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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

19 octobre 2023 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Comité du personnel du Parlement européen – Élection du président du comité du personnel – Intervention du Parlement dans le processus électoral – Légalité – Critères – Motivation »

Dans l’affaire C‑534/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 10 août 2022,

Roberto Aquino, fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes L. Levi et S. Rodrigues, avocats,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Parlement européen, représenté par Mme R. Ignătescu et M. T. Lazian, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, M. P. G. Xuereb et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, M. Roberto Aquino demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 1er juin 2022, Aquino/Parlement (T‑253/21, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:309), par lequel celui-ci a rejeté son recours fondé sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du Parlement européen du 7 juillet 2020 (ci-après la « décision litigieuse »), par laquelle celui-ci a annulé son élection en tant que président du comité du personnel du Parlement (ci-après le « CdP »), ainsi que, en substance, de la réunion constitutive du CdP du 14 septembre 2020, en particulier en ce qui concerne l’élection de son président, et, d’autre part, à la réparation du préjudice qu’il aurait subi en raison de cette décision.

 Le cadre juridique

 Le statut

2        L’article 9 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version applicable à l’espèce (ci-après le « statut »), dispose :

« 1.      Sans préjudice du paragraphe 1 bis, il est institué auprès de chaque institution :

–        un comité du personnel, éventuellement divisé en sections correspondant à chaque lieu d’affectation du personnel ;

[...]

2.      La composition et les modalités de fonctionnement de ces organes sont déterminées par chaque institution conformément aux dispositions de l’annexe II.

[...]

3.      Le comité du personnel représente les intérêts du personnel auprès de l’institution et assure un contact permanent entre celle-ci et le personnel. Il coopère au bon fonctionnement des services en permettant à l’opinion du personnel de se faire jour et de s’exprimer.

Il porte à la connaissance des organes compétents de l’institution toute difficulté de portée générale relative à l’interprétation et à l’application du présent statut. Il peut être consulté sur toute difficulté de cette nature.

Le comité soumet aux organes compétents de l’institution toute suggestion concernant l’organisation et le fonctionnement des services et toute proposition visant à améliorer les conditions de travail du personnel ou ses conditions de vie en général.

Le comité participe à la gestion et au contrôle des organes de caractère social créés par l’institution dans l’intérêt du personnel. Il peut, avec l’accord de l’institution, créer tout service de cette nature.

[...] »

3        L’article 1er de l’annexe II du statut prévoit :

« Le comité du personnel est composé de membres titulaires et éventuellement de membres suppléants dont la durée du mandat est fixée à trois ans. [...] Tous les fonctionnaires de l’institution sont électeurs et éligibles.

Les conditions d’élection au Comité du personnel [...] sont fixées par l’assemblée générale des fonctionnaires de l’institution en service au lieu d’affectation correspondant. L’autorité investie du pouvoir de nomination de chaque institution a toutefois la faculté de décider que les conditions d’élection sont arrêtées en fonction du choix exprimé par le personnel de l’institution consulté par référendum. Les élections se font au scrutin secret.

[...]

La composition du Comité du personnel [...] doit être telle qu’elle assure la représentation des trois groupes de fonctions prévus à l’article 5 du statut, ainsi que des agents visés à l’article 7 premier alinéa du régime applicable aux autres agents de l’Union [européenne]. [...]

La validité des élections au Comité du personnel [...] est subordonnée à la participation des deux tiers des électeurs. Toutefois, lorsque le quorum n’est pas atteint, la validité lors du deuxième tour d’élections est acquise en cas de participation de la majorité des électeurs.

Les fonctions assumées par les membres du Comité du personnel et par les fonctionnaires siégeant par délégation du Comité dans un organe statutaire ou créé par l’institution, sont considérées comme parties des services qu’ils sont tenus d’assurer dans leur institution. L’intéressé ne peut subir de préjudice du fait de l’exercice de ces fonctions. »

 Le règlement intérieur du CdP

4        L’article 4 du règlement intérieur du CdP dispose :

« a)      Sous la présidence du doyen d’âge des membres du Comité, celui‑ci procède à l’élection de son Président.

b)      Le Président est élu au scrutin secret, sans débat.

La présence de la majorité des membres composant le Comité est nécessaire.

Le vote est acquis à la majorité absolue des membres du Comité.

[...] »

5        L’article 20, paragraphes 2 et 3, de ce règlement prévoit :

« 2.      En cas de scrutin secret, tout membre participant à la plénière en visioconférence ne peut voter personnellement mais peut donner procuration oralement à un membre présent dans la salle de réunion afin que ce dernier puisse voter pour lui.

3.      Chaque membre présent ne peut être porteur que d’une seule procuration. »

 Les antécédents du litige

6        Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 26 de l’arrêt attaqué comme suit :

« 2      Le requérant est l’un des 29 membres du CdP élus lors des élections qui ont eu lieu en janvier et en février 2020.

3      En raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19, l’organisation d’une réunion constitutive consacrée à l’élection du président et des membres du bureau du CdP n’a pas pu se tenir dans le délai requis de dix jours ouvrables à compter de la date de transmission du procès-verbal des élections à ses destinataires. À cet égard, plusieurs convocations ont dû être annulées à la suite des instructions données par le président du Parlement interdisant les réunions en présentiel.

