les voyages)]. Dans leurs réponses à une question de la Cour, les gouvernements ayant participé à l’audience ont exposé leur position quant à la possibilité de constituer un fonds similaire. Le gouvernement français a fait valoir qu’il n’était pas possible de transposer en France la solution adoptée par le gouvernement danois dès lors qu’aucun fonds comparable n’existait avant la crise sanitaire. En particulier, le gouvernement français a expliqué que, en France, l’activité d’assurance était limitée à un rôle de garant et n’avait pas pour objet d’accorder des prêts sans autorisation.

85.      Lors de l’appréciation des options dont dispose chaque État membre pour soutenir les organisateurs de voyages en réponse à la pandémie, il est nécessaire de tenir compte des différences structurelles de chaque pays. Toutefois, ce faisant, les États membres doivent respecter le principe de coopération loyale conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE. Ce principe s’impose tant aux États membres qu’aux institutions de l’Union. Lorsqu’un État membre notifie à la Commission les difficultés importantes qu’il rencontre dans l’application d’une disposition spécifique du droit de l’Union en raison d’une urgence de santé publique, la Commission a l’obligation de tenir dûment compte de ces difficultés et d’apporter son assistance à l’État membre concerné. Cela est d’autant plus vrai que le droit de l’Union ne dispose pas de son propre « régime d’urgence de l’Union » général (71).

86.      Il convient également de relever que, au cours des premiers mois de la pandémie, le droit de l’Union ne contenait aucune réglementation spécifique en matière de bons à valoir émis comme alternative au remboursement concernant les contrats de transport et de voyage à forfait résiliés (72). Le 5 mars 2020, avec une mise à jour le 19 mars 2020, la Commission a publié sur son site web, à titre informel, des informations sur l’application de la directive 2015/2302, confirmant le droit des voyageurs à obtenir un remboursement intégral et réaffirmant la possibilité qu’ils ont d’accepter un bon (73). Dans une lettre du 27 mars 2020 adressée à tous les États membres, le commissaire Reynders a réaffirmé le droit des voyageurs à bénéficier d’un remboursement. Il a évoqué la possibilité pour les voyagistes de proposer des bons à valoir à la condition que ces derniers ne soient pas obligatoires. Il a également suggéré que les États membres adoptent des mesures visant à renforcer la confiance des voyageurs dans le choix d’un bon à valoir (74).

87.      Dans le même temps, plusieurs États membres ont demandé à la Commission de suspendre le droit au remboursement dans les quatorze jours et/ou de le remplacer par une solution temporaire reposant sur l’utilisation de bons à valoir (75). Au lieu de cela, la Commission a réaffirmé qu’il ne fallait pas suspendre les droits des consommateurs et qu’« elle ne suivrait pas les appels en faveur d’une diminution de la protection des consommateurs » (76). Le 13 mai 2020, la Commission a publié sa recommandation sur les bons à valoir. Dans cette recommandation, la Commission reconnaît pleinement les graves répercussions des annulations en raison de la pandémie, les problèmes de liquidités des organisateurs ainsi que le risque que de nombreux voyageurs ne bénéficient d’aucun remboursement, étant donné que leurs créances à l’égard des organisateurs et des transporteurs ne sont pas protégées. La solution à ces problèmes consiste, selon cette recommandation, à rendre les bons à valoir plus attrayants pour les voyageurs. À cette fin, la Commission a invité les États membres à envisager l’adoption de régimes pour soutenir les opérateurs des secteurs des voyages et des transports dans le respect des règles de l’Union en matière d’aides d’État. La Commission a suggéré aux États membres d’envisager également l’adoption de mesures d’aides d’État temporaires dans les conditions énoncées dans l’encadrement temporaire.

