CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GERARD HOGAN
présentées le 30 septembre 2021 (1)
Affaire C‑139/20
Commission européenne
contre
République de Pologne
« Manquement d’un État membre aux obligations qui lui incombent – Article 258 TFUE – Directive 2003/96/CE – Cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Article 17 – Produits énergétiques utilisés par les entreprises grandes consommatrices d’énergie relevant du système d’échange de quotas d’émission de l’Union – Exonération du droit d’accise »
I. Introduction
1. Le besoin impérieux d’agir sur le changement climatique, associé au souci de réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en promouvant simultanément l’efficacité énergétique, fait partie des considérations qui ont conduit le législateur de l’Union à une série d’initiatives en matière environnementale. Si la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003 (2), invoque comme objectif principal le bon fonctionnement du marché intérieur en veillant à ce que les effets de distorsion potentiels de la concurrence fiscale entre les États membres dans le domaine de l’énergie soient ainsi évités (3), elle constitue également une telle mesure. Bien qu’elle prévoie certaines exonérations fiscales en faveur des entreprises grandes consommatrices d’énergie lorsque les États membres choisissent de faire usage de cette faculté, cette directive exige toutefois également la mise en œuvre de mesures particulières conduisant à la réalisation des objectifs de protection de l’environnement ou à l’amélioration de l’efficacité énergétique (4).
2. Dans la présente procédure en manquement introduite au titre de l’article 258 TFUE, la substance du grief avancé par la Commission européenne est que, dans sa législation nationale, la République de Pologne a exonéré sans distinction des entreprises de l’accise minimale sur la consommation des produits énergétiques destinés à des fins de chauffage sans les obliger à mettre en place des régimes pour la réalisation d’objectifs environnementaux ou d’efficacité énergétique autres que leur participation au système d’échange de quotas d’émission de l’Union, contrairement aux obligations prévues à l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96. La République de Pologne répond à ce grief en affirmant qu’une telle mesure est autorisée par l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphes 2 et 4, de cette directive et que, puisque la participation au système d’échange de quotas d’émission de l’Union est un prérequis de la législation nationale pertinente, elle n’a donc pas violé le droit de l’Union.
3. L’affaire porte donc sur l’interprétation des dispositions susmentionnées de l’article 17 de la directive 2003/96, dont je regrette de dire que la qualité rédactionnelle laisse beaucoup à désirer. Cependant, comme on le verra, cette affaire dépend également de la question de savoir si la Commission a établi une violation de ces dispositions au titre des moyens qu’elle a invoqués. Néanmoins, avant d’examiner ces arguments, il convient tout d’abord d’exposer le cadre juridique pertinent.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
La directive 2003/96
4. La directive 2003/96 établit des niveaux minimaux de taxation que les États membres doivent appliquer aux produits énergétiques et de l’électricité tels que définis à l’article 2 de la directive 2003/96. Selon l’article 2, paragraphe 1, sous b), de cette directive, ces produits comprennent les produits du charbon et du gaz.
5. Les considérants 28 et 29 de la directive 2003/96 prévoient :
« (28) Certaines exonérations ou réductions des niveaux de taxation peuvent s’avérer nécessaires, notamment en raison d’une harmonisation insuffisante au niveau communautaire, des risques de perte de compétitivité au niveau international ou de considérations sociales ou environnementales.
(29) Les entreprises qui passent des accords visant à améliorer sensiblement la protection de l’environnement et l’efficacité énergétique méritent une attention particulière. Parmi celles‑ci, les entreprises grandes consommatrices d’énergie méritent un traitement spécifique. »
6. L’article 4 de la directive 2003/96 dispose :
« 1. Les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l’électricité visés à l’article 2 ne peuvent être inférieurs aux niveaux minima prévus par la présente directive.
2. Aux fins de la présente directive, on entend par “niveau de taxation” le montant total d’impôts indirects (à l’exception de la [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)]) perçu, calculé directement ou indirectement sur la quantité de produits énergétiques et d’électricité au moment de la mise à la consommation. »
7. L’article 17 de la directive 2003/96 est l’une des dispositions relatives aux réductions fiscales qui peuvent être accordées. Il concerne les réductions et les exonérations fiscales relatives à la consommation de produits énergétiques utilisés à des fins de chauffage ainsi que deux cas supplémentaires qui ne sont pas pertinents aux fins de la présente affaire. Il est libellé comme suit :
« 1. Pour autant que les niveaux minima communautaires de taxation prévus par la présente directive soient respectés en moyenne pour chaque entreprise, les États membres pourront appliquer des réductions fiscales sur la consommation de produits énergétiques utilisés pour le chauffage ou pour les besoins prévus à l’article 8, paragraphe 2, [sous] b) et c), et d’électricité dans les cas suivants :
a) en faveur des entreprises grandes consommatrices d’énergie.
On entend par “entreprise grande consommatrice d’énergie” une entreprise, telle que définie à l’article 11, dont les achats de produits énergétiques et d’électricité atteignent au moins 3 % de la valeur de la production ou pour laquelle le montant total des taxes énergétiques nationales dues est d’au moins 0,5 % de la valeur ajoutée. Dans le cadre de cette définition, les États membres peuvent appliquer des critères plus restrictifs, tels que des définitions du chiffre d’affaires, du procédé et du secteur industriel.
On entend par “achats de produits énergétiques et d’électricité”, le coût réel de l’énergie achetée ou produite dans l’entreprise. Il ne comprend que l’électricité, la chaleur et les produits énergétiques qui sont utilisés pour le chauffage ou aux fins prévues à l’article 8, paragraphe 2, [sous] b) et c). Toutes les taxes sont comprises, à l’exception de la TVA déductible.