4      Le 5 juin 2020, la doyenne d’âge des membres élus du CdP (ci‑après la “doyenne d’âge”) a convoqué une nouvelle réunion constitutive pour le 16 juin 2020. La convocation, envoyée par courriel, indiquait les modalités d’organisation de ladite réunion retenues en accord avec le directeur général de la direction générale du personnel du Parlement (ci-après la “DGP”) et les membres du service juridique du Parlement. Elle indiquait notamment que la nouvelle réunion constitutive aurait lieu tant en présentiel à Bruxelles (Belgique) et à Luxembourg (Luxembourg) que par visioconférence et webstreaming. En outre, les personnes ne se trouvant ni à Bruxelles ni à Luxembourg auraient la possibilité de donner procuration à un collègue. La convocation ajoutait que serait créée une boîte fonctionnelle à laquelle les membres du CdP devraient envoyer leurs votes tous au même moment et que l’accès à cette boîte fonctionnelle ne serait donné qu’à deux scrutateurs, membres du service juridique du Parlement.

5      Deux formulaires [...] étaient joints à ladite convocation. Le premier, destiné aux membres élus du CdP, avait pour but de recueillir leur accord à la tenue de la réunion constitutive par vote à distance, dans la mesure où ils reconnaissaient que le caractère secret de l’expression des suffrages serait suffisamment garanti par les modalités de vote retenues, à savoir que les suffrages seraient envoyés par chaque membre à une boîte fonctionnelle dédiée à laquelle deux scrutateurs, membres du service juridique du Parlement, auraient accès et que la confidentialité de l’expression des suffrages serait garantie par les obligations professionnelles et déontologiques de ces derniers ainsi que par leur engagement spécifique écrit (ci-après l’“accord préalable”). Le second, destiné aux scrutateurs, avait pour but que ceux-ci reconnaissent qu’ils avaient été appelés à apporter un soutien logistique à la réunion constitutive du CdP élu pour la mandature 2020 – 2022 et que leur participation à cette réunion leur donnerait accès à l’ensemble des suffrages de chacun des membres du collège électoral, dont ils connaissaient le caractère secret et qu’ils s’engageaient à garder comme tel.

6      Le 16 juin 2020 a eu lieu la réunion constitutive, à laquelle ont participé les 29 membres élus du CdP, certains depuis les locaux du Parlement à Bruxelles, Luxembourg, Barcelone (Espagne) et Varsovie (Pologne), d’autres depuis leur domicile. La présidence de cette réunion était assurée par la doyenne d’âge. La réunion a fait l’objet d’un enregistrement vidéo [...] et d’une transcription [...]

7      Le requérant était l’un des deux candidats à la présidence du CdP. À l’issue d’un premier tour de scrutin, les deux scrutateurs ont procédé au dépouillement des 29 votes reçus. Chacun des deux candidats a bénéficié de quatorze votes en sa faveur, un vote ayant été écarté par les scrutateurs.

8      Après que les résultats du scrutin ont été proclamés, un membre du CdP a demandé une suspension de séance à la doyenne d’âge en manifestant son désaccord avec la poursuite de la procédure de vote à distance en raison, selon lui, de son manque de fiabilité. Un autre membre du CdP a retiré son accord préalable.

9      À la demande d’autres membres du CdP, un scrutin à vote secret à distance a été organisé pour prendre une décision quant à la suspension de la réunion en cours. Parallèlement, d’autres membres du CdP ont quitté la réunion, certains d’entre eux ayant annoncé qu’ils retiraient leur accord préalable, de telle sorte que seuls seize votes ont été enregistrés. Les scrutateurs ont constaté que sur les seize votes exprimés, un seul était en faveur de la suspension, les quinze autres étant contre. La demande de suspension de séance ayant été rejetée, la réunion constitutive s’est poursuivie. Par la suite, un autre membre du CdP a décidé de retirer son accord préalable.

10      À l’issue d’un second tour de scrutin, le requérant a été élu président du CdP par quinze voix sur les quinze votes exprimés. La doyenne d’âge a alors cédé la présidence de la réunion constitutive au requérant.

11      Le requérant a demandé aux membres du CdP qui n’avaient pas quitté la réunion de décider du nombre de vice-présidents, qui a été fixé, à l’unanimité, à sept. Le requérant a fait un appel à candidatures pour le poste de premier vice-président. Le vote a eu lieu et, pendant que les scrutateurs étaient en train de procéder au dépouillement, ils ont reçu l’instruction de leur hiérarchie de quitter la salle, ce qu’ils ont fait après avoir prévenu le requérant.

12      Le requérant a décidé de suspendre la séance pour clarifier cette situation avec le secrétaire général du Parlement, auprès duquel il s’est rendu en compagnie de la doyenne d’âge.

13      Le secrétaire général du Parlement n’a reçu que la doyenne d’âge et, au cours d’un entretien auquel participaient également le directeur général de la DGP et l’un des membres élus du CdP déjà membre du bureau du CdP sortant, il a demandé qu’un rapport lui soit soumis tant par ce dernier que par la doyenne d’âge.

14      Le 18 juin 2020, la doyenne d’âge et le membre élu du CdP présent à l’entretien ont rendu leurs rapports respectifs.

15      Les deux scrutateurs ont également établi un rapport.

16      Le 30 juin 2020, le requérant et la doyenne d’âge ont adressé des observations communes, relatives à la régularité de la réunion constitutive du 16 juin 2020, au président et au secrétaire général du Parlement.

17      Le 7 juillet 2020, sur la base d’un avis rendu par le service juridique du Parlement le 6 juillet 2020, le directeur général de la DGP a rendu la décision [litigieuse], par laquelle l’élection du requérant en tant que président du CdP a été annulée en raison des dysfonctionnements observés lors de cette élection, des différents retraits d’accords préalables et de l’obligation qui s’impose à une institution de faire respecter la légalité par ses organes internes. En outre, dans la décision [litigieuse], le directeur général de la DGP a invité la doyenne d’âge à procéder à la convocation d’une nouvelle réunion constitutive.