88.      Lors de l’audience, la Commission a fait valoir que, dans d’autres domaines du droit (77), les institutions de l’Union ont jugé nécessaire et justifié de proposer au législateur de l’Union l’adoption d’une dérogation à des dispositions spécifiques du droit dérivé de l’Union. Toutefois, la décision a été prise de ne pas agir en ce sens en ce qui concerne l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302. La Commission a expliqué qu’une modification de la directive 2015/2302 porterait rétroactivement atteinte aux droits acquis des consommateurs. Par ailleurs, la Commission a souligné qu’environ la moitié des États membres ne jugeaient pas absolument nécessaire de modifier cette directive et qu’ils avaient réussi à s’adapter différemment à la situation. Indépendamment du choix politique effectué, j’estime que, compte tenu des vives préoccupations exprimées par différents États membres quant aux répercussions des résiliations généralisées de contrats de voyage, on pourrait s’attendre à la proposition d’un acte législatif (au lieu d’une recommandation) afin de faire face à la situation de manière coordonnée. Toutefois, cette seule observation ne signifie pas que les États membres sont libres d’introduire une dérogation unilatérale au droit de l’Union au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour surmonter une situation de force majeure.

89.      Une dernière réflexion concerne les leçons à tirer pour l’avenir. La nécessité de tenir compte des problèmes soulevés par la pandémie de COVID‑19 se reflète dans la révision en cours de la réglementation de l’Union en vigueur en matière de voyage à forfait. Comme annoncé dans son nouvel agenda du consommateur, la Commission s’est engagée à réaliser, d’ici à 2022, une « analyse plus approfondie de la question de savoir si le cadre réglementaire actuel régissant les voyages à forfait, notamment en ce qui concerne la protection contre l’insolvabilité, est toujours pleinement à même d’assurer à tout moment une protection solide et complète des consommateurs » (78). Toutefois, la Commission précise que cette appréciation « ne visera pas à diminuer la protection des consommateurs ».

90.      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime qu’il y a lieu de répondre à la deuxième question en ce sens que la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 et son incidence exceptionnelle sur le secteur du tourisme ne peuvent justifier une dérogation temporaire à l’obligation, pour l’organisateur, de rembourser au voyageur l’intégralité des paiements effectués pour le voyage à forfait dans un délai de quatorze jours après la résiliation du contrat de voyage à forfait, telle que prévue à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302, que pour la période nécessaire permettant à l’État membre de remédier aux difficultés insurmontables qui l’empêchent d’appliquer la disposition nationale transposant une telle obligation. Les moyens choisis pour remédier à ces difficultés doivent respecter le principe de proportionnalité. Il appartient à l’État membre qui invoque une situation de force majeure de prouver qu’il est nécessaire de recourir à une dérogation pour remédier aux difficultés de cet ordre rencontrées en raison de cette situation. À cet égard, il convient de vérifier qu’il n’existe pas de mesure alternative au recours à une dérogation au droit de l’Union. Toutefois, l’ordonnance attaquée semble aller au-delà de ce qui est nécessaire et proportionné pour faire face aux difficultés insurmontables rencontrées, notamment eu égard à son effet rétroactif, à la durée de la suspension du droit au remboursement et à l’absence d’avantage proposé au voyageur pour compenser l’effet rétroactif sur ses droits découlant du contrat de voyage à forfait.

 Sur la troisième question

91.      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, dans l’hypothèse où la Cour déciderait que l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302 doit être interprété comme s’opposant à une dérogation telle que celle instaurée par l’ordonnance attaquée, s’il est possible, dans les circonstances évoquées dans la deuxième question, de moduler les effets dans le temps d’une décision annulant une réglementation nationale contraire à cette disposition.

92.      À cet égard, il convient de rappeler que seule la Cour peut, à titre exceptionnel et pour des considérations impérieuses de sécurité juridique, accorder une suspension provisoire de l’effet d’éviction exercé par une règle du droit de l’Union à l’égard du droit national contraire à celle-ci. En effet, si des juridictions nationales avaient le pouvoir de donner aux dispositions nationales la primauté par rapport au droit de l’Union auquel ces dispositions contreviennent, serait-ce même à titre provisoire, il serait porté atteinte à l’application uniforme du droit de l’Union (79).