On entend par “valeur de la production”, le chiffre d’affaires, y compris les subventions directement liées au prix du produit, corrigé de la variation des stocks de produits finis, les travaux en cours et les biens ou les services achetés à des fins de revente, diminué des acquisitions de biens et services destinés à la revente.
On entend par “valeur ajoutée”, le chiffre d’affaires total soumis à la TVA, y compris les exportations, diminué de la totalité des achats soumis à la TVA, y compris les importations.
Les États membres qui appliquent actuellement des régimes nationaux de taxation de l’énergie définissant les entreprises grandes consommatrices d’énergie en fonction d’autres critères que le rapport coûts de l’énergie/valeur de la production et le rapport taxes énergétiques nationales dues/valeur ajoutée pourront bénéficier d’une période de transition ne dépassant pas le 1er janvier 2007 pour s’adapter à la définition figurant au point a), premier alinéa ;
b) lorsque des accords sont passés avec des entreprises ou des associations d’entreprises, ou lorsque des régimes de permis négociables ou des mesures équivalentes sont mises en œuvre, pour autant qu’ils visent à atteindre des objectifs de protection environnementale ou à améliorer l’efficacité énergétique.
2. Nonobstant l’article 4, paragraphe 1, les États membres peuvent appliquer un niveau de taxation allant jusqu’à zéro aux produits énergétiques et à l’électricité tels que définis à l’article 2, lorsqu’ils sont utilisés par des entreprises grandes consommatrices d’énergie telles que définies au paragraphe 1.
3. Nonobstant l’article 4, paragraphe 1, les États membres peuvent appliquer un niveau de taxation représentant 50 % des niveaux minima fixés dans la présente directive aux produits énergétiques et à l’électricité tels que définis à l’article 2, lorsqu’ils sont utilisés par des entreprises, telles que définies à l’article 11, qui ne sont pas des entreprises grandes consommatrices d’énergie telles que définies au paragraphe 1.
4. Les entreprises qui bénéficient des possibilités prévues aux paragraphes 2 et 3 acceptent les accords ou les régimes de permis négociables ou les mesures équivalentes visés au paragraphe 1, [sous] b). Ces accords, régimes de permis négociables ou mesures équivalentes doivent permettre la réalisation des objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru à peu près équivalents à ce qui aurait été obtenu si les taux minima communautaires normaux avaient été respectés. »
B. Le droit polonais
8. L’article 31a, paragraphe 1, point 8, de l’Ustawa o podatku akcyzowym (loi sur le droit d’accise), du 6 décembre 2008 (5) (ci-après la « loi polonaise sur le droit d’accise »), prévoit :
« 1. Sont exonérées du droit d’accise les activités soumises à ce droit, concernant des produits du charbon destinés à des fins de chauffage :
[...]
8) pour des entreprises grandes consommatrices d’énergie utilisant des produits du charbon et dans lesquelles a été mis en place un système permettant la réalisation des objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru [(6)]. »
9. L’article 31b, paragraphe 1, point 5, de la loi polonaise sur le droit d’accise prévoit :
« Sont exonérées du droit d’accise les activités soumises à ce droit, concernant des produits du gaz destinés à des fins de chauffage :
[...]
5) pour des entreprises grandes consommatrices d’énergie utilisant des produits du gaz et dans lesquelles a été mis en place un système permettant la réalisation des objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru [(7)]. »
10. L’article 31c de la loi polonaise sur le droit d’accise contient la définition suivante :
« Est considéré comme un système permettant la réalisation des objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru visés [à l’article] 31a, paragraphe 1, point 8, et [à l’article] 31b, paragraphe 1, point 5 :
1) le système européen d’échange de quotas d’émission conforme à la loi du 12 juin 2015 sur le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (Dz. U. article 1223, et de 2016, articles 266, 542, 1579 et 1948) et aux dispositions prises sur la base de l’article 25, paragraphe 4, et de l’article 29, paragraphe 1, de cette même loi [(8)] ;
[...] »
III. Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse
11. Le 3 février 2016, dans le cadre du système EU-Pilot, la Commission a informé les autorités polonaises qu’elle craignait que la République de Pologne ne respecte pas les exigences de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96. La raison en est que la loi polonaise sur le droit d’accise accorde une exonération automatique du droit d’accise sur les produits énergétiques (produits du charbon et du gaz) utilisés par les entreprises grandes consommatrices d’énergie relevant du système d’échange de quotas d’émission de l’Union prévu par la directive 2003/87/CE (9). La Commission considère que, afin de bénéficier d’une exonération fiscale au titre de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2003/96, l’article 17, paragraphe 4, de cette directive exige que les entreprises doivent d’abord mettre en place des systèmes tels que ceux décrits au paragraphe 1, sous b), de cet article qui permettent la réalisation d’objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru allant au-delà de ceux atteints en raison de leur simple participation au système d’échange de quotas d’émission de l’Union.
12. Dans sa réponse du 31 mars 2016, la République de Pologne a fait valoir que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union constituait un régime de permis négociables tel que décrit à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/96 qui permet la réalisation d’objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru dans la mesure où les objectifs de cette directive consistent à parvenir à la protection de l’environnement par le recours à des mesures fiscales. Il a également considéré que les entreprises commerciales qui, pour atteindre leurs objectifs, doivent supporter des coûts additionnels (autres que d’une nature purement fiscale) ne devraient pas être pénalisées une seconde fois par des droits d’accise.
13. Le 8 mars 2018, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure à la République de Pologne. La Commission a considéré que, en accordant une exonération du droit d’accise applicable aux produits du charbon et du gaz aux entreprises grandes consommatrices d’énergie relevant du système d’échange de quotas d’émission de l’Union, la République de Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96. La Commission a réitéré sa position selon laquelle, afin de pouvoir bénéficier de réductions ou d’exonérations au titre de l’article 17 de cette directive, les entreprises doivent mettre en place des régimes qui permettent la réalisation d’objectifs environnementaux ou de rendement énergétique autres que ceux prévus par le système d’échange de quotas d’émission de l’Union.