18      Le même jour et avant la notification de la décision [litigieuse], le directeur général de la DGP a envoyé un courriel à la doyenne d’âge, avec le requérant en copie, l’informant que, sur la base de l’avis rendu par le service juridique du Parlement le 6 juillet 2020, l’élection du requérant à la présidence du CdP allait être annulée et qu’elle devait convoquer une nouvelle réunion constitutive.

19      Une nouvelle réunion constitutive a d’abord été convoquée par la doyenne d’âge le 15 juillet 2020 puis, en raison d’une nouvelle intervention de la DGP, le 14 septembre 2020. Cette réunion devait se tenir en présentiel uniquement. Le requérant a, d’une part, marqué son opposition avec l’organisation d’une nouvelle réunion constitutive et, d’autre part, indiqué que sa participation n’emporterait pas de reconnaissance préjudiciable.

20      La réunion constitutive du 14 septembre 2020 a conduit à l’élection d’un autre candidat que le requérant au poste de président du CdP ainsi qu’à celle des vice-présidents et d’un secrétaire politique du CdP.

21      Le 6 octobre 2020, le requérant a formé une réclamation à l’encontre de la décision [litigieuse] et, en substance, de la réunion constitutive du 14 septembre 2020, en particulier en ce qui concernait l’élection d’un autre candidat que lui à la présidence du CdP.

22      Par décision du 5 février 2021, la réclamation du requérant a été rejetée (ci-après le “rejet de la réclamation”).

23      Dans le rejet de la réclamation, d’une part, le Parlement a précisé, en premier lieu, que le terme “dysfonctionnements”, employé dans la décision [litigieuse], couvrait différents incidents ayant affecté la tenue du scrutin repris en détail dans le rapport de la doyenne d’âge, à savoir de grandes difficultés techniques de connexion audiovisuelle, une erreur de manipulation technique de la part des scrutateurs au premier tour du scrutin pour l’élection du président du CdP et le fait que, après ce vote, la 29e voix, qui devait être décisive, manquait sans qu’une explication à cet égard ait été trouvée pendant la réunion constitutive. En second lieu, ce terme couvrait les incertitudes éprouvées par certains membres du CdP en raison de ces incidents, lesquelles étaient relatives à la possibilité, pour les membres du CdP ayant quitté la réunion, de continuer ou non à voter ainsi qu’à l’impossibilité d’appliquer certaines dispositions du règlement intérieur du CdP [...] – notamment son article 20, paragraphe 2, relatif aux modalités de vote par procuration, interdisant aux membres participant à la plénière en visioconférence de voter personnellement, et son article 4, qui requiert la “présence” de la majorité des membres pour l’élection du président – en combinaison avec le régime sui generis du vote à distance.

24      D’autre part, le Parlement a indiqué, en ce qui concernait le fait que, en raison de ces dysfonctionnements, quatorze membres du CdP avaient décidé de retirer leur accord préalable et/ou avaient quitté la réunion constitutive du 16 juin 2020, que la condition sine qua non de l’organisation de ladite réunion était le maintien, tout au long des opérations de vote, de l’accord de tous les membres du CdP portant sur l’ensemble des aspects dérogeant aux règles en vigueur.

25      Le 18 mars 2021, le requérant a demandé au Parlement la communication du rapport de la réunion constitutive du 16 juin 2020 établi par les scrutateurs ainsi que de tous les autres rapports et pièces pris en considération par le Parlement aux fins de l’adoption de la décision [litigieuse] et du rejet de la réclamation.

26      Le 28 avril 2021, le Parlement a communiqué au requérant le rapport de la réunion constitutive du 16 juin 2020 établi par les scrutateurs. »

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 mai 2021, le requérant a introduit un recours fondé sur l’article 270 TFUE tendant, d’une part, à l’annulation de la décision litigieuse ainsi que, en substance, de la réunion constitutive du CdP du 14 septembre 2020, en particulier en ce qui concerne l’élection de son président, et, d’autre part, à la réparation du préjudice qu’il aurait subi.

8        Au soutien de ses conclusions en annulation, le requérant a invoqué deux moyens. Le premier moyen, qui comportait trois branches, était tiré d’une violation, premièrement, du devoir du Parlement d’assurer à ses fonctionnaires et à leurs élus la possibilité de désigner leurs représentants en toute liberté et dans le respect des règles établies, deuxièmement, de l’article 4 du règlement intérieur du CdP et, troisièmement, du devoir de diligence et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Le second moyen était tiré d’une violation du droit d’être entendu et de l’article 41 de la Charte.

9        Au soutien de ses conclusions indemnitaires, le requérant a fait valoir que les illégalités commises par le Parlement constituent des fautes qui, prises isolément ou dans leur ensemble, étaient de nature à engager la responsabilité de l’institution, dans la mesure où elles ont engendré à son égard un préjudice moral, estimé, ex æquo et bono, à 2 000 euros.

10      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté tant les conclusions en annulation que les conclusions indemnitaires du requérant ainsi que, partant, le recours dans son intégralité.

 Les conclusions des parties au pourvoi

11      Le requérant demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        en conséquence, de lui accorder le bénéfice de ses conclusions de première instance, et

–        de condamner le Parlement à l’ensemble des dépens des deux instances.

12      Le Parlement demande à la Cour :

–        de déclarer le pourvoi partiellement manifestement irrecevable et partiellement manifestement non fondé et, en tout état de cause, manifestement non fondé et

–        de condamner le requérant aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Sur le premier moyen, tiré dune erreur de droit dans linterprétation du critère du doute ouvrant droit à lintervention de ladministration dans le processus électoral visant à élire le bureau du CdP, dune contradiction de motifs et dune violation du droit à la liberté dassociation et de réunion consacré à larticle 12 de la Charte

 Argumentation des parties

13      Par son premier moyen, le requérant fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, aux points 52 à 54 de l’arrêt attaqué, qu’une intervention du Parlement dans le processus électoral visant à élire le bureau du CdP s’impose non seulement en cas d’irrégularité manifeste, mais également en présence d’un simple doute quant à la régularité de ce processus électoral. Ce faisant, le Tribunal aurait également entaché son arrêt d’une contradiction de motifs.