93.      Ainsi, ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves (80).

94.      Dans le présent cas, s’agissant du premier critère relatif au principe de bonne foi, il pourrait être soutenu que le gouvernement français a agi en tenant dûment compte de ce principe, au moins en ce qui concerne les premiers stades de la pandémie et au moins jusqu’à la publication de la recommandation de la Commission sur les bons à valoir. Certes, la Commission a communiqué sa position à la suite de l’apparition de la pandémie (81). Or, cette communication du 5 mars 2020 (avec une mise à jour du 19 mars 2020) constituait des « informations à titre informel » (82). La Commission a reconnu dans ses observations écrites qu’elle devait faire face à un certain nombre de difficultés liées à des problèmes d’insuffisance de la législation de l’Union en ce qui concerne les circonstances particulières de la crise. Pour ce faire, la Commission a estimé nécessaire de formuler des propositions législatives urgentes afin de s’adapter temporairement à la situation. Comme je l’ai précédemment mentionné dans le cadre de mon analyse de la deuxième question (83), en ce qui concerne la directive 2015/2302, plusieurs États membres ont demandé à la Commission de suspendre le droit au remboursement dans les quatorze jours et/ou de le remplacer par une solution temporaire reposant sur l’utilisation de bons à valoir.

95.      Dans ses observations écrites, la Commission indique que ses services ont évalué, au début de la pandémie, l’opportunité d’adopter des mesures spécifiques afin de protéger les organisateurs. La Commission a finalement décidé qu’il n’était pas opportun de faire une proposition législative en ce sens. Ainsi qu’elle l’a expliqué à l’audience, l’un des éléments déterminants de cette décision était la crainte qu’il soit porté rétroactivement atteinte aux contrats conclus par les voyageurs. Au lieu de cela, la Commission a adopté la recommandation sur les bons à valoir.

96.      Cet enchaînement d’événements indique, à mon avis, qu’au moins aux premiers stades de la pandémie, les États membres avaient des motifs raisonnables de considérer que le cadre législatif existant pouvait être adapté aux circonstances de la pandémie de COVID-19. Par conséquent, je suis d’accord avec le gouvernement belge que le gouvernement français a agi de bonne foi, du moins aux premiers stades de la pandémie, lorsqu’il a décidé d’adopter l’ordonnance attaquée. Toutefois, après la publication de la recommandation de la Commission sur les bons à valoir, la position du gouvernement français consistant à maintenir l’ordonnance attaquée n’apparaît plus convaincante.

97.      La seconde condition requise par la jurisprudence, mentionnée au point 93 des présentes conclusions, pour limiter les effets dans le temps d’un arrêt de la Cour est la constatation d’un « risque de troubles graves ». En l’occurrence, la juridiction de renvoi a relevé que la valeur des bons à valoir émis par les organisateurs de voyages français au 15 septembre 2020, date à laquelle l’ordonnance attaquée a cessé d’être applicable, était estimée à 990 millions d’euros, ce qui représente environ 10 % du chiffre d’affaires du secteur d’une année normale. Cependant, le fait que les organisateurs aient rencontré des problèmes de liquidités au début de la pandémie ne signifie pas qu’ils continuent à en rencontrer. À cet égard, il convient de souligner que, plus de deux ans après l’entrée en vigueur de l’ordonnance attaquée et deux ans après son expiration (le 15 septembre 2020), les moyens financiers dont disposent les États membres pour pallier les besoins de liquidités des organisateurs touchés par la pandémie sont bien établis (84). Il se peut que les organisateurs soient tenus de payer des intérêts sur les remboursements qui n’ont pas été effectués pendant la période d’applicabilité de l’ordonnance attaquée. Toutefois, ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement français ne se sont prononcés sur cet aspect, pas plus que sur la question de savoir si cette situation pourrait conduire à un « risque de troubles graves ».

98.      Dès lors, l’existence d’un risque de troubles graves découlant de l’interprétation retenue dans les présentes conclusions n’étant pas démontrée, il n’y a pas lieu de limiter les effets de l’arrêt dans le temps, les critères évoqués au point 93 des présentes conclusions étant cumulatifs (85).

99.      Afin d’apporter une réponse complète, il convient de rappeler que la Cour a reconnu, au cas par cas, et à titre exceptionnel, à une juridiction nationale la faculté d’aménager les effets de l’annulation d’une disposition nationale jugée incompatible avec le droit de l’Union dans le respect des conditions posées par la jurisprudence de la Cour (86).