14. Par lettre du 8 mai 2018, les autorités polonaises ont répondu à cette lettre de mise en demeure. Elles ont rejeté en bloc les griefs de la Commission, en faisant valoir que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union constituait un « régime de permis négociables » au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96.
15. Le 26 juillet 2019, la Commission a adressé à la République de Pologne un avis motivé concernant le prétendu manquement de celle-ci aux obligations découlant de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96.
16. N’étant pas satisfaite de la réponse du 19 septembre 2019 par laquelle les autorités polonaises ont maintenu leur position, la Commission a décidé, le 27 octobre 2019, de saisir la Cour du présent recours.
IV. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
17. Par le présent recours en manquement, reçu par la Cour le 16 mars 2020, la Commission demande qu’il plaise à la Cour de :
– constater que, en mettant en œuvre le droit accordant l’exonération du droit d’accise aux produits énergétiques utilisés par les entreprises grandes consommatrices d’énergie relevant du système d’échange de quotas d’émission de l’Union, la République de Pologne a manqué aux obligations découlant de l’article 17, paragraphe 1, point b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96 ;
– condamner la République de Pologne aux dépens.
18. La République de Pologne conclut à ce qu’il plaise à la Cour de :
– rejeter en totalité le recours comme non fondé, et de
– condamner la Commission aux dépens.
19. Les parties ont présenté des observations écrites. En application de l’article 76, paragraphe 2, de son règlement de procédure, la Cour a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries.
V. Arguments des parties
A. Arguments de la Commission
20. Pour pouvoir bénéficier de l’exonération du niveau minimal de taxation des combustibles prévue à l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2003/96, les entreprises grandes consommatrices d’énergie doivent accepter les accords, les régimes de permis négociables ou les mesures équivalentes visés à l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96. Selon la Commission, la participation au système d’échange de quotas d’émission de l’Union qui découle de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/87 ne saurait être considérée comme étant un « régime de permis négociables » au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96.
21. La Commission parvient à cette conclusion même si elle reconnaît que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union est un « régime de permis négociables » au sens général de cette notion et qu’il permet la réalisation d’objectifs environnementaux, à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon elle, la notion de « régime de permis négociables », qui n’est pas définie dans la directive 2003/96, doit être interprétée à la lumière des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union et de manière à assurer la cohérence du droit de l’Union. La Commission soutient que, si l’on devait considérer que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union constitue un « régime de permis négociables » au sens de l’article 17 de la directive 2003/96 et, partant, exonérer les entreprises grandes consommatrices d’énergie du droit d’accise sur les combustibles, la directive 2003/87 ne serait plus apte à atteindre son objectif, à savoir « [...] favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes » (10).
22. Pour étayer son point de vue, la Commission invoque la déclaration du Conseil jointe en annexe au procès-verbal de la séance au cours de laquelle a été adoptée la directive 2003/96. Le point 2 de cette déclaration est libellé comme suit : « Sur la base de la proposition de la Commission, le Conseil s’engage à analyser de façon constructive les mesures fiscales qui accompagneront la future mise en œuvre du système communautaire d’échange de quotas d’émission, afin notamment d’éviter les cas de double taxation » (11). Selon la Commission, il ressort de cette déclaration que la taxation en vertu de la directive 2003/96 et la soumission au système d’échange de quotas d’émission de l’Union doivent en principe coexister.
23. En outre, la Commission se fonde sur les considérants 28 et 29 de la directive 2003/96 pour soutenir que les avantages fiscaux prévus à son article 17 ont été introduits par le législateur afin d’améliorer la protection de l’environnement ou l’efficacité énergétique. De tels objectifs ne seraient pas atteints si l’exonération fiscale était accordée du simple fait qu’un opérateur donné relève d’un autre instrument obligatoire du droit de l’Union, tel que le système d’échange de quotas d’émission. Ainsi, selon la Commission, la notion de « régimes de permis négociables » au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96 ne couvre que des régimes permettant la réalisation d’objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru dépassant les résultats de la mise en œuvre d’autres systèmes obligatoires établis par les actes de l’Union. Les dispositions de la loi polonaise sur le droit d’accise pourraient en fait permettre de compenser complètement le coût des certificats d’émission, ce qui priverait le système d’échange de quotas d’émission de l’Union de sa finalité, puisque l’élément moteur de ce système est d’éviter de tels coûts.
24. L’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96 doit donc être interprété en ce sens qu’il se rapporte à une amélioration de la protection de l’environnement ou de l’efficacité énergétique dépassant ce qui est prévu par les instruments contraignants du droit de l’Union, tels que le système d’échange de quotas d’émission.
25. La Commission relève également que la directive 2003/87 comporte ses propres instruments spécifiques destinés à préserver l’intégrité du marché intérieur et à éviter des distorsions de concurrence au sein du champ d’application du système d’échange de quotas d’émission de l’Union (12). Il s’agit de l’allocation de quotas à titre gratuit conformément aux articles 10 bis, 10 ter et 10 quater de cette 2003/87 (en ce qui concerne les installations fixes) ou du droit des États membres d’adopter des mesures financières en faveur des secteurs ou des sous-secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone en ce qui concerne les coûts indirects d’émission qui ont été répercutés et qui entraînent une augmentation du prix de l’électricité. De telles mesures sont toutefois soumises aux règles en matière d’aides d’État. De l’avis de la Commission, les règles de la loi polonaise sur le droit d’accise précédemment décrites qui ne relèvent pas des mesures prévues par ladite directive et qui s’y ajoutent risquent d’aboutir à une distorsion de concurrence.