14      Premièrement, l’interprétation retenue par le Tribunal procéderait d’une lecture erronée de la jurisprudence et, en particulier, des arrêts du 29 septembre 1976, de Dapper e.a./Parlement (54/75, EU:C:1976:127), et du 8 mars 1990, Maindiaux e.a./CES (T‑28/89, EU:T:1990:18), dont il ressortirait que le critère pertinent en vue d’apprécier l’existence d’un devoir d’intervention de cette institution dans le processus électoral, est celui de l’irrégularité manifeste dans la tenue des élections et non pas celui du simple doute sur la régularité de ces dernières.

15      Deuxièmement, le critère de l’irrégularité manifeste correspondrait à l’interprétation la plus respectueuse du droit des fonctionnaires de désigner leurs représentants en toute liberté. En effet, l’intervention de l’administration dans le processus électoral visant à élire des représentants du personnel constituerait une ingérence dans un droit fondamental découlant de la liberté de réunion et d’association telle que reconnue à l’article 12 de la Charte, qu’il convient dès lors de circonscrire. À cet égard, cet article correspondrait à l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). Selon le requérant au pourvoi, il ressortirait, en substance, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que de l’arrêt du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative) (C‑78/18, EU:C:2020:476), que nul ne doit être empêché ni dissuadé d’exercer son droit par la crainte d’une ingérence de l’administration en rendant significativement plus difficiles l’action ou le fonctionnement d’une association, comme, par analogie en l’espèce, une instance représentative du personnel.

16      Il s’ensuivrait que ce devoir d’intervention doit recevoir une interprétation stricte, ainsi qu’il ressortirait des arrêts du Tribunal de la fonction publique du 25 octobre 2007, Milella et Campanella/Commission (F‑71/05, EU:F:2007:184), et du 11 décembre 2014, Colart e.a./Parlement (F‑31/14, EU:F:2014:264). Une interprétation trop extensive de ce devoir d’intervention comporterait le risque réel de voir l’administration s’immiscer de manière étendue dans le processus électoral en se fondant sur un simple doute, lui conférant ainsi une marge de manœuvre particulièrement grande. Seul le critère de l’irrégularité manifeste serait donc de nature à limiter ce risque et à permettre au juge d’exercer son contrôle de proportionnalité sur l’intervention de l’administration dans le processus électoral.

17      Le Parlement conteste l’argumentation du requérant.

 Appréciation de la Cour

18      À titre liminaire, il y a lieu de relever que l’annexe II du statut fixe la composition et les modalités de fonctionnement des organes prévus à l’article 9 de celui-ci, parmi lesquels le CdP.

19      À cet égard, bien que l’article 1er de cette annexe II laisse aux assemblées générales du personnel des différentes institutions le soin de fixer les conditions d’élection des comités du personnel, il encadre le pouvoir de ces assemblées en ce qui concerne, notamment, le recours au scrutin secret, l’obligation d’assurer la représentation des différentes catégories de fonctionnaires et des agents ou encore la participation à laquelle est subordonnée la validité des élections. L’ensemble des dispositions de cet article, même si elles sont incomplètes, reflètent l’intention du législateur de l’Union de garantir la représentativité de ces comités, parmi lesquels le CdP, une telle représentativité ne pouvant être assurée qu’au moyen d’élections comportant toutes les garanties de régularité, à tous les stades des opérations électorales (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 1976, de Dapper e.a./Parlement, 54/75, EU:C:1976:127, points 17 et 18).  

20      S’agissant du point de savoir si les institutions dont relèvent les comités du personnel en cause ont le droit et le devoir d’intervenir dans le cas où l’élection de ces comités serait contestable, la Cour a jugé qu’une telle responsabilité résulte effectivement de l’article 9, paragraphe 2, du statut et, en général, du pouvoir d’organisation que chaque institution exerce dans le domaine de sa propre compétence et de son devoir d’assurer, à ses fonctionnaires, la possibilité de désigner leurs représentants en toute liberté et dans le respect des règles démocratiques (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 1976, de Dapper e.a./Parlement, 54/75, EU:C:1976:127, points 21 et 22).

21      La Cour a ainsi considéré que les institutions ont non seulement le droit d’intervenir d’office au cas où elles éprouveraient un doute sur la régularité de l’élection des comités du personnel, mais qu’elles sont également tenues de statuer sur les réclamations qui pourraient leur être adressées à ce sujet dans le cadre de la procédure prévue par le statut (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 1976, de Dapper e.a./Parlement, 54/75, EU:C:1976:127, point 23).

22      Sur le fondement de cette jurisprudence de la Cour, il a itérativement été jugé que le contrôle de l’administration dans cette matière ne se borne pas au droit d’intervenir dans des situations où les organes électoraux ont déjà violé les règles électorales ou menacent concrètement de ne pas les respecter. Ainsi, le devoir de l’institution d’assurer, à ses fonctionnaires, la possibilité de désigner leurs représentants en toute liberté et dans le respect des règles établies ne se limite pas à sanctionner des irrégularités commises ou à empêcher des irrégularités imminentes, les institutions ayant le droit d’intervenir d’office, y compris à titre préventif, au cas où elles éprouveraient un doute sur la régularité de l’élection (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 1990, Maindiaux e.a./CES, T‑28/89, EU:T:1990:18, point 32 ; du 22 novembre 2005, Vanhellemont/Commission, T‑396/03, EU:T:2005:406, points 52 et 53, ainsi que du 11 décembre 2014, Colart e.a./Parlement, F‑31/14, EU:F:2014:264, points 42 et 44).