100. La Cour a reconnu une telle possibilité dans le cadre d’une « considération impérieuse » liée à l’environnement, pour autant que certaines conditions définies par la jurisprudence soient remplies (87). La Cour a également admis, à titre exceptionnel, la possibilité de maintenir les effets de mesures dans le domaine du droit de l’environnement si ce maintien est justifié par des considérations impérieuses liées à la nécessité d’écarter une menace réelle et grave de rupture de l’approvisionnement en électricité de l’État membre concerné, à laquelle il ne pourrait être fait face par d’autres moyens et alternatives, notamment dans le cadre du marché intérieur (88). Ledit maintien ne peut couvrir que le laps de temps strictement nécessaire pour remédier à cette illégalité. L’application de cette jurisprudence est donc subordonnée à l’existence d’une « menace réelle et grave de perturbation de la sécurité d’approvisionnement énergétique ».

101. Dans l’affaire au principal, il paraît difficile de soutenir qu’il existe un intérêt majeur au moins comparable à l’approvisionnement en électricité d’un État membre. En outre, l’ordonnance attaquée n’est plus en vigueur. Dès lors, ainsi que le relève, en substance, la Commission, la limitation dans le temps des effets de l’arrêt de la Cour dans la présente affaire ne permettrait pas à l’administration de remédier à l’infraction constatée. Au contraire, elle aboutirait à une validation de facto de la violation du droit de l’Union.

102. Il convient également de souligner que les conséquences pratiques de l’annulation de l’ordonnance attaquée relèvent de la compétence de la juridiction de renvoi. Le dossier dont dispose la Cour ne contient pas d’indications sur l’incidence qu’aurait précisément cette annulation sur les organisateurs. En tout état de cause, les répercussions économiques de l’annulation ne suffiraient pas, à elles seules, à justifier la limitation des effets dans le temps de l’arrêt de la Cour (89).

103. À la lumière des considérations qui précèdent, j’estime qu’il convient de répondre à la troisième question en ce sens qu’il n’y a pas lieu de moduler dans le temps les effets d’une décision annulant une réglementation nationale contraire à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302.

 Conclusion

104. Eu égard à l’analyse qui précède, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État (France) de la manière suivante :

1)      L’article 12, paragraphe 4, de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil

doit être interprété en ce sens que :

en cas de résiliation d’un contrat de voyage à forfait, l’organisateur est tenu de procéder au remboursement en argent des paiements effectués et ne saurait imposer une autre solution, en particulier sous la forme d’un bon à valoir d’un montant égal à celui des paiements effectués. Toutefois, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le voyageur choisisse de recevoir un tel bon après la survenance du fait générateur du droit au remboursement.

2)      La crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 et son incidence exceptionnelle sur le secteur du tourisme ne peuvent justifier une dérogation temporaire à l’obligation, pour l’organisateur, de rembourser au voyageur l’intégralité des paiements effectués pour le voyage à forfait dans un délai de quatorze jours après la résiliation du contrat de voyage à forfait, telle que prévue à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302, que pour la période nécessaire pour permettre à l’État membre de remédier aux difficultés insurmontables qui l’empêchent d’appliquer la disposition nationale transposant une telle obligation. Les moyens choisis pour remédier à ces difficultés doivent respecter le principe de proportionnalité. Il appartient à l’État membre qui invoque une situation de force majeure de prouver qu’il est nécessaire de recourir à une dérogation pour remédier aux difficultés de cet ordre rencontrées en raison de cette situation. À cet égard, il convient de vérifier qu’il n’existe pas de mesure alternative au recours à une dérogation au droit de l’Union. Toutefois, l’ordonnance attaquée semble aller au-delà de ce qui est nécessaire et proportionné pour faire face aux difficultés insurmontables rencontrées, notamment eu égard à son effet rétroactif, à la durée de la suspension du droit au remboursement et à l’absence d’avantage proposé au voyageur pour compenser l’effet rétroactif sur ses droits découlant du contrat de voyage à forfait.