26. Ainsi que la République de Pologne l’a confirmé dans sa réponse écrite aux questions posées par la Cour, les exonérations du droit d’accise prévues à l’article 31a, paragraphe 1, point 8, et à l’article 31b, paragraphe 1, point 5, de la loi polonaise sur le droit d’accise s’appliquent indépendamment de la question de savoir si les entreprises grandes consommatrices d’énergie qui en bénéficient ont déjà reçu ou reçoivent également des quotas d’émission à titre gratuit en vertu de la directive 2003/87.
27. La Commission explique également que la République de Pologne avait notifié un régime d’aides d’État pour les années 2019 et 2020, en vertu duquel certaines entreprises peuvent demander la compensation d’une partie de leurs « coûts indirects d’émissions ». Comme prévu par les lignes directrices applicables (13), cette aide avait une intensité maximale de 75 % et elle n’était applicable qu’à la consommation d’électricité supérieure à 1 GWh par an. La Commission a considéré que cette aide était compatible avec le marché intérieur (14). Une considération importante était toutefois que l’aide ne pouvait pas être cumulée avec un abattement fiscal ou une exonération fiscale au titre des règles de la loi polonaise sur le droit d’accise précédemment décrites (15). La Commission précise également que très peu d’entreprises ont profité de ce régime d’aides d’État. Elle suppose que les avantages fiscaux accordés au titre de la loi polonaise sur le droit d’accise qui ne se limitent pas aux « coûts relatifs aux émissions de gaz à effet de serre répercutés sur les prix de l’électricité », mais qui sont accordés automatiquement pour le charbon et le gaz utilisés par les entreprises pour le chauffage dès lors qu’une entreprise grande consommatrice d’énergie relève du système d’échange de quotas d’émission, sont plus intéressants pour les entreprises que le système de compensation des coûts indirects des émissions.
28. La Commission fait également valoir que, contrairement à l’allégation de la République de Pologne, sa thèse que l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/96 ne comprend pas le système d’échange de quotas d’émission de l’Union n’est pas contraire à sa proposition de directive du Conseil du 13 avril 2011 modifiant la directive 2003/96 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (16). Elle avait proposé de modifier l’article 14 de la directive 2003/96 en y ajoutant un point d). Ce point contenait une exonération (obligatoire) de la taxation des « produits énergétiques utilisés aux fins des activités relevant, et non exclues, du système de l’Union établi par la directive [2003/87] » (17). La Commission souligne, toutefois, qu’il ne s’agissait là que d’une « taxation liée au CO2 ». Une distinction explicite devait être introduite par la proposition de modification de la directive 2003/96 entre, d’une part, la taxation de l’énergie spécifiquement liée aux émissions de CO2 attribuables à la consommation des produits concernés et, d’autre part, la taxation de l’énergie fondée sur la teneur énergétique des produits (taxes générales sur la consommation d’énergie). La taxation des combustibles utilisés à des fins professionnelles visés à l’article 17 de la directive 2003/96 (y compris selon sa proposition de modification) concernait le second de ces deux cas. Dès lors, et par souci de clarté, la Commission a également proposé de modifier l’article 17 de cette directive en y insérant un paragraphe 3 qui devait disposer qu’on entend par « régimes de permis négociables » aux fins de cette disposition « l’ensemble des régimes de permis négociables autres que le système de l’Union prévu par la directive [2003/87] » (18).
B. Arguments de la République de Pologne
29. Comme je l’ai déjà indiqué, la République de Pologne considère, au contraire, que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union constitue bien un « régime de permis négociables » au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96.
30. Selon elle, compte tenu de la manière dont il est conçu et des principes régissant son fonctionnement, le système d’échange de quotas d’émission de l’Union remplit tous les critères d’un « régime de permis négociables ». Ce système permet également la réalisation d’objectifs environnementaux. À cet égard, la République de Pologne invoque l’arrêt du 29 mars 2012, Commission/Pologne, dans lequel la Cour a rappelé que « l’objectif principal [...] de la directive 2003/87 est de réduire, de manière substantielle, les émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de l’Union et des États membres au regard du protocole de Kyoto » (19). La République de Pologne soutient, en particulier, que le libellé de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96 n’indique aucunement que les objectifs environnementaux ou l’amélioration du rendement énergétique doivent dépasser ceux qui peuvent être atteints par un système à caractère obligatoire prévu par le droit de l’Union. Les considérants 28 et 29 de la directive 2003/96 n’étayent pas non plus un tel point de vue.
31. Étant donné que les directives 2003/96 et 2003/87 ont été élaborées de façon quasiment concomitante, la République de Pologne est d’avis que, si le système d’échange de quotas d’émission de l’Union ne devait pas être considéré comme étant un « régime de permis négociables » au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96, le législateur de l’Union l’aurait mentionné de façon explicite. Selon elle, ces dispositions visaient à éviter la « double taxation » des entreprises grandes consommatrices d’énergie qui relevaient également du système d’échange de quotas d’émission de l’Union.
32. La République de Pologne estime que la proposition de directive de la Commission du 13 avril 2011 modifiant la directive 2003/96 envisageait de modifier l’article 17, paragraphes 2 et 3, de cette directive afin d’exclure le système d’échange de quotas d’émission de l’Union de la notion de « régimes de permis négociables » au sens de l’article 17 de ladite directive. Une telle modification était uniquement nécessaire du fait que, au titre des règles encore en vigueur, le système d’échange de quotas d’émission de l’Union relevait de ces dispositions. La proposition n’a, en tout état de cause, pas été adoptée par le Conseil.