23      À cet égard, en premier lieu, le requérant soutient que, dans sa jurisprudence, le juge de l’Union « prend[rait] [...] clairement parti, et de manière constante, pour le critère de l’irrégularité manifeste dans la tenue des élections et non pour celui du simple doute sur la régularité de ses dernières », de sorte que, aux points 49 et 50 de l’arrêt attaqué, le Tribunal ferait une lecture erronée de la jurisprudence et entacherait son arrêt d’une contradiction de motifs.

24      Un tel argument doit être rejeté, dès lors qu’il ressort clairement des arrêts cités aux points 21 et 22 du présent arrêt que le juge de l’Union distingue, d’une part, le devoir de toute institution d’assurer, à ses fonctionnaires, la possibilité de désigner leurs représentants en toute liberté et dans le respect des règles établies, lequel comprend celui de prévenir ou de censurer des irrégularités manifestes de la part des organes chargés de la tenue des élections, tels que le CdP, et de statuer sur les réclamations qui pourraient lui être adressées à ce sujet et, d’autre part, le droit de toute institution d’intervenir d’office au cas où elle éprouverait un doute sur la régularité de ces élections.

25      En second lieu, le requérant fait valoir que retenir le critère de l’irrégularité manifeste correspond à l’interprétation la plus respectueuse du droit des fonctionnaires de désigner leurs représentants en toute liberté. Il soutient que l’ingérence de l’administration dans le processus électoral doit d’autant plus être circonscrite que ce droit fondamental découle de la liberté de réunion et d’association reconnue à l’article 12 de la Charte.

26      Cette argumentation, par laquelle le requérant invite, en réalité, la Cour à procéder à un revirement de la jurisprudence issue des arrêts cités aux points 21 et 22 du présent arrêt, ne saurait être retenue.

27      En effet, le droit des fonctionnaires de désigner leurs représentants en toute liberté, qui découle de l’article 9 du statut, a nécessairement pour corollaire le droit et le cas échéant le devoir, pour l’administration d’intervenir d’office au cas où elle éprouverait un doute sur la régularité de l’élection, qu’il lui appartient de garantir. Ainsi, une intervention dans le processus électoral de désignation du président du comité du personnel peut se justifier, notamment, ainsi que le Tribunal l’a souligné au point 54 de l’arrêt attaqué, s’il existe un doute susceptible de remettre en cause le principe de sécurité juridique.

28      En tout état de cause, toute décision de l’administration à cet égard est susceptible d’être soumise au contrôle du juge de l’Union, auquel il incombe notamment de vérifier si cette décision n’a pas porté atteinte au droit des fonctionnaires concernés de désigner leurs représentants en toute liberté et dans le respect des règles démocratiques, ainsi que de vérifier si l’intervention de l’administration était fondée sur un doute sur la régularité de l’élection, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 20 et 22 du présent arrêt.

29      Quant à l’argument du requérant, tiré de ce qu’il ressortirait de l’article 12 de la Charte, en particulier de son paragraphe 1, que l’intervention de l’administration dans le processus électoral relatif au comité du personnel serait limitée aux cas d’irrégularité manifeste, il convient de rappeler que, selon cette disposition, toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts.

30      En l’occurrence, outre que le requérant n’allègue nullement que le droit d’association des fonctionnaires de l’Union serait limité par la jurisprudence visée aux points 21 et 22 du présent arrêt, il convient de rappeler qu’il ressort des explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17) que le droit garanti à l’article 12, paragraphe 1, de la Charte correspond au droit garanti à l’article 11 de la CEDH et que, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, il a le même sens et la même portée que celui-ci.

31      Pour qu’une association relève de la protection de l’article 11 de la CEDH, il doit s’agir d’une entité de droit privé. S’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la notion d’« association », au sens de cet article 11, possède une portée autonome (voir, en ce sens, Cour EDH, arrêt du 29 avril 1999, Chassagnou e.a. c. France, CE:ECHR:1999:0429JUD002508894, § 100), cette Cour a jugé, en substance, que les critères à prendre en compte aux fins de déterminer si une association doit être considérée comme privée ou publique sont la fondation de celle-ci par des particuliers ou par le législateur, son intégration ou non aux structures de l’État, la circonstance qu’elle dispose ou non de prérogatives administratives, normatives et disciplinaires, et le fait qu’elle poursuive ou non un but d’intérêt général (voir, en ce sens, Cour EDH, arrêt du 3 décembre 2015, Mytilinaios et Kostakis c. Grèce, CE:ECHR:2015:1203JUD002938911, § 36). La Cour européenne des droits de l’homme a, dans ce contexte, décidé qu’un comité d’entreprise ne relève pas de la notion d’« association », au sens dudit article 11 (voir, en ce sens, Cour EDH, décision du 14 septembre 1999, Karakurt c. Autriche, CE:ECHR:1999:0914DEC003244196).

32      En l’espèce, il convient de relever, tout d’abord, que les comités du personnel institués au sein des institutions de l’Union sont spécifiquement mis en place par le statut. Ensuite, selon l’article 9, paragraphe 3, du statut, ces comités représentent les intérêts de l’ensemble du personnel auprès de ces institutions et assurent un contact permanent entre celles-ci et le personnel, tout en coopérant au bon fonctionnement des services en permettant à l’opinion du personnel de se faire jour et de s’exprimer. Enfin, il ressort de l’article 1er, sixième alinéa, de l’annexe II du statut que les fonctions assumées par les membres desdits comités sont considérées comme parties des services qu’ils sont tenus d’assurer dans leur institution.