3)      Il n’y a pas lieu de moduler dans le temps les effets d’une décision annulant une réglementation nationale contraire à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2015/2302.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Morin, E., Changeons de voie, les leçons du coronavirus, Denoël, 2020, p. 25.


3      Twigg-Flesner, C., « The COVID-19 Pandemic : A Stress Test for Contract Law ? », Journal of European Consumer and Market Law (EuCML), vol. 9, 2020, p. 89 à 92.


4      Twigg-Flesner, C., « The Potential of the COVID-19 Crisis to Cause Legal “Disruption” to Contracts » dans Hondius, E., Santos Silva, M., Nicolussi, A., Salvador Coderch, P., Wendehorst, C., et Zoll, F. (éd.), Coronavirus and the Law in Europe, Intersentia, Cambridge, Antwerp, Chicago, 2021, p. 1091 et 1096.


5      Organisation mondiale du tourisme (OMT), Note de synthèse du Secrétaire général : « Tourisme et COVID-19 » (pouvant être consultée sur le site suivant : https://www.unwto.org/tourism‑and‑covid-19-unprecedented-economic-impacts).


6      Greene, A., Emergency Powers in a Time of Pandemic, Bristol University Press, Bristol, 2020, p. 7.


7      Voir arrêt du 18 mars 2021, Kuoni Travel (C‑578/19, EU:C:2021:213, points 36 et 37, ainsi que jurisprudence citée).


8      Définition du mot « refund » donnée par le Cambridge Dictionary.


9      C’est le cas du terme en langue espagnole « reembolso », du terme en langue allemande « Erstattung », du terme en langue française « remboursement » ou du terme en langue lettone « atmaksā ».


10      Directive du Conseil du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (JO 1990, L 158, p. 59).


11      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).


12      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires (JO 2007, L 315, p. 14).


13      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 concernant les droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure et modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 (JO 2010, L 334, p. 1).


14      Directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 304, p. 64).


15      Considérant 3 de la directive 2015/2302.


16      Arrêt du 7 avril 2022, I (Exonération de TVA des prestations hospitalières) (C‑228/20, EU:C:2022:275, point 47 et jurisprudence citée).


17      Recommandation du 13 mai 2020 concernant des bons à valoir destinés aux passagers et voyageurs à titre d’alternative au remboursement des voyages à forfait et des services de transport annulés dans le contexte de la pandémie de COVID-19, C/2020/3125 (JO 2020, L 151, p. 10, ci‑après la « recommandation de la Commission sur les bons à valoir »), considérants 9 et 15.


18      Voir Koutrakos, P., Nic Shuibhne, N., et Syrpis, P. (éd.), Exceptions from EU Free Movement Law – Derogations, Justification and Proportionality, Hart Publishing, 2016.


19      Articles 25 et suiv. du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1). Ainsi que la Cour l’a jugé et qu’il est rappelé au considérant 27 du code frontières Schengen, les exceptions et les dérogations à la libre circulation des personnes sont d’interprétation stricte [arrêt du 26 avril 2022, Landespolizeidirektion Steiermark (Durée maximale du contrôle aux frontières intérieures) (C‑368/20 et C‑369/20, EU:C:2022:298, point 64)].


20      Commission européenne, Covid-19 Lignes directrices relatives aux mesures de gestion des frontières visant à protéger la santé publique et à garantir la disponibilité des biens et des services essentiels, 2020/C 86 I/01 (JO 2020, C 86 I, p. 1), point 18.


21      Recommandation (UE) 2020/1475 du Conseil, du 13 octobre 2020, relative à une approche coordonnée de la restriction de la libre circulation en réaction à la pandémie de COVID‑19 (JO 2020, L 337, p. 3), considérant 10.


22      Recommandation 2020/1475, considérants 11 et 12.


23      Voir considérant 5 de la directive 2015/2302.


24      Voir déclaration 20/567 de la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, du 31 mars 2020, sur les mesures d’urgence prises dans les États membres, dans laquelle elle souligne : « [...] Pour maîtriser cette crise, nous devons tous collaborer, en ayant à cœur de préserver nos valeurs européennes et les droits de l’homme. C’est ce qui nous définit, ce pour quoi nous nous battons. »


25      Voir notes en bas de page 20 et 21 des présentes conclusions. Voir Dubout, E., Picod, F., « L’Union européenne au défi du coronavirus : le passage au “monde d’après” ? » dans Dubout, E., Picod, F. (dir.), Coronavirus et droit de l’Union européenne, Bruylant, 2021, p. 15, à la page 19.