33. Quant à la déclaration du Conseil jointe en annexe au procès-verbal de la séance au cours de laquelle a été adoptée la directive 2003/96, sur laquelle se fonde la Commission, la République de Pologne estime que celle-ci ne visait pas l’application de l’article 17 de la directive 2003/96, mais ne contenait que des affirmations générales, par exemple le fait que, sur le fondement d’une proposition de la Commission, le Conseil s’était engagé à analyser de manière constructive les mesures fiscales qui devaient accompagner la mise en œuvre future du système d’échange de quotas d’émission de l’Union afin d’éviter la double taxation.
VI. Appréciation
34. Conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à cette fin (20). Il résulte également d’une jurisprudence bien établie que la Cour peut uniquement examiner les griefs qui ont été formulés par la Commission déjà au stade de son avis motivé (21).
35. Il s’ensuit que, dans une affaire telle que celle-ci où le manquement allégué repose sur l’affirmation selon laquelle le droit national n’est pas conforme aux termes d’une directive, le succès du recours de la Commission doit dépendre à son tour de la question de savoir si elle a interprété correctement les termes de la directive et des arguments effectivement soulevés par la Commission tant au cours de la procédure précontentieuse que dans la présente procédure.
36. Étant donné que les parties sont généralement d’accord en ce qui concerne les faits sous-jacents, nous verrons que la présente affaire repose entièrement sur une question d’interprétation de l’article 17 de la directive 2003/96. Il est constant entre les parties que la République de Pologne a adopté une loi qui accorde une exonération du droit d’accise aux produits énergétiques (produits du charbon et du gaz) utilisés par les entreprises grandes consommatrices d’énergie qui relèvent du système de quotas d’émission de l’Union prévu par la directive 2003/87. Elles s’accordent également sur le fait que – et ce point est pertinent en ce qui concerne les arguments de la Commission – l’effet de cette loi nationale est que cette exonération est accordée automatiquement et indépendamment de la question de savoir si les entreprises auraient éventuellement déjà bénéficié de toute mesure de soutien au titre de la directive 2003/87, telle que, par exemple, l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit. La question est donc de savoir si une telle méthode de transposition est couverte par l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96.
37. L’article 4 de la directive 2003/96 oblige les États membres à imposer des niveaux minimaux de taxation sur les produits énergétiques et l’électricité tels qu’ils sont définis à l’article 2 de cette directive. Cette obligation est soumise à plusieurs exonérations du taux minimal qui, dans le cas de l’article 14 de ladite directive, sont obligatoires. Dans les autres cas, les États membres peuvent choisir de les appliquer ou non. Tel est le cas de l’article 17 de la même directive dont l’interprétation fait l’objet du présent recours.
38. La directive 2003/96 a notamment pour objet général de décourager les États membres à se faire concurrence pour l’emplacement industriel des entreprises en offrant des taux de taxation de l’énergie peu élevés lors de l’utilisation de combustibles fossiles. Elle le fait en prescrivant des niveaux minimaux de taxation de l’Union conformément à l’article 1er de cette directive. L’objectif indirect de cette mesure est également de décourager l’utilisation de combustibles fossiles en général. L’article 17 de ladite directive permet toutefois aux États membres de déroger aux modalités de ces obligations fiscales en appliquant certaines exonérations et réductions du droit d’accise lorsque les conditions prévues à cette disposition sont remplies. Cette disposition favorise, bien qu’elles ne soient pas les seules, les entreprises grandes consommatrices d’énergie. La logique qui sous-tend cette disposition, tout comme celle qui sous-tend les mesures visant les secteurs présentant un risque de fuite de carbone au sens de la directive 2003/87 (22), est double. Les dispositions visent à lutter contre le risque de relocalisation d’entreprises grandes consommatrices d’énergie dans des pays où de telles taxes n’existent pas ou qui appliquent des taxes beaucoup moins élevées. Cela aurait tendance à affaiblir l’Union en tant qu’emplacement industriel ainsi que sa compétitivité (23). De plus, de telles relocalisations pourraient avoir lieu dans des pays où l’énergie est non seulement beaucoup moins chère, mais où les normes environnementales sont, de manière générale, considérablement inférieures aux normes européennes.
A. Sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/96 et la signification de la notion de « régime de permis négociables » au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et de l’article 17, paragraphe 4, de la directive 2003/96
39. Comme je l’ai déjà relevé, la thèse de la Commission repose essentiellement sur l’affirmation selon laquelle la référence aux « régimes de permis négociables » figurant à l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96 ne s’étend pas à la participation au système d’échange de quotas d’émission de l’Union.
40. Le libellé de l’article 17 de la directive 2003/96 manque certes de clarté. Le paragraphe 1 de cet article dispose que les États membres pourront appliquer des réductions fiscales sur la consommation de produits énergétiques utilisés pour le chauffage (1) en faveur des entreprises grandes consommatrices d’énergie et (2) lorsque des accords sont passés avec des entreprises ou des associations d’entreprises, ou lorsque des régimes de permis négociables ou des mesures équivalentes sont mis en œuvre, pour autant qu’ils visent à atteindre des objectifs de protection environnementale ou à améliorer l’efficacité énergétique. Ces possibilités exigent toutefois que les niveaux minimaux de taxation prévus par la directive soient respectés en moyenne pour chaque entreprise.
41. L’article 17, paragraphe 2, de la directive 2003/96 prévoit que, nonobstant les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, les États membres peuvent exonérer entièrement les entreprises de cette taxation sur la consommation de produits énergétiques et de l’électricité (tels que définis à l’article 2 de ladite directive) lorsqu’ils sont utilisés « par des entreprises grandes consommatrices d’énergie », telles que définies à l’article 17, paragraphe 1, de la même directive. L’article 17, paragraphe 3, de la directive 2003/96 prévoit ensuite une catégorie distincte pouvant aller jusqu’à 50 % de réduction d’impôt lorsque ces produits « sont utilisés par des entreprises, telles que définies à l’article 11, qui ne sont pas des entreprises grandes consommatrices d’énergie telles que définies au paragraphe 1 ».