33      Or, nonobstant ces éléments, le requérant au pourvoi n’avance aucun élément visant à établir que les comités du personnel institués au sein des institutions de l’Union devraient être qualifiés d’« associations », au sens de l’article 12 de la Charte.

34      Dans ces conditions, le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la qualification erronée attribuée à certains documents établis à la demande du Parlement pour le contrôle du processus électoral et de la violation par le Tribunal de son obligation de motivation

 Argumentation des parties

35      Par son deuxième moyen, le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de qualification juridique des faits en considérant, à l’instar du Parlement, que les rapports de la doyenne d’âge et du membre élu du CdP présent à l’entretien avec le secrétaire général du Parlement étaient subjectifs. Le Tribunal en aurait déduit, au point 100 de l’arrêt attaqué, que le Parlement avait agi avec le soin et la prudence requis par son devoir de diligence en ne suivant pas les recommandations contenues dans le premier de ces rapports. Il aurait, pour le même motif, rejeté, au point 113 de cet arrêt, l’argument selon lequel le requérant ignorait les pièces sur lesquelles le Parlement avait fondé la décision litigieuse.

36      Ce faisant, le Tribunal aurait omis non seulement de rappeler que les rapports en question avaient été sollicités par le Parlement lui-même mais également d’expliquer, en violation de son obligation de motivation, les raisons pour lesquelles il considérait que ces rapports étaient subjectifs, et ne devaient donc pas être pris en compte.

37      Le requérant ajoute que la question de savoir si le rapport de la doyenne d’âge pouvait être écarté en raison de sa subjectivité est pertinente pour la solution du litige et établir le bien-fondé de la troisième branche du premier moyen de la requête devant le Tribunal tiré de la violation du devoir de diligence et de l’article 41 de la Charte. Il soutient que le Parlement, auquel il appartenait de prendre en compte tous les éléments du dossier et qui était à l’initiative de la demande de rapport à la doyenne d’âge, ne pouvait écarter ce rapport au motif de sa prétendue subjectivité, sans que le Tribunal exerce son contrôle sur cette qualification juridique des faits.

38      Le Parlement conteste l’argumentation du requérant.

 Appréciation de la Cour

39      À titre liminaire, il y a lieu de relever que les points 100 et 113 de l’arrêt attaqué se rapportent respectivement, d’une part, à la troisième branche du premier moyen de la requête devant le Tribunal, tirée de la violation de l’article 41 de la Charte et du devoir de diligence et, d’autre part, au second moyen de cette requête, tiré de la violation de cet article et du droit d’être entendu.

40      S’agissant, d’une part, de la troisième branche du premier moyen de la requête devant le Tribunal, le requérant soutenait que le Parlement avait méconnu son devoir de diligence, en ne tenant compte ni de l’enregistrement de la réunion constitutive du 16 juin 2020 ni du rapport de la doyenne d’âge ou de celui des scrutateurs.

41      À cet égard, le Tribunal a jugé que ces arguments ne pouvaient pas prospérer, en précisant, au point 100 de l’arrêt attaqué, que « contrairement à ce que le requérant soutient, il ressort du dossier que, aux fins de l’établissement des faits fondant la décision [litigieuse], le Parlement a tenu compte, dans un souci d’objectivité, du rapport des scrutateurs et de l’enregistrement vidéo de la réunion constitutive du 16 juin 2020, mais pas des rapports de la doyenne d’âge et du membre élu du CdP qui avait participé à l’entretien avec le secrétaire général du Parlement, qui étaient considérés comme subjectifs. Ainsi, il ne peut être reproché au Parlement de ne pas avoir agi avec le soin et la prudence requis par le devoir de diligence en ne suivant pas les recommandations contenues dans le rapport de la doyenne d’âge ».

42      Par ailleurs, au point 101 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé une différence entre le rapport des scrutateurs et celui de la doyenne d’âge relative à l’explication de la disparition du 29e vote lors du premier tour de l’élection du président du CdP.

43      En ce qui concerne, d’autre part, le second moyen de la requête devant le Tribunal, il convient de relever que ce moyen était tiré de la violation de l’article 41 de la Charte et du droit d’être entendu, le requérant affirmant qu’il ignorait les éléments et les pièces qui avaient été pris en compte par le Parlement pour adopter la décision litigieuse. À cet égard, au point 113 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, notamment, constaté que « dans le mémoire en défense, le Parlement affirme ne s’être fondé, aux fins d’établir les faits afférents à la réunion constitutive du 16 juin 2020, que sur le rapport des scrutateurs et l’enregistrement vidéo de ladite réunion, dans la mesure où il a considéré que les rapports de la doyenne d’âge et du membre élu du CdP qui avait participé à l’entretien avec le secrétaire général du Parlement étaient subjectifs ».

44      L’argument du requérant selon lequel le Tribunal aurait repris « à son compte » la qualification de « subjectifs » utilisée par le Parlement pour désigner ces deux derniers rapports procède d’une lecture manifestement erronée des points 100 et 113 de l’arrêt attaqué.

45      En effet, au point 100 de cet arrêt, le Tribunal s’est limité à constater que le Parlement n’avait pas méconnu son devoir de diligence en ne suivant pas les recommandations contenues dans le rapport de la doyenne d’âge dès lors que cette institution avait, dans un souci d’objectivité, tenu compte du rapport des scrutateurs, membres du service juridique de cette institution, et de l’enregistrement vidéo même de la réunion constitutive du 16 juin 2020, tout en précisant, à titre surabondant, que les rapports de la doyenne d’âge et du membre élu du CdP avaient été considérés par l’institution en cause comme subjectifs. Au point 113 dudit arrêt, il s’est borné à exposer, de nouveau, que le Parlement avait considéré que ces deux rapports étaient subjectifs.