26      Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil, Un front uni pour vaincre la COVID-19 [COM(2021) 35 final].


27      L’analyse est sans préjudice de l’appréciation individuelle des circonstances spécifiques de chaque cas déterminant si la pandémie peut être invoquée pour permettre la résiliation du contrat, conformément à l’article 12, paragraphes 2 et 3, de la directive 2015/2302.


28      Arrêt du 25 janvier 2017, Vilkas (C‑640/15, EU:C:2017:39, point 53).


29      Arrêt du 25 janvier 2017, Vilkas (C‑640/15, EU:C:2017:39, point 54).


30      Arrêt du 31 janvier 2013 (C‑12/11, EU:C:2013:43).


31      Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 30) (souligné par mes soins).


32      Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 30).


33      Considérants 5, 6 et 51 de la directive 2015/2302.


34      Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage assistées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE, et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil [COM(2013) 512 final].


35      Document de travail des services de la Commission, Rapport d’analyse d’impact accompagnant le document relatif aux voyages à forfait et aux prestations de voyage assistées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE, et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil.


36      Voir, notamment, sous le titre « Droit de résiliation des voyageurs », p. 136, « en cas de circonstances graves, imprévues et exceptionnelles (cas de force majeure) », ou p. 137, « force est de constater que les consommateurs gagneraient à obtenir le droit de décider eux-mêmes s’ils souhaitent partir en vacances en cas de force majeure, tel que le déclenchement d’un conflit violent ou une catastrophe écologique ».


37      Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées [(COM(/2021) 90 final]), note en bas de page 7.


38      Souligné par mes soins.


39      Article 17, paragraphe 2, de la directive 2015/2302.


40      Considérant 14 de cette recommandation.


41      Arrêt du 11 novembre 2021, MH et ILA (Droits à pension en cas de faillite) (C‑168/20, EU:C:2021:907, point 76).


42      Communication de la Commission – Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19, C/2020/1863 (JO 2020, C 91 I, p. 1, ci-après l’« encadrement temporaire »). Depuis son adoption, l’encadrement temporaire a été modifié à six reprises. Dans les présentes conclusions, je me réfère à la version consolidée informelle de l’encadrement temporaire, telle que modifiée le 18 novembre 2021, disponible à l’adresse suivante : https://competition‑policy.ec.europa.eu/state-aid/coronavirus/temporary-framework_fr.


43      Arrêt du 17 octobre 2013, Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka (C‑203/12, ci-après l’« arrêt Billerud », EU:C:2013:664, point 31).


44      Ordonnance du 26 mars 2020, Luxaviation (C‑113/19, EU:C:2020:228, point 55).


45      Arrêt du 18 mars 1980, Ferriera Valsabbia e.a./Commission (154/78, 205/78, 206/78, 226/78 à 228/78, 263/78, 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, EU:C:1980:81, point 140).


46      Arrêt Billerud (point 31).


47      Voir ordonnance du 26 mars 2020, Luxaviation (C‑113/19, EU:C:2020:228, point 56).


48      Les systèmes de droit des États membres prévoient, dans certains contextes et rapports juridiques, la possibilité de déroger aux rigueurs de la loi (voir arrêt du 14 février 1978, IFG/Commission, 68/77, EU:C:1978:23, point 11). Les principes pertinents incluent la clause de sauvegarde, l’impossibilité d’exécuter le contrat ou le changement de circonstances (voir Brunner, C., Force Majeure and Hardship under General Contract Principles : Exemption for nonperformance in international arbitration, Wolters Kluwer, The Netherlands, 2009, p. 435 et suiv.). Toutefois, la manière spécifique dont chaque juridiction applique ces principes varie considérablement (voir Bortolotti, F., Ufot, D., Hardship and Force Majeure in International Commercial Contracts : Dealing with unforeseen events in a changing world, International Chamber of Commerce, Paris, 2018).