42. L’article 17, paragraphe 4, de la directive 2003/96 dispose que les entreprises qui bénéficient de l’exonération fiscale prévue à l’article 17, paragraphe 2, de cette directive ou de la réduction fiscale prévue à l’article 17, paragraphe 3, de ladite directive acceptent les « accords ou les régimes de permis négociables ou les mesures équivalentes, visés au paragraphe 1, [sous] b) ». Ces accords, régimes de permis négociables ou mesures équivalentes doivent toutefois permettre un rendement énergétique ou la réalisation des objectifs environnementaux qui sont « à peu près équivalents à ce qui aurait été obtenu si les taux minima communautaires normaux avaient été respectés ». En revanche, le paragraphe 1, sous b), de l’article 17 de la directive 2003/96 ne fait aucune mention de cette exigence (24).
43. Étant donné que la loi polonaise sur le droit d’accise porte sur une exonération fiscale complète des entreprises grandes consommatrices d’énergie, il est clair que la République de Pologne a fondé l’article 31a, paragraphe 1, point 8, et l’article 31b, paragraphe 1, point 5, de cette loi sur les dispositions de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2003/96. Cela signifie que, nonobstant le manque de clarté général susmentionné de l’article 17 de cette directive, l’article 17, paragraphe 4, de ladite directive est applicable. Selon cette disposition, « [l]es entreprises qui bénéficient [...] acceptent [...] les régimes de permis négociables ou les mesures équivalentes, visés au paragraphe 1, [sous] b) [de cet article] » et ces « régimes de permis négociables ou mesures équivalentes doivent permettre la réalisation des objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru à peu près équivalents à ce qui aurait été obtenu si les taux minima communautaires normaux avaient été respectés ».
44. Lorsqu’on examine la question de savoir si la République de Pologne a rempli ses obligations, la question décisive est donc de savoir ce qu’il convient d’entendre par un « régime de permis négociables » tel que prévu à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/96. Une autre question qui se pose est de savoir quand un tel régime peut être considéré comme réalisant, premièrement, « des objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru » au sens des termes de l’article 17, paragraphe 4, de cette directive, et, secondement, si ces réalisations sont « à peu près équivalent[e]s à ce qui aurait été obtenu si les taux minima communautaires normaux avaient été respectés ». Toutefois, comme il sera constaté, la Cour n’est pas en mesure d’examiner cette seconde exigence en tant que grief. L’examen de cette question peut néanmoins être utile lors de l’interprétation de la disposition prise dans son ensemble.
45. Il est constant entre les parties que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union présente toutes les caractéristiques d’un « régime de permis négociables ». S’agissant de l’exigence supplémentaire énoncée à l’article 17, paragraphe 4, de la directive 2003/96, à savoir que des objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru doivent être réalisés, il existe des approches différentes quant à l’interprétation de cette disposition. La question de savoir si le régime de permis négociables conduit à la réalisation d’objectifs environnementaux ou à une efficacité énergétique accrue peut être abordée de manière différente. Il peut être soutenu qu’il suffit, aux fins de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96, que la participation au régime de permis négociables soit, en soi, de nature à atteindre des objectifs environnementaux ou à accroître l’efficacité énergétique parce que ce régime poursuit de tels objectifs. C’est l’argument invoqué par la République de Pologne. À titre subsidiaire, on pourrait soutenir que l’entrée dans le régime de permis négociables doit également conduire de manière manifeste à la réalisation de ces objectifs. Or, vue de manière abstraite, la participation au système d’échange de quotas d’émission de l’Union répond assurément à cette dernière exigence. Après tout, la Cour a déjà jugé que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union contribue à la réalisation des objectifs de protection de l’environnement en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (25), ce qui signifie qu’il répond également, par définition, aux exigences supplémentaires énoncées à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/96.
46. Toutefois, si l’on examine le cas concret, cette appréciation est peut-être plus incertaine. Alors que, dans le contexte de l’article 31c de la loi polonaise sur le droit d’accise, les entreprises grandes consommatrices d’énergie bénéficient automatiquement d’une exonération du droit d’accise sur la consommation de produits énergétiques destinés à des fins de chauffage, ces mêmes entreprises, pour ce qui concerne leurs installations qui sont considérées comme étant exposées à un risque de fuite de carbone (26), obtiennent 100 % de leurs quotas d’émission à titre gratuit conformément à l’article 10 ter de la directive 2003/87, dans sa version actuellement en vigueur. Cela signifie qu’elles ne seront en réalité pas affectées financièrement au titre du système d’échange de quotas d’émission de l’Union, de sorte que l’on pourrait faire valoir que la participation de ces entreprises au système d’échange de quotas d’émission de l’Union ne permet pas de réaliser les objectifs environnementaux ni d’obtenir une efficacité énergétique accrue parce qu’elles n’ont aucune incitation à agir de la sorte. Il pourrait donc être argumenté qu’une exonération du droit d’accise sur la consommation de produits énergétiques destinés à des fins de chauffage n’est donc pas justifiée. Cela est d’autant plus évident lorsque l’on examine la seconde condition de l’article 17, paragraphe 4, de la directive 2003/96, qui exige la réalisation « des objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru à peu près équivalents à ce qui aurait été obtenu si les taux minima communautaires normaux avaient été respectés » (27).