46      Le Tribunal ne s’étant pas approprié cette qualification, l’argument tiré de ce qu’il aurait procédé à une qualification juridique erronée desdits rapports manque donc en fait.

47      Pour les mêmes motifs, il y a lieu de rejeter l’argument du requérant selon lequel le Tribunal aurait entaché l’arrêt attaqué d’une insuffisance de motivation, à défaut d’exposer les raisons pour lesquelles il aurait fait sienne ladite qualification.

48      Eu égard à ces considérations, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré dune dénaturation du dossier, dune interprétation erronée des règles applicables à la réunion constitutive du 16 juin 2020 et dune violation des droits de la défense

 Argumentation des parties

49      Par la première branche de son troisième moyen, le requérant soutient que le Tribunal a erronément interprété les règles régissant la réunion constitutive du 16 juin 2020 et les scrutins et qu’il a commis, ce faisant, une erreur de droit.

50      D’une part, le Tribunal aurait considéré, au point 67 de l’arrêt attaqué, que tous les membres du collège électoral avaient accepté que ceux d’entre eux qui participaient à cette réunion constitutive en visioconférence pouvaient voter directement, sans recourir à une procuration. Il en résulterait nécessairement que l’ensemble des membres du CdP, ayant eu la possibilité de voter directement, étaient présents à ladite réunion, alors que le quorum était fixé à la moitié des membres composant ce comité.

51      Ce serait donc au terme d’une dénaturation de l’accord préalable, des courriels et des communications relatifs à la réunion constitutive et d’une interprétation erronée des règles régissant cette réunion que le Tribunal a considéré, aux points 80 et 124 de l’arrêt attaqué, que la question du quorum requis pour l’élection du président du CdP n’avait pas été réglée, de manière explicite par l’accord préalable et a donc estimé qu’il pouvait exister un doute quant à la régularité de cette réunion.

52      D’autre part, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant, au point 80 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si, en l’espèce, le quorum prévu pour l’élection du président du CdP avait été respecté, alors que cette question permettait d’apprécier la régularité du second tour de scrutin.

53      Par la seconde branche de son troisième moyen, le requérant soutient que le Tribunal aurait méconnu les droits de la défense en jugeant, au point 127 de l’arrêt attaqué, d’une part, que le rapport des scrutateurs avait permis de confirmer les incertitudes de certains membres du collège électoral quant à la fiabilité des résultats issus du premier scrutin pour l’élection du président du CdP et, d’autre part, que cette appréciation de la fiabilité des résultats du scrutin n’aurait pas été différente si le requérant avait été entendu sur ce rapport. Le requérant fait observer que s’il avait eu accès audit rapport, il aurait pu formuler différents commentaires concernant le second tour du scrutin, qui n’a suscité aucune critique ou constat d’irrégularité.

54      Le Parlement conteste l’argumentation du requérant.

 Appréciation de la Cour

55      Par le premier grief de la première branche du troisième moyen, le requérant invoque la prétendue dénaturation du dossier commise par le Tribunal. Or, il y a lieu de rappeler que, lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de manière précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante qu’une dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêts du 10 novembre 2022, Commission/Valencia Club de Fútbol, C‑211/20 P, EU:C:2022:862, point 55, et du 27 avril 2023, HC/Commission, C‑102/22 P, EU:C:2023:351, point 29 ainsi que jurisprudence citée).

56      À cet égard, le requérant soutient que le Tribunal aurait dénaturé l’accord préalable ainsi que les courriels et les communications relatifs à la réunion constitutive, décrits au point 67 de l’arrêt attaqué, en concluant, au point 80 de cet arrêt, que la question du quorum ne faisait pas l’objet, de manière explicite, de l’accord préalable.

57      À ce point 67, le Tribunal a indiqué qu’« il ressort de la convocation du 5 juin 2020 à la réunion constitutive du 16 juin 2020, des courriels qui ont précédé ladite réunion et des conditions dans lesquelles cette réunion s’est tenue que tous les membres du collège électoral avaient accepté, en dérogation à l’article 20, paragraphe 2, du [règlement intérieur du CdP], que ceux d’entre eux qui participaient à la réunion en visioconférence pouvaient voter directement, sans recourir à une procuration ».

58      Il y a lieu de souligner que le point 67 de l’arrêt attaqué, dont l’exactitude n’est pas remise en cause par le requérant, ne se réfère pas au quorum requis pour l’élection du président du CdP, mais aux modalités de vote pour cette élection. Le requérant affirme, cependant, qu’il résulte nécessairement des constatations figurant à ce point que « l’ensemble des membres du [CdP], en salle de réunion ou non, était présent [...] puisqu’ayant la possibilité de voter directement [...] » et, par conséquent, que les règles relatives au quorum ont été respectées.

59      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve de leur dénaturation, une question de droit soumise au contrôle de la Cour dans la procédure de pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2021, Fulmen/Conseil, C‑680/19 P, EU:C:2021:932, point 46 et jurisprudence citée). Une telle dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves. Lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de ces dispositions et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (arrêt du 22 juin 2023, YG/Commission, C‑818/21 P, EU:C:2023:511, point 31 et jurisprudence citée).

60      En l’occurrence, il y a lieu de constater que le requérant n’invoque nullement – ni a fortiori n’établit – en quoi le Tribunal aurait dénaturé les documents visés au point 67 de l’arrêt attaqué, mais se contente de critiquer l’appréciation des faits retenue dans cet arrêt et n’apporte aucun élément tendant à démontrer que le Tribunal aurait dénaturé les faits ou les preuves pertinents.

61      Il s’ensuit que ce premier grief doit être rejeté comme étant irrecevable.

62      Par le second grief de la première branche de son troisième moyen, le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 80 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si, en l’espèce, le quorum prévu pour l’élection du président du CdP a été respecté.