49      COVID‑19 Consumer Law Research Group, « Consumer Law and Policy Relating to Change of Circumstances Due to the COVID‑19 Pandemic », Journal of Consumer Policy, 2020, 43(3), p. 437 à 450.


50      Voir, à cet égard, arrêt Billerud (point 31).


51      Voir, à cet égard, arrêt du 18 mars 1980, Ferriera Valsabbia e.a./Commission (154/78, 205/78, 206/78, 226/78 à 228/78, 263/78, 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, EU:C:1980:81, point 143).


52      Voir, à cet égard, arrêt du 19 décembre 2012, Commission/Italie (C‑68/11, EU:C:2012:815, point 64 et jurisprudence citée).


53      Bech Serrat, J. M., « Covid-19 Contractual Measures in Hospitality : Lessons from Problematic Regulation in Europe », EuCML, 2021, p. 48, à la page 51.


54      Loos, M. B. M., « One Day I’ll Fly Away… : Voucher Schemes for Cancelled Package Travel Contracts after the Outbreak of the Covid-19 Pandemic », EuCML, 2021, p. 122 et 124 (souligné par mes soins).


55      Voir Reich, N., General Principles of EU Civil Law, Intersentia, Cambridge, Antwerp, Portland, 2014, p. 189, pour une discussion approfondie sur la question de savoir si le principe de bonne foi pourrait être considéré comme un principe général « émergent » au niveau du droit des contrats de l’Union.


56      Voir Competition and Markets Authority (Autorité de la concurrence et des marchés, Royaume-Uni), « Guidance Statement on coronavirus (COVID-19), consumer contracts, cancellation and refunds », du 28 août 2020, cité par Stuyck, J., « La protection européenne des consommateurs face à la crise de la Covid-19 », dans Dubout, E., Picod, F., op. cit., note en bas de page 25, p. 295 et 305. Ces lignes directrices indiquent que, « aux premiers stades de la pandémie, les entreprises ont pu prendre plus de temps que d’habitude pour traiter les remboursements ». Voir Borghetti, J. S., « Non performance and the Change of Circumstances under French law », dans Hondius, E., e.a., op. cit., note en bas de page 4, p. 509 et 516, qui explique que, en droit français, un cas de force majeure ne peut jamais empêcher l’exécution d’une obligation pécuniaire. Toutefois, il ajoute que le code civil français « offre une certaine forme de soutien à la partie qui connaît des difficultés financières ».


57      Voir Cabinet Office du Royaume-Uni, « Guidance on responsible contractual behaviour in the performance and enforcement of contracts impacted by the Covid‑19 emergency », du 7 mai 2020, point 14, cité par Twigg-Flesner, C., op. cit., note en bas de page 4, p. 1104 (souligné par mes soins).


58      Arrêt du 13 décembre 2001, Commission/France (C‑1/00, EU:C:2001:687).


59      Arrêts du 17 septembre 1987, Commission/Grèce (70/86, EU:C:1987:374), et du 19 décembre 2012, Commission/Italie (C‑68/11, EU:C:2012:815).


60      Arrêt du 19 décembre 2012, Commission/Italie (C‑68/11, EU:C:2012:815, point 64 et jurisprudence citée).


61      Voir Ganuza, J. J., et Gómez Pomar, F., « Government Emergency Intervention in Private Contracts in Times of COVID-19 », dans Hondius, E., e.a., op. cit., note en bas de page 4, p. 567 et 571, soulignant que, « afin de faire face à l’urgence liée au coronavirus, les systèmes juridictionnels ne devraient pas être l’institution préférée pour intervenir dans les contrats, pas même en tant qu’arbitre pour régler les différends résultant de la décision unilatérale d’une partie au contrat de s’écarter du contrat ».


62      Recommandation 2020/1475, considérant 9.


63      Voir Ganuza, J. J., et Gómez Pomar, F., op. cit., note en bas de page 61, p. 593.


64      European Law Institute, ELI Principles for the Covid-19 Crisis, principe no 13, point 3.


65      Recommandation de la Commission sur les bons à valoir, points 15 et suiv.


66      L’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE est libellé comme suit : « 2. Sont compatibles avec le marché intérieur : [...] b) les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires. »


67      L’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE est libellé comme suit : « 3. Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur : [...] b) les aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre. »


68      Encadrement temporaire, point 15.


69      Encadrement temporaire, point 111. Dans ses observations orales, la Commission a cité l’exemple de l’approbation rapide du régime d’aide danois. Les autorités ont notifié le régime à la Commission le 28 mars 2020 et la Commission a adopté sa décision le 4 avril 2020.


70      Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, op. cit., note en bas de page 37, p. 17. Pour un aperçu détaillé de tous les régimes approuvés, voir fiche d’information intitulée « Coronavirus Outbreak – List of Member State Measures approved under Articles 107(2)b, 107(3)b and 107(3)c TFEU and under the State Aid Temporary Framework », pouvant être consultée à l’adresse suivante : https://ec.europa.eu/competition-policy/state-aid/coronavirus/temporary-framework_en.


71      Voir De Witte, B., « EU emergency law and its impact in the EU legal order », Common Market Law Review, 2022, p. 3 et 6, qui souligne que le droit de l’Union en matière d’urgence consiste en des compétences d’urgence spécifiques.


72      Voir également Bech Serrat, J. M., et Carvalho, J. M., « The impact of Covid-19 on EU Travel Law – Are vouchers here to stay ? », European Journal of Consumer Law, 1, 2022, p. 49.


73      Recommandation de la Commission sur les bons à valoir, considérant 12.


74      Recommandation de la Commission sur les bons à valoir, considérant 12.


75      Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, op. cit., note en bas de page 37, p. 15. Ce rapport cite comme exemple à cet égard la décision du gouvernement allemand du 2 avril 2020 de demander à la Commission de présenter, au niveau de l’Union, des propositions sur les voyages à forfait et les droits des passagers prévoyant le remplacement temporaire des remboursements en espèces par l’émission de bons à valoir en cas d’annulations liées à la COVID-19.


76      Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, op. cit., note en bas de page 37, p. 15.


77      Voir règlement (UE) 2020/1043 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020, relatif à la conduite d’essais cliniques avec des médicaments à usage humain contenant des organismes génétiquement modifiés [OGM] ou consistant en de tels organismes et destinés à traiter ou prévenir la maladie à coronavirus (COVID-19), ainsi qu’à la fourniture de ces médicaments (JO 2020, L 231, p. 12). Ce règlement prévoit des dérogations spécifiques à l’obligation de procéder à une évaluation des risques pour l’environnement en ce qui concerne les essais cliniques de médicaments expérimentaux à usage humain contenant des OGM ou consistant en des OGM destinés à traiter ou à prévenir la COVID-19.


78      Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Nouvel agenda du consommateur visant à renforcer la résilience des consommateurs en vue d’une reprise durable, COM(2020) 696 final, p. 3.


79      Arrêt du 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen (C‑411/17, EU:C:2019:622, point 177).


80      Arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité) (C‑439/19, EU:C:2021:504, point 132).


81      Voir point 86 des présentes conclusions.


82      Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, op. cit., note en bas de page 78, p. 14.


83      Voir point 87 des présentes conclusions.


84      Voir, en particulier, encadrement temporaire.


85      Voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité) (C‑439/19, EU:C:2021:504, point 136).


86      Arrêt du 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen (C‑411/17, EU:C:2019:622, point 178).


87      Arrêts du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, EU:C:2012:103, points 58 et suiv.), et du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, points 36 et suiv.).


88      Arrêt du 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen (C‑411/17, EU:C:2019:622, point 179).


89      Voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980), dans lequel la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29) doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale qui limite dans le temps les effets restitutoires, liés à la déclaration judiciaire du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel, aux seules sommes indûment versées en application d’une telle clause postérieurement au prononcé de la décision ayant judiciairement constaté ce caractère abusif. Cette constatation a été faite en dépit du fait que la jurisprudence nationale considérait que la rétroactivité de la déclaration de nullité des clauses en cause entraînerait des troubles économiques graves dans le secteur bancaire espagnol.