47. La référence aux « taux minima communautaires normaux » apparaît comme une référence au taux minimal de taxation prévu par la directive 2003/96, bien que, si telle était l’intention, il aurait été utile que l’article 17, paragraphe 4, de cette directive l’indique expressément. L’article 17, paragraphe 4, de ladite directive semble ainsi envisager que toute entreprise qui invoque l’exonération (ou la réduction) du droit d’accise doit démontrer que, en participant à un régime de permis négociables, elle a atteint des objectifs environnementaux ou des gains d’efficacité énergétique comparables à ceux qui auraient été atteints si le taux minimal d’accise avait été appliqué à ses produits. Dans certains cas au moins, la preuve d’un tel scénario contrefactuel hypothétique pourrait nécessiter des éléments de preuve économétriques complexes ainsi que d’autres preuves. En revanche, il est tout à fait clair qu’un critère prévu dans un texte juridique ne saurait être facilement ignoré, peu importe à quel point il est difficile à appliquer.
48. Il a été démontré que 100 % des quotas pourraient être délivrés gratuitement dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission de l’Union prévu par la directive 2003/87 aux entreprises grandes consommatrices d’énergie qui relèvent d’un secteur exposé à un risque de fuite de carbone. Tout cela laisse supposer que, dans ces cas, le critère selon lequel les objectifs environnementaux ou un rendement énergétique accru à peu près équivalents à ce qui aurait été obtenu si les taux minimaux communautaires normaux avaient été observés n’est pas respecté. En tout état de cause, en appliquant automatiquement l’exonération du droit d’accise sur les produits du charbon et du gaz utilisés pour le chauffage aux entreprises grandes consommatrices d’énergie, la loi polonaise sur le droit d’accise ne prend en aucun cas en compte ce critère.
49. Un tel argument n’a toutefois pas été avancé par la Commission dans la présente affaire. La Commission fait en réalité valoir que les termes « régimes de permis négociables » devraient être interprétés comme excluant le système d’échange de quotas d’émission de l’Union au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96. Elle craint que la directive 2003/87 ne puisse plus atteindre ses objectifs de promotion de la réduction des émissions de gaz à effet de serre si les États membres étaient autorisés à exonérer les entreprises grandes consommatrices d’énergie des niveaux minimaux de droits d’accise juste parce qu’elles ont participé au système d’échange de quotas d’émission de l’Union.
50. La Commission a ainsi fait valoir qu’un régime de permis négociables doit faire référence à un régime pour lequel les entreprises concernées s’engagent volontairement, plutôt qu’à un régime obligatoire tel que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union. Elle fait valoir, en outre, que seul un système qui réalise des objectifs environnementaux et une efficacité énergétique dépassant ceux atteints par les instruments obligatoires de l’Union peut bénéficier des dérogations prévues à l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96 sans mentionner le fait que de tels objectifs ne pourraient aucunement être réalisés si une entreprise grande consommatrice d’énergie obtient 100 % de ses quotas d’émission à titre gratuit. Aussi ambigu que l’article 17 de la directive 2003/96 puisse être à bien des égards, toute affirmation selon laquelle les régimes de permis négociables doivent, au sens de ces dispositions, réaliser des objectifs environnementaux et une efficacité énergétique dépassant ceux atteints en vertu des systèmes obligatoires de l’Union n’est pas étayée par le libellé même de cette disposition.
51. La Commission argumente que les déclarations à inscrire en annexe du procès-verbal de la réunion du Conseil au cours de laquelle la directive 2003/96 a été adoptée plaident en faveur de la coexistence d’une taxation au titre de cette directive et du système d’échange de quotas d’émission de l’Union. Cet argument n’emporte cependant pas la conviction. En effet, de tels procès-verbaux ne sont pas des textes législatifs et ne sauraient modifier une description autrement claire dans un instrument législatif de l’Union, à savoir des « régimes de permis négociables [...] pour autant qu’ils visent à atteindre des objectifs de protection environnementale ou à améliorer l’efficacité énergétique ». Le sens de la déclaration figurant dans ce procès-verbal tel que défendu par la Commission n’est pas non plus tout à fait clair.
52. En outre, s’il est vrai que la directive 2003/87 opère sur le fondement du postulat selon lequel le prix des quotas d’émission incite à se tourner vers des technologies émettant moins de gaz à effet de serre, cette directive a été développée considérablement au fil des années, ce qui n’a pas été le cas de la directive 2003/96. Cela est illustré par le fait qu’une réglementation relative aux fuites de carbone (portant sur un risque plus élevé dans le cas des industries grandes consommatrices d’énergie) n’a été introduite dans la directive 2003/87 que par la directive 2009/29/CE (28).
53. Il convient également de rappeler que l’article 17 de la directive 2003/96 vise uniquement les réductions fiscales sur la consommation de produits énergétiques utilisés pour le chauffage, pour les moteurs stationnaires, de même que pour les installations et les machines utilisées dans la construction, le génie civil et les travaux publics au sens de l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), de cette directive, ainsi que sur la consommation d’électricité. En revanche, la directive 2003/87 vise à éviter les émissions résultant d’un grand ensemble d’activités conduisant à certains gaz à effet de serre. S’il est évident qu’il existe un recoupement entre l’article 17 de la directive 2003/96 et la directive 2003/87, je ne perçois pas – et c’est regrettable – qu’un tel recoupement a été traité de manière cohérente par le législateur de l’Union. Cela signifie également qu’il est difficile de limiter l’application d’un instrument afin de protéger le caractère effectif d’un autre instrument qui a, en outre, été beaucoup modifié au cours des années (29). Il est permis d’ajouter à ce qui précède que, si le législateur de l’Union avait souhaité exclure la participation au système d’échange de quotas d’émission de l’Union à cette fin, il aurait pu aisément le préciser, d’autant plus que le système d’échange de quotas d’émission a lui-même été mis en place par une directive (la directive 2003/87) qui a été promulguée dans les deux semaines qui ont suivi la promulgation de la directive 2003/96.
54. S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel seuls les régimes de permis négociables volontaires sont couverts par l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96, il peut être admis que certaines versions linguistiques de l’article 17, paragraphe 4, de cette directive semblent indiquer le caractère volontaire d’une participation à un régime de permis négociables. Dans sa version en langue anglaise, le paragraphe 4 dispose « shall enter into the agreements, tradable permit schemes or equivalent arrangements » (30). Cela peut conduire à se demander si seul un régime de permis négociables qu’une entreprise « accepte » est en réalité visé par cette disposition. Si tel est le cas, cela implique à son tour qu’une certaine « action » (volontaire ou non) soit envisagée.
55. Ainsi que la Cour l’a relevé dans son arrêt ExxonMobil Production Deutschland (31), en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/87, qui en définit le champ d’application, cette directive s’applique aux « émissions » de gaz à effet de serre énumérées à l’annexe II de ladite directive, parmi lesquelles figure le CO2 « résultant des activités indiquées à l’annexe I » (32). Par conséquent, aucun acte volontaire ou involontaire d’une entreprise quelconque n’est requis. Dès lors qu’une installation remplit les exigences, le système d’échange de quotas d’émission de l’Union lui est applicable et l’entreprise doit restituer des quotas correspondant aux émissions de l’installation conformément à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87.
56. L’idée que les régimes exigent ce que l’on pourrait appeler « un acte volontaire d’adhésion » aux régimes de permis négociables n’est toutefois pas étayée par toutes les versions linguistiques (33). De plus, le libellé de l’article 17, paragraphe 4, de la directive 2003/96 mentionne « les accords ou les régimes de permis négociables ou les mesures équivalentes, visés au paragraphe 1, point b) » (mise en italique par mes soins). L’inclusion de ces termes spécifiques permet difficilement, à mon avis, d’aboutir à une conclusion autre que celle selon laquelle les « régimes de permis négociables » visés à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de cette directive (lorsque le libellé ne prévoit pas un tel élément potentiellement volontaire) (34) sont identiques à ceux visés à l’article 17, paragraphe 4, de ladite directive et, par conséquent, que les deux dispositions n’excluent pas la participation à un régime obligatoire. C’est ce libellé qui est fatal à la thèse avancée par la Commission dans la présente procédure.
57. Certes, le considérant 29 de la directive 2003/96 prévoit que « [l]es entreprises qui passent des accords visant à améliorer sensiblement la protection de l’environnement et l’efficacité énergétique méritent une attention particulière. Parmi celles-ci, les entreprises grandes consommatrices d’énergie méritent un traitement spécifique ». Cependant, cette déclaration générale de principe ne peut pas modifier les termes clairs que le législateur de l’Union a effectivement utilisés à l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de cette directive. S’il avait été dans l’intention du législateur de l’Union que la participation à un système d’échange de quotas d’émission de l’Union ne puisse pas être qualifiée de « régime de permis négociables » à cet effet, le législateur de l’Union aurait pu et dû le mentionner expressément.
B. Sur le grief
58. Ainsi que je l’ai exposé dans les présentes conclusions, la Commission n’a pas fondé son grief sur le fait que la loi polonaise sur le droit d’accise octroie une exonération du niveau minimal de taxation de la consommation de charbon et de gaz destinés à des fins de chauffage par les entreprises grandes consommatrices d’énergie sans prendre en considération la question de savoir si, en participant au système d’échange de quotas d’émission de l’Union, les objectifs environnementaux ou l’efficacité énergétique accrue ont été réalisés d’une manière à peu près équivalente à ce qui aurait été obtenu si les taux minimaux communautaires standard avaient été respectés. Elle a, au contraire, limité sa thèse à un seul argument, à savoir que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union ne constituait pas, en tant que tel, un « régime de permis négociables » au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96, car elle affirme que seul un régime de permis négociables qu’une entreprise accepte volontairement et qui réalise des objectifs environnementaux ou des objectifs d’efficacité énergétique accrus autres que ceux du système d’échange de quotas d’émission de l’Union est éligible à cet effet.
59. La Commission n’a pas non plus soutenu que l’application de la directive 2003/87 elle-même pourrait ne pas conduire à la réalisation d’objectifs environnementaux ou à une efficacité énergétique accrue dans un cas donné parce que l’application des règles de cette directive, comme l’allocation à titre gratuit de 100 % des quotas d’émission aux installations exposées au risque de fuite de carbone, signifie qu’une entreprise ne sera pas du tout incitée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
60. Pour toutes les raisons que je viens de mentionner, je ne pense toutefois pas que la thèse particulière de la Commission quant au sens à donner aux termes « régime de permis négociables » puisse être suivie compte tenu du libellé explicite de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96.
61. Ainsi qu’il résulte de l’article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour et de la jurisprudence relative à cette disposition, toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens, et cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle.
62. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même (35) et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief (36). En l’espèce, dès lors que la Commission a fondé sa requête sur le grief unique tiré d’une violation, à savoir que les « régimes de permis négociables » au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2003/96 ne couvrent que des régimes volontaires qui réalisent des objectifs environnementaux ou des économies d’énergie supérieurs à ceux atteints par les systèmes obligatoires de l’Union, il convient uniquement d’examiner ce grief. Il n’appartient pas à la Cour de statuer au-delà des griefs et conclusions formulés dans la requête de la Commission au titre de l’article 258 TFUE (37).
63. Les allégations de la Commission ne permettant pas de conclure que la République de Pologne n’a pas satisfait aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 17 de la directive 2003/96, je suis donc tenu de conclure que la Commission n’a pas démontré le bien-fondé de son recours.
VII. Sur les dépens
64. En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République de Pologne ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens et cette dernière ayant finalement succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la République de Pologne.
VIII. Conclusion
65. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit :
– premièrement, rejeter le recours ;
– secondement, condamner la Commission européenne aux dépens.