63      À cet égard, il y a lieu de relever que le point 80 de l’arrêt attaqué s’inscrit dans le cadre de l’appréciation portée le Tribunal sur la première branche du premier moyen du requérant, par laquelle ce dernier a contesté les motifs invoqués par le Parlement afin de justifier son intervention dans le processus électoral. En particulier, aux points 79 et 80 de cet arrêt, le Tribunal a vérifié si les incertitudes mentionnées par le Parlement relatives à l’impossibilité d’appliquer l’article 4 du règlement intérieur du CdP, qui exige la présence de la majorité des membres composant ce comité pour l’élection de son président, lu en combinaison avec les règles de procédure de vote à distance, suscitaient un doute sur la régularité du déroulement de la réunion constitutive, qui justifiait que cette institution intervienne dans le processus électoral.

64      Il convient, en outre, de constater que ces incertitudes ne sont que l’un des éléments qui ont été identifiés par le Parlement comme suscitant des doutes quant à la régularité de l’élection du président du CdP lors de la réunion constitutive du 16 juin 2020. En particulier, le Tribunal a, notamment, jugé, aux points 57, 61 et 71 de l’arrêt attaqué, que tous les aspects de la procédure dérogatoire n’avaient pas été suffisamment clarifiés et détaillés alors même que le directeur général de la direction générale du personnel du Parlement avait précisé que « l’accord devrait contenir des règles détaillées pour la conduite de la réunion constitutive ». Il a relevé, aux points 72 et 73 de cet arrêt, que le Parlement avait pu considérer à juste titre que les difficultés de connexion audiovisuelle étaient susceptibles d’avoir eu un impact sur la régularité du vote à distance lors de la réunion constitutive du 16 juin 2020. Il a considéré, aux points 74 et 75 dudit arrêt, que les erreurs de manipulation des scrutateurs et l’absence du 29e vote soulevaient des doutes quant à la régularité de l’élection du président du CdP lors de ladite réunion. Il a, enfin, jugé, aux points 76 à 78 du même arrêt, que les doutes relatifs à l’application de l’article 20, paragraphe 2, du règlement intérieur du CdP et les questions posées à cet égard pendant la réunion constitutive ainsi que les incertitudes concernant la possibilité pour les membres ayant quitté cette réunion de voter, permettaient de considérer qu’un doute quant à la régularité de l’élection du président du CdP existait.

65      Or, aucune de ces appréciations du Tribunal n’est contestée par le requérant dans le cadre de son pourvoi.

66      Dans ces conditions, même à supposer, comme le fait valoir le requérant à l’appui du second grief de la première branche de son troisième moyen, que le Tribunal aurait, aux points 79 et 80 de l’arrêt attaqué, erronément interprété les règles régissant la réunion constitutive et les scrutins, visées à l’article 20, paragraphe 2, du règlement intérieur du CdP, une telle erreur d’interprétation serait sans incidence sur le dispositif de cet arrêt, de sorte que ce grief est inopérant.

67      En effet, selon une jurisprudence constante, dès lors que l’un des motifs retenus par le Tribunal est suffisant pour justifier le dispositif de l’arrêt, les vices dont pourrait être entaché un autre motif, dont il est également fait état dans l’arrêt en question, sont, en tout état de cause, sans influence sur ledit dispositif, de telle sorte que le moyen par lequel ils sont invoqués est inopérant et doit être écarté (arrêt du 9 mars 2023, ACER/Aquind, C‑46/21 P, EU:C:2023:182, point 78 et jurisprudence citée).

68      Par la seconde branche de son troisième moyen, le requérant fait valoir que c’est en violation des droits de la défense que le Tribunal, au point 127 de l’arrêt attaqué, a rejeté son argument tiré de ce que la décision litigieuse aurait pu être différente s’il avait été entendu sur le rapport des scrutateurs. En particulier, il soutient que s’il avait eu accès à ce rapport, il aurait pu formuler différents commentaires et souligner que ledit rapport démontrait que le second tour du scrutin n’avait suscité aucune critique ou constat d’irrégularité, y compris s’agissant du quorum.

69      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il résulte, notamment, de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de la décision dont l’annulation est demandée, ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. La Cour a itérativement jugé, à cet égard, qu’un pourvoi est irrecevable dans la mesure où, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt du Tribunal, il se limite à répéter les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant cette juridiction, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par celle-ci. En effet, un tel pourvoi constitue, en réalité, une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour sur pourvoi (arrêt du 20 janvier 2022, Roumanie/Commission, C‑899/19 P, EU:C:2022:41, point 48 et jurisprudence citée).

70      En revanche, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être de nouveau discutés au cours de la procédure de pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, ladite procédure serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 30 juin 2022, Fakro/Commission, C‑149/21 P, EU:C:2022:517, point 88 et jurisprudence citée).

71      En l’espèce, il y a lieu de constater que, dans son pourvoi, le requérant se limite à réitérer les arguments qu’il a exposés, en substance, dans son mémoire en réplique devant le Tribunal, sans identifier les erreurs de droit dont serait entachée l’appréciation du Tribunal ni contester l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal.

72      Il s’ensuit que la seconde branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant irrecevable.

73      Dans ces conditions, le troisième moyen du pourvoi doit être écarté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, inopérant.

74      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, dans la mesure où aucun des moyens du pourvoi n’est accueilli, ce dernier doit être rejeté.

 Sur les dépens

75      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

76      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

77      Le Parlement ayant conclu à la condamnation de M. Aquino aux dépens et celui-ci ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.



2)      M. Roberto Aquino est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen.

von Danwitz

Xuereb

Ziemele

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 octobre 2023.

Le greffier

 

Le président de chambre

A. Calot Escobar

 

T. von Danwitz


*      Langue de procédure : le